IV. QUELLES PERSPECTIVES DE SOUTENABILITÉ DES FINANCES PUBLIQUES ?

A. LA SOUTENABILITÉ, UNE NOTION TOUJOURS EN CONSTRUCTION

Estimer la soutenabilité des finances publiques est un exercice particulièrement difficile. Il implique, par exemple, de poser des hypothèses sur la croissance économique à venir ainsi que sur les tendances des dépenses et des recettes publiques.

L'un des problèmes que pose l'évolution des positions budgétaires consiste à déterminer ce que ces positions doivent au niveau de la production du moment.

Celui-ci est-il supérieur ou inférieur à la production potentielle de l'économie considérée ? Le solde nominal du pays intègre-t-il ou non des effets favorables (ou défavorables) non récurrents ?

En bref, quelles sont les composantes conjoncturelle et structurelle des positions budgétaires ?

Les révisions des estimations d'écarts de production réalisées en 2009 par l'OCDE et la Commission européenne pour l'année 2007 (par rapport aux estimations réalisées cette année là) illustrent la variabilité des estimations en ce domaine.

Écarts de production - Estimations successives pour 2007
(en % du PIB)

2007

2009

OCDE

Allemagne

0

2,6

France

- 0,3

1,8

Commission européenne

Allemagne

0,3

2,7

France

- 0,3

1,9

Note de lecture : en 2007, l'OCDE estimait que l'Allemagne se trouvait alors produire autant que son potentiel le lui permettait ; dans une estimation réalisée en 2009, son jugement évolue et l'OCDE considère que l'Allemagne produisait en 2007 davantage (+ 2,6 %) que son potentiel.

Lorsque, dans les estimations d'écarts à la production potentielle, on passe d'un déficit de production à un excédent de production, l'appréciation des positions budgétaires évolue. La composante conjoncturelle du solde public doit être réévaluée et, inversement, l'assise structurelle du solde est dégradée.

Dans ces conditions, l'effort structurel à entreprendre pour aboutir à un solde public stabilisant la dette publique à un niveau cible est généralement réestimée.

Les nouvelles estimations ici mentionnées des écarts de production conduisent à porter un jugement moins favorable sur les positions budgétaires de l'Allemagne et de la France. Parallèlement, elles tendent à préconiser un ajustement complémentaire des positions budgétaires des deux pays.

Outre ce problème, il faut se donner une norme de soutenabilité, ce qui pose des problèmes conceptuels qu'illustrent, par exemple, les fameux critères de Maastricht plafonnant le déficit public à 3 % et la dette publique à 60 % du PIB, comme norme de soutenabilité.

Techniquement, on sait que le choix d'un plafond de déficit à 3 % a été dicté par la considération arithmétique selon laquelle avec un tel déficit et une croissance nominale du PIB de 5 % (cohérente avec les anticipations formées alors sur la croissance potentielle et l'inflation) on stabilisait le niveau de la dette publique dans le PIB qui était alors de l'ordre de 60 % en moyenne en Europe. Le plafond relatif à la dette publique a donc été déterminé sur la base d'une valeur historique, qui a été décrétée « soutenable ». Implicitement, tout dépassement de ce plafond a alors été jugé insoutenable. Or, dans les faits, cette limite supérieure a été souvent dépassée sans pour autant qu'une crise des dettes souveraines ne se déclenche. Et même dans la crise globale en cours, où les dettes publiques des pays ont généralement augmenté dans des proportions telles que le plafond des 60 points de PIB s'est mué en un plancher, dont, au surplus, on s'est trouvé fort éloigné, tous les pays concernés ne sont pas entrés pour autant dans une grave crise de leurs finances publiques. Il est vrai que tel fut le cas pour certains d'entre eux et que les États partenaires ont été contraints à enfreindre la règle de non-secours entre États qu'ils avaient glissée dans l'architecture de la zone euro, avec, pour éventualité, une possible contagion des crises nationales des dettes publiques. En toute hypothèse, il aura fallu attendre un alourdissement bien au-delà de 60 points du PIB de la dette publique pour que la question de la soutenabilité des finances publiques passe du stade théorique au stade pratique.

Ces quelques considérations, destinées à illustrer la relativité de certaines normes de soutenabilité quand bien même elles seraient ancrées dans la « législation » (ici la législation communautaire), ne conduisent pas à récuser radicalement le concept de soutenabilité des finances publiques mais invitent à développer en la matière une approche prudente, d'autant qu'un critère a toujours (à supposer qu'on le mette en oeuvre) des effets.

Ainsi, dans le domaine qui nous occupe, une norme de soutenabilité trop stricte exercerait un impact sur la politique budgétaire (voire sur la politique monétaire ou l'attractivité financière des pays concernés) qui pourrait se révéler excessivement restrictif.

Quoi qu'il en soit, à ce stade, la Commission européenne a élaboré une méthode d'évaluation de la soutenabilité des finances publiques qui, dans les faits, paraît adoptée comme outil de référence, ce dont témoigne en particulier sa mention dans le récent rapport conjoint du Conseil d'analyse économique français et du Conseil allemand des experts en économie réalisé pour le Conseil des ministres franco-allemand de Fribourg-en-Brisgau 56 ( * ) du 10 décembre 2010.

La soutenabilité des finances publiques selon la Commission européenne :
précisions de méthode

Pour apprécier la soutenabilité des finances publiques, la Commission européenne recourt à deux indicateurs : le premier (S1) mesure l'écart entre la position budgétaire actuelle et celle qui permettrait de stabiliser la dette publique à 60 % du PIB en 2060 ; le second (S2) mesure l'écart entre la position budgétaire actuelle et celle qui permettrait de faire face aux dépenses futures supplémentaires sans augmentation de la dette publique initiale (cet indicateur est souvent présenté comme révélateur de la contrainte intertemporelle qui s'exerce sur les finances publiques).

Dans ces deux indicateurs, l'écart qui est mesuré porte sur le solde primaire structurel et est censé livrer une estimation de l'ampleur des rééquilibrages à entreprendre pour assurer la soutenabilité des comptes publics : un indicateur de X points de PIB signifie qu'il faut améliorer le solde primaire structurel de X points de PIB pour atteindre l'un ou l'autre des deux objectifs visés par chacun des indicateurs.

Les indicateurs de soutenabilité sont décomposés en plusieurs éléments :

- le premier (IBP) retrace la contribution à l'écart de soutenabilité de la situation en cours ;

- le deuxième (LTC) indique la pression découlant des dépenses supplémentaires anticipées en lien avec le vieillissement démographique ;

- enfin, un troisième élément (DR) s'ajoute pour calculer le seul indicateur (S1) * qui résulte de l'écart entre le niveau du solde primaire structurel actuel et celui qui permettrait d'atteindre en 2060 un niveau de dette publique de 60 points de PIB.

Pour construire ces indicateurs, un grand nombre d'hypothèses doit être envisagé. Elles correspondent aux différentes grandes variables dont leur valeur dépend : la croissance économique, le niveau de la croissance économique potentielle (ce principalement pour identifier les composantes structurelle et conjoncturelle respectivement du solde public), le niveau des taux d'intérêt (dont dépend la dynamique de « l'effet boule de neige » de la dette publique) et la trajectoire des dépenses publiques liées au vieillissement de la population.

* Dans l'autre indicateur (S2), il n'y a pas d'objectif de dette publique autre que celui d'en éviter l'augmentation.


* 56 Ville dont est issu « l'ordo libéralisme » allemand.

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