La coordination européenne en Arctique : quelles perspectives ?

M. Gérard JUGIE - CNRS, Directeur de l'IPEV

S'il fallait faire bref, nous dirions pour commencer que la coopération scientifique sur l'Arctique est reconnue comme insuffisante, mais je vais m'attacher à développer une vision plus positive et constructive. Je vous propose de vous apporter un éclairage sur la dimension internationale. Quelles perspectives adopter après les exposés que nous venons de suivre ? Nous avons montré ensemble le caractère d'intérêt général revêtu par ces zones, mais nous allons voir le degré d'intérêt de poursuivre cette notion d'Observatoire spécifique pour l'Arctique.

Je pense utile de rappeler que, si les deux pôles ont la même couleur, ils présentent cependant des différences fondamentales. Les deux schémas qui vont suivre rappellent qu'au nord, nous avons à faire à une mer fermée, encerclée par d'importants pays riverains. Ceux-ci ont un rôle primordial à tenir dans ces débats. Notons que cette zone ne dispose pas d'un statut privilégié, contrairement à l'Antarctique et ceci constitue une des difficultés majeures. Je vous rappelle en effet que l'Arctique représente à peu près la même surface que la zone Antarctique régie, elle, par un traité international. Ce traité fixe des obligations aux opérateurs qui y travaillent. Sur ce grand continent, la population n'est que passagère, essentiellement constituée de scientifiques. Ce qui est bien différent en Arctique, pour les raisons qui ont été évoquées tout à l'heure - essentiellement des raisons politiques. Aller faire des travaux dans cette zone implique de collaborer avec les pays riverains.

Cette règle n'est pas de mise en Antarctique, puisque nous avons mission de collaborer dans un cadre international. Toute opération en Arctique nécessite d'emblée d'avoir une approche politique du système. Par ailleurs, pour la première fois depuis longtemps, les Russes, afin de souligner la notion de souveraineté, engagent des manoeuvres militaires lourdes en Arctique. Je pense que, à moyen terme, l'Arctique peut devenir une zone de conflit potentielle en termes économiques.

Il est donc essentiel d'adopter un autre système de coordination, puisque la situation est différente de celle de l'Antarctique. Votre rapport, Monsieur le Sénateur, avait déjà pointé le déséquilibre national, en France, entre l'Arctique et l'Antarctique. Notre pays engage plus de moyens dans la recherche en Antarctique, à savoir deux gros tiers pour l'Antarctique et un petit tiers pour le Nord. Il sera peut être judicieux, à court ou moyen terme, de rééquilibrer cette tendance.

Je vous rappellerai également que peu de choses existent à l'heure actuelle en termes de coordination de la recherche en milieu arctique. Il existe certes des initiatives, mais qui sont pour le moment peu connues et isolées, et n'ont pas le soutien suffisant au niveau politique. Elles ne sont pas suffisamment écoutées, en particulier dans le cadre européen. Cependant, il faut souligner les travaux qui ont été effectués depuis plus de deux ans par les différents organismes nationaux, qui ont été soutenus et ont obtenu les félicitations de l'Union européenne. Un recensement complet de toutes les forces en matière d'infrastructure au niveau européen a été entrepris, y compris celles de la Russie. Il existe une logique adaptée, puisqu'il faut prendre en compte aussi bien les considérations de terrain que les moyens logistiques, aériens et navals.

Cette initiative a réussi à attirer autour du noyau dur européen, soit les dix-neuf pays européens actifs en matière polaire, des pays significatifs, comme les pays sud-américains, les États-Unis et la Russie.

Les travaux ont été articulés autour de cinq groupes du Conseil de l'Arctique qui ont travaillé sur les cinq sujets suivants :

- changement climatique et modification de l'écosystème ;

- système de l'Arctique ;

- effets corrélatifs liés à l'activité humaine ;

- connaissance de la vie arctique ;

- connaissance de l'évolution climatique et des effets cumulatifs.

Pendant longtemps les travaux du Conseil de l'Arctique ont été négligés dans l'Hexagone. Nous y avons participé marginalement, au niveau de l'Institut polaire. Récemment, la tendance a été infléchie puisqu'une délégation interministérielle a assisté à une réunion du Conseil de l'Arctique. Il faut aborder le sujet du Nord avec la même cohérence et la même méthodologie que celles qui ont été adoptées pour le Sud. Il n'y a nul besoin de réinventer le système : il s'agit avant tout d'aborder politiquement le Nord de la même manière que cela a été fait pour le Sud.

Je vais illustrer mon propos en vous décrivant le réseau des stations polaires arctiques. Nous pouvons observer l'abondance de stations polaire russes, un réseau important sur la partie Alaska et sur la partie canadienne. On retrouve cette même abondance au niveau du Spitzberg. Tout ce réseau de stations et de sites n'est aucunement lié ou organisé pour travailler ensemble. Il n'y a aucune norme véritable, que ce soit en sciences de l'univers ou en sciences de la vie. Une première notion essentielle serait de pouvoir organiser cet ensemble.

Un modeste exemple est fourni par la France et l'Allemagne, qui ont pris le parti de la collaboration plutôt que d'avoir chacune leur station. Les deux pays ont engagé au Spitzberg à la fois un programme scientifique et un programme d'observation. Nous aboutissons parfois à une situation ridicule dans laquelle il est possible de compter une dizaine de nations présentes dans un périmètre restreint. Vous obtenez alors dix mesures des températures, dix mesures de la qualité de l'air, .... Il est absolument nécessaire de mettre fin à ce genre d'incohérences. La France pourrait servir de catalyseur en proposant une solution raisonnable à un problème général et travailler à réunir les observatoires. Ceci constituerait un premier pas essentiel.

L'étape suivante est dans la lignée de ce qui a pu être effectué par la Fondation européenne de la science afin d'essayer d'organiser et de recenser les activités au niveau des opérateurs. Ce travail a été complété par une évaluation des différentes politiques, et nous avons pu constater qu'en matière de biodiversité, les outils étaient similaires.

L'organisation européenne est très dense, elle rassemble un grand nombre de pays européens. Nous pouvons mentionner aussi bien les pays scandinaves que l'Allemagne et la France ou des pays du Sud. A cet égard, nous avons l'espoir de voir le Portugal se joindre à ce consortium pour l'Année polaire, élément intéressant pour la future politique.

L'ensemble des vingt-sept agences gouvernementales et des ministères doivent se coordonner au niveau polaire. La partie concernant un observatoire doit s'inscrire dans ce schéma, puisqu'elle correspond à cette méthodologie.

Le cliché suivant montre la richesse du système et sa complexité. Nous avons essayé, avec Paul Egerton, de rassembler ici toutes les plateformes qui existent à l'heure actuelle. Vous avez la plateforme russe qui est très bien organisée, puis la plateforme scandinave, celle du Spitzberg, celle du Groenland, celle de l'Alaska et enfin celle du Canada. Cet ensemble fonctionne de façon fragmentée et ne présente ni cohérence ni coordination. Si nous voulons vraiment mener une réflexion politique sur l'avenir de l'Arctique, il est nécessaire de passer du système existant de plateformes séparées pour aller vers une plateforme générale et coordonnée.

Ce genre d'études ne devrait pas se concevoir uniquement pour l'Arctique. Il faudrait que les deux systèmes soient complémentaires, bipolaires, les données du Nord enrichissant celles du Sud et vice-versa, le tout dans un système cohérent.

Une autre suggestion, qui n'a rien de révolutionnaire, vise à ce que nous engagions une coordination intra-européenne. Cette dernière constitue la première marche préalable à la construction d'un dialogue et d'un partenariat international. Nous devons harmoniser les partenariats et les infrastructures européennes de façon à ce que chacun sache ce que le voisin fait. Enfin, l'objectif majeur est de rendre accessible la plus grande quantité de données : c'est la condition sine qua non pour comprendre la rétroaction. Sans transmission de données standardisées, chacun continuera à travailler de son côté.

Je demande maintenant que l'on donne la parole à Paul Egerton.

M. Christian GAUDIN

Nous passons donc la parole à Paul Egerton qui a la gentillesse de s'exprimer en Français.

M. Paul EGERTON - Directeur de l'European Polar Board

Monsieur le Sénateur, Mesdames et Messieurs, chers collègues. Nous avons souligné dans ce rapport le besoin d'harmonisation de la recherche dans la région arctique, dans le contexte du développement de la politique de recherche européenne. Le réchauffement a un impact direct et évident sur la population de ces régions. Ce rapport montre le nombre important de stations dans la ceinture arctique, et énumère les partenariats avec des pays comme les Etats-Unis, le Canada et la Russie.

Je souhaiterais souligner les avantages significatifs d'une plus grande coordination des programmes de la communauté scientifique. Et aussi ceux de la mise à disposition du public du plus grand nombre d'informations sur le réchauffement climatique en Arctique et en Antarctique.

L'initiative créant un observatoire de l'Arctique établirait le cadre politique pour une mise en place d'instruments scientifiques de compréhension du changement climatique.

A ce titre, la notion de multidisciplinarité est extrêmement importante. Elle est essentielle pour mettre en place des partenariats internationaux et une observation sur une couverture géographique la plus large possible.

Nous préconisons à cet effet l'intégration des programmes de recherche. Sur ces recommandations, un accord au sein de l'Union européenne pour harmoniser les stratégies de coopération devrait être mis en place. Le tout dans un contexte international, en chiffrant les investissements et les infrastructures.

Nous souhaitons mettre en place, pour cette année polaire internationale, un certain nombre de données pour comprendre clairement le processus du changement climatique et son impact sur la société. Une telle initiative servira à créer les structures appropriées et des partenariats internationaux fructueux.

M. Christian GAUDIN

Merci à vous, cher Paul Egerton. Nous allons poursuivre en évoquant les coopérations européennes et internationales.

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