Position de m. Didier Boulaud

I. Impasse politique, impasse militaire.

La situation en Afghanistan se dégrade de jour en jour, le nombre de soldats de la force internationale morts au combat ne cesse de s'accroître, ainsi que celui des victimes civiles, dans des attentats, comme du fait des bombardements de la coalition internationale. L'élection présidentielle afghane, marquée par la confusion, l'insécurité, la fraude et la corruption du régime n'a apporté aucune réponse à la crise dans laquelle est plongé le pays.

Cette situation pose la question des objectifs de l'intervention internationale, de la stratégie et des méthodes utilisées, des conditions de participation de la France et des pays de l'Union européenne, et du calendrier et du terme fixé pour cette intervention.

Il est désormais urgent d'insister auprès du président afghan pour la formation d'un gouvernement plus représentatif, mieux disposé à appliquer les règles de bonne gouvernance et surtout qui ait une véritable volonté de lutter contre la corruption et le trafic de drogue.

Le problème politique urgent est la « gouvernance » ; le vide politico-administratif génère de l'insécurité et favorise l'action aussi bien des talibans que des seigneurs de guerre locaux. On aura beau former une armée afghane nombreuse, celle-ci ne se battra pas pour soutenir un régime corrompu, inefficace et impopulaire.

Nous savons que les objectifs de la mission de nos troupes en Afghanistan, la sécurisation du territoire, l'éradication du terrorisme, la construction d'un État partie prenante de la communauté des nations, ne sont pas en voie de réussite.

II. Faut-il poursuivre l'effort de la France, le réorienter ou bien l'arrêter ?

La France ne peut pas, au regard des valeurs qu'elle défend, au regard de ses engagements internationaux, se désengager soudainement et d'une manière unilatérale, d'Afghanistan.

Une redéfinition intégrale de sa stratégie est nécessaire. Le tout militaire ayant échoué, une solution politique doit être proposée et une réorientation de l'engagement de la France s'impose. Les conditions de sa présence doivent être profondément réexaminées, les objectifs clarifiés et de nouvelles perspectives fixées.

Depuis 2003 et le passage sous commandement de l'OTAN de la force internationale d'assistance et de sécurité, la stratégie de « guerre contre le terrorisme » et son volet politique, la « démocratisation de l'Afghanistan», préconisée par l'administration Bush, ont montré leur incohérence, leur limite et leur échec. Elles conduisent, aux Etats-Unis même, à reconnaître la nécessité d'une remise en cause et à un débat public, devant le Congrès, sur la définition d'une « nouvelle stratégie ».

Le Gouvernement ne propose à l'heure actuelle aucune vision stratégique sur le dossier afghan. Le président Sarkozy attend que la Maison blanche fasse son choix pour ébaucher lui-même une réponse... ! Sa position actuelle consiste en un « ni-ni » dont le fondement stratégique n'est en réalité pas défini : ni augmentation nouvelle de troupes, ni retrait. Cette attitude n'est ni tenable durablement, ni responsable.

Notre critique - raisonnée et raisonnable - part d'un seul constat : la stratégie employée a échoué jusqu'à aujourd'hui et, chemin faisant, nous avons perdu de vue les buts de la guerre et égaré les objectifs politiques de l'intervention en Afghanistan.

Cette guerre ne peut et ne doit pas durer indéfiniment au risque d'ébranler l'ensemble de la région ; le risque est grand en effet de voir réussir la stratégie d'Al Qaïda : déstabiliser durablement le monde musulman, jeter les Occidentaux dans des conflits sans issue qui les affaiblissent... et consolider ainsi son emprise globale, planétaire.

L'objectif principal étant d'éviter que puisse se reconstituer, en Afghanistan, au Pakistan ou ailleurs, un sanctuaire pour les djihadistes.

II.a- Clarification des objectifs.

La France, tout comme l'ensemble de la communauté internationale, n'a vocation à rester en Afghanistan, mais à permettre à l'Etat Afghan d'assurer lui même, au plus tôt, la sécurité et la stabilité. Notre objectif central doit donc être l'accroissement et l'amélioration des forces de sécurité afghanes, leur formation, leur équipement, leur montée en puissance et l'établissement d'un Etat Afghan le plus légitime et le plus stable possible.

Il faut refuser de glisser vers une guerre d'occupation qui n'aurait plus de limites ni de temps ni d'objectifs.

II.b- Changement des méthodes.

Tout progrès dans le domaine de la sécurité sera lié au soutien de la population au processus de stabilisation du pays. Celui ci passe par une révision des modalités d'action sur le terrain, notamment la sécurisation et la protection des populations, plutôt que des bombardements qui renforcent le soutien aux Talibans, sans que leur efficacité n'ait jusqu'à ce jour été démontrée.

La France se doit de sortir au plus tôt du tout militaire en Afghanistan. La stabilisation de la situation du pays et le soutien des populations passe par le renforcement de l'aide civile consacrée au développement, aux infrastructures publiques, à la scolarisation, à la santé, qui représente aujourd'hui moins de 10 % de la dépense militaire. C'est une priorité pour la stabilisation mais également pour envisager tout progrès de la démocratisation de la société et des institutions afghanes.

III. Des propositions

La solution durable en Afghanistan ne sera pas militaire : elle sera politique.

-- Aujourd'hui, il y a urgence à augmenter l'aide civile en faisant en sorte que la population afghane en perçoive réellement les bénéfices ; pour cela il faudra notamment obtenir du gouvernement afghan une attitude différente de celle qui fut la sienne ces dernières années. La gangrène de la corruption et le trafic de drogues nuisent à la recherche d'une stabilité politique et accroissent la méfiance de la population à l'égard des forces étrangères.

-- La France doit refuser la perspective d'une guerre interminable aux objectifs politiques non clarifiés. Elle doit prendre la tête d'un plan de paix et de sortie de conflit élaboré en lien avec ses partenaires européens au sein de la coalition internationale. Les pays de l'Union européenne doivent être saisis par la France et débattre ensemble d'un tel plan.

-- Ainsi, la définition d'une « stratégie de sortie progressive, calculée et planifiée » en Afghanistan, au fur et à mesure de la montée en puissance des forces Afghanes, du renforcement de l'aide civile et de l'aide à la sécurisation régionale, notamment au Pakistan. L'objectif étant toujours d'interdire à Al Qaïda de reconstituer un territoire-sanctuaire.

-- Dans cette perspective, il est urgent de convoquer la tenue d'une Conférence internationale sur l'Afghanistan sous l'égide de l'ONU , rassemblant les cinq membres du Conseil de sécurité, les pays qui ont des troupes engagées en Afghanistan, et impliquant tous les pays voisins (Pakistan, Inde, Iran, ....) sans oublier les Afghans eux-mêmes, dans leur diversité, à la recherche d'une solution régionale.

--La France doit reprendre l'initiative, récupérer et conforter son autonomie de décision stratégique. C'est seulement ainsi qu'elle sera en mesure de proposer et obtenir enfin le partage des responsabilités avec tous les alliés à commencer par les pays européens.

Didier Boulaud

Sénateur de la Nièvre

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