Audition de Pierre-Laurent Simoni, adjoint au directeur
des affaires financières du ministère de l'éducation nationale,
de la jeunesse et de la vie associative

(25 janvier 2011)

M. Pierre-Laurent Simoni, adjoint au directeur des affaires financières du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. - Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser le directeur des affaires financières, qui est retenu mais se tient à votre disposition si vous souhaitez l'entendre. Je suis pour ma part adjoint au directeur des affaires financières depuis octobre 2010, après avoir été adjoint au directeur général de l'enseignement scolaire.

Depuis le 1 er janvier 2006, le responsable de programme, chargé d'assurer la meilleure performance possible de la dépense publique, est seul maître de l'utilisation des moyens, crédits et emplois, qui lui sont alloués. La direction des affaires financières garantit la soutenabilité des projets des responsables de programme, pour l'année en cours ainsi que pour les exercices ultérieurs qui seront impactés par les décisions prises. Elle veille à la régularité de la dépense et sécurise l'information transmise à la direction du budget et au Parlement. Son rôle est toutefois délicat car la direction des affaires financières est elle-même responsable de programmes, dont celui de l'enseignement privé : les périmètres se recoupent, mais nous essayons de donner un maximum de liberté aux responsables de programme dans l'utilisation des crédits, tout en garantissant le respect des plafonds d'emplois.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - La Cour des comptes a souligné la difficulté du ministère à évaluer le coût des dispositifs dont les modalités pratiques de mise en place sont définies par rapport à « l'euro éducatif ». Partagez-vous ce constat ?

M. Pierre-Laurent Simoni. - La Cour des comptes a longtemps reproché au ministère de chiffrer ses dispositifs en « heures d'enseignement », plutôt qu'en unité de compte financière.

Sur le plan de la gestion du système éducatif, nous sommes capables de rendre compte aux citoyens du coût de nos politiques. Nous n'utiliserions pas une unité de pilotage au détriment d'une unité financière si les deux ne garantissaient pas le respect de l'autorisation parlementaire. L'ensemble du système éducatif utilise l'heure d'enseignement comme unité de compte, qu'il s'agisse des obligations d'enseignement des professeurs, des grilles hebdomadaires, du cycle de l'enseignement professionnel sur trois ans, des moyens alloués aux académies et aux établissements, et enfin de l'emploi du temps des élèves.

Les recteurs ne se désintéressent pas pour autant de la gestion de la masse salariale, surtout depuis que la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) impose un diagnostic précis, qui est au coeur de notre gestion.

Les chefs d'établissement ne maîtrisent pas leur masse salariale : ce ne sont pas eux qui recrutent les enseignants ou qui décident de leur rémunération. La masse salariale varie considérablement selon les régions et les zones. Ainsi, dans les établissements de centre-ville, où les agrégés sont surreprésentés, une heure d'enseignement coûte plus cher qu'ailleurs ! Raisonner par heure d'enseignement facilite les comparaisons.

Il faut recomposer les coûts par dispositif a posteriori , ce qui a été rendu difficile faute de système d'information et de données. Prenons l'exemple du soutien scolaire dans le primaire, qui représente deux heures par enseignant, mais ne tient pas compte du temps consacré à la différenciation pédagogique. Tant qu'il n'y aura pas de comptabilisation financière, il sera difficile de quantifier la politique éducative de lutte contre l'échec scolaire.

S'agissant de l'éducation prioritaire, nous avons un projet de refonte du système d'information des ressources humaines : nous pourrons croiser la rémunération des enseignants, les affectations, la valorisation des services, les remplacements. Nous disposerons ainsi d'axes d'analyse plus détaillés, qu'il faudra définir.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - Difficile d'y voir clair dans un tel maquis. Sur 60 milliards d'euros, une variation d'1 % n'est pas anodine ! Pourquoi les établissements n'utilisent-ils pas la notion d' » euro éducatif » ? Imagine-t-on que dans une entreprise, ceux qui sont au plus près du client ne connaissent pas le prix du produit qu'ils vendent ? N'est-ce pas un frein à l'autonomie des établissements ?

M. Daniel Dubois . - J'ai lu que l'administration centrale et les académies n'étaient pas d'accord sur le nombre effectif de fonctionnaires en poste. Est-ce vrai ? Si oui, comment est-ce possible ?

La LOLF avait pour objectifs la lisibilité, l'efficacité, la transparence. Je n'ai pas tout compris à votre exposé. Pourtant, je m'intéresse à la question ! Comment créer des communautés éducatives sur le terrain tant que la complexité est telle ?

M. Pierre-Laurent Simoni. - Il faut en effet rendre le budget de l'éducation nationale plus lisible. La décomposition en actions ne répond qu'imparfaitement aux souhaits de la représentation nationale. Le découpage des programmes se fait à la fois par niveau d'enseignement et par politique éducative ; ce choix, qui répondait à des impératifs techniques, ne favorise pas la lisibilité. Il y a là un travail à mener.

Le principal facteur de coût est l'offre de formation. Comment mettre en place une offre satisfaisante, qu'il s'agisse d'accueil géographique, des parcours scolaires, de la poursuite dans l'enseignement supérieur, de l'insertion professionnelle ? De là découlent nos discussions avec les élus locaux sur la fermeture de tel ou tel établissement. L'utilisation de données financières serait pertinente pour démontrer aux élus le coût que représente, pour les collectivités et pour l'État, le maintien d'une offre qui n'est pas toujours de qualité.

Dans les mois à venir, nous allons produire un nouveau cadre budgétaire et comptable des établissements publics locaux d'enseignement (EPLE), en adéquation avec les principes de la LOLF. Plusieurs ministres se sont engagés devant le Sénat à valoriser la masse salariale des établissements scolaires. Cela n'a pas encore été fait pour des raisons techniques, mais les travaux se poursuivent. Il faut réfléchir collectivement à la description du budget de l'éducation nationale, en faisant converger les contraintes.

Mme Françoise Cartron, présidente . - Selon la Cour des comptes, l'éducation nationale dispose de moyens satisfaisants, mais le primaire serait sous-financé par rapport à d'autres pays. Pourrions-nous avoir une évaluation précise ?

M. Pierre-Laurent Simoni. - La dépense intérieure d'éducation agrège l'ensemble des financements : éducation nationale, autres ministères, collectivités territoriales, caisses d'allocations familiales, familles. En la divisant par le nombre d'élèves, on chiffre la dépense intérieure par niveau. Si le primaire apparaît sous-financé par rapport au secondaire, c'est qu'il y a un enseignant pour vingt-cinq élèves, contre un pour douze dans le secondaire. Le coût de la masse salariale est doublé !

Mme Françoise Cartron, présidente . - Mais pourquoi une telle différence avec les autres pays ?

M. Pierre-Laurent Simoni. - Les situations ne sont pas uniformes. Chez nos voisins, le taux d'encadrement est souvent supérieur, l'organisation, plus modulable, ne se fait pas par classes, le travail se fait en équipe, en fonction des compétences de chacun. En France, peu d'enseignants du primaire ont fait des études scientifiques, d'où un enseignement des matières scientifiques parfois de faible qualité. Certains pays rémunèrent mieux les enseignants du primaire que ceux du secondaire au motif qu'ils maîtrisent un panel de compétences plus large. En France, c'est l'inverse : plus un enseignant est qualifié, moins il travaille et plus il est payé !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - La masse salariale figure-t-elle dans le budget soumis au conseil d'administration de l'EPLE ? Comment sensibiliser et responsabiliser les acteurs, quand 60 % de la masse budgétaire globale n'est pas connu, et ne fait pas l'objet d'un vote ? Le Sénat avait proposé de faire des EPLE pour le primaire, mais l'Assemblée nationale a supprimé cette mesure en catimini... Le problème n'est-il pas plus politique qu'administratif !

M. Pierre-Laurent Simoni. - La question relève en effet du politique. Il est difficile d'imaginer que le conseil d'administration vote sur la masse salariale tant que l'établissement ne recrute pas ses enseignants, mais il pourrait être informé. Certains recteurs et inspecteurs d'académie communiquent un ordre de grandeur. C'est une information importante pour la communauté scolaire.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - La masse salariale apparaît dans le budget de l'enseignement privé. Si l'on veut l'autonomie des établissements, il faut connaître leur budget !

M. Pierre-Laurent Simoni. - Depuis la réforme des universités, qui leur a confié des compétences élargies, le financement du glissement vieillesse-technicité est devenu un sujet politique. Mais peut-on étendre la démarche d'autonomisation aux neuf mille EPLE ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - Nous pourrions l'expérimenter.

Mme Françoise Cartron, présidente . - Ce serait mettre en lumière des inégalités considérables : les lycées les plus recherchés ont les enseignants les plus diplômés et les plus anciens, et donc les plus chers.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - À force de se cacher derrière son petit doigt, on n'aura plus rien à cacher !

M. Daniel Dubois . - Est-il vrai que les académies ne connaissent pas le nombre de leurs personnels ?

La LOLF est censée faciliter l'évaluation de la dépense publique, or je me bats auprès du recteur et de l'inspecteur d'académie pour obtenir les résultats des évaluations en CM2, ou connaître du moins la tendance qui s'en dégage. Mon territoire a investi 10 millions d'euros pour des écoles modernes, les élus sont engagés de la parentalité à la troisième, mais nous ne sommes pas traités comme des partenaires ! Comment voulez-vous que les collectivités territoriales investissent davantage si l'éducation nationale reste aussi fermée ? (Mme Françoise Cartron approuve ). Quand connaîtrons-nous les résultats des actions engagées ?

M. Pierre-Laurent Simoni. - L'évaluation en CM2 a fait l'objet de débats avec les syndicats, certains y voyant les prémices de la libéralisation du marché du primaire, voire de la privatisation de l'école... Le format de l'information diffusée a été volontairement normé. Il fallait faire rentrer ces évaluations dans le paysage scolaire. J'espère que c'est désormais acquis. Pour permettre des logiques plus territoriales, il faudrait pouvoir informer le maire au moins de la tendance que révèlent les évaluations dans son école, qui est représentative de la qualité du travail des équipes enseignantes. Les choses se feront naturellement quand la polémique sera apaisée.

Les collectivités territoriales ont longtemps été considérées comme de simples financeurs. Pourtant, on ne peut nier leur investissement dans les politiques éducatives. Le déploiement des tableaux blancs interactifs, par exemple, amorce une relation plus partenariale. La mise en place de l'accompagnement éducatif a été douloureuse faute de partenariat entre les collectivités territoriales et l'éducation nationale. Outre gaspiller l'argent public, on envoie de mauvais signaux.

Je reconnais que le comptage n'est pas très clair. Le président Arthuis a dénoncé le caractère bizarroïde du schéma d'emploi de la loi de finances pour 2011. En effet, on supprime 16 000 emplois, mais on arrive in fine à des créations d'emplois...

Dans ce schéma, nous nous sommes interrogés sur la façon de faire oeuvre pédagogique. Dans l'enseignement primaire, l'écart porte sur quelque 5 600 équivalents temps pleins travaillés (ETPT).

M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - Quelle est la différence avec les équivalents temps plein (ETP) ?

M. Pierre-Laurent Simoni . - L'ETP est une modalité de comptage instantanée, chaque individu en place étant converti en temps plein. Au demeurant, il y a des subtilités, puisque les équivalents temps plein financiers ne sont pas nécessairement identiques aux équipes en temps opérationnels. Ainsi, une personne travaillant à 80 % est rémunérée à 84 %. Nous avons eu des discussions épiques à ce sujet !

De son côté, l'ETPT exprime un constat en année pleine, avec une conversion qui prend en compte, par exemple, une cessation de fonctions en cours d'année.

Le schéma d'emploi de l'éducation nationale est exprimé en ETP à la rentrée. La suppression de 16 000 postes intervient dans ce cadre.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - À ces distinguos s'ajoute le décalage entre l'année civile et l'année scolaire...

M. Pierre-Laurent Simoni . - La direction du budget vérifie le respect du plafond de masse salariale, du plafond des ETPT, mais aussi du schéma d'emplois, qui traduit les variations d'effectifs d'une année sur l'autre.

Mme Françoise Cartron, présidente . - Pourquoi les départs à la retraite n'ont-ils pas été correctement prévus ?

M. Pierre-Laurent Simoni . - La loi de finances pour 2011 comporte trois types de mesures correctives. La première prend en compte la réalité des emplois pourvus au 1 er janvier, soit un surnombre de 5 600 ETP dans le premier degré. En l'absence de contractuels, la plus ou moins bonne adéquation des effectifs au vote parlementaire s'explique par la différence entre les départs à la retraite constatés et les prévisions faites lorsque les concours ont été organisés. Nous avions tablé sur 14 000 départs à la retraite pendant l'année scolaire 2008-2009, mais seuls 9 000 ont eu lieu. D'où les ETP en surnombre. Ils sont financés jusqu'au 31 août, mais l'obligation de les résorber explique le faible nombre de postes mis aux concours.

Nous supposons que le volume des départs à la retraite augmentera cette année en raison des dispositions relatives aux mères de trois enfants.

Mme Françoise Cartron, présidente . - À ma connaissance, un recensement a eu lieu dans les académies pour savoir qui partirait sans tarder.

M. Pierre-Laurent Simoni . - Le service des pensions de l'éducation nationale a réalisé une enquête. Comme six mois s'écoulent entre la demande de départ à la retraite et la liquidation de la pension, la situation est connue au plan local, mais nous ne disposons pas de données consolidées. Sachant que certains futurs retraités devront travailler quatre mois supplémentaires, la disposition applicable aux mères de trois enfants devrait accroître le solde des départs cette année de quelque 1 000 à 1 500 personnes.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - À quel niveau cette comptabilisation a-t-elle été opérée ?

M. Pierre-Laurent Simoni . - À celui des académies. Au total, la France dispose de 300 000 professeurs du premier degré, soit environ 10 000 par académie.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - C'est l'effectif d'une assez grande entreprise... Concevable il y a un siècle, ce manque de réactivité ne l'est plus ! Une personne auditionnée la semaine dernière nous a dit que le système éducatif était réglementé, mais pas régulé. Qu'en pensez-vous ?

M. Pierre-Laurent Simoni . - Il est vrai que nous sommes obnubilés par le volume des ressources humaines, alors qu'il faudrait partir des objectifs, donc du type d'enseignement dont nous avons besoin.

Aujourd'hui, le vivier des personnes passant le concours de professeur des écoles provient surtout des facultés de sciences humaines, de psychologie et de sociologie. Nous aurions probablement besoin de candidats plus aguerris aux mathématiques par exemple.

Le recrutement se fait aujourd'hui par des concours académiques avec affectation départementale, si bien que l'on compte deux candidats par poste à Créteil et huit à Nice !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - Comment gérez-vous le décalage entre l'année budgétaire et l'année scolaire ?

M. Pierre-Laurent Simoni . - Nous espérions une certaine souplesse, mais le ministère du budget ne semble pas pouvoir se rallier à cette philosophie...

Chaque année, il demande une programmation budgétaire initiale en ETPT, le stock d'emplois au 1 er janvier, le schéma d'emplois à la rentrée et le stock au 31 décembre. Tout cela résumé en un seul chiffre conforme au vote parlementaire. Pour nous, la situation du 1 er janvier au 31 août est la conséquence mécanique du stock au 31 décembre de l'année précédente. Et le solde constaté entre retraites et recrutements doit être conforme au schéma d'emplois, ce qui permet d'établir la situation à la rentrée.

Ne communiquer à chaque recteur qu'une dotation unique d'ETPT mènerait droit à la catastrophe !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - Ne serait-il pas plus simple de décaler l'année scolaire pour la faire commencer en janvier ?

Mme Françoise Cartron, présidente . - Bonne idée pour la conclusion du rapport ! ( Rires. )

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