2. Audition de JEAN-MARIE DUTHILLEUL, Président de l'AREP2 ( * )

Réintégrer le temps des transports
dans les lieux publics de la ville

M. Jean-Marie Duthilleul considère que pour réfléchir sur les villes du futur, il faut partir de la vie des gens . Pourquoi les gens vivent-ils en ville ? C'est en fait pour être proche des êtres et des choses, des siens, de la famille, des amis, et profiter des opportunités qu'on trouve en ville. Il faut donc pouvoir bouger dans l'univers concentré qu'est la ville. On peut donc faire une lecture de la ville par les gens qui bougent.

Or la finalité du rassemblement des êtres dans l'espace de la ville a été bouleversée depuis un siècle par l'irruption des transports mécaniques : trains, métros, TGV, voitures etc. Depuis 6000 ans, les hommes ne s'étaient déplacés qu'à pied ou à cheval et depuis 1850 les transports mécaniques ont fait éclater la ville ancienne. L'idéologie de la rapidité s'est alors imposée , la ville moderne s'insérant dans la ville ancienne avec les tuyaux des transports mécaniques, source aussi de coupure de la ville.

Cette révolution a modifié la perception de la ville par l'adjonction de la notion du temps , la ville devenant dans l'esprit des hommes un collage d'images. Mais aujourd'hui apparait une insatisfaction de la manière de vivre la ville parce que l'idéologie de la rapidité a imposé le zonage des territoires qui sont reliés entre eux par les tuyaux des transports. La mobilité est ainsi devenue le transport.

Une nouvelle révolution se dessine maintenant avec l'irruption des portables qui réintègrent le temps des transports dans les lieux publics de la ville. La nouvelle ville résulte ainsi d'une autre manière de composer un espace complexe par l'intégration de la mobilité dans le phénomène urbain, car la mobilité est une des matières premières de la ville. La rapidité ne suffit plus comme le montre l'exemple croisé du supersonique Concorde et du paquebot France dont l'un disparaît quand l'autre réapparaît. Les gens demandent désormais plus de confort et moins de vitesse, l'espace de la mobilité étant ressenti comme un élément de plaisir.

AREP, qui est très présente en Chine, a constaté que les Chinois sont sensibles à une architecture qui réponde à la tradition de leur civilisation. Dans le futur, chaque ville sera l'expression spécifique d'une culture, plutôt que la duplication d'une culture universelle. Les villes du monde sont des villes spécifiques et non des villes du monde. Car il y a une interaction entre la culture des hommes et la forme des villes. L'uniformisation urbaine est une perte de richesses pour les cultures des hommes.

L'introduction de la mobilité dans les villes du futur est un véritable enjeu. C'est au cas par cas que la mobilité doit être traitée dans les villes, notamment par un remixage des fonctions sur un territoire qui est un territoire durable au sens où il s'inscrit dans les traces du passé. C'est aussi le constat qu'on peut faire au vu de l'évolution du commerce qui passe de l'hypermarché périphérique aux petits commerces de proximité dans les quartiers. C'est le plaisir qui fait durer le séjour dans les commerces et c'est la mobilité qui signe la proximité.

Pour faire évoluer les zones commerciales et les entrées de villes, il faut d'une part réaménager les circulations et d'autre part remixer les espaces . MM. Jean-Pierre Sueur et Jean-Marie Duthilleul conviennent que la récupération des entrées de villes pourrait être assurée par des concours d'architectes à jury national, les concours portant d'ailleurs le plus en amont possible sur les concepts urbains. Être imaginatif, c'est construire autrement.

L'automobile va évoluer sans disparaître du fait de l'évolution de son mode de propulsion . L'autopartage va se répandre, d'autant que l'âge moyen de l'acheteur d'une voiture neuve est actuellement de 54 ans en France. L'habitant urbain de demain sera nécessairement multi-mode , la voiture devant fournir plus de confort et moins nécessairement de performance de vitesse.

Les grandes mégapoles (de l'ordre de 15 millions d'habitants) vont continuer à se développer, parce que les villes seront toujours les lieux de la plus grande créativité , même si leurs habitants auront tendance à être des usagers de plusieurs villes (grandes et moyennes). La ville est une chance pour les hommes qui ont besoin d'une vie en société riche de rencontres.


* 2 Créé en 1997 par Jean-Marie Duthilleul et Etienne Tricard, l'AREP valorise l'expérience de la SNCF dans la conception d'espaces complexes liés au transport de personnes. L'AREP a conçu et réalisé de nombreuses gares de grande qualité architecturale et urbaine en France et dans le monde.

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