3. Valoriser l'expertise.

L'expertise publique répond à un besoin constant des autorités. Il ne s'agit pas de multiplier les contrôles pour la brider, mais au contraire d'assurer la plus grande transparence et les meilleures conditions pour permettre à cet outil essentiel de la décision publique de s'exercer de la manière la plus efficace possible. Les autorités doivent donc aussi s'interroger sur ce qu'elles peuvent offrir aux experts : l'expertise ne peut pas être uniquement un devoir ou un honneur pour les scientifiques ; elle doit être reconnue comme un véritable service rendu à la collectivité, et comme telle se voir valorisée.

a) Mettre en place un statut de l'expert

Le statut de l'expert pose problème à cet égard : l'immense majorité des experts publics sont des vacataires, c'est-à-dire que leur activité d'expert vient nécessairement s'ajouter à leur activité et à leur carrière principales . Cela est d'ailleurs, en soi, un bien, voire une nécessité : un expert qui n'aurait pas d'autre fonction que de siéger dans des comités d'experts, qui aurait perdu tout lien avec la recherche ou le terrain, ne serait plus véritablement expert en quoi que ce soit. Néanmoins, cette nécessité est source de difficultés : comment concilier les deux activités, au-delà même des conflits d'intérêt potentiels déjà soulignés ?

L'expertise, venant s'ajouter à l'activité principale, constitue en effet une charge de travail supplémentaire qui peut rendre difficile l'exercice de l'une comme de l'autre activité. Mme Sylvie Van der Werf, membre du CLCG et en même temps responsable du Centre national de référence (CNR) chargé d'étudier les prélèvements pour établir s'il s'agissait ou non du virus grippal pour tout le nord de la France, a ainsi souligné lors de son audition que, pendant la période de pandémie, elle a été doublement sollicitée : d'une part, le volume d'activité du CNR a très fortement augmenté pendant cette période (entre mai et décembre, 5 400 prélèvements ont été traités, soit le double, voire le triple, de l'activité pour une saison normale) ; d'autre part, comme on l'a vu, l'activité du CLCG a été très intense. A des degrés divers, tous les experts se sont trouvés dans une situation similaire.

La fonction d'expert est-elle donc réellement compatible avec une activité à temps plein ? Si on répond par la négative, les autorités publiques sont confrontées à un dilemme : soit, pour constituer les comités d'experts, elles doivent « dépeupler » les instances de terrain de leurs meilleurs éléments ; soit elles doivent intégrer dans les comités d'expert uniquement ceux qui semblent les moins nécessaires au fonctionnement de l'organisme dont ils sont issus, c'est-à-dire en fait les moins compétents.

La solution est d'organiser la place de l'expertise dans une carrière, qu'elle soit publique ou privée. Deux préconisations semblent particulièrement intéressantes à cet égard. La première, issue du rapport de Mme Marie-Dominique Furet, tend à compenser véritablement le temps passé en tant qu'expert, ce qui implique, spécialement pour les experts ayant une activité libérale à plein temps, une augmentation du montant des vacations, voire la mise en place d'une véritable rémunération dans le cas de la participation permanente à un organe. Une échelle tarifaire fondée sur les comparaisons internationales en ce domaine devrait être envisagée pour assurer l'équité des sommes proposées.

Proposition n° 16 :
Organiser la place de l'expertise dans une carrière,
qu'elle soit publique ou privée.

Proposition n° 17 :
Compenser le temps passé en tant qu'expert, ce qui implique, spécialement pour les experts ayant une activité libérale à plein temps, une augmentation du montant des vacations, voire la mise en place d'une véritable rémunération dans le cas de la participation permanente à un organe.

Proposition n° 18 :
Mettre en place une échelle tarifaire de la participation à l'expertise
fondée sur les comparaisons internationales pour assurer
l'équité des sommes proposées.

b) L'expertise et l'hôpital public

Le second groupe de propositions concerne spécialement les praticiens hospitaliers, particulièrement nombreux parmi les experts tant auprès de l'industrie que des autorités publiques .

Tout d'abord, leurs relations financières avec leurs organismes de rattachement doivent être clarifiées. En effet, comme le souligne le rapport de l'IGAS sur la rémunération des praticiens hospitaliers, les directeurs d'hôpitaux sont encore trop rarement informés de l'existence de contrats passés par l'industrie avec un de leurs praticiens, voire une de leurs équipes. Le remboursement des frais engagés par la structure hospitalière à l'occasion d'une recherche ou d'une expertise n'est donc pas garanti. Il convient cependant de souligner qu'une part importante des sommes versées par l'industrie sert au financement des services où les recherches ont lieu par l'intermédiaire d'associations ad hoc , mises en place par les médecins. La part des sommes versées par l'industrie et servant à leur rémunération personnelle ne peut cependant être évaluée dans le cadre de ces pratiques qui se sont développées de manière autonome et en dehors des procédures hiérarchiques de l'hôpital public.

Comme le préconise l'IGAS, une première obligation doit être l'information systématique des directeurs des établissements publics sur les activités rémunérées effectuées par un médecin hospitalier à temps plein pour l'industrie ou les organismes publics de recherche et d'expertise. L'idée de mettre en place, dans chaque CHU, une fondation hospitalo-universitaire de recherche cogérée par l'hôpital et les médecins, afin d'améliorer la transparence des flux financiers entre l'industrie, les établissements et les praticiens paraît également particulièrement intéressante. L'obligation où se trouvent de nombreux médecins de chercher des fonds privés pour assurer le fonctionnement de leur service ou équipe trouverait ainsi un cadre légal susceptible de lever toute ambiguïté sur la nature de leur activité d'expertise.

Ensuite, il s'agit de créer dans chaque service hospitalier un plan d'activité permettant de répartir, pour six mois ou un an, les activités des médecins entre les soins, l'enseignement et la recherche. Ainsi, chaque médecin contribuera de manière équilibrée aux missions de son service. Le dispositif serait encadré par ce que la mission de l'IGAS a appelé des valences, c'est-à-dire des choix de spécialisation sur des périodes de trois à cinq ans permettant aux médecins de voir reconnaître leur spécialisation dans leur parcours de carrière et leur rémunération. La prise en compte de l'expertise publique paraît pouvoir parfaitement s'insérer dans le cadre proposé.

L'épidémie de grippe A (H1N1)v a donc été l'occasion de mettre en lumière aussi bien l'activité et le dévouement des experts publics français que les failles du système. Celles-ci expliquent que le travail de l'expertise n'ait pas suffisamment orienté les pouvoirs publics vers les décisions appropriées à l'ampleur de l'épidémie. Votre commission d'enquête considère donc que plusieurs réformes de structure doivent donc être envisagées, mais elle souligne également que le bon fonctionnement du système nécessite que les autorités veillent à écouter réellement la parole des experts. La puissance des a priori , chez les experts comme chez les pouvoirs publics, explique largement l'inadéquation d'une partie des mesures prises à la réalité ; c'est un point sur lequel la plus grande vigilance sera à l'avenir nécessaire.

Proposition n° 19 :
Mettre en oeuvre l'obligation d'information systématique des directeurs des établissements publics sur les activités rémunérées effectuées par un médecin hospitalier à temps plein pour l'industrie ou les organismes publics de recherche et d'expertise.

Proposition n° 20 :
Mettre en place, dans chaque CHU, une fondation hospitalo-universitaire
de recherche cogérée par l'hôpital et les médecins,
afin d'améliorer la transparence des flux financiers entre l'industrie,
les établissements et les praticiens.

Proposition n° 21 :
Créer dans chaque service hospitalier un plan d'activité permettant de répartir, pour six mois ou un an, les activités des médecins entre les soins, l'enseignement et la recherche. Ainsi, chaque médecin contribuera de manière équilibrée aux missions de son service.

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