N° 658

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 juillet 2010

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur la coopération bilatérale de défense entre la France et le Royaume-Uni ,

Par MM. Josselin de ROHAN et Daniel REINER,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Josselin de Rohan , président ; MM. Jacques Blanc, Didier Boulaud, Jean-Louis Carrère, Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Jean François-Poncet, Robert Hue, Joseph Kergueris , vice-présidents ; Mmes Monique Cerisier-ben Guiga, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet , secrétaires ; MM. Jean-Etienne Antoinette, Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, René Beaumont, Jean-Pierre Bel, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Didier Borotra, Michel Boutant, Christian Cambon, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Mme Michelle Demessine, M. André Dulait, Mmes Bernadette Dupont, Josette Durrieu, MM. Jean Faure, Jean-Paul Fournier, Mme Gisèle Gautier, M. Jacques Gautier, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Laufoaulu, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Rachel Mazuir, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean Milhau, Charles Pasqua, Philippe Paul, Xavier Pintat, Bernard Piras, Christian Poncelet, Yves Pozzo di Borgo, Jean-Pierre Raffarin, Daniel Reiner, Roger Romani, Mme Catherine Tasca.

INTRODUCTION

« La diplomatie sans armes ressemble à de la musique sans instruments »

Frédéric le Grand

Mesdames, Messieurs,

Depuis le sommet franco-britannique de Saint Malo du 4 décembre 1998, les deux pays se veulent le moteur de l'Europe de la défense. Le constat qui avait été fait il y a 12 ans demeure valable : « L'Europe a besoin de forces armées renforcées, capables de faire face rapidement aux nouveaux risques et s'appuyant sur une base industrielle et technologique de défense compétitive et forte. »

Les mesures de restrictions budgétaires annoncées tant en France qu'au Royaume-Uni pour contribuer à l'indispensable redressement des finances publiques n'épargnent pas les budgets de défense.

Dans un contexte financier contraint, la recherche de la rationalisation des dépenses, le partage des coûts et la mutualisation des efforts s'imposent comme une nécessité pour préserver les capacités de défense présentes et à venir.

Alors que nous assistons à un effort de réarmement général dans le monde, seule l'Europe diminue ses budgets militaires, alors même que la consolidation d'une Europe de la défense est la condition même de l'influence de l'Union dans le monde. Au sein de l'Union européenne, la France et le Royaume Uni sont les deux seuls pays à maintenir un effort de défense significatif. Les deux pays ont, de plus, de fortes similitudes en termes d'engagement international, d'industrie de défense, de part du PIB consacrée aux forces armées.

Cette situation ne peut qu'inciter nos deux pays à rechercher toutes les synergies possibles et à développer nos coopérations sur une base bilatérale non exclusive du reste de coopérations élargies à d'autres pays le cas échéant.

Le Royaume-Uni est engagé dans une revue stratégique de sa politique de défense dont les premières conclusions devraient être présentées à compter du mois d'octobre prochain. Le présent rapport entend apporter sa contribution à la réflexion en cours.

Les choix de coopération qui seront faits ne sont pas seulement des choix techniques et financiers. Ils sont stratégiques et politiques. C'est la raison pour laquelle le Parlement se doit de suivre l'évolution de ces négociations et la mise en oeuvre des décisions qui seront prises. Un groupe de travail des quatre commissions chargées de la défense aux Communes, à la Chambre des Lords, à l'Assemblée nationale et au Sénat pourrait être constitué à cette fin.

I. UNE RÉFLEXION GLOBALE SUR L'AVENIR DE LA DÉFENSE ET DES FORCES ARMÉES DU ROYAUME-UNI

Comme l'a fait la France en 2008-2009 avec le Livre blanc sur la sécurité et la défense et la loi de programmation militaire 2009-2014, le Royaume-Uni s'est engagé -à la veille d'élections législatives décisives- dans une réflexion globale sur l'avenir de sa défense et de ses forces armées. Cette réflexion est marquée par la publication récente (février 2010) de deux documents importants : un Livre vert intitulé « Adaptability and Partnership: Issues for the Strategic Defence Review » et un document sur la réforme de la stratégie d'acquisitions en matière de défense intitulé « the defense strategy for acquisition reform ».

Ces deux documents sont présentés comme des éléments destinés à lancer la réflexion sur la future Revue stratégique de défense (SDR), qui est en cours d'élaboration par le nouveau Gouvernement issu des urnes et qui devrait être présenté fin 2010. Il s'agit de mettre à jour la revue stratégique précédente qui datait de 1998. Plus qu'un simple exercice d'actualisation, c'est une remise à plat globale qui devra définir les menaces et en déduire le format des forces et les besoins. Elle s'inscrit dans un contexte budgétaire extrêmement contraint qui relance de facto , comme en France, l'hypothèse de programmes mutualisés. C'est dans ce contexte que votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a décidé de se rapprocher des autorités britanniques pour évaluer l'opportunité et les perspectives de coopération bilatérales, ou multilatérales, renforcées.

A. LE LIVRE VERT ET LA COOPÉRATION FRANCE-ROYAUME-UNI EN MATIÈRE DE DÉFENSE

Le Livre vert présente les grandes orientations de la défense retenue par le Gouvernement britannique en matière de défense. Ce Livre vert et la future revue de défense s'inscrivent dans un contexte triplement contraint :

• Militairement : les forces militaires britanniques ont été employées au-delà de leur contrat opérationnel sur une très longue période. 1 ( * ) Le CEMA anglais, le général Sir Jock Stirrup a mis en avant, lors d'une interview à la BBC,  la « tension » que subissent les forces britanniques : « Ce que nous faisons, nous pouvons le faire pour une courte période. Mais nous ne pouvons pas continuer de le faire, ad infinitum. Nous faisons plus que nos structures de ressources le permettent dans le long terme . »

• Financièrement : la crise économique et financière qui touche la Grande-Bretagne (le Trésor devra emprunter £178 milliards soit 12,6 % du PIB pour l'exercice 2009-2010. La dette totale, qui représente plus de 60 % du PIB), aura nécessairement un impact sur le budget de la défense ;

• Politiquement : les élections législatives ont conduit à un changement politique inédit en Grande Bretagne avec la coalition du Parti conservateur et du Parti libéral.

Compte tenu de cet environnement, le nouveau Gouvernement est confronté à des changements et à des choix difficiles.

Le Livre vert, présenté par M. Bob Ainsworth , ministre de la défense du Gouvernement Brown, est un document qui fait l'objet d'un relatif consensus puisque sa préparation a été précédée de nombreuses consultations, principalement avec des experts, des think-tanks, les partis d'opposition (conservateurs et libéraux) et l'ensemble du Gouvernement britannique. Il n'a pas pour objet d'apporter des réponses -qui sont renvoyées à la Revue de défense- mais de poser des questions pour alimenter le débat.

Les menaces qui sont identifiées dans ce document : le terrorisme, les états hostiles, les états fragiles et en déliquescence, le crime international, les catastrophes naturelles, mais également les cybermenaces, sont identiques à celles du Livre Blanc français. Le rôle mondial du Royaume-Uni y est réaffirmé, même si les conditions de l'usage de la force armée ont changé et s'inscrivent dans une approche globale où la défense, la diplomatie et le développement vont de pair. De même, le continuum sécurité défense est-il souligné.

Bien qu'il ne comporte pas de recommandations, il assure que, pour relever les défis, le ministère de la défense et les forces armées doivent accélérer le processus de réforme dans le sens d'une plus grande adaptabilité --flexibilité des processus, des personnels et des équipements, condition du succès pour répondre de manière adéquate aux menaces potentielles-. Il souligne également la nécessité d'améliorer la capacité à opérer en partenariat tant au niveau du Gouvernement qu'au niveau international. Flexibilité et partenariat sont donc les deux axes du Livre vert.

1. Flexibilité

Compte tenu de l'incertitude des menaces, du coût des opérations et des équipements, le Royaume-Uni ne pourra pas développer des capacités permettant de répondre à chaque éventualité. Pour que la défense soit toujours capable de proposer des options aux décideurs politiques, il faut opérer de manière différente et disposer d'un outil plus adaptable. Ainsi, le Livre vert propose-t-il :

• de procéder à une revue complète du processus de planification en simplifiant les liens entre les objectifs stratégiques et les structures de forces afin d'augmenter la capacité de changer rapidement ;

• de continuer à rendre les forces plus flexibles car, bien souvent, elles continueront à opérer en dehors de leur mission traditionnelle ;

• de réviser le processus décisionnel actuel pour qu'il reflète pleinement les besoins opérationnels. Les responsabilités du Chief of Joint Operations pourraient être renforcées.

Le Livre vert confirme que la stratégie en matière de défense doit être intégrée dans une stratégie de sécurité britannique globale et interministérielle. Le Livre vert aborde aussi la question de l'importance de la technologie. À ce titre, la cyber sécurité et l'espace sont mentionnés ? en évoquant, dans ces domaines, l'importance des coopérations.

Pour répondre aux crises et aux menaces multiformes, le Livre vert envisage deux hypothèses d'intervention. Pour une intervention d'une durée limitée, dans un cadre international, deux groupes navals, dont un centré autour d'un porte-avions, une division blindée et trois groupes expéditionnaires aériens seraient envisagés. Des moyens plus limités : un groupe naval, une brigade et un groupe expéditionnaire aérien pourraient être déployés dans le cadre d'une crise de plus longue durée.

Ces hypothèses de format nécessiteront une plus grande flexibilité des forces armées qui reposera sur l'utilisation de technologies plus avancées. Le personnel devra être plus mobile et déployable dans une plus grande mesure. Les effectifs, en particulier civils, et l'encadrement hiérarchique devront vraisemblablement être revus à la baisse de manière sensible.

2. Partenariat

La conjugaison de la multiplication des crises et des restrictions budgétaires inévitables font que le Royaume-Uni ne peut plus continuer à faire tout tout seul. Cette constatation est du reste une évidence partagée par l'ensemble des pays ayant une industrie de défense. A terme, le nombre de programmes de même nature concurrents en Europe (avions de combat, chars, drones, missiles etc....) conduit inexorablement à la disparition de la base industrielle de défense européenne (BIDTE), à une dépendance accrue vis-à-vis des Etats-Unis et à la perte d'indépendance des politiques nationales. La coopération est incontournable pour trois raisons principales :

• elle permet de partager les coûts de développement des matériels militaires,

• elle fait bénéficier d'économies d'échelle sur des productions de série plus importantes ;

• elle crée un espace attractif pour l'industrie et les PME de défense afin qu'elles puissent bénéficier de conditions assurant leur pérennité et leur développement.

Le Livre vert britannique indique que:

« L'OTAN reste la pierre angulaire de notre sécurité. Cependant, comme Européens nous devons prendre de plus grandes responsabilités pour assurer notre sécurité ensemble. Une coopération de défense des Européens plus forte offre des opportunités, dont le moindre n'est pas (de permettre) un rôle plus large de la défense dans la résolution des conflits et l'établissement de la paix. Le Royaume-Uni améliorera de façon importante son influence si nous et nos partenaires européens parlent et agissent de concert. Un rôle robuste de l'UE dans la gestion de crises peut renforce l'OTAN. Jouer un rôle leader au coeur de l'Europe peut renforcer nos relations avec les Etats-Unis. »

Il ne s'agit certes pas d'une brusque conversion à l'esprit européen mais sans doute de l'illustration du pragmatisme britannique reconnaissant l'indiscutable bilan positif de l'Union européenne en matière de prévention et de gestion des crises. Cela étant, le rôle de l'Europe est clairement mis en perspective avec le renforcement de l'OTAN et des relations avec les Etats-Unis qui demeurent les deux partenaires fondamentaux du Royaume-Uni en termes de sécurité et de défense.

Les autorités britanniques distinguent trois acteurs majeurs dans le domaine multilatéral.

Le premier est l' OTAN qui, selon les autorités britanniques, a démontré sa capacité d'adaptation au monde de l'après-guerre froide en s'élargissant aux pays d'Europe centrale et orientale et en continuant son processus d'élargissement. Elle a joué un rôle central dans la résolution des crises successives dans les Balkans et joue naturellement un rôle directeur en Afghanistan. La révision de son concept stratégique est l'occasion de s'interroger sur ses objectifs et son rôle est de s'assurer que l'Alliance reste pertinente pour faire face aux nouveaux défis.

Le second acteur est l' Union européenne . Son action est toutefois présentée principalement comme venant compléter les efforts de l'OTAN en matière de sécurité dans la gestion des crises. Son action autonome est néanmoins reconnue : « Dans les opérations de stabilisation en Bosnie et en Afrique, dans la lutte contre la piraterie et dans une vaste gamme de missions civiles, de la Géorgie à l'Indonésie (Aceh), l'Union européenne a fait la démonstration qu'elle peut jouer un rôle important pour la promotion de notre sécurité. La mise en oeuvre du Traité de Lisbonne offre l'occasion de faire avancer notre objectif de développement de capacités civiles et militaires plus efficaces dans le cadre d'une approche civilo-militaire intégrée. »

Le rôle de l'ONU , « plus importante que jamais », est considéré comme étant essentiel pour gérer les changements de l'environnement de sécurité mondial.

À côté de cette approche multilatérale, le Royaume-Uni a deux partenariats fondamentaux.

Le premier est bien évidemment celui avec les États-Unis , fondé sur des valeurs communes et des intérêts qui persisteront au XXI e siècle au bénéfice mutuel des deux alliés. Le Livre vert souligne les bénéfices de la coopération en matière de nucléaire, de renseignement, de sciences et de technologie ainsi que dans le domaine des équipements. Il indique que la relation privilégiée entre les deux pays renforce l'efficacité de leur action pour lutter contre le terrorisme, la prolifération et le crime organisé, dans un monde globalisé où l'influence strictement nationale est plus limitée qu'auparavant. Les États-Unis demeurent, et demeureront donc, l'allié principal au niveau mondial.

Le même rôle d'allié principal, mais au niveau européen, est octroyé à la France dont le retour dans les structures militaires intégrées de l'OTAN offre la possibilité d'une plus grande coopération avec « un partenaire clé pour une grande variété d'activités de défense ».


* 1 Le Livre blanc de 1998 mettait en avant une stratégie du «go first, go fast, go home» qui s'est heurtée aux réalités des conflits irakien et afghan et à des guerres de contre-insurrection qui impliquent une mobilisation dans la durée.

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