C. CRÉER LES CONDITIONS D'ARBITRAGES POLITIQUES NATIONAUX

1. Améliorer la justification des crédits, privilégier la « monnaie unique »

Afin de renforcer la capacité d'arbitrage du Parlement, votre mission fait sienne les recommandations de la Cour des comptes de généraliser à l'ensemble des échelons du système éducatif une comptabilité en euros malgré la difficulté de la tâche comme l'a souligné le CIAP : « Une analyse fine des coûts implique de substituer à ce système en heures/élève une comptabilité en euros, à partir d'un plan comptable offrant la lisibilité nécessaire au niveau des établissements, ce qui constitue un chantier d'envergure. »

Ce changement de référentiel , qui n'empêche pas au demeurant de conserver - pour des raisons matérielles bien comprises - « l'euro éducatif », devrait permettre de mieux apprécier l'efficience du système et mettre fin à cette désagréable impression que le budget de l'Éducation nationale serait par certains côtés une « boîte noire ».

Cette évolution qui se traduira dans les documents budgétaires par une meilleure justification des crédits devrait s'accompagner d'une réflexion sur les modalités aujourd'hui trop transversales de présentation des dépenses de personnel. Il serait notamment opportun, comme le rappelle le CIAP dans le rapport précité, qu'un certain nombre d'indicateurs génériques relatif à la masse salariale (coût par élève, par enseignant, par personnel d'orientation...) soit calculé par type d'établissements (écoles élémentaires, collèges, lycées).

Ceci implique notamment que chaque établissement connaisse sa masse salariale, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui . Votre mission espère que le chantier en cours sur le plan comptable des EPLE permettra de combler cette lacune, qui ne permet ni aux chefs d'établissement ni aux conseils d'administration d'avoir une vue exhaustive de la situation. Elle a pris bonne note des engagements de M. Pierre Laurent Simoni, adjoint au directeur des affaires financières du ministère : « Dans les mois à venir, nous allons produire un nouveau cadre budgétaire et comptable des établissements publics locaux d'enseignement (EPLE), en adéquation avec les principes de la LOLF. Plusieurs ministres se sont engagés devant le Sénat à valoriser la masse salariale des établissements scolaires. Cela n'a pas encore été fait pour des raisons techniques, mais les travaux se poursuivent. Il faut réfléchir collectivement à la description du budget de l'éducation nationale, en faisant converger les contraintes. »

2. Adapter l'architecture budgétaire

L'architecture budgétaire n'est pas neutre car elle doit permettre de traduire des choix politiques et des stratégies. Or, actuellement, elle ne sert réellement d'appui ni aux décisions politiques nationales, ni aux décisions des gestionnaires.

Votre mission souhaiterait que l'architecture budgétaire soit adaptée aux enjeux politiques actuels afin d'apporter des réponses structurelles aux difficultés rencontrées par notre système scolaire .

Pour cela, elle estime nécessaire de modifier le découpage budgétaire et de redéfinir les périmètres financiers des programmes de la mission « Enseignement scolaire ». Il s'agit bien entendu de pistes de réflexion, destinées à ouvrir le débat auquel en tout état de cause le Parlement doit être associé.

Ainsi que l'a indiqué M. Pierre-Laurent Simoni : « Il faut en effet rendre le budget de l'éducation nationale plus lisible. La décomposition en actions ne répond qu'imparfaitement aux souhaits de la représentation nationale. Le découpage des programmes se fait à la fois par niveau d'enseignement et par politique éducative ; ce choix, qui répondait à des impératifs techniques, ne favorise pas la lisibilité. Il y a là un travail à mener. » 12 ( * )

Le tableau ci-après présente le découpage de ces programmes.

Programmes actuels de la Mission « Enseignement scolaire »

Programme 140 : Enseignement scolaire public du premier degré

Programme 141 : Enseignement scolaire public du second degré

Programme 230 : Vie de l'élève

Programme 139 : Enseignement scolaire privé du premier et du second degrés

Programme 214 : Soutien de la politique de l'éducation nationale

Programme 143 : Enseignement technique agricole

La mission a fondé ses propositions :

- à partir des contraintes qui s'imposent au Parlement lors de la discussion du projet de loi de finances ;

- à partir des consensus qu'elle a pu acter au cours de ses auditions et de ses déplacements : mieux prendre en compte l'existence du socle commun, fluidifier les parcours scolaires notamment entre l'école et le collège, renforcer l'investissement dans l'enseignement élémentaire et pré-élémentaire, réaffirmer la nécessité de la lutte contre les inégalités scolaires, revaloriser l'enseignement professionnel.

? A partir de la maquette budgétaire ci-dessus rappelée, les principales évolutions proposées sont les suivantes :

- la reventilation des crédits du programme relatif à la « Vie scolaire » : comme cela l'a déjà été souligné par le CIAP, ce programme a perdu la plupart de ses justifications premières avec le transfert des crédits des personnels techniciens, ouvriers et de services (TOS) aux collectivités territoriales. Par ailleurs, distinguer les personnels enseignants des personnels d'éducation n'est pas, aux yeux de votre mission, un choix pertinent eu égard à la nécessité de renforcer l'émergence d'un collectif pédagogique qui ne se résume pas à la seule action des enseignants. En conséquence les crédits devraient être reventilés, au sein des nouveaux programmes, proposés en fonction de la mission de ces personnels ou de la finalité des crédits (aide sociale) ;

- la répartition des crédits du programme relatif à l'enseignement privé au sein d'actions identifiées dans les nouveaux programmes proposés . Cette suggestion peut paraître audacieuse ; toutefois elle ne fait que témoigner de la conviction de votre rapporteur de l'insuffisante complémentarité des différents types d'enseignements sur notre territoire, aujourd'hui gérés sur des voies parallèles qui, par définition, ne se croisent pas alors même que les élèves connaissent de plus en plus des parcours mixtes, avec des allers-retours public-privé ;

- la scission du programme « Enseignement scolaire public du second degré » qui, en raison de sa taille (près de la moitié des crédits de la mission), neutralise l'initiative parlementaire et nuit à la lisibilité des priorités.

? Sur cette base, la nouvelle maquette budgétaire pourrait être ainsi envisagée :

- maintenir le programme support actuel , « Soutien de la politique de l'Éducation nationale » sous réserve d'améliorer la pertinence de son périmètre comme l'a recommandé le Comité interministériel d'audit des programmes (CIAP) ;

- définir un programme consacré à l'acquisition du socle commun . Votre mission fait sienne la remarque de M. Jean Picq qui avait souligné que : « (...) hier comme aujourd'hui, la priorité va à l'articulation entre l'école et le collège, dés lors que l'on a adopté le socle commun. Or, au ministère, continuent de coexister un programme LOLF pour les collèges et lycées et un autre pour l'école. » La création d'un programme dédié au socle permettra non seulement de mieux asseoir le socle commun dans notre système scolaire, d'améliorer la fluidité des parcours en identifiant, éventuellement, une action propre aux réseaux du socle commun que soutient votre mission, mais aussi de redéfinir ce que doit être l'investissement dans l'école primaire et le collège ;

- dédier un programme aux lycées d'enseignement général et technique (LEGT) dont l'objectif est de préparer aux études supérieures . Le coût du lycée a été abondamment commenté, la France se démarquant des autres pays de l'OCDE par un « sur-investissement » dans l'enseignement secondaire du second cycle. Au regard des critiques relatives au caractère onéreux de la carte des options pour une valeur ajoutée non établie, il serait opportun que les actions de ce programme retracent le coût des enseignements obligatoires et le coût des enseignements optionnels afin d'engager une réflexion de fond sur cette question ;

- identifier deux programmes consacrés aux apprentissages qualifiants avant l'entrée dans la vie professionnelle . L'article 7 de la LOLF interdisant de créer un programme interministériel, la mission propose de regrouper dans un premier programme les crédits de l'Éducation nationale relatifs à l'enseignement professionnel et à l'apprentissage, et dans un second programme les crédits concernant l'enseignement technique agricole placé sous la tutelle du ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire. Votre rapporteur estime que l'identification budgétaire de ces enseignements contribuera à leur revalorisation ;

- créer un programme réservé à la lutte contre les inégalités scolaires afin d'améliorer l'égalité des chances en s'assurant de la reconnaissance de légitimes surcoûts . Il ne s'agit pas de stigmatiser tel ou tel poste de dépenses mais de connaître leurs paramètres, leurs justifications et, éventuellement définir leur niveau optimal . Lors de ses déplacements aux Pays Bas et en Belgique, la mission a constaté que les différents pouvoirs publics identifiaient le surcoût lié à un élève en « éducation spécifique », voir se fixaient des normes plus élevées de dépense par élève lorsque ce dernier était en éducation spécifique. Ce n'est pas le cas de la France où le ministère ne peut offrir en réponse aux questions des parlementaires que des reconstitutions de coût dont la fiabilité n'est pas garantie. Ce programme concernerait :


l'éducation prioritaire ;


• le service public de l'éducation nationale dans les zones rurales, ou plus largement dans les territoires à fortes contraintes géographiques. Ces zones présentent de facto un surcoût qu'il est nécessaire d'appréhender afin de différencier les moyens en fonction de la nécessaire adaptation de l'Éducation aux réalités locales ;


la prise en charge d'enfants handicapés . Depuis la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire a très sensiblement augmenté 13 ( * ) obligeant l'Éducation nationale à faire face à des charges nouvelles. La politique du handicap étant devenu une action de l'Éducation nationale à part entière, il est nécessaire de l'identifier ;


le financement d'établissements spécifiques tels que les internats d'excellence ou les établissements de réinsertion scolaire. Une présentation séparée s'impose compte tenu de leurs modalités de financement - peu claires à ce jour - et la concentration des moyens par élève.


les bourses et les fonds sociaux des établissements .

Une nouvelle architecture budgétaire :
Pistes de réflexion pour une mission interministérielle « Éducation et formation »

- Programme 1 : Acquérir le socle commun

Action A : L'école maternelle

Action B : L'école élémentaire

Action C : Le collège

Action E : Les réseaux du socle commun

Action F : L'enseignement privé

...

- Programme 2 : Préparer aux études supérieures

Action A : Les enseignements obligatoires

Action B : Les enseignements optionnels

Action C : L'enseignement privé

...

- Programme 3: Entrer dans la vie professionnelle par une formation qualifiante

Action A : L'Enseignement professionnel

Action B : L'apprentissage

- Programme 4: L'enseignement technique agricole

Actions existantes

- Programme 5 : Lutter contre les inégalités scolaires

Action A : L'éducation prioritaire

Action B : La géographie des territoires

Action C : Les établissements spécifiques

Action D : La politique du handicap

Actions E : L'action sociale

...

- Programme 6 : Soutien de la politique de l'éducation nationale

Actions existantes

3. Instaurer un débat d'orientation budgétaire et financier

Le décalage année civile/année scolaire a pour principale conséquence de fausser le débat en loi de finances. Ce dernier se déroule en effet après la rentrée scolaire, et donc souvent après la mise en oeuvre de décisions prises par le ministère au printemps lorsque ce dernier prépare techniquement cette rentrée, décisions sur lesquelles le Parlement n'a aucune prise puisqu'elles n'étaient pas encore connues lors du précédent débat budgétaire.

Compte tenu de l'importance du budget de l'Éducation nationale - premier poste de dépense de l'État -, de l'impact de cet investissement sur l'avenir de notre pays, du caractère faiblement législatif de ce service public et eu égard aux contraintes matérielles qui s'imposent au ministère, votre mission propose que le Parlement puisse débattre des orientations budgétaires concrètes de cette mission au cours du premier trimestre de chaque année . Votre mission rappelle que l'instauration d'un tel débat d'orientation budgétaire consacré au premier investissement de la Nation avait déjà été proposée par la commission d'enquête précitée du Sénat, en 1999.


* 12 Cf. audition du 25 janvier 2011.

* 13 Article. L. 112-1.du code de l'éducation : « Pour satisfaire aux obligations qui lui incombent en application des articles L. 111-1 et L. 111-2, le service public de l'éducation assure une formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant. Dans ses domaines de compétence, l'État met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes handicapés. »

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