2. Retrouver l'ambition de l'égalité des chances en éducation prioritaire

Votre mission a déjà exposé les raisons qui l'ont conduite à proposer une modernisation des obligations de service d'enseignants compte tenu de la difficulté actuelle d'enseigner en éducation prioritaire. Plus largement, elle estime que les paramètres de la politique en éducation prioritaire doivent être redéfinis afin de lutter efficacement contre les inégalités scolaires et de créer les conditions d'une réelle égalité des chances .

Le rapport de la Cour des comptes souligne à de nombreuses reprises la présence d'un aléa dans la mise en oeuvre des différentes interventions éducatives. Elle relève ainsi que « l'intégralité des dispositifs n'est pas toujours mise en oeuvre, car leur offre dépend de la mobilisation des acteurs locaux, ou bien elle ne peut être proposée que sur des territoires ou établissements ciblés ».

Trois types d'aléa semblent devoir être distingués :

- premièrement, un aléa propre aux politiques locales qui ne peuvent pas, par définition, être identiques sur l'ensemble du territoire national. Les interventions éducatives dans les quartiers sensibles peuvent ainsi être plus ou moins soutenues financièrement et être organisées différemment ;

- deuxièmement, un aléa propre à la mise en oeuvre de la politique de la ville qui ne conduit une action que sur des territoires ciblés ou en fonction d'une contractualisation spécifique ;

- troisièmement, un aléa propre aux dispositifs qui ne sont pas, pour la plupart d'entre eux, d'application immédiate, mais tributaires de l'accord d'une ou plusieurs personnes.

A l'aune des conclusions de la Cour des comptes rappelées ci-dessus et de ses déplacements, votre mission formule trois propositions dont l'objectif est de minimiser les aléas portant atteinte à l'égalité des chances.

Premièrement, il est indispensable que les cartes « prioritaires », élaborées par le secrétariat chargé de la politique de la ville et du ministère de l'Éducation nationale soient cohérentes et centrées sur les territoires les plus en difficulté. Votre mission suggère que soit mise en cohérence la carte de l'éducation prioritaire et celle de la géographie de la ville .

Ceci conduirait à définir la carte de l'éducation prioritaire exclusivement en fonction de critères socio-économiques, ce qui ne parait pas insensé compte tenu de la prévalence de facteurs socio-économiques dans les inégalités scolaires. Par ailleurs, cette « externalisation » aurait le mérite de mettre fin à la fiction selon laquelle les établissements scolaires doivent sortir de l'éducation prioritaire dès que les indicateurs scolaires et éducatifs s'améliorent, car cela revient non seulement à sanctionner un établissement qui a su optimiser les moyens qui lui ont été affectés mais aussi à pénaliser les nouvelles générations d'élèves dont l'environnement socio-économique n'a pas nécessairement évolué par rapport à leurs prédécesseurs.

Cette cohérence de la géographie prioritaire permettrait également de concentrer des moyens. D'aucuns ont pu souligner l'extension continue de la carte de l'éducation prioritaire depuis la création des zones d'éducation prioritaire. Cette extension, dont la lisibilité est entravée par la multiplication des acronymes, pose la question d'une éventuelle dilution de la politique en éducation prioritaire ( cf. supra) et un manque de concentration des moyens, comme le relève la Cour des comptes.

La deuxième proposition vise à définir la mission de la politique de la ville en matière éducative au regard de l'action du ministère de l'Éducation nationale et des collectivités territoriales. La mission fait sienne la préconisation de la Cour des comptes selon laquelle l'un des premiers objectifs de la coordination entre les dispositifs de la politique de la ville et de l'Éducation nationale devrait être de veiller à apporter des correctifs afin d'éviter que l'inégalité des moyens mis en oeuvre par les acteurs locaux n'aggrave les différenciations.

Cet objectif pose néanmoins la question de la connaissance précise des dispositifs financés au niveau local. Mais cette cartographie n'est pas aujourd'hui disponible, comme l'a indiqué M. Hervé Masurel devant votre mission : « L'idée [de la LOLF] était bonne de vouloir identifier les contributions de chacun des ministères dans ces quartiers. Hélas, tous n'ont pas joué le jeu, d'autant que les règles n'étaient pas très claires. Ainsi, le fait que la géographie de l'Éducation nationale ne soit pas identique à celle de la politique de la ville ne permet pas d'établir des comparaisons exactes. Le document de politique transversale (DPT) est donc nécessairement limité et il a été vertement critiqué dans le rapport de MM. Pupponi et Goulard sur la politique de la ville. Le comité interministériel des villes (CIV) nous a demandé de missionner plusieurs inspections générales, dont celle des finances, pour adapter les systèmes d'information des ministères afin de parvenir à une vision exacte des moyens affectés aux quartiers. »

Votre mission souhaite que ce recensement se fasse avec toute la célérité possible . En effet, il constituerait un point essentiel du futur « contrat de stratégie éducative régional » qu'elle proposera afin de mobiliser de manière pertinente les membres de la communauté éducative.

La troisième proposition affirme la nécessité d'assurer un déploiement homogène des dispositifs de l'Éducation nationale en éducation prioritaire . Ceci implique d'organiser la généralisation effective de certains d'entre eux. Actuellement, de nombreuses mesures périscolaires assurées par l'Éducation nationale sont soumises à un principe de volontariat. Plusieurs exemples peuvent être cités, comme l'accompagnement éducatif, les stages pendant les vacances scolaires, ou « École ouverte », trois dispositifs qui reposent sur le volontariat aussi bien des enseignants que des élèves.

Si le volontariat se comprend dans son principe, il peut poser deux catégories de problèmes :

- d'une part, il ne permet pas de toucher l'ensemble de la cible prioritaire des élèves, ce qui remet en cause la capacité de l'Éducation nationale à accroître la réussite scolaire de chacun, et notamment de conduire tous les élèves à la maîtrise des compétences. De fait, le déploiement des dispositifs est relatif, ce qui nuit à leur efficacité : seulement 62 % des établissements situés en éducation prioritaire ou en ZUS profitent de la mesure « École ouverte », et moins de 20 % des élèves de l'éducation prioritaire bénéficient de l'aide aux devoirs dans le cadre de l'accompagnement éducatif. De même, en 2009, afin de lutter contre l'absentéisme scolaire, le ministère de l'Éducation nationale et le secrétariat chargé de la politique de la ville ont proposé la création de médiateurs de réussite scolaire dont le déploiement dans les établissements est soumis à l'accord des conseils d'administration : cette condition a pour conséquence, en cas de refus, de priver ces établissements de personnels, de réorienter ces derniers vers d'autres établissements et donc d'aboutir à un éparpillement des moyens ;

- d'autre part, le volontariat des enseignants peut déboucher sur une inégalité de l'offre de soutien, inégalité qui n'est pas nécessairement compensée par les dispositifs de la politique de la ville ou les initiatives des collectivités locales. Cette situation n'est pas satisfaisante. A cet égard, votre mission note que dans le cadre des CUCS expérimentaux, il a été demandé à l'Éducation nationale « de veiller à ce que les quatre volets de l'accompagnement éducatif soient proposés aux enfants dans les zones expérimentales. 90 ( * ) »

Votre mission estime nécessaire de prendre une décision encore plus radicale, à savoir que l'ensemble des enfants situés en zone d'éducation prioritaire bénéficient systématiquement d'une aide aux devoirs le soir. Les devoirs sont en effet un marqueur efficace des inégalités scolaires comme cela l'a été rappelé à votre mission. Ainsi, selon M. Hervé Masurel : « Pour ce qui concerne l'Éducation nationale, certains dispositifs sont très efficaces. Je pense en particulier à l'accompagnement éducatif avec les études du soir. Cette action était nécessaire et il est indispensable de la poursuivre, quelles que soient les difficultés budgétaires, car elle permet de renforcer l'égalité des chances. » Votre mission estime que ce volet de l'accompagnement éducatif devrait être pleinement intégré aux missions de l'Éducation nationale , ce qui permettrait sans doute à la politique de la ville de mieux construire la complémentarité de son action par rapport à un coeur d'action de l'Éducation nationale défini autour de l'instruction scolaire. Ceci serait d'autant plus pertinent que, pour être efficace, le soutien scolaire doit être articulé avec les apprentissages effectués en classe. La systématisation du soutien scolaire ajouterait à la nécessité de revoir les obligations de service des enseignants, comme cela a été évoqué précédemment.


* 90 Mme Isabelle de France, responsable du département Éducation, santé et développement social (DESDS) au Comité interministériel des villes - audition du 7 juin 2011.

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