D. UNE VÉRITABLE POLITIQUE D'ACCOMPAGNEMENT À L'INNOVATION

1. Des efforts massifs de recherche et développement

Le Japon s'oriente depuis longtemps vers les technologies de pointe et possède toujours, en ce domaine, une avance sur ses concurrents, comme le montrent une série d'indicateurs. Ainsi, c'est le pays au monde qui dépose le plus de brevets. Les dépenses en R&D y comptent pour 3,6 % du PIB (contre 2,6 % aux Etats-Unis et 2,1 % en France), 80 % de ces dépenses étant le fait d'entreprises . Le Japon dispose de 5,6 chercheurs pour 1.000 habitants (contre 4,7 aux Etats-Unis et 3,3 en France). S'il ne représente que 2 % de la population mondiale, il couvre 20 % du budget mondial de R&D.

Dépenses en recherche et développement R&D

Nombre de chercheurs

Pays

Dépenses en R&D
(en milliards de Yens)

Part dans le PIB (en %)

Année

Pays

Nombre de chercheurs en équivalent temps plein (en milliers)

Nombre de chercheurs pour 1000 habitants

Année

Japon

18,5

3,62

2006

Japon

710

5,56

2006

USA

40,1

2,59

2004

USA

1 395

4,70

2005

Angleterre

4,5

1,78

2005

Angleterre

180

3,00

2005

Allemagne

8,0

2,48

2005

Allemagne

278

3,37

2005

France

5,2

2,13

2005

France

204

3,26

2005

Source : ministère des affaires intérieures et de la communication du Japon / OCDE.

Le solde du commerce extérieur japonais profite directement de cette spécialisation sur le secteur high tech . Comme le montre le tableau suivant, le Japon exporte en effet trois fois plus de produits à contenu technologique qu'il n'en importe. En France, à titre de comparaison, ce taux n'est que de 1,6.

RATIO EXPORTATIONS / IMPORTATIONS DANS LE
COMMERCE DE PRODUITS TECHNOLOGIQUES

Pays

Ratio entre exportations et importations

Année

Japon

3.37

2006

USA

2.22

2005

Angleterre

2.07

2005

Allemagne

1.13

2005

France

1.60

2003

Source : idem.

2. Un appui institutionnel au développement technologique

Le déploiement des technologies de l'information et de la communication (TIC) est soutenu par les programmes gouvernementaux édités par l' IT Strategic headquarters , dépendant du cabinet du Premier ministre, en accord avec le troisième plan quinquennal (2006-2010) pour la science et la technologie du conseil pour les sciences et les politiques technologiques (CSPT).

Suite à la réussite des plans nationaux e-Japan en 2000 et e-Japan II en 2003 visant à promouvoir les TIC au Japon, un nouveau plan gouvernemental New IT reform strategy a été lancé en janvier 2006.

Le secteur profite également de la mise en place de pôles de compétitivité depuis 2001 par le ministère de l'éducation, de la culture, des sports, des sciences et des technologies (MEXT) et le ministère de l'économie, du commerce et de l'industrie (METI) 19 ( * ) .

3. Un capital risque favorable aux start up

La concrétisation des opportunités de croissance au Japon a été en partie due à des modalités de financement innovantes, dont le meilleur exemple est le capital risque, que celui-ci soit intégré au sein des structures universitaires, ou bien distinct.

a) L'intégration entre recherche théorique et débouchés industriels

L'imbrication de la recherche fondamentale, des applications industrielles et des supports de financement est la forme la plus intégrée de capital risque. La délégation de la commission a rencontré M. Tomotaka Goji, président de The university of Tokyo edge capital co. Ltd. (UTEC), qui fait justement le lien entre ces trois éléments.

Cette société de capital risque , fondée en 2004 par la prestigieuse université de Tokyo, a pour fonction d'investir dans des sociétés venture ayant exploité des technologies et propriétés intellectuelles issues des laboratoires de recherche de ladite université, ou dans des sociétés venture créées par ses élèves ou professeurs. Intervenant au travers d'un fonds d'investissement soutenu par de grands établissements financiers et alimenté à hauteur d'environ 50 millions d'euros, elle est ainsi spécialisée dans le financement des sociétés non cotées issues du secteur scientifique et technologique (notamment information, communication et biotechnologie).

Surtout réputée pour son enseignement dans les matières scientifiques grâce à la qualité de ses dispositifs de R & D 20 ( * ) , l' université de Tokyo a été l'un des établissements publics précurseurs dans la mise en valeur des résultats de ses recherches en créant un centre de coordination des partenariats universités-secteur privé. Ce dernier a pour fonction de gérer la propriété intellectuelle (accords de licence avec les entreprises), les activités de recherche commune (échange de personnels de recherche), ainsi que le soutien à la création d'entreprise et la commercialisation des résultats des recherches (activité prise en charge, pour la partie financière, par l'UTEC).

En pratique, l'UTEC déniche les technologies prometteuses développées au sein de l'université et fait le lien avec les applications industrielles potentielles, puis avec la création d'entreprise, sans que l'université, qui ne fait en réalité que mettre à dispositions des moyens matériels et humains, ne puisse influer sur ses choix et investissements. Un comité de six personnes (universitaires, spécialistes financiers, jeunes entrepreneurs...) juge de la pertinence des projets et décide d'accorder les subventions au nom de l'UTEC.

b) Des moyens de financement massifs en capital risque

Le capital risque consiste à investir en fonds propres dans des entreprises en phase de démarrage afin de contribuer à leur viabilité économique immédiate, puis de les développer, l'objectif final étant de réaliser une plus value maximale via une cession de participation. Introduit dans les années 60 au Japon, il concerne des firmes qui ne peuvent prétendre aux canaux de financement traditionnels du fait des risques importants attachés à leur développement. De nombreuses sociétés multinationales constituant les piliers de l'économie japonaise (Panasonic, Toyota ...), qui à l'origine n'étaient que des « petites pousses », ont eu recours à ce moyen de développement pour atteindre une taille critique.

Les sociétés de capital risque sont incitées à investir le plus en amont possible , dans leur propre intérêt comme dans celui des sociétés qu'elles financent. En effet, plus elles prennent des parts tôt dans les sociétés technologiques, plus leur part relative dans leur capital social -appelé à croître- augmente, et plus le rendement de leurs investissements est élevé. Outre cet aspect financier, la détention d'une part significative du capital social permet d'obtenir une quote-part d'actions, donc un pouvoir de décision.

La délégation a rencontré plusieurs hauts responsables des plus grands groupes japonais de venture capital. Ceux-ci lui ont fait part de la situation difficile du capital risque au Japon , du fait de performances médiocres en termes de rendement/investissement, qui atteignent cependant 19 % net par an garantis ! Par ailleurs, pose problème la cotation en bourse des entreprises innovantes nouvellement créées, ce qui n'incite pas les petits porteurs à intégrer leur capital ou à y demeurer. Enfin, la délégation a eu le sentiment, d'une façon générale, que les responsables rencontrés étaient davantage attachés à la sécurité et à la rentabilité des fonds investis qu'à la stimulation de sociétés réellement innovantes.

4. Un soutien résolu aux PME

Les PME-PMI revêtent une place très importante dans l'économie japonaise. Elles représentent en effet 99,7 % des entreprises et 69,5 % des emplois.

Le soutien au PME y est assuré par une agence placée sous la tutelle du METI , dont la délégation a rencontré un responsable à Tokyo. Elle prépare et met en oeuvre la stratégie du gouvernement en ce domaine, qui constitue l'un des axes prioritaires de sa politique économique. Dans ce but, elle accorde une importance spécifique au soutien des activités de R&D et de formation, à la promotion de partenariats entreprise-universités-secteur public, à la stratégie en matière de propriété intellectuelle, à la création, l'internationalisation et la transmission d'entreprises.

Le budget public consacré aux PME permet, pour les trois-quarts, de soutenir celles souhaitant emprunter en réduisant leur taux d'emprunt et garantissant ce dernier, et pour le reste à donner des services de conseil direct aux entrepreneurs. Au coeur du dispositif, l'aide à l'innovation peut adopter la forme d'un soutien à la coopération des PME avec des grandes entreprises, à des PME seules ou à des PME s'associant pour innover collectivement. 300 guichets, présents sur tout le territoire et coordonnés au niveau central, permettent de couvrir au mieux les besoins.

La dégradation de l'environnement économique des PME japonaises, du fait de la crise, a entraîné une hausse significative du nombre de défaillances, surtout dans les secteurs de la construction et de l'immobilier. Elle a poussé le gouvernement à inclure, dans son plan de relance , une enveloppe significative (plus de 250 milliards d'euros, soit plus de 40 % du plan) destinée à faciliter le financement des entreprises, et plus spécifiquement des PME, notamment par des systèmes de garantie d'emprunts.

5. Des dispositifs d'incubation des entreprises très développés

Une fois la société créée et financée, encore lui faut-il trouver un lieu où s'implanter et développer ses activités. Or, le Japon offre à cet égard des facilités aux entreprises, notamment petites et moyennes, y compris dans les zones urbaines, en mettant à leur disposition un cadre juridique et matériel approprié . Ce support est le plus souvent proposé au niveau de la commune, ou de l'une de ses subdivisions -notamment l'arrondissement, niveau le plus proche des entreprises- si celle-ci est d'une certaine importance. Si les trois plus grandes métropoles (Tokyo, Osaka et Nagoya) ont attiré l'essentiel des entreprises jusqu'aux années 70, un mouvement inverse de redéploiement s'observe depuis.

Lancés au début des années 2000, les pôles de compétitivité japonais , appelés clusters , illustrent la volonté des pouvoirs publics de renforcer le caractère concurrentiel des entreprises japonaises. Ils offrent également, pour les pôles de compétitivité étrangers et leurs entreprises, d'intéressantes possibilités de coopération technologiques. L'accord passé récemment entre trois pôles de compétitivité français et le cluster de la région japonaise du Kansai (Osaka), dans le domaine des sciences de la vie, en témoigne.

Il existe actuellement plus d'une trentaine de clusters régionaux au Japon. Ils bénéficient de budgets importants en R&D, d'équipements de pointe, de chercheurs de haut niveau, et couvrent différents domaines d'activités, dont la microélectronique, les nanotechnologies, la recherche médicale, les biotechnologies, l'environnement, les transports, les TIC, la sécurité des réseaux, la robotique... Les actions de rapprochement entre pôles français et japonais, menées depuis trois ans, ont montré notamment que les préoccupations des entreprises et pôles de nos pays respectifs étaient proches, en matière de licences, de produits, de R&D, de technologies ou de services.

a) L'exemple de la pépinière d'entreprises Techno wing d'Ota

La délégation a pu visiter la pépinière d'entreprises Techno wing de la ville d'Ota, qui fait partie de l'un des 23 districts que forme la partie est de la métropole de Tokyo. Regroupant 700.000 habitants, elle est réputée pour la présence d'un nombre significatif de PME et d'usines de toute taille du secteur manufacturier. La ville a acheté le terrain, construit et aménagé l'immeuble, et proposé aux entreprises de venir s'y installer, lesquelles y restent trois ans en moyenne.

Le lieu est constitué d'un appartement d'usines de quatre étages accueillant, sur 6.500 m², jusqu'à 48 sociétés ou sites de production. Les entreprises locataires bénéficient d'espaces communs au rez-de-chaussée (salles de repos, de réunion et de négociation), et bénéficient d'une tour de logement à proximité pouvant héberger le personnel employé. Cet ensemble est considéré comme un modèle réussi de gestion d'aménagement d'une zone industrielle en milieu urbain . Il répond à une politique de revitalisation et de renforcement de la compétitivité du tissu industriel, fortement ébranlé ces dernières années du fait de la concurrence étrangère.

La rencontre avec le directeur du service de la promotion industrielle de la mairie d'Ota et la visite du site ont permis toutefois de relativiser ce constat . De son aveu même, les entreprises implantées sont pour certaines en situation difficile : assez anciennes, elles ont à leur tête des dirigeants âgés, sont insuffisamment innovantes et manquent de ressources. De plus, le financement se faisant surtout par intermédiation bancaire, les créateurs d'entreprise sont réticents à s'engager sur leur patrimoine personnel, la levée directe de fonds étant peu développée. Ces problèmes restent toutefois secondaires par rapport à l'obstacle, principal, que constitue le manque d'initiative des travailleurs et la préférence généralisée pour le salariat, si possible au sein des grandes entreprises.

Cependant, un certain nombre d'entreprises parviennent à se développer . Elles sont dans ce cas de trois types :

- celles ayant un fort potentiel de développement (ex : élaboration de coeurs artificiels, de pièces de précision vendues à Airbus) ;

- celles se situant sur un marché très pointu (ex : construction de circuits intégrés pour les semi-conducteurs) ;

- celles produisant des pièces formant des modules dont la recette technologique est confidentielle.

b) L'exemple du cluster des sciences de la vie à Kobe

La délégation s'est par ailleurs rendue au Kobe medical industry development project , spécialisé en médecine régénératrice, l'un des plus grands clusters de l'ouest du Japon. Situé dans une île artificielle implantée en face du port de Kobe et construite suite au tremblement de terre de 1995, qui a fait plus de 5.000 morts et provoqué la destruction de la ville, il a exploité à son avantage les atouts de la région du Kansai : excellentes facultés de sciences, entreprises leaders en pharmaceutique, importance du réseau mis en place par les acteurs locaux des biotechnologies, ouverture internationale de la région...

Parti d'une initiative locale, relayée par les administrations centrales et les entreprises intéressées, le projet a bénéficié d' importantes subventions étatiques provenant de divers ministères [METI, MEXT et ministère de la santé et du travail (MHLW)] ainsi que des autres acteurs associés (mairie de Kobe ; préfecture du département du Hyogo ; institut public de recherche Riken ; universités de Kobe, Kyoto et Osaka ; et Sumimoto Mitsui banking corporation, entreprise gérant le principal fonds de capital risque).

Consistant à l'origine en un pôle de R&D spécialisé dans les différents secteurs médicaux, thérapeutiques et pharmaceutiques, il s'est rapidement accru pour réunir aujourd'hui environ 130 entreprises, 10 centres de soutien aux entreprises, 3 centres de recherche et 2 hôpitaux. Le coeur du projet est constitué par l' Institute of biomedical research and innovation (IBRI), à la fois centre de recherche, de promotion, d'essais cliniques et de soins. Les centres de soutien, qui constituent l'un des atouts du cluster , promeuvent la création d'entreprise et aident les start up .

Outre les entreprises japonaises, 13 entreprises étrangères, dont 2 françaises, y sont implantées. Elles profitent d'avantages fiscaux et traitent, par l'intermédiaire de son organisme central, plus facilement avec les autorités pour obtenir des autorisations d'expérimentation. Elles bénéficient en outre d'une législation nationale peu contraignante en matière de thérapie génique et de bioéthique.

* 19 Voir infra .

* 20 4.000 personnes y font en moyenne 600 à 700 découvertes ou innovations chaque année.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page