QUESTIONS - DÉBAT

De la salle

C'est plus une réflexion qu'une question. Tout ce qu'on vient de voir, c'est formidable sur le plan scientifique et sur le plan des compétences. On a établi un diagnostic, mais maintenant, il faut guérir le malade et le malade, c'est le CO 2 . Alors, je donne deux chiffres. Dégagement de CO 2 dans le transport aérien par passager kilomètre : 140 grammes. Dégagement de CO 2 TGV : 2,6 grammes. C'est tout. Je suis à la disposition de tout le monde pour donner des précisions parce que je me spécialise dans ce problème du transport et du CO 2 . Je parle d'un long courrier. L'avion court courrier dégage 260 grammes de CO 2 par passager kilomètre.

De la salle

J'ai été très intéressé par tous ces points et particulièrement, j'avais une question pour le Pr. Thomas Stocker.

Comment expliquez-vous la diminution de la courbe de méthane ces dernières années ? Vous avez montré une courbe de méthane qui avait tendance à diminuer. Vous avez aussi parlé d'un rapport de Lentten et j'ai lu récemment que le point le plus chaud est la glace de mer en zone arctique. Cela va à l'encontre de ce que vous avez présenté, c'est contradictoire.

Pr Thomas STOCKER

Je n'ai pas montré des données plus actuelles concernant le méthane. Il est vrai qu'il s'est stabilisé depuis environ cinq ans, à cause des modifications des émissions, notamment dans les pays d'Europe orientale, je crois. Les points de basculement... C'est un point très brûlant et controversé au niveau de la recherche. Nous ne sommes pas tous d'accord là-dessus. Les scientifiques ne s'accordent pas sur le point de basculement le plus chaud. Certains argumentent que certaines composantes pourraient faire montre d'une réponse linéaire plutôt que d'un point de basculement, de non-retour.

C'est pour cela que j'ai été très prudent quand j'ai présenté les arguments concernant la glace de mer en zone arctique. J'ai dit qu'il y avait une possibilité que l'on soit sur une tendance précoce, telle que dessinée par les simulations par les modèles. Cela ne se terminerait que vers 2030 et cela s'est peut-être déjà produit. Ou bien ce serait une conjugaison des choses - et c'était suggéré dans notre publication - une conjugaison de vents dans la zone arctique qui pourrait ouvrir beaucoup d'espace aussi. Mais Jean-Claude Gascard a soulevé un point très important : il faut regarder la distribution d'âge de la glace. Dans cette recherche-là, un point intéressant est que le volume de la glace pérenne a diminué d'une manière spectaculaire mais d'une manière moins évidente que la superficie globale de glace.

De la salle

Ce serait plutôt une question pour M. Stocker. Vous avez parlé de l'irréversibilité parce qu'au fond, il y a une composante cyclique dans la variation de la température, dans la variation climatique. Il y a une composante cyclique qui apparemment s'allonge d'après ce que j'ai compris. Mais, quand vous parlez d'irréversibilité, est-ce que c'est dû à l'activité humaine dans le changement climatique ? Est-ce que là, on a suffisamment d'évidence puisqu'en fait, l'expérience que l'on a est relativement courte par rapport à l'histoire de la Terre ?

Pr Thomas STOCKER

Il faut définir ce terme d'irréversibilité. Il est clair que l'émission de gaz carbonique libère dans l'atmosphère un gaz qui vit très longtemps. En fait le CO 2 ne connaît pas de puits naturel dans l'atmosphère, sauf des processus géologiques, qui fonctionnent sur des dizaines de milliers d'années. La vie du gaz carbonique est infinie plutôt que finie. Pour chaque tonne de gaz carbonique qu'on émet dans l'atmosphère, pendant des siècles 15 à 20 % vont rester dans cette atmosphère. Le reste sera repris par les océans. C'est le grand puits de carbone. Ce sera aussi absorbé par voie terrestre. Mais les 15 à 20 % qui restent en forçage radiatif actif. Ils modifient le bilan énergétique sur le reste de la terre. D'où la précipitation, d'où la glace de mer, etc. C'est cela qu'on désigne quand on parle d'irréversibilité

D'autres processus en présence sont peut-être irréversibles, par exemple la couverture par la glace grâce à l'albédo. Si on perd de la glace, la terre gravite vers un climat différent. Si on réduit les concentrations de CO 2 par la suite, on ne va pas forcément regagner la glace qu'on a perdue, parce qu'on est arrivé à un nouvel équilibre. Des résultats de recherche montrent aussi des modifications de végétation. Les forêts amazoniennes par exemple. En Amazonie, on est peut-être en train de faire quelque chose d'irréversible, parce que le microclimat local était facilité par la végétation et maintenant on gravite vers une végétation autre. C'est une autre forme d'irréversibilité qui a été évoquée. Mais je crois que la science n'est pas arrivée au moment où on peut dire vraiment que l'irréversibilité est sans équivoque ou sera réalisée pour 2050, par exemple. On ne peut pas. C'est trop tôt, on n'en est pas là.

De la salle

Merci. J'ai vu que cet après-midi, il y avait un sujet sur la biodiversité, mais j'ai une question à poser à l'ensemble des intervenants. Est-ce que vous voyez avec l'année polaire internationale une plus grande collaboration entre les sciences physiques que vous représentez de manière très brillante ce matin et les sciences biologiques ? Nous, en écologie - moi, j'ai plus une formation d'écologue au départ - on a un concept qui s'appelle la résilience qui est aussi la capacité d'un système à garder l'identité et en général, la lithosphère, la cryosphère, l'hydrosphère, la biosphère, tout ça est très interdépendant, interconnecté et s'inter-influence. Est-ce que cette année polaire internationale a permis de développer des approches transdisciplinaires intéressantes qui permettent d'introduire l'aspect biodiversité pour comprendre ce système complexe et son influence sur le climat ? Ça, c'est ma première question. Et la deuxième, finalement, après l'année polaire internationale, est-ce que de cette grande collaboration scientifique, il y a déjà des pistes qui montrent que ça va se poursuivre, qu'on va continuer les efforts concernés entre les nations et favoriser les ponts entre les différents pays malgré les nationalismes comme vous l'avez mentionné ? La Chine par exemple qui semble avoir quelques approches un peu nationalistes de ces thématiques.

Pr Edouard BARD

Je voulais juste faire un commentaire et donner un premier élément de réponse et je donnerai ensuite la parole à Jérôme Chappellaz. Le colloque que nous avons organisé avec Christian Gaudin est l'illustration de cette volonté de mise en contact des communautés. Ce matin, nous parlons de climat, de glaces et d'océans. Cet après-midi, nous aborderons la biodiversité. Çeci illustre justement notre volonté de réunir dans la même pièce des gens préoccupés par les changements de la biodiversité et les changements climatiques, océanographiques et glaciologiques. En France, c'est d'ailleurs une préoccupation permanente de l'Institut Paul-Emile Victor dirigé par Gérard Jugie. C'est au coeur de sa démarche que de marcher sur les deux pieds : environnement physique et biodiversité. Au sujet de la prospective et pour savoir si l'année polaire internationale va véritablement favoriser ces contacts entre communautés, nous écouterons cette après-midi l'avis des spécialistes de la biodiversité : Yvon le Maho, Françoise Gaill, Michael Stoddart, Nigel Yoccoz et Yves Frenot. Je vais laisser la parole à Jérôme Chappellaz pour qu'il nous donne sa vision des choses.

Dr Jérôme CHAPPELLAZ

Ce sera une vision qui sera peut-être un petit peu partielle. Mais sur la première question concernant le lien entre biodiversité et sciences plutôt physiques, je pense qu'effectivement, l'année polaire y a contribué. Je peux témoigner pour un volet qui n'a pas vraiment vu de déroulé scientifique dans le cadre de l'année polaire, mais qui va clairement se développer dans les années qui viennent, ça concerne le devenir des hydrates de méthane. J'étais en février à un workshop international aux Pays-Bas qui regroupait justement pour la première fois aussi bien des gens qui travaillent sur la géophysique de ces hydrates que des microbiologistes qui travaillent sur les émissions de méthane depuis ces hydrates et sa transformation par les bactéries méthanotrophes à l'interface eau-sédiments, re-métabolisant ce méthane et le transformant en CO 2 . Là, il y a un vrai potentiel. C'était la première fois qu'on se parlait au travers d'une couverture disciplinaire extrêmement vaste et je pense qu'effectivement, il va en émerger une vraie collaboration sur un sujet extrêmement chaud.

Sur le deuxième aspect concernant l'apport de l'année polaire à une structuration internationale, je peux parler pour ma communauté, celle des gens qui travaillent sur les carottes de glace : l'apport est évident. On a travaillé beaucoup par des regroupements de nations projet par projet au cours des dernières décennies. Avec l'année polaire internationale, on a mis en place ce qu'on appelle l'International Partnerships in Ice Core Sciences. Ce sont 25 nations qui travaillent sur les carottes de glace. On se réunit une fois par an pour établir nos listes de priorités en discutant également des moyens logistiques, comment on peut y parvenir, etc. On a ainsi produit un livre blanc, une sorte de guide pour 15-20 ans des actions préférentielles que l'on souhaite développer. Clairement, on raisonne « international ».

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