II. table ronde avec les représentants des associations sur l'étude de la cour des comptes relative à la politique de lutte contre le vih/sida

Réunie le mercredi 24 février 2010 , sous la présidence de Muguette Dini, présidente, la commission a organisé une table ronde avec les représentants des associations sur l' étude de la Cour des comptes relative à la politique de lutte contre le VIH/Sida .

Elle a entendu Christian Andréo, directeur des programmes nationaux d'Aides, Bertrand Audoin, directeur général, et Marc Dixneuf, directeur des programmes associatifs France du Sidaction, Hugues Fischer, ancien coprésident d'Act up Paris, Patrice Gaudineau, directeur général, et Michel Ohayon, directeur du centre de santé sexuelle « Le 190 » de Sida Info Service, Anne Guérin, directrice de l'association de recherche, de communication et d'action pour l'accès aux traitements (Arcat), et Gaëlle Tellier, déléguée régionale Ile-de-France du Groupe SOS.

Muguette Dini, présidente, a rappelé que la Cour des comptes a réalisé une étude sur les fonds alloués à la politique de lutte contre le VIH/Sida à la demande de la commission des affaires sociales. Compte tenu de la place, sans équivalent pour les autres pathologies, qu'occupent les associations dans le combat contre cette épidémie, il est apparu utile d'organiser une table ronde réunissant des représentants de certaines des associations les plus actives, à la fois pour entendre leurs réactions aux observations et recommandations formulées par la juridiction financière et pour connaître leur sentiment sur les évolutions souhaitables des politiques publiques mises en oeuvre pour combattre l'épidémie de VIH.

Christian Andréo, directeur des programmes nationaux d'Aides, a tout d'abord souligné que l'étude de la Cour contient des réflexions importantes sur l'insuffisance du pilotage des politiques conduites. Ses constats relatifs à l'insuffisance des moyens consacrés à la prévention sont particulièrement pertinents même si la comparaison entre dépenses de soins et dépenses de prévention n'a que peu de signification. Il est également exact, comme le relève la Cour, que la direction générale de la santé (DGS) ne dispose que d'éléments limités sur l'utilisation des concours attribués par les groupements régionaux de santé publique (GRSP). Il est difficile de savoir quelles actions sont conduites au titre de la prévention du VIH dans le cadre de ces groupements. L'insuffisance du pilotage se manifeste également par le fait que le ministère préfère parfois demander aux différents acteurs et associations de s'entendre plutôt que de rendre de véritables arbitrages. La prochaine mise en place des agences régionales de santé (ARS), qui reprendront les missions actuellement exercées par les GRSP, n'est pas pleinement rassurante dès lors qu'il n'existe aucune certitude sur la mise en oeuvre par les ARS du plan pluriannuel IST-VIH.

Comme le note justement la Cour, la DGS ne sollicite plus jamais l'avis du conseil national du sida (CNS) alors même que celui-ci produit des avis particulièrement intéressants, par exemple sur la question du dépistage ou de l'intérêt préventif du traitement. Il est même arrivé que la DGS réagisse aux avis du CNS en saisissant d'autres institutions, telles que la Haute Autorité de santé (HAS), retardant considérablement la mise en oeuvre de certaines évolutions nécessaires.

En ce qui concerne l'insuffisance de la dimension interministérielle de la politique de lutte contre le VIH relevée par la Cour, il est effectivement souhaitable de renforcer la cohérence des politiques publiques. La politique conduite à l'égard des étrangers sans papiers ne facilite pas la mise en oeuvre d'actions de prévention et de dépistage à l'égard de ces populations.

D'une manière générale, on constate trop souvent un immobilisme préjudiciable et un grand retard pour mettre en oeuvre certaines évolutions réglementaires pourtant communément admises dans d'autres pays. Ainsi, on ne peut espérer une évolution du cadre réglementaire sur les tests de dépistage rapide qu'à l'été 2010 alors que l'intérêt de ces tests est connu depuis quatre ans déjà. Des associations ont dû elles-mêmes lancer des projets de recherche biomédicale sur ce sujet.

Si les recommandations de la Cour méritent globalement d'être approuvées, une réserve doit néanmoins être apportée en ce qui concerne la mise en place d'une réglementation sanitaire des établissements de rencontre. Une telle évolution pourrait être contreproductive si cette réglementation devait être imposée de manière unilatérale ; il convient au contraire de la bâtir sur la base d'une concertation avec tous les acteurs concernés. Quant au saupoudrage des subventions critiqué par la Cour, il mérite d'être fortement nuancé. L'utilité d'une subvention se mesure en effet à la pertinence du projet qu'elle sert à financer plus qu'à la taille de l'association qui la reçoit.

A propos du futur plan pluriannuel de lutte contre le VIH, Christian Andréo a souhaité que l'accent soit mis sur l'accès à des soins de qualité et a plaidé pour un effort conséquent en faveur des régions les plus touchées, l'Ile-de-France, mais surtout les départements français d'Amérique et singulièrement la Guyane. L'étude de la Cour contient une phrase malheureuse laissant entendre que l'épidémie dans ce dernier département est le fait de l'afflux de migrants. L'insuffisance des politiques conduites en Guyane est aussi largement responsable du niveau de l'épidémie.

Il conviendra également d'insister sur la nécessaire prise en charge des personnes séropositives, dont le reste à charge a beaucoup augmenté, et de développer les programmes d'aide à domicile.

Marc Dixneuf, directeur des programmes associatifs France du Sidaction, a souligné l'intérêt des constats et propositions de la Cour des comptes. Celle-ci évoque notamment les tests de dépistage rapide, qui constituent une bonne illustration des dysfonctionnements de la politique de lutte contre le VIH. Le CNS, instance consultative créée pour servir la collectivité, dont les travaux sont de grande qualité, n'est jamais saisi par la DGS. Tout au contraire, lorsqu'il a rendu un avis sur les tests de dépistage rapide, la DGS a décidé de saisir la HAS de la même question. Dans ces conditions, les associations ont dû rechercher d'autres moyens de mettre en place un programme d'accès à ces tests en lien avec l'agence nationale de recherche sur le sida (ANRS), en dehors de toute évolution du cadre réglementaire. Si aucun obstacle nouveau ne surgit, ce cadre réglementaire devrait évoluer à l'été 2010 alors que l'avis du CNS a été rendu en 2006. Or, le développement du dépistage est un enjeu individuel et collectif considérable. Le dépistage tardif constitue une perte de chance pour les personnes concernées et entraîne des coûts considérables.

Cet exemple est très représentatif des difficultés rencontrées dans l'articulation des différentes instances impliquées dans la lutte contre le VIH, tels le CNS ou l'institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes), dont les rôles sont pourtant décrits précisément par le code de la santé publique, mais que le ministère ne parvient pas à faire fonctionner ensemble dans de bonnes conditions.

La Cour des comptes soulignant le rôle majeur des associations, il convient de noter que si celles-ci pilotaient réellement les politiques publiques, les difficultés posées par la loi d'orientation et de programmation de la sécurité intérieure, qui rend particulièrement difficile le travail auprès des personnes prostituées et des immigrés, seraient sans doute levées... Certes, les associations sont présentes dans les différents groupes de travail et comités de pilotage, mais cette intervention contribue à donner une certaine cohérence à l'action publique.

Ainsi, dans le cadre de la préparation du nouveau plan pluriannuel, les associations ont été saisies, dans des conditions souvent confuses et chaotiques, pour réaliser des fiches projets mais se sont mobilisées malgré leurs moyens limités. Les dysfonctionnements du pilotage de la lutte contre le VIH seraient sans doute accrus sans l'investissement des associations qui ont par exemple joué un rôle essentiel lors de la transition entre les centres d'information et de soins de l'immunodéficience humaine (Cisih) et les coordinations régionales de lutte contre le VIH (Corevih). Actuellement, rien n'est fait pour expliquer le fonctionnement de la loi hôpital-patients-santé-territoires (HPST) et la manière dont vont se mettre en place les ARS, alors que ces évolutions modifieront profondément le cadre d'action des associations. En définitive, le rôle que jouent ces dernières dans le pilotage de la lutte contre le VIH, que semble regretter la Cour des comptes, est absolument nécessaire aujourd'hui, au regard des insuffisances des organes en charge de cette politique. A cet égard, si la Cour évoque une mobilité trop fréquente des personnels de la DGS, il convient aussi de signaler que certains des postes, à l'inverse, ne changent jamais de titulaire, ce qui peut expliquer certaines difficultés.

En ce qui concerne la réglementation sanitaire des établissements de rencontre, le CNS avait proposé en 2005 de s'appuyer sur deux articles du code de commerce et du code de la santé publique pour contraindre ces établissements à fournir du matériel de prévention à leurs clients.

A propos de la Guyane, le rapport de la Cour contient effectivement une phrase malheureuse, semblant attribuer l'épidémie aux flux migratoires sur ce territoire. Il faut surtout noter l'insuffisance des politiques dans ce département. L'Etat aurait pu bénéficier de fonds européens importants en direction des départements, mais n'a pas su saisir cette occasion, par défaut de pilotage.

Hugues Fischer, ancien coprésident d'Act up, a tout d'abord souligné qu'Act up ne peut qu'approuver les conclusions de la Cour relatives à l'insuffisance de la prévention. Celle-ci demeure trop épisodique et les campagnes de communication à la veille de la journée mondiale contre le sida ou avant les départs en vacances sont insuffisantes face à un virus qui se transmet toute l'année. Si les campagnes ciblées en direction de publics prioritaires doivent être intensifiées et approfondies, l'étude de la Cour néglige un peu la nécessité de diffuser également des messages en direction de la population dans son ensemble. Il est important de s'appuyer sur les personnes qui se protègent, largement majoritaires. En définitive, seule la multiplication des messages et des cibles finit par produire des résultats.

En ce qui concerne la réglementation sanitaire des établissements de rencontre, les limites de la charte du syndicat national des entreprises gaies (Sneg) sont connues depuis longtemps. Il est souhaitable qu'une éventuelle réglementation soit élaborée en concertation avec tous les acteurs. La Cour soulève par ailleurs l'importance du développement du dépistage, déjà soulignée par la HAS et le CNS, ce qui doit permettre d'en faire une question prioritaire.

En matière de gouvernance, on constate un manque de continuité des politiques publiques très préjudiciable. A titre d'exemple, le groupe d'experts sur la prise en charge des personnes atteintes par le VIH a rendu en 2006 un rapport important dont s'était saisi le ministre de la santé, qui avait proposé que le comité mis en place dans le cadre du plan national assure un suivi actif et régulier. Cependant, ce travail s'est interrompu lorsque le ministre a changé. Un nouveau rapport a été rendu en 2008, sans que la puissance publique semble s'en saisir de manière active. Ainsi, des travaux approfondis ne sont pas pleinement exploités.

Patrice Gaudineau, directeur général de Sida info service, a rappelé que Sida info service a été créé par la volonté conjointe de l'Etat et de l'association Aides. Au départ, il s'agissait de mettre en place un service de téléphonie sanitaire et sociale destiné à transmettre les informations connues à l'époque sur le sida et la séropositivité. L'association emploie cent dix professionnels salariés disposant de compétences d'écoutants. Elle mobilise autant de bénévoles qui interviennent, pour leur part, dans le cadre d'actions de terrain.

En 2005, la Cour des comptes avait relevé des difficultés de fonctionnement de l'association confirmées en 2006 par un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), qui concluait à la nécessité de restructurer l'organisation. Aussi, depuis 2007, un plan drastique de réorganisation a-t-il été mis en oeuvre. Financée à hauteur de 75 % par l'Inpes, avec lequel elle a signé une convention, l'association conduit, outre sa mission de téléphonie sanitaire et sociale, d'autres actions de santé sexuelle. En 2009, elle a reçu 1 700 000 visiteurs sur son site et a réalisé 136 000 entretiens par des écoutants spécialisés.

Dans son rapport, la Cour des comptes évalue à plus de 12 000 euros par an le coût de la prise en charge de chaque malade. Ce chiffre peut être mis en rapport avec le montant de la somme prise en charge par l'Inpes au titre de la téléphonie sanitaire et sociale, qui s'élève à 7 millions d'euros. S'il est difficile de quantifier le nombre de contaminations évitées par les entretiens téléphoniques anonymes, il est incontestable que ceux-ci présentent une grande utilité en matière de prévention et de dépistage précoce.

L'étude de la Cour contient une réflexion paradoxale, dans la mesure où elle semble considérer que la prise en charge précoce des séropositifs est une source de coûts supplémentaires. En réalité, le dépistage précoce suivi d'une prise en charge est un moyen de prévenir la transmission et est donc une source d'économies potentielles importantes.

Anne Guérin, directrice d'Arcat, a rappelé qu'Arcat a été créée en 1985 et conduit de nombreuses actions d'accompagnement des personnes séropositives. Elle est présente dans les collèges des Corevih réunissant les représentants des malades et usagers du système de santé. L'association accompagne environ cinq cents personnes qui se trouvent dans des situations particulièrement précaires : 72 % d'entre elles vivent seules, 22 % n'ont pas de titre de séjour et 39 % n'ont aucune ressource. Dans le cadre de cet accompagnement, l'association effectue des entretiens de prévention secondaire pour les personnes séropositives.

Si l'étude de la Cour des comptes contient des recommandations importantes, elle n'évoque que fort peu certaines questions. Ainsi, alors que la juridiction financière relève que 90 % des dépenses sont consacrées à la prise en charge, ses recommandations portent presque toutes sur les 10 % de dépenses consacrées à la prévention.

La mise en place prochaine des ARS, qui vont notamment reprendre les compétences des GRSP, crée un certain flou dans les politiques conduites, voire un risque de discontinuité. Il semble en effet qu'aucun appel à projet ne sera lancé en Ile-de-France en 2010, les projets associatifs devant être financés sur des actions plus structurelles. De même, il n'y aura probablement pas d'appel à projet dans la perspective de la journée annuelle de lutte contre le sida.

Dans le même temps, les dépenses de soins continuent à croître. Médecins sans frontières a d'ailleurs lancé une pétition pour la mise en oeuvre d'une communauté de brevets. Avec le déremboursement de certains médicaments, le reste à charge des malades tend à augmenter. Ceux-ci se heurtent encore à des refus de soins, soit à cause de la pathologie, soit en raison de leur couverture médicale. Certaines évolutions récentes peuvent peut-être permettre des progrès utiles, qu'il s'agisse de la tarification à l'activité à l'hôpital ou du remboursement de l'éducation thérapeutique prévu par la loi HPST.

La prise en charge sociale des malades est une question importante que la Cour, qui observe que cette prise en charge est mal connue, n'aborde qu'à travers les appartements de coordination thérapeutique (ACT). Elle relève cependant que la moitié des personnes atteintes dispose d'un revenu inférieur à 1 220 euros par mois. Le rapport du groupe d'experts dirigé par le professeur Yeni insiste sur le fait que l'adhésion aux soins est fortement conditionnée par l'existence de conditions de vie correctes. Or, les places en ACT sont d'autant plus insuffisantes que ces structures se sont ouvertes à d'autres pathologies. Il est donc essentiel de trouver des solutions d'hébergement qui permettraient d'éviter que certaines personnes cessent de prendre leur traitement pour cacher leur maladie. Peut-être certains centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) pourraient-ils se spécialiser pour prendre en charge ces personnes particulièrement exclues. Par ailleurs, des progrès devraient également être accomplis pour l'accès aux dispositifs de droit commun prévus en matière de handicap. Les associations sont très impliquées dans le fonctionnement des Corevih, mais ne bénéficient d'aucune aide particulière au titre de cette participation. D'une manière générale, la DGS met en avant que les crédits aux associations n'ont pas diminué depuis 2003 ; les charges ont cependant augmenté depuis cette date, de même que le nombre de personnes séropositives.

Claude Jeannerot, rapporteur, a mis en avant le caractère irremplaçable de l'action des associations. Le rapport demandé par la commission des affaires sociales à la Cour des comptes doit permettre d'enrichir les propositions du plan d'action que le Gouvernement doit prochainement présenter pour la période 2010-2013. Dans ces conditions, quatre séries de questions appellent des réponses de la part des représentants des associations :

- en ce qui concerne la prévention dont la Cour des comptes a noté l'insuffisance des moyens (autour de 55 millions d'euros face à plus d'un milliard pour les soins à la charge de l'assurance maladie), comment améliorer la politique en faveur des personnes qui sont séronégatives ? De plus, comment organiser et rendre efficace le dépistage précoce, ce qui améliore les chances de succès des traitements et a une incidence positive sur les risques de contamination ? Enfin, comment sensibiliser les personnes déjà touchées ?

- quel contenu donner à une éventuelle réglementation sanitaire des établissements de rencontre ?

- outre les nécessaires hiérarchisation et coordination des actions, quelles principales orientations le prochain plan national de lutte devrait-il inclure, notamment en ce qui concerne l'accompagnement social ?

- alors que le rapport de la Cour des Comptes évoque à la fois un pilotage national défaillant et une grande dispersion des subventions versées et que les ARS commencent à se mettre en place, comment envisager une future organisation des moyens ?

Rappelant son appartenance au CNS où il représente le Sénat, Gilbert Barbier a souhaité connaître l'appréciation des associations sur les travaux de ce conseil. Par ailleurs, il a estimé qu'on ne peut pas comparer les dépenses liées à la prévention et les coûts thérapeutiques d'une pathologie qui ne sont évidemment pas de même nature ; ainsi, il est normal que les traitements coûtent de plus en plus cher en raison du montant des dépenses de recherche des laboratoires pharmaceutiques. En ce qui concerne les campagnes de prévention, ne serait-il pas pertinent de réaliser des opérations communes portant sur le sida et les autres maladies sexuellement transmissibles ? De plus, quel doit être le niveau de dramatisation des messages de ces campagnes ? Au sujet de la Guyane, si le rapport de la Cour des comptes contient peut-être une formulation maladroite, il est évident que ce département français d'Amérique connaît un problème spécifique et qu'on ne peut envisager tous les sujets de manière uniforme. Enfin, la concertation engagée sur les orientations du plan 2010-2013 est-elle satisfaisante ?

Gisèle Printz a déploré que la question du préservatif reste taboue et que ce moyen indispensable de prévention soit encore trop absent des lieux que fréquente la jeunesse, par exemple les lycées. Par ailleurs, l'apparition de traitements efficaces ne doit pas masquer le danger que le sida continue de faire peser, car les médicaments ne permettent toujours pas de guérison.

Raymonde Le Texier a partagé les craintes exprimées sur la mise en place des ARS. De plus, elle s'est déclarée surprise que les projets s'arrêtent lorsque le ministre change. Sur le fond, alors que le but de la prévention est d'éviter la contamination, l'importance du nombre de personnes isolées ou en situation de pauvreté ou d'exclusion familiale tend à fragiliser les actions menées ; il est, en conséquence, essentiel de lutter parallèlement contre ces facteurs sociaux. Elle a enfin souhaité avoir des précisions sur les cas de refus de soins et sur le travail réalisé par les associations auprès des prostitués et des étrangers.

Partageant les remarques formulées par Gilbert Barbier, Sylvie Desmarescaux a ajouté que le rôle des CHRS est justement d'accueillir les personnes en situation d'exclusion. La création de structures dédiées aux malades du sida pourrait être stigmatisante, alors que nombre d'entre eux souhaitent, en raison de la pression sociale, conserver un certain anonymat. Enfin, elle s'est interrogée sur le niveau des revenus moyens mentionnés précédemment qui paraissent très supérieurs au seuil de pauvreté.

René Teulade a regretté la solitude du ministère de la santé sur la question du sida et, en ce qui concerne la prise en charge sociale, il a souhaité connaître les modalités de la reconnaissance d'un handicap éventuel pour les malades.

Anne Guérin a confirmé l'importance de l'accompagnement psychosocial des malades. Elle a dénoncé les refus de soins auxquels sont confrontées les personnes séropositives, notamment lorsqu'elles sont bénéficiaires de l'aide médicale d'Etat (AME) ou de la couverture maladie universelle (CMU). Par ailleurs, les personnes malades du sida requièrent un accompagnement pluridisciplinaire que les CHRS, de toute façon débordés, ne peuvent pas fournir, ce qui justifie la création de structures spécialisées. De plus, les ACT sont trop peu nombreux et les sorties vers un logement stable trop rares. Enfin, de nombreuses personnes malades du sida relèvent de l'allocation adulte handicapé (AAH) ou travaillent uniquement à temps partiel du fait de leur pathologie et, en tout état de cause, quels que soient les chiffres avancés par la Cour des comptes, la majorité des personnes aidées par Arcat disposent de moins de 600 euros pour vivre par mois.

Michel Ohayon, directeur du centre de santé sexuelle « Le 190 » de Sida info service, a estimé que, malgré certaines déficiences, les politiques de prévention ont tout de même bien fonctionné puisque, parmi les homosexuels, une des trois populations qui concentrent l'épidémie, seul un sur six est malade, ce qui est une proportion considérable mais qui signifie que cinq sur six en sont épargnés. Il a regretté le temps perdu en ce qui concerne la mise en place du dépistage précoce, les autorités ayant demandé des études complémentaires alors que de nombreux pays étrangers avaient mis en place de tels dispositifs avec succès et que l'on sait que les risques de contamination sont amplifiés au moment de la primo-infection. Il a également regretté que la communication utilisée pendant de nombreuses années sur le sida ait conduit d'une certaine façon à nier la sexualité des personnes séropositives. Etre séropositif, c'est d'une certaine manière assumer que la sexualité est au coeur de la vie, celle-ci prenant forcément une grande importance lorsqu'on est porteur d'une maladie sexuellement transmissible, même si ce n'était pas forcément le cas avant la contamination.

Hugues Fischer a estimé qu'il n'existe pas de message miracle pour les campagnes de communication ; elles doivent être fondées sur deux principes essentiels permettant de toucher des publics ciblés de manière large : la constance et la variété. En ce qui concerne la réglementation sanitaire des établissements de rencontre, la charte mise en place par les associations peut servir de base à son élaboration. Par ailleurs, les petites associations jouent un rôle essentiel de proximité sur le terrain ; elles rassemblent souvent des bénévoles dont l'abnégation et l'engagement doivent être encouragés. Certes, elles n'ont souvent pas les moyens et le temps d'évaluer leurs actions dans les règles de l'art, ce qui n'enlève rien à leur place centrale dans le dispositif de lutte contre le sida. Les associations portent une appréciation positive sur les avis du CNS car il prend le temps de les élaborer de manière collective. Enfin, il est vrai qu'on ne parle pas suffisamment du préservatif en milieu scolaire ; alors que beaucoup de ministres de l'éducation s'engagent, sur cette question, au moment de leur passage au Gouvernement, les décisions concrètes se heurtent souvent à des résistances locales, ce qui pose le problème de la volonté publique.

Sur ce sujet, Marc Dixneuf a estimé que les associations de parents d'élèves ne sont pas seules en cause, certains évêques intervenant parfois de manière négative à l'encontre des projets d'installation de distributeurs de préservatifs dans les établissements scolaires. Qui plus est, le ministère de l'éducation a déjà mené de larges réflexions sur la manière d'aborder à l'école la question de la sexualité et plusieurs circulaires proposent des outils adaptés ; aucune d'entre elles n'a malheureusement été mise en oeuvre sur le terrain, alors même que la sensibilisation des enfants aux questions de genre, à l'homophobie, au rapport à l'autre ou à la différence est essentielle. Par ailleurs, le récent rapport du CNS sur VIH, emploi et handicap, met notamment en exergue les difficultés pour les personnes malades du sida de faire reconnaître leur handicap par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Globalement, le prochain plan national contient certes quelques orientations intéressantes, par exemple à destination du milieu pénitentiaire, mais de nombreuses autres en sont absentes : des expertises complémentaires seraient soi-disant nécessaires sur des sujets déjà appliqués à l'étranger, voire faisant l'objet de recommandations de l'OMS. De manière tout aussi attentiste, le ministère de la santé a lancé une enquête pour réaliser un état des lieux des ACT, alors qu'il serait plus utile de réaliser des études prospectives.

Christian Andréo a estimé nécessaire de rendre les campagnes de communication plus explicites : la population ne doit pas seulement savoir qu'elle doit utiliser des préservatifs, elle doit savoir comment. De ce point de vue, le rôle de l'école est central car les associations ont des difficultés à atteindre le public des jeunes. Par ailleurs, les situations où des personnes ont volontairement contaminé leur partenaire sont des faits divers exceptionnels et plus on va vers une pénalisation de la transmission du virus, plus on augmente les risques de clandestinité de la séropositivité. Il est essentiel d'offrir la possibilité aux malades de se soigner et de faire en sorte qu'ils n'aient rien à perdre à révéler leur statut sérologique. Enfin, alors que de nombreuses associations ont mis en avant l'intérêt de mettre en place des tests rapides, la DGS n'a malheureusement pas montré d'intérêt sur cette question, ni sur celle des traitements préventifs.

Gaëlle Tellier, déléguée régionale Ile-de-France du groupe SOS, a noté que la récente mise en place, par Kiosque info sida, d'un centre de dépistage précoce a révélé que beaucoup de personnes qui s'y sont présentées n'avaient jamais fait de test auparavant. Ce phénomène inquiétant pose clairement le problème de l'installation des centres de dépistage. En ce qui concerne les CHRS, elle a soulevé le problème de l'absence de personnel paramédical pour accompagner les personnes et développer une politique de prévention.

Nicolas About a indiqué avoir mis en place dans sa commune un cyber espace traitant des questions de santé et destiné aux jeunes qui peuvent, sur place, apprendre à manipuler des préservatifs. En ce qui concerne le rôle des religions, il a estimé nécessaire de ne pas mélanger les genres : c'est au politique de prendre ses responsabilités. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que, pendant longtemps, les personnes malades du cancer ne révélaient pas non plus leur maladie à leur entourage ; cette démarche est progressivement devenue plus naturelle et la même évolution semble perceptible pour ce qui est du sida. Enfin, doit-on considérer que la fidélité est peut-être l'un des « secrets » pour ne pas transmettre la maladie, que l'on soit homosexuel ou hétérosexuel ?

A propos de la fidélité, Christian Andréo a fait valoir qu'on ne pouvait être sûr que de la sienne. Par ailleurs, en ce qui concerne la révélation de la maladie, le parallèle avec d'autres pathologies n'est pas totalement judicieux en raison du caractère transmissible du VIH et de la connaissance des voies de contamination.

Michel Ohayon a précisé que de nombreuses études existent sur les risques de contamination mais peu s'intéressent aux facteurs de non-contamination. Il est évident qu'un ensemble d'éléments entrent en jeu en l'espèce et touchent à la santé sociale, physique, sexuelle ou sentimentale. Par ailleurs, la découverte de la séropositivité chez les migrants conduit, de manière quasi automatique, à l'exclusion. Enfin, on ne peut pas demander à la société de ne pas discriminer les personnes malades du sida quand le milieu médical et paramédical le fait lui-même.

Muguette Dini, présidente, a fait observer que la situation parisienne reste fort différente de celle de la province, notamment en ce qui concerne la perception de l'homosexualité.

Pour conclure, Claude Jeannerot, rapporteur, a résumé ainsi les informations reçues au cours de cette table ronde :

- tout d'abord, l'importance de la prévention primaire doit conduire à adopter des recommandations plus fortes, notamment en matière pédagogique ;

- ensuite, la charte établie par les associations pour les établissements de rencontre semble fournir une bonne base de départ pour l'élaboration d'une réglementation sanitaire les concernant ;

- en outre, le rapport de la Cour des comptes souligne, à juste titre, la faiblesse du caractère interministériel de la politique de lutte contre le sida et il sera important de mettre en oeuvre les préconisations formulées par certaines instances en ce qui concerne, par exemple, les établissements pénitentiaires ;

- enfin, il faudra également mieux prendre en compte les aspects liés au handicap, étudiés dans un rapport récent du CNS, et à l'accompagnement social et psychologique des malades.

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