QUESTIONS-DÉBAT

Préfet MOUCHEL-BLAISOT

Merci beaucoup à Yves Frenot. Je vais demander aux orateurs peut-être de gagner leur place à la tribune pour le débat en remerciant Yves Frenot vraiment pour la très grande qualité de cet exposé qui a souligné ce qu'il en était besoin l'importance de la biodiversité et de sa protection. Pour moi, par exemple qui suis allé à Saint-Paul au mois de novembre dernier, lorsque j'ai vu du persil à Saint-Paul, c'est là où j'ai compris tout le sens de ces propos. Là aussi, tu as bien souligné, cher Yves, la difficulté et l'enjeu. Parce que quand on dit qu'il faut protéger ou restaurer la biodiversité, ça veut dire que par exemple les rennes qui ont été introduits à Kerguelen, il faut aller les chercher. Kerguelen, c'est grand comme la Corse et on ne s'y déplace pas comme ça. Les moutons, c'est plus facile, mais les mouflons ou toutes les espèces invasives sauvages, c'est extrêmement compliqué. D'ailleurs, il y a une très grande coopération internationale des nations subantarctiques pour effectivement mutualiser les bonnes pratiques.

Dr. Yvon LE MAHO

Merci M. le Préfet pour ces commentaires. Je pense qu'effectivement, ce sont les conditions d'Yves Frenot que partage toute notre communauté dans le domaine de la biodiversité quant au fait qu'il y a encore un gros effort à faire pour la biodiversité, que le message n'est pas encore bien passé. Notamment, dans une période de crise, je crois que c'est encore plus important de le dire. Je trouve que le Grenelle de l'environnement et ça fait un lien avec la venue tout à l'heure de M. le Ministre d'Etat a fait bouger les choses. Il a fait bouger les choses parce que les scientifiques, Jean Dorst Avant que nature meure , il y a longtemps, ont essayé de faire passer ces messages liés aux risques associés à la perte de la biodiversité. Mais, ça n'était pas encore bien passé dans l'opinion publique. J'avais été frappé par exemple lors des conclusions du Grenelle par le fait que l'emphase a été très grande et il faut le faire sur les changements climatiques, mais pas aussi forte sur la biodiversité. Le Grenelle, c'est vrai, a fait bouger les choses et surtout parce qu'il a associé tous les représentants de la communauté, d'où l'importance que cette communauté par exemple se retrouve dans l'Institut qui vient d'être créé au CNRS et on l'a vu aujourd'hui dans les travaux scientifiques, le CNRS joue un rôle majeur. J'ouvre ce débat. Peut-être pourrait-on pour faire le lien avec ce matin répondre à la question, cher Niggel, qui a été posée sur la résilience en fin de matinée.

Pr. Niggel YOCCOZ

Je parlais des écosystèmes terrestres. C'est sûr qu'en termes de résilience, elle est faible en particulier parce que ce sont des écosystèmes très simples avec une structure pyramidale et avec des prédateurs spécialisés. Vous supprimez le cycle des lemmings, les espèces spécialistes comme les Harfang ou le renard polaire vont disparaître. Une résilience faible veut dire des changements relativement minimums. Je voudrais laisser la place à d'autres intervenants.

Dr. Yvon LE MAHO

Je vais ouvrir le débat avec la salle. Est-ce que tu peux revenir sur le terme de résilience, que signifie résilience pour un biologiste pour que ce soit clair pour tout le monde ?

Pr. Niggel YOCCOZ

Oui. Alors, il y a plusieurs définitions de résilience. Il y a l'aspect résistance à une perturbation. C'est-à-dire que pour une perturbation donnée, est-ce que l'écosystème ou socio-ecosystem comme disent nos collègues anglo-saxons, peut résister à ce changement ? Il y a aussi la capacité à revenir à l'état initial après une perturbation. Il y a plusieurs notions sous-jacentes. Là, je pensais surtout à la résistance. C'est-à-dire, à partir d'un certain changement climatique ou l'exploitation pétrolière gazière, est-ce que ces écosystèmes peuvent résister à ces changements ? Je pense que ce que j'ai un peu montré tend à prouver que c'est non. En fait, ces écosystèmes changent vraiment rapidement dans une tendance qui est, je dirais, négative, c'est-à-dire que ces espèces spécialistes emblématiques vont être amenées à disparaître.

Dr. Yvon LE MAHO

Merci. J'ouvre le débat avec la salle. Je vois deux questions ici.

De la salle

Je voulais rebondir immédiatement sur la notion de résilience et ce qui vient d'être dit en Arctique et en Antarctique au niveau de la biodiversité. Les deux intervenants ont parlé d'augmentation évidemment locale de la biodiversité et ensuite, le terme a été utilisé de banalisation ou d'érosion. Vous soulignez tous les deux que la notion de perte de biodiversité est moins bien passée que la notion de changement climatique. Il y a des études maintenant que changement climatique, ce sont des mots un petit peu doux justement pour percevoir ce qui va se passer finalement et que le choix des mots a été critique. Maintenant, on ne peut plus parler que de changement climatique, mais ce n'est pas très violent comme mot. Quand on parle de banalisation ou d'érosion de la biodiversité, même si ça veut déjà dire quelque chose, je trouve très intéressant ce qui a été pointé sur l'Arctique, de dire que finalement, quand la biodiversité se déplace vers le nord et qu'au Nord, il n'y a pas de terre, elle ne se déplace pas, elle disparaît. Ça, ce sont des choses qui touchent directement à la résilience et la résilience, elle est proche de zéro. C'est-à-dire qu'on ne peut pas sauter à l'eau. Ça disparaît, c'est comme au sommet d'une montagne. Le choix des mots dans ce cas-là, ça peut être destruction ou perte irréversible de biodiversité, est très important. Est-ce que ce n'est pas en choisissant des mots comme ça ou en tout cas en soulignant bien que quand le renard roux en Arctique, il y a une espèce nouvelle qui arrive en Arctique, on est d'accord, mais il y en a une autre qui disparaît et celle-là n'existe nulle part ailleurs. Il y a vraiment une perte sèche et irréversible. Ça, c'était une remarque que je voulais faire et voir si nous sommes d'accord là-dessus.

La deuxième chose, c'est sur l'Antarctique. Il a été mentionné une des possibilités d'installer des observatoires de la biodiversité qui, évidemment, du point de vue de Cousteau, ça paraîtrait une très bonne idée. Mais, les défis qui ont été soulignés, on peut se demander si les observatoires vont suffire à répondre à ce problème. Là, je reviens sur la présentation de M. Stoddart avec qui on travaille comme il l'a souligné fort gentiment. Pour Cousteau, un des intérêts majeurs, un des legs majeurs de la 4 ème année polaire internationale, ça serait que dans les deux zones arctiques et antarctiques, il y ait des mouvements très décidés, en particulier pourquoi pas de la France, y compris dans ses territoires où elle est à peu près souveraine, en tout cas pour les îles subantarctiques, vers des parcs marins, des aires marines protégées qui sont quand même un des moyens reconnus internationalement pour préserver la biodiversité. Merci.

Dr. Yvon LE MAHO

Sur ce dernier point, peut-être pour commencer, M. le Préfet.

Préfet MOUCHEL-BLAISOT

Juste sur ce dernier point, après, je laisserai, bien sûr, les orateurs répondre. Il faut savoir que les îles subantarctiques sont déjà classées en réserve naturelle. Elles sont les plus grandes de France, voire d'Europe. D'ailleurs lors de la présidence française de l'Union Européenne, la France a proposé au titre de la convention Ramsar sur la protection des zones humides que nos terres australes soient classées zones Ramsar, ce qui a été accepté au mois de novembre dernier. Elles sont aujourd'hui les plus grandes du monde et comme je crois qu'il y a un projet américain, elles vont rester en tout cas les plus grandes d'Europe. Ce qui veut dire qu'on est déjà dans un processus de protection très fort. Plus encore, ça a d'ailleurs été évoqué par un des orateurs cet après-midi qui a parlé de biorégionalisation au titre de la CCAMLR (Commission for the conservation of Antarctic marine living resources) qui est la Commission pour la Conservation de la Faune et de la Flore en Antarctique qui est aussi une organisation de pêche subantarctique. Nous sommes concernés dans les TAAF par des zones de biorégionalisation au sens du Traité de l'Antarctique. Voilà ces quelques points que je voulais de souligner. Il ne suffit pas de classer, il faut aussi agir.

Dr. Yvon LE MAHO

Sur les premiers points, qui veut répondre ? Yves Frenot, peut-être ?

Dr. Yves FRENOT

Je vais essayer de répondre. En tout cas, donner des éléments de réponse. Je pense qu'on est d'accord sur le fond et dans le choix des mots. Le choix des mots est extrêmement important. Par boutade, je disais que le message était passé et que c'était plus facile de le faire passer pour les changements climatiques. C'était réellement une boutade. Mais, je pense quand même qu'il y a eu autour du changement climatique effectivement tout un travail de professionnels, peut-être même au-delà des scientifiques eux-mêmes pour essayer de faire passer ce message avec les mots qu'il fallait et les exemples qu'il fallait, etc. Pour la biodiversité, on n'en est pas là, du tout. Il y a quand même deux aspects, cette fois de mon point de vue de scientifique, c'est qu'on n'a peut-être pas intérêt non plus à faire du catastrophisme tout le temps et de dire : « Oh là là, il y a des espèces qui disparaissent ». La réponse qui va venir immédiatement, c'est que des espèces qui disparaissent, il y en a toujours eu. Des espèces qui évoluent et qui apparaissent, il y en a toujours eu. Aujourd'hui, par contre, il y a des phénomènes différents qui se produisent à des vitesses différentes et c'est là-dessus qu'il faut pointer, qu'il faut essayer de communiquer, de faire passer le message. Mais au-delà de ça, bien sûr, il y a des espèces endémiques qui n'existent que là et qui vont disparaître, d'accord. Mais moi, j'ai aussi envie de poser la question de savoir, en termes de fonctionnement de tous ces écosystèmes, quelle va être la différence et qu'est-ce que ça va changer pour ces écosystèmes eux-mêmes ? Et puis, dans les écosystèmes où il y a de la présence humaine en particulier en Arctique, quelles conséquences ça va avoir aussi pour les peuples qui vivent dans ces régions-là ? Bien sûr, on peut dire : « Oui, ce sont des espèces emblématiques qui disparaissent, c'est terrible ». C'est terrible pour la mémoire de l'homme, pour tout ce qu'on veut, d'un point de vue philosophique. Il y a aussi le côté pratique, fonctionnel, je dirais, pragmatique qui n'empêche pas d'avoir les deux discours. Mais, effectivement, je pense qu'il faut mener les deux et avec les mots adaptés et choisis.

Dr. Yvon LE MAHO

Je dirais que sur ce plan, il y a un premier point à considérer qui est celui d'une vision utilitaire. Chaque espèce est une innovation dont il faut parler de l'échelle de temps. Il faut un million d'années en moyenne pour une espèce et quand on dit qu'on en prend pour quelques centaines d'années au mieux avec le changement climatique, on doit avoir en rapport aussi cette notion d'échelle de temps d'un million d'années. Pour en revenir à ce que je disais ce matin quant à l'avenir de l'écologie qui est, je crois, une écologie qui va rencontrer les autres disciplines, notamment biologie solidaire et moléculaire, car l'écologie de demain, ça va être une écologie des mécanismes, une protéine qui n'existe parfois que sur une espèce, si cette espèce disparaît, elle disparaît pour toujours. Je crois que c'est peut-être le lieu à ce moment-là de passer la parole à Françoise Gaill, la Directrice puisque je crois que c'est toute la raison d'être d'un Institut comme celui qu'elle dirige de répondre en partie à ces questions.

Dr. Françoise GAILL

Tout à fait. Je rebondis sur la remarque qui a été faite tout à l'heure sur finalement, faut-il être catastrophique, ne pas l'être ? Ce que vient de dire Yvon par rapport à la temporalité du point de vue du vivant est quelque chose d'absolument remarquable et dont on n'a absolument pas encore cerné ni les possibilités passées, présentes, à venir. Je pense que par rapport à la discussion qu'on a eue tout à l'heure sur la résilience, il y a un autre aspect qui est aussi important. La résilience me semble-t-il est le fruit d'une vision, je dirais, de physicien. On revient à l'état initial. On peut utiliser ça du point de vue analogique en écologie. Je pense que la notion d'adaptabilité est quelque chose qui rend grâce à ce qu'on appelle le mécanisme et qui fera sans aucun doute comme vient de le dire Yvon Le Maho l'écologie de demain. Je laisse ça à votre questionnement.

Dr. Yvon LE MAHO

Il y avait une question.

Préfet MOUCHEL-BLAISOT

Juste une précision, le Ministre d'Etat va bientôt arriver. On sera prêt et on clôturera cette séance de questions pour laisser la place à la séance officielle de clôture. Question courte, réponse courte.

De la salle

Je m'adresse à Françoise Gaill. Bonjour Françoise ! J'ai beaucoup apprécié ton exposé tout à l'heure sur les différentes disciplines, les différents programmes, français pendant la 4 ème année polaire internationale. Ce que je regrette un peu, c'est que tu as passé quand même sous silence tous les travaux sur les poissons et il y en a eu beaucoup, d'une part en Antarctique et d'autre part, dans les îles subantarctiques avec tous les travaux sur la pêche et également, tous les travaux que ce soit en îles subantarctiques ou en Terre Adélie sur la phylogénie moléculaire. Ce sont, je crois, des travaux importants qu'il ne faut pas passer sous silence.

Dr. Yvon LE MAHO

Il y a eu l'exposé du Dr. Stoddart.

De la salle

Il a fait allusion très largement au programme CEAMARC et ça, je l'en remercie, c'est très bien. mais, ça ne couvre pas tous les travaux qui auraient dû être dans l'exposé de Françoise.

Dr. Françoise GAILL

Pour répondre, je suis d'accord avec ça. je n'ai pas souhaité rentrer dans un certain nombre de disciplines. En fait, j'ai pris une indentification à travers le Web of Science qui identifie des champs disciplinaires et non pas forcément des disciplines comme la phylogénie par exemple ou la taxonomie des poissons, ce dont je suis d'accord avec vous.

Dr. Yvon LE MAHO

Vous voulez rajouter un mot ?

Dr. Michael STODDART

Oui, votre remarque est tout à fait judicieuse. Les travaux sur la caractérisation génétique des poissons de l'hémisphère Sud sont pratiquement terminés. Les travaux réalisés pendant l'année polaire internationale ont consisté à typer les poissons. Ce sont les organismes marins les mieux représentés dans nos travaux. Je suis ravi de vous annoncer que notre étude, notre recensement, nous a permis de rajouter un grand nombre d'espèces de poissons à la liste existante. Mais les travaux ne s'arrêtent jamais et il nous reste beaucoup de choses à faire.

Dr. Yvon LE MAHO

Merci. Thank you. Claude Lorius, vous voulez poser une question ?

Dr. Claude LORIUS

Je ne voudrais pas changer le sens du discours. Je crois que c'est absolument nécessaire de faire ce qui a été fait dans le domaine du climat, dans le domaine de la biodiversité. Pour moi, c'est évident. Je pense que le genre de propos que tu as tenus en disant : « Bon, maintenant, c'est fait, le climat, on connaît ». Non, passer à l'action. Non, le CO 2 , il continue à monter et il va continuer à monter. Il y a un long, un long temps avant qu'on puisse changer les choses. Je dirais que c'est un peu le même combat même si vous partez un peu derrière, mais on vise la même chose.

Dr. Yvon LE MAHO

Je partage absolument ça évidemment. Mais, il y a un décalage dans la perception, c'est évident. C'est l'action qui compte, on est parfaitement d'accord là-dessus, bien sûr.

De la salle

J'arrive du Canada, je voulais juste faire un témoignage concernant les communautés autochtones et le rôle qu'elles jouent aujourd'hui dans le cadre de l'API dans les études comme celles que vous avez présentées cet après-midi et ce matin. Les savoirs locaux traditionnels et écologiques sont de plus en plus recherchés et ils travaillent en partenariat étroit avec des scientifiques, notamment sur des programmes financés. Il y a une étude financée par l'IPEV, une étude comparative entre les Samis éleveurs de rennes et les Inuits chasseurs de caribous et à l'issue de ces premiers résultats, ils découvrent qu'ils sont affectés de la même manière par les changements climatiques. Ils expriment le souhait d'être des partenaires de plus en présents dans les recherches qui vont avoir lieu dans les années à venir, notamment dans la suite de l'année polaire internationale et ils souhaitent également que des recherches collaboratives se développent avec des techniques. C'était un message et ils souhaiteraient être partenaires.

Dr. Yvon LE MAHO

Je vous remercie beaucoup, Madame et c'était bien de terminer ce débat par cette question des sciences de l'homme et de la société. Je remercie tous les intervenants qui vont nous permettre maintenant dans les temps de réaliser la clôture de ce colloque.

Préfet MOUCHEL-BLAISOT

Nous sommes heureux d'accueillir M. le Ministre d'Etat Jean-Louis Borloo pour cette clôture officielle et la parole est maintenant à M. l'Administrateur du Collège de France.

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