Audition de Mme Brigitte Doriath,
inspectrice générale de l'éducation nationale,
sur la rénovation de la voie professionnelle

(1 er février 2011)

Mme Brigitte Doriath, inspectrice générale de l'éducation nationale . - Voilà déjà trois ans que je suis ce dossier de la rénovation de la voie professionnelle. Il ne serait donc pas superflu que vous me précisiez l'angle d'attaque que vous souhaiteriez que je privilégie dans mon exposé.

M. Jean-Claude Carle , rapporteur . - Nous souhaitons établir un diagnostic de l'organisation du système éducatif, et notamment de son organisation territoriale. Or, dans la mesure où la voie professionnelle est extrêmement liée à un certain nombre d'acteurs que sont les régions, les partenaires socio-économiques, les élus locaux ou les chambres consulaires, nous aimerions pouvoir faire avec vous un petit tour d'horizon de cette question, dans un contexte de réforme de cette voie professionnelle, marquée notamment par l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi et la nouvelle dimension revêtue par le plan régional de développement des formations (PRDF).

Nous aimerions par ailleurs que vous portiez à notre connaissance les expériences dont vous estimez qu'elles constituent un succès ou une avancée.

Mme Brigitte Doriath . - Le contrat de plan régional de développement des formations professionnelles (CPRDFP) se met tout juste en place et je ne pourrai donc pas vous répondre sur ce point.

Nous en sommes à la rédaction de notre cinquième note pour le compte du ministre et nous assurons donc un suivi continu du processus de rénovation de la voie professionnelle. Tant que je n'aurai pas remis cette cinquième note au ministre, vous comprendrez donc que je doive observer une certaine confidentialité sur un certain nombre de constats, qui devront encore être consolidés par la suite.

La rénovation de la voie professionnelle constitue, en elle-même, une vaste expérimentation, extrêmement profonde et complexe, dont les deux principaux objectifs sont l'accroissement des niveaux de qualifications et la réduction des sorties du système sans qualification. Tous les dispositifs récemment mis en place par les ministres - au premier rang desquels celui de la réduction du parcours vers le baccalauréat en trois ans - tendent vers ces objectifs. Les certificats d'aptitude professionnelle (CAP) ont, en outre, été mis de côté, mais se sont vu octroyer, dans le même temps, une réelle place dans le dispositif d'offre de formation.

Le raccourcissement à trois ans du parcours vers le baccalauréat professionnel visait notamment à harmoniser la durée de la formation professionnelle avec celle des élèves du baccalauréat général ou technologique. Cette réduction de la durée du cursus s'est accompagnée de la mise en oeuvre d'un accompagnement personnalisé, d'un système de passerelles permettant d'individualiser les parcours et d'un dispositif de sécurisation des parcours, via l'obtention d'un diplôme intermédiaire.

M. Jean-Claude Carle , rapporteur . - Pourriez-vous nous préciser en quoi consiste ce diplôme intermédiaire ?

Mme Brigitte Doriath . - Il s'agit d'un CAP ou d'un brevet d'études professionnelles (BEP) dit rénové, dont le processus de certification aura été allégé. Ce diplôme est supposé s'intégrer dans le parcours d'un baccalauréat en trois ans. Il constitue une sécurité pour des jeunes qui arrêteraient leur parcours de formation en cours de route.

M. Jean-Claude Carle , rapporteur . - Un jeune qui prépare un bac professionnel doit donc obligatoirement passer un tel diplôme ?

Mme Brigitte Doriath . - Il a l'obligation de se présenter à cette épreuve mais n'a pas l'obligation de l'obtenir. Nous attendons les résultats de l'année scolaire en cours afin de voir si ce diplôme intermédiaire remplit bien son rôle de sécurisation du parcours de formation.

M. Jean-Claude Carle , rapporteur . - Si un élève rate son CAP à la fin de la deuxième année de son parcours de formation, mais passe quand même en troisième année, aura-t-il la possibilité de repasser son CAP à la fin de cette troisième année ?

Mme Brigitte Doriath . - Théoriquement, il le pourra ; pratiquement, tout dépendra de ce que décideront les équipes pédagogiques.

Dans l'ancien système, organisé en 2+2, l'offre de formation ne permettait pas d'accueillir tous les élèves titulaires d'un BEP. Ainsi, pour 100 élèves entrant en BEP, 32 à 33 % seulement atteignaient finalement un niveau IV. Il y avait donc beaucoup de « pertes en ligne ». La rénovation de la voie professionnelle que nous entendons initier vise par conséquent à remédier à cette situation, en favorisant l'obtention d'un bac professionnel en fin de parcours, en mettant en place un « parachute social » correspondant à l'obtention d'un diplôme intermédiaire.

Il s'agit donc d'une conception tout à fait nouvelle, reposant sur un changement complet des paradigmes. Nous ne nous situons plus, en effet, sur une logique de cursus, mais sur des logiques de parcours individuels. Pour autant, force est de constater qu'il existe une certaine tension entre les deux objectifs initialement affichés de cette rénovation de la voie professionnelle, correspondant à une élévation des niveaux de qualification, d'une part, à une sécurisation des parcours, d'autre part, avec obtention d'un niveau V pour l'ensemble des élèves.

En tout état de cause, les professeurs et les familles ne prennent pas toujours le risque d'un parcours en trois ans. Le risque d'un repli massif vers le CAP est donc bien réel. A cet égard, les recteurs s'attachent à contenir l'offre de CAP. En outre, à force d'inciter un maximum d'élèves à s'orienter vers un parcours en trois ans, nous risquons de nous retrouver avec davantage de sorties en cours de parcours. Nous nous trouvons donc confrontés, de fait, à une tension très importante entre l'objectif d'élévation des qualifications et celui de réduction des sorties du système sans aucune qualification.

Pour contrer les effets négatifs potentiellement induits par une telle situation de tension, nous veillons à garantir l'équilibre de l'offre de formation entre les baccalauréats professionnels et les CAP. A ce titre, les recteurs veillent à contenir l'offre de CAP en évitant de répondre à la pression du terrain se caractérisant par la volonté de tous les établissements d'avoir un CAP adossé à leurs bacs professionnels.

Dans notre dernière note de juillet 2010, nous faisions le constat que si l'on additionne la formation initiale sous statut scolaire et l'apprentissage, les formations de niveau V représentent entre 40 et 50 % de l'offre de formation professionnelle globale. Ces chiffres ne correspondent pas à ceux qui sont publiés par les académies car nous nous heurtons, de fait, à un problème de suivi statistique des jeunes qui partent en apprentissage, dans la mesure où nous les perdons de vue systématiquement. Dans le cadre du protocole que nous entendons mettre en place, nous nous efforçons par conséquent d'évaluer, au plus près de la vérité, le nombre d'élèves en préparation de CAP.

M. Jean-Claude Carle , rapporteur . - Les élèves qui sont en apprentissage relèvent pourtant bien du ministère de l'éducation nationale.

Mme Brigitte Doriath . - Il s'agit ici du suivi statistique de ces élèves. Une mission d'inspection est bel et bien prévue au code du travail et des inspecteurs sont bien mandatés pour aller vérifier la qualité pédagogique des formations mises en oeuvre, dans les centres de formation d'apprentis (CFA). Les élèves dépendent toutefois des chambres de commerce et d'industrie - à l'exception de ceux qui ont intégré un dispositif d'apprentissage public - et ne figurent donc plus dans les bases statistiques de l'éducation nationale.

M. Jean-Claude Carle , rapporteur . - Alors que les élèves qui sont dans l'enseignement privé sont statistiquement suivis par l'éducation nationale...

Mme Brigitte Doriath . - Nous avons un important travail à accomplir sur le rapprochement de toutes ces bases de données. Pour l'heure, ce problème de calcul perturbe notre réflexion concernant l'équilibre à trouver entre les niveaux IV et V, dans la mesure où les chiffres dont nous disposons, sur le poids respectif de chacun des diplômes, sont quelque peu erronés.

Mme Maryvonne Blondin . - Travaillez-vous en concertation avec le ministère de Mme Morano ?

Mme Brigitte Doriath . - Pour le moment, non.

Pour l'heure, nous soulevons bien évidemment toutes ces questions d'équilibre mais nous avons surtout vocation à évaluer la façon dont les établissements s'emparent de ce processus de rénovation de la voie professionnelle et des fameuses marges de manoeuvre qui leur sont octroyées dans ce cadre.

Les recteurs peuvent remplir une mission d'amélioration qualitative des enseignements, toujours avec le même objectif de conserver des publics.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente . - En quoi pensez-vous qu'une autonomie plus grande laissée aux établissements permettrait de résoudre certains questionnements, en favorisant notamment un meilleur fonctionnement des passerelles entre les filières, lequel permettrait de corriger les éventuelles erreurs d'orientation ?

Mme Brigitte Doriath . - Nous sommes aujourd'hui sur des publics suffisamment divers pour qu'une éducation nationale normée, jusque dans ses pratiques pédagogiques, fonctionne à plein.

Durant les dix années où j'ai exercé la fonction d'inspectrice pédagogique régionale (IPR) sur l'académie de Créteil, ma première préoccupation, à la rentrée, consistait à « éplucher » les emplois du temps et à regarder si les chefs d'établissement respectaient bien les grilles horaires. Je me rendais également dans les établissements pour vérifier que les parcs informatiques étaient bien là, mis à la disposition des élèves, conformément à ce qui avait été négocié avec les collectivités territoriales.

Or, sur le terrain, je constatais que la quasi-totalité des établissements - au premier rang desquels les lycées professionnels - dérogeaient systématiquement ou presque à ce type de règles, mais de manière plutôt intelligente, en tenant compte de la réalité des élèves et des partenariats noués au niveau local.

La rénovation de la voie professionnelle prend acte de cette souplesse de fonctionnement, dans la mesure où elle contribue à mettre en évidence ces marges d'autonomie qui s'exerçaient jusqu'à présent sur le terrain, sans avoir été préalablement formalisées. Or, cette autonomie donnée aux établissements modifie en profondeur le pilotage du système éducatif.

La rénovation de la voie professionnelle a affecté l'activité des enseignants de cette filière dans toutes ses composantes. Ceux-ci se trouvent en effet contraints de réorganiser un cursus de formation professionnelle sur trois ans, en absorbant dans le même temps des programmes totalement rénovés. Les modalités d'examen et de certification ont, elles aussi, été modifiées et les enseignants doivent mettre en oeuvre un accompagnement personnalisé de leurs élèves. Les pratiques professionnelles des enseignants ont donc été globalement rénovées et les processus décisionnels, mis en oeuvre au sein des établissements, deviennent dans le même temps de plus en plus collectifs.

Cette rénovation de la voie professionnelle constitue donc une véritable révolution, animée par les enseignants et pilotée par les chefs d'établissements. L'autonomie, qui a vocation à valoriser des compétences locales, devient de plus en plus réelle. Pour autant, il serait sans doute un peu prématuré de prétendre porter une appréciation sur l'efficacité des dispositifs mis en oeuvre, sur le terrain.

Dans notre note de juillet dernier, nous avons par ailleurs constaté que les passerelles qui fonctionnaient le mieux étaient celles qui n'étaient pas prévues par la loi. Ces passerelles informelles correspondent à tous les ajustements susceptibles d'être mis en oeuvre, au quotidien, par les équipes pédagogiques, en cas d'erreurs d'orientation majeures de certains élèves. Les élèves qui obtiennent leur CAP peuvent notamment rejoindre une première professionnelle, alors qu'ils étaient jusqu'à présent pris plutôt en seconde.

Mme Françoise Cartron - N'avez-vous pas constaté qu'un nombre moins important d'élèves osait s'engager directement dans un cursus en trois ans ?

Mme Brigitte Doriath . - Nous l'avions craint mais cela ne s'est pas produit, comme en attestent les chiffres relatifs aux orientations en seconde professionnelle. Les recteurs ont en effet fait montre d'une extrême vigilance pour contenir cette offre, ce qui explique que nous ayons surmonté ce cap avec succès. Il n'empêche que la tension est encore vive, et ce d'autant plus qu'elle est alimentée par l'inquiétude de certains professeurs, qui n'ont pas encore rôdé le parcours en trois ans et qui appellent de leurs voeux la mise en place de CAP.

Mme Maryvonne Blondin . - Vous éclairez la réponse que le recteur de ma région vient de me faire, en refusant pour la deuxième fois d'ouvrir un CAP de métallurgie-serrurerie pourtant très demandé dans les établissements publics d'enseignement professionnel, tant par les organisations professionnelles et les collectivités, que par les parents d'élèves et les autorités régionales.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente . - Avez-vous déjà des retours sur le comportement des entreprises et des employeurs, concernant la mise en place de ce nouveau dispositif de formation ?

Mme Brigitte Doriath . - Côté entreprises, il est probablement encore un peu tôt pour effectuer un tel retour. Pour autant, nous pouvons d'ores et déjà affirmer que le bac professionnel en trois ans ne pose aucun problème de crédibilité a priori.

S'agissant du diplôme intermédiaire, le BEP rénové n'est pas identique aux anciens BEP. Néanmoins, un certain nombre de diplômes industriels ont, comme diplôme intermédiaire, un CAP qui est le même que celui qui est passé ailleurs en apprentissage. Or, d'aucuns semblent affirmer qu'il s'agirait de deux CAP différents, et que l'un serait plus crédible que l'autre, ce qui commence à m'inquiéter dans la mesure où cela revient à décrédibiliser la formation professionnelle publique sous statut scolaire. Ce diplôme intermédiaire, que j'évoquais précédemment, traverse donc plutôt une phase de doutes.

Compte tenu de la fragilité scolaire et familiale des publics qui sont les nôtres, il nous semble néanmoins primordial de conserver ce parachute social que constitue le diplôme intermédiaire. Pour autant, nous sommes tout à fait conscients de la nécessité de simplifier ce qui constitue, aujourd'hui, une véritable « usine à gaz ». A cet égard, nous aimerions que ce diplôme intermédiaire devienne un sous-ensemble du bac professionnel, ce qui simplifierait sensiblement la donne.

Mme Maryvonne Blondin . - Comme vous le savez, le taux d'absentéisme bat tous les records dans les établissements d'enseignement professionnel. Comment avez-vous pris en compte ce phénomène, dans votre démarche de mise en oeuvre d'un accompagnement personnalisé des élèves ? Et pensez-vous que ce nouveau dispositif permettra de réduire sensiblement ce niveau d'absentéisme ?

Mme Brigitte Doriath . - Cet accompagnement personnalisé comporte une phase d'accueil durant laquelle les enseignants reçoivent un à un leurs futurs élèves, ce qui leur permet de nouer avec ces derniers un lien interindividuel totalement nouveau et d'avoir par là même un impact positif sur le comportement de certains de ces élèves. A cet égard, la mise en place d'un interlocuteur spécifique pour chaque élève pourrait influer à la baisse sur le taux d'absentéisme.

Il conviendrait également de lutter contre l'ennui des élèves en classe, en replaçant les professeurs dans une didactique plus efficace, qui leur serait spécifique. Un tel processus nécessitera toutefois du temps et ce d'autant plus que les enseignants devront s'attacher, dans un premier temps, à digérer la mise en place de dispositifs très innovants, et par suite très perturbateurs.

Pour conclure, j'insisterai sur le fait que cette rénovation de la voie professionnelle devra faire montre d'exemplarité, dans la mesure où elle intervient avant la réforme du lycée. Nous ne pouvons que nous réjouir, en outre, que la voie professionnelle sorte enfin un peu de l'ombre et prenne une place de premier plan sur la voie des réformes.

M. Jean-Claude Carle , rapporteur . - Ne croyez-vous pas que la hiérarchisation des différents types d'enseignements et de formations ait pu induire une hiérarchisation entre les différentes catégories d'enseignants - ceux de l'enseignement professionnel, d'une part, et ceux de l'enseignement général, d'autre part ? Il m'est en effet arrivé de constater que les enseignants de ces deux catégories évitaient même de déjeuner ensemble, lorsqu'ils étaient appelés à se côtoyer au sein d'un même établissement.

Mme Brigitte Doriath . - Nous avons connu ce même type de phénomène entre les agrégés et les certifiés et nous constatons même parfois que les professeurs des disciplines générales, dans les établissements professionnels, rechignent à fréquenter les enseignants d'ateliers. Ce n'est d'ailleurs pas une spécificité française et je constate ce type de phénomènes à l'étranger également, principalement au Brésil, que je connais bien.

A cet égard, comme nous l'indiquions dans un rapport publié en juillet 2009, nous ne devons pas sombrer dans le piège du discours de l'égale dignité. Il nous semblerait en effet préférable d'affirmer haut et fort qu'il n'existe pas un seul type de réussite mais plusieurs, tout en trouvant enfin les mots pour valoriser cette voie professionnelle qui reste encore trop souvent en position d'infériorité, en regard de la voie générale.

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