b) Réunir les conditions optimales d'utilisation du numérique

Dans la communauté de communes du Haut Clocher, exemple précité, la réorganisation complète de l'offre éducative a massivement prise en compte la nécessité d'adapter l'enseignement aux technologies numériques. Chacune des trois nouvelles écoles est reliée directement à la fibre optique pour une connexion à très haut débit. Toutes les classes sont équipées de tableaux blancs interactifs, tandis qu'est prévue également une « classe mobile » constituées de trente ordinateurs portables. Des espaces numériques de travail dans chaque école assurent le développement d'un dialogue interactif entre les enseignants, les parents et les élèves. La délégation de votre mission a pu sur place apprécier l'implication et la maîtrise des enseignants, l'engouement des enfants et la satisfaction des parents. La réussite de ce projet a nécessité une étroite collaboration avec l'opérateur départemental « Somme numérique » et le conseil général de la Somme, qui déploie parallèlement une stratégie éducative globale pour structurer sa politique d'action sociale.

Votre mission estime que les politiques numériques, quel que soit leur intérêt intrinsèque, ne peuvent à elles seules pallier toutes les difficultés structurelles que rencontrent les écoles rurales. Toutefois, en s'appuyant à la fois sur la diffusion des ressources numériques et sur une réorganisation globale de l'offre éducative, portées par un consensus des élus locaux avec le soutien de l'Éducation nationale, les territoires ruraux peuvent devenir un foyer d'innovations pédagogiques et un modèle pour tout le système scolaire. Encore faut-il que la mobilisation des élus autour de projets éducatifs locaux définissant un diagnostic et une stratégie d'action rencontre une réelle volonté d'ouverture et de partenariat au sein de l'Éducation nationale. Devant le risque de la multiplication des opérateurs et l'adoption de standards incompatibles, il appartient en tout état de cause à l'État de donner une impulsion nationale cohérente assurant le développement harmonieux du numérique pédagogique sur l'ensemble du pays. De même, la formation des enseignants et le développement de ressources pédagogiques adaptées , sans lesquelles le numérique ne peut que rester lettre morte, relève incontestablement de la compétence de l'Éducation nationale, quelle que soit la responsabilité des collectivités en matière d'équipement.

Pour nouer des partenariats solides entre l'État et les collectivités, il conviendra de ne pas reproduire les hésitations du plan « écoles numériques rurales » (ENR). Au printemps 2009, a été lancé un programme d'équipement numérique d'écoles situées dans des communes de moins de 2 000 habitants, dont les moyens financiers sont généralement trop limités pour l'assumer seules. Il s'agissait de doter les écoles rurales d'ordinateurs, de tableaux interactifs et d'autres matériels informatiques, pour assurer l'égalité de tous les élèves, sur l'ensemble du territoire national, face à l'enjeu de la maîtrise des nouvelles technologies. En contrepartie, il était demandé aux communes de concourir au financement en assumant certaines charges comme l'abonnement Internet à haut débit de l'école. Doté initialement de 50 millions d'euros, pour financer l'équipement de 5 000 écoles, ce plan a finalement, compte tenu de l'ampleur des demandes émanant de communes rurales volontaires, bénéficié de 67 millions d'euros.

Alors même que de nombreuses communes rurales devaient encore être équipées et malgré l'enthousiasme des élèves, des parents et des enseignants pour ce dispositif, aucune prolongation financière de ce plan n'était prévue dans le projet de loi de finances pour 2011. C'est pourquoi à l'initiative de notre collègue Jacques Legendre, président de la commission de la culture et de l'éducation, le Sénat avait adopté, contre l'avis du Gouvernement, un amendement tendant à prélever 25 millions d'euros sur le milliard d'euros provisionnés pour payer les heures supplémentaires des enseignants du second degré. Malheureusement, le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire n'a pas retenu cette disposition, si bien qu'il n'y aura pas de prolongation prévisible du plan ENR.

Votre mission a le sentiment que le programme était mal calibré dès le départ. Relevant d'une logique de guichet difficile à maîtriser, il était financé maladroitement sur le plan de relance, sans pérennisation, comme s'il s'agissait d'une dépense exceptionnelle réalisée une fois pour toutes. En outre, l'équipement numérique n'était pas nécessairement articulé à une réorganisation de l'école et à un projet éducatif global. Au moins ce plan avait-il le mérite de donner un élan national et de gommer partiellement la fracture numérique. En outre, il permettait de rattraper un peu du retard général accumulé par la France en matière d'équipement numérique non seulement par rapport à la Finlande ou à la Corée du Sud mais aussi du Portugal, qui a massivement investi en ce domaine en complément de la restructuration drastique de la carte de ses établissements. Malgré ses défauts, il aurait mieux valu poursuivre à moindre voilure le plan ENR, au moins par souci d'équité, ainsi que l'acclimatation du numérique en milieu rural. L'arrêt brutal de cette politique a légitimement provoqué la frustration de nombreux élus. Il faut impérativement éviter à l'avenir de répéter de telles séquences qui entament la confiance, déjà fragile, entre les élus ruraux et l'Éducation nationale.

La réussite du numérique scolaire au Portugal

Le plan technologique de l'éducation lancé à partir de 2007 par le Gouvernement portugais s'est déployé simultanément sur trois plans : l'équipement, les contenus et la formation. Il a permis de :

- doter l'ensemble des écoles du pays de connexion internet à haut débit
(pour toutes >64 Mbps et pour 10 % d'entre elles = 100 Mbps) ;

- d'arriver à un ratio de 2 ordinateurs par élève dans les écoles ;

- de concevoir un ordinateur portable spécialement adapté aux enfants du primaire (le « Magalhães ») et d'en doter l'ensemble des élèves ;

- fournir des contenus numériques adaptés aux élèves du primaire et généraliser l'utilisation de l'ordinateur et de l'Internet dès les premières années d'apprentissage (92 % des enseignants utilisent le « Magalhães » en salle de classe comme outil pédagogique) ;

- de constituer un portail des écoles, point unique d'entrée pour toutes les écoles du pays servant de centre de ressources pour les directions, les enseignants, les élèves et les parents pour mettre à leur disposition tous les services pédagogiques ou périéducatifs de chaque école ;

- de donner à tous les enseignants une certification TIC garantissant leur maîtrise des compétences numériques de bases.

L'ensemble du plan technologique a coûté environ 1,4 milliard d'euros, 400 millions à la charge de l'État et 1 milliard pour les entreprises. En particulier, la fabrication et la distribution des « Magalhães » ont été financées grâce à un partenariat entre l'État et les entreprises privées réunis dans une fondation pour les communications électroniques, les familles n'apportant qu'une modeste contribution. L'ensemble du projet a été mené en une seule phase couvrant simultanément les trois dimensions de l'équipement, de l'élaboration des contenus et de la formation des enseignants.

D'autres pays technologiquement très avancés, comme la Finlande et la Corée du Sud, ont envoyé des délégations pour bénéficier de l'expérience portugaise. Le système éducatif portugais possède désormais le plus vaste réseau Internet à haut débit du monde, avec une très forte intégration des équipements (ordinateurs, vidéoprojecteurs, tableaux interactifs, portables) dans des réseaux scolaires locaux coordonnés. En outre, des partenariats complémentaires ont été établis avec de grandes firmes internationales - comme Microsoft ou Cisco - pour qu'elles créent dans les établissements secondaires des centres de formation où les élèves peuvent acquérir des certificats professionnels de maîtrise d'instruments numériques, notamment de logiciels.

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