b) Accompagner la rénovation de la voie professionnelle dans l'apprentissage

La classe de terminale professionnelle sera atteinte à la rentrée prochaine par la rénovation du lycée professionnel, généralisée en 2009. Rappelons que cette refonte profonde, construite autour du raccourcissement à trois ans du parcours vers le baccalauréat professionnel, visait notamment à harmoniser la durée de la formation avec celle prodiguée au lycée général et technologique. Pour accompagner les élèves et individualiser leur parcours, il a été mis en place un accompagnement personnalisé, diverses possibilités de passerelles et un dispositif de sécurisation, via l'obtention d'un diplôme intermédiaire se substituant aux anciens BEP. Parallèlement, sont maintenus les CAP pour les élèves qui ne pourraient pas ou ne voudraient pas s'engager vers un baccalauréat professionnel et entreprendraient de s'insérer dans l'emploi à niveau V. C'est en 2012 que la première cohorte de diplômés ayant bénéficié de la réforme entreront sur le marché travail. Votre mission a donc souhaité faire un point avec les représentants des entreprises qui recruteront ces jeunes dès l'année prochaine.

En particulier, il a paru impératif de comprendre les contraintes des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME), dont les secteurs de recrutement sont par nature plus étroits et les capacités de formation en interne plus faibles que dans une grande entreprise. M. Francis Petel, membre de la commission formation et éducation de la Confédération du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME), a rappelé ainsi à la mission que : « la caractéristique d'une PME-TPE, lorsqu'elle décide d'embaucher, consiste à trouver les compétences dans le bassin d'emploi où elle se trouve. Le manque d'attractivité des PME limite la mobilité des postulants. La dimension du territoire s'avère donc essentielle. [...] [La PME TPE] a besoin d'embaucher des jeunes immédiatement opérationnels. Elle n'est pas à même de former un jeune qui ne serait pas directement employable. [...] Ce contexte suppose une relation de proximité géographique et un minimum de préprofessionnalisation de la part du système éducatif. » 81 ( * ) Ceci doit faire réfléchir non seulement à l'adéquation de la carte des formations aux caractéristiques économiques du territoire, mais aussi au degré de professionnalisation réel des jeunes à l'issue de leur parcours. C'est sur ce dernier point que se situe une inquiétude majeure des employeurs.

Il faut saluer la revalorisation réelle et incontestable de la voie professionnelle auprès des élèves et des familles qu'a permise la réforme. Cependant, cette revalorisation s'est traduite par une modification significative des profils des nouveaux entrants en seconde professionnelle. Il s'agit de plus en plus d'élèves jeunes, de moins de 16 ans, sans retard scolaire et de meilleur niveau dans les matières générales que la population moyenne des lycées professionnels. Cet effet s'explique par l'arrivée d'élèves qui traditionnellement auraient été orientés vers la filière technologique. Ces nouveaux élèves ont été séduits par la possibilité de poursuite d'études vers le BTS, sur laquelle il a été sans doute été trop insisté au début du processus de rénovation, alors que la vocation même du lycée professionnel est de préparer directement l'insertion dans l'emploi. Dès lors, votre mission souhaite qu'il soit veillé très soigneusement à ne pas affaiblir la vocation professionnalisante et qualifiante de la voie professionnelle . Les périodes de formation en milieu professionnel jouent à cet égard un rôle capital, si bien qu'elles devraient être plutôt renforcées qu'affaiblies, Il faut permettre aux élèves les moins à l'aise à l'école de valoriser leurs aptitudes grâce à l'apprentissage d'un métier et également créer un vivier de recrutement de qualité pour les entreprises, notamment dans le secteur industriel.

En outre, deux autres risques symétriques doivent être conjurés : la hausse des sorties sans qualification et la transformation du CAP en une voie de relégation choisie par défaut. C'est le problème global de l'équilibre entre le CAP et le baccalauréat professionnel qui est ainsi posé, tant quantitativement qu'en termes de positionnement respectif des diplômes. M. André Marcon, président de l'Assemblée des Chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI) s'est inquiété devant la mission que, dans la nouvelle architecture, « la marche entre le CAP et le baccalauréat professionnel, trop haute, relègue le CAP à un sous-titre ». 82 ( * ) L'affaiblissement de la valeur relative du CAP affaiblirait par contrecoup toute perspective d'insertion professionnelle au niveau V, alors même que c'est encore à ce niveau que certains secteurs, comme le bâtiment et la réparation automobile par exemple, recrutent beaucoup. En outre, Mme Brigitte Doriath, qui assure pour l'IGEN le suivi de la réforme de la voie professionnelle depuis l'origine, fait remarquer qu' « à force d'inciter un maximum d'élèves à s'orienter vers un parcours en trois ans, nous risquons de nous retrouver avec davantage de sorties en cours de parcours. Nous nous trouvons donc confrontés, de fait, à une tension très importante entre l'objectif d'élévation des qualifications et celui de réduction des sorties du système sans aucune qualification. » 83 ( * )

Du point de vue quantitatif, les recteurs semblent être parvenus à un équilibre global satisfaisant, évitant à la fois l'orientation massive de précaution vers le CAP et un sous-dimensionnement de l'insertion professionnelle à niveau V, préjudiciable tant pour les élèves que pour les employeurs dans les bassins d'emploi. Après une forte hausse de l'offre de CAP à la rentrée 2009 dans la plupart des académies, destinée à absorber les flux dirigés jusqu'alors vers le BEP, la répartition des flux d'élèves entre le CAP et le baccalauréat professionnel n'a évolué qu'à la marge à la rentrée 2010. Alors que la plupart des académies augmentent un peu leur offre de CAP, d'autres comme Bordeaux, Créteil et Dijon la diminuent légèrement en visant une stabilisation pour les années suivantes. À Rouen, il est même prévu un recentrage sur le seul baccalauréat professionnel et, par suite, un désengagement du CAP, qui paraissent excessifs. 84 ( * )

Mais il est difficile d'interpréter ces données brutes, qui ne tiennent pas compte des effectifs préparant les diplômes en alternance. Mme Brigitte Doriath a fait le constat que « si l'on additionne la formation initiale sous statut scolaire et l'apprentissage, les formations de niveau V représentent entre 40 et 50 % de l'offre de formation professionnelle globale. Ces chiffres ne correspondent pas à ceux qui sont publiés par les académies car nous nous heurtons, de fait, à un problème de suivi statistique des jeunes qui partent en apprentissage, dans la mesure où nous les perdons de vue systématiquement. » 85 ( * ) Votre mission voit là une illustration du défaut de coopération et d'information réciproque non seulement entre les services déconcentrés de l'État, en l'espèce les inspections d'académie et les directions départementales de l'emploi et de la formation professionnelle, mais aussi entre l'État et les branches professionnelles qui gèrent les centres de formation d'apprentis (CFA). Elle souhaite vivement que la mise en place des contrats de plan régionaux de développement des formations professionnelles (CPRDF) soit l'occasion de dépasser des cloisonnements néfastes pour la définition d'une offre de formation optimale sur l'ensemble du territoire .

C'est dans le défaut d'adaptation de la réforme à la spécificité de l'apprentissage que se situe le dernier point d'achoppement important avec les employeurs. La mission a acquis la conviction que la réforme , quels que soient ses mérites, a été pensée par l'Éducation nationale en référence à la seule voie scolaire et au seul lycée professionnel, en négligeant les contraintes particulières de la formation en alternance qui s'appuie sur la signature d'un contrat de travail . Ce point a été souligné à de nombreuses reprises, tant par les Maisons familiales et rurales (MFR) de Rhône-Alpes que par M. Gilbert Rebeyrolle, président de la Chambre régionale des métiers et de l'artisanat du Limousin, selon qui « les employeurs se montrent réticents à signer des contrats de trois ans avec des jeunes qui sortent du collège et qui ne connaissent pas le métier. » 86 ( * ) De même en juge M. Bernard Falck pour le MEDEF : « force est de constater que les entreprises s'engagent difficilement dans la signature d'un contrat d'apprentissage sur trois ans. Dans le cadre de l'établissement de la carte de formations, un travail de fond permettrait de cerner des ajustements permettant une meilleure complémentarité entre la voie scolaire et l'apprentissage. » 87 ( * )

Pour résoudre cette difficulté, votre mission n'exclut pas la possibilité d'autoriser l'accueil d'un jeune successivement par plusieurs entreprises le long des trois années de son parcours d'apprenti, si une réelle continuité est garantie. Elle souhaiterait, en outre, proposer d'accroître la complémentarité entre la formation scolaire et l'apprentissage par la construction de cursus mixtes . Il pourrait être judicieux de s'inspirer du Dispositif d'initiation aux métiers de l'alternance (DIMA) qui permet aux centres de formation d'apprentis (CFA) d'accueillir pour un an, et sous statut scolaire, les jeunes âgés de plus de quinze ans pour leur faire découvrir l'apprentissage en approchant plusieurs métiers d'une même filière. À l'issue de cette année de découverte, le jeune peut retourner dans la voie scolaire ou signer un contrat d'apprentissage. Ainsi, les jeunes peuvent mûrir leur choix et les employeurs tester leur motivation, ce qui contribuera à faire baisser en aval le taux de rupture des contrats d'apprentissage, souvent important.

Dans le même esprit, votre rapporteur propose de construire, après le collège, un parcours jusqu'au baccalauréat professionnel , articulant une première année sous statut scolaire en lycée ou en CFA, puis deux années en contrat d'apprentissage. L'année de seconde pourrait dans ce cas constituer une sorte de période de préapprentissage. S'il était retenu, ce dispositif souple nécessiterait une réelle coopération entre l'Éducation nationale et les branches professionnelles, afin d'assurer la complémentarité des formations et de garantir des possibilités effectives de réorientation entre l'apprentissage, le lycée professionnel et, le cas échéant, la voie générale ou technologique.


* 81 Table ronde avec les représentants des milieux socioéconomiques du 26 avril 2011.

* 82 Table ronde avec les représentants des milieux socioéconomiques du 26 avril 2011.

* 83 Audition du 1 er février 2011.

* 84 IGEN-IGAENR, Synthèse sur la préparation de la rentrée scolaire 2010 , rapport n° 2010-095, juillet 2010, pp. 35-36.

* 85 Audition du 1 er février 2011.

* 86 Table ronde avec les représentants des milieux socioéconomiques du 26 avril 2011.

* 87 Ibid.

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