B. QUELS ENJEUX EN 2010 ?

Outre l'importance de ses missions traditionnelles, le DRASSM doit aujourd'hui faire face à de nouveaux enjeux. La lettre de mission de son nouveau directeur souligne, parmi ces priorités, le développement de l' archéologie préventive en milieu immergé et la promotion de la formation .

1. Une archéologie préventive balbutiante
a) Des prescriptions non suivies d'effets

Alors que les services régionaux de l'archéologie (SRA) sont compétents pour prescrire les travaux d'archéologie préventive terrestre et dans les eaux intérieures, cette mission incombe au DRASSM pour le domaine maritime. Parallèlement, ce sont les CIRA qui rendent un avis consultatif sur les prescriptions affectant le milieu terrestre et les eaux intérieures, alors que c'est le CNRA qui remplit ce rôle pour le domaine maritime.

Or, selon le directeur du DRASSM, les prescriptions émises par son département en matière d'archéologie préventive sont très rarement suivies d'effets . De fait, les interventions en milieu subaquatique ou sous-marin nécessitant un personnel très spécialisé et un matériel coûteux, aucun opérateur, qu'il soit une collectivité territoriale ou une entreprise privée ne s'est encore déclaré 22 ( * ) . L'INRAP demeure donc le seul opérateur potentiel, mais cette compétence apparaît à son tour largement théorique, puisque l'institut ne dispose pas encore des moyens techniques de la mettre en oeuvre.

Si le développement embryonnaire de l'archéologie préventive en milieu immergé tient donc d'abord à l'absence d'opérateur techniquement prêt à y intervenir, il semble également imputable à la très faible diffusion du « réflexe préventif » chez les aménageurs et au sein même des administrations. Ainsi, selon les représentants d' Arkaeos , les aménageurs ne songent pas toujours à déclarer leurs opérations en milieu fluvial, lacustre ou maritime, ou ne les adressent pas nécessairement aux services compétents de l'Etat, ce qui peut aboutir à l'absence pure et simple de prescription.

Ces analyses sont recoupées par le rapport d'activités 2009 du DRASSM qui, page 31, évoque une « transmission aléatoire des dossiers d'aménagement » . Ce défaut de transmission semble intéresser tout particulièrement les aménagements portuaires , « car trop souvent encore le DRASSM est tenu dans l'ignorance des travaux réalisés sur le littoral français et l'on ne s'avise soudainement de (leur) existence que lorsque des découvertes fortuites et destructrices de vestiges archéologiques sont occasionnées par les travaux » .

b) Une problématique désormais bien identifiée

Selon une récente étude de Philippe Pelgas, faite pour le compte de l'INRAP 23 ( * ) , « les prescriptions subaquatiques et sous-marines sont peu nombreuses (et) sans commune mesure avec les prescriptions terrestres » . Si l'on en croit Michel L'Hour, cette situation pourrait néanmoins évoluer , comme l'indique la brutale multiplication des permis d'extraction de granulats marins ou d'implantation d'éoliennes ou d'hydroliennes.

C'est dans ce contexte sur les représentants de l'INRAP ont indiqué à votre rapporteur spécial travailler à la création d'une cellule subaquatique au sein de l'institut. Cette création s'opèrerait à moyens constants, par redéploiement d'effectifs aptes aux travaux archéologiques subaquatiques 24 ( * ) . Au-delà des moyens humains, la question est également celle de l'adaptation de la redevance d'archéologie préventive aux milieux immergés , qui permettrait de procurer des ressources supplémentaires à l'archéologie préventive.

Ces deux problématiques doivent enfin être replacées dans le contexte d'étranglement budgétaire et financier de l'INRAP, qui fait face, fin 2010, à une crise de trésorerie sans précédent. Ses responsables ont ainsi indiqué à votre rapporteur spécial, au cours des auditions préparatoires à l'examen du projet de loi de finances pour 2011, que la création de la cellule subaquatique était désormais suspendue à l'assainissement de la situation financière de l'institut. Une refonte totale de la RAP devrait intervenir prochainement, dans le prolongement d'un rapport remis en octobre 2010 par l'Inspection générale des finances. Votre rapporteur spécial souhaite vivement que cette refonte intègre la problématique de la perception de la redevance en milieu immergé, permettant un réel déploiement de l'archéologie préventive subaquatique et sous-marine.

2. Le développement de la formation : le cas des bénévoles

Le développement de la formation à l'archéologie sous-marine fait explicitement partie des priorités du nouveau directeur du DRASSM. Selon M. L'Hour, la primauté française dans cette discipline confère à notre pays une « responsabilité spécifique » 25 ( * ) dans son essor, à plus forte raison dans un contexte de popularisation des activités archéologiques en milieu immergé, de multiplication des projets de recherche, mais aussi d'accroissement des menaces pesant sur les biens culturels maritimes. A cet égard, si la formation des archéologues plongeurs professionnels fait partie intégrante des missions du DRASSM 26 ( * ) , votre rapporteur spécial y voit aussi l'opportunité d'apaiser des relations parfois tendues avec les bénévoles.

a) Des relations parfois tendues avec les bénévoles

Au cours de ses travaux de contrôle, votre rapporteur spécial n'a pu que constater l'existence de relations tendues ou de crispations entre certains bénévoles et le DRASSM. Les témoignages recueillis révèlent un double déficit d'information et de considération ressenti par des bénévoles qui se revendiquent, à bon droit, comme les inventeurs de la discipline.

A titre d'exemple, les représentants du Groupe de recherche en archéologie navale (GRAN) estiment que leurs relations avec le DRASSM ont souvent été « caractérisées par une absence de travail constructif et de coopération . Pire, notre activité semble avoir souvent été perçue par le DRASSM comme une concurrence non souhaitée, il s'en est suivi au mieux des tracasseries administratives, au pire des tentatives de blocages de nos initiatives » 27 ( * ) .

Ensuite, et bien que le rapport d'activité 2009 du DRASSM dresse un bilan très favorable de la procédure d'instruction des dossiers, qui a amélioré la « lisibilité des décisions du département » 28 ( * ) , les bénévoles affirment parfois peiner à comprendre pourquoi certaines opérations ne sont pas autorisées, ou sont limitées dans le temps 29 ( * ) , et regrettent d'être insuffisamment informés des suites des rapports de fouille qu'ils remettent. Le GRAN déplore ainsi « l'absence totale de retour et de concertation concernant les comptes rendus de fouille qui (...) sont remis. Ni critique, ni approbation, ni conseil, le travail effectué se trouve ainsi confronté à une indifférence totale » 30 ( * ) . André Lorin, archéologue bénévole, estime que les réunions de programmation organisées par les DRAC, en archéologie terrestre, pourraient utilement inspirer le DRASSM, avec lequel les relations sont trop épisodiques et ne permettent pas aux bénévoles de rendre véritablement compte de leurs travaux.

Dans le même ordre d'idées, plusieurs témoignages insistent sur la captation par le DRASSM ou par les associations professionnelles qui l'entourent des retombées médiatiques ou de la reconnaissance scientifique liées à certaines découvertes . Plusieurs plongeurs ou représentants d'association ont, par exemple, regretté que les expositions et ouvrages 31 ( * ) suivant les fouilles du site de la Natière aient minimisé la contribution des bénévoles à ce chantier. De la même manière, les représentants de la FFESSM ont souligné que le rôle des bénévoles a été ignoré ou trop peu mis en valeur à la suite des découvertes exceptionnelles faites dans le Rhône.

Enfin, les bénévoles se sentent parfois cantonnés à des opérations de faible envergure, comprennent mal de n'avoir guère voix au chapitre dans les CIRA et de n'être récompensés que symboliquement des découvertes qu'ils font. De fait, les chercheurs entendus par votre rapporteur spécial confirment que si les bénévoles jouent un rôle important dans la prospection et le sondage, voire sont à l'origine de certaines opérations de dimensions modestes, les opérations d'ampleur scientifique importante sont avant tout conduites par des structures de professionnelles (CNRS, université, associations professionnelles).

Il convient naturellement d'examiner avec distance l'ensemble de ces griefs qui, s'ils traduisent un réel malaise, ne sont pas nécessairement imputables à une ignorance délibérée, voire à une malveillance du DRASSM envers le monde bénévole.

L'archéologie sous-marine regroupe, en premier lieu, un nombre restreint d'acteurs, ce qui peut expliquer le retentissement important des contacts personnels sur la qualité des relations institutionnelles . Ainsi, selon l'expression imagée de Martine Sciallano, conservateur du Musée d'Hyères, le monde de l'archéologie sous-marine apparaît-il comme un « petit milieu éminemment fermentescible » . Le DRASSM est ensuite, de par la tutelle de fait et de droit qu'il exerce sur la pratique de l'archéologie sous-marine, susceptible de s'attirer les rancoeurs des plongeurs ou des archéologues auxquels il aurait refusé, pour des raisons scientifiques ou techniques objectives, la réalisation d'une opération.

Par ailleurs, l'archéologie sous-marine a connu, comme l'archéologie terrestre, un mouvement progressif de professionnalisation et, partant, de marginalisation relative des bénévoles ou des indépendants. Selon les réponses au questionnaire, « l'archéologie sous-marine a très longtemps été le fait d'individus passionnés et compétents qui s'attachaient à la fouille d'une épave pendant plusieurs années. Suivant le mouvement général de l'archéologie française et européenne, cette discipline a connu durant les quinze dernières années une tendance à la constitution d'équipes et de réseaux autour de problématiques scientifiques dépassant le niveau des simples sites » .

Michel L'Hour a indiqué à votre rapporteur spécial que la soumission des dossiers d'archéologie sous-marine aux CIRA avait suscité des incompréhensions de la part des bénévoles et que le DRASSM se trouvait « entre le marteau et l'enclume » , à la fois chargé de défendre les initiatives des bénévoles auprès de CIRA exigeantes et s'efforçant d'expliquer aux mêmes bénévoles les mutations institutionnelles et scientifiques affectant leur discipline. Selon M. L'Hour « nombre d'équipes bénévoles ont très mal accepté le principe de l'examen des dossiers par les CIRA auxquelles ils reprochent de ne pas tenir assez compte des conditions environnementales spécifiques des univers subaquatiques et sous-marins, mais on rappellera que c'est précisément le rôle du DRASSM d'instruire au mieux les CIRA sur les conditions environnementales qui peuvent avoir ponctuellement réduit les capacités de l'équipe de fouille à atteindre les objectifs fixés » .

Cette professionnalisation de l'archéologie s'est enfin accompagnée d'un durcissement des exigences de la réglementation applicable en milieu hyperbare (décret n° 90-277 du 28 mars 1990). Ces évolutions traduisent une volonté d'améliorer les conditions de sécurité dans lesquelles les travaux sous-marins sont conduits, mais rendent plus difficile la participation des bénévoles à certaines opérations 32 ( * ) .

L'ensemble de ces facteurs a donc probablement contribué à attiser les tensions précédemment évoquées.

b) Communiquer et former : un enjeu d'apaisement

Il faut donner acte au DRASSM de sa volonté d'apaiser les tensions 33 ( * ) et de préserver un tissu dense de bénévoles , qui joue notamment un rôle permanent et extrêmement précieux de veille et de prospection. Martine Sciallano, conservatrice du musée d'Hyères, a ainsi confirmé à votre rapporteur spécial que le DRASSM était « plus ouvert aux bénévoles que par le passé » , lorsqu'il avait eu tendance à les assimiler à des pilleurs d'épaves ou à des chasseurs de trésors. Les représentants de la FFESSM ont également souligné que les relations récentes de la fédération avec le DRASSM étaient globalement de bonne qualité.

Selon les réponses au questionnaire, la place des bénévoles dans les opérations d'archéologie programmée demeure importante (près de 70 %) et les bénévoles ont participé à 8 fouilles programmées et à 38 opérations de prospection en 2009. Eric Rieth, chercheur au CNRS, a également fait valoir que des projets tels que les atlas des biens culturels maritimes constituaient d'excellentes opportunités pour nouer des collaborations avec les bénévoles.

Il apparaît, en deuxième lieu, indispensable de mieux expliquer au public bénévole les motivations des nouvelles exigences réglementaires et scientifiques qui s'imposent à l'archéologie sous-marine, et en particulier le nouveau rôle joué par les CIRA, dont l'articulation avec l'action du DRASSM demeure manifestement mal comprise.

Au-delà, le développement d'une formation spécifique en direction de ce public apparaît indispensable, les bénévoles s'étant eux-mêmes montrés très désireux de se mettre régulièrement au niveau des exigences croissantes de la discipline. Lors de son déplacement à Marseille, votre rapporteur spécial a ainsi pu constater que deux agents du DRASSM étaient désormais chargés d'actions de formation en conservation préventive, restauration et gestion de collections et qu'un vade-mecum sur le traitement des objets archéologiques était en cours d'élaboration. Le DRASSM nourrit par ailleurs l'ambition de créer un « centre international de formation à l'archéologie sous-marine » , en partie dédié aux « archéologues sous-marins, dits amateurs ou bénévoles, qui ont déjà acquis une certaine expérience en archéologie sous-marine dans le cadre d'opérations autorisées, soit des chantiers de fouilles programmées ou préventives, soit des prospections » .

Ces initiatives méritent d'être saluées et amplifiées, non seulement dans le but de « normaliser » les relations des bénévoles avec le DRASSM, mais aussi et surtout afin de faire émerger de nouvelles générations de bénévoles de bon niveau scientifique et technique , susceptibles de conforter l'essor d'une discipline où la France excelle.


* 22 Les représentants d'Arkaeos ont néanmoins indiqué à votre rapporteur spécial qu'ils avaient constitué une SARL baptisée Ipso facto, ayant vocation à intervenir en matière préventive en milieu immergé.

* 23 Etude de faisabilité de création d'une cellule subaquatique et sous-marine à l'Institut national de recherches archéologiques préventives.

* 24 Selon Jean-Paul Jacob, l'INRAP bénéfice, au sein de ses équipes, de douze à quinze très bons spécialistes d'archéologie sous-marine.

* 25 Eléments de réflexion en préalable à une nouvelle concertation sur les problèmes de la formation en matière d'archéologie sous-marine, par M. Michel L'Hour (22 septembre 2010).

* 26 Selon le directeur du DRASSM, à l'exception de son département, « les partenaires institutionnels participant au développement de la recherche archéologique sous-marine française et susceptibles d'assurer une formation à l'archéologie sous-marine sont rares et structurellement peu préparés à cette mission » . Il en va ainsi des antennes universitaires, des centres de recherche, mais aussi de la formation dite « de terrain », au sein des équipes professionnelles. Les premiers proposent souvent des formations très spécialisées ou « trop théoriques par rapport à la complexité de la discipline et à l'ensemble des compétences qu'elle exige » . Au sein des équipes professionnelles, la formation sur site est quant à elle fortement contrainte par les impératifs de sécurité, la nécessité de donner la priorité aux travaux de fouille ou encore les aléas climatiques. Ce constat conduit M. Michel L'Hour à la conclusion que « les archéologues sous-marins français, précurseurs il y a un demi-siècle de la mise en oeuvre de la discipline, sont aujourd'hui mis en demeure de faire des propositions concrètes de formation professionnelle pour les spécialistes de l'archéologie sous-marine » .

* 27 Contribution écrite du GRAN adressée à votre rapporteur spécial.

* 28 Selon les réponses au questionnaire, « l'ensemble des personnels du service chargés de la responsabilité scientifique des différentes zones géographiques du territoire français participent désormais en plénière à l'examen de l'intégralité des dossiers de demande d'opération. Ils sont donc beaucoup mieux à même qu'autrefois de mettre en perspective ou d'expliquer aux différents responsables d'opération dont ils suivent les dossiers les lacunes potentielles de leur projet. Par ailleurs, les attributions de subventions d'intervention sont longuement et contradictoirement discutées entre tous les responsables scientifiques du DRASSM en charge des différentes zones géographiques du territoire français. Il est plus aisé, ce faisant, d'établir des péréquations d'un dossier à l'autre et de hiérarchiser la complexité et l'importance scientifique, technique et humaine des projets et programmes proposés. Auparavant, et jusqu'au printemps 2006, les décisions d'attribution de subventions d'intervention étaient arrêtées par le seul directeur du département sans consultation ni information des personnels. Dès lors, il était naturellement plus compliqué pour les agents du DRASSM d'expliquer sans équivoque aux intervenants extérieurs les éléments de réflexion et de pondération sur lesquels le département avait fondé son arbitrage. Les décisions étaient en conséquence moins lisibles qu'aujourd'hui ».

* 29 Ce défaut d'information a notamment été relevé par les représentants de la fédération française d'études et de sports sous-marins (FFESSM).

* 30 Regrets également exprimés par André Lorin, archéologue bénévole.

* 31 Intitulés « La Mer pour mémoire » .

* 32 Le décret de 1990 prévoit néanmoins la possibilité, pour les plongeurs bénévoles, de bénéficier de dérogations accordées au cas par cas, opération par opération. Le DRASSM assure le secrétariat de la commission chargée de délivrer ces dérogations, qui a examiné, en 2009, 462 demandes individuelles répondant à des motivations archéologiques.

* 33 Le rapport d'activité de 2009 du département évoque ainsi, non sans un certain lyrisme, la nécessité de « faire taire les rancoeurs entre les hommes du silence » . Le DRASSM a également pris des initiatives pour améliorer ses relations avec la Fédération française d'études et de sports sous-marins. Selon les réponses au questionnaire, « à l'occasion de l'établissement du DRASSM dans ses locaux de l'Estaque, de nouveaux liens ont été établis avec la FFESSM (rencontre du 1 er septembre 2009) et ont permis de définir un cadre de coopération et de conduite de projets communs dont, en, 2010, un chantier co-dirigé par une archéologue du DRASSM et un représentant de la FFESSM (site Ouest Giraglia 2 en Corse) » .

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