3. Un besoin d'implication encore accrue des personnels

Lors de leurs visites de différents sites nucléaires, vos rapporteurs ont tenu à ménager le temps nécessaire au dialogue avec les personnels et leurs représentants syndicaux. Ces derniers ont unanimement exprimé leur inquiétude à l'égard de la pratique de la sous-traitance. Au travers de ces entretiens, vos rapporteurs ont aussi compris que la capacité à recruter des personnels compétents constitue l'une des conditions essentielles au maintien de la sûreté des installations nucléaires.

a) L'anticipation des besoins de formation

D'après les informations recueillies, au sein de filière nucléaire, comme dans une bonne part de l'industrie, le vieillissement de la population conduira, dans les prochaines années, au départ en retraite de nombreux personnels spécialisés. Ainsi, EDF estime à 22 000 le nombre de ses employés appelés à prendre leur retraite entre 2010 et 2015.

Le remplacement de ces personnels pose une double difficulté. D'une part, l'offre de formation aux métiers du nucléaire reste très insuffisante en regard des besoins, malgré quelques initiatives notables, comme celle initiée en 2006 par EDF pour la mise en place d'une filière «environnement nucléaire» au niveau du Bac professionnel, puis du BTS. D'autre part, le caractère très spécialisé de certains de ces métiers nécessite de prolonger la formation initiale par un compagnonnage sur plusieurs années, permettant d'acquérir une parfaite maîtrise des gestes techniques et une complète connaissance des matériels. De ce fait, le remplacement d'un salarié devra, pour certains métiers, être préparé plusieurs années à l'avance, afin que le remplaçant puisse être parfaitement opérationnel et autonome le moment venu.

A cet égard , l'appel à la sous-traitance constitue un facteur de risque supplémentaire, dans la mesure où il rend plus difficile l'appréciation de l'ampleur des besoins de recrutement dans l'ensemble de la filière . Qui plus est, des sous-traitants confrontés à des difficultés de recrutement seront tentés d'y palier par la sous-traitance en cascade, voire en déléguant des personnels insuffisamment formés. Aussi, apparaît-il indispensable de mettre en place des formations initiales et continues destinées spécifiquement aux sous-traitants dans les bassins d'emploi.

Ce problème se trouverait considérablement aggravé si des incertitudes devaient se faire jour sur l'avenir de la filière nucléaire en France. En effet, il deviendrait alors beaucoup plus difficile - voire impossible - de développer de nouvelles filières de formation sans perspective de carrière à long terme. Dans ces circonstances, la filière pourrait être confrontée à une véritable pénurie de compétences susceptible de dégrader significativement les conditions de maintenance et d'exploitation des installations, donc leur sûreté.

b) La nécessaire remise à plat des pratiques de sous-traitance

Sur tous les sites qu'ils ont eu l'occasion de visiter, vos rapporteurs se sont heurtés à la question de la sous-traitance des activités de maintenance et d'exploitation des installations nucléaires.

Bien qu'elle ne revienne pas à soustraire au contrôle direct de l'Etat les activités sous-traitées, et que le contrôle comme la préparation restent sous la maitrise de l'exploitant et soumises au contrôle de l'ASN, cette externalisation, qui a pour origine des erreurs affectant gravement la sûreté faites par des employés d'EDF, pose un certain nombre de problèmes de principe.

Les représentants des directions d'Areva et d'EDF rencontrés ont tous assuré limiter l'appel à la sous-traitance à des cas pour lesquels elle apparaît a priori justifiée, telles des interventions ponctuelles, nécessitant des compétences très spécialisées, ou encore des activités de maintenance à caractère saisonnier. De plus, à l'occasion de la visite de la centrale de Belleville-sur-Loire, le directeur en charge du dossier prestataires à la Division production Nucléaire d'EDF a présenté en détail les conditions d'organisation de la sous-traitance ainsi que d'accueil des intervenants sur le site. Vos rapporteurs sont bien conscients que la sous-traitance est parfois nécessaire ; par exemple pour changer un générateur de vapeur, il est préférable de laisser le constructeur, c'est-à-dire Areva, s'en charger, plutôt que de le réaliser avec des ressources internes. Néanmoins, nous n'avons pas été complètement convaincus par l'argumentation des exploitants.

D'autre part, nos interlocuteurs ont souligné les rigidités résultant des contraintes réglementaires européennes, lesquelles imposent une procédure de mise en concurrence équivalente à celle employée par les administrations. Une procédure de ce type offre, en général, peu de marges de manoeuvre au donneur d'ordre. Elle peut le contraindre à diviser une opération en plusieurs marchés indépendants, susceptibles de poser des problèmes de coordination, voire à retenir une entreprise dans laquelle il n'aurait pas une grande confiance. Sur ce point, EDF a mis en oeuvre des dispositions permettant de privilégier les entreprises mieux-disantes, notamment en terme de conditions de travail de leurs personnels, plutôt que simplement celles proposant les prix les plus bas. Il serait judicieux que la prééminence du mieux-disant sur le moins-disant soit inscrite dans la réglementation européenne en matière d'appels d'offres dès lors que ceux-ci concernent l'industrie nucléaire ou toute autre industrie jugée sensible.

L'opacité de procédures de mise en concurrence peut également conduire à des cascades de sous-traitants: un prestataire retenu sur appel d'offres, alors même qu'il ne dispose pas des effectifs nécessaires, peut être tenté, dans l'urgence, de faire appel aux personnels de l'un de ses confrères. D'après les informations qui nous sont parvenues à l'occasion de nos visites de sites, dans certains cas extrêmes, jusqu'à huit niveaux de sous-traitants peuvent ainsi se superposer. Une telle situation s'avère particulièrement préoccupante, en terme de sûreté, puisqu'elle conduit à une dilution extrême des responsabilités et s'avère difficile à identifier.

Ensuite, l'externalisation peut être source de lourdeurs supplémentaires dans l'organisation des interventions . En effet, l'activité du sous-traitant, responsable du suivi qualité de ses prestations, doit faire l'objet d'un contrôle par le donneur d'ordre, ce qui ajoute un acteur, chargé du suivi du prestataire, dans l'organisation. Symétriquement, cette personne affectée au contrôle du prestataire, n'est, en principe, pas habilitée à s'adresser directement aux intervenants du sous-traitant, mais uniquement à leur chef d'équipe, chargé du pilotage du marché. Ce sont donc deux niveaux qui se rajoutent à l'organisation existante. Celle-ci s'avère donc tout à la fois plus lourde et plus sujette à erreurs, l'empilement des intermédiaires étant source d'incompréhensions.

Enfin, l'externalisation pose le problème de la traçabilité du suivi radiologique des intervenants de l'entreprise sous-traitante , notamment lorsqu'il s'agit de travailleurs se déplaçant de site en site. En effet, alors que les personnels EDF ou Areva sont soumis au contrôle du médecin du travail de leur établissement, ceux des sous-traitants dépendent, sauf exception, pour leur suivi médical, d'un médecin du travail basé dans leur lieu d'origine, ce qui peut constituer un obstacle majeur à un contrôle radiologique efficace. Aussi, vos rapporteurs estiment nécessaire la mise en place d'un correspondant-référant de la médecine du travail pour chaque site, chargé de la vérification du dossier de santé des intervenants.

Si vos rapporteurs estiment que ces multiples difficultés résultant de la pratique de la sous-traitance devraient conduire à s'interroger sur la possibilité d'en réduire l'étendue, ils considèrent que la précaution la plus urgente concerne la limitation de la sous-traitance en cascade, dans la mesure où celle-ci aboutit à une opacité, potentiellement dommageable pour la sûreté des installations aussi bien que pour les conditions de travail des intervenants.

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