Coopération européenne et coopération internationale : l'exemple de DAMOCLES

M. Jean-Claude GASCARD - CNRS, UMPC

Merci Monsieur le Sénateur. Mesdames, Messieurs, chers collègues, je vais présenter de manière très brève le projet intégré européen concernant l'Arctique. Celui-ci concerne en particulier le devenir de la banquise arctique, soumise au problème du réchauffement climatique. L'un des mots clefs de ce projet européen est le vocable « intégré ». Essentiellement parce qu'il est multidisciplinaire et apparaît indispensable pour réunir les expertises nécessaires afin de répondre à un certain nombre de questions urgentes concernant l'Arctique et la banquise soumise au stress du réchauffement climatique.

Le projet DAMOCLES est une réponse à un appel d'offre de l'Union européenne demandeur de propositions sur des systèmes d'observation et de prévision des événements climatiques extrêmes. Nous allons donc baser notre propos sur l'évolution actuelle de la banquise arctique, considérée comme un événement climatique extrême et majeur.

DAMOCLES est un acronyme : Developing Arctic Modeling and Observing Capabilities for Long-term Environmental Studies. Il est ici question de modélisation et d'observation ; nous ne pouvons pas nous contenter d'observer, nous devons également assimiler des données pour modéliser. Ces dernières sont assez complexes et font partie des nombreuses variables caractérisant aussi bien l'atmosphère que les océans. Il s'agit d'accroître nos capacités à établir des prévisions à long terme.

A l'origine de DAMOCLES se trouve le besoin de trouver les composantes optimales d'un système de prévision permettant de comprendre l'évolution actuelle de l'Arctique. Celui-ci nous permettra d'améliorer nos capacités de prévision. Il a été montré que l'Arctique ne fonctionne pas de manière isolée. Les liens entre l'Arctique et le système terrestre sont très forts.

Nous pouvons déjà répondre à certaines de ces questions : il est avéré que l'Arctique évolue vers un nouvel équilibre, que nous ne connaissons pas encore. Mais il y aura certainement de moins en moins de glace en été, comme c'est le cas dans l'océan Antarctique où toute la glace de mer qui se forme en hiver fond en été. A l'origine de DAMOCLES, nous sommes partis sur la base d'un record d'extension minimum de la glace de mer mesuré en septembre 2005. C'est le moment du retrait maximum de la banquise à la fin de l'été. Dans le concentré de littérature sur les dix années écoulées, nous pouvons ressortir des textes précis qui montrent que des records ont été battus tous les ans. En 2007, l'été le plus récent, nous observons encore un recul considérable d'environ un million et demi de kilomètres carrés par rapport au record précédent atteint en 2005. Ceci représente trois fois la surface de la France. Conséquence directe : au lieu de renvoyer dans l'espace 80 % du rayonnement solaire incident, ce dernier est absorbé sur une surface de plus d'un million et demi de kilomètres carrés. Ce phénomène représente donc un bouleversement considérable. Tellement considérable, d'ailleurs, qu'il nous a surpris par son ampleur. Les deux brise-glace en opération en Arctique dont le Fedorov, parti de Saint-Pétersbourg, et le Polarstern, parti de Bremerhaven, n'ont rencontré qu'une faible résistance pour progresser dans des zones habituellement prises dans les glaces.

Cette surprise confirme les écarts entre les observations et les prévisions qui nous sont données par un certain nombre de modèles. Ecarts qui ont pu varier de deux millions de kilomètres carrés d'une année sur l'autre en ce qui concerne l'étendue de la banquise. Cette variabilité interannuelle constitue l'une des choses les plus difficiles à prévoir. Sur le long terme, ce phénomène semble un peu plus aisé à prévoir.

L'extension de la glace est le paramètre le plus frappant. Mais il y en a beaucoup d'autres. Voyons ce diagramme qui concerne la mobilité de la glace. Vous pouvez noter ce que les modèles prédisent. Nous pouvons ainsi voir la trajectoire de Tara, ce bateau qui a été immobilisé dans la glace dérivante en septembre 2006, et qui a été deux fois plus vite que prévu. Le navire s'est retrouvé en septembre 2007, un an après son départ, à 500 kilomètres des côtes du Spitzberg. Ceci montre une mobilité beaucoup plus importante de la banquise. On peut ici la comparer à celle du FRAM (une dérive similaire entreprise il y a plus d'un siècle) en trois ans. Un autre paramètre d'importance est celui de l'épaisseur de la glace, qui a varié pratiquement du simple au double. En 2007, nous en étions en moyenne à 1 mètre 50 d'épaisseur de glace au lieu de 3 mètres dans les années 70. Quatrième paramètre : nous avons l'habitude de caractériser les glaces par leur âge, pour distinguer celles qui résistent à la fonte de l'été, appelées glaces pérennes ou pluriannuelles. Les observations par satellite nous permettent de les distinguer les unes des autres de par leur texture, leur rugosité et leur salinité. Les glaces de mer exposées en été à une fonte partielle offrent un aspect structurel complètement différent après la fonte estivale. Les scattéromètres et les diffusiomètres des satellites rendent comptent de cet effet très important. Ceci nous a permis de suivre l'évolution de la glace de mer, qui disparait beaucoup plus rapidement que prévu. C'est désormais la glace pluriannuelle ou pérenne qui est exposée à la fonte de l'été, qui est menacée et risque de disparaître. Signe inquiétant : elle ne s'est pas renouvelée en 2005. Nous avons comparé les données du diffusiomètre de Quickstat sur ces dix dernières années avec celles de l'ERS des années précédentes pour caractériser l'évolution de la glace. Ces diagrammes représentent une sorte d'électrocardiogramme de l'Arctique : nous y voyons le cycle saisonnier de cette glace pérenne dont nous ne voyons pas le renouvellement au cours de l'été 2005. Ces quatre paramètres concernant la glace témoignent tous de changements profonds.

Pour aller plus en détail dans ces observations et pour comprendre ce qui se passe dans la glace, dans l'atmosphère et l'océan, nous avons effectué des sondages simultanément à travers ces trois milieux, de mille mètres d'altitude à mille mètres de profondeur dans l'océan. Pour disposer de bases de données fiables et pérennes, nous devons avoir des éléments comme Tara, ou comme le brise-glace russe dont je parlais tout à l'heure.

Pour comprendre DAMOCLES, il faut voir qu'une douzaine de pays en Europe, à laquelle s'ajoutent maintenant la Russie et la Biélorussie, contribuent très fortement au programme. Tous les pays scandinaves sont également impliqués. Quels sont les objectifs spécifiques de DAMOCLES ?

Il s'agit de travailler sur les processus. Ces derniers sont trop nombreux pour pouvoir être listés ici. Mais tout est focalisé sur la formation de la glace de mer et les processus associés qui vont permettre de prévoir les changements climatiques liés à des conditions extrêmes.

Nous devons définir les composantes optimales pour un système de veille pour effectuer ces prévisions.

Nous travaillerons ensuite sur les impacts d'un régime qui concerne non seulement l'Arctique, mais également d'autres aspects sur lesquels nous reviendrons.

Tout ceci va mobiliser des moyens importants et des grosses unités en matière océanographique. Il nous faudra définir une stratégie expérimentale qui est résumée sur ce schéma compliqué. Celui-ci comporte deux grands ensembles. Un premier sur lequel nous fixons des capteurs sur la glace dérivante pour observer les courants et les vents. Il en va de même pour la salinité de l'eau de mer et l'humidité dans l'air. Il nous faut être très inventifs pour créer des systèmes autonomes. Nous prenons pour exemple ces robots qui vont collecter des informations sous la glace. Nous faisons donc face à un énorme chantier dans ce domaine.

Nous essayons aussi de mettre en place des réseaux de sonars mobiles équipés de flotteurs qui se déplacent sous la glace. Le satellite Cryosat, qui va être lancé l'année prochaine, va mesurer avec son altimètre la partie émergée de la banquise.

Comment ce projet peut-il s'intégrer dans une logique d'observatoire à long terme ? J'ai presque envie de procéder par contre-interrogation. Comment pourrait-il ne pas s'intégrer dans une logique de laboratoire à long terme ?

Pour illustrer la manière dont le travail se fait et expliquer la logique du projet, nous comptons huit modules au total. Les premiers concernent l'atmosphère, l'océan et les glaces, l'assimilation des données, le travail sur les processus propres aux lieux. Ceci implique également des modèles. Mais il importe aussi d'avoir du recul par rapport à ces données. Nous devons également développer, dans le cadre d'un consortium de cette ampleur, un système de management des données, et faire circuler ces dernières entre les différents modules. Il existe aussi un module qui concerne les développements technologiques. Les deux modules restants sont l'expertise des éléments recueillis et l'éducation - au sens scolaire - afin de décider la façon selon laquelle nous pouvons apporter cela dans nos écoles. Il existe donc un échange de communications important à ce sujet. Cet ensemble s'intéresse également aux écosystèmes marins. Nous allons donner un exemple. En dehors des ours polaires et autres animaux du cercle marin, nous nous intéressons aux migrations de diatomées. Celles-ci sont des éléments caractéristiques du phytoplancton. Elles provoquent notamment des interactions sur le pompage du carbone.

Nous avons aussi évoqué les dommages collatéraux que la fonte de la banquise, le réchauffement de l'océan et le changement dans l'atmosphère ont pu inéluctablement produire. Il y a là un lien qui montre l'interconnexion de l'Arctique avec les autres océans.

La deuxième question posée concernait la coopération avec les autres programmes non-européens dans le domaine de l'Arctique. Le consortium européen DAMOCLES avec toutes ses composantes opère une sorte de coopération avec la Russie et la Biélorussie. Ce premier pays faisait au départ partie du projet DAMOCLES. D'autres possibilités d'extension ont émergé, offertes par la Commission européenne pour engager d'autres laboratoires de Russie pour mener un travail intégré en son sein. Le processus est identique pour les Etats-Unis, puisqu'il y existe un programme appelé SEARCH, plus ambitieux que DAMOCLES. Nous avons lancé au niveau de la Communauté européenne une initiative qui s'appelle SEARCH FOR DAMOCLES, qui renforce la coopération avec les Etats-Unis. Si le programme scientifique s'est avéré très facile à écrire, il a par contre été plus compliqué de négocier, de signer les contrats et d'aboutir à une collaboration entre chercheurs américains et européens. Nous avons abouti, en dernier ressort, à signer des accords de type MoU « memorandum of understanding » avec les Etats-Unis et la Chine. Une année nous a été nécessaire pour lancer cette machine.

Il a été effectué il y a peu un voyage à Shanghai, en Chine au « Polar Research Institute of China ». Celui-ci s'engage dans une coopération majeure cette année en Arctique. Un brise-glace sera mis à disposition, sur lequel seront embarqués sept représentants de DAMOCLES.

Une très forte coopération avec le Canada a été également tissée, avec le réseau Arctinet, qui sera repensé à Québec à la fin de l'année pour le 400 e anniversaire de la fondation de la ville. Seront présents, avec les Canadiens, tous les spécialistes de l'Arctique et des changements climatiques en cours. Une coopération avec les Japonais est également mise en place, notamment par l'entremise de Jamstec, qui s'occupe des problèmes technologiques, mais aussi des aspects scientifiques. Reste à aider tous ces complexes scientifiques et consortiums à développer leurs actions de manière efficace.

A cet égard, le consortium européen DAMOCLES va très certainement contribuer à renforcer les liens avec les Etats-Unis, avec la Chine, avec le Canada. Il y a cependant un énorme travail de coordination à effectuer. Chaque pays a ses habitudes, différentes de celles des autres. Nous avons à faire à des administrations qui ont des habitudes différentes, cette dimension culturelle intervenant en surcroît du travail scientifique.

Les scientifiques sont néanmoins enchantés puisqu'ils peuvent se retrouver autour de plateformes qui leur permettent de travailler ensemble. Merci.

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