PREMIÈRE TABLE RONDE : CLIMAT, GLACES ET OCÉANS : QUELLES ÉVOLUTIONS À COURT ET LONG TERME ?

A. DR CHRISTIAN GAUDIN, SÉNATEUR, VICE-PRÉSIDENT DE L'OPECST

Mesdames, Messieurs les professeurs du Collège de France, distingués invités, Mesdames, Messieurs. Au moment d'entamer la table ronde de ce matin consacrée aux perspectives d'évolution à court, moyen et long terme du climat, des glaces et de l'océan, je veux renouveler au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques mes plus chaleureux remerciements au Pr. Pierre Corvol, Administrateur du Collège de France, d'avoir accepté l'organisation de ce colloque commun à l'occasion de la clôture de la 4 ème année polaire internationale.

Je remercie également très sincèrement et avec beaucoup d'amitié le Pr. Edouard Bard de son accueil dans le cadre de sa chaire d'enseignement et d'avoir bien voulu être mon partenaire dans cette aventure.

Je voudrais enfin saluer tout particulièrement Claude Lorius qui est à l'origine de tant de vocations pour la science et l'aventure polaire et qui a donné une dimension complètement nouvelle aux connaissances dont nous disposons. Je voudrais aussi publiquement lui adresser mes félicitations, car il vient d'être élevé au grade de Commandeur de la Légion d'honneur. Cette distinction très élevée est évidemment personnelle et amplement méritée, mais elle est aussi, je le crois, un témoignage de reconnaissance de l'importance de la recherche en milieu polaire et tout particulièrement celle portant sur le climat.

Permettez-moi également un mot personnel. C'est un immense honneur pour moi de m'exprimer ce matin devant vous au Collège de France quand, comme moi, on a eu un parcours scientifique non conventionnel puisque ancien apprenti ajusteur, je n'ai pas fait d'études secondaires. Je n'ai jamais passé le baccalauréat. J'ai préparé un diplôme d'ingénieur par le CNAM et fait une thèse ensuite sur les sciences de l'ingénieur et j'ai terminé ma carrière scientifique comme maître de conférences à l'Ecole Centrale avant de partir dans une activité politique. J'ai aujourd'hui, le plaisir véritablement de retrouver la science au travers de mon engagement politique avec l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques. Pour moi, c'est bien sûr un plaisir de m'exprimer dans un lieu aussi mythique. Je ne pensais pas un jour pouvoir le faire ici au Collège de France et c'est évidemment un moment chargé d'une émotion particulière.

Avant que les éminents spécialistes du climat, de la glace et de l'océan qui sont ici réunis nous présentent l'état de la science, je voudrais souligner la nouveauté fondamentale apportée par ces recherches. L'exploitation des calottes de glace de Vostok et d'EPICA, avec d'autres recherches, a constitué un véritable bouleversement, une révolution copernicienne. Avec l'habitude, on en perd parfois un peu la portée, mais les mots que j'ai employés ne me semblent pas trop forts. Ces résultats dans lesquels les équipes françaises ont joué un grand rôle aux côtés d'autres pays ont profondément modifié la vision que l'homme a du climat de la Terre.

En ayant désormais une vision sur plus de 800 000 ans de notre climat, nous avons le recul nécessaire pour comprendre bien des mécanismes qui nous étaient jusque-là incompréhensibles, inaccessibles ou tout simplement inconnus.

Nous avons également une vision précise de la variabilité naturelle du climat et, par comparaison, d'une évolution qui serait liée à l'homme. Des événements politiques et diplomatiques majeurs de ces dernières années s'expliquent directement par ces découvertes : la prise de conscience d'un réchauffement, de ses dangers et la nécessité d'en limiter l'ampleur.

Tout cela paraît naturel aujourd'hui, limpide et évident, mais retournons-nous en arrière et pensons un instant que nous le devons à l'impulsion de grands précurseurs. Je pense à Willi Dansgaard qui devait avec une certaine fébrilité récolter l'eau de pluie lors d'un orage à Copenhague en juillet 1952 pour prouver que la proportion des isotopes de l'oxygène dans les précipitations variait en fonction de la température.

Je pense aussi à cet Euréka intérieur qu'a dû ressentir Claude Lorius en voyant les bulles d'un glaçon éclater au fond d'un verre de whisky lui donnant la conviction qu'on pouvait analyser l'atmosphère emprisonnée dans la glace.

Je ne sais pas si ces anecdotes sont parfaitement exactes, mais elles ont la beauté de la pomme de Newton et du bain d'Archimède, c'est-à-dire de ces grands moments apocryphes peut-être, mais qui symbolisent des progrès gigantesques dans la science et la compréhension par l'homme de son environnement.

Voilà ! Cher Edouard Bard, je vais maintenant vous céder la parole pour la présentation de la table ronde à laquelle nous allons assister ensemble ce matin. Je vous remercie.

B. PR ÉDOUARD BARD, COLLÈGE DE FRANCE, CHAIRE DE L'ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L'OCÉAN

Un grand merci, cher Christian Gaudin. J'aimerais faire une brève introduction au sujet de la table ronde de ce matin pour que nos différents orateurs ne perdent pas trop de temps sur les principes de base. Parce que l'objectif de notre demi-journée, c'est d'abord de vous montrer quels ont été les résultats scientifiques récents de l'année polaire internationale.

Quelles évolutions à court et long terme ?

La session de ce matin est intitulée « climat, glaces et océans : quelles évolutions à court et long terme ? ». Bien évidemment, l'aspect très spécifique à cette année polaire internationale est qu'elle s'est déroulée dans un contexte de réchauffement. Il est donc utile de faire quelques rappels sur ce réchauffement d'abord à l'échelle de la planète puis à celles des pôles afin d'illustrer leur spécificité dans ce contexte.

Le réchauffement mondial depuis un siècle

Une façon simplifiée de montrer ce réchauffement mondial est de présenter une courbe qui résume à l'extrême les choses, mais qui a son utilité pédagogique. Voici donc l'évolution de l'anomalie de la température moyenne atmosphérique en fonction du temps, depuis à peu près un siècle. Je pourrais passer des heures à vous décrire et décortiquer cette courbe. Là n'est pas le propos aujourd'hui. Ce que je voulais juste vous rappeler, est que depuis à peu près un siècle, on assiste à un réchauffement de l'ordre de pratiquement un degré centigrade. Il s'agit ici de moyennes annuelles exprimées en anomalies par rapport à la moyenne des trois décennies de 1950 à 1980. Cette anomalie de température est complexe dans son évolution avec des « sautes d'humeur » d'une année sur l'autre. On voit aussi une tendance à long terme avec des anomalies négatives avant la période 1950-80 et positives après jusqu'à la période actuelle. Le message principal est qu'il y a effectivement un réchauffement de l'ordre d'un degré et que depuis trente ans, on assiste à une augmentation de température conséquente d'environ un demi degré.

Le climat : un système complexe perturbé par des forçages variés

Ce réchauffement est le sujet de beaucoup d'études, et d'inquiétudes aussi comme l'a montré Claude Lorius ce matin. Cette augmentation de la température depuis trente ans correspond à l'excès en gaz carbonique et autres gaz à effet de serre, lié aux activités humaines. Pour comprendre cette anomalie de température qui affecte, de façon très particulière les pôles, il faut se rendre compte que l'on ne peut pas se contenter de regarder l'atmosphère. Le climat, ce ne sont pas uniquement les basses couches de l'atmosphère. C'est ce qui nous intéresse au jour le jour pour la météorologie, mais pour comprendre l'évolution climatique, il faut réaliser que nous avons affaire à un système complexe composé de plusieurs compartiments : l'atmosphère, l'hydrosphère, en particulier de l'océan, la cryosphère, c'est-à-dire toutes les glaces de la planète (la glace de mer ou banquise, les glaces continentales, les glaciers et les calottes de glace à la fois au Groënland et en Antarctique). Nous en reparlerons en détail. La lithosphère et la biosphère à la fois continentale et marine. Tous ces compartiments qui constituent le système climatique dans son ensemble échangent entre eux de l'énergie, de la matière, essentiellement de l'eau. Ils sont en permanence perturbés de l'extérieur par ce que l'on appelle des forçages climatiques qui peuvent être soit d'origine astronomique : changements de l'éclairement solaire, ou des paramètres de l'orbite terrestre, soit d'origine géologique : changements internes à la Terre, mais qui sont externes au système climatique. On peut mentionner le volcanisme explosif sur les échelles de temps qui nous intéressent aujourd'hui. Ces perturbations naturelles affectent le climat depuis toujours, mais en plus, comme l'a rappelé Claude Lorius, la grande inquiétude du moment est que l'homme est un contributeur significatif depuis au moins un siècle par ses émissions de gaz à effet de serre, notamment le gaz carbonique. Une perturbation importante qui va affecter notablement les pôles.

Un des grands messages lorsque l'on regarde ce système climatique complexe, est que tous ces compartiments ont des constantes de temps très variées. Il y a compartiments rapides comme l'atmosphère, mais il est clair que les glaces, par exemple, ont des constantes de temps beaucoup plus longues. L'évolution climatique liée aux émissions de gaz à effet de serre va avoir des répercussions multiples dans les différents compartiments que sont l'atmosphère, l'océan et les glaces, en particulier les glaces polaires. De façon imagée, on peut représenter un diagramme publié par le GIEC, qui montre de façon très qualitative ce qui se passe après un pic d'émission de gaz carbonique durant à peu près un siècle. La teneur en gaz carbonique atmosphérique se stabilise après quelques siècles. A l'heure actuelle, on en est loin de cette stabilisation du gaz carbonique dont la teneur augmente de 2 ppm chaque année. L'important est que cette hypothétique stabilisation n'implique pas un arrêt du réchauffement. Même après l'arrêt de la croissance du gaz carbonique, on observe une lente augmentation de la température atmosphérique qui dure plusieurs siècles. Plus grave encore, les autres compartiments que sont l'océan et les glaces ont une inertie bien plus grande, On peut considérer en particulier l'élévation du niveau de la mer due à la dilatation thermique. C'est la lente propagation de la chaleur dans l'océan qui produit cette inertie beaucoup plus grande. A plus long terme encore, l'élévation du niveau de la mer liée à la fonte des glaciers et des calottes, va intervenir sur des siècles à plusieurs millénaires. Ce diagramme nous donne une vue très qualitative, mais qui montre dès le départ qu'il faut se soucier de ces différents compartiments, et de leurs constantes de temps pour prévoir l'évolution du système climatique.

Pour l'instant, je n'ai pas encore parlé de cartographie et de latitudes, mais il faut aussi réaliser que ce réchauffement est amplifié dans les zones polaires. Ces régions, constituent véritablement des sentinelles du réchauffement et des ses impacts sur l'atmosphère, l'océan et les glaces. Ces trois compartiments sont tous importants et les recherches sont très actives comme vous allez pouvoir vous en rendre compte aujourd'hui. Pour souligner l'importance des hautes latitudes, je vous montre un diagramme des interactions entre l'océan, la glace et l'atmosphère, notamment les échanges de chaleur, au niveau de l'Atlantique Nord. C'est un diagramme tout à fait simplifié, mais qui illustre déjà la complexité des interactions entre la convection marine, les courants marins, la banquise et les précipitations. Ces phénomènes ont lieu au niveau de l'Atlantique Nord et il ne s'agit que d'un exemple parmi d'autres pour illustrer cette complexité. Il faut donc se soucier des interactions entre des compartiments variés. Les hautes latitudes ont des spécificités comme la glace de mer qui constitue aussi une des sources de cette amplification polaire. Cette banquise est un immense réflecteur du rayonnement solaire et son évolution, sa disparition possible à long terme aura une influence très importante sur le bilan radiatif des zones polaires.

Une des façons de se convaincre de l'importance de l'amplification du réchauffement polaire, est de considérer une année particulière. Je vous ai montré l'évolution de la température depuis un siècle, avec cette augmentation de l'ordre d'un demi degré sur les derniers trente ans. Il suffit de choisir une année particulière et de cartographier l'augmentation de température. Il s'agit ici de l'année 2007. Hier, Jean Jouzel vous a montré l'année 2008 dans son allocution pour la session sur la gouvernance. L'année 2007 présente aussi des anomalies régionales de température très négatives qui sont liées à un changement climatique naturel. Le message important, c'est qu'en moyenne globale, on a une augmentation de température de l'ordre de 0,6 degré par rapport à la moyenne des années 1950-80, mais que ce changement de température, est très régionalisé. Il y a même des zones qui, de façon tout à fait particulière, se sont refroidies. Par contre, il est très clair qu'à l'échelle globale, on fait face à un réchauffement en particulier dans les zones polaires et sur les continents. Cette signature régionale est très nette pour toutes les années. Pour l'année 2007 on voit nettement un refroidissement caractéristique de la phase froide de ce que l'on appelle l'Oscillation Australe. Le phase opposée d'El Niño, est la phase La Niña caractérisée par un refroidissement net du Pacifique équatorial. La longue tendance du réchauffement vient donc se superposer aux fluctuations naturelles qui doivent aussi être cartographiées et étudiées.

Le réchauffement actuel n'est donc pas uniforme, mais il est amplifié au niveau de l'Arctique. Ceci restera vrai dans le futur ce qui constitue l'une des grandes inquiétudes actuelles des climatologues. Ici, je vous ai représenté une cartographie des températures obtenue grâce à un modèle de circulation générale. Elle a été réalisée par un laboratoire américain (NCAR) avec un scénario réaliste d'augmentation du gaz carbonique, de l'ordre de 700 ppm pour l'année 2100. On voit très nettement cette amplification du réchauffement polaire. Celui-ci est dissymétrique entre le Nord et le Sud pour des raisons que je ne peux aborder par manque de temps. On peut montrer aussi que cette dissymétrie n'est pas spécifique à cette modélisation particulière. J'aurais pu vous montrer des centaines de cartographies équivalentes réalisées grâce aux différents modèles de nombreux groupes de modélisation de différents pays. Là n'est pas le propos. Une façon de tout faire tenir sur un même diagramme, est de montrer les changements de la température en fonction de la latitude obtenue pour les différents modèles. Ce sont des moyennes latitudinales qui font perdre l'aspect cartographique mais permettent de simplifier la représentation. Sur ce diagramme, il y a des modèles américains, (Princeton, NASA), allemands, anglais et aussi des études françaises (IPSL et CNRM-Météo-France). Au premier ordre, on voit, que tous les modèles concordent en prévoyant une amplification polaire très nette, allant d'un doublement à un triplement de l'anomalie de température. On voit encore cette dissymétrie entre le pôle Sud et le pôle Nord. Apparaissent aussi de très larges écarts entre les amplifications polaires obtenues par les différents groupes de modélisation. Il reste donc encore beaucoup de recherches à faire en modélisation climatique pour comprendre les mécanismes et savoir comment les introduire dans les modèles. Mais, le message principal est que tous les modèles montrent cette amplification polaire que l'on observe même avec le réchauffement mondial depuis les années 1970.

Une autre façon d'illustrer cette amplification en zone polaire est de se tourner vers les enregistrements climatiques du passé très lointain. Cette amplification existe dans les séries de paléotempératures des 150 000 dernières années. Pour l'illustrer de façon très basique, j'ai représenté sur un même diagramme cinq séries temporelles de températures obtenues depuis l'Equateur jusqu'aux deux pôles. Bien évidemment, les températures aux pôles sont beaucoup plus froides qu'à l'Equateur. J'ai donc translaté toutes ces courbes à la même température de 15 degrés qui correspond approximativement à la moyenne mondiale actuelle. Vous pouvez voir la courbe de variation des températures à l'Equateur fondée sur des études que nous avons réalisées à Aix-en-Provence sur des sédiments marins ainsi que les températures de l'Antarctique obtenues dans la carotte de glace mythique de Vostok. J'ai aussi représenté les températures pour la carotte NorthGRIP au Groënland. En comparant les enregistrements, on voit nettement que pour cette longue période, il y a une amplification majeure du changement de température aux niveaux des pôles. Il s'agit dans ce cas, de phénomènes naturels, qui n'ont rien à voir avec l'influence de l'Homme. C'est essentiellement la dernière grande glaciation depuis la dernière période interglaciaire il y a environ 120 000 ans. On voit aussi que ce phénomène d'amplification est dissymétrique entre les deux hémisphères.

Dans cette brève introduction, j'ai voulu montrer la spécificité de ce réchauffement mondial au niveau des pôles. C'est ce qui sous-tend l'organisation de la session de ce matin. Avec Christian Gaudin, notre intention est précisément d'illustrer et de faire le bilan des recherches aux échelles des pôles et du globe. Les présentations thématiques nous permettront de regarder ce qui se passe dans les différents compartiments, notamment l'atmosphère avec les gaz à effet de serre, les océans polaires, Arctique et Austral, et les calottes de glace comme le Groënland et l'Antarctique.

J'aimerais accueillir Thomas Stocker, notre premier intervenant de cette matinée. Thomas Stocker est Pr. à l'Université de Berne et a de multiples compétences en glaciologie et en modélisation numérique. Thomas nous parlera de l'année polaire internationale, de l'utilité de la recherche polaire sur le changement climatique et de l'importance de cette recherche polaire pour le GIEC (IPCC en anglais) dont il est un des principaux responsables. Il est maintenant co-président du premier groupe du GIEC, ayant repris le flambeau après Susan Solomon. C'est désormais Thomas Stocker qui pilote le GIEC dont le prochain rapport sera publié en 2014.

Une façon simplifiée de montrer ce réchauffement mondial est de présenter une courbe qui résume à l'extrême les choses, mais qui a son utilité pédagogique. Voici donc l'évolution de l'anomalie de la température moyenne atmosphérique en fonction du temps, depuis à peu près un siècle. Je pourrais passer des heures à vous décrire et décortiquer cette courbe. Là n'est pas le propos aujourd'hui. Ce que je voulais juste vous rappeler, est que depuis à peu près un siècle, on assiste à un réchauffement de l'ordre de pratiquement un degré centigrade. Il s'agit ici de moyennes annuelles exprimées en anomalies par rapport à la moyenne des trois décennies de 1950 à 1980. Cette anomalie de température est complexe dans son évolution avec des « sautes d'humeur » d'une année sur l'autre. On voit aussi une tendance à long terme avec des anomalies négatives avant la période 1950-80 et positives après jusqu'à la période actuelle. Le message principal est qu'il y a effectivement un réchauffement de l'ordre d'un degré et que depuis trente ans, on assiste à une augmentation de température conséquente d'environ un demi degré.

Le climat : un système complexe perturbé par des forçages variés

Ce réchauffement est le sujet de beaucoup d'études, et d'inquiétudes aussi, comme l'a montré Claude Lorius ce matin. Cette augmentation de la température depuis trente ans correspond à l'excès en gaz carbonique et autres gaz à effet de serre, lié aux activités humaines. Pour comprendre cette anomalie de température qui affecte, de façon très particulière les pôles, il faut se rendre compte que l'on ne peut pas se contenter de regarder l'atmosphère. Le climat, ce n'est pas uniquement les basses couches de l'atmosphère. C'est ce qui nous intéresse au jour le jour pour la météorologie, mais pour comprendre l'évolution climatique, il faut réaliser que nous avons affaire à un système complexe composé de plusieurs compartiments :

- l'atmosphère,

- l'hydrosphère en particulier de l'océan,

- la cryosphère, c'est-à-dire toutes les glaces de la planète (la glace de mer ou banquise, les glaces continentales, les glaciers et les calottes de glace à la fois au Groënland et en Antarctique). Nous en reparlerons en détail.

- la lithosphère et la biosphère à la fois continentale et marine.

Tous ces compartiments qui constituent le système climatique dans son ensemble échangent entre eux de l'énergie, de la matière, essentiellement de l'eau. Ils sont en permanence perturbés de l'extérieur par ce que l'on appelle des forçages climatiques qui peuvent être soit d'origine astronomique : changements de l'éclairement solaire ou des paramètres de l'orbite terrestre, soit d'origine géologique : changements internes à la Terre, mais qui sont externes au système climatique. On peut mentionner le volcanisme explosif sur les échelles de temps qui nous intéressent aujourd'hui . Ces perturbations naturelles affectent le climat depuis toujours, mais en plus, comme l'a rappelé Claude Lorius, la grande inquiétude du moment est que l'homme est un contributeur significatif depuis au moins un siècle par ses émissions de gaz à effet de serre, notamment le gaz carbonique. Une perturbation importante qui va affecter notablement les pôles.

Un des grands messages lorsque l'on regarde ce système climatique complexe, est que tous ces compartiments ont des constantes de temps très variées. Il y a compartiments rapides comme l'atmosphère, mais il est clair que les glaces, par exemple, ont des constantes de temps beaucoup plus longues. L'évolution climatique liée aux émissions de gaz à effet de serre va avoir des répercussions multiples dans les différents compartiments que sont l'atmosphère, l'océan et les glaces, en particulier les glaces polaires. De façon imagée, on peut représenter un diagramme publié par le GIEC, qui montre de façon très qualitative ce qui se passe après un pic d'émission de gaz carbonique durant à peu près un siècle. La teneur en gaz carbonique atmosphérique se stabilise après quelques siècles. A l'heure actuelle, on en est loin de cette stabilisation du gaz carbonique dont la teneur augmente de 2 ppm chaque année. L'important est que cette hypothétique stabilisation n'implique pas un arrêt du réchauffement. Même après l'arrêt de la croissance du gaz carbonique, on observe une lente augmentation de la température atmosphérique qui dure plusieurs siècles. Plus grave encore, les autres compartiments que sont l'océan et les glaces ont une inertie bien plus grande. On peut considérer en particulier l'élévation du niveau de la mer due à la dilatation thermique. C'est la lente propagation de la chaleur dans l'océan qui produit cette inertie beaucoup plus grande. A plus long terme encore, l'élévation du niveau de la mer liée à la fonte des glaciers et des calottes, va intervenir sur des siècles à plusieurs millénaires. Ce diagramme nous donne une vue très qualitative, mais qui montre dès le départ qu'il faut se soucier de ces différents compartiments, et de leurs constantes de temps pour prévoir l'évolution du système climatique.

Pour l'instant, je n'ai pas encore parlé de cartographie et de latitudes, mais il faut aussi réaliser que ce réchauffement est amplifié dans les zones polaires. Ces régions constituent véritablement des sentinelles du réchauffement et de ses impacts sur l'atmosphère, l'océan et les glaces. Ces trois compartiments sont tous importants et les recherches sont très actives comme vous allez pouvoir vous en rendre compte aujourd'hui. Pour souligner l'importance des hautes latitudes, je vous montre un diagramme des interactions entre l'océan, la glace et l'atmosphère, notamment les échanges de chaleur, au niveau de l'Atlantique Nord. C'est un diagramme tout à fait simplifié, mais qui illustre déjà la complexité des interactions entre la convection marine, les courants marins, la banquise et les précipitations. Ces phénomènes ont lieu au niveau de l'Atlantique Nord et il ne s'agit que d'un exemple parmi d'autres pour illustrer cette complexité. Il faut donc se soucier des interactions entre des compartiments variés. Les hautes latitudes ont des spécificités comme la glace de mer qui constitue aussi une des sources de cette amplification polaire. Cette banquise est un immense réflecteur du rayonnement solaire. Son évolution, sa disparition possible à long terme, aura une influence très importante sur le bilan radiatif des zones polaires.

Une des façons de se convaincre de l'importance de l'amplification du réchauffement polaire est de considérer une année particulière. Je vous ai montré l'évolution de la température depuis un siècle, avec cette augmentation de l'ordre d'un demi degré sur les derniers trente ans. Il suffit de choisir une année particulière et de cartographier l'augmentation des températures. Il s'agit ici de l'année 2007. Hier, Jean Jouzel vous a montré l'année 2008 dans son allocution pour la session sur la gouvernance. L'année 2007 présente aussi des anomalies régionales de température très négatives qui sont liées à un changement climatique naturel. Le message important, c'est qu'en moyenne globale, on a une augmentation de température de l'ordre de 0,6 degré par rapport à la moyenne des années 1950-80, mais que ce changement de température est très régionalisé. Il y a même des zones qui, de façon tout à fait particulière, se sont refroidies. Par contre, il est très clair qu'à l'échelle globale, on fait face à un réchauffement en particulier dans les zones polaires et sur les continents. Cette signature régionale est très nette pour toutes les années. Pour l'année 2007, on voit nettement un refroidissement caractéristique de la phase froide de ce que l'on appelle l'Oscillation Australe. Le phase opposée d'El Niño est la phase La Niña caractérisée par un refroidissement net du Pacifique équatorial. La longue tendance du réchauffement vient donc se superposer aux fluctuations naturelles qui doivent aussi être cartographiées et étudiées.

Le réchauffement actuel n'est donc pas uniforme, mais il est amplifié au niveau de l'Arctique. Ceci restera vrai dans le futur ce qui constitue l'une des grandes inquiétudes actuelles des climatologues. Ici, je vous ai représenté une cartographie des températures obtenue grâce à un modèle de circulation générale. Elle a été réalisée par un laboratoire américain (NCAR) avec un scénario réaliste d'augmentation du gaz carbonique de l'ordre de 700 ppm pour l'année 2100. On voit très nettement cette amplification du réchauffement polaire. Celui-ci est dissymétrique entre le nord et le sud pour des raisons que je ne peux aborder par manque de temps. On peut montrer aussi que cette dissymétrie n'est pas spécifique à cette modélisation particulière. J'aurais pu vous montrer des centaines de cartographies équivalentes réalisées grâce aux différents modèles de nombreux groupes de modélisation de différents pays. Là n'est pas le propos. Une façon de tout faire tenir sur un même diagramme est de montrer les changements de la température en fonction de la latitude obtenue pour les différents modèles. Ce sont des moyennes latitudinales qui font perdre l'aspect cartographique mais permettent de simplifier la représentation. Sur ce diagramme, il y a des modèles américains, (Princeton, NASA), allemands, anglais et aussi des études françaises (IPSL et CNRM). Au premier ordre, on voit, que tous les modèles concordent en prévoyant une amplification polaire très nette, allant d'un doublement à un triplement de l'anomalie de température. On voit encore cette dissymétrie entre le pôle Sud et le pôle Nord. Apparaissent aussi de très larges écarts entre les amplifications polaires obtenues par les différents groupes de modélisation. Il reste donc encore beaucoup de recherches à faire en modélisation climatique pour comprendre les mécanismes et savoir comment les introduire dans les modèles. Mais, le message principal est que tous les modèles montrent cette amplification polaire que l'on observe même avec le réchauffement mondial depuis les années 70.

Une autre façon d'illustrer cette amplification en zone polaire est de se tourner vers les enregistrements climatiques du passé très lointain. Cette amplification existe dans les séries de paléotempératures des 150 000 dernières années. Pour l'illustrer de façon très basique, j'ai représenté sur un même diagramme cinq séries temporelles de températures obtenues depuis l'Equateur jusqu'aux deux pôles. Bien évidemment, les températures aux pôles sont beaucoup plus froides qu'à l'Equateur. J'ai donc translaté toutes ces courbes à la même température actuelle de 15 degrés qui correspond approximativement à la moyenne mondiale actuelle. Vous pouvez voir la courbe de variation des températures à l'Equateur fondée sur des études que nous avons réalisées à Aix-en-Provence sur des sédiments marins ainsi que les températures de l'Antarctique obtenues dans la carotte de glace mythique de Vostok. J'ai aussi représenté les températures pour la carotte NorthGRIP au Groënland. En comparant les enregistrements, on voit nettement que pour cette longue période, il y a une amplification majeure du changement de température aux niveaux des pôles. Il s'agit, dans ce cas, de phénomènes naturels qui n'ont rien à voir avec l'influence de l'Homme. C'est essentiellement la dernière grande glaciation depuis la dernière période interglaciaire il y a environ 120 000 ans. On voit aussi que ce phénomène d'amplification est dissymétrique entre les deux hémisphères.

Dans cette brève introduction, j`ai voulu montrer la spécificité de ce réchauffement mondial au niveau des pôles. C'est ce qui sous-tend l'organisation de la session de ce matin. Avec Christian Gaudin, notre intention est précisément d'illustrer et de faire le bilan des recherches aux échelles des pôles et du globe. Les présentations thématiques nous permettront de regarder ce qui se passe dans les différents compartiments, notamment l'atmosphère avec les gaz à effet de serre, les océans polaires, Arctique et Austral, et les calottes de glace comme le Groënland et l'Antarctique.

J'aimerais accueillir Thomas Stocker, notre premier intervenant de cette matinée. Thomas Stocker est Pr. à l'Université de Berne et a de multiples compétences en glaciologie et en modélisation numérique. Thomas nous parlera de l'année polaire internationale, de l'utilité de la recherche polaire sur le changement climatique et de l'importance de cette recherche polaire pour le GIEC (IPCC en anglais) dont il est l'un des principaux responsables. Il est maintenant co-président du premier groupe du GIEC, ayant repris le flambeau après Susan Solomon. C'est désormais Thomas Stocker qui pilote le GIEC dont le prochain rapport sera publié en 2014.

C. PR THOMAS STOCKER, UNIVERSITÉ DE BERNE, CO-PRÉSIDENT DU GROUPE 1 DU GIEC (IPCC)

Merci bien Edouard. Mesdames et Messieurs, chers collègues et amis de la recherche polaire et de la science du climat, je suis très heureux et honoré également d'être invité à cette réunion importante sur la clôture de l'année polaire internationale. Comme vous le verrez, il y a beaucoup de résultats très importants pour la recherche du climat et pour comprendre aussi la sensibilité du système de notre planète à la perturbation humaine. Mais je voudrais avec votre permission continuer mon allocution en anglais. C'est plus facile pour moi évidemment. Merci.

J'aimerais prendre quelques minutes pour vous parler de l'importance de la recherche polaire pour mieux comprendre le système climatique, ce système climatique qui est perturbé, qui change à cause de l'activité de l'homme - vous avez déjà entendu Claude Lorius et Edouard en parler.

Ceci est évident depuis un certain nombre d'années. Les pionniers nous ont permis de constater des changements depuis les années 1950. Nous avons eu l'année géophysique internationale et l'année polaire. Cela a fourni l'opportunité de faire des mesures sur différentes régions de la planète qui servent de ligne de base pour les mesures et observations recueillies au cours des deux dernières décennies et qui nous démontrent de façon assez évidente que l'homme a changé le climat de la planète.

Le dernier rapport du GIEC a été publié en février 2007, dans cette ville même. Nous avons eu une réunion mémorable pour ce rapport d'où il est ressorti que : « Le réchauffement climatique est sans équivoque... Il est probable qu'au cours des 50 dernières années il y a eu un réchauffement d'origine anthropique sur chaque continent, excepté l'Antarctique . »

Cette phrase a été acceptée au cours de la réunion plénière du GIEC, en une période de temps très courte. Il y a eu très peu de discussions là-dessus. Si je me souviens bien, la discussion a tourné autour de la question de savoir comment traduire le mot unequivocal en français. Il y a eu un peu de débat. Quelques pays ont soulevé leurs inquiétudes. Finalement, grâce au délégué français lui-même, la situation a été résolue. Il a levé la main et déclaré que c'était très simple et que cela signifiait « non équivoque ». Le réchauffement est donc quelque chose qui n'est pas équivoque.

Il y a d'autres déclarations assez pertinentes lorsque l'on parle de la recherche polaire. En voici une, qui nous dit qu'il se peut qu'il y ait eu un réchauffement anthropogénique assez important durant les cinquante dernières années. Nous avons atteint une moyenne sur chaque continent, sauf l'Antarctique. C'est tout ce que nous pouvions dire du point de vue scientifique, concernant les changements climatiques. Maintenant, quelques mois plus tard, les gens ont regardé de plus près les observations sur l'Antarctique à partir de diverses stations. C'est assez clair, quand on regarde cette série de températures qui commence en 1957, l'année géophysique internationale et année polaire internationale. Vous voyez alors l'importance de tels événements pour la science et la compréhension de notre planète. Vous voyez clairement dans une publication du début de cette année que le réchauffement est arrivé en Antarctique. On peut le mesurer. Il est visible. C'est un véritable défi de le constater. Comme vous le voyez sur ces courbes, la température de l'Antarctique nous montre des fluctuations importantes, une variabilité naturelle qui nous cache les tendances à long terme. Maintenant, nous les avons observées et détectées dans les deux régions de l'Antarctique, à l'Est et à l'Ouest.

Je vais maintenant vous parler de certains des sujets assez nouveaux sur les carottes glacières polaires. Je vais vous parler des surprises dans le système terrestre, de la glace des océans arctiques, de l'instabilité de la banquise. Je vais conclure sur ce que peut faire la communauté scientifique et comment nous pouvons progresser là-dessus dans les quatre ou cinq prochaines années. Bien sûr, notre objectif est d'écrire le nouveau rapport d'évaluation sur le changement climatique.

Un constat très important n'aurait pu être fait sans l'aide de la recherche polaire et plus particulièrement sans les carottes glacières du Groenland et de l'Antarctique. Il s'agit du constat selon lequel les gaz à effet de serre anthropogéniques, comme le CO 2 et d'autres gaz, ont atteint des niveaux plus élevés que les années précédentes. Ceci vous montre que, non seulement ces niveaux sont élevés, mais que le taux d'augmentation est également assez élevé, surtout pour le CO 2 . Nous pouvons voir que l'augmentation au cours des 200 dernières années est 200 fois plus rapide que n'importe quelle augmentation de CO 2 dans le système climatique naturel, non perturbé, depuis 20 000 ans.

Ici, vous pouvez voir les perspectives à long terme de deux des gaz les plus importants. C'est grâce à une collaboration très étroite avec le laboratoire de Grenoble et le laboratoire de Paris que la communauté scientifique a pu relever ces courbes. En bleu, vous avez la concentration de CO 2 dans l'atmosphère durant les 800 000 dernières années. Le CO 2 n'a jamais été un facteur constant. Il y a toujours eu des variations. Cela change entre les océans, les continents et la biosphère. Ces changements vont de 172 à 300 ppm - ppm mesure le nombre de molécules de CO 2 dans un million de molécules. Aujourd'hui, le CO 2 se trouve à une concentration de 386 ppm. Le graphique ne nous permettrait même pas de montrer cette concentration. En rouge, vous voyez l'estimation de la température qui a été mesurée ou dérivée grâce aux isotopes. Un certain nombre de ces mesures a été effectué à une très forte résolution (LSCE). La courbe verte montre la concentration de méthane qui a été principalement mesurée au laboratoire de Grenoble. Tous ces paramètres nous montrent une variabilité naturelle. Il y a la séquence des périodes glacières mais en même temps, on voit des concentrations assez uniques, imposées par l'homme sur l'atmosphère, au niveau de ces deux gaz.

Les carottes de glaces polaires nous ont aussi informés concernant des surprises qui se sont produites dans le système climatique. Ici, vous voyez une série de temps qui vient de NordGrip et qui a été publiée il y a quelques années. Cela couvre le dernier âge glacière et remonte à 123 000 ans. Il faut mettre l'accent sur les variations de températures reconstruites en vert. Pendant la dernière période glacière, il y a des réchauffements et des refroidissements très abrupts. Dans la communauté scientifique, on appelle cela les événements de Dansgaard-Oeschger, nommés d'après deux grands amis et pionniers, danois et suisse. Ils nous ont permis de comprendre beaucoup de choses en matière de recherche polaire. Cela nous montre que le système climatique est sensible et peut changer rapidement. Nous devons nous demander quelle est la signification de ces informations pour le climat d'aujourd'hui. En fait, ce sont les carottes de glace du Groenland qui nous ont apporté des preuves sur le fait que l'on pourrait assister à ce genre de choses dans le système climatique. Récemment, une publication nous a montré que grâce à l'analyse de mesures isotopiques de très haute résolution, la température et d'autres variables atmosphériques peuvent être modifiées en quelques années seulement.

Cela a donné lieu à un programme de recherche dans différentes parties du monde. Les scientifiques se sont posé la question suivante : si l'on voit de grandes modifications de température au Groenland, il y a peut-être d'autres régions de la planète où l'on voit le même genre de changements brusques et où on peut même constater des surprises. Vous voyez ici une mappemonde qui vous montre en résumé les régions - par exemple en rouge, c'est la partie tropicale de l'océan Pacifique - et les modifications de températures en une seule année, 2007.

Les scientifiques voudraient répondre à une autre question : comment ce système de variabilité naturelle du climat va-t-il évoluer dans les cent ans à venir ? Comme on le sait, le phénomène El Niño est responsable en partie du bien-être économique des pays d'Amérique du sud, en matière de pêcherie et de ressources. Il nous faut donc savoir comment le système va évoluer. Y aura-t-il une modification de fréquence ou d'amplitude ? Peut-être que le système va graviter vers un autre équilibre, complètement différent, où il y aura une condition permanente d'El Niño. Sur les continents, vous allez reconnaître les points chauds, par exemple la Sibérie - j'y reviendrai tout à l'heure, vers la fin de ma présentation. Qu'en est-il du pergélisol quand le réchauffement perdure ? - et d'autres régions qui se situent maintenant dans le champ d'étude des scientifiques.

Autre phénomène déjà mentionné ici, le changement de circulation dans les océans à l'avenir, notamment la partie nord du Gulf Stream, qui est responsable en grande partie du climat tempéré en Europe.

Vous voyez ici une illustration montrant que la science n'est pas arrivée au stade où elle pourrait vraiment informer le public d'une manière bien étayée. On ne sait pas quelle sera l'évolution future de ce système. La seule et unique chose que l'on puisse dire, c'est que la plupart des modèles montrent la réduction de la circulation océanique, mais on ne voit pas de surprise abrupte pour ces variables dans l'avenir. Mais nous devons être très vigilants et guetter le produit des recherches scientifiques dans les cinq années à venir. Avec des moyens et des modèles climatiques plus sophistiqués à notre disposition, nous allons pouvoir étalonner un peu mieux ces modèles pour pouvoir informer le grand public d'une matière plus sûre et avec moins d'incertitude.

Je vais maintenant parler de la glace de mer dans les zones arctiques. C'est une composante de l'écosystème qui est très vulnérable et très importante. On se rappelle tous l'année 2007, année record. Edouard vous a montré la situation mondiale au niveau des anomalies de températures, mais regardons maintenant de plus près la région polaire de l'hémisphère Nord. Vous pouvez voir l'étendue de la glace de mer en blanc observée en septembre 2007. Par comparaison, la ligne en mauve vous montre la masse de glace en moyenne entre 1979 et 2000. Il est évident que c'était une année record, dans le sens où l'on a atteint un niveau minimum record.

Est-on déjà passé par le point de basculement ? C'est la question qu'il faut se poser. Est-ce qu'on est passé à un nouveau système, un nouvel équilibre, dans une zone arctique qui est exempte de glace ? On n'a pas de réponse à cette question, mais la planète a évolué plus rapidement que les modèles climatiques, pour lesquels on dispose des résultats, ici en grisé. Les modèles, dont nous disposons, montrent une réduction de la glace de mer dans les zones arctiques, mais ce qui est en rouge va plus loin. Vous voyez que la baisse est beaucoup plus raide. C'est ce que l'on a vu au niveau empirique. La nature bat encore ces chiffres. En 2007, ce sont vraiment des marches d'escalier. Il y a un décrochage par rapport à la tendance lourde à plus long terme qui commençait à se dessiner.

Là, c'est une simulation des modèles climatiques qui montre les changements très abrupts auxquels il faut s'attendre au niveau du système de la glace de mer, mais uniquement aux alentours de 2030. Pourtant, on a déjà vu ce phénomène en 2007. C'est donc quelque chose qui devrait nous préoccuper. 2008 est aussi affichée comme référence. La réduction de la glace de mer dans la zone arctique est moins extrême que pour 2007, mais on est dans une zone qui s'éloigne beaucoup de ce que les modèles climatiques nous prédisaient. Il faut donc toujours observer, et pas seulement simuler, extrapoler. Il faut bien sûr utiliser les outils les plus sophistiqués que l'on peut avoir, mais il faut aussi des observations empiriques. C'est absolument fondamental. Il faut fournir des mesures de qualité à grande échelle tout le temps.

Maintenant, je voudrais parler de l'instabilité des calottes de glace. Vous vous souvenez peut-être de ce schéma qui a été publié dans le cadre du quatrième rapport d'évaluation du GIEC. Il informe le public concernant l'élévation du niveau de la mer, faisant suite à six scénarii différents d'émissions de gaz à effet de serre. On peut distinguer le niveau d'élévation du niveau de la mer grâce à l'expansion thermique, grâce à la fonte des calottes de l'Antarctique et du Groenland et à la fonte des glaciers sur terre. Il y a aussi des incertitudes qui sont intégrées dans ce graphique, comme ces 20 cm d'élévation du niveau de la mer dans les 70 à 90 années à venir. Ces incertitudes sont indiquées avec ces barres bleues dans l'histogramme. Les raisons de ces incertitudes ont trait à l'instabilité inhérente dans les calottes de glace. La possibilité que le Groenland et l'Antarctique puissent fondre plus rapidement que le prévoient nos projections, puissent perdre de la glace à cause d'échanges avec la terre, d'interactions peu connues actuellement, pourrait entraîner une élévation du niveau de la mer beaucoup plus importante que ce que l'on avait envisagé pour l'instant. La science va même un peu plus loin et parle de point de basculement, de point de non-retour, de réchauffement critique du système climatique, au niveau global et au niveau local, au-dessus du Groenland, de l'ordre de 2 à 4 degrés centigrades.

C'est tout à fait plausible dans les 100 années à venir et cela donnerait lieu à une fonte du Groenland irréversible. Mais bon, les scientifiques ne sont pas encore d'accord. Des gens alimentent leurs ordinateurs en modèles nouveaux, en données nouvelles, en tenant compte des processus les plus récemment découverts pour tester la précision de nos prédictions. Mais cela, c'est une possibilité qu'il ne faudrait pas oublier. La science nous a aussi appris que ces processus d'instabilité viennent de différentes origines. Au Groenland et dans les deux parties de l'Antarctique évoquées tout à l'heure, la partie orientale et la partie occidentale, c'est dû à toute une variété de processus : la fonte, la chaleur géothermique élevée, la forme spécifique de la topographie, qui induit une certaine instabilité au niveau de la glace, jusqu'à la formation de lacs - et cela est connu dans la partie basse de la calotte qui recouvre l'Antarctique oriental.

Ces observations doivent aussi nous préoccuper. Si l'on regarde la surface du Groenland, en rouge et en jaune, on voit toutes les régions du Groenland où l'accumulation est archivée, enregistrée. C'est à cause de l'accumulation qui se fait à l'intérieur que la calotte gagne en masse. Mais en même temps cette même calotte perd de sa masse aux marges, aux frontières, en bleu. La fonte vient dépasser l'accumulation dans l'intérieur même. Cela tend à réduire la masse entière, la masse totale du Groenland. Cela tend donc à faire s'élever le niveau de la mer.

J'arrive maintenant à la conclusion de ma vue d'ensemble. Il est clair que chacune de ces années polaires et années géophysiques internationales, d'initiatives particulières, tend à consolider nos connaissances, à nous faire faire un saut quantique, comme on dit, en avant. Cela nous permet de bénéficier de certains financements, de motiver les scientifiques, de prendre les initiatives requises pour pouvoir vraiment nous concentrer sur ce thème ô combien important. C'était aussi le cas dans les années 1950. La dernière fois où la série temporelle avait commencé dans l'Antarctique, on avait pu profiter de projets sur les calottes de glace et tout cela avait alimenté notre somme de connaissances.

Maintenant, il est clair que les zones polaires sont des enregistreurs très précis, des indicateurs de changements climatiques passés et futurs. Mais en même temps, comme ce sont des indicateurs très sensibles, qui réagissent rapidement au changement climatique, comme on l'a vu dans les calottes de glace polaires, ce sont des indicateurs très vulnérables. C'est pour cela qu'il faut focaliser précisément notre attention sur ces zones polaires.

Je voudrais aussi vous rappeler qu'il est nécessaire de procéder à des nouvelles observations et reconstructions paléoclimatiques basées sur les zones polaires, pour nous permettre de quantifier d'une manière sûre les fourchettes de variabilité naturelle, donc le changement climatique naturel. Nous avons quelques éléments qui nous permettent de comprendre toute la dynamique intégrée dans ces archives, dans ces sédiments, dans ces immenses calottes de glace, en dessous de nos pieds dans les zones polaires.

Une grande question reste ouverte : comment les calottes, au Groenland et en Antarctique, vont-elles réagir par rapport au réchauffement planétaire en cours ? Nous devons mieux comprendre ces phénomènes pour réduire les incertitudes concernant le niveau de la mer à long terme.

Voilà quelques questions qui appellent des réponses. J'espère que dans le prochain rapport d'évaluation du GIEC on pourra contribuer à y trouver une réponse. D'abord, quel sera le devenir de la calotte de l'Antarctique occidental ? Dans les années 1970 et 1980, des hypothèses étaient émises par les scientifiques, selon lesquelles la calotte pouvait être instable. Après, pendant quelques décennies, personne ne s'est intéressé à la chose. Une génération de scientifiques ne s'y intéressait plus. Après c'est revenu à la surface, si je puis dire. C'est redevenu important, cette réaction de cette calotte par rapport au réchauffement et à l'élévation du niveau de la mer. Les modèles ont indiqué qu'il y aurait peut-être des points de basculement qui entreraient en ligne de compte pour le Groenland. Est-ce vrai ? Y aura-t-il un point de basculement ? Et s'il y en a un, où va-t-il se situer ?

Autre question, ô combien importante dans ce contexte, le pergélisol. Il est clair que, vue l'amplification constatée en zone polaire, ce réchauffement va se passer rapidement dans ces zones et que cela va peut-être libérer des gaz qui sont piégés actuellement dans ces vastes zones. Elles deviendraient perméables à ces gaz. La libération de ces gaz ne va-t-elle pas aussi contribuer à la masse des gaz dégagés par l'activité humaine ?

Un autre thème qu'il ne faut pas oublier quand on parle de réchauffement planétaire... Et ce n'est pas vraiment le terme qu'il faut utiliser, car on a tendance à penser uniquement à la température quand on parle de réchauffement alors que la recherche scientifique nous a apporté la démonstration qu'il y a la température mais aussi d'autres paramètres qui vont également changer, comme le cycle hydrologique et ce sera le changement le plus féroce, qui va nous poser le plus de défis, mais aussi l'état chimique des océans, qui va changer à cause des effets induits par ces concentrations de CO 2 plus élevées dans l'atmosphère. Le PH de l'océan va être modifié et cela va opérer des effets sur l'écosystème que l'on a même pas encore quantifiés.

Clairement, la grande question globale est de se demander, si l'on regarde ce qui s'est passé dans le passé avec des changements irréversibles, des périodes glacières, est-ce que l'homme va modifier le climat de manière irréversible ? Même si on diminue nos émissions de CO 2 , est-ce que l'on aura modifié le climat de manière irréversible ? Il est clair que certaines parties du système climatique vont connaître des modifications irréversibles. En tant que race humaine, nous devrons nous adapter à tout cela. Merci.

Pr. Edouard BARD

Merci Thomas pour cette brillante synthèse de ce que l'on sait sur le climat, tout en ne cachant rien de ce que l'on ne sait pas. Il y a encore beaucoup de travaux à réaliser dans les prochaines années, en particulier pour préparer le prochain rapport du GIEC et au-delà pour aller vers la prochaine année polaire internationale. Cette synthèse lui a aussi permis de souligner les contributions scientifiques françaises et suisses. Thomas Stocker a rappelé qu'il s'agit de collaborations débutées de longue date. Son groupe de climatologie de l'Institut de Physique de Berne collabore depuis des décennies avec les équipes françaises de Saclay et de Grenoble ainsi que des laboratoires Danois et des Allemands.

J'aimerais maintenant accueillir le premier orateur des interventions spécialisées sur chaque compartiment du système climatique. Nous commencerons par l'atmosphère et les gaz à effet de serre en essayant de montrer en quoi a contribué cette quatrième année polaire internationale. Le premier intervenant est Jérôme Chappellaz, Directeur de recherche au CNRS, travaillant à Grenoble au Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l'Environnement.

D. DR JÉRÔME CHAPPELLAZ, DIRECTEUR DE RECHERCHE AU CNRS (LGGE GRENOBLE)

Merci Edouard Bard. Mesdames et Messieurs, chers collègues, c'est un grand honneur et un grand plaisir pour moi de m'exprimer ici au sein de cette enceinte prestigieuse pour vous dire quelques mots quant à l'état de nos connaissances concernant le climat aux pôles et préciser notamment quels ont été les apports de la quatrième année polaire internationale sur ce sujet de grande importance.

État de nos connaissances

Comme cela vous a déjà été expliqué par Claude Lorius et d'autres personnes également hier, quand on parle des pôles, on parle de glace et on parle de climat et les deux sont intimement liés.

Les pôles : glace et climat vont de concert

D'une part, la glace est un témoin des changements, on va dire, du système climatique. Quand on parle de changements climatiques aux grandes échelles de temps, vous savez tous qu'on parle de glaciation et de période interglaciaire. On parle de période où la glace s'étend à la surface des continents et de période où cette glace disparaît. C'est également un acteur, cela vous a déjà été précisé par Thomas Stocker ou Edouard Bard. La glace est un acteur du système climatique. Par son existence, par sa surface blanche, elle intervient sur l'énergie captée par la surface de la Terre provenant du Soleil et sur le bilan énergétique à la surface. Elle intervient également sur la circulation océanique. La décroissance des calottes de glace intervient sur des flux d'eau douce qui, ensuite, vont contrôler la circulation océanique globale. Elle intervient également sur le cycle du carbone. Peu de gens ont connaissance du fait que quand on a affaire à la cryosphère aussi dans les sols, dans un milieu comme le pergélisol en région arctique. La présence ou l'absence de glace dans ces sols va conditionner le devenir de la matière organique et la formation de gaz carbonique, de méthane, de gaz qui peuvent contribuer également aux changements climatiques. Enfin, les glaces, ce sont des archives comme Claude Lorius nous l'a rappelé tout à l'heure. On a la chance grâce à cette accumulation de neige au cours du temps, en forant à l'intérieur de ces glaciers, de remonter le temps et d'accéder avec beaucoup de précision du climat, mais également à l'évolution de la composition de l'atmosphère.

Alors, quand on parle de climat au global, quand on parle de climat aux pôles, on est intéressé évidemment par différents aspects temporels : quel est ce climat aujourd'hui ? Quel va être ce climat dans le futur ? Quel a été ce climat dans le passé ?

Cette carte, vous l'avez déjà vue tout à l'heure, elle représente l'anomalie de température entre 1957 et 2007 où on observe notamment cette amplification en région polaire, surtout en Arctique, mais également en péninsule antarctique. Cette zone rouge sur la péninsule antarctique correspond à la zone qui se réchauffe le plus vite aujourd'hui à la surface de la Terre. Evidemment, la question qui se pose pour nous : quel va être notre avenir climatique, l'avenir de notre planète et de l'environnement dans lequel les civilisations humaines se développent ? Pour ça, la seule réponse dont on dispose, ce sont les modèles climatiques. Les modèles climatiques, ce sont en gros les modèles qui vous servent à avoir les prévisions météorologiques tous les jours, mais que l'on dégrade en résolutions temporelles, que l'on dégrade en résolutions spatiales. Et à partir de la même physique, échange de matières, d'énergie, on calcule l'état du climat au cours du temps. Ces modèles comprennent en fait toute la physique que l'on connaît du climat terrestre, mais ils sont perfectibles. Ils sont perfectibles parce qu'on peut les tester essentiellement sur une période instrumentale, une période d'observation du climat terrestre qui représente à peu près une centaine d'années. Il y a besoin de tester ces modèles bien au-delà et pour cela, il faut accéder à des archives climatiques qui nous permettent de reconstituer l'évolution du climat à différentes échelles de temps et à différentes échelles spatiales.

Pour résumer, quand on s'intéresse au climat, aux pôles comme au niveau global, on a besoin d'observations, absolument d'observations. Sur tous les processus impliqués dans le fonctionnement de la machine climatique, à différentes échelles spatiales et temporelles, on a besoin d'établir des bases de données climatiques. Elles sont vitales pour tester les modèles climatiques et on a besoin absolument de remonter dans l'histoire du climat parce que, notamment, en remontant dans l'histoire du climat, on accède à des évolutions d'éléments du système climatique qui évolue lentement comme nous l'a signalé Edouard Bard. C'est le cas par exemple de la cryosphère. C'est le cas du cycle du carbone. La période instrumentale 100 ans, 150 ans, ne suffit pas à documenter le fonctionnement de ces rétroactions climatiques.

On m'a demandé de préciser un petit peu l'implication française au sein de l'année polaire internationale. Il y aura peut-être un peu de cocoricos dans les minutes qui suivent, mais je tiens tout de suite à temporiser ces cocoricos. La recherche polaire comme l'a signalé déjà Thomas Stocker, Claude Lorius également, elle se développe dans un contexte de collaboration internationale très forte. L'activité française ne pourrait pas voir le jour, être performante si on ne bénéficiait pas des collaborations notamment européennes extrêmement fortes, mais maintenant également vraiment à l'échelle internationale. Il y a essentiellement quatre axes dans les sciences climatiques qui ont intéressé les chercheurs français sur la problématique climatique au cours de l'Année Polaire : d'une part, des raids scientifiques en Antarctique. Je souligne ici en rouge le contexte international de l'année polaire internationale. C'est le programme TASTE-IDEA. Sa déclinaison française en jaune, c'est un soutien de l'Institut Polaire Paul-Emile Victor, partenaire vraiment privilégié de ce type de recherche, et de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) qui a effectivement apporté un soutien tout à fait significatif à ce type d'activité. Une autre activité concerne la validation des données satellites. Vous savez que les données satellites ont besoin d'une interprétation : à quelle variable physique du climat accède-t-on à partir de ces données. Notamment sur la question de la dynamique atmosphérique en Antarctique, il y a beaucoup de questions qui se posent aujourd'hui. Il y a un projet international qui s'appelle THORPEX-IPY dont la déclinaison nationale a été le projet CONCORDIASI avec des implications de nombreuses agences françaises : le CNES, Météo France, l'Institut Polaire bien sûr et puis un institut qui est de grande importance dans nos activités : l'Institut National des Sciences de l'Univers en charge notamment des observations dans le domaine des géosciences.

Un troisième programme concerne Concordia, la base franco-italienne Concordia dans laquelle nous avons conduit en France une partie de recherche concernant plutôt la physique de la neige : comment la neige évolue dans un milieu extrême comme celui d'une base où la température moyenne annuelle est de 54°Cet où il ne tombe seulement que trois centimètres d'eau chaque année. Ces activités ont été soutenues essentiellement par l'Institut Polaire et à nouveau par l'INSU. Et puis, il y a toute l'activité qui m'intéresse au premier chef et beaucoup de personnes dans cette salle, portant sur les carottages dans la glace. Les carottages dans la glace qui nous permettent d'accéder à l'évolution du climat et de l'environnement. Cette activité est fédérée au niveau international maintenant par un programme que l'on appelle IPICS (International Partnerships in Ice Core Sciences) et sa déclinaison dans le cadre de l'année polaire s'est exprimée essentiellement via trois projets : le projet NEEM au Groenland soutenu par l'ANR également et l'Institut Polaire, le projet Talos Dôme en Antarctique soutenu par l'INSU et l'Institut Polaire et le projet Dôme A qui est soutenu par l'ANR et par l'Institut Polaire.

Alors, je ne vais pas vous donner des détails sur chacune de ces activités-là. Je vais focaliser essentiellement sur le premier et le dernier. Tout d'abord, les observations du climat aujourd'hui. Thomas Stocker a parlé de l'évolution de la température. On a maintenant des indications grâce aux travaux de nos collègues américains, Eric Steig et d'autres, que l'Antarctique se réchauffe effectivement, peut-être plus lentement et avec plus de variabilité que dans d'autres régions du globe. Mais, une autre variable du climat importante à quantifier également, c'est l'accumulation. Quand on parle de climat, on parle de température, on parle d'accumulation et je pense que si on demandait à des habitants des régions tropicales ou équatoriales quelles variables climatiques les impactent plus, ils vous diront la précipitation. Les ressources en eau sont au coeur des préoccupations de l'évolution climatique future. C'est également au coeur des préoccupations en région polaire parce que l'accumulation va contrôler d'une certaine manière comment la cryosphère va stocker ou au contraire déstocker de l'eau douce qui va ensuite contribuer au niveau des mers. L'activité qui a été conduite essentiellement dans le cadre de l'Observatoire de l'Institut National des Sciences de l'Univers GLACIOCLIM, avec un soutien de l'ANR, a consisté à comparer des données d'accumulation obtenues par satellites. C'est ce que vous avez sur la carte de droite avec un champ d'accumulation à l'échelle du continent Antarctique. L'énorme avantage des satellites, c'est qu'ils fournissent cette couverture spatiale. Et puis, à gauche, vous avez une carte avec chaque petit point correspondant à un endroit où on a pu mesurer l'évolution de l'accumulation et l'état de l'accumulation entre 1958 et 2008. Vous voyez, il n'y a pas beaucoup de points. Une des difficultés de l'Antarctique, c'est qu'il est très difficile d'accéder au sol aux informations dont on a besoin.

Mais, ce qui est intéressant, c'est que quand on compare ces deux cartes, c'est ce que vous avez au milieu, on se rend compte qu'il y a une bonne corrélation ici dans les zones de relativement faible accumulation en Antarctique, ce que l'on rencontre dans le plateau central. Par contre, cette corrélation est tout à fait perdue dans les zones à forte accumulation qui concernent les régions côtières. Or, il se trouve que ces régions côtières contribuent pour 40 % à l'accumulation à la surface de l'Antarctique aujourd'hui. Ces travaux qui ont été publiés récemment par notre collègue Olivier Magand et quelques autres démontrent le besoin crucial que l'on a aujourd'hui de documenter l'évolution de l'accumulation en région côtière Antarctique. Ce qui n'est pas une mince affaire parce que notamment, les accès logistiques sont très difficiles sur ces régions côtières en général très crevassées.

Une autre activité que je souhaite mettre en avant dans ce contexte de l'année polaire internationale concerne le futur. Les modélisateurs continuent leur simulation du climat avec, pour certains, notamment au laboratoire de glaciologie de Grenoble, un intérêt spécifique pour les régions polaires. Sur ces cartes, on représente l'évolution de l'accumulation entre le début et la fin de ce siècle calculée avec un des modèles climatiques qui a servi dans les simulations du GIEC et qui a ensuite été confronté à d'autres simulations, d'autres modèles du GIEC. A gauche, vous avez représentée en pour cent l'augmentation de l'accumulation calculée par ce modèle qui vous montre que, par exemple, dans les zones jaunes, on peut s'attendre à des augmentations de l'accumulation à la surface de l'Antarctique de l'ordre de 40 à 60 %. Un chiffre tout à fait impressionnant qui nous laisserait penser que l'Antarctique est susceptible du coup de stocker une bonne quantité de précipitations au cours du temps et de limiter l'augmentation du niveau des mers au cours de ce siècle. En revanche, quand on le représente en termes de millimètres par an, c'est ce que vous avez à droite, on se rend compte que les zones où l'augmentation d'accumulation est la plus importante, représentée en rouge sur la carte, ce seront à nouveau les régions côtières. Ce qui finalement va contrôler la quantité d'eau stockée en surface par, on va dire, le frigo Antarctique, contribuant à restreindre l'augmentation du niveau des mers, ça va être à nouveau les régions côtières. Il devient donc crucial d'aller documenter l'évolution de cette accumulation au cours du temps dans ces régions.

Tournons-nous maintenant vers le Groenland. Le Groenland, vous le savez tous parce que cela a été effectivement largement médiatisé, subit une fonte estivale sur la côte qui ne fait que croître. Vous avez, représenté sur cette carte évolutive, le nombre de jours de fonte par an pour chaque pixel représenté entre 1976 et 2006. On voit tout à fait clairement sur ces cartes que les zones affectées par la fonte durant l'été à la surface du Groenland n'ont fait que s'accroître et c'est une augmentation tout à fait impressionnante puisqu'en comparant les superficies entre 1976 et 2006, il y a l'équivalent d'un tiers de la surface de la France qui fond désormais à la surface du Groenland et qui ne fondait pas en 1976. Nos collègues, notamment Hubert Gallée avec des collèges belges, ont conduit les simulations à l'échelle du 21 ème siècle pour déterminer dans quelle mesure avec un modèle climatique régional cette accélération de la fonte allait se poursuivre et impacter le bilan de masse de surface de la calotte groenlandaise. Leurs conclusions suggèrent que l'augmentation de l'accumulation au centre du Groenland qui existe effectivement aujourd'hui comparée à l'augmentation de la fonte sur la côte conduira en quelque sorte à un bilan nul. On peut espérer si les simulations sont correctes qu'à la fin du 21 ème siècle, le Groenland dans son ensemble en termes simplement de bilan de masse de surface - je ne parle pas ici de la glace rejetée par la dynamique de la calotte de glace - sera dans un état de balance nulle.

L'autre conclusion importante de ces travaux, c'est que cette fonte sur la côte du Groenland amène de l'eau douce dans l'Océan Atlantique et est susceptible d'intervenir sur l'intensité de la circulation thermohaline telle qu'on l'appelle. Les calculs qui ont pu être menés par cette équipe concluent que cet effet de fonte seul ne sera pas suffisant pour réduire l'intensité de la circulation thermohaline. Encore une fois, je précise bien ici que l'on parle de bilan de masse de surface, on ne parle pas de l'effet possible d'accélération de l'écoulement du glacier avec des décharges d'icebergs dans l'océan.

Je bascule maintenant sur l'histoire du climat, les données obtenues dans le cadre des carottages dans les glaces polaires. C'est une activité qui n'a pas démarré avec l'année polaire internationale, tout le monde le sait. Cela fait environ 40 ans que des équipes internationales travaillent d'arrache-pied à forer des calottes de glace du Groenland et de l'Antarctique pour remonter dans le temps. Vous avez ici entouré en rouge l'essentiel des projets dans lesquels la France a été impliquée. Notamment, la France a eu le privilège grâce aux travaux de Claude Lorius et des collèges russes d'accéder au forage de Vostok qui est le plus profond à ce jour, ayant atteint 3 667 mètres de profondeur. La France a également été un des acteurs importants, notamment avec le soutien logistique de l'Institut Polaire Paul-Emile Victor, pour accéder au forage de Dôme C à la base Concordia qui est le forage le plus ancien disponible à ce jour (800 000 ans d'histoire du climat). La France a également été impliquée dans les projets au Groenland GRIP, au centre du Groenland, NorthGRIP et puis maintenant le nouveau projet NEEM dont on vous parlera un petit peu plus tard.

Au cours de l'année polaire, la France a également été impliquée dans un forage qui s'est terminé en fait pendant l'année polaire, sur un site qui s'appelle Talos Dôme. C'est une opération qui impliquait cinq pays européens : l'Italie, la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la Suisse. Le 24 décembre 2007, un joli cadeau de Noël, le forage s'est arrêté à 1 620 mètres de profondeur nous donnant accès à 300 000 ans d'histoire du climat dans cette région côtière Antarctique. Une équipe française s'est également associée à une équipe britannique pour forer un petit glacier situé dans l'île de James Ross dans la péninsule Antarctique. C'est une opération qui s'est conduite en février de l'année dernière et qui a atteint le socle rocheux à 364 mètres de profondeur en donnant accès à 20 000 ans d'histoire du climat et de l'environnement dans ce secteur de la péninsule. Comme je le disais, l'acquisition des carottes de glace, c'est une activité de longue haleine. Certaines opérations ont démarré pendant l'année polaire internationale. Quand on parle de résultats scientifiques acquis pendant l'année polaire internationale, on s'appuie évidemment sur des forages qui ont eu lieu bien avant. Ici, j'illustre encore une fois un graphique que Thomas Stocker vous a montré. Cette fois-ci, l'échelle de temps est inversée. Vous trouvez la période actuelle à gauche. Vous avez les derniers 800 000 ans à droite. Et puis, petit bonus par rapport à ce que Thomas Stocker vous a montré, vous voyez ici les concentrations actuelles du gaz carbonique et du méthane dans l'atmosphère. Le gaz carbonique est ici, le méthane est ici. Sur ce graphique, vous pouvez prendre, on va dire, conscience de l'impact de l'activité humaine sur les derniers 200 ans concernant les concentrations des deux gaz à effet de serre majeurs.

On a appris beaucoup à travers cet enregistrement EPICA, sur la relation entre climat et gaz à effet de serre, notamment le fait qu'en se projetant au-delà de 400 000 ans, quand on regarde l'évolution de la température en Antarctique reconstruite par les isotopes de l'eau, on se rend compte que les interglaciaires, les périodes chaudes, étaient moins intenses que celles que l'on a connues depuis 400 000 ans, mais également plus longues. Cette évolution est allée de concert avec des teneurs en gaz à effet de serre moins importantes également, indiquant très qualitativement que la sensibilité entre climat et teneur en gaz à effet de serre est restée à peu près constante à ces échelles de temps. Je tiens à préciser ici que ce travail a été conduit essentiellement dans un cadre européen : le projet EPICA, et notamment une collaboration franco-suisse dont Thomas Stocker a déjà fait mention et qui est extrêmement importante pour ces analyses des gaz à effet de serre. L'Institut Polaire a été un acteur majeur pour donner accès au site de Concordia et l'ANR nous a également soutenus pour ces activités.

Vous retrouvez sur ce graphique l'évolution du climat au Groenland tel que l'a montré déjà Thomas Stocker. La courbe ici vous représente l'évolution climatique observée dans le site de NorthGRIP au Nord du Groenland qui recoupe 125 000 ans d'histoire du climat. Grâce aux travaux de nos collègues danois et avec l'aide des chercheurs du Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (LSCE) à Saclay, des études très détaillées ont pu être conduites sur ces changements climatiques majeurs en focalisant ici sur le réchauffement brutal qui s'est produit il y a 11 500 ans à la surface du Groenland et qui a conduit le Groenland dans l'état interglaciaire que l'on connaît aujourd'hui. On ne va pas rentrer dans le détail de ces courbes, mais si vous regardez cette partie du graphique, ce sont des mesures extrêmement détaillées où on peut suivre année par année notamment l'origine des précipitations de neige à la surface du site de NorthGRIP. Cette évolution de l'origine des précipitations que l'on obtient à travers un marqueur que l'on appelle l'excès en deutérium, nous montre que d'une transition climatique à une autre, on change de régime d'origine des précipitations en un à trois ans seulement.

Dit en d'autres termes, la surface du Groenland a vu l'origine des précipitations changer brutalement à une échelle de temps qu'un humain peut tout à fait percevoir puisqu'on parle d'une échelle de quelques années seulement. C'est un résultat extrêmement important qui a été publié l'année dernière et qui nous démontre s'il en est, grâce à ces données paléoclimatiques, qu'il existe réellement des surprises climatiques et des effets de seuil possibles quand on parle d'évolution climatique à long terme. Ce n'est pas un long chemin tranquille de réchauffement, on peut avoir des effets brutaux tels qu'il est est démontré ici dans le cadre du Groenland.

Je basculerai maintenant sur un forage qui s'est mis en place réellement dans le cadre de l'année polaire internationale, c'est le forage NEEM situé ici dans la partie nord-ouest du Groenland. Ce forage est conduit par nos collègues danois, mais il y a un véritable consortium international autour avec 14 pays impliqués, dont la France. Je vous encourage d'ailleurs pendant la pause de midi à jeter un oeil à l'extérieur puisqu'il y a quelques posters qui vous illustreront le contenu scientifique de ce projet. L'enjeu majeur de ce projet, c'est d'accéder enfin au Groenland à un enregistrement fiable du climat pendant la dernière période interglaciaire, il y a 130 000 ans. Pourquoi ? Parce qu'il y a 130 000 ans, l'Arctique en général recevait une quantité d'énergie solaire beaucoup plus importante qu'aujourd'hui en été. Cela représentait 50 watts par mètre carré supplémentaires fournis par le Soleil à la surface de l'Arctique durant les mois d'été. Nous sommes là dans un cas extrême, et non un analogue parfait de ce que la Terre va expérimenter dans les prochaines décennies, mais il nous permet de tester les modèles climatiques et notamment de déterminer dans quelles mesures le Groenland est susceptible de fondre partiellement ou en grande partie durant ces conditions de forçage climatique particulièrement intenses. Le forage a débuté l'année dernière en juillet 2008. A l'heure où l'on parle, une équipe danoise associant d'autres partenaires internationaux est en train de mettre en place le système de forage et on espère très fort que fin juillet, début août, quand la campagne d'été sera finie sur ce site de NEEM, on aura atteint peut-être 1 000 mètres de profondeur et le travail continuera encore pendant deux saisons.

Il y a déjà des résultats scientifiques à présenter qui évidemment ne sont pas publiés. Ils résultent du travail de nos collègues danois avec Valérie Masson-Delmotte au Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement. Ici, ce sont des mesures des isotopes de l'eau couvrant typiquement les derniers 200 ans sur le site de NEEM, sur la première carotte obtenue l'année dernière, mesures comparées à l'évolution de la température mesurée à la station météorologique au sud-ouest du Groenland. Ce que l'on observe pour la première fois avec cet enregistrement dans les isotopes de l'eau, c'est que les teneurs actuelles montrent clairement un réchauffement très récent qui dépasse les valeurs particulièrement élevées observées durant les années 30. C'est une information extrêmement importante. D'une part, on a ici l'indication que les isotopes de l'eau dans ce site de forage nous donnent réellement un signal de température. D'autre part, on observe le réchauffement récent tout à fait bien marqué maintenant dans ces glaces du Groenland. Les études conduites par les collèges danois et par Valérie Masson-Delmotte ont également montré que la précipitation sur ce site se produit essentiellement en période estivale et qu'elle est influencée notamment par l'étendue de la banquise en mer de Baffin. On espère donc à travers les études de ce site obtenir des informations indirectes sur l'état de la glace de mer en Arctique, au moins sur une portion de l'Arctique.

Quelques mots maintenant en Antarctique sur un forage situé au site de Talos Dôme. Talos Dôme est un site côtier Antarctique à environ 1 100 kilomètres de Concordia et situé à 550 kilomètres d'un autre site foré par les Américains il y a quelques années, Taylor Dôme. Ce dernier site a été à l'origine d'une controverse. Quand on étudie l'évolution climatique entre une glaciation et une période interglaciaire, que l'on compare ce qui se passe en Antarctique et au Groenland, on observe ce que l'on appelle une bascule bipolaire. C'est-à-dire que la réponse climatique de l'Antarctique est en quelque sorte opposée à celle du Groenland quand on regarde en détail l'évolution climatique. Or, nos collèges américains grâce au site de Taylor Dôme sont arrivés à une conclusion tout à fait opposée, à savoir que sur cette zone côtière Antarctique, le climat évoluait en même temps et dans le même sens que celui du Groenland, donc en relation directe avec l'état de la circulation thermohaline dans l'océan Atlantique Nord. Le site de Talos Dôme nous a permis de tester cette hypothèse et voilà les résultats tout récents obtenus au cours des dernières semaines, montrant cette évolution climatique depuis aujourd'hui jusqu'à moins 25 000 ans. Grâce aux enregistrements isotopiques sur ce site de Talos Dôme comparés aux données obtenues sur le plateau Antarctique, comme les sites de Concordia et de Dronning Maud Land, et comparés ici en rouge à l'enregistrement du Groenland obtenu au site de NorthGRIP, on distingue clairement que ce site de Talos Dôme réagit comme celui de Concordia ou celui de EDML. On aboutit donc maintenant à une conclusion très forte que cet effet de bascule climatique lié à la circulation thermohaline affecte en réalité l'ensemble de l'Antarctique y compris les régions côtières.

C'est particulièrement important quand on se projette dans l'avenir parce que vous le savez, Thomas Stocker a insisté là-dessus, un des points chauds de l'évolution climatique future concerne cette circulation thermohaline dans l'océan Atlantique Nord, son intensité pouvant être affectée par la décomposition partielle du Groenland. Or, si dans le futur, le Groenland effectivement se décompose et ralentit cette circulation thermohaline, l'effet direct que l'on peut attendre d'après nos enregistrements paléoclimatiques, c'est que l'Antarctique devrait se réchauffer. Non seulement, l'Antarctique se réchaufferait, mais on peut s'attendre à une rétroaction du cycle du carbone qui fait que l'océan Austral piège moins de gaz carbonique qu'il ne fait aujourd'hui et amplifie encore plus cet effet de réchauffement.

Maintenant, quelques mots pour ébaucher un bilan sur cette année polaire vue côté français. Je pense qu'on peut conclure réellement à des progrès significatifs des connaissances sur des signaux climatiques qui couvrent différentes échelles de temps et différents processus étudiés en détail. Mais il faut insister sur le fait que c'est un événement qui s'inscrit dans un mûrissement scientifique n'ayant pas débuté en 2007. L'année polaire internationale 1957-1958 a eu un effet impulsif extrêmement important pour les recherches climatiques, notamment avec le démarrage des mesures de gaz carbonique à la station d'Hawaï. Il est évident qu'il ne faudrait pas s'arrêter aujourd'hui en 2009 avec cette cérémonie de clôture, d'autant plus qu'aujourd'hui, on se rend compte que de nombreux processus en régions polaires sont susceptibles d'intervenir sur le climat du futur et qu'il convient de les étudier. Je pense qu'un vrai bénéfice de l'année polaire a été de renforcer s'il y en était encore besoin les coopérations internationales et notamment, je pense que dans notre communauté des chercheurs travaillant sur les calottes de glace, on ne raisonne plus « France », on raisonne « Europe ». Pour nous, la recherche dans notre domaine se fait à une échelle d'un Laboratoire Européen virtuel. On ne raisonne plus maintenant « France » par rapport aux autres projets, par rapport aux autres pays.

Un autre effet indéniable de la quatrième année polaire internationale a été la sensibilisation des citoyens, je pense notamment aux jeunes générations. Chaque chercheur qui est dans cette salle et qui a contribué à l'année polaire internationale peut témoigner de l'attrait qu'a représenté cet événement aussi bien pour les enseignants que pour leurs étudiants (nombreuses visites de lycées, colloques et de nombreux événements qui ont été notamment pilotés par l'Institut Polaire Paul-Emile Victor). C'est non seulement une véritable sensibilisation envers les questions d'environnement, mais également, et je pense que c'est très important dans le contexte actuel, une sensibilisation envers l'intérêt des sciences. J'espère que cet événement aura créé quelques vocations parmi les jeunes générations.

Maintenant, quelques mots pour l'après 4 ème année polaire. Après, la 4 ème année polaire, qu'est-ce qu'il reste à faire finalement ? Il reste évidemment des questionnements scientifiques majeurs. Thomas Stocker en a déjà listé un certain nombre qui concerne les rétroactions climat/carbone, notamment aux pôles, les questions de devenir du pergélisol, des hydrates de méthane. Le couplage vraiment fin entre l'océan, la glace de mer et l'atmosphère, qui peut générer des processus rétroactifs particuliers impactant l'état climatique des régions polaires. La dynamique des calottes de glace, Frédérique Rémy nous en parlera tout à l'heure. Puis, de manière peut-être de moins en moins anecdotique, l'impact par exemple du carbone suie. Vous n'êtes pas sans savoir que des routes maritimes sont en train de s'ouvrir maintenant dans l'Arctique. Qui dit route maritime dit trafic amenant quantité de polluants et notamment du carbone suie. Et ce carbone suie possède un impact potentiellement très important sur l'albédo de la neige, c'est-à-dire la quantité d'énergie que la neige va renvoyer vers l'espace. On a encore ici via l'activité humaine, qui jusqu'ici n'est pas réellement développée dans le milieu Arctique, le potentiel de rajouter encore une rétroaction supplémentaire qui aggrave le phénomène de disparition de la banquise Arctique.

Il est important, je pense, de lancer des chantiers spécifiques sur les processus encore mal compris. L'effet du GIEC, c'est certainement de faire prendre conscience aux citoyens, à la population mondiale, que le problème du changement climatique est sérieux et qu'il doit être pris en main par les citoyens et par les hommes politiques. Mais, il donne aussi l'impression parfois que l'on a suffisamment compris l'état de fonctionnement de la machine climatique. C'est loin d'être le cas, il y a beaucoup de processus qui sont pour l'instant mal représentés dans les modèles. Si on veut mieux les représenter, il faut les étudier en détail. Notamment, j'aurais tendance à dire à titre personnel qu'il y a une tendance aujourd'hui à s'intéresser de plus en plus aux impacts du changement climatique. Quel va être son effet sur la biodiversité ? Quel va être son effet sur les ressources en eau ? Au fond, si on calcule les impacts sans connaître réellement quelle va être l'évolution climatique, je pense qu'on va se tromper de chemin et qu'on va conduire des études qui, finalement, aboutiront à des conclusions fausses.

Nous sommes face à un véritable impératif : maintenir et développer les réseaux d'observation. Les cartes d'évolution de température, vous en disposez aujourd'hui parce qu'il y a 150 ans, des gens ont commencé à mesurer la température. Il est absolument indispensable aujourd'hui de poursuivre ces études, documenter l'état du système climatique et ça, ça passe par les réseaux d'observation aussi bien au sol qu'en spatial avec les satellites. Je tiens à souligner encore une fois le rôle extrêmement important de l'Institut National des Sciences de l'Univers en France qui coordonne ce type d'activité d'observation.

Il faut poursuivre l'étude des enregistrements glaciologiques. Nous avons dans notre valise de nombreuses potentialités là-dessus : des nouveaux traceurs qui nous permettront de mieux contraindre par exemple le forçage volcanique ou le forçage solaire dans le passé. Etudier la variabilité climatique plus en détail.

Je pense qu'il faut encourager la mise en réseau des infrastructures logistiques. Il est bien évident que la recherche polaire a un coût, un coût extrêmement important, et que pour la rendre efficace, il faut que les agences de moyens, les agences logistiques, jouent leur rôle ensemble de manière coordonnée. Je citerai par exemple deux problèmes aujourd'hui tout à fait criants qui nous impactent dans la conduite de certains projets. Les problèmes par exemple de financements en Italie. Les Italiens ont beaucoup de mal à financer leurs activités en Antarctique aujourd'hui. Je citerai également les problèmes de coopération avec la Chine. La Chine arrive aujourd'hui en Antarctique avec une attitude plutôt nationaliste, ce qui ne facilite pas les coopérations internationales.

Pour finir, je dirais qu'il faut soutenir les points forts scientifiques et technologiques en France. Dans ce sens-là, je saluerai l'initiative récente de labellisation par l'INSU d'un Centre de Carottage et de Forage National qui va permettre de pérenniser la capacité technique française pour accéder à ces carottes de glace. Je tiens à cette occasion à saluer les efforts extrêmement importants des techniciens et ingénieurs, personnes de l'ombre. On parle beaucoup de sciences ici, mais il ne faut pas oublier les techniciens et les ingénieurs qui sont véritablement à la base de l'obtention de nos résultats.

Je termine mon exposé par une illustration d'un de ces projets que l'on souhaite mener à terme, combinant ensemble des aspects de questionnements scientifiques et de technologies. Ça concerne l'accès à une glace plus ancienne que celle d'EPICA Dôme C. Aller au-delà de 800 000 ans, ce n'est pas juste pour un chiffre, ce n'est pas juste pour battre un record. Au-delà de 800 000 ans, on sait que le climat terrestre réagissait d'une manière différente à ce qu'il fait depuis 800 000 ans, par rapport au forçage d'insolation. Les battements du climat terrestre étaient typiquement de l'ordre de 40 000 ans, avant moins 800 000 ans, et maintenant, ils sont typiquement de l'ordre de 100 000 ans. On n'a pas aujourd'hui d'explication claire de ce changement de régime du système climatique terrestre, il y a environ 800 000 ans. Pour progresser, il faut notamment accéder à un enregistrement fiable de la quantité de gaz carbonique dans l'atmosphère au cours du temps. Nous sommes aujourd'hui, à l'échelle internationale via le projet IPICS, à la recherche d'un site Antarctique nous permettant d'accéder à de la glace plus ancienne que 800 000 ans. Vous avez sur cette carte quelques exemples de régions en violet où potentiellement, cette glace pourrait être trouvée. Notre objectif aujourd'hui est de construire un instrument qui nous permette d'aller voir sur site, en une seule saison, si effectivement on peut atteindre de la glace suffisamment ancienne. Il s'agit de développer une sonde analytique innovante qui va mesurer le signal climatique et les gaz à effet de serre directement dans la glace plutôt que de remonter une carotte à la surface. C'est un gros projet. Nous avons déposé une demande de financement aujourd'hui à l'European Research Council. On espère potentiellement le financer si le Centre de Carottage et Forage National est labellisé comme très grand équipement, et puis, sinon bien sûr, s'il y a des mécènes dans la salle qui souhaitent soutenir ce type d'activité, ils seront évidemment les bienvenus !!!

Merci pour votre attention.

Pr Edouard BARD

Merci Jérôme pour cette intervention à la fois superbe sur les résultats de l'année polaire internationale et en même temps, sur les aspects de prospective scientifique. Jérôme a bien rappelé que toute ces recherches se font sur le long terme et sont les fruits de collaborations internationales, la contribution française étant tout à fait conséquente.

Pour nous parler de l'océan et de la banquise, j'aimerais maintenant accueillir Jean-Claude Gascard, Directeur de recherche au CNRS, travaillant au Laboratoire d'Océanographie et du Climat à Paris.

E. DR JEAN-CLAUDE GASCARD, DIRECTEUR DE RECHERCHE AU CNRS (LOCEAN PARIS)

Chers collègues, bonjour ! Je voudrais aussi remercier les organisateurs de cette réunion : Christian Gaudin au Sénat hier, Edouard Bard aujourd'hui au Collège de France. C'est vraiment un grand honneur de pouvoir s'exprimer dans ces circonstances et dans ce cadre. Je participe à cette thématique : Climat, glaces et océans. En fait, comme je vais me concentrer sur l'océan, je vais plutôt les décliner dans l'autre sens et vous parler des océans polaires, de l'Arctique et de l'Antarctique, du problème des glaces et de l'impact que cela a sur le climat et l'évolution du climat actuel, le changement climatique comme on l'appelle. Au cours de ma présentation, vous allez peut-être voir quelques défauts de coordination dans les transparents qui sont liés au fait qu'à ma rentrée dans la civilisation comme une navette spatiale qui rentre dans l'atmosphère, à Oslo, on s'est fait subtiliser deux sacs avec des PC dans lesquels il y avait ma présentation d'aujourd'hui. Mais, j'ai réussi à rassembler l'essentiel des informations que je comptais vous présenter. Il y aura peut-être un petit flou au passage de certains transparents, vous voudrez bien m'en excuser.

Hier, Gérard Jugie dans sa présentation nous a indiqué que quand on regarde l'Arctique et l'Antarctique, tout les oppose. En fait, c'est vrai qu'il y a un fort contraste, continent/océan dans un cas, océan/continent dans l'autre. Mais, il y a quand même des choses qui les rapprochent, certaines similitudes, notamment ce cycle saisonnier de formation des glaces de mer (la banquise comme on l'appelle) dans un cas comme dans l'autre avec des différences. Au niveau de l'Arctique, on oscille entre 14 et 16 millions de kilomètres carrés en hiver. Il y a des variations d'une année sur l'autre au maximum de développement de la banquise arctique. Ce sont plutôt 20 millions de kilomètres carrés dans l'Antarctique et la grosse différence, c'est que pratiquement toute la banquise antarctique fond en été et se reforme en hiver. C'est essentiellement de la glace nouvelle, la glace de l'année. Alors que l'Arctique se comporte de manière très différente. Il y a 30 ans, il n'y avait que la moitié de cette glace d'hiver qui résistait à la fonte d'été. On passait de 14 millions de kilomètres carrés à 8. Jusqu'à il n'y a pas très longtemps encore, on identifiait des glaces que l'on appelle pérennes ou multi-annuelles pouvant aller jusqu'à une dizaine d'années d'âge. Je ne parle bien toujours que des glaces de mer. C'est ça qui est en train de changer actuellement dans l'Arctique. Les glaces dites pérennes, c'est l'espèce en danger. C'est l'espèce de glace qui disparaît. Ce n'est pas la banquise d'hiver qui disparaît, c'est cette glace d'été et qui pose manifestement un problème très important sur le changement climatique et le bilan radiatif. Je vais revenir là-dessus dans ma présentation.

Je ne vais pas rappeler ce qui a été dit ce matin dans la présentation de Thomas Stocker et d'Edouard Bard. Simplement, avant le début de cette conférence de clôture de l'année polaire internationale, je vais me concentrer effectivement sur le sujet et les questions qui me sont posées : qu'est-ce qu'on a appris au cours de ces deux années polaires internationales ? Puisqu'en fait, il y en a eu deux. Voilà le bilan de la situation qui est résumée d'ailleurs dans le rapport du GIEC, c'est de là que vient ce document qui montre effectivement une évolution très nette de la SAT (Température de Surface de l'Atmosphère) au nord de 65N, l'évolution de la glace de mer arctique en forte décroissance et puis, d'autres paramètres sur le permafrost dans l'hémisphère Nord, la couverture de neige, les budgets de masse glaciaire. Quelque chose également de comparable dans l'Antarctique où on voit un signal qui est effectivement beaucoup plus atténué que dans l'hémisphère Nord. On a aussi commenté le fait que dans les régions polaires, dans l'Arctique en particulier - toujours un document que vous pouvez trouver dans le rapport du GIEC - l'élévation de température dans l'Arctique en moyenne est le double de celle que l'on observe à l'échelle globale.

Le point fort des deux années polaires internationales dans l'Arctique. Voilà les deux situations qu'on a rencontrées en 2007 et 2008 avec effectivement un recul de la banquise arctique très très important. Mais là où c'est encore plus intéressant, c'est de regarder dans ces couleurs qui distinguent les glaces de première année en bleu par rapport aux glaces plus anciennes qui vont du vert vers le rouge selon l'âge en nombre d'années. Je vais revenir sur cet élément parce qu'il est essentiel et il complémente ce qui vous a été présenté ce matin. Avant, un autre constat qui a été fait sur une période de temps un peu plus large avant l'année polaire internationale, c'est le réchauffement de l'atmosphère au cours des vingt dernières années. Parce que là, ça démarre en 1986 en haut à gauche où on représente un paramètre qui est assez facile à calculer à partir de la température de surface de l'atmosphère, c'est le nombre de degrés gel jour accumulé au cours de toute une saison d'hiver, qui va en général du mois de septembre d'une année au mois de mai de l'année suivante. Par exemple, s'il fait -10 degrés en dessous du point de congélation pendant 100 jours, vous accumulez -1 000 degrés de gel-jour pendant cette période hivernale.

Ça, c'est un paramètre qui a été utilisé, il y a très longtemps, par les chercheurs russes parce qu'on pouvait en déduire directement l'épaisseur résultante de la glace. Il y a une correspondance directe entre cette accumulation de nombre de degrés de gel jour en termes d'épaisseur de glace. Sur ces cartes, vous avez en haut à gauche le calcul qui peut être fait à partir de cette information sur l'année 86-87. En bas à droite, c'est sur les périodes plus récentes. Vous voyez que les couleurs deviennent de plus en plus pâles. C'est qu'on perd de plus en plus de degrés de gel-jour. Alors là, il y a un petit piège, plus c'est rouge, plus c'est froid. Mais ce piège évité, on comprend effectivement. Ici, on voit une trace de ce réchauffement progressif au cours des vingt dernières années. Ça, c'est non seulement un problème qui est lié à l'effet de serre, mais on va y revenir, à l'amplification dans les régions polaires qui est liée à un autre phénomène très important qui s'appelle l'albédo sur lequel je vais vous dire deux mots. Mais avant d'en venir là, sur ce schéma, vous avez la traduction graphique des cartes que j'ai présentées tout à l'heure. Sur ces vingt dernières années écoulées, toujours ce paramètre d'accumulation des nombres de degrés de gel jour sur la période d'hiver, qui est réparti selon les surfaces sur lequel ce froid s'exerce en millions de kilomètres carrés. On voit effectivement un recul très net entre le dernier maximum qui correspond aux années 96-97, qui s'exerce sur des surfaces de l'ordre de 2 millions de kilomètres carrés avec un froid de près de 6 000 degrés de gel jour accumulé au cours de la période d'hiver par rapport à des périodes plus récentes. On voit un recul de plus de 1 000 degrés. Et puis, d'une année sur l'autre, on voit aussi par exemple entre 2005-2006 et 2007-2008 qu'il n'y a pas un recul de ce nombre de degrés de gel cumulé, mais il y a un recul de la surface sur lequel ce froid s'exerce. Ce sont deux paramètres qui se combinent et on peut effectivement établir un index d'hiver en intégrant à la fois l'un et l'autre de ces deux effets : la surface et le niveau de froid. Ça marche très bien. C'est un index qui est assez bien corrélé. On a un niveau de corrélation de 0,8 avec l'étendue de la glace au minimum d'été au mois de septembre suivant.

L'autre effet, si l'effet de serre est un effet précurseur, l'albédo est l'effet amplificateur dans les régions polaires et c'est résumé sur ce graphique très simple selon qu'on a de la glace ou qu'on n'en a pas. La glace laisse la place à l'océan libre de glace au lieu de renvoyer dans l'espace 80 % du rayonnement solaire. Quand vous faites ça, sur 1 million de kilomètres carrés avec des constantes de l'ordre de grandeur de 100 watts par mètre carré, vous arrivez à des 10 puissances 14 watts. On est à 1/10 e de pétawatt, c'est l'ordre de grandeur du transport méridien de chaleur par l'océan et l'atmosphère. Ce n'est pas rien.

Une autre surprise qu'on a rencontré dans l'année polaire internationale, c'est-à-dire ce recul majeur qui est représenté sur cette courbe rouge, c'est l'extension du minimum de glace en millions de kilomètres carrés en Arctique à la fin de l'été (fin septembre) où effectivement, on a une chute. Vous voyez l'étoile qui s'est décalée, elle doit être sur 2007. On voit en effet des fluctuations interannuelles très fortes et celle qu'on a observée pendant l'année polaire est du même ordre que celle qu'on avait observée avant. Par exemple, pendant l'année 96, la seule différence, c'est qu'au lieu d'avoir un bond vers le haut, ici, on a eu une décroissance très forte. Mais en termes d'amplitudes, de variabilité interannuelle, on n'est pas sorti de l'épure. Là où on est sorti de l'épure, ça a été dit par Thomas Stocker ce matin, c'est qu'effectivement il y a un retard des modèles de ce que prévoit le GIEC par rapport à ce qui s'est passé. Ce qui s'est passé effectivement pendant l'année polaire internationale, ça nous a fortement surpris. On s'y attendait un peu, mais pas autant quand même en termes de recul de la glace et bien d'autres paramètres que je vais décrire. Mais avant de revenir sur les problèmes d'Arctique et d'Antarctique, je voudrais revenir sur un aspect de l'impact - ça va me permettre justement de parler un peu de l'Antarctique - de ce qui se passe dans ces océans polaires qui sont très loin de chez nous, mais qui concernent tout le système climatique terrestre.

L'océan est un lien très fort sur ce plan. On a parlé de la circulation thermohaline. Qu'est-ce que c'est que cette circulation thermohaline ? Il s'agit des masses d'eau océaniques qui sont réchauffées à l'Equateur et qui circulent surtout dans l'Atlantique, de l'Equateur vers les pôles, en se refroidissant, en libérant progressivement la chaleur qu'ils ont accumulée à l'Equateur et en la libérant progressivement à l'atmosphère. C'est pour ça qu'on jouit de climats océaniques qui sont assez confortables en Europe de l'Ouest en particulier et lorsque ces masses d'eau arrivent dans ces régions subpolaires, elles atteignent un niveau de densité tel qu'elles plongent et elles reviennent sur le fond de l'océan vers l'Equateur. C'est cette boucle de circulation que l'on appelle la circulation thermohaline parce qu'elle est gérée par les variations de température et de salinité qui agissent sur la densité. Un tout petit point de physique de base pour qu'on comprenne après les schémas compliqués, premièrement, c'est que quand l'eau de mer se refroidit, elle se densifie toujours, contrairement à l'eau douce qui après avoir passé 4 degrés devient plus légère. Il y a une anomalie avec l'eau douce, c'est pour ça que les lacs se comportent de façon très différente de l'océan. Un lac qui gèle, l'élément fluide qui est dans le lac, avant de se prendre en gel est dans un état de stabilité remarquable et l'océan, c'est exactement le contraire. Il est dans un état convectif perpétuel. C'est-à-dire que les masses fluides qui atteignent la surface, en se densifiant, elles ont naturellement tendance à replonger immédiatement. Ce qui fait que d'une certaine manière dans l'Arctique, selon les conditions que l'on rencontre dans la couche de mélange, avant de geler, quand on est proche du point de congélation, la masse fluide a deux options. Ou elle va se faire prendre par le gel et elle est bloquée parce qu'il y a un changement de phase et la flottabilité aidant, elle va être figée en surface, ou le petit sursaut de densité l'entraîne en profondeur et lui évite la prise en glace.

C'est comme ça qu'on explique la glace de frasil qui est quelque chose qui a été découvert par les premiers explorateurs comme Nansen et autres dans l'Arctique comme dans l'Antarctique. Cette glace de frasil vient du fait qu'il y a cette convection perpétuelle. On trouve des masses d'eau super refroidies à quelques dizaines, vingtaines de mètres de profondeur qui, logiquement, auraient dû se faire prendre en glace, mais qui ont échappé au gel par le processus que j'ai décrit tout à l'heure. Sauf que si à cette profondeur, il y a un changement de pression qui peut être uniquement lié à un passage d'une dépression météorologique au-dessus de cette zone où se trouve de l'eau super refroidie, le saut de pression, la détente adiabatique va provoquer le changement de phase. A ce moment-là, vous allez avoir une formation de glace de frasil, c'est-à-dire que la glace va monter quand il y a changement de phase et que l'eau liquide devient solide. C'est comme une balle de ping-pong, elle remonte vers la surface et vous pouvez la voir remonter. C'est ce que les explorateurs, il y a cent ans, ont observé dans l'Antarctique et dans l'Arctique. On avait sous-estimé cet effet dans l'Arctique et on l'a découvert pendant les années polaires internationales (un développement massif de glace de frasil). Ça, c'est important. C'est un cas typique de processus qui sont négligés actuellement, mal pris en compte dans les modèles et qui explique d'une certaine manière qu'on rencontre des problèmes pour modéliser correctement la formation de la glace.

Pour revenir sur le schéma, on a ici des cellules de convection dans l'hémisphère Nord comme dans l'hémisphère sud, surtout dans le secteur Atlantique, dans la mer de Weddell, dans les mers de Labrador, Groenland et Islande qui expliquent ce retour des eaux refroidies, densifiées, oxygénées. C'est tout un système très important pour gérer tous les écosystèmes marins et ils contribuent aussi à ce chauffage central qui est dominant dans le système climat terrestre. Dans l'Antarctique, ça a été dit aussi ce matin, mais j'insiste sur ce point, on a observé pendant l'année polaire internationale effectivement une fonte. Alors, le fait que dans l'Antarctique, la glace de mer comme je l'ai dit avant disparaît complètement en été n'est plus un élément d'appréciation du changement climatique comme ça l'est dans l'Arctique. Par contre, dans l'Antarctique, ce qu'on voit, c'est jusqu'où ce changement climatique, ce réchauffement peuvent affecter la glace qui s'est accumulée sur les continents, qui est une glace complètement différente de la glace de mer. C'est ce qu'indique ce schéma, c'est une étude conduite par Eric Rignot qui est un chercheur qui travaille en Californie où on voit des bilans de masse négatifs sur la péninsule antarctique et aussi dans tout le secteur de l'Antarctique de l'Ouest en Mer de Bellingshausen et Mer d'Amundsen. On voit les effets du réchauffement climatique de manière très appréciable. Je peux aussi vous rapporter des éléments qui ont été communiqués lors d'une Gordon Conference à Lucca en Italie, il y a moins d'un mois par une chercheuse américaine qui a étudié de manière très précise le démarrage de la période de fonte et le retour de la période gel au cours des vingt et trente dernières années où on voit des états de réchauffement qui sont aussi marqués qu'en Arctique dans toute cette région de l'Antarctique. Ça, c'est aussi un apport récent de l'année polaire internationale.

Avant de revenir sur l'Arctique aussi, je voudrais indiquer les impacts sur les écosystèmes marins. On note dans certains endroits de l'Arctique des niveaux de pression partielle de gaz carbonique qui sont très bas, qui impliquent des flux de gaz carbonique de l'atmosphère vers l'océan avec une acidification des océans puisqu'il y a une formation d'acide carbonique par la même occasion. Je peux me permettre de signaler à ce niveau un projet franco-canadien qui s'étend aussi aux USA. C'est le projet Malina dont m'a fait part Marcel Babin puisqu'il est le promoteur de ce projet qui va avoir lieu sur l'Amundsen cet été. On n'est plus dans l'année polaire, mais la gestation du projet a bien profité aussi de cet élan, de cette impulsion donnée par l'année polaire internationale. Ça me permet de faire deux remarques. La première, c'est qu'il est encore un peu tôt pour faire un bilan de l'année polaire internationale. On peut donner des indications, je vais vous en donner d'autres, sur ce qu'on va retrouver dans les rapports finaux, mais on est encore un peu tôt pour faire un bilan exhaustif, complet et précis. Il va y avoir cette année en novembre un symposium à Bruxelles, un mois précisément avant la réunion du COP-15 à Copenhague avec l'idée de transmettre des messages clairs sur un certain nombre de résultats. J'en ai évoqué certains et je vais continuer à vous en présenter d'autres. Il y a ce symposium qui aura lieu 10, 11 et 12 novembre dans un cadre très international pour réellement commencer à tirer des bilans complets et précis. Il y a une autre réunion dont j'ai eu connaissance, il y a deux jours, qui est organisée aux Etats-Unis. Ça sera vers la mi-mars par le Group Search qui s'occupe des études de changements climatiques en Arctique. Et puis, la réunion dont on a entendu parler hier qui aura lieu à Oslo au mois de juin de l'année prochaine qui sera réellement la réunion scientifique de clôture de l'année polaire internationale en termes de bilan. Un peu de patience pour les résultats complets. L'autre remarque que je voulais faire, c'est la suite. Ça a été dit aussi ce matin et hier, c'est qu'on se trouve dans une année polaire internationale fortement marquée par le changement climatique et vous comprenez bien qu'on ne va pas attendre 25 ou 50 ans pour reprendre le sujet. Il va falloir trouver un mode d'organisation. On a parlé de systèmes d'observations pérennes hier. On va continuer à en discuter pour essayer de prolonger l'effort dans un contexte peut-être un peu différent de ce qu'on a fait dans l'année polaire internationale, mais on ne va pas pouvoir s'arrêter et attendre 25 ans pour savoir ce qui se passe.

Au sujet de Malina d'ailleurs, ça me permet de dire qu'il y a des projets qui sont très similaires. Je signale le projet Rusalca, russo-américain qui va avoir lieu cet été en même temps que Malina et un autre projet ATP (Arctic Tipping Points) qui est financé par l'Union Européenne plutôt dans le secteur européen de l'Arctique. Ces trois projets, on voit déjà la mise en réseau de programmes et une internationalisation des efforts dans l'Arctique et dans l'Antarctique. Ce sont des éléments très importants.

Pour revenir sur l'Arctique en termes de bilan, où est-ce qu'on en est ? 2007 et 2008, effectivement, il y a eu des événements importants, je ne vais pas dire catastrophiques, mais très importants dans l'Arctique. On en a parlé à plusieurs reprises. Ce qui est très étonnant, c'est que quand vous regardez la littérature ne serait-ce qu'au cours des dix dernières années, tous les ans, en septembre, au moment où la banquise arctique a reculé au maximum, vous pouvez trouver des commentaires et des publications associées à ce type de commentaire. Des événements sans précédent au cours des vingt-quatre dernières années observées par les satellites. Tous les ans, vous avez lu ça. 2007-2008, c'était encore plus fort qu'avant. Tout ça pour dire que 2007-2008, ce ne sont pas vraiment des accidents, c'est dans la continuité des choses avec le problème de la variabilité interannuelle qui est très forte dont j'ai parlé tout à l'heure. 2007 et 2008 sont assez différents. Ça, c'était le rythme auquel on était habitué avant. J'ai parlé de l'oscillation entre 14 millions de kilomètres carrés et 7 à 8, soit la moitié qui résiste à la fonte d'été. 2007 et 2008, c'est réellement beaucoup plus fort que ça. Mi-mai 2009, on voit qu'on est situé entre la moyenne des années 80-2000 et puis on est sensiblement au-dessus du minimum de 2007. Qu'en sera-t-il au mois de septembre 2009 ?

Pour l'extension de la glace. Il y a quatre paramètres très importants à retenir, aucun n'est indépendant de l'autre. Je vais parler de la vitesse à laquelle se déplace la glace qui a fortement accéléré. Sur ce graphique, on représente la dérive d'une plate-forme - c'était le bateau Tara - entre septembre 2006. Il avait été mis dans la glace pas très loin d'où avait été mis le Fram en 1894 avec Fridtjof Nansen et en un an, en septembre 2007, le navire Tara était arrivé là où le Fram avait mis deux ans. Un certain nombre d'autres bouées plates-formes que l'on avait déployées sur la glace avaient fait la même chose. Vous comparez avec le Fram qui lui a mis trois ans pour faire la même trajectoire. Après la dérive de Tara, c'est la station dérivante russe NP35 qui a été mise en place ici parce qu'on ne trouvait pas d'autres morceaux de glace pour installer le camp en 2007 au moment de ce recul considérable de la banquise. Elle a dérivé en dix mois pour aller de ce point à ce point-ci. Si on élimine la première année de dérive du Fram, vous pouvez comparer deux ans à dix mois. Il y a une accélération pratiquement du simple au double des vitesses de déplacement de cette banquise. Il faut dire que comme on va le voir sur le paramètre suivant, l'épaisseur ayant diminué, cette glace est devenue plus mobile. Il y a des travaux d'ailleurs qui sont en cours de publication par les chercheurs du LGGE sur ce sujet. Cela a pas mal dérangé tout le planning, le schéma, le dispositif expérimental des projets arctiques qui se sont déroulés dans le cadre de l'année polaire internationale comme révélés sur ce graphique. Vous avez ici une simulation de dix-neuf plates-formes. C'est un modèle. C'est une simulation qui indique qu'au bout d'un an, toutes ces plates-formes qui apparaissent avec des cercles ici au début de la dérive arrivent sur les croix un an plus tard. C'était lié à ce que l'on savait de la dérive des glaces dans l'Arctique. Au lieu de cela, le bateau Tara par exemple au lieu d'être ici en septembre 2007 s'est retrouvé là à une distance deux à trois fois plus éloignée de son point de départ.

Maintenant, un autre paramètre important qui est couplé aux deux précédents, c'est l'épaisseur de la glace. Ça, c'est quelque chose que l'on savait avant l'année polaire internationale puisqu'il y avait eu des patrouilles de sous-marins nucléaires américains pendant le milieu des années 90 équipés avec des sonars sondant la glace par en dessous. On voit effectivement entre la période 58-76 en bleu et ces sondages par sonars à visée verticale en 93-97, un changement assez radical, presque du simple au double. Entre des épaisseurs de glace de 3 mètres ou plus et maintenant, on en est réduit à peu près à la moitié. Là, c'est peut-être le plus important des quatre paramètres sur lequel je voulais attirer votre attention, c'est l'âge de la glace, sans entrer dans trop de détails entre la glace de l'année et puis les glaces qui ont résisté à une fonte d'été. Ces glaces de mer quand elles subissent la fonte d'été, leur structure change complètement. On voit ça très bien avec des diffusiomètres, ce que l'on appelle des scatterometers en anglais qui sont sensibles à la rugosité de la glace, à son contenu en sel, à un certain nombre d'éléments de microscopie du cristal de glace. On voit très bien sur le signal de rétrodiffusion si on a affaire à une glace jeune ou à une glace plus ancienne au moins de deux ans et c'est ce que cette carte indique. Vous voyez, entre 2007 et 2008, il y a pratiquement moitié moins de glaces pérennes, de glaces qui ont résisté à au moins une fonte d'été. Par contre, en 2008, ce qu'on n'a pas eu en 2007, on récupère beaucoup de glace de l'année qui va devenir une glace de seconde année puisque cette glace - on est en septembre - ne va pas fondre.

Ici, c'est toujours sur le même sujet. On était en 2002. Vous voyez l'étendue des glaces pérennes, des glaces pluriannuelles par rapport aux glaces jeunes qui sont en bleu. Sur ce graphique, il faut que je passe un petit peu de temps là-dessus parce qu'on est au coeur du problème. Après, on va arriver aux conclusions rapides. Ici, vous avez sur les croix bleues, le rythme, l'évolution dans le temps de cette glace pluriannuelle qui est située ici en couleur orangée. L'échelle ici, ce sont quelques millions de kilomètres carrés sur une dizaine d'années d'observation avec le satellite européen ERS 1 et ERS 2. Vous avez l'évolution. C'est un peu comme un électrocardiogramme. C'est la fuite des glaces pérennes qui s'écoulent, qui sortent de l'Arctique par le détroit de Fram et on voit cette perte en millions de kilomètres carrés chaque hiver. Au moment de l'été, vous sautez ici de la fin de l'été au début de l'automne, là où la période de gel recommence et ce saut (flèche noire) indique la quantité de glaces de l'année qui ont résisté à la fonte d'été, qui deviennent des glaces de seconde année et qui viennent renflouer et compenser la perte en glaces pérennes de l'année. Au cours des années 90, vous voyez qu'il y a des fluctuations surtout en 96-97, mais on est dans une situation à peu près stable. Ça, c'est un travail que j'avais fait avec les gens du groupe d'océanographie spatiale à Brest, avec Cavanie et Ezraty et la décennie suivante, ce travail a été continué avec un autre satellite, c'est QuikSCAT, par Ron Kwok qui travaille en Californie au JPL et on voit effectivement les battements ici sur les croix bleues qui deviennent beaucoup plus faibles. Est-ce que c'est parce qu'on a changé de satellite ? Peut-être un peu, mais ça n'explique pas tout.

Mais le point le plus important, vous voyez qu'en 2005 - en anglais, ils disent replenishment - le renflouement par la glace de première année qui a résisté à la fonte d'été pour compenser la perte en glaces pluriannuelles. C'est comme un infarctus si on prend ça comme un électrocardiogramme. Ça, c'est un prémices de ce qui s'est passé après en 2006, 2007 et 2008. Si vous n'avez pas de renflouement pour compenser la perte en glaces pluriannuelles par la glace de première année qui va résister à la fonte d'été, cette glace pérenne va s'affaiblir et c'est ce qui s'est passé en 2007. Alors, pour faire en sorte que les modèles marchent bien et qu'on suive l'évolution du système correctement, j'indique un peu comment on va faire pour obtenir ces observations qui nous manquent. Au sujet des processus, j'en ai décrit un au niveau de la glace de frasil. Il y en a d'autres. En été, par exemple, la formation des flaques de fonte à la surface de la glace. Des processus qui sont essentiels si on veut effectivement que la modélisation se rapproche de la réalité. Voilà comment les observations sont conduites quand on dispose d'une station dérivante sur la glace comme la station russe NP35 ou un bateau comme Tara. Ce sont des occasions exceptionnelles que l'on ne peut pas reproduire sur beaucoup d'endroits de l'Arctique. Vous voyez, si on est capable de restituer un profil de températures dans l'atmosphère à travers la glace et dans l'océan, c'est un élément extrêmement puissant ensuite pour comprendre ce qui se passe au niveau de la glace. Là, sur ce profil qui est au mois de juillet 2007, Tara est dans la région du pôle. Vous voyez des masses d'air atmosphériques qui sont à plus de 10 degrés dans la troposphère. Vous voyez aussi des masses d'eau atlantiques qui sont un peu moins chaudes, mais il y a beaucoup de calories là-dedans, c'est de l'eau à + 2 degrés. Vous voyez que la seule chose qui maintient la glace, c'est cette couche d'eau sous-jacente qui fait à peine 100 mètres d'épaisseur qui résulte des processus hivernaux, qui reste au point de congélation et c'est le seul élément qui permet à la glace de ne pas fondre.

On se préoccupe beaucoup de savoir d'où vient cet air chaud ou cette eau chaude. Il y a d'autres éléments aussi. Il y a le bilan radiatif. On n'oublie pas le Soleil dans toute cette problématique. On se préoccupe de l'advection de chaleur ou des processus de transfert de chaleur de l'air à l'eau à l'interface vers la glace, mais on regarde aussi ce qui vient du Soleil - tout part de là - pour mesurer l'albédo. On a des radiomètres. Ce sont des instruments qu'on n'a pas réussi encore à bien robotiser et à maintenir en état de fonctionnement sans présence humaine. Quand on dispose de stations dérivantes, ce sont des informations qui sont capitales. L'albédo, sans entrer dans trop de détails, ce n'est pas uniquement le pouvoir de réflexion de la glace qui d'ailleurs est recouverte de neige. Il faut déjà savoir l'état de la neige, mais c'est aussi aux traversées de l'atmosphère qu'il faut connaître, tout ce qui se passe, les aérosols, la pollution atmosphérique. Il y a des projets qui s'attachent à surveiller tout ça. Il y a Polarcat en particulier. L'effet des nuages aussi sur ce bilan radiatif est essentiel pour savoir ce qui passe à travers l'atmosphère et ce qui est renvoyé dans l'espace. Quand on dispose de plates-formes dérivantes, on peut accéder à ces informations capitales. Il y a aussi ces sondes dans l'océan qui mesurent non seulement la température, mais la salinité et qui révèlerait aussi la présence de l' halocline , qui est beaucoup plus proche de la glace et qui est une autre barrière qui permet à la glace de résister à la fonte d'été. Au niveau de la robotisation parce qu'on ne peut pas être en station dérivante tout le temps, il y a eu un effort énorme qui a été fait pendant cette année polaire internationale pour développer ces systèmes qui peuvent capter ces informations de manière automatique avec des flotteurs sous-marins équipés de sonars à visée verticale pour mesurer l'épaisseur de la glace par en dessous, un peu comme un sous-marin. Les profileurs qui permettent ici de révéler les variations de température et de salinité de la surface jusqu'à une certaine profondeur et puis ensuite, des planeurs sous-marins qui commencent à faire beaucoup de travail dans l'océan libre de glace. Mais là, on les a adaptés à travailler sous la glace sans moyens de communication directe avec les satellites. Le satellite reste bien entendu aussi un élément essentiel dans tous ces dispositifs.

Sans entrer dans trop de détails, il y a cette robotisation-là qui nous permet de capter l'information de façon lagrangienne. Tout ça, se déplace avec la glace et il y a aussi des dispositifs à la périphérie de l'Arctique dans les passages comme le détroit de Fram ou à la périphérie de l'Arctique où on dispose d'engins qui sont mouillés sur le fond de l'océan et qui font les mêmes mesures. Là, la seule difficulté avec ces systèmes mouillés sur le fond, c'est qu'en général, il n'y a pas de relais en surface. L'information est retardée, ce qui est un problème quand on a besoin de faire des acquisitions en temps quasi réel pour suivre l'évolution d'un système aussi compliqué. Il faut des satellites, il faut des plates-formes dérivantes, il faut des instruments robotisés comme j'en ai présenté certains et puis il faut aussi les brise-glace. Ici, vous avez une armada de brise-glace, c'est assez remarquable. Ça caractérise bien l'impulsion, le stimulus qui a été donné pendant l'année polaire. Il y avait un lien commun à tous ces bateaux et là, je vais venir sur l'aspect international. C'était le projet européen Damoclès financé par l'Union Européenne dans le cadre du 6 ème programme-cadre de recherche et développement avec tous ces pays coordonnés par la France et qui ont réussi à développer des relations très officielles avec les USA, le projet Search. On a établi une action spécifique Search pour Damoclès pour développer des actions tout aussi bien avec la Russie, qu'avec la Chine pour participer à leur mission CHINARE 2008 sur le Xue Long. Nous coopérons avec le Canada et le réseau ArcticNet et le Polar Shelf Project et puis le Japon. Cette coopération internationale est à la base aussi de l'interaction qui a pu se développer à travers toutes ces actions ponctuelles. Mais en tissant le lien autour de tous ces opérateurs, on arrive à boucler la boucle, à faire face au défi majeur que pose ce genre d'investigation. Ce n'est pas facile de pouvoir être présent dans les endroits très critiques de l'Arctique.

Je vais conclure là-dessus. Le transparent de conclusion est resté à Oslo dans le calculateur qui est parti. Mais je vais revenir sur ces aspects de coopération internationale qui me paraissent essentiels. En fait, ceci était pour l'illustrer. Ce qu'on peut dire sur le système climatique en Arctique, le régime est sans aucun doute désormais dans une phase de transition où il semble qu'on va assister à un Arctique qui va se comporter au niveau de la banquise comme l'Antarctique, c'est-à-dire que la glace de mer va avoir tendance à disparaître de plus en plus à la fin de la période d'été. Elle ne va pas disparaître en hiver, elle se reformera, mais ça va introduire un changement capital dans le bilan radiatif du système Terre qui va déclencher un certain nombre d'autres impacts. J'en ai décrit certains, mais on en a parlé aussi, je ne vais pas revenir dessus, avec la glace sur le Groenland, la glace de la péninsule antarctique et tout ce qui se passe sur l'Antarctique de l'Ouest. Le pergélisol aussi dans l'hémisphère Nord sur toute la Sibérie qui est très exposée à ces effets de réchauffement. Je vous signale un papier de Lawrence et d'autres auteurs qui signalent que l'avancée du front polaire contribue à faire fondre une grande partie du pergélisol sibérien. Il est aussi très vraisemblablement lié à ces reculs de banquise en été. Les anomalies thermiques qu'on observe dans le courant de l'automne, qui sont à leur maximum, sont de l'ordre de +7 à 8 degrés au-dessus des moyennes saisonnières et c'est cet effet-là qui semble se répercuter sur la partie terrestre de l'Arctique avec les implications sur le pergélisol.

Je crois que je vais m'en tenir là et vous remercier de votre attention.

Pr Édouard BARD

Merci Jean-Claude pour cet exposé détaillé et fouillé sur les interactions entre l'océan, la glace de mer et le climat. Nous allons passer à la prochaine intervenante qui est Frédérique Rémy, Directrice de recherche au CNRS travaillant au Laboratoire d'Etudes en Géophysique et Océanographie Spatiale de Toulouse.

F. DR FRÉDÉRIQUE RÉMY, DIRECTRICE DE RECHERCHE AU CNRS (LEGOS TOULOUSE)

J'ai préparé l'exposé avec Etienne Berthier, un jeune collègue, et avec la participation de différents collègues du LGGE et du LEGOS. J'axerai essentiellement sur l'état de santé des calottes polaires en termes de niveau de la mer. Juste en deux mots, le volume des calottes polaires est lié à l'équilibre entre la quantité de neige qui tombe chaque année et la quantité de glace qui est évacuée chaque année, la différence contrôlant le volume. Si on veut mesurer l'état de santé soit le bilan de masse des calottes polaires, on mesure soit les taux d'accumulation et leur variation ainsi que les vitesses à la côte et leur variation soit globalement, le volume total et ses variations. J'ai illustré dans le cadre de l'année polaire internationale les travaux qui ont été faits là-dessus.

D'abord, pour mesurer le taux moyen d'accumulation, le moyen le plus efficace est de faire des raids scientifiques comme ceux-ci et puis de faire des minis carottages pour mesurer la quantité de neige récente. Ce qu'on voit ici, c'est que là où il y a des petits points, c'est là où il y a une mesure in situ de taux d'accumulation et ce qu'on voit, c'est qu'il y a des endroits où il y a 1 point pour plus de 6 000 kilomètres carrés. Manifestement, cela ne suffit pas et dans le cadre de l'année polaire, il y a eu un effort de coopération avec les Italiens, les Français, les Russes. Le coordinateur français, est Michel Fily .Il s'agit de faire toute une série d'autres mesures in situ un petit peu partout. Mais on voit que ça bouche certains trous, mais qu'il en reste encore beaucoup et qu'un autre moyen, est de passer par les modèles. Là aussi, les modèles ont besoin de mesures pour être testés ou pour être contraints. Là, j'illustre ceci par CONCORDIASI qui est un projet sous la responsabilité de Christophe Genthon au LGGE. L'idée est d'améliorer les mesures de prévision et de climat à partir de la détection et des mesures de terrain. On a toute une armada de diverses observations. A gauche, vous avez le spatial avec des nouveaux capteurs, des nouveaux sondeurs comme IASI. A droite, vous avez des ballons à une hauteur intermédiaire qui sont remplis d'instruments de mesure. Ici, enfin, au sol, à 40 mètres de haut, une tour instrumentée avec un tas d'instruments. On peut ainsi mesurer dans la colonne d'air toute une série de paramètres et les comparer avec les modèles. Sans rentrer dans les détails, vous avez à gauche le modèle européen (le CMWF), à droite, les observations du vent à différents horaires et ce qu'on voit, c'est qu'il y a encore beaucoup de travail à faire pour améliorer les modélisations. Ce sont eux qui le disent, ce n'est pas moi. On peut également mesurer les vitesses d'écoulement de la glace et puis leur variation.

A gauche, vous avez une vitesse de bilan de l'Antarctique qui est obtenue à partir d'un petit modèle contraint avec des données satellites. L'échelle étant logarithmique, faites attention, les zones jaunes s'évacuent cent fois plus vite que les zones bleu marine, voire noires. Ce que l'on voit, c'est que 90 % de la glace est évacuée par quelques glaciers à la côte. Ce qui est clair, c'est que ce sont eux qu'il faut surveiller, ce sont ces systèmes glaciaires comme on en voit un ici en regardant pour un grand glacier comment il fonctionne et est-ce qu'il est stable ou pas stable ? Là, il y a eu le projet DACOTA centralisé par Emmanuel Le Meur du LGGE. On prend le glacier de l'Astrolabe, où est arrivé Dumont d'Urville en 1840. On fait des mesures radars aéroportées afin d'avoir bien le socle rocheux qui pénètre à l'intérieur de la glace. Il y a des mesures de radars à moins basse fréquence qui vont permettre de mesurer la stratification de la neige, soit les taux d'accumulation. Des mesures de GPS de marées de manière à avoir l'influence de la marée sur la langue du glacier et des mesures GPS terrain de manière à mesurer les vitesses d'écoulement. Le tout est injecté dans les modèles. Ce gros projet est en cours de traitement.

Il y a également les observations directes de la topographie qui a pas mal d'avantages. On fait une observation de la topographie et après, répétée dans le temps. Ce qu'on voit, c'est que la topographie est une information capitale. On voit ici le lac de Vostok qui produit une très jolie signature. On voit un tas de réseaux hydrologiques sous-glaciaires et en plus, cela donne une contrainte très forte pour la modélisation. Ça sert de tests aux modèles et de conditions limites. Voici des travaux récents à partir de deux satellites, ERS qui a volé de 1995 à 2003 et ici, ENVISAT de 2002 à 2007.On a cartographié en mètres par an la variation de volume des satellites. Ce que l'on voit, c'est que pendant la période ERS à gauche, ça gonflait un peu, à droite, ça diminuait. Pendant la période suivante, c'est complètement l'inverse. On voit une très grande variabilité due à la variabilité des taux d'accumulation. En revanche, dans ce secteur-là, c'est un petit peu plus homogène avec moins de variations. Mais, ce que l'on voit par exemple, c'est qu'ici, il ne se passait pas grand-chose et là, d'un coup, il y a un glacier qui a freiné et qui a fait une petite bosse à son amont parce qu'il a complètement freiné. On parle beaucoup des glaciers qui se mettent à accélérer, on parle assez peu des petits glaciers qui se mettent à freiner. Mais il y en a, il y en a un là en tout cas et si on fait un zoom évidemment sur le secteur de Pine Island Glacier, ici, on voit des pertes dues à une augmentation de la vitesse, c'est clair, qui sont à peu près identiques en fonction des différentes périodes de mesures.

Pour finir avec la topographie et ces mesures-là, on peut faire le même genre de mesure avec des satellites de gravimétrie. Les satellites de gravimétrie vont nous mesurer les variations de masse alors que l'altimétrie, on mesure des variations de volume, la différence entre les deux étant liée entre autres à la densité de ce qu'on gagne ou de ce qu'on perd. Là, c'est assez intéressant. A gauche, c'est la gravimétrie, soit la perte de masse et à droite, c'est par altimétrie, soit la perte de volume. Évidemment, exactement pendant la même période et on s'aperçoit qu'on a une correspondance assez extraordinaire entre les deux types de capteurs. C'est que l'on commence à bien mesurer et à avoir des erreurs qui diminuent. Le problème de l'altimètre, est que l'on n'a pas de mesures ni sur le talus continental ni sur les petits glaciers. Comme ici par exemple sur les Kerguelen, on ne pourrait pas mesurer avec l'altimétrie satellite la topographie des Kerguelen. On a besoin d'autres méthodes. Les autres méthodes, c'est l'imagerie optique. Ici, on a des cartes IGN qui montrent la calotte polaire des Kerguelen, non loin de l'Antarctique, en 1963, en 2001 jusqu'à nos jours. On peut déjà facilement avec ce genre de capteur regarder la variation de l'étendue et on voit ici la calotte COOK aux Kerguelen qui se réduit, et qui a perdu une cinquantaine de kilomètres carrés en quelques décennies et là, qui en une décennie vient de perdre 45 kilomètres carrés. On a une réduction de cette calotte de pratiquement 20 % de sa surface initiale. Ce genre de capteur, vous allez comprendre pourquoi, je vous en parle avec autant d'insistance, permet également avec deux prises de vue séparées de quelque temps par stéréographie de reconstituer la topographie en trois dimensions. Ici, c'est la topographie en trois dimensions à partir d'un capteur SPOT qui est assez intéressante parce qu'on a repris l'image IGN et on s'est aperçu que sur l'image IGN, on voyait bien la marque de cette montagne qui dépassait et que la marque était à cet endroit-là. On a un moyen assez extraordinaire de mesurer les pertes d'épaisseur et on voit que c'est entre 130 mètres et 265 mètres d'épaisseur perdue en 40 ans sur cette calotte des Kerguelen. Cette diapo, c'était surtout pour vous illustrer la puissance de la stéréographie offerte avec ce genre de capteur.

Là, j'aimerais insister sur ce projet pour finir parce que c'est vraiment à mon avis le projet qui n'aurait pas pu avoir lieu sans les années polaires internationales. C'est le projet GIIPSY (Global Inter-agency). Le snapshot , ça veut dire instantané. Vraiment, ce projet est très ambitieux, il s'agit de faire un instantané des zones polaires avec tous les capteurs possibles et imaginaires et ce qui est assez extraordinaire, c'est que toutes les agences spatiales internationales ont joué le jeu et ont offert gratuitement à la communauté scientifique ces projets. C'est d'autant plus symbolique, d'autant plus beau que le premier satellite Spoutnik a été envoyé en octobre 1957 dans le cadre de la dernière année polaire internationale. La contribution française, le projet SPIRIT, consiste à utiliser les données HRS du capteur SPOT. C'est un capteur qui justement permet de faire de la topographie à trois dimensions et le responsable de cette composante, c'est Etienne Berthier du LEGOS. Voici une image vue par ce capteur. Ce capteur, en fait, a deux appareils photo et il mesure deux fois, la même scène à quelques secondes d'intervalle. Ce qui veut dire qu'on n'a pas de changements entre les deux scènes et qu'on peut vraiment faire pratiquement comme avec les yeux, soit reconstituer à trois dimensions ce qu'on voit au sol. Ici, c'est la calotte polaire de Devon dans l'hémisphère Nord. On voit bien la zone d'accumulation ici bien blanche, ici une zone de fonte et pour vous montrer la subtilité de ce genre de capteur, j'adore cette photo, c'est vraiment un zoom sur la zone de fonte et où on voit la fonte en surface qui ruisselle. Ce projet SPIRIT est de construire une large archive d'images de l'ensemble des zones polaires et de distribuer après à la communauté scientifique les topographies de toutes les zones non accessibles par l'altimétrie. Voici toutes les zones couvertes, c'est-à-dire l'ensemble du talus continental antarctique et l'ensemble des calottes polaires et du talus continental au Groenland pour l'hémisphère Nord.

Ici, je vais illustrer pour vous montrer le résultat de l'observation sur le glacier du Jakobshavn. Pour ceux qui ont remarqué la présence discrète de la télé hier, c'était Envoyé Spécial pour ce glacier. En plus, le glacier va passer à Envoyé Spécial. Là, c'est pour vous montrer que ça marche relativement bien et que quand on compare avec d'autres mesures de hauteur, ça marche excessivement bien. C'est le glacier le plus rapide du monde. On arrive également avec ce genre de technique à mesurer les vitesses. Vous savez qu'il a multiplié sa vitesse par deux ces dix dernières années. Là, on voit qu'il fait du 15 kilomètres par an, c'est-à-dire 2 mètres par heure. C'est un glacier assez prodigieux. Vous savez qu'il recule. On sait qu'il recule parce qu'il y a eu un réchauffement de l'océan localement. Là, on a eu la chance d'acquérir deux images à deux semaines d'intervalle et de voir très nettement un recul du front ici de vêlage associé à une vidange d'un axe glaciaire qui était en amont. Ce travail d'Etienne Berthier, met en évidence le rôle des vidanges glaciaire qui lubrifient le sol et qui sont associées à un recul du front. A plus long terme, on arrive également à comparer des variations d'épaisseur du glacier avec ce genre de capteur et on voit des pertes en 4 ans ici de 50 mètres à peu près d'épaisseur perdue par an.

En guise de conclusion, je n'ai pas vraiment de conclusion. Ce que je vous ai montré, c'est qu'il y a eu un effort de coopération et de coordination dans le cadre de l'année polaire. Il y a eu de nombreuses actions concertées où différents pays se sont mis sur des projets et également, ça a fait sauter des verrous. Ce que j'ai oublié de vous dire tout à l'heure, c'est que ce capteur que le CNES offre maintenant à la communauté scientifique pour observer les zones polaires est un capteur difficilement accessible aux scientifiques. Ça a fait vraiment sauter un verrou très important. On n'aurait pas eu accès à ce genre d'images s'il n'y avait pas eu l'année polaire internationale.

Pr Édouard BARD

Merci Frédérique pour cet exposé tout à la fois impressionnant sur les résultats récents et qui souligne la recherche qui doit encore être faite. C'est fabuleux de voir qu'avec les mesures in situ et les mesures satellitales, on arrive à « peser » ces calottes de glace, les différentes techniques permettant de vérifier les tendances. J'aimerais maintenant ouvrir la discussion aux questions des participants de la salle sur les interventions des chercheurs.

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