AUDITION DE M. KARL FALKENBERG, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'ENVIRONNEMENT À LA COMMISSION EUROPÉENNE

Réunie le mercredi 6 mai 2009, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a procédé à l'audition de M. Karl Falkenberg, directeur général de l'environnement à la Commission européenne.

M. Jean Arthuis, président , a rappelé que, face à la menace du réchauffement climatique, l'Europe a déjà pris des engagements forts dans le cadre du protocole de Kyoto et mis en place, pour le respecter, en particulier un système d'allocations de quotas d'émission de gaz à effet de serre par pays. Les quotas sont distribués par les Etats aux industriels selon un plan national approuvé par la Commission européenne ; ces quotas, qui peuvent actuellement être alloués gratuitement, peuvent ensuite être échangés à titre onéreux entre industriels, les plus vertueux étant ainsi récompensés financièrement de leurs efforts. L'allocation « primaire » par les Etats doit cependant devenir payante dès 2013, de façon étalée selon l'exposition des différents secteurs à la concurrence internationale. L'Union doit aboutir à un accord avec ses partenaires sur « l'après Kyoto », qui doit être débattu à Copenhague en décembre 2009. En effet, il serait inutile et contre-productif que l'Union européenne prétende agir seule sur un tel dossier. Elle perdrait des emplois sans que le monde émette moins de gaz à effet de serre.

M. Karl Falkenberg, directeur général de l'environnement à la Commission européenne, a déclaré que la Commission européenne s'efforce de proposer des mesures en fonction des données scientifiques. Les objectifs fixés par le protocole de Kyoto sont nettement insuffisants. C'est la raison pour laquelle, en décembre 2008, l'Union européenne a adopté le « paquet climat », qui a notamment pour objet de renforcer la position de l'Union européenne dans la perspective des prochaines négociations de Copenhague. Sa position est déjà forte, si l'on considère qu'elle a réduit ses émissions de dioxyde de carbone de 7 % à 8 % par rapport au niveau de 1990, alors que les Etats-Unis, par exemple, les ont accrues depuis cette date. Le seul pays ayant davantage réduit ses émissions que l'Union européenne est la Russie, mais cela s'explique par les profonds bouleversements économiques qu'elle a connus depuis la disparition de l'URSS. Le fait que les Etats-Unis aient reconnu la réalité du changement climatique au début de l'année 2009 constitue un facteur d'optimisme.

L'Union européenne s'est fixé un « objectif de triple 20 » : il s'agit, d'ici à 2020, de réduire les émissions de dioxyde de carbone de 20 %, d'accroître l'efficacité énergétique de 20 %, et de porter la part des énergies renouvelables dans la production énergétique totale à 20 %. C'est un objectif réaliste, qui peut être atteint même sans accord international. Afin d'éviter d'éventuelles distorsions de concurrence par rapport à des Etats moins ambitieux, il est prévu non d'instaurer une « taxe carbone » à la frontière de l'Union européenne, mais d'accorder gratuitement des droits à polluer aux secteurs exposés à la concurrence internationale. Par ailleurs, certaines entreprises se sont fixé des objectifs plus ambitieux que ceux adoptés au niveau de l'Union européenne, afin de répondre à la demande croissante des consommateurs en produits « verts ». Si la France et d'autres Etats membres n'ont pas encore mis en place un dispositif de vente aux enchères des droits à polluer, il est prévu qu'un tel dispositif soit instauré dans chaque Etat membre de 2013 à 2027. Les droits à polluer sont une façon flexible et efficace de réduire les émissions de dioxyde de carbone. En effet, les entreprises qui ne peuvent pas réduire facilement leurs émissions peuvent acheter des droits à polluer aux autres. Les droits à polluer concerneront seulement 40 % des émissions de dioxyde de carbone de l'Union européenne : les 60 % restants (concernant en particulier les transports, l'agriculture et le bâtiment) seront réduits par le recours à des instruments « classiques » (réglementation, fiscalité...).

M. Jean Arthuis, président , a souligné le rôle essentiel joué par la fiscalité de l'énergie dans la politique de lutte contre le réchauffement climatique.

M. Karl Falkenberg a jugé que les négociations devant prochainement s'ouvrir à Copenhague seront « très difficiles ». L'Union européenne pourrait accepter un objectif de réduction de ses émissions de dioxyde de carbone d'ici à 2020 supérieur à celui de 20 % prévu par le « paquet climat » de décembre 2008, à condition que l'effort de ses partenaires, et en particulier des pays émergents, soit suffisant.

Mme Fabienne Keller, présidente du groupe de travail sur la fiscalité environnementale, s'est interrogée sur le moyen d'éviter un « dumping écologique », sur les perspectives de modification de la directive 2003/96 établissant un cadre communautaire pour la taxation des produits énergétiques et de l'électricité et, plus généralement, sur les adaptations de la législation communautaire envisagées dans le domaine de l'énergie ou de la fiscalité environnementale.

M. Karl Falkenberg a rappelé les raisons pour lesquelles, à son avis, le « paquet climat » de décembre 2008 peut être mis en oeuvre indépendamment de la politique menée par les Etats tiers en matière de lutte contre le réchauffement climatique. L'instauration d'une « taxe carbone » à la frontière présenterait forcément une part d'arbitraire, les produits industriels étant souvent fabriqués dans plusieurs Etats, de sorte qu'une réaction protectionniste des partenaires commerciaux de l'Union européenne serait probable.

M. Jean Arthuis, président , a indiqué que M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, a déclaré le 5 mai 2009 à Nîmes que, « face aux pays qui refuseraient de jouer le jeu de la protection de l'environnement, la France se battra pour l'instauration d'une taxe carbone aux frontières de l'Europe qui permettra à l'Europe de faire face au dumping écologique ».

M. Karl Falkenberg a rappelé que l'instauration d'une telle taxe n'est pas prévue par le « paquet climat » de décembre 2008, conçu pour pouvoir être mis en place de façon autonome. La question pourrait cependant se poser si l'Union européenne s'engageait à Copenhague à réduire ses émissions de plus de 20 % d'ici à 2020.

M. Jean Arthuis, président, s'est inquiété des perspectives de délocalisation de la production de ciment et, plus généralement, de la désindustrialisation de l'Union européenne.

M. Karl Falkenberg a indiqué qu'il est prévu précisément d'accorder gratuitement des droits à polluer au secteur du ciment, et a jugé exagéré de parler de désindustrialisation de l'Union européenne. La Commission européenne souhaite modifier la directive 2003/96 précitée de manière à taxer non seulement la consommation d'énergie, mais aussi l'émission de dioxyde de carbone. Une telle réforme pourrait cependant être difficile, du fait de la règle d'unanimité s'appliquant en ce domaine et des intérêts divergents des Etats membres.

M. Michel Sergent a suggéré que le produit des ventes aux enchères sur le futur marché primaire des droits à polluer soit attribué non aux Etats membres, mais à l'Union européenne.

M. Jean Arthuis, président, s'est demandé si la Commission européenne s'est suffisamment battue à cet égard.

M. Karl Falkenberg a rappelé que l'Union européenne dispose de pouvoirs limités dans le domaine environnemental, en particulier du fait de la règle de l'unanimité. Ainsi, les objectifs de réduction auxquels l'Union européenne s'est engagée à Kyoto sont répartis entre les Etats membres. Il paraît donc logique que le produit des ventes aux enchères soit attribué aux Etats membres. Par ailleurs, ce produit pourrait être très important. Le prix de la tonne de carbone est actuellement de l'ordre de 12 ou 13 euros sur le marché des « droits à polluer », et, bien qu'il ne soit pas possible de donner de chiffres précis, il est probable qu'à court ou moyen terme il soit multiplié par 2 ou 3, ce qui correspondrait à un produit de plusieurs dizaines de milliards d'euros. Il faut enfin prendre en compte le fait qu'il est envisagé de transférer 50 % de ce produit aux pays en développement, afin de les aider à réduire leurs émissions de dioxyde de carbone.

S'inquiétant des risques de spéculation et de distorsion de concurrence, M. Jean Arthuis, président , s'est interrogé sur les modalités d'organisation et de régulation du futur marché primaire des droits à polluer.

M. Karl Falkenberg a indiqué que la répartition des quotas entre Etats membres a déjà été décidée. Ce marché pourrait être ouvert à des pays tiers, comme les Etats-Unis, sous réserve de réciprocité. Les risques de distorsion de concurrence ne doivent pas être surestimés. Ainsi, bien que l'Allemagne ait décidé de mettre 10 % de son quota d'émission sur le marché sous forme de droits à polluer, et que la France n'en ait encore rien fait, les entreprises allemandes n'ont à sa connaissance pas exprimé de crainte d'être victimes de distorsions de concurrence vis-à-vis de la France. La Commission européenne travaille actuellement sur trois sujets : la liste des secteurs soumis à la concurrence internationale, qui doit être adoptée par l'Union européenne d'ici à la fin de l'année 2009 ; la fixation des montants des droits à polluer dont ces secteurs vont disposer gratuitement ; enfin, l'élaboration d'une directive sur l'harmonisation des conditions de vente aux enchères dans l'Union européenne, dans la perspective de l'échéance de 2013. Cette directive comprendra des dispositions tendant à limiter la spéculation et les risques de distorsion de concurrence.

Mme Fabienne Keller, présidente du groupe de travail sur la fiscalité environnementale , a indiqué que certaines personnalités auditionnées par le groupe de travail souhaitent que le futur marché primaire des droits à polluer soit réservé aux sociétés non financières. Il est vrai que les entreprises allemandes ne se plaignent pas d'une distorsion de concurrence vis-à-vis des entreprises françaises, mais l'Allemagne ayant mis seulement 10 % de son quota sur le marché sous la forme de droits à polluer, et la tonne de carbone étant évaluée à seulement 12 ou 13 euros, cela n'a rien d'étonnant.

M. Karl Falkenberg a souligné que les entreprises françaises expriment beaucoup plus d'inquiétudes vis-à-vis du futur marché primaire des droits à polluer que celles des autres Etats membres, et suggéré que cela pourrait provenir de facteurs culturels.

M. Jean Arthuis, président , a jugé que la régulation du futur marché européen doit être assurée par un organisme unique.

M. Karl Falkenberg a considéré que tel sera vraisemblablement le cas. Le contexte économique et politique actuel est favorable à un renforcement de la régulation financière.

M. Jean Arthuis, président , a souligné la récente volte-face de la Commission européenne vis-à-vis de la réglementation des fonds spéculatifs (« hedge funds »).

Mme Fabienne Keller, présidente du groupe de travail sur la fiscalité environnementale , s'est interrogée sur la manière de limiter les distorsions de concurrence vis-à-vis des pays tiers.

M. Karl Falkenberg a réaffirmé sa conviction que l'instauration d'une « taxe carbone » aux frontières de l'Union européenne ne serait pas appropriée, et que le « paquet climat » de décembre 2008 peut être mis en oeuvre indépendamment de la politique menée par les autres Etats.

M. Jean Arthuis, président , s'est interrogé sur la vocation de la fiscalité écologique : s'agit-il pour les Etats de bénéficier de recettes supplémentaires, ou d'infléchir les comportements ? Par ailleurs, le dioxyde de carbone n'est pas le seul gaz à effet de serre : tel est également le cas du méthane, émis notamment par les ruminants.

M. Karl Falkenberg a considéré qu'il s'agit effectivement d'un enjeu important, en particulier pour la Nouvelle-Zélande.

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