B. COORDONNER L'ACTION DES SERVICES DE L'ÉTAT : L'EXEMPLE DE LA POLITIQUE DE LA VILLE

1. Deux politiques publiques qui peinent à développer des synergies

Depuis 2003 et l'adjonction de la notion de réussite éducative à celle de réussite scolaire, le ministère de l'Éducation nationale a perdu son monopole en matière d'éducation prioritaire : d'autres départements ministériels interviennent explicitement dans ce domaine. Ainsi, la lutte contre l'échec scolaire, qui est au coeur de la réduction des inégalités socio-économiques, rassemble en particulier la politique de la ville et l'Éducation nationale dans les quartiers sensibles. Politique transversale et territoriale, dont un des objets est de réduire la vulnérabilité sociale et économique des habitants des quartiers dits sensibles, la politique de la ville comprend des priorités éducatives et est, à ce titre, appelée à interagir avec l'Éducation nationale. De même, le ministère de l'Éducation nationale ne peut ignorer la politique de la ville dans sa lutte contre les inégalités d'éducation et de culture, et ce d'autant plus qu'il a décidé d'investir le hors temps scolaire avec la mise en place de l'accompagnement éducatif. Cette situation a motivé la création de nombreux dispositifs dont la pertinence, la cohérence et la lisibilité ne sont pas établies, comme a pu le démontrer le rapport demandé en 2008 à la Cour des comptes par la commission des finances du Sénat sur « L'articulation entre les dispositifs de la politique de la ville et de l'Éducation nationale dans les quartiers sensibles ».

Ce rapport montre notamment que les interventions éducatives dans les quartiers sensibles se juxtaposent plus qu'elles ne se complètent.

En effet, les critères d'intervention des deux ministères ne sont pas identiques : d'une part, si le zonage constitue un mode d'action commun aux deux politiques, il ne repose pas sur les mêmes référentiels puisque, dans un cas, il conduit à classer des territoires alors que, dans le second cas, il débouche sur une cartographie des établissements. D'autre part, la meilleure prise en compte des difficultés se traduit par l'extension du périmètre d'action de ces deux politiques selon des logiques différentes, à savoir la contractualisation de la politique de la ville et l'individualisation des politiques éducatives.

Cette pluralité des modes d'intervention a pour conséquence un découplage partiel des territoires dit « prioritaires » . Compte tenu de l'étendue de la cartographie de l'éducation prioritaire, seuls 1,9 % des établissements situés en zone urbaine sensible (ZUS) ne sont pas dans le périmètre de l'éducation prioritaire, mais 71 % des collégiens relevant de l'éducation prioritaire sont inscrits dans des établissements situés hors ZUS.

Ce découplage ne surprend pas la direction générale de l'enseignement scolaire du ministère, pour qui « l'éducation prioritaire n'est pas une réalité urbaine », l'aire d'attraction des établissements scolaires dépassant le cadre de la proximité géographique immédiate. Votre mission estime en revanche que ce découplage est préoccupant et souhaite qu'une certaine cohérence soit recherchée dans la définition des territoires dits « prioritaires ». A ce titre, elle rappelle que la révision de la géographie prioritaire de la politique de la ville, qui devrait être engagée incessamment sous peu ( cf. encadré) , pourrait être l'occasion idéale de procéder à cette « mise en cohérence » en ouvrant une réflexion sur les critères des territoires et des populations « prioritaires ».

La réforme de la géographie prioritaire, plus que jamais nécessaire,
devait être lancée en 2011

La révision de la géographie prioritaire est aujourd'hui une nécessité. L'article 140 de la loi de finances pour 2008 , qui prévoit l'actualisation de la liste des zones urbaines sensibles (ZUS) en 2009, impose une réforme de la géographie prioritaire . Elle a en effet modifié l'article 42 de la loi de 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire , en prévoyant une révision des ZUS tous les cinq ans, et indique que « la première actualisation de la liste des zones urbaines sensibles est effectuée en 2009 ».

Le Conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP) a, de son côté, également appelé à une réforme de la géographie prioritaire . Le CMPP d'avril 2008 a préconisé en effet que les moyens de la politique de la ville fassent l'objet « d'une plus grande concentration géographique et temporelle dans les quartiers les plus en difficulté, où la solidarité locale est insuffisante ».

Le Comité interministériel des villes (CIV) du 20 janvier 2009 a donc fixé le cadre et les échéances de la réforme de la géographie prioritaire . Votre rapporteur pour avis a ainsi eu l'honneur d'être désigné, avec notre collègue député Gérard Hamel, parlementaire en mission sur cette question. Le rapport de la mission a été publié en septembre 2009.

Parallèlement, le secrétariat général du CIV a entamé une phase de concertation avec les différents acteurs de la politique de la ville sur plusieurs thèmes (choix des indicateurs pour les quartiers concernés par la politique de la ville, avantages attachés au zonage...).

Lors de son discours du 25 mai 2010 dans le cadre de l'installation du Conseil national des villes, le Premier ministre a indiqué qu'un projet de loi serait préparé en 2011 afin de mettre en oeuvre une « réforme cohérente et globale qui concerne à la fois le zonage de la politique de la ville, les modalités de contractualisation mais aussi la péréquation et la dotation de solidarité urbaine. » Dans l'attente de ce texte, des avenants aux CUCS seront expérimentés dans une cinquantaine de villes ou agglomérations.

Le 8 novembre 2010, en déplacement à Garges-lès-Gonesse, le Premier ministre François Fillon a par ailleurs annoncé la prolongation des CUCS jusqu'en 2014.

Source : Annexe 32 « Ville et logement, de M. Philippe Dallier, au projet de loi de finances pour 2011

Par ailleurs, la coordination, tant nationale que locale, entre les dispositifs de chaque politique et entre politiques est aléatoire et perfectible . La Cour des comptes estime dans son rapport précité que « la participation de l'Éducation nationale aux instances nationales de la politique de la ville ne suffit pas à créer les conditions d'une coordination suffisante ». L'éducation prioritaire serait notamment insuffisamment prise en compte par les ministères partenaires de l'Éducation nationale. De même au niveau déconcentré, la coordination entre la politique de la ville et l'Éducation nationale reste incertaine en raison des faiblesses de coordination internes à la politique de la ville ou au ministère de l'Éducation nationale, mais aussi de l'imprécision des missions attribuées à certains personnels. Toutefois, la Cour indique que les acteurs de terrain ont su mettre en oeuvre des mécanismes de coordination opérationnels. Au total, cette coordination resterait tributaire de la bonne volonté individuelle des acteurs locaux et serait donc soumise à un aléa.

L'efficacité des dispositifs est remise en cause . La Cour des comptes relève que « le foisonnement et l'empilement des dispositifs d'intervention éducative en direction des quartiers sensibles induisent une complexité qui constitue un obstacle à l'appropriation, et donc à l'efficacité et à l'efficience des dispositifs ».

Ainsi huit configurations sont possibles selon que l'élève est scolarisé, ou non, dans un établissement de l'éducation prioritaire (EP) ou qu'il réside, ou non, dans le périmètre d'un contrat urbain de cohésion sociale (CUCS) ou d'une ZUS, comme le montre le tableau présenté ci-après.

Synthèse des différents dispositifs

Scolarisation ou non dans un établissement d'EP

Situation ou non dans le périmètre d'un CUCS

Situation ou non dans le périmètre d'une ZUS

Armature des dispositifs éducatifs de l'État en direction des quartiers sensibles

Scolarisé dans un établissement de l'éducation prioritaire

(1 571 586 jeunes scolarisés, soit 20 % du total des élèves)

Vivant dans un quartier prioritaire du CUCS

Cas 1 : vivant en ZUS

Politique de la ville :

PRE* ; École ouverte ; IE* ; accompagnement scolarité ; 100 000 élèves, 100 000 tuteurs ; « Oser l'excellence » ; busing ; VVV*

Éducation nationale : accompagnement éducatif primaire ; RSL* ; banque de stages ; médiateurs de réussite scolaire

Cas 2 : ne vivant pas en ZUS

Politique de la ville :

PRE ; École ouverte ; IE ; accompagnement scolarité ; 100 000 élèves, 100 000 tuteurs ; « Oser l'excellence » ; busing ; VVV

Éducation nationale : accompagnement éducatif primaire ; RSL ; banque de stages ; médiateurs de réussite scolaire

Ne vivant pas dans un quartier prioritaire du CUCS

Cas 3 : vivant en ZUS

Politique de la ville :

PRE ; École ouverte ; IE ; 100 000 élèves, 100 000 tuteurs ; « Oser l'excellence »

Éducation nationale : accompagnement éducatif primaire ; RSL ; banque de stages ; médiateurs de réussite scolaire

Cas 4 : ne vivant pas en ZUS

Politique de la ville :

PRE ; École ouverte ; IE ; 100 000 élèves, 100 000 tuteurs ; « Oser l'excellence »

Éducation nationale : accompagnement éducatif primaire ; RSL ; banque de stages ; médiateurs de réussite scolaire

Non scolarisé dans un établissement de l'éducation prioritaire

Vivant dans un quartier prioritaire du CUCS

Cas 5 : vivant en ZUS

Politique de la ville :

PRE ; École ouverte ; IE ; accompagnement scolarité ; « Oser l'excellence » ; busing ; VVV

Éducation nationale : RSL ; médiateurs de réussite scolaire ; accompagnement éducatif possible sous condition

Cas 6 : ne vivant pas en ZUS

Politique de la ville :

accompagnement scolarité ; « Oser l'excellence » ; busing ; VVV + école ouverte

Éducation nationale : RSL ; accompagnement éducatif

Ne vivant pas dans un quartier prioritaire du CUCS

Cas 7 : vivant en ZUS

Politique de la ville :

PRE ; École ouverte ; IE ; « Oser l'excellence »

Éducation nationale : RSL ; médiateurs de réussite scolaire ; accompagnement éducatif possible

Cas 8 : ne vivant pas en ZUS

Politique de la ville : École ouverte

Éducation nationale : RSL ; accompagnement éducatif possible

* PRE : programme de réussite éducative ; VVV : ville, vie, vacances ; IE : internat d'excellence ; RSL : réussite scolaire au lycée

Source : rapport de la Cour des comptes « L'articulation entre les dispositifs de la politique de la ville et de l'éducation nationale dans les quartiers sensibles » effectué au titre de l'article 58 alinéa 2 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, septembre 2009.

La prolifération des interventions éducatives dans les quartiers sensibles pose des difficultés : méconnaissance des dispositifs, effets de concurrence ou de redondance entre ceux-ci, problèmes de coordination entre des intervenants nombreux qui ne peuvent de surcroît agir que dans un laps de temps par définition limité : l'optimisation du hors temps scolaire est, à ce titre, une vraie question .

Votre mission a relevé que peu de suites avaient été données au rapport de la Cour des comptes. En effet, selon M. Hervé Masurel : « En ce qui concerne la coordination entre le ministère de l'Éducation nationale et celui de la ville, nous avons fait des progrès, mais les marges de progression restent encore importantes ... En septembre 2009, nous avons disposé d'un excellent rapport de la Cour des comptes sur l'articulation des dispositifs de la politique de la ville et de l'Éducation nationale dans les quartiers sensibles (...) qui a mis en lumière des dispositifs redondants. Des élagages sont encore nécessaires , surtout au niveau national. Une circulaire a été adressée aux préfets pour qu'ils examinent, site par site, si les dispositifs en place sont vraiment complémentaires. Reste qu'au niveau central, il conviendrait de s'interroger sur la pertinence de certains dispositifs . 89 ( * ) »


* 89 Audition du 7 juin.

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