EXAMEN EN COMMISSION

La commission s'est réunie le mardi 8 juin 2010 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par le rapporteur, M. Pierre Fauchon, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean Bizet :

Je retiens particulièrement quatre aspects.

Vous soulignez que l'élargissement n'est pas un processus illimité ni hors de contrôle.

Vous relevez que les difficultés prévisibles d'intégration de nouveaux membres doivent être mises en balance avec la nécessité pour l'Europe d'avoir la « taille critique » dans un monde dominé par quelques géants.

Vous indiquez que la construction européenne ne marque pas la fin des États-nations, mais qu'ils sont dépassés lorsqu'il s'agit de répondre aux grands défis d'un monde globalisé.

Enfin, vous affirmez que l'Europe sera une création du XXI e siècle cimentée par un projet ou un ensemble de projets.

Je crois que ce rapport nous aide à mettre en perspective les travaux plus spécialisés que nous menons d'ordinaire.

M. Simon Sutour :

Ce rapport, qui était, vous l'avez rappelé, une idée du président Haenel, me paraît particulièrement utile parce qu'il présente toute la problématique de l'élargissement. En même temps, il soulève plus de questions qu'il ne donne de réponses ! En tout cas, il me donne la certitude que nous avons bien fait de ratifier le traité de Lisbonne ! Demain, il sera encore plus difficile de réviser les traités.

La priorité doit être d'intégrer les Balkans, aujourd'hui entourés de pays membres. Mais nous aurons encore plus de « petits » États membres, avec les déséquilibres que cela induit et la difficulté grandissante pour obtenir l'unanimité.

Dans le cas de la Turquie, j'ai le sentiment que la perspective de l'adhésion devient plus lointaine, dans la mesure où l'évolution de ce pays ne me paraît pas aller dans ce sens.

En Ukraine, il existe une réelle volonté d'Europe, un ancrage européen indiscutable. Il faut aller plus loin qu'une politique de voisinage, donner une plus grande portée au partenariat oriental.

Pour ce qui est du retard économique de certains pays, souvenons-nous de ce qu'on disait de l'Espagne et du Portugal à une certaine époque ! Ne sous-estimons pas la capacité des pays à se remettre à niveau dans un cadre européen favorable.

M. Robert Badinter :

La menace aujourd'hui pour l'Europe, ce n'est pas le risque de dilution lié à la poursuite de l'élargissement. C'est le risque de désintégration face à une crise financière qui met sa cohésion à l'épreuve. L'Europe, ce sont des institutions, des valeurs, un destin commun, à la fois une réalité et un projet. L'euro fait partie de cette réalité. Va-t-il résister à la crise, aux perspectives d'une croissance durablement faible ? J'ai lu avec inquiétude le sombre pronostic de Nouriel Roubini. Nous ne sommes pas à l'abri d'un délitement.

Je souhaite la définition d'une frontière pour l'Europe. L'absence de frontière donne le vertige. Et je doute que l'Europe ait vocation à traverser le Bosphore pour avoir une frontière avec l'Iran, l'Irak ou la Syrie. Ce n'était pas le projet des Pères fondateurs ! Si on a reconnu la vocation européenne de la Turquie, c'était à cause de la guerre froide. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que la Turquie accepte de se plier aux disciplines qu'implique l'appartenance à l'Union.

Pour les Balkans, la nécessité d'une ouverture à l'adhésion est indiscutable. La Croatie ne pose pas de problèmes ; la Serbie, à terme, n'en posera pas. Les autres États paraissent beaucoup plus fragiles.

Pour l'Europe orientale, il paraît raisonnable d'envisager à terme l'adhésion de l'Ukraine. Les autres États de la zone posent des problèmes redoutables.

Soyons clairs : la construction européenne est menacée ; la priorité doit être de la consolider, et de n'intégrer que les pays qu'on peut valablement intégrer sans s'affaiblir. Il y a une civilisation européenne, une conscience européenne, des valeurs communes ; il faut aussi des frontières à l'Europe.

Deux remarques pour conclure mon propos.

La Turquie est en train de retrouver sa vraie vocation, qui est d'être un pont. Elle est européenne jusqu'à Istanbul, après elle ne l'est plus. Et elle est l'héritière d'un grand empire. Je suis persuadé que, le moment venu, les Turcs préfèreront être eux-mêmes plutôt que de se définir comme Européens.

Pour les Balkans, je voudrais rappeler la formule de Bismarck : « Ces pays produisent plus d'histoire qu'ils n'en peuvent consommer ».

M. Robert del Picchia :

Effectivement, on ne voit pas d'autre solution pour les Balkans que l'entrée dans l'Europe. C'est la clef de la paix, pour une zone qui doit se désintoxiquer des conflits.

Je suis pour ma part persuadé que, le moment venu, la Turquie préfèrera obtenir un statut sur mesure plutôt que l'adhésion. Les Turcs ne prendront pas, de toute manière, le risque d'un refus de leur adhésion par tel ou tel pays membre, qui pourrait provoquer chez eux un choc en retour. Les négociations avec l'Union sont un levier pour faire évoluer le pays ; je doute que la Turquie soit prête à accepter toutes les contraintes d'une adhésion. C'est un pays qui devient de plus en plus important, qui développe son influence régionale. Je crois que, finalement, elle préfèrera rester à côté de l'Union plutôt que d'être à l'intérieur.

M. Pierre Fauchon :

Je l'admets, les États-nations ne vont pas se fondre dans un État unique : l'objectif, c'est de les unir dans un ensemble doté d'un fonctionnement efficace. Pour la forme finale de cet arrangement, faisons confiance à la créativité humaine !

Je conviens que, en Europe orientale, il existe de fortes attentes à l'égard de l'Europe qu'il ne faut pas décevoir. Je crois que, sans créer d'illusions, il faut se montrer souple et ouvert, accepter une marge d'incertitude, une « zone grise » sur les frontières finales de l'Union.

Je reconnais volontiers que le risque principal aujourd'hui pour l'Europe est celui d'un délitement, si nous ne parvenons pas à agir de façon cohérente et ordonnée contre la crise. C'est bien le sens de mon propos quand je dis que la priorité est d'approfondir le projet européen.

Mais je ne suis pas certain qu'il faille chercher à donner dès maintenant une frontière précise à l'Europe. En réalité, depuis l'adhésion de la Grande-Bretagne, le projet européen est devenu plus vague, plus flou. La priorité me paraît être de dire clairement ce que nous voulons faire ensemble, à quel niveau d'engagement, et je crois que les frontières se dessineront progressivement à partir de la réponse.

Les candidats à l'adhésion sont pour la plupart de « petits » pays : cela pose un problème institutionnel, mais pas une difficulté stratégique. La Turquie, je le reconnais, pose un problème d'une ampleur particulière : mon propos n'était pas de proposer une solution, simplement d'en appeler à une approche tenant compte de tous les aspects. Enfin, je ne peux que souscrire au constat unanime de la nécessité d'intégrer les Balkans.

Pour conclure, je dirai que j'ai été souvent tenté de comparer l'Europe à un dédale sans Minotaure. Maintenant, le Minotaure est là : c'est la crise très grave que nous traversons. Qui sait ? Elle sera peut-être notre chance !

*

A l'issue du débat, la commission a autorisé la publication du rapport.

ANNEXE : ÉTAT DES LIEUX PAR PAYS DU PROCESSUS D'ÉLARGISSEMENT (mai 2010)

État des lieux des négociations d'adhésion entre l'Union européenne et les pays candidats

Pays candidats

Date à laquelle le pays a été reconnu candidat

Date d'ouverture des négociations d'adhésion

Point sur la négociation des différents chapitres

Date envisagée pour l'adhésion

et observations

Croatie

17 juin 2004

3 octobre 2005

Au printemps 2010, la Croatie n'a plus que 5 chapitres à ouvrir (pouvoir judiciaire, concurrence, politique étrangère, et de sécurité commune, institutions et divers). 18 chapitres sur 33 ont été clos.

D'autres avancées sont prévues en 2010.

2011 ou 2012

Turquie

1999

La Turquie avait déposé sa candidature en 1987

3 octobre 2005

A l'automne 2009, 11 des 35 chapitres ont été ouverts, le dernier en date (fiscalité) ayant été ouvert le 30 juin 2009.

La France a bloqué l'ouverture de 5 chapitres. 1 chapitre est provisoirement clos.

Pas d'échéance fixée pour le moment

Ancienne République Yougoslave de Macédoine

(ARYM)

17 décembre 2005

La Grèce a opposé son veto en décembre 2009 à l'ouverture des négociations d'adhésion, en raison du différend bilatéral sur le nom de la Macédoine

X

Pas de date fixée pour l'adhésion.

Le 15 juillet 2009, la Commission européenne a proposé à l'ARYM la libéralisation du régime des visas.

Cas particulier de l'Islande

Islande

L'Islande a déposé sa candidature officielle auprès de l'Union le 17 juillet 2009.

Le 27 juillet 2009, le Conseil des ministres européens des Affaires étrangères a ouvert le processus d'examen de la demande d'adhésion formulée par l'Islande

La Commission européenne a décidé de recommander l'ouverture des négociations d'adhésion le 25 février 2010. D'après le commissaire à l'élargissement, Le processus pourrait débuter durant le second semestre 2010 et ne durer que 14 mois.

X

2012 ou 2013

État des lieux des relations entre l'Union européenne et les pays du Sud-Ouest des Balkans dont la vocation à l'adhésion a été reconnue

Pays

Date à laquelle le pays a été reconnu candidat potentiel

Accord de stabilisation et d'association (ASA) (8 ( * ))

Accord de libéralisation des visas

Perspectives d'adhésion et évaluations des candidats potentiels (rapports de progrès 2009)

Albanie

Juin 2003

Conclu en juin 2006.

Entré en vigueur en avril 2009.

Mars 2008 : lancement du dialogue sur l'assouplissement du régime de visas.

Juin 2008 : feuille de route de la Commission européenne définissant les conditions précises du régime d'assouplissement des visas.

L'Albanie a déposé sa candidature officielle auprès de l'Union européenne le 28 avril 2009. Le 16 novembre 2009, le Conseil a invité la Commission à préparer son avis.

Une échéance de 15 ans est envisagée avant l'adhésion de ce pays à l'Union européenne (UE).

Les élections législatives ont satisfait à la plupart des normes internationales. Le renforcement de l'État de droit et la garantie du bon fonctionnement des institutions de l'Etat restent des enjeux majeurs.

Bosnie-Herzégovine

Juin 2003

Début des négociations en novembre 2005.

Signature le 16 juin 2008.

L'ASA n'a pas encore été ratifié.

26 mai 2008 : lancement du dialogue sur l'assouplissement du régime de visas.

5 juin 2008

La Commission présente une feuille de route définissant des objectifs de référence pour l'assouplissement du régime de visas.

Le pays doit accélérer le rythme de ses réformes et doit remplir les conditions fixées pour la fermeture du Bureau du Haut représentant international (OHR). L'UE ne pourra prendre en considération une candidature à l'adhésion tant que le pays restera sous le « protectorat » de l'OHR.

Pays

Date à laquelle le pays a été reconnu candidat potentiel

Accord de stabilisation et d'association (ASA)

Accord de libéralisation des visas

Perspectives d'adhésion et évaluations des candidats potentiels (rapports de progrès 2009)

Monténégro

Juin 2003

Signé le 15 octobre 2007.

Entré en vigueur en mai 2010.

Des négociations sont en cours depuis 2008 en vue de la libéralisation du régime des visas.

Le 15 décembre 2008, le Premier ministre Djukanovic a remis à l'UE sa candidature officielle. A la demande du Conseil, la Commission a rendu son avis sur la question. La Commission a noté que les élections législatives ont satisfait à la quasi-totalité des normes internationales, mais « qu'il subsiste certaines lacunes à combler ». En outre, elle estime que le renforcement de la capacité administrative et la consolidation de l'état de droit restent des défis majeurs pour le Monténégro.

Serbie

Juin 2003

Début des négociations le

10 octobre 2005.

La Commission européenne a paraphé le 7 novembre 2007 l'ASA entre l'UE et la Serbie, mais le 28 janvier 2008, la signature a été retardée, dans l'attente d'une « pleine » coopération de Belgrade avec le Tribunal pénal international (TPI).

Des négociations sont en cours en vue de la libéralisation du régime des visas.

La Serbie a « démontré son engagement en faveur de l'intégration à l'UE » en entreprenant des réformes politiques cruciales conformément aux normes européennes. La Commission plaide pour la mise en oeuvre de l'accord intérimaire ASA (actuellement bloqué par les Pays-Bas) que Belgrade a décidé d'appliquer sur une base unilatérale.

* (8) L'accord de stabilisation et d'association (ASA) instaure une relation contractuelle entre l'Union et chaque pays des Balkans occidentaux, en définissant des droits et des obligations réciproques. Ces accords sont adaptés à la spécificité de chaque pays partenaire, tout en suivant des objectifs politiques, économiques et commerciaux communs et en favorisant la coopération régionale. Dans le contexte d'adhésion à l'Union européenne, il sert de base à la mise en oeuvre du processus d'adhésion.

Les ASA mettent l'accent sur le respect des principes démocratiques essentiels et des éléments fondamentaux au coeur du marché unique européen. Grâce à une zone de libre-échange avec l'Union européenne et aux règles (en matière de concurrence et d'aides d'État, de propriété intellectuelle, etc) et droits (droit d'établissement, par exemple) qui s'y rattachent, et grâce aux réformes envisagées pour permettre l'adoption des normes européennes, ce processus permettra aux économies de la région de commencer à s'intégrer à celle de l'Union européenne.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page