B. DES JUSTIFICATIONS ET DES CIRCONSTANCES QUI ONT ÉVOLUÉ

1. L'impact de la deuxième guerre d'Irak

Le 20 mars 2003, l'opération Iraqi Freedom était lancée par une coalition menée par les États-Unis. Si le Président George Bush a pu indiquer que la mission avait été accomplie dès le 1er mai 2003, la destruction des structures politiques, administratives et militaires de l'Irak et la tentative d'y substituer un nouveau régime a très rapidement conduit au développement d'une guerre asymétrique très meurtrière tant pour la population civile que pour les troupes de la coalition.

Le maintien de ces troupes, dont le désengagement a commencé grâce à la signature avec le gouvernement irakien d'un statut des troupes américaines (SOFA) en novembre 2008, a indiscutablement pesé considérablement sur l'intensité de l'effort de la coalition internationale en Afghanistan. La guerre d'Irak a distrait du théâtre afghan les troupes qui auraient été nécessaires à l'éradication du terrorisme et à la sécurisation du terrain. Alors même que la population, soulagée du régime taliban, n'aspirait qu'à la reconstruction et à la paix, l'insuffisance des moyens de sécurité a permis à l'insurrection de regagner progressivement le terrain.

2. L'éradication du danger représenté par le terrorisme international n'a été qu'en partie atteinte.

Bien que les principaux leaders d'Al-Qaïda, en particulier Oussama Ben Laden, n'aient pas été capturés, la force que représentait ce mouvement en 2001, en Afghanistan, a considérablement diminué. C'est à partir de cette constatation que le vice-président américain Joe Biden a préconisé une stratégie de réduction des effectifs appuyée par l'utilisation de moyens technologiques de «containment » et d'éradication d'Al-Qaïda.

Cette organisation demeure néanmoins présente et il est évident que, dans l'hypothèse d'un retour des taliban au pouvoir en Afghanistan, la logique qui avait conduit ceux-ci à offrir refuge et moyens à Al-Qaïda ne manquerait sûrement pas de se reproduire. Par ailleurs, il existe toujours une présence et un flux régulier des combattants « étrangers » en Afghanistan. Ceux-ci fournissent du matériel, de l'expertise et un support idéologique aux principaux groupes insurgés. Enfin et surtout, Al-Qaïda ne représente pas l'ensemble de la mouvance djihadiste extrémiste représentée par d'autres mouvements en Afghanistan et au Pakistan, mouvements qui s'allient et se fondent souvent au sein des groupes taliban.

La guerre contre le terrorisme international garde sa pertinence mais s'est élargie au-delà de la lutte contre Al Qaïda.

3. L'essentiel de l'insurrection provient aujourd'hui de taliban « nationaux ».

Cette insurrection est quasi exclusivement d'origine pachtoune : « tous les taliban sont pachtounes, mais tous les pachtounes ne sont pas taliban ».

Pour simplifier, on peut distinguer entre taliban « afghans » et taliban « pakistanais » bien que ces distinctions restent arbitraires devant l'imbrication de facto de ces organisations dans l'ensemble de la zone pachtoune.

Taliban « afghans »

Taliban « pakistanais »

Al Qaïda

Origine

Fondé à Kandahar en 1994, ils ont donné asile et soutien à Ben Laden. Au pouvoir à Kaboul jusqu'à l'intervention américaine de 2001.

Fondée en 2007 sous le nom de Therik-e-taliban (TTP), ils partagent la même ethnie pachtoune et la même idéologie islamiste radicale que les taliban afghans.

Fondée par Oussama Ben Laden en 1988, elle a recruté parmi les moudjahidines combattant les troupes soviétiques en Afghanistan.

Objectifs

Éliminer les forces étrangères et le gouvernement du président Karzaï afin ré-établir un État islamiste.

Renverser le gouvernement pakistanais.

Djihad international incluant des attaques contre l'Europe et les États-Unis.

et le Hezb-e-islam (HiG) de Hekmatyar Gulbuddin 4 ( * ).

Dirigés par Bettulah Meshud jusqu'à sa mort en août 2009 dans une attaque de drones, ils le sont à présent par Hakimullah Meshud. Après une série d'attaques et d'attentats, ils s'opposent à l'armée pakistanaise au Waziristan.

Bien qu'affaibli par l'élimination d'un certain nombre de ses dirigeants, son leader, Ben Laden est toujours en liberté. D'autres foyers actifs d'Al Qaïda existent au Maghreb, en Somalie ou au Yémen.

Les motivations de l'insurrection sont diverses : religieuses, politiques, tribales, mafieuses etc.

Plus généralement, l'insurrection trouve son origine dans un refus historique de la présence étrangère quelle qu'elle soit, notamment quand elle provient de l'étranger lointain. Les forces de la coalition sont considérées comme les forces d'occupation, des « croisés ». L'anti-américanisme et l'anti-occidentalisme sont des sentiments extrêmement présents dans la population. Ces sentiments sont naturellement exacerbés par les dommages collatéraux causés par les troupes de la coalition.

La démocratie, l'instauration d'un État de droit et même la lutte contre la corruption apparaissent comme des atteintes inacceptables aux fondements de la société islamique. Dans ce contexte, le gouvernement central est considéré comme la marionnette de l'Occident contre lequel il convient de lutter.

Le conflit ne se résume cependant pas à une bipolarité entre le gouvernement et les Taliban, mêmes s'il est évident qu'il y a une claire opposition des projets idéologiques. La structure socio-économique de l'Afghanistan s'articule autour de la compétition pour des ressources rares (eau, terres arables, ressources naturelles) sans qu'il soit fait de distinction entre ce qui est licite et illicite (drogues, armes etc.). Il s'agit typiquement d'une économie de prédation qui explique l'extrême diversité et la mosaïque des « insurgés » qui parfois se résument à un commandant et quelques dizaines d'hommes de main. Comme le souligne l'évaluation du général MacChrystal « il n'y a pas de ligne de séparation claire entre les groupes insurgés, les réseaux criminels (y compris les réseaux de trafic de drogue), et les officiels corrompus du gouvernement ».

Compte tenu de cette analyse, le gouverneur de la province frontière du Nord-Ouest pakistanais (NWFP), M. Owais Ghani, suggère de passer de la « guerre globale contre le terrorisme » à la « guerre contre le terrorisme global (international) ». Cette logique pose directement la « réconciliation » ou la « réintégration » comme l'une des conditions essentielles de la politique de stabilité poursuivie.

4. L'Afghanistan est devenu exportateur de terrorisme et d'extrémisme. Le Pakistan devient l'épicentre de la lutte contre le terrorisme.

La théorie des dominos s'applique parfaitement au contexte AFPAK : la contagion se transmet de l'Afghanistan au Pakistan et pourrait, à terme, toucher l'Inde. Il en va de même en Indonésie ou en Birmanie. Les mouvements nationalistes musulmans en Chine et en Russie se radicalisent. À terme, le spectre d'une guerre des civilisations, ou tout au moins d'une multiplication des actions antioccidentales, pourrait devenir réalité.

De même, si les activités d'Al Qaïda en Afghanistan ou en Irak ont été considérablement limitées et contenues, voire éradiquées, il existe d'autres foyers d'implantation comme le Yémen, la Somalie ou le Maghreb.

Au-delà de la stricte lutte contre le terrorisme international, qui avait justifié l'intervention occidentale en 2001, l'ensemble Afghanistan-Pakistan (AFPAK) est devenu le véritable épicentre de l'instabilité internationale. La paix et la stabilité de l'Afghanistan sont donc essentielles à la stabilité et à la paix mondiale.

A la régionalisation du conflit doit correspondre la régionalisation des politiques de sortie de crise en impliquant fortement les pays voisins. La coalition internationale, constituée pour l'essentiel de forces des pays occidentaux, ne peut seule poursuivre une guerre par procuration. 5 ( * )

* 3 Mouvement régional à dominante pashtoune et pathan. Prône un islamisme radical. Gestion d'un réseau de madrasa ; Recrutement de volontaires pour des attentats suicide; Organisateur et facilitateur d'actions terroristes;

Alliance avec les taliban et les mouvements pakistanais. Ses principales sources de financement proviennent du Pakistan, des réseaux des pays du Golfe et de son association étroite avec Al Qaïda et les autres groupes insurgés basés au Pakistan.

* 4 Mouvement structuré : direction politique, militaire, financière et religieuse. Héritier des cercles islamistes fondamentalistes. Prône la révolution islamique. Se veut national mais à dominante pashtoune Ghilzay. Participation à la vie politique nationale, régionale et locale; Alliance avec les taliban. Le HiG cherche à contrôler les richesses minérales et les routes de contrebande dans l'Est de l'Afghanistan.

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