DISCOURS DE CLÔTURE

Pr Pierre CORVOL, Administrateur du Collège de France

C'est le moment effectivement de clôturer ces deux jours de débat que vous avez eus particulièrement riches, je le vois. Je regrette de ne pas avoir pu participer à l'ensemble, car je pense que les questions que vous avez abordées pour le médecin que je suis et pour l'administrateur du Collège de France que je suis aussi sont des questions absolument cruciales pour notre avenir. Je pense que la qualité des échanges telle que j'ai pu l'apprécier ce matin et aussi à l'instant était absolument essentielle pour faire progresser nos connaissances. Comme vous le savez, nous essayons nous aussi avec notre tribune au Collège de France de répercuter une information qui est incroyablement demandée dans le domaine. Le fait que nous ayons créé une chaire annuelle de développement durable au Collège de France qui s'associe à la chaire d'Edouard Bard sur l'évolution du climat et l'étude des océans montre bien notre détermination à aller encore plus de l'avant dans ce domaine. Le fait que l'année dernière, 5 millions d'heures de cours ont été téléchargées sur notre site web en podcast ou en audio vidéo podcast montre bien l'extraordinaire intérêt d'un public que nous ne connaissons pas bien d'ailleurs pour les questions aussi fondamentales et traitées à haut niveau. Je suis particulièrement heureux car la clôture de ce colloque va être extrêmement fructueuse. Je sais qu'en effet, Votre Altesse, vous avez énormément contribué par la création notamment d'une Fondation. Je connais et nous connaissons votre attachement à la protection de l'environnement et de l'homme et je voudrais dire que nous partageons là un souci commun. Souci aussi bien entendu que le Gouvernement a en ayant créé et je vous remercie M. le Ministre d'Etat d'être parmi nous un ministère qui s'intéresse à l'écologie, à l'énergie et au développement durable - on a l'impression de lire en quelque sorte le titre de notre chaire annuelle - et de l'aménagement du territoire. Je voulais simplement dire ceci, vous remercier. Nous sommes très honorés de vous accueillir parmi nous Monseigneur, Monsieur l'ambassadeur, Monsieur le ministre, Monsieur le préfet, chers collègues et Mesdames et Messieurs. Je laisse maintenant la parole à Son Altesse Sérénissime le Prince Albert II de Monaco.

A. S.A.S LE PRINCE ALBERT II DE MONACO, PRÉSIDENT DE LA FONDATION PRINCE ALBERT II DE MONACO

M. le Ministre d'Etat, Excellence, M. le Sénateur Gaudin, M. le Préfet, M. l'Administrateur, Mesdames et Messieurs les Professeurs, Pr. Bard, Mesdames, Messieurs, chers amis, je suis particulièrement heureux de me trouver aujourd'hui dans cette enceinte prestigieuse du Collège de France aux côtés de M. le Ministre d'Etat au terme de ce colloque de clôture de la 4 ème année polaire internationale. Un demi-siècle après la 3 ème année polaire internationale, celle qui s'achève aujourd'hui marque une nouvelle étape dans la prise de conscience à l'échelle planétaire de l'indispensable et urgente préservation des régions polaires. Celles-ci subissent en effet en dépit de leur éloignement des centres d'activités économiques, non seulement l'impact des pollutions, mais aussi les effets des changements climatiques. Il est en revanche très réconfortant de constater la forte mobilisation de tant de scientifiques et désormais également de responsables de la société civile et de responsables politiques. Pour ma part, il m'a paru fondamental dans le contexte de mon engagement pour la sauvegarde de notre planète de marquer cette année polaire par une mission que j'ai effectuée en Antarctique au mois de janvier dernier. Je vois chaque jour se développer les fruits de cet engagement grâce au soutien de femmes et d'hommes convaincus comme chacun de vous ici que nous devons tout mettre en oeuvre pour protéger notre environnement, non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour les générations futures. La Méditerranée au bord de laquelle se situe mon pays est dès aujourd'hui vulnérable, fragilisée en particulier par le réchauffement climatique. Or, ces risques qui touchent la Méditerranée ainsi que d'autres mers et océans, c'est en Antarctique que nous pouvons les étudier pour les comprendre, et ainsi, sinon les prévenir, au moins en atténuer les effets. Il y a en Antarctique une communauté scientifique exceptionnelle venue de tous les continents pour étudier entre autres disciplines les changements climatiques pour tenter de mieux comprendre dans des glaces plusieurs fois millénaires l'évolution de notre planète et de son climat. C'est pour cela que j'ai entrepris cette expédition, pour écouter la communauté scientifique, mieux comprendre son travail et mieux appréhender les enjeux en présence. Cette communion autour d'un objectif commun qui transcende les nationalités est aussi pour moi l'accomplissement de ce qui fut l'un des rêves de mon trisaïeul le Prince Albert I er , un témoignage de fidélité à ses valeurs si étroitement liées à la science et à ses craintes, déjà à son époque, pour notre planète. Cela me conforte dans la justesse de l'action que je conduis et dans la nécessité de toujours davantage se mobiliser pour entendre, aider et inciter les scientifiques à une collaboration encore accrue. Car là réside aussi l'une des clés du développement futur de nos sociétés dans un monde où l'innovation joue un rôle essentiel et cela est particulièrement vrai en période de crise alors qu'il nous faut réinventer en grande partie notre modèle économique. Tel est le message de confiance que j'ai retenu de la communauté scientifique au cours de l'expédition dont vous allez maintenant découvrir des images à travers un film d'une quinzaine de minutes extrait d'un documentaire plus long qui sera disponible prochainement. C'est le témoignage de ces scientifiques que j'ai tenu à vous présenter, car nous nous devons de porter leur parole et de la diffuser. L'intelligence, la compréhension et la sensibilisation sont nos meilleures armes au service non seulement de ces régions arctiques et antarctiques, mais aussi de notre planète tout entière.

Diffusion du film.

C'est un désert de 14 millions de kilomètres carrés. Sa calotte de glace fait plusieurs millions de mètres cubes, son épaisseur peut atteindre jusqu'à 4 000 mètres. Un désert blanc qui repose sur un continent bordé par l'Océan Austral. L'Antarctique, c'est l'endroit le plus froid, le plus venteux, le plus sec. Ici, il pleut deux fois moins que dans les déserts les plus chauds. Ses conditions extrêmes interdisent le développement de la vie, sauf sur le littoral et dans quelques rares vallées intérieures. Autant de situations spécifiques favorables à la recherche. Une cinquantaine de bases scientifiques sont implantées en Antarctique. Des chercheurs du monde entier y collaborent. En mai 2008, Monaco est devenu le 47 ème Etat signataire du Traité sur l'Antarctique qui organise son mode d'administration internationale. En janvier 2009, le Prince Albert a parcouru ce continent à la rencontre des chercheurs. Un périple de 17 jours qui a débuté par l'île du Roi-George dans l'Archipel des Shetlands. Ici, sur terre comme en mer, flore et faune se sont considérablement développées à travers de multiples espèces : micro-organismes, algues, mousses ou lichens, manchots et autres variétés d'oiseaux, otaries, éléphants de mer. Une vingtaine de bases scientifiques sont établies dans ce secteur. 22 nationalités y coopèrent dans des projets transversaux. Sciences de la Terre et Sciences de l'Atmosphère, c'est un univers multidisciplinaire dans lequel les domaines d'études interagissent. L'Antarctique, un vaste laboratoire pour comprendre plus particulièrement les mécanismes du réchauffement climatique.

Un intervenant : La difficulté consiste à réussir à attirer l'intérêt des politiciens et de l'opinion publique. La réalité aujourd'hui est que le public sait que l'Antarctique est la clé pour de multiples questions qui ont besoin de réponses dans un futur très proche. Je crois qu'il est très important et peu commun qu'un Chef d'Etat décide de visiter l'Antarctique et ait un intérêt aussi poussé pour l'ensemble des aspects de ce que nous faisons ici.

A Bellingshausen par exemple, les chercheurs russes développent des programmes notamment sur la flore et ils étudient tout particulièrement les lichens de l'île du Roi-George, plus de 300 variétés sont répertoriées.

Un intervenant : Nous étudions comment elles survivent ici, quels sont les mécanismes physiologiques et biologiques et les différents mécanismes qui leur permettent de survivre.

Un intervenant : Lorsque leur environnement change, ces organismes sont obligés de s'adapter à ce changement et cette adaptation peut se traduire à travers des changements de couleur, des changements de forme. Lorsque les conditions sont très très froides, les lichens ont une couleur noirâtre qui permet d'accumuler la chaleur. Là, avec le réchauffement climatique, certains chercheurs constatent que certaines espèces de lichens s'éclaircissent, deviennent moins noires et ça, ça traduit en fait une adaptation à un changement de leur environnement.

A 300 mètres du pôle se trouve la base américaine Amundsen-Scott du nom des deux premiers explorateurs à avoir atteint ce point extrême. Le paysage plat, l'absence de pollution favorisent les recherches astronomiques et atmosphériques. C'est ici au pôle Sud que l'atmosphère est considérée comme la plus pure au monde. Depuis 1955, on analyse les taux de carbone dans l'air et autres particules polluantes. La courbe des taux de pollution ne laisse aucun doute sur l'évolution alarmante qu'elle connaît. Les outils satellitaires mesurent aussi de façon continue l'évolution d'un trou dans la couche d'ozone. Il aurait atteint en 2008 plus de 27 millions de kilomètres carrés. Les rayons ultraviolets du Soleil ne sont pas filtrés, ce qui agit négativement sur la faune et la flore, même en bordure de l'Antarctique.

Mac Murdo, c'est presque un centre urbain situé sur l'île de Ross face au continent à l'ouest. Jusqu'à 1 300 personnes vivent ici l'été, 200 l'hiver. Le centre logistique américain de la NSF s'ouvre sur le continent, un centre d'études scientifiques riche et varié en mer comme sur terre.

Autre exemple, les vallées sèches. En dépit de la glace et de l'eau qui s'y écoule, il s'agit d'une des régions les plus arides au monde.

Un intervenant : Nous faisons partie d'un très large projet biologique qui tente de comprendre comment la vie ici, au regard du climat, peut persister dans un environnement aussi sec et froid. Non seulement, c'est important pour la recherche biologique fondamentale, mais aussi parce que c'est assez proche de ce qui peut se passer sur d'autres planètes comme Mars. Ce que nous apprenons ici peut être appliqué à Mars et d'autres planètes.

Dans la zone de Mac Murdo, on étudie aussi la faune. Avec le réchauffement, une diminution du gel à la surface de la mer est constatée. Conséquence, les manchots doivent aller chercher leur nourriture toujours plus loin. Certaines colonies sont déjà déstabilisées. L'équipe du Pr. Ainley a constaté en 2008 la disparition de 70 % de la population des plus jeunes. Toutes les espèces de manchots pourraient être menacées dans les 50 prochaines années.

Un intervenant : L'un des problèmes avec le fait de communiquer sur l'impact du réchauffement et le changement climatique, c'est que les preuves peuvent être difficiles à présenter. Vous pouvez montrer aux gens des graphiques sur un morceau de papier et c'est difficile à appréhender. Mais quand quelqu'un de la stature du Prince Albert vient voir ici exactement ce qui se passe avec les chercheurs et témoigne ensuite en disant : « Eh, cette population de manchots disparaît ou que tel endroit est en train de fondre à cause du réchauffement », c'est la meilleure manière de convaincre les gens. Nous espérons qu'il puisse convaincre et influencer d'autres personnes, d'autres dirigeants qu'il y a vraiment quelque chose à faire.

Concordia, la station franco-italienne est l'une des trois stations permanentes au coeur du plateau continental. Elle se situe à plus de 1 700 kilomètres du pôle Sud perché sur le dôme C à 3 323 mètres d'altitude. Ce site n'a rien d'hospitalier. Température moyenne de l'air -50 degrés, faible vitesse du vent, niveau des précipitations de 2 à 10 centimètres par an. C'est donc froid et sec, une situation idéale pour les chercheurs lorsqu'il faut regarder à travers un ciel sans interférence. Double développement de plusieurs programmes en astronomie, astrophysique, Sciences de l'Atmosphère dont les lourds moyens sont en cours de construction. Un site qui fait aussi le bonheur des glaciologues et des paléoclimatologues. Ici, la couche de glace dépasse les 3 kilomètres d'épaisseur. Les forages du programme EPICA, un programme européen débuté en 1995 ont atteint 3 270 mètres et dans ces prélèvements, on peut lire 800 000 ans de l'histoire du climat.

Un intervenant : Dans le passé, c'était le climat qui, en quelque sorte, influençait les gaz à effet de serre. A l'heure actuelle, sous l'effet des activités humaines, on a des gaz à effet de serre. Donc, on s'attend à avoir la réponse inverse qui est une augmentation de la température suite à une augmentation de concentrations à effet de serre.

Vostok, la station russe, un mythe en Antarctique. Sur ce site, on a enregistré le record mondial de température négative : -89 degrés. La station existe depuis 1957. La neige a formé des congères et a enterré la plupart des bâtiments sous 4 mètres de glace. Des chercheurs russes, français et américains effectuent des prélèvements. En 1996, ils avaient remonté l'histoire du climat sur les 420 000 ans précédents, une performance pour l'époque. Plus à l'est, la base australienne Davis bâtie sur le littoral à 24 kilomètres du plateau continental. Pour y accéder, on survole des vallées au creux desquelles se sont formés de petits lacs à très haute salinité. Sur le littoral, même en hiver, une partie de l'eau reste libre. Les icebergs qui se sont détachés dérivent lentement et favorisent le développement de la biodiversité marine. Ces deux ensembles sont une aubaine pour les biologistes qui constatent les évolutions liées au réchauffement de la planète.

Un intervenant : Les microsystèmes que nous étudions influencent la chaîne alimentaire de l'Antarctique. Quand ils se modifient, ils modifient toute la chaîne alimentaire et cela est lié aux changements climatiques. Il y a un réel effet retour.

A Davis, une attention toute particulière est portée aux différentes couches supérieures de l'Atmosphère. Un laser pointé vers le ciel permet d'enregistrer températures, composition des nuages, aérosols. Autant de données nécessaires pour surveiller le trou dans la couche d'ozone et tenter d'en prévoir les effets.

Un intervenant : Comme vous le savez, en Antarctique, il y a un trou dans la couche d'ozone et cela influence le climat à la surface, non seulement en Antarctique, mais aussi en Australie. Le trou dans la couche modifie le climat. Il est responsable de la régression des chutes de pluie. Si le trou se résorbe, nous verrons alors d'autres changements.

En Antarctique, les enjeux sont tels qu'il faut sans cesse développer la présence des chercheurs. On crée des plateformes logistiques d'approvisionnement. Des stations s'agrandissent. De nouveaux programmes de recherche sont mis en oeuvre. La coopération internationale doit être renforcée compte tenu des difficultés des missions et des coûts importants que cela génère. L'un des tout récents projets en date est belge (Princesse Elisabeth). Inaugurée en février 2008, cette station de conception futuriste fait la part belle aux technologies et aux procédés de production d'énergie neutre sur l'environnement. Cela permet une totale autonomie et une grande autonomie de moyens. La production d'eau chaude par exemple se fait grâce au Soleil ou au vent. Un ordinateur central gère le bâtiment. Il organise la consommation de l'énergie et régule l'ensemble en fonction des besoins.

Un intervenant : L'enjeu de nos sociétés en ces premières cinquante années du XXIe siècle, c'est véritablement de reconsidérer notre apport à l'énergie et dans cette station qui est un peu au bout du monde dans un univers tout à fait particulier, on a du vent et on a du soleil. En particulier en été puisque la lumière est là à peu près 24 heures sur 24 alors qu'en hiver, il fait noir, mais le vent est beaucoup plus fort. On combine à la fois l'énergie éolienne et l'énergie solaire pour pouvoir gérer l'ensemble des activités nécessaires à la station.

Toujours au nord du continent à une centaine de kilomètres du littoral se trouve Troll une station norvégienne. La zone est importante, car ici les masses d'air marines et continentales se rencontrent. Les données enregistrées permettent de comparer l'air qui arrive à celui qui se trouve déjà en Antarctique.

Un intervenant : Ce que nous voyons tout d'abord, c'est que des polluants arrivent en Antarctique, surtout en provenance de l'hémisphère Sud. Nous avons vu au coeur de l'hiver arriver tous ces polluants rejetés par la forêt brésilienne à cause de la destruction par le feu de biomasses et ça, c'est assez nouveau. Personne ne savait que des polluants pouvaient arriver ainsi en hiver en Antarctique.

C'est donc sur ce constat alarmant que le Prince Albert a quitté le continent blanc à l'issue d'une tournée de 17 jours. Quelques semaines plus tard, le Souverain monégasque retrouve la communauté scientifique à Washington à l'occasion des cérémonies marquant le 50 ème anniversaire du Traité sur l'Antarctique. Signé dans la capitale américaine le 1 er décembre 1959, le document conservé au Département d'Etat constitue une référence en matière de diplomatie. Conçu en pleine guerre froide pour assurer la non-militarisation du continent et consacrer cette terre de glace à la paix et à la recherche, il a jeté les bases d'une collaboration mondiale et d'un partage du savoir dans l'intérêt de l'humanité tout entière. Des principes renforcés par la déclaration ministérielle adoptée le 6 avril 2009.

Une intervenante : Dans le droit fil de l'esprit de ce Traité et dans le droit fil des découvertes de cette année polaire internationale, prenons cet engagement de continuer à progresser ensemble basé sur de véritables mouvements courageux en termes de recherche et de mesures prises au Sud comme au Nord pour le bien de nos peuples, de nos nations, mais surtout de cette magnifique planète que nous partageons et pour le bien des générations à venir qui doivent pouvoir profiter de sa beauté.

A cette occasion, les 47 Etats signataires du Traité se sont engagés à élargir leur collaboration et à promouvoir davantage l'éducation. Aujourd'hui, tout un chacun doit pouvoir mesurer les enjeux scientifiques qui se jouent au pôle Sud.

Une intervenante : L'éducation est la clé. Plus le public et particulièrement les jeunes enfants apprennent ce qui se passe en Arctique et en Antarctique et mieux cela sera.

Un intervenant : La présence du Prince Albert en Antarctique a fait beaucoup en ce sens. Nous lui sommes d'ailleurs reconnaissants pour ce qu'il a fait et pour ce qu'il fera. Mais durant toute l'année polaire, nous avons aussi appris que nous pouvions aborder de plus larges, de plus importants dossiers scientifiques. Convaincus d'ailleurs qu'ensemble nous pouvons faire tellement plus pour la recherche.

La vitalité de cette coopération internationale, la variété des expériences et des recherches menées, le très haut niveau des technologies développées dans un univers scientifique pluridisciplinaire font de l'Antarctique un laboratoire incomparable pour comprendre les modalités du changement climatique et plus largement, les évolutions de la planète. Une histoire difficile et longue à reconstituer pour anticiper sur son futur. C'est dans cette glace et l'espace observé depuis le continent que se trouve une grande partie des réponses.

Je voudrais d'abord remercier les personnes qui ont pris es ces images, celles qui m'ont accompagné au cours de ce périple, comme M. Yves Frénot ici présent. Je les remercie infiniment de m'avoir permis d'effectuer une expédition aussi complète et d'avoir une vue aussi large que possible de ce continent absolument fascinant. Ce film que vous venez de voir c'est d'abord une illustration du travail des scientifiques que j'ai eu le privilège de rencontrer. Venus de tous les horizons sur cette terre lointaine et quelquefois hostile, ces femmes et ces hommes dont vous avez vu les visages et découvert les conditions de vie si difficiles, ces passionnés qui vivent de longs mois dans des bases au confort précaire, c'est d'abord pour eux que j'ai entrepris cette mission. Ce film, je voudrais aussi que vous l'appréhendiez comme notre histoire commune : l'histoire du siècle qui s'ouvre, le défi d'une génération qui a rendez-vous avec son destin et qui, encore moins que celles qui l'ont précédée, ne pourra dire : « Je ne savais pas ». De ce rendez-vous majeur, l'année polaire internationale que nous clôturons ce soir aura été une étape très importante. Grâce à elle, grâce à toutes celles et ceux qui ont oeuvré à son succès, notre monde si souvent aveugle a pu entrevoir les enjeux qui se nouent autour des pôles. A l'heure de tracer le bilan de cet événement, je voudrais mettre l'accent sur l'exceptionnelle mobilisation de la communauté scientifique qui a contribué au succès de cette année. Je voudrais rendre hommage aux femmes et aux hommes issus de plus de 70 pays qui se sont engagés dans l'aventure de cette année polaire pour nous montrer la voie d'une action responsable et pertinente au service de notre planète. Tout ce que cette année a permis de réaliser, de comprendre, de faire partager, c'est à eux que nous le devons.

Il nous appartient maintenant d'agir pour que leurs travaux rencontrent un écho plus fort auprès des responsables politiques et des décideurs. Depuis des décennies, les scientifiques nous alertent sur la dégradation de notre Terre. Or, nos sociétés choisissent souvent de privilégier des intérêts à court terme. Nous commençons à prendre conscience que tout ce qui concourt à la préservation de la vie sur notre planète peut également être fécond pour nos économies. M. le Ministre d'Etat, M. Jean-Louis Borloo que je tiens à saluer pour la constance et la sincérité de son engagement envers les zones polaires sera, je pense, d'accord avec moi pour affirmer que malgré la mobilisation des bonnes volontés, malgré le travail considérable de tous ces scientifiques, malgré même les avancées substantielles obtenues dans diverses instances internationales, les résultats tangibles sont encore insuffisants. Là réside sans doute l'un des paradoxes de cette année que nous refermons symboliquement aujourd'hui, son succès même trace les limites d'une approche politique qui n'est pas toujours à la mesure des problèmes qu'elle affronte. Bien sûr, cette année aura vu des progrès historiques et pour beaucoup inespérés. Je pense à la volonté très claire manifestée par la nouvelle administration américaine, aux engagements affichés par l'Union Européenne ou encore aux résolutions arrêtées par le Conseil Arctique lors de sa dernière réunion, toutes ces mobilisations nous autorisent à espérer. Elles nous révèlent aussi l'urgence qu'il y a à agir de manière plus efficace et plus globale, car toutes ces avancées n'empêchent pas l'inexorable dégradation constatée en Antarctique et perceptible de façon encore plus criante parfois en Arctique. La détermination de certains commence à peine à peser face à une inertie qui subsiste. C'est donc le moment de redoubler de mobilisation et de créativité. Il nous faut aussi envisager d'autres moyens d'action, car l'action est possible. La réalité d'aujourd'hui n'est pas la fatalité de demain. Cette année polaire a prouvé la capacité de réaction d'une humanité plus consciente des dangers qui la guettent. A nous désormais de persévérer dans cette voie. Il convient notamment que les membres du Conseil de l'Arctique se mobilisent encore davantage avec l'ensemble de la communauté internationale pour mettre en oeuvre des mesures indispensables de bonne gouvernance dans le cadre de la convention du droit de la mer. Je me félicite à cet égard que les Etats-Unis aient annoncé leur intention de ratifier cette convention. La mise en oeuvre de moyens réglementaires et technologiques efficients pour la régulation de la circulation maritime dans les zones libérées de la banquise est aussi une urgence. Il s'agit là d'un objectif incontournable si nous ne voulons pas que ces zones si fragiles, ce bien commun de l'humanité aujourd'hui menacé soient dégradées ou condamnées de façon irréversible. Mais il faut aussi envisager la création de zones de préservation de la biodiversité, y compris en haute mer.

La France, l'Italie et la Principauté de Monaco ont coopéré en ce sens en Méditerranée pour créer le sanctuaire Pélagos. Dans un cadre sensible, en présence d'une densité de population importante et d'intérêts économiques avérés, cet accord a démontré qu'il était possible d'agir tout en préservant les aspirations légitimes des uns et des autres. J'y vois un motif d'encouragement pour la mise en place de réserves analogues et pourquoi pas dans les régions polaires. Il faut enfin redoubler de vigilance et poursuivre la mobilisation dont cette année polaire internationale a montré l'exemple. Sur des sujets qui, même indirectement, concernent l'ensemble des pays du monde, nous avons besoin d'une très forte adhésion de tous les acteurs. Le travail d'information et de sensibilisation entrepris à l'occasion de cette année polaire doit être poursuivi, et même amplifié. En ce sens, cette année ne s'achève pas aujourd'hui. Des mois et des mois de travaux seront nécessaires, vous le savez, pour en tirer les conclusions et les traduire en outils de décision. Car, c'est sur la mise en oeuvre de décisions scientifiquement fondées que l'avenir se construira. Votre présence nombreuse d'aujourd'hui et l'engagement des plus hautes autorités françaises ici représentées témoignent d'une dynamique prometteuse que je veux saluer. Je peux vous assurer qu'elle est partagée par Monaco qui fait de la préservation de l'environnement en général et des pôles en particulier un axe fort de son action internationale. Je sais qu'ensemble et par l'alliance de toutes les volontés conjuguées, présentes et à venir, nous pourrons agir de façon déterminante. Nous pouvons et nous devons changer les choses. La célébration à Washington il y a quelques semaines, vous l'avez vu par ces images, des 50 ans du Traité de l'Antarctique nous a permis de mesurer aux côtés d'Hillary Clinton le chemin parcouru depuis 1959. 12 pays avaient alors pris l'initiative d'un Traité qui pouvait apparaître à l'époque superflu. Aujourd'hui, il est reconnu comme un instrument modèle et indispensable ratifié par 47 Etats. Cette commémoration nous a également permis de considérer l'immensité des tâches qui restent à accomplir, leur s difficulté s , mais aussi leur noblesse. Comme l'a dit la Secrétaire d'Etat américaine, les défis de l'Arctique et de l'Antarctique « offrent aux nations l'opportunité de se rassembler au XXIe siècle comme nous l'avons fait il y a cinquante ans au XXe siècle pour renforcer la paix et la sécurité, encourager le développement durable et protéger l'environnement ». Nos générations ont avec l'Histoire un rendez-vous qu'il ne faudra pas manquer : c'est un rendez-vous avec notre Histoire. Je vous remercie.

M. Pierre CORVOL

Je vous remercie beaucoup. Maintenant, nous allons donner la parole à M. Jean-Louis Borloo, Ministre d'Etat, Ministre de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de l'Aménagement du Territoire.

B. M. JEAN-LOUIS BORLOO, MINISTRE D'ÉTAT, MEEDDAT

Votre Altesse, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Mesdames et Messieurs les scientifiques, chers amis membres éminents du Collège de France. Permettez-moi tout d'abord de vous dire tout le plaisir que j'éprouve à me trouver ici, au Collège de France, au sein d'une institution qui a de tout temps éclairé la France et ses dirigeants, sur de nombreux sujets scientifiques et philosophiques. Or, vous n'êtes pas sans savoir que le défi climatique est d'abord et avant tout une grande aventure scientifique et humaine, absolument essentielle pour l'avenir de notre planète. Oui, je crois qu'aujourd'hui, la science peut changer le cours de l'histoire en mettant sa crédibilité et sa rigueur au service de la vérité. Votre Altesse, nous nous voyons souvent, à peu près tous les deux mois pour faire le point, ensemble, sur toutes les grandes urgences planétaires. Je me souviens d'ailleurs de votre émotion et de votre impatience juste avant de partir pour votre mission. Et je suis frappé aujourd'hui par la différence de ton et par la gravité de vos propos. Je pense qu'une expédition comme celle-ci ne laisse personne indifférent. Surtout quand il s'agit de se rendre, comme vous l'avez fait, sur un haut lieu de témoignage : témoignage scientifique, témoignage écologique, témoignage humain, témoignage de la solidarité entre les Nations avec la mise en réseau des nombreuses stations d'observation,...Donc, un grand merci pour ce témoignage et pour le film que vous nous avez rapporté. Je pense sincèrement que la science est à un tournant de son histoire où elle sort du cadre toujours un peu confidentiel des colloques et des discussions entre spécialistes pour s'adresser directement aux consciences individuelles et collectives, aux consommateurs, aux média ainsi qu'aux décideurs publics. Je crois que c'est un des immenses mérites des travaux du GIEC dont je voudrais saluer ici les membres.

C'est aussi la raison pour laquelle la France soutient depuis plusieurs années la création de l'IPBES, véritable « GIEC de la biodiversité ». Après bien des combats, cette nouvelle plateforme scientifique devrait voir le jour normalement au tout début de l'année 2010. Je pense d'ailleurs qu'on pourrait aller encore plus loin en proposant, par exemple, de rapprocher les équipes du GIEC et du futur IPBES sur des sujets d'intérêt commun comme la mer ou les pôles. En effet, celle que nous appelons notre planète Terre est d'abord faite de mers et d'océans. Et je suis convaincu, qu'en ce début de 21 ème siècle, c'est la mer qui sauvera la terre. Les océans constituent ainsi le « premier potentiel de vie » de l'humanité : potentiel énergétique avec les éoliennes en mer, potentiel médical avec les molécules marines, potentiel alimentaire avec le plancton,...Et pourtant, notre méconnaissance de la biodiversité marine est au moins aussi profonde que les océans ! Il faut remonter à l'extraordinaire Picard pour une descente à plus de 10 000 mètres ! Or, nous savons tous que la mer est un colosse aux pieds d'argile, fragilisé par le changement climatique, fragilisé par les pollutions terrestres, fragilisé par la surexploitation, fragilisé par les dégazages sauvages,...

Et c'est là qu'on voit tout ce que la science peut apporter car on ne protège bien que ce que l'on connaît bien. Même si nous sommes aujourd'hui des millions de passionnés ou d'amoureux de la mer, l'objectif consiste aujourd'hui, à aimer d'un coeur intelligent. Or, j'ai le sentiment, qu'autour de la communauté scientifique, se crée une véritable chaîne de solidarité internationale et qu'à l'interdépendance répond la coopération. J'ai ainsi l'impression que la Chine ou l'Inde sont à la fois proches et lointaines. J'ai le sentiment que Copenhague sera un rendez-vous qu'on ne manquera pas. J'ai été très frappé par les déclarations de mon homologue chinois l'autre jour à Washington lors du Major Economics Forum. Il a dit en effet deux choses très importantes. Il a d'abord reconnu que le monde n'avait plus le choix et que le développement durable n'était pas une contrainte mais bel et bien un atout pour la compétitivité de leur économie. Et puis, il a également reconnu qu'il était plus difficile pour un pays classiquement industrialisé, de réduire massivement ses émissions de CO 2 que pour une économie émergente d'adopter immédiatement un mode de développement sobre en carbone et en énergie. Quand on connaît l'état des relations entre la Chine et les Etats-Unis, on peut assez facilement mesurer les progrès accomplis en quelques mois seulement.

Mais revenons-en aux pôles puisque nous sommes à la clôture de l'année polaire internationale. Les pôles sont à la fois les témoins et les acteurs du changement climatique. Ils permettent surtout, au-delà des démonstrations scientifiques, d'offrir des images saisissantes, compréhensibles par tous. Lorsque Jean Jouzel explique par exemple que si l'Arctique disparaît, la terre perd « son frigo », n'importe qui, enfant ou adulte, est capable de comprendre. Nous devons donc jouer sur les deux tableaux à la fois : sur celui de la rigueur scientifique et sur celui de l'imaginaire collectif.

Alors, je voudrais dire aux scientifiques, je voudrais dire au Collège de France que nous vivons un moment particulier. J'étais ce matin à Chambéry pour une visite à l'INES qui réunit les meilleurs spécialistes du CNRS, du CEA, de l'IFP et du BRGM en matière de recherche sur l'énergie solaire. J'ai été frappé de constater qu'en quelques semaines ou en quelques mois, nous étions parvenus à multiplier par quarante nos capacités de production d'énergies renouvelables. Nous avons reçu, pas plus tard qu'hier, les estimations d'EUROSTAT qui évaluent l'impact des mesures du Grenelle Environnement sur nos émissions de CO 2 . Eh bien selon cet organisme totalement indépendant, notre pays devrait normalement réduire ses émissions de CO 2 de 22,8 % en 2020 par rapport à 1990. En clair, tout se joue dans les cinq ou les dix années à venir. Mais ce qui est vrai pour la France est aussi vrai pour l'Europe et pour le reste du monde. Nous avons, devant nous, le grand rendez-vous de Copenhague. Je sais que le Président de la République est particulièrement déterminé : il l'a d'ailleurs redit, à Prague, devant ses homologues. Le G8, le G14 et le prochain G20 seront largement consacrés aux questions climatiques. Le Président de la République a également nommé une personnalité de très grande qualité au poste d'ambassadeur pour les pôles, une personnalité qui a cette capacité assez rare de faire bouger les lignes même lorsque les sujets sont difficiles.

Pour ma part, je trouve que nous avons la chance de vivre une époque formidable. Le XXe siècle a été un peu le siècle des excès et de la démesure. Le XXI ème siècle sera le siècle de la mesure. Le siècle du respect, des respects, le respect de la planète, le respect de notre biodiversité, le respect des autres et au fond finalement le respect de soi. Merci.

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