Audition de M. Bertrand HÉBERT, directeur du développement
des activités institutionnelles et partenariales
de l'Association pour l'emploi des cadres (Apec)
(mardi 3 mai 2011)

M. Claude Jeannerot , président . - Je remercie M. Bertrand Hébert d'avoir répondu à notre invitation. Nous souhaitons que cette audition permette de mettre en évidence la nature des relations que l'association pour l'emploi des cadres (Apec) entretient avec Pôle emploi. Vous avez longtemps été un cotraitant de Pôle emploi et j'ai cru comprendre que la nature de ces relations était en train de changer. Vous nous éclairerez à ce sujet. Vous nous expliquerez également la façon dont l'Apec organise son offre de services en direction des demandeurs d'emploi et des entreprises, en complémentarité de celle de Pôle emploi. Je vous propose que vous commenciez par une première intervention d'une quinzaine de minutes.

M. Bertrand Hébert, directeur du développement des activités institutionnelles et partenariales de l'Apec . - Monsieur le Président, je vous remercie. Je vous prie d'excuser l'absence du directeur général de l'Apec, qui a été retenu par des obligations qui sont d'ailleurs liées à la fin de la cotraitance que vous évoquiez et au passage à une relation de sous-traitance. Cette évolution a impliqué une réorganisation en profondeur de l'Apec, sur laquelle je reviendrai.

Les origines de l'Apec remontent à 1954. Des groupes de cadres et de chefs d'entreprise appartenant au patronat chrétien du Nord de la France ont souhaité se mobiliser en faveur de leurs salariés les plus formés qu'ils considéraient indispensables et au développement économique du pays.

M. Claude Jeannerot . - L'Apec a ainsi été créée avant l'ANPE, dont la création date de 1967.

M. Bertrand Hébert . - Exactement. L'ANPE a été créée par M. Jacques Chirac, sous la forme d'un établissement public.

En 1966 est intervenu un accord entre les partenaires sociaux, c'est-à-dire le centre national du patronat français (CNPF) pour le patronat et les cinq grandes organisations syndicales : Force ouvrière (FO), la confédération française démocratique du travail (CFDT), la confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), la confédération française de l'encadrement - confédération générale des cadres (CFE-CGC) et la confédération générale du travail (CGT), qui sont les membres fondateurs et les seuls administrateurs de droit de l'Apec. Dans le cadre de ce « paritarisme pur », c'est-à-dire un paritarisme dans lequel l'Etat n'intervient pas dans les décisions de l'association, seuls les membres signataires de l'accord ont vocation à diriger la structure.

Cette démarche était visionnaire de la part des partenaires sociaux, car il n'existait alors pas de chômage des cadres en France. Les partenaires sociaux ont anticipé ce qui allait advenir dans les secteurs des charbonnages, de la sidérurgie ou du textile. Ils étaient animés par une volonté claire : conserver des compétences sur leur territoire. L'Apec n'a pas donc eu d'emblée une vocation nationale. Il s'agissait de mettre en place, dans certains bassins d'emploi, un accompagnement spécifique pour les cadres.

Le statut des cadres est particulier en France puisque sont considérés comme tels les salariés qui cotisent à une caisse de retraite relevant de l'association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc). Celle-ci collecte les cotisations prélevées auprès des cadres du secteur privé et des entreprises, qui cotisent pour les cadres qu'elles emploient. N'en déduisez pas que les cadres du secteur public ne nous intéressent pas. Nous aurons certainement vocation à leur étendre, si nous en avons la possibilité, notre champ d'intervention, dans un marché du travail qui est beaucoup plus perméable qu'il ne l'était au moment de la création de l'association.

Dès son origine, l'Apec avait une mission de mise en relation et de fluidification du marché du travail. Il s'agissait de mettre à la disposition des entreprises qui recrutent les compétences adéquates. C'est ce qui explique notre mode d'organisation et notre façon de travailler aujourd'hui. L'Apec ne crée pas des emplois : ceux-ci sont créés par les entreprises. Mais il faut pouvoir offrir aux personnes en situation de mobilité professionnelle la possibilité de faire des choix. Telle était la dimension fondatrice de l'action de l'Apec. Très rapidement, nous sommes intervenus dans deux registres :

- la préparation des personnes à leur positionnement sur le marché de l'emploi ;

- la relation présentielle avec l'entreprise, afin de recueillir ses besoins en termes de recrutement et de les diffuser.

Au fil des années, par solidarité, les partenaires sociaux ont souhaité que le positionnement de l'Apec s'élargisse à la prise en charge des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur, à partir du niveau bac + 4. Tel fut le cas à partir de 1972. Ce seuil est resté en l'état, même si la réforme « LMD » (licence - master - doctorat) a modifié sensiblement les niveaux de diplômes. Pour l'instant, tout du moins, le conseil n'a pas décidé de modifier cette gradation même s'il est probable qu'une telle décision intervienne au cours des mois qui viennent. La plupart des conventions collectives prévoyaient un accès automatique au statut « cadre » à partir d'un niveau de diplôme égal à bac + 4, ce qui explique que ce seuil ait été retenu. En outre, les méthodes de préparation des personnes à l'accès au marché du travail n'étaient pas fondamentalement différentes pour les cadres et pour les jeunes diplômés.

Nos relations avec les entreprises nous ont éclairés sur leurs pratiques de recrutement. Au départ, nous avons commencé en diffusant des offres sur des feuilles de papier que nous mettions à la disposition de notre public dans les quelques centres qui existaient. Le nombre de cadres a progressé très rapidement en France et nous avons été amenés, au fur et à mesure de la croissance de l'Apec, à éditer un journal de petites annonces. La loi imposait toutefois à tout diffuseur d'annonces de proposer dans son journal une partie rédactionnelle d'une taille au moins équivalente à celle réservée aux petites annonces. Nous avons donc fait paraître un magazine, Courrier Cadres , dont la publication était fort coûteuse. Simultanément, nous assurions la diffusion de nos offres via des micro-fiches puis par le biais du minitel. Tout ceci a disparu le jour où Internet a pris l'ampleur, en termes de diffusion, que nous connaissons aujourd'hui. Courrier Cadres , qui était un journal déficitaire et dont le passif était comblé par les cotisations de nos adhérents, n'existe donc plus aujourd'hui. Aujourd'hui, nous investissons essentiellement dans les outils de mise en relation dématérialisés.

Nous avons dû tenir compte des évolutions profondes de notre environnement économique. La France compte aujourd'hui 3,6 millions de cadres. Selon les derniers chiffres de l'Insee, le taux de chômage s'élève à 4,1 % ou 4,2 % dans cette population, contre 2,8 % avant la crise de 2008. Il est donc beaucoup plus faible que celui de l'ensemble de la population active. Nous constatons même une pénurie de candidatures dans un certain nombre de secteurs d'activité car une forme de reprise se fait jour et bénéficiera d'abord à des niveaux de compétences élevés, nécessaires au développement de ces entreprises.

A cela s'ajoutent des évolutions d'ordre juridique. Entre 1966 et nos jours sont intervenues plusieurs étapes de la construction européenne, qui s'est accompagnée d'une réglementation nouvelle, laquelle s'impose également à l'Apec. Nous savons que la Commission européenne est particulièrement vigilante en matière de distorsion de concurrence. S'agissant de l'Apec, la Commission s'est interrogée, il y a quelques années, quant à la qualification que l'Etat français souhaitait donner à la cotisation obligatoire qui nous est versée par les cadres et les entreprises. La délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) a ainsi considéré que cette cotisation constituait une aide d'Etat et il a été demandé au conseil d'administration de l'Apec de déterminer le mandat de service public qui justifiait cette aide. Cette question a fait l'objet d'un premier rapport de la Cour des comptes, qui notait que les dispositions en vigueur au sein de l'Apec étaient loin d'être satisfaisantes au regard de la réglementation européenne, des règles concurrentielles et des impératifs en termes de comptabilité analytique.

Un deuxième rapport, émanant de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), a émis un certain nombre de recommandations, en particulier du point de vue des relations avec Pôle emploi. La position de la Commission européenne et de l'Etat concernant la cotisation, assimilée à une aide d'Etat devant correspondre à un mandat de service public, conditionne la relation que l'Apec a avec son environnement. Je parlerai du « marché solvable ». Il ne s'agit pas, à travers ce terme, de vouloir tout rendre marchand. Force est cependant de constater qu'il existe des services pour lesquels la collectivité paie et un marché de prestation de services. Nous ne déterminons pas la nature lucrative ou non des champs dans lesquels nous intervenons. Seul le marché détermine cette nature.

Je prendrai l'exemple de l'accompagnement des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur ou des étudiants en fin de cycle. Cette activité n'entre pas, a priori , dans le cadre d'activités marchandes. Si un ministre décide que, pour aider les jeunes diplômés, l'on passera par une procédure d'appel d'offres public, cela devient du jour au lendemain un service marchand solvabilisé. Dans une telle hypothèse, nous ne pouvons plus utiliser la cotisation pour accompagner les jeunes diplômés. Nous devenons un prestataire de services comme les autres, un « opérateur privé de placement » selon les termes de la loi.

La difficulté du positionnement de l'Apec porte sur la définition du mandat de service public et sur la mise en conformité avec les recommandations de l'Igas, qui s'appuient sur des données juridiques et économiques incontestables. Nous devrons d'abord améliorer la présentation analytique de notre comptabilité, ce qui n'est pas la chose la plus difficile à faire. Plus largement, il s'agira d'exprimer de façon beaucoup plus précise, dans un mandat de service public, la façon dont nous nous engageons à utiliser le produit des cotisations. La logique est celle des coûts unitaires a priori : nous devons indiquer, en début d'année, la façon dont nous allons utiliser les 100 millions d'euros de cotisations que nous recevons des entreprises et des cadres. Il peut s'agir d'accompagner, par exemple, dix jeunes diplômés pour un coût unitaire de 1 000 euros chacun. En fin d'année, nous devons rendre des comptes à l'Etat quant à la façon dont nous avons exécuté la mission convenue avec lui. Si nous n'avons accompagné que la moitié des jeunes, nous entrons dans un mécanisme dit de « surcompensation » qui permet à l'Etat de reprendre le trop-perçu par l'Apec. Ce système n'existait pas auparavant. La cotisation étant d'origine privée, les partenaires sociaux oubliaient qu'elle était autorisée par l'Etat, ce qui en faisait quasiment une « para-fiscalité ». L'Etat a donc un droit de regard sur son utilisation et un droit de reprise, à travers le mécanisme de surcompensation dans l'exemple que j'ai décrit.

Un autre exemple justifie l'existence, dans notre activité, d'une partie non lucrative correspondant au mandat de service public et d'une partie marchande correspondant à un certain nombre de prestations facturées. Jusqu'à présent, la diffusion des offres était préfinancée par la cotisation, et donc perçue comme gratuite par les entreprises. Aujourd'hui, il s'agit d'un marché aussi privé qu'on puisse l'imaginer. Nous sommes le deuxième support en termes d'audience derrière RégionsJob, premier diffuseur d'offres sur le web. Cela dit, RégionsJob fait payer sa diffusion. Si nous ne faisions pas payer notre diffusion en utilisant pour cela la cotisation, nous serions attaquables au motif d'une distorsion de concurrence. Notre conseil d'administration devra donc faire un choix consistant à évoluer soit vers le paiement des offres, soit vers la création de nouvelles activités marchandes venant compenser l'absence de gains réalisés sur la diffusion des offres, qui resterait alors gratuite. La publicité sur le web pourrait constituer une source de revenus non négligeable. L'Apec exerce donc aujourd'hui une mission correspondant à un mandat de service public et un certain nombre d'activités marchandes qui concernent essentiellement nos relations avec les entreprises.

L'Apec a toujours entretenu des relations avec l'ANPE puis avec Pôle emploi. Nous avons rencontré des difficultés qui étaient liées parfois à des questions de personnes ou des problèmes d'indépendance de gestion. Un organisme comme le nôtre, qui a toujours souhaité rester dans un paritarisme pur, a souvent perçu d'un oeil méfiant un partenaire public parfois envahissant.

La crainte d'une absorption est réelle pour une association de 800 salariés comme l'Apec, d'autant plus que certains ont imaginé, encore très récemment, qu'il serait utile que nos structures fusionnent pour constituer « le grand service public de l'emploi » dont tout le monde rêve depuis des années. Cette éventualité a été envisagée par plusieurs gouvernements de sensibilités différentes, dans le souci de servir le demandeur d'emploi. Cependant, l'Apec ne se positionne pas vis-à-vis des demandeurs d'emploi mais vis-à-vis des cadres et des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur. Si nous ne nous adressions qu'aux demandeurs d'emploi, notre public serait composé de 130 000 personnes. Je ne relativise pas ce que représente le chômage pour ces personnes mais cela représente peu de chose sur le plan macroéconomique. Si l'Apec devait concentrer l'essentiel de son activité sur le traitement du chômage, son action ne serait que curative. Les conseils d'administration de l'Apec ont demandé de longue date que les problématiques de carrière soient gérées par anticipation. Cela répond à une caractéristique sociologique du marché de l'emploi français. En France, on ne peut pas échouer : l'évolution professionnelle doit être constante. On ne peut avoir exercé des fonctions de direction et occuper ensuite une fonction d'ajusteur dans une usine. Cela n'existe pas. En outre, notre système est pyramidal. Une personne qui ne gère pas sa carrière très tôt dans son parcours connaîtra immanquablement des périodes de chômage et celles-ci seront d'autant plus dures qu'elle ne les aura pas anticipées.

Il convient aussi de rappeler que le marché de l'emploi n'est pas un marché de plaisir. Personne ne s'amuse à chercher du travail. Il s'agit d'une tâche difficile que nul n'effectue spontanément. J'ai été fonctionnaire et je suis passé par des entreprises privées. Même lorsqu'on sait que ses jours sont comptés dans une entreprise, il est compliqué de commencer à répondre à des petites annonces et de bâtir une démarche globale. Tous les cadres seront confrontés, de plus en plus souvent, à des ruptures professionnelles. Nous sommes donc entrés de plain-pied dans une démarche de sécurisation des parcours professionnels. Le public de l'Apec n'est pas segmenté suivant son âge ou sa situation au regard de l'emploi et du chômage : quel que soit son statut, une personne ayant cotisé est un ayant-droit des services de l'Apec pendant toute sa vie. Telle est la « promesse » de l'Apec, en termes de marketing et là se trouve l'enjeu pour l'association.

Le nombre de cadres que nous accompagnons est voisin de 40 000, en flux, et nous avons l'objectif de le faire augmenter. Nous sommes actuellement confrontés aux jeunes diplômés qui ont connu la crise. Cessons de confondre le chômage des jeunes et celui des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur, qui n'ont rien à voir. Le chômage des jeunes est très important en France. Celui des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur est beaucoup plus faible. La meilleure garantie contre le chômage reste le niveau de diplôme.

Le passage de la cotraitance à la sous-traitance répond à une problématique liée aux marchés publics. Les montants en jeu sont importants : dans le cadre de la cotraitance, nous recevions environ 20 millions d'euros par an pour accompagner 35 000 cadres. La notion de cotraitance implique une relation de gré à gré qui pouvait être contestée sur le plan juridique. Un certain nombre d'opérateurs privés de placement se sont émus que l'Apec soit le destinataire de ce marché dans le cadre d'une attribution de gré à gré. C'est pourquoi une procédure d'appel d'offres a été introduite. L'Igas proposait que l'Apec ne se substitue pas à Pôle emploi mais intervienne de façon complémentaire. L'offre de services qui sera présentée aux jeunes diplômés, aux cadres et aux entreprises sera donc différenciée par rapport à l'intervention de Pôle emploi aujourd'hui.

Mme Annie David . - Si j'ai bien compris, tous les cadres cotisent, de même que les entreprises. Il s'agit donc de financements privés.

M. Bertrand Hébert . - Il s'agit de financements privés mais un arrêté d'extension rend la cotisation obligatoire. Dès lors que la cotisation est rendue obligatoire, elle est considérée comme une aide d'Etat.

Mme Annie David . - A quoi correspond le montant de 20 millions d'euros que vous avez mentionné, pour 35 000 cadres suivis par l'Apec.

M. Bertrand Hébert . - Ce montant correspond à ce que nous recevions dans le cadre de la relation de cotraitance. Récemment, dans le cadre de notre nouvelle relation de sous-traitance, nous avons répondu à l'appel d'offres de Pôle emploi. Ce fut sans doute une erreur.

M. Claude Jeannerot , président . - Pour quelle raison ?

M. Bertrand Hébert . - Nous avons du mal à trouver un équilibre économique dans la réalisation de cette prestation.

M. Claude Jeannerot , président . - Vous aviez, de fait, une sorte de monopole que vous avez perdu sur la cotraitance.

M. Bertrand Hébert . - De fait, nous étions seuls destinataires du marché de gré à gré. Nous sommes passés dans un champ concurrentiel.

M. Claude Jeannerot , président . - Vous n'avez pas le choix. Vous êtes obligés de passer par les appels d'offres.

M. Bertrand Hébert . - Nous pourrions ne pas y répondre.

M. Claude Jeannerot , président . - Mais, dans ce cas, vous n'existeriez pas en matière d'accompagnement.

M. Bertrand Hébert . - Nous n'existons pas si nous nous positionnons à travers une offre de services qui aurait vocation à se substituer à celle de Pôle emploi ou qui lui serait équivalente. Mais la logique du positionnement de l'Apec n'est pas du tout celle-là. Sur cent cadres qui s'adressent à nous, soixante-dix sont en activité et nous sollicitent dans une logique d'anticipation de leur carrière professionnelle. Pôle emploi ne les verra jamais. De plus, supposons que nous ne soyons pas du tout dans la relation de sous-traitance. Un cadre est suivi par Pôle emploi et éventuellement accompagné par un des prestataires ayant remporté l'appel d'offres. Si le cadre qui a cotisé à l'Apec souhaite venir rencontrer un consultant de l'Apec, qu'il s'agisse d'un conseil pour sa lettre de motivation, son CV ou son évolution de carrière, nous assurerons cet accompagnement. Nous le ferons pour tous les cadres qui ont cotisé. Ce principe traduit une évolution fondamentale dans la manière de penser au sein de l'Apec.

M. Claude Jeannerot , président . - Si je comprends bien, vous pouvez aujourd'hui faire l'économie du recours à l'appel d'offres. Vos adhérents cotisent et la législation européenne vous laisse toute liberté de garder un lien exclusif avec vos adhérents.

M. Bertrand Hébert . - Absolument, à la condition que nous ne prétendions pas faire la même chose que Pôle emploi car la même mesure ferait alors l'objet d'un double financement.

M. Claude Jeannerot , président . - Mais, dans la réalité, vos deux interventions seront largement similaires. Prenons l'exemple d'un adhérent de l'Apec qui s'inscrit dans une démarche d'anticipation. S'il devient demandeur d'emploi, il conserve ce lien avec l'Apec, qui lui apportera le même accompagnement. Je ne vois pas où est la différence.

M. Bertrand Hébert . - La différence résidera dans le contenu de l'offre de services et dans sa forme, notamment du point de vue de la fréquence des rendez-vous. L'approche extrêmement modélisée du retour à l'emploi que nous avons apprise à travers notre relation avec Pôle emploi n'est pas le schéma le plus efficace. Que nous voyions un cadre une fois ou cinquante fois, l'objectif est que nous l'ayons mis en relation dans les plus brefs délais avec une entreprise et que cela se traduise par un contrat de travail.

M. Claude Jeannerot , président . - Dans la réalité, un cadre demandeur d'emploi va chez Pôle emploi et chez vous à la fois.

M. Bertrand Hébert . - Certes. L'Igas disait explicitement qu'il ne serait plus possible, pour les cadres demandeurs d'emploi, d'être suivi par l'Apec au titre de la cotisation, dès lors que celle-ci constitue une aide d'Etat et que la puissance publique finance déjà Pôle emploi. Il n'y a aucune raison pour que la puissance publique paie deux fois pour le même service. Il fallait donc différencier les services. Cette notion s'est un peu estompée mais demeure présente en droit. Il s'agit d'une contrainte européenne. Ce serait entrer dans une rivalité ridicule de prétendre que l'Apec est meilleure que Pôle emploi. Simplement, nous accompagnons un public segmenté, spécifique et nous ne faisons que cela.

M. Claude Jeannerot , président . - En outre, ce public paie pour ce service.

M. Bertrand Hébert . - Tout à fait.

Mme Annie David . - Les relations avec les entreprises constituent aussi une spécificité de votre association.

M. Bertrand Hébert . - Cela constitue une énorme différence. Nous avons toujours eu des équipes de consultants dédiées à la relation avec les entreprises et présentes auprès de ces dernières, sans se contenter d'une relation à distance. Je ne méprise pas, cependant, la relation à distance. Chacun peut accéder aujourd'hui aux services de l'Apec sur son iPhone en téléchargeant l'application dédiée..

M. Claude Jeannerot , président . - Si vous me permettez de caricaturer un peu, un demandeur d'emploi cadre ne considère-t-il pas Pôle emploi comme une contrainte nécessaire liée à son indemnisation tout en misant plutôt sur l'Apec pour son accompagnement dans la recherche d'emploi ?

M. Bertrand Hébert . - Je connais la difficulté de l'exercice pour Pôle emploi, qui doit gérer le placement et l'indemnisation, dans des conditions objectivement difficiles, avec des différences de statut, d'expérience, avec des situations de rupture, etc. Des profils de ce type peuvent exister dans le public de l'Apec mais les volumes en jeu ne sont pas les mêmes. Le temps qui peut être consacré à l'accompagnement d'une personne et à son positionnement sur le marché du travail n'est évidemment pas le même.

M. Jean-Etienne Antoinette . - Les statistiques montrent qu'un cadre a plus de chances de trouver un emploi qu'un ouvrier. Mais ne nous invitez-vous pas à faire évoluer Pôle emploi en spécialisant son intervention par niveau de qualification ?

M. Bertrand Hébert . - Pôle emploi a déjà évolué en ce sens, notamment pour les cadres puisqu'il dispose d'agences qui leur sont dédiées. Il se pose néanmoins un problème de temps disponible pour les conseillers, qui sont absorbés par un ensemble d'activités considérable. En outre, j'ai vu des agences de Pôle emploi dédiées aux cadres être créées, supprimées, puis réapparaître ailleurs, etc. Pour autant, il convient de reconnaître que Pôle emploi est soumis à des contraintes de taille et de couverture du territoire que nous n'avons pas. Nous pouvons proposer des réponses telles que le travail à distance, dans la mesure où 99 % des cadres utilisent la micro-informatique à domicile. Si je propose un jour un entretien par visioconférence à un cadre qui habite à cent kilomètres d'un centre Apec, je pourrai proposer ce service pour un coût modique, en incluant l'envoi à nos frais d'une caméra à cette personne. Certains publics ont un accès aisé à ces technologies. Ce n'est pas le cas de l'ensemble de la population française. L'Apec travaille avec un public plus facile à accompagner de ce point de vue.

M. Claude Jeannerot , président . - Quelle part du marché des offres d'emploi des cadres l'Apec capte-t-elle et comment sa performance se compare-t-elle à celle de Pôle emploi ?

M. Bertrand Hébert . - Nous détenons 85 % du marché des cadres, pour ne pas dire davantage.

M. Claude Jeannerot , président . - Qu'en est-il de Pôle emploi pour le marché des cadres ?

M. Bertrand Hébert . - Cela ne voudra bientôt plus dire grand-chose car nous nous mettons en situation de mutualiser la diffusion des offres.

M. Claude Jeannerot , président . - Ceci confirme l'intuition que je livrais tout à l'heure. Il existe une telle distorsion dans le domaine de l'intermédiation que les demandeurs d'emploi vont à l'Apec pour retrouver un poste et se rendent à Pôle emploi pour leur indemnisation.

M. Bertrand Hébert . - Nous avons retenu des études que nous avons conduites que les gens attendent de la personnalisation et de la spécialisation dans leurs rapports avec leur conseiller. Nous sommes en mesure de leur donner satisfaction sur ces deux points. Dans le secteur du bâtiment, il est difficile de recruter aujourd'hui un chef de chantier cadre. Pour parler avec un tel professionnel du secteur, il faut connaître le bâtiment. Cela sera aussi un avantage pour parler avec une entreprise du bâtiment.

Mme Annie David . - Les jeunes diplômés, qui n'ont pas encore cotisé à l'Apec, peuvent-ils venir vous voir ?

M. Bertrand Hébert . - Ils le peuvent en effet. Comme je l'indiquais, c'est un choix de solidarité fait par les partenaires sociaux.

Mme Annie David . - Vous souligniez, à juste titre, la nécessité de ne pas confondre le chômage des jeunes et celui des jeunes diplômés. Il n'en demeure pas moins que les jeunes diplômés qui entrent sur le marché du travail rencontrent des difficultés, notamment du point de vue de leur rémunération.

M. Bertrand Hébert . - Nous constatons un effet de rotation qui est plus important pour les jeunes diplômés entrant sur le marché du travail. Il existe, pour chaque poste, un prix de marché qui est aisément identifiable. Nous avons d'ailleurs sur notre site internet un « analyseur de marché » qui permet à chaque cadre et à toute entreprise de se positionner en termes de salaire ou au regard du contenu d'un poste. Si une personne « vaut » 50 000 euros ou 200 000 euros par an, en fonction des métiers, de l'expérience, etc., nous le savons immédiatement. Il n'existe donc aucun enjeu de ce point de vue. La transparence est beaucoup plus grande que par le passé.

Mme Annie David . - Si un métier est répertorié sur votre site internet à un niveau de rémunération donné, un jeune embauché dans cette fonction sera-t-il nécessairement rémunéré à ce tarif-là ?

M. Bertrand Hébert . - On n'attire pas les mouches avec du vinaigre. S'il existe un trop grand décalage entre les qualités et les compétences du candidat et les caractéristiques du poste, la personne ne restera que deux mois et ira voir ailleurs.

M. Claude Jeannerot , président . - Au fond, vous êtes en train de nous dire que vous assurez, dans les faits, l'accompagnement à la recherche d'emploi des demandeurs d'emploi cadres, ce que nous comprenons dès lors que vous captez l'essentiel des offres d'emploi. Si j'étais le représentant de la puissance publique, je pourrais être tenté de pousser la logique plus loin : on pourrait ainsi se demander s'il ne serait pas logique de vous intégrer plus avant au sein de Pôle emploi en privilégiant une logique de « guichet unique » déjà mise en oeuvre en regroupant les Assedic et l'ANPE. Comment réagiriez-vous face à une telle proposition ?

M. Bertrand Hébert . - Ceci est théoriquement vrai. En pratique, toutefois, il est plus facile de gérer la productivité dans des unités de taille moyenne qu'avec des structures de très grande taille. Je pratique beaucoup la voile. On fait virer un swan beaucoup plus vite qu'un porte-avions.

M. Jean Desessard . - Je retiens de cet entretien que l'Apec est efficace parce qu'elle met en oeuvre une relation personnalisée avec les demandeurs d'emploi, de façon spécialisée et parce qu'il s'agit d'une structure souple qui permet d'adapter l'organisation au contexte d'un bassin d'emploi. Pôle emploi est en train de faire le contraire.

Mme Mireille Oudit . - Exactement.

M. Bertrand Hébert . - On a fait beaucoup de reproches à Pôle emploi au cours du processus de fusion, qui a été mis en oeuvre de façon extrêmement rapide. Je connais bien le directeur général, M. Christian Charpy, et je sais dans quelles conditions il a dû conduire ce processus. Je serais donc bien en peine de lui jeter la pierre. Si une petite structure comme la nôtre, que je qualifierai « d'agile », peut aider une structure importante et nécessaire, l'indemnisation n'étant pas une mince affaire à gérer, nous le ferons bien volontiers. C'est la raison pour laquelle nous aurions aimé rester dans la cotraitance. Le rapport de l'Igas prévoit d'ailleurs que nous puissions intervenir en complément de Pôle emploi en menant des actions différentes des siennes.

S'il faut trouver une solution juridique, je suis convaincu que des experts pourront trouver le schéma permettant à un tel modèle de fonctionner en accord avec les textes. Nous pouvons monter des projets avec la puissance publique dans une logique de co-investissement. Peu importe que l'on appelle cela une « subvention », une « compensation » ou par un autre nom. Il faut que le dispositif soit clair sur le plan de la gestion, de la comptabilité et de l'efficacité des services rendus. En tout état de cause, c'est toujours la collectivité qui paiera. Si nous sommes en mesure de définir des axes forts et de les faire valider par les partenaires sociaux, nous pouvons faire des choses intéressantes. Il est dommage que nous ayons trop peu de relations avec les représentants des partenaires sociaux qui siègent au conseil d'administration de Pôle emploi et qui revendiquent d'ailleurs un plus grand pouvoir de gestion de l'institution.

Mme Annie David . - J'ai l'occasion de rencontrer des cadres qui sont demandeurs d'emploi, parfois depuis longtemps. Ils sont naturellement affectés par cette situation et peinent à retrouver un emploi du même niveau que celui qu'ils occupaient. Comment l'Apec parvient-elle à accompagner ces cadres ?

M. Bertrand Hébert . - Nous ne sommes pas les seuls opérateurs. Nous pouvons rechercher auprès d'intervenants spécialisés un accompagnement psychologique ou en termes de formation lorsque cela apparaît nécessaire. Nous restons toujours fortement orientés vers la finalité de la démarche engagée. Nous faisons aussi varier la fréquence des entretiens avec ces personnes, sachant que ces temps-là sont extrêmement structurants pour les personnes qui viennent nous voir.

Enfin, l'Igas a estimé que le niveau des réserves de l'Apec, que les partenaires sociaux avaient souhaité constituer pour sécuriser la structure, était trop élevé. Ces réserves, qui atteignaient à un moment donné 100 millions d'euros, sont réaffectées dans des opérations spécifiques pour les demandeurs d'emploi de longue durée et pour des publics qui rencontrent davantage de difficultés.

M. Claude Jeannerot , président . - Merci pour votre franchise et pour la pertinence de vos propos. Si vous souhaitez compléter votre audition par une contribution écrite, nous en prendrons connaissance avec un grand intérêt.

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