B. UN SYSTÈME QUI CRÉE DES DÉSÉQUILIBRES EN ALLEMAGNE

Quelle que soit l'efficacité des exportateurs allemands, les limites de la croissance potentielle du pays l'empêchent de suivre le rythme du commerce mondial sauf à réaliser des gains de productivité, dont le réalisme est douteux, que l'absence d'investissement et la stabilisation des dépenses de R&D, ne prédisposent pas à atteindre.

La question se pose des limites de l'augmentation du poids des exportations dans le PIB. Si l'Allemagne continuait sur le rythme d'augmentation des années 2000 (de l'ordre de 8 % en volume, soit environ 8 fois son rythme de croissance), le bouclage de l'équilibre économique (à nouveau en dehors de gains de productivité substantiels que rien n'annonce) supposerait d'accentuer les mécanismes qui installent au coeur de son système des freins à la stimulation de son appareil productif à savoir :

une distribution du revenu telle que la demande intérieure réserve des marges au système de production pour qu'il puisse répondre à la demande extérieure ;

le recours à des importations permettant de solliciter les potentiels de production localisés à l'étranger pour satisfaire la demande totale adressée à l'Allemagne, qu'elle soit domestique ou étrangère.

On retrouve ici le constat déjà présenté selon lequel le recours de plus en plus massif de l'Allemagne aux importations de biens intermédiaires n'est pas seulement un moyen d'améliorer la compétitivité-coût du pays, mais aussi une nécessité pour préserver l'équilibre du régime de croissance allemand.

La spécialisation de l'économie allemande, qui la conduit à abandonner des activités jugées insuffisamment productives, pèse sur le contenu en valeur ajoutée du commerce extérieur allemand en même temps qu'elle est destinée à accroître la valeur ajoutée tirée de celui-ci. Le processus est moins contradictoire que complémentaire. Si le contenu en valeur ajoutée du commerce extérieur allemand n'était pas atténué par le recours aux importations, l'appareil productif allemand connaîtrait des tensions telles que ses équilibres en seraient ébranlés.

Mais les profits retirés de l'externalisation d'une part grandissante des chaînes de production, ne sont pas sans bornes.

Ces processus de fractionnement productif sont complexes et leur succès dépend de conditions diverses, qui peuvent n'être pas réunies.

On peut en particulier s'interroger sur :

la cohérence de ce système avec l'élévation probable du prix de l'énergie ;

son impact sur l'environnement ;

l'acceptabilité pour les pays de localisation des sous-traitants d'une spécialisation qui, outre la dépendance qu'elle implique aux évolutions du régime économique allemand, ne s'accorde pas nécessairement avec la logique de leur sentier de rattrapage ;

enfin, sur les perspectives des coûts de production des sous-traitants.

Surtout, la logique de cette organisation productive n'est pas compatible avec la préoccupation de maintenir - a fortiori d'accélérer - le rythme de la croissance domestique.

L'augmentation de la part de la valeur ajoutée destinée à satisfaire des exportations oblige à peser sur la demande intérieure ce qui contraint à freiner les revenus réels des agents économiques résidents.

Si cette mécanique a pu être mise en oeuvre dans les années 2000, ses conditions pourraient s'épuiser.

Sur ce point, on peut, par exemple, s'interroger sur les effets d'éventuelles pénuries de main d'oeuvre dans le secteur des biens échangeables.

L'Allemagne qui, en ce domaine, avait suivi une trajectoire parallèle à celle de la France a connu une accélération de la productivité du travail dans le secteur marchand en fin de période.

Mais, outre les questions sur la nature de cette accélération - structurelle ou conjoncturelle ; est-elle le résultat d'une amélioration de l'efficacité du travail ou d'une accentuation de l'externalisation des consommations intermédiaires - son niveau ne ressort pas comme compatible avec un essor de la production de biens échangeables sans recours à des emplois supplémentaires.

Cette contrainte est favorable à la dynamique potentielle de l'emploi mais elle suppose une adéquation entre l'offre et la demande sur le marché du travail qui n'est pas nécessairement acquise. Des tensions pourraient naître sur certains segments du marché du travail avec pour résultat une hausse des salaires.

En fonction de son ampleur et de sa transmission aux autres compartiments du marché du travail, l'Allemagne pourrait connaître quelques tensions inflationnistes.

Dans un premier temps, les coûts salariaux pourraient n'en être pas le moteur le plus puissant compte tenu des évolutions passées qui permettent de réduire les marges des entreprises. Mais, l'inflexion des coûts salariaux unitaires serait durablement stoppée voire inversée avec des effets inflationnistes plus forts à terme. La recomposition de la demande intérieure aurait davantage de responsabilité dans ces tensions. Elle provoquerait une accélération de la demande de biens échangeables dans un contexte où leur offre ne serait pas assez élastique.

On peut certes songer encore à deux voies.

La première passerait par l'augmentation de la durée du travail. Cependant, la préservation de la position des coûts salariaux implique qu'elle intervienne sans augmentation de la rémunération horaire, voire, même, compte tenu d'une éventuelle baisse de la productivité par heure, qu'elle s'accompagne d'une réduction du salaire horaire.

Ce processus est suspendu à un arbitrage des salariés entre le loisir et le travail. Comme cet arbitrage n'est pas indépendant des conditions générales de la négociation sociale, il est possible qu'une telle configuration s'impose.

Elle peut apparaître régressive et sa poursuite n'est certainement pas infinie.

La seconde façon de surmonter les contradictions inhérentes à cet équilibre est de compter sur une valorisation de l'offre d'où résulterait un enrichissement du pays passant par une amélioration des termes de l'échange en lieu et place d'une augmentation des volumes produits butant sur la contrainte productive.

Cependant, cette perspective rencontre des limites évidentes, celles d'une contradiction avec les fondements mêmes d'une politique de compétitivité. En principe, un pays ne peut durablement augmenter ses termes de l'échange (le prix des exportations en particulier) sans connaître une dégradation de sa compétitivité.

Cette limite est toutefois susceptible de varier en fonction de la puissance des différents déterminants de la compétitivité du pays. À cet égard, l'Allemagne semble bien positionnée. Les comportements de marges des exportateurs allemands sur le marché européen paraissent montrer qu'ils disposent d'avantages compétitifs indépendants des prix de leurs exportations, avantages qu'ils parviennent à valoriser avec les prix relativement élevés qu'ils pratiquent sur ce marché.

Toutefois, les avantages comparatifs ne sont jamais inexpugnables et la valorisation réalisée par les exportateurs allemands repose sur des bases qui ne sont ni intangibles, ni indéfiniment mobilisables.

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