D. UNE SOURCE DE DÉPENSES ET DE RECETTES POUR L'ETAT

Bien qu'entreprise de solidarité internationale, l'AFD est également une entreprise rentable, qui a dégagé ces dernières années un dividende annuel de près de 200 millions d'euros dont 100 % a été prélevé par l'Etat et partiellement redistribué au sein du budget de la coopération.

Ces recettes doivent être mises en regard des ressources de l'AFD en provenance de l'Etat. L'AFD reçoit pour bonifier ses activités de prêts en moyenne 400  millions d'euros de crédits de paiement par an sous forme de crédits de bonification ou de prêts à condition spéciale. Elle gère par ailleurs pour le compte de l'Etat un peu moins de 400 millions des crédits de subventions pour lesquels elle reçoit en outre une rémunération de l'ordre de 25 millions d'euros qui ne couvrent pas entièrement les frais d'instruction et de suivi des projets correspondants dont la gestion a été progressivement transférée de l'Etat à l'AFD. A ces financements croisés s'ajoutent les prestations de l'AFD pour l'Etat en matière de conseil, de communication et de partenariat que l'AFD finance sur ses fonds propres.

Ces différentes dimensions de l'AFD coexistent en même temps et parfois dans un même et seul projet. Les différentes tutelles de l'AFD ont à l'esprit chacune de ces facettes, même si, naturellement, la direction du Trésor du ministère des finances est plus sensible à l'aspect bancaire, la direction du budget à l'aspect budgétaire, la direction générale de la mondialisation du ministère des affaires étrangères à l'aspect solidarité et les autres directions du Quai d'Orsay aux aspects diplomatiques et géostratégiques.

E. UN MODÈLE POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE SINGULIER FONDÉ SUR UNE PÉRÉQUATION ENTRE LES DIFFÉRENTES ACTIVITÉS

Comme l'a observé la Cour des comptes : « La France est pratiquement le seul bailleur important qui ait pour principal instrument une institution financière soumise au régime des établissements de crédit » 5 ( * )

Chez nos principaux partenaires, les agences de développement sont dans la plupart des cas des administrations centrales ou des établissements publics administratifs placés directement sous l'autorité du ministère des affaires étrangères et/ou de la coopération et dotés de crédits budgétaires.

Au Royaume-Uni, le DFID (Department for international Development) fait partie de l'administration et est dirigé par le Secrétaire d'Etat pour le développement international, membre du Cabinet jusqu'en 2010.

Le faible recours aux prêts pour l'aide au développement explique largement l'absence d'une institution financière spécialisée. En Suède, SIDA (Swedish International Development Cooperation Agency) est une agence gouvernementale chargée de réaliser les objectifs de la politique de coopération suédoise sous la direction du ministère des affaires étrangères.

A l'échelon communautaire, l'Office de coopération EuropeAid est une des directions générales de la Commission européenne. Créée en janvier 2001, elle a pour mission de mettre en oeuvre les instruments d'aide extérieure de la Commission européenne, qui sont financés par budget de l'Union européenne et les crédits du Fonds européen de développement. A l'action de cet organisme s'ajoute celle de la Banque européenne d'investissement (BEI) qui inclut dans son activité le financement du développement.

La situation est analogue dans les pays d'Amérique du Nord. L'USAID est une agence du gouvernement fédéral dont l'action est dirigée par le Département d'Etat.

Au Canada, l'Agence canadienne de développement international (ACDI) dépend du ministère des affaires étrangères et du commerce international.

Le cas allemand est particulier. Les opérations de coopération internationale sont en effet confiées à deux entités:

- La GTZ 6 ( * ) (Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit, Société allemande pour la coopération technique) qui réalise des projets de coopération dont la majeure partie est financée par le ministère fédéral de la coopération économique et du développement (BMZ).

- La Kreditanstalt für Wiederaufbau Bankengruppe (groupe bancaire KfW) qui inclut notamment la KfW IPEX-Bank (Banque de financement des exportations et des projets) et la KfW Entwicklungsbank (Banque de développement de la KfW).

Le système étranger qui se rapproche désormais le plus du système français est le japonais, depuis la fusion en 2008 en une agence unique, la Japan International Cooperation Agency (JICA), de l'entité précédemment chargée depuis 1974 de l'assistance technique et de la gestion des dons et de la banque JBIC proche du modèle de la KfW accordant les prêts.

Ce positionnement singulier associant plusieurs métiers qui vont de l'activité bancaire à l'agence de dons, en passant par le bureau d'étude et d'assistance technique, la promotion des intérêts économiques ou diplomatiques français, constitue indéniablement un avantage stratégique important de l'AFD.

Cette configuration lui permet selon les contextes de « jouer sur plusieurs tableaux » et d'avoir une grande souplesse dans les solutions apportées aux demandes de nos partenaires du Sud auxquels l'AFD peut offrir une palette d'instruments et de solutions très vaste. Elle induit également un modèle économique original par lequel des activités rentables de crédits et de production financière viennent en partie financer des activités déficitaires de gestions de subventions, de production intellectuelle, de conseils, de partenariats et de communication. A cette péréquation entre métiers correspond de plus en plus une péréquation entre zones géographiques, dans la mesure où la marge bancaire de l'AFD est produite dans les zones les plus prospères alors que les activités déficitaires de gestions de subventions se situent dans les zones les moins pourvues.

Cette capacité à gérer ensemble ces différentes activités constitue un avantage comparatif de l'AFD par rapport à ses homologues mais également une source de difficultés pour la définition et la communication d'une stratégie.

Ces différentes « casquettes » qui font de l'AFD non seulement l'opérateur pivot de la coopération mais également son « couteau suisse » est régulièrement une source d'incompréhension, voire de critiques.

L'AFD est ainsi très régulièrement jugée sur les 300 millions de subventions qu'elle octroie, sans que soient pris en compte les 6 ou 7 milliards d'engagements qu'elle effectue essentiellement sous forme de prêts . Même si cela peut avoir une justification, le nouveau contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD illustre ce biais puisque sur 9 indicateurs de performance portant sur la concentration des activités de l'AFD, 6 concernent les quelque 300 millions de subventions, projets et aides budgétaires globales et 3 seulement portent sur l'effort financier global participant aux 6 ou 7 milliards d'engagements. Il est ainsi fréquent que le public, les ONG et les parlementaires s'adressent à l'AFD comme à une agence de coopération pour découvrir ensuite qu'il s'agit aussi, voire d'abord, d'un établissement bancaire.

Cette incompréhension, que vos rapporteurs partageaient au début de leur mission et qui s'est estompée au fur et à mesure de leurs travaux, ne tient pas seulement à une méconnaissance de la réalité de l'AFD ou des avantages respectifs des dons et des prêts. Elle tient également au discours véhiculé par l'AFD et les pouvoirs publics qui, à force de jouer sur tous les tableaux, ont pu contribuer à brouiller les esprits.

Ainsi la difficulté culturelle pour les agents de l'AFD à présenter la façon dont cet établissement gagne de l'argent, comme l'atteste son résultat comptable, contribue à des glissements sémantiques dans lesquels des opérations économiquement rentables sont présentées comme des actions plus ou moins désintéressées. La difficulté à admettre une forme de rentabilité -dont l'AFD est par ailleurs fière- conduit par exemple à ce qu'il faille comprendre sous le vocable « opérations de pure influence », les opérations financièrement les plus rentables et comportant un fort retour pour les entreprises françaises.

Ces difficultés à communiquer sur une identité et des opérations complexes ont atteint leur apogée lors de l'élargissement du mandat de l'AFD aux pays émergents et à la lutte contre le réchauffement climatique.

Cette diversification géographique et sectorielle de l'activité et des risques s'est déroulée parallèlement à une diminution des moyens en subventions destinées à l'Afrique subsaharienne, si bien qu'elle a été souvent perçue comme une contradiction et un renoncement aux activités traditionnelles de coopération avec les pays africains. Dans ce contexte, la difficulté à communiquer sur une éventuelle péréquation entre les activités rentables dans les pays émergents et celles menées en Afrique n'a pas permis de mettre en valeur la cohérence de la stratégie, ni de clarifier aux yeux des contribuables les motivations de l'activité de l'AFD dans ces pays.


* 5 Cl « La place et le rôle de l'Agence française de développement dans l'aide publique au développement », communication à la commission des finances de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale.

* 6 Devenue en 2011 le GIZ

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