VENDREDI 15 MAI 2009

-

COLLÈGE DE FRANCE

-

AMPHITHÉÂTRE MARGUERITE DE NAVARRE

INTRODUCTION

A. PR PIERRE CORVOL, ADMINISTRATEUR DU COLLÈGE DE FRANCE

Je suis heureux de vous accueillir au nom du Collège de France pour cette deuxième journée du colloque de clôture de la 4 ème année polaire internationale. Je voudrais simplement resituer un petit peu le Collège de France dans cette importante histoire du climat, de l'évolution des sciences de la Terre et de l'Homme. Le Collège de France a une assez longue tradition en la matière puisque, sans remonter à très très loin, en tout cas au milieu du XIXe siècle, l'un de nos collègues Elie de Beaumont avait développé une théorie selon laquelle le globe se refroidit et se contracte, créant des protubérances à sa surface (des volcans, des montagnes) qui était comparable, disait-il, à celle d'une pomme qui se ride. Alors, on peut sourire, mais au fond, on peut penser aussi que c'était un premier essai intuitif de tectonique globale, finalement un siècle avant que Xavier Le Pichon ne découvre - avec quelques autres - les plaques. Je voudrais vous rappeler aussi que Georges Cuvier a enseigné ici. Il a été réellement le fondateur de la paléontologie. Entre autre, dans ses travaux, il a mis en avant les grandes catastrophes environnementales pour expliquer la disparition de certaines espèces auxquelles il s'intéressait.

Alors, aujourd'hui, le Collège de France contribue, certes par cette journée, mais aussi par la création d'une chaire, une chaire qui est nouvelle, à savoir la chaire de l'évolution du climat et de l'océan qu'occupe à l'heure actuelle Edouard Bard qui va me succéder à cette tribune. Mais nous avons voulu aller encore plus loin en créant une série de chaires annuelles. Nous avons à l'heure actuelle cinq chaires annuelles au Collège de France et l'une est dévolue aux grands thèmes du développement durable. En fait, développement durable, énergie, économique, environnement et société sont les thèmes qui sont abordés ou qui seront abordés au cours des cinq années de l'enseignement de cette chaire. Cette année, c'est Henri Léridon, un démographe, qui logiquement débute ce cycle pour discuter des conséquences démographiques qu'il analyse en profondeur sur l'évolution de notre planète. Il est essentiel, bien sûr, de sensibiliser l'opinion. Mais pour sensibiliser l'opinion, il faut lui donner une information et une information de qualité. Nous pensons que c'est notre responsabilité, au Collège de France, de le faire dans les meilleures conditions possibles.

Un certain nombre d'entre nous et d'entre vous peuvent participer à des réunions comme celle-ci qui se tiennent physiquement au Collège. C'est bien ! Peut-on faire mieux ? Oui. Avec les moyens actuels dits plus modernes, les moyens actuels de communication, on peut faire beaucoup mieux. Depuis maintenant plus de deux ans, nous avons mis sur notre site web l'essentiel des cours du Collège de France. Le site web du Collège de France est consulté environ quatre à cinq mille fois par jour. C'est une consultation importante et surtout, les cours sont téléchargés en podcast audio, certains en audio et vidéo. Le téléchargement a réellement dépassé tout ce que nous pouvions espérer. Nous avons en effet eu l'année dernière, au cours de la seule année passée, cinq millions d'heures de cours de téléchargées. Cours naturellement gratuits, accessibles à tous et qui permettent éventuellement d'avoir un dialogue avec le professeur titulaire de cet enseignement. C'est aussi, si vous voulez bien, au-delà de ce que nous pouvions penser comme diffusion et comme importance, une diffusion pour un public qui est désireux d'écouter et de suivre ces cours. D'ailleurs, nous entreprenons une petite enquête sur le site Internet qui va débuter dans les semaines qui viennent pour savoir qui nous écoute, pourquoi et comment, de façon à répondre encore plus à ce public internaute qui est extrêmement fidèle et intéressé aux cours du Collège de France.

Je voudrais terminer par une petite note en vous disant qu'il y a plusieurs manières d'aborder l'histoire du climat. L'un d'entre nous, Emmanuel Le Roy Ladurie, l'aborde à sa manière d'historien. On peut considérer qu'il est réellement l'un des créateurs de l'histoire du climat sur laquelle il a écrit trois gros ouvrages de référence, le troisième venant de sortir. Le tout faisant en quelque sorte une somme qui est dédiée à l'histoire humaine et comparée du climat. Alors, on peut relever dans cette histoire une période particulièrement difficile en matière de climat : climat pourri, climat difficile, prix du pain posant des problèmes majeurs, etc. (la période 1530). La période 1530 nous intéresse, nous interpelle, car c'est la date de création du Collège de France. On peut très bien avoir un climat pourri, mais un humanisme qui se développe et un optimisme que j'essaye de vous faire partager au jour d'aujourd'hui. Je vous remercie.

B. PR ÉDOUARD BARD, COLLÈGE DE FRANCE, CHAIRE DE L'ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L'OCÉAN

Merci Pierre pour ces mots d'introduction sur le Collège. C'est à mon tour de vous accueillir. Bienvenue au Collège de France et à cette seconde journée du colloque de clôture de la 4 ème année polaire internationale. Ce colloque est une organisation commune avec l'OPECST, en particulier le sénateur Christian Gaudin. Hier, nous avons eu une très belle journée qui s'est déroulée au Sénat, où nous avons parlé essentiellement de sciences de l'homme, de la société et de gouvernance. Aujourd'hui, nous aurons, une session un peu plus scientifique, avec ce matin une discussion sur l'année polaire internationale et l'environnement physique : le climat, l'océan, les glaces. Cet après-midi, nous aurons un volet plus biologique où l'on abordera, la biodiversité polaire des hémisphères Nord et Sud.

Avant de débuter cette première session focalisée justement sur « climat, glaces et océans », j'aimerais dire quelques mots sur cette 4 ème année polaire internationale. Ces années polaires se succèdent à peu près tous les cinquante ans et c'est la première fois qu'une année polaire se déroule en pleine crise environnementale avec un changement de température, un réchauffement mondial et un risque aussi pour la biodiversité. Il y avait donc quelque chose d'urgent et de tout à fait spécial dans l'année polaire qui vient de s'achever.

Afin de faire un peu l'historique de ces années polaires, en particulier la filiation entre la dernière qui a eu lieu, il y a à peu près cinquante ans, et celle que nous clôturons aujourd'hui, nous avons invité Claude Lorius l'un des pionniers du domaine de la glaciologie et des recherches en Antarctique. Claude Lorius est aussi Président du comité français de l'Académie des sciences pour l'organisation de la 4 ème année polaire internationale. Il est reconnu mondialement et a reçu de nombreux prix : le prix Balzan, la médaille d'or du CNRS avec Jean Jouzel, et plus récemment encore, cette année, le prix Blue Planet. Il va nous montrer quelle est la filiation entre ces deux années polaires, la dernière et celle que nous venons de clôturer et bien évidemment, nous parler de ce qui nous attend dans le futur.

C. DR CLAUDE LORIUS, PRÉSIDENT DU COMITÉ FRANÇAIS DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES POUR L'ORGANISATION DE LA 4ÈME ANNÉE POLAIRE INTERNATIONALE

Je voudrais tout d'abord simplement vous dire mon plaisir de participer à ce témoignage d'intérêt pour les régions polaires. Un plaisir teinté d'émotion puisque c'est dans un bureau du Collège de France, accueilli par le Pr. Fallot, que j'ai préparé ma thèse au retour de mes premières campagnes en Antarctique. Dans ce raccourci j'ai choisi de vous présenter avec quelques images les étapes d'une recherche menée en Antarctique par les glaciologues en quête des archives du climat et de l'environnement planétaire ; un thème qui concerne bien sur le réchauffement climatique, un défi urgent posé à notre société.

• AGI-API, 50 ans de recherche

Tout commence en 1957 avec l'Année Géophysique Internationale ou les chercheurs de 12 pays découvrent un continent inhabité, l'Antarctique. C'est l'Académie des Sciences, notamment sous l'impulsion de Jean Coulomb que certains d'entre vous ont bien connu, qui pilotait les programmes menés en Terre Adélie sous la direction de Bertrand Imbert à partir de deux bases portant les noms des premiers explorateurs : Dumont d'Urville et Charcot. L'AGI fut la découverte d'un continent de glace, au bout d'une Terre placée dans l'infini de l'espace ; un continent devenu, suite à la réussite de l'AGI, une terre de paix et de science dont les chercheurs n'ont pas fini de découvrir les richesses.

• AGI-1956 : vers la « Terra incognita »

Le bateau sur lequel nous nous sommes embarqués en 1956 est équipé pour la chasse aux phoques ; un navire d'un autre âge et peu confortable pour un long voyage qui mènera les expéditions pendant les trois années de campagnes sur le terrain. Beaucoup d'entre nous auront du mal à s'adapter aux roulis et tangages permanents jusqu'à la banquise ou nous découvrirons icebergs, manchots et, sur l'horizon, le soleil qui éclaire la nuit du continent de glace.

• API-2007 : brise-glace

C'est un autre type d'équipements dont peuvent bénéficier les expéditions actuelles : les brise-glace. Equipés pour en faire des observatoires des océans de la surface jusqu'aux fonds des mers et forcer le barrage des banquises, ils embarquent des chercheurs des pays qui n'en disposent pas puisqu'en plus de sa qualité aucun programme ne peut obtenir le « logo » de l'Année Polaire Internationale s'il n'abrite pas des chercheurs venant de nations différentes. Une officialisation de la coopération en usage dans les régions polaires. Et d'autres moyens logistiques entre ces deux années polaires ont bien changé ouvrant de nouvelles possibilités à la recherche. Par exemple en ce qui concerne les bases implantées sur ce continent sans frontières et, par exemple, vers la Terre Adélie.

• 1957 : hivernage à la Station Charcot

C'est là que j'ai passé un an avec deux compagnons à quelques centaines de kilomètres de la base côtière Dumont d' Urville d'où l'on ne pouvait espérer aucun secours pendant les longs mois d'hiver. A 2 400 m d'altitude et une température moyenne de - 40°C nous vivrons dans un abri d'une vingtaine de mètres carrés enterré dans la neige. Privés d'électricité pendant de nombreux mois et même de tout moyen de communication, nous recueillerons données météorologiques, magnétiques et glaciologiques. Pour moi ce fut le début d'une carrière ; j'ai attrapé là-bas le virus des glaces qui ne m'a jamais quitté. Nous aurons tous trois quelques difficultés temporaires pour nous réadapter à notre civilisation mais nous garderons l'empreinte de ce qui fut pour moi une découverte essentielle : la solidarité et l'esprit d'équipe qui marquent là, plus qu'ailleurs, les hommes de terrain dans un monde hostile.

• API-2007 : Station Concordia

Vous savez qu'une des contributions importantes de la France dans cette Année Polaire Internationale, est l'installation d'une station, Concordia, au coeur de l'Antarctique, construite par l'Institut Paul-Emile Victor en collaboration avec les Italiens. Vous avez sur cette image à gauche le campement qui nous a abrités pendant l'exploration de ce site il y a une trentaine d'années et, à droite, les bâtiments de cet observatoire de la planète qui va de plus en plus s'ouvrir par l'astronomie à l'espace.

Brise-glace, tracteurs, avions et satellites... l'exploration des régions polaires a changé de statut ; mais elle a toujours besoin d'hommes sur le terrain pour lesquels une campagne aux bouts de la planète est encore de nos jours une aventure et une découverte de soi-même.

• La protection de notre planète

C'est de l'AGI que date la compréhension de la formation des aurores, un symbole des régions polaires qui nous a tous marqués. C'est l'époque ou l'on a compris que le champ magnétique qui entoure la planète protégeait la vie sur Terre en stoppant les particules dévastatrices du vent solaire en même temps que naissent les aurores. C'est sous ce bouclier, placé très haut dans l'espace, que les humains deviennent les gérants de leur atmosphère, des océans, des sols et des espèces vivantes à l'échelle planétaire.

Il y a cinquante ans, on ne parlait pas d'environnement, ni de réchauffement climatique d'ailleurs. Mais, au fil des campagnes et observations, c'est en décryptant aux bouts du monde les archives des glaces polaires que nous avons pris conscience de l'impact des activités de l'Homme sur le monde dans lequel il vit ; un sujet à l'ordre du jour.

• Pôle nord - Pôle sud : une seule planète

C'est ainsi à titre d'exemple que les chercheurs ont trouvé les traces du plomb de nos essences dans les neiges du Groenland, les retombées radioactives au pôle Sud de tests menés dans les hautes latitudes de l'hémisphère Nord ; et le trou d'ozone dû aux CFC des pays industrialisés a été découvert en Antarctique.

L'AGI voit aussi les premières mesures du contenu de l'atmosphère en CO 2 . Depuis longtemps les physiciens avaient émis l'idée que les gaz à effet de serre devaient jouer un rôle dans l'évolution du climat ; mais il faudra attendre la découverte des glaciologues que les bulles d'air stockées dans les glaces de l'Antarctique sont des témoins de l'atmosphère. Il y a maintenant une trentaine d'années que nous avons montré le lien entre CO 2 et climat, les variations naturelles de sa concentration amplifiant celles de la température gouvernées par les variations astronomiques de la ballade de la Terre autour du soleil.

C'est en particulier sur la reconstruction des concentrations au cours du dernier millénaire que fait référence le prix Nobel Paul Crutzen pour introduire une nouvelle ère pour les géologues et pour les humains : l'Anthropocène. C'est sous cette ère dont le nom est encore peu connu qu'a pris naissance le réchauffement climatique actuel causé par les émissions croissantes de différents gaz à effet de serre.

• CO 2 : la naissance de l'anthropocène

S'il y a un seul paramètre qui est capable de représenter la majeure partie des activités de notre société, c'est le gaz carbonique. Vous brûlez du bois, du fioul ou du charbon, vous faites tourner vos moteurs, vous allumez une lampe,...des gestes familiers qui ont pour conséquence l'émission de CO2 dans notre atmosphère. Ce gaz, on sait maintenant qu'il influence non seulement le climat de notre atmosphère, mais aussi l'acidité des océans au préjudice des coraux et poissons. Sans parler ici des crises affectant les ressources de la planète : eau potable, ressources alimentaires, biodiversité... des sujets traités par d'autres chercheurs qui sont de vrais défis pour les conditions de vie de nos sociétés.

Nous sommes dans l'anthropocène, une ère ou c'est l'Homme qui maintenant gouverne l'environnement dans lequel nous vivrons. Son point de départ : la flèche rouge sur le CO 2 mesuré dans les glaces, au début du 19 ème siècle.

• Théodore Monod : l'explorateur des déserts chauds

J'aime à reprendre cette citation dont ce grand humaniste est l'auteur et qui nous inspire :

« Jusqu'au 19ème siècle les scientifiques étaient des aventuriers, [...] l'exploration de la planète n'était pas terminée... Maintenant, il faut plutôt chercher à savoir comment le monde qui nous entoure fonctionne et surtout comment l'homme va se conduire à l'égard de cette petite boule si fragile tournant dans l'immensité de l'univers. »

Théodore Monod

• Climat et environnement : que faire ?

Voici les « lumières » du monde vues de l'espace. Elles indiquent sans ambiguïté les pays et continents émetteurs de CO 2 situés pour l'essentiel dans l'hémisphère Nord parmi lesquels l'Europe, les Etats-Unis et maintenant la Chine. Pour sauvegarder l'environnement et réduire le réchauffement climatique les remèdes ne sont pas faciles.

Sur cette image sont listés en jaune ceux qui pour moi s'imposent : changer notre mode de vie, soutenir la recherche, qu'elle soit fondamentale ou appliquée, éduquer jeunes et adultes, qu'ils soient simples citoyens ou décideurs. Et l'on peut apprécier que le Collège de France ait créé une chaire pour répondre à ces besoins. En rouge figurent des pistes dont il reste à prouver la faisabilité : développements technologiques, construire une économie plus soucieuse de l'aspect humain, obtenir une gouvernance internationale ; en un mot changer l'Homme pour qu'il soit plus soucieux d'éthique et de solidarité. C'est dans la possibilité de réaliser ces voeux dans un délai raisonnable avant que l'on n'aie par exemple atteint un point de non retour par exemple pour le climat que je peux me qualifier de pessimiste.

• Environnement et gouvernance internationale

C'est un sujet que l'on ne peut éviter si l'on évoque le futur et qui nous ramène vers les Pôles. L'une des fiertés des chercheurs qui ont participé à l'AGI est d'avoir amené les hommes politiques à construire un nouveau type de traité, celui qui concerne l'Antarctique, dont il a d'abord fait une terre de paix et de science ; un traité qui va s'enrichir ensuite d' « annexes » consacrées à la protection de l'environnement, une condition allant jusqu'à l'interdiction d'évaluer d'éventuelles ressources dans la zone couverte par le traité. Le respect de ces critères est nécessaire pour que soient acceptés les programmes par le SCAR, le comité scientifique international qui pilote la recherche en Antarctique.

A propos de cette réalisation modèle il est bon de rappeler le rôle décisif joué par Michel Rocard, alors premier ministre de notre gouvernement, dans la mise en place de ce traité.

• Entre nos mains, notre Terre

Ce traité vit toujours. Pour combien de temps ? Comme tout traité, il peut cependant être remis en discussion, ce que l'on ne saurait souhaiter. Hier, nous avons entendu Michel Rocard parler avec enthousiasme de son rôle d'ambassadeur des régions polaires ; il s'agit cette fois de préserver l'Arctique des effets d'une possible exploitation non contrôlée des nombreuses ressources, dont le pétrole, contenues sur terre et dans les fonds marins. Un objectif passionnant mais difficile dont on ne peut que souhaiter la réussite : mettre sur pied une gouvernance internationale qui aille au-delà des intérêts nationaux. Parce que ce sont les grandes puissances qui gouvernent en fait le comportement des humains sur la planète.

Je voudrais, en conclusion, dire ma satisfaction d'avoir entendu dans ces rencontres des intentions prometteuses. J'ai cru comprendre que l'on peut espérer un rebond et une continuité des recherches en régions polaires. Une reconnaissance qui prend en compte la richesse de ces zones glacées à la fois témoins et acteurs dans l'évolution du climat, de l'environnement et de nos sociétés.

Je vous remercie pour votre attention et vais maintenant me poser pour m'enrichir des présentations qui nous sont faites.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page