5) LE DÉFI ÉCOLOGIQUE

- Si rien ne change...

- Voies et moyens de l'orientation vers la ville durable

- Concentration ?

- Choix urbains

Les villes contribuent de manière déterminante à l'effet de serre, car elles sont responsables de 80 % des émissions mondiales de CO2 et de 75 % de la consommation mondiale d'énergie 44 ( * ) . Une des questions que pose l'évolution future des mégapoles concerne l'évolution du modèle énergétique actuel.

Les très grandes villes maintenant désindustrialisées -par conséquent moins consommatrices d'énergies- ne posent, semble-t-il, pas des difficultés insurmontables dans ce domaine. Avec l'éloignement des emplois des centres de production dans un univers de plus en plus marqué par la production de type tertiaire -, la question de l'énergie est moins sensible qu'autrefois. Elle ne concerne essentiellement que le bâti et les transports.

Pour les bâtiments, il est possible de réduire fortement les dissipations d'énergie. De même, il est possible d'envisager de manière réaliste l'autosuffisance des bâtiments par le recours aux énergies renouvelables, à la biomasse et à la géothermie. Il existe ainsi des bâtiments « à énergie positive ». Le problème essentiel est celui du financement et de l'ingénierie financière à mettre en oeuvre pour financer les travaux nécessaires- créateurs d'activité ou d'emploi- qui induiront d'importantes économies futures. Il est clair qu'il ne s'agit pas seulement d'ingénierie, mais de volonté politique.

Il est probable que les mégapoles consommeront de plus en plus d'énergie renouvelable. Il faut aussi souligner le caractère particulièrement coûteux de la production électrique photovoltaïque, notamment pour les zones de l'hémisphère nord septentrionales moins ensoleillées que la Californie.

Le graphique suivant établi par l'ONU 45 ( * ) confirme le lien direct entre les émissions de gaz à effet de serre et le niveau de l'urbanisation.

ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE

ET NIVEAU DE L'URBANISATION

La nécessité de réduire par quatre les émissions de gaz carbonique à l'horizon 2050 pour limiter le réchauffement climatique a conduit depuis quelques décennies à une intense réflexion prospective sur les cheminements possibles pour aboutir à la ville « post-carbone ».

Le constat le plus troublant et aussi le plus inquiétant tient au fait que les villes retiennent davantage la chaleur que les campagnes . Selon une étude récente du service de la météorologie britannique publiée par la revue Geophysical Research Letters 46 ( * ) , les villes connaîtront une augmentation plus importante de leur température moyenne que les campagnes, essentiellement en raison d'une part d'un « effet îlot thermique urbain » généré à la fois par la concentration de la population, par la pollution et par la chaleur, et d'autre part, par une moindre absorbation de la chaleur du jour du fait de l'absence de végétation et de la présence de matériaux qui restituent cette chaleur la nuit.

LE PHÉNOMÈNE DES ÎLOTS DE CHALEUR
SELON LA SITUATION DANS LA VILLE

Source : Future Cities EU Project

Les températures diurnes pourraient augmenter de 2,7 °C et les températures nocturnes de 5 °C. Cette élévation de la température dans les grandes agglomérations aurait nécessairement des conséquences en termes de santé publique. La carte suivante est un des premiers schémas montrant l'existence des îlots de chaleur (Arnhem, Pays-Bas).

CARTOGRAPHIE DES ILÔTS DE CHALEURS
DANS LA VILLE DE ARNHEM (PAYS-BAS)

L'impact environnemental des villes est considérable dans l'optique du changement climatique . Selon la Banque Mondiale, le secteur des transports dans les villes représente au moins un tiers des émissions de gaz à effet de serre (18 % à Washington DC, mais 60 % à Sao Paulo). Un autre tiers provient des immeubles commerciaux ou résidentiels mal isolés thermiquement. Le dernier tiers provient des autres consommations d'énergie, des activités économiques et des déchets.

La situation est profondément hétérogène selon les pays . A Shanghai, 80 % des émissions de gaz à effet de serre proviennent des activités industrielles, mais seulement 10 % à Tokyo, 7 % à Londres et 0,04 % à Washington DC.

De toutes les études menées sur les formes urbaines et les émissions de gaz à effet de serre, il apparaît qu'il existe un lien inverse entre densité urbaine et consommation d'énergie par habitant pour les déplacements de personnes. Les espaces à faible densité de population -les zones rurales et les espaces périurbains- génèrent une consommation énergétique par habitant pour les déplacements locaux de personnes et pour l'habitat supérieure à celle des espaces denses. A densité comparable, l'existence de transports collectifs conduit à une réduction des émissions moyennes de gaz à effet de serre pour ces déplacements.

Mais il apparaît également que les variables déterminantes sur les gaz à effets de serre dépendent autant des caractéristiques des formes urbaines que de leurs dynamiques de transformation : usage du sol / ou transport, organisation territoriale (types de mobilité, localisation de l'habitat et de l'emploi, problématiques foncières.

Pour prendre la mesure du défi écologique qui va se poser aux villes dans les prochaines décennies, il est nécessaire de se pencher sur les perspectives de consommation énergétique mondiale, telles qu'elles ont pu être dessinées par le Conseil mondial de l'énergie 47 ( * ) . Pour répondre à la demande en énergie de tous les habitants de la planète, l'offre d'énergie doit doubler d'ici 2050 comme le montre le scénario tendanciel du Conseil mondial.

La part du résidentiel dans la consommation d'énergie à venir va augmenter plus vite que celle des transports . Or, dans le cadre de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, de nouveaux modes de consommation ou de restriction semblent inéluctables. Ils concerneront donc en priorité les villes du futur.

CONSOMMATION MONDIALE D'ÉNERGIE D'ICI A 2050

Source : Conseil Mondial de l'Énergie

C'est la raison pour laquelle les recommandations émises par le Conseil mondial de l'énergie -qui correspondent vraisemblablement aux évolutions rendues nécessaires par les économies d'énergie- touchent d'abord la vie future dans les ensembles urbains. Il s'agit notamment de :

- la promotion de l'efficacité énergétique, en faisant appel à tous les moyens possibles, tout au long de la chaîne de l'énergie, de l'exploration à l'utilisation finale de l'énergie : campagnes de sensibilisation des consommateurs, incitations financières, adoption de normes et réglementations ;

- la sensibilisation du public au rôle que peut jouer le secteur des transports pour une utilisation plus efficace de l'énergie, par une évolution de l'urbanisme, l'adoption de mesures encourageant l'efficacité énergétique et le progrès technologique ;

- la fixation d'un prix mondial du carbone susceptible d'avoir un impact sur les prix et d'induire des changements de comportement.

La planification urbaine -en particulier celle portant sur les infrastructures collectives- reste ainsi déterminante pour le bon fonctionnement de la ville du futur. Il est ainsi contreproductif dans les villes de l'Inde de recourir à des groupes électrogènes, comme le font la plupart des boutiques, pour remédier aux coupures fréquentes de courant électrique qui résultent de l'état de vétusté des réseaux. Comme le souligne un rapport récent de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix rouge et du Croissant Rouge : « Ce n'est ni la taille d'une ville ni la vitesse à laquelle elle pousse qui déterminent l'état de son environnement mais la qualité de sa gestion et des relations entre les autorités et la population économiquement faible ».

S'agissant des transports, les solutions permettant de substituer des combustibles renouvelables aux combustibles fossiles dépendent largement des conditions dans lesquelles pourra être atteint l'objectif tendant à permettre des déplacements à des coûts raisonnables avec le moins de pertes de temps pour les usagers . De ce point de vue, les solutions les moins émettrices de particules fines et de gaz à effets de serre sont les véhicules électriques ou les véhicules à motorisation hybride pour les longues distances.

Les mégapoles : des villes énergivores à repenser

Le développement des mégapoles se caractérise généralement par un processus d'étalement urbain. A Wuxi, en Chine, entre 1990 et 2005, c'est « près de 990 km² qui ont été conquis par l'urbanisation » 48 ( * ) alors que la superficie totale de la ville est de 4787,61 km². Au vu de ces chiffres, Wuxi est l'anti-modèle de la ville compacte qui concentre un maximum d'activités (bureaux, habitations, équipements publics) en un minimum d'espace. Néanmoins, ce modèle de la ville diffuse, qui conduit à abolir les frontières entre l'urbain et le suburbain, n'est pas propre aux pays en développement. Aux Etats-Unis, Los Angeles s'est développée selon le même modèle, « au rythme des bonds démographiques successifs et des choix pragmatiques tant au niveau institutionnel, qu'urbain ou politique » 49 ( * ) .

Cette façon de concevoir la ville n'est pas sans poser des problèmes au niveau environnemental. En effet, plus les métropoles se déploient sur un territoire vaste et plus les individus sont obligés d'utiliser des moyens de transport motorisés pour se rendre d'un point à l'autre. Alors qu'au début du 20 ème siècle, le tramway et le train étaient le moyen privilégié par les Angelinos pour se déplacer, l'avènement de la voiture a complètement changé la donne : cette dernière est devenue indispensable pour les trajets domicile-travail si bien que Los Angeles est « l'une des villes les plus embouteillées du monde et les problèmes de transport et de circulation constituent la plainte n°1 de ses habitants » 50 ( * ) . Pour Eric Eidlin, elle représente le pire modèle en matière d'urbanisme car « il allie les caractéristiques des aires urbaines denses et encombrées aux pires caractéristiques des métropoles étendues et orientées vers la voiture » 51 ( * ) .

Aujourd'hui, ces mêmes problèmes concernent également les métropoles d'Amérique du Sud et d'Asie. Pour autant, les enjeux environnementaux sont à présent bien connus de tous et les métropoles se trouvent obligées de réfléchir aux moyens qui permettent une réduction de leur empreinte carbone. Ainsi, à Los Angeles, il a été engagé un ambitieux programme de prospective urbaine ( le Southern California Compass ) qui a débouché sur deux propositions : la réalisation d'infrastructures de transport (trains, bus rapides) reliant les grands hubs entre eux pour limiter l'usage de la voiture et le ralentissement de la suburbanisation pour re-densifier le centre-ville et réduire le périmètre des déplacements.

Pour l'optimisation des transports urbains, le modèle japonais à forte densité humaine sur la base de petites maisons individuelles construites sur de très petites parcelles est naturellement bien supérieur au modèle américain des villes étalées. S'agissant de Londres, le réseau des transports collectifs a beaucoup souffert de la négligence des dernières décennies ; c'est un réseau en phase de rattrapage comme le réseau de l'Ile-de-France, réseau qui -en outre- souffre d'une insuffisance de lignes périphériques.

Les coûts unitaires de réalisation de transports collectifs urbains sont très différents selon les solutions retenues : faibles pour des bus en site propre (2 à 3 millions d'euros le kilomètre), ils peuvent atteindre 10 à 20 millions d'euros pour des lignes de tramways (Mexico, Paris), voire 100 millions d'euros le kilomètre pour des lignes de métros ou de trains express régionaux.

Source : Elaine Baker, Emmanuelle Bournay, Benjamin Dessus et Philippe Rekacewicz Le Monde Diplomatique janvier 2005

La plupart des villes du tiers monde choisissent les solutions les moins capitalistiques : par exemple Bogota a opté pour des bus en sites propres. C'est d'ailleurs dans ces villes que l'énergie est la plus subventionnée (avec celles de Russie). L'Agence internationale pour l'énergie est (relativement) opposée à ce subventionnement de l'énergie qui a pour conséquence un gaspillage alors que d'autres solutions tarifaires pourraient être envisagées (tarif peu élevé pour les petits consommateurs et au contraire très élevé pour les gros consommateurs ? etc.).

Les biocarburants peuvent se répartir en trois catégories selon leur mode de production :

- à base de canne à sucre (meilleurs rendements avec peu de concurrence avec les besoins alimentaires) ;

- à base de céréales (moins bons rendements et concurrence avec les besoins alimentaires) ;

- à base de colza (rendement satisfaisant pour le diesel sans concurrence avec les besoins alimentaires).

De nouveaux types de biocarburants vont en outre apparaître à partir de la transformation de la cellulose des plantes ou de gazéification de la biomasse.

Dans ce bilan de la consommation d'énergie par les mégapoles, il ne faut pas oublier le transport aérien (par exemple les aéroports parisiens qui sont utilisés à 60 % par les habitants de l'Ile-de-France consomment environ 7 millions de tonnes de carburants fossiles chaque année). En définitive, le meilleur mode de transport interurbain du futur reste le transport de surface (de préférence ferroviaire) ou fluvial.

Allier développement urbain et environnement :

l'exemple d'Helsinki

Respect de l'environnement et développement urbain sont souvent vus comme antinomiques. Pourtant, Helsinki nous prouve le contraire. Malgré une croissance de la population de 1,5 % (la plus élevée d'Europe) et la construction de nombreux édifices, la ville s'inscrit parfaitement dans une démarche de développement durable. Il faut dire qu'Helsinki semble avoir été pensée selon les préceptes d'Antoni Gaudí, qui déclarait : « L'architecture du futur construira en imitant la nature, parce que c'est la plus rationnelle, durable et économique des méthodes » 52 ( * ) .

Le fort intérêt des autorités locales à propos des enjeux environnementaux s'explique avant tout par la position géographique de la capitale surnommée la ville-nature. En effet, avec une importante amplitude thermique (de + 25 à - 25°C) et une faible luminosité durant six mois de l'année, les Finlandais ont « un rapport à la nature très marquée par la dualité : ils tentent tour à tour de la dompter, de l'apprivoiser sans jamais toutefois la contrôler » 53 ( * ) . Cette volonté se concrétise par la proximité des habitations (85 % des Helsinkiens habitent en appartement) avec les activités rendues possibles par le milieu naturel (canotage, voile, baignade, promenades à ski) afin de limiter au maximum les déplacements. En outre, la concentration de l'habitat et des pôles d'activité permet de dégager de l'espace et de créer des zones naturelles qui sont « de véritables aires de respiration au coeur même de la métropole » 54 ( * ) .

Si la préservation des zones naturelles a été possible, c'est parce que le pouvoir politique a eu la volonté d'établir toute une série de règles limitant l'étalement urbain. Pour ce faire, il a été mis en place en 2003 un Schéma régional directeur qui « favorise l'urbanisation le long des grands axes de transports publics, tout en préservant de vastes zones agricoles forestières ou naturelles » 55 ( * ) . Mais ce n'est pas tout : un effort considérable a été fait pour développer l'offre de transports en commun et réduire les rejets de gaz à effet de serre en favorisant l'énergie éolienne et solaire. Ce qui montre que développement urbain et respect de l'environnement sont loin d'être inconciliables.


* 44 « City Planning Will Determine Pace of Global Warming, UN-Habitat Chief Tells Second Committee as She Links Urban Poverty with Climate Change ». Communiqué de presse des Nations unies, 30 octobre 2007,

site Internet www.un.org/News/Press/docs/2007/gaef3190.doc.htm ; DODMAN David. « Blaming Cities for Climate Change? An Analysis of Urban Greenhouse Gas Emissions Inventories ». Environment and Urbanization, vol. 21, n° 1, avril 2009, site Internet www.eukn.org/eukn/themes/Urban_Policy/Urban_environment/Environmental_sustainability/Blamingcities-for-climate-change-_2815.html.

* 45 Source Romeo, Lankao et al

* 46 Geophysical Research Letters mai 2010

* 47 Conseil Mondial de l'Énergie 2007, Choisir notre futur : scénarios de politiques énergétiques pour 2050

* 48 Voir le texte sur Wuxi, « Wuxi et ses banlieues résidentielles » dans le Tome II

* 49 Voir le texte sur Los Angeles, « Los Angeles : vers la ville post urbaine » dans le Tome II

* 50 Ibid.

* 51 Ibid.

* 52 Propos d'Antoni Gaudi, dans le texte sur Helsinki « Comment concilier nature et  développement » dans le Tome II

* 53 Ibid.

* 54 Ibid.

* 55 Ibid.

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