2.- LE CALENDRIER DES ÉCHANGES

Dans l'approche consensuelle sur la nécessité des échanges, reste la difficulté de savoir si, à ce stade de développement de la BS, l'idée d'organiser un dialogue avec le public ne serait pas prématurée ou si, au contraire, le caractère non « stabilisé » de ce nouveau domaine ne plaiderait pas en faveur d'un échange en amont, pour une fois, permettant d'anticiper des malentendus et des inquiétudes potentielles.

a) La tenue d'un dialogue avec le public serait prématurée

Compte tenu de la définition encore multiple, voire divergente, de la BS, de son statut, de ses objectifs et même de sa crédibilité, l'échange avec le public risque, selon certains scientifiques, chercheurs dans les sciences dures comme dans les SHS, d'être sans objet. C'est l'une des raisons pour lesquelles le sociologue Pierre Benoît-Joly, directeur de recherche à l'INRA, a estimé qu'il n'existait pas de réponse évidente à la question posée par le ministère de la Recherche sur l'opportunité d'organiser un tel échange sur la BS 246 ( * ) .

Les partisans de ce point de vue s'appuient également sur l'expérience vécue lors de la consultation publique au Royaume-Uni. En effet, alors que les participants, compte tenu du calendrier, ne pouvaient avoir connaissance de l'expérience annoncée par Craig Venter en mai 2010 247 ( * ) , ils ont déclaré être inquiets devant certains développements possibles de la BS. Ils ont ainsi exprimé leurs craintes sur le concept de « l'homme augmenté » et de la conception d'organismes vivants complexes de novo (recherche sur les proto-cellules notamment). Il apparaîtrait donc que dans des étapes très en amont de la recherche, les hypothèses inquiétantes ou de science-fiction risqueraient de dominer par rapport à des applications plus réalistes.

b) Le caractère émergent comme opportunité pour le dialogue

Les consultations intervenues au Royaume-Uni tendent à démontrer que des discussions sereines, décentralisées, impliquant experts et citoyens, peuvent se tenir sur un sujet sensible, très en amont. Comme le suggère, aux Etats-Unis, l'étude précitée des chercheurs américains Mildred Cho et David Relman, ce type d'échanges est de nature à restaurer la confiance des citoyens dans la science et la communauté scientifique, cette dernière, en retour, devant répondre avec les politiques aux espoirs, inquiétudes et recommandations exprimés à l'occasion et à l'issue du débat public.

En fait, que l'information du public soit faite en amont ou en aval, le critère le plus important pour que cet échange soit à la fois dépassionné et constructif est la formation préalable des citoyens qui y participent.

Plusieurs scientifiques rencontrés ont jugé nécessaire que le public ait une formation minimale, afin d'éviter que l'échange ne se transforme en une juxtaposition de postures idéologiques, sans aucun dialogue. Le caractère complexe et évolutif de la BS justifie d'autant plus cette formation de base.

1° L'exemple du Royaume-Uni

Cette préoccupation a d'ailleurs été prise en compte dans les consultations organisées au Royaume-Uni. Et, si celles-ci se sont déroulées dans un climat serein, c'est aussi parce que les participants avaient préalablement suivi des séances de formation à la science, à l'histoire des sciences, à la technologie et à la BS, qui ont contribué à une évaluation équilibrée des risques et des bénéfices. C'est aussi parce que le public a été sélectionné parmi les citoyens et que l'échange n'était pas ouvert à n'importe quelle personne qui souhaitait se montrer. (Les participants étaient dédommagés et les médias exclus des ateliers ; ce n'est donc pas du spectacle mais un réel travail que les citoyens sélectionnés prennent forcément à coeur.)

2° L'exemple de l'Allemagne

A contrario , l'absence de formation du public ne permet pas un dialogue contradictoire et constructif, et peut même être source de malentendus et d'inquiétudes qui auraient pu être évités.

Un exemple est l'expérience tentée en Allemagne par les représentants du TAB 248 ( * ) , dans un débat sur la BS organisé à Karlsruhe. Les organisateurs avaient choisi de tenir ce débat ouvert à tous dans un lieu situé dans un centre commercial et habituellement dévolu à des manifestations artistiques. Ils voulaient de cette façon accueillir un public plus nombreux, plus diversifié et plus jeune. Les participants au débat étaient donc des étudiants de l'Institut de Technologie de Karlsruhe, des gens de théâtre et la clientèle du centre commercial. Or ce débat a exprimé, selon les organisateurs, le scepticisme répandu en Allemagne à l'égard du génie génétique, sans permettre une discussion spécifique sur la BS. Les représentants du TAB ont considéré que cet échec, du moins en était-ce un à leurs yeux, était dû à la difficulté de traiter d'un sujet mal délimité qui, mal compris du public, ouvre le champ à d'autres débats corollaires. C'est pourquoi ils ont estimé que, avant de procéder à des sondages ou à des débats analogues à celui de Karlsruhe, il était nécessaire de fournir des informations à un public ciblé, citant l'exemple de leurs collègues néerlandais qui ont organisé des réunions avec les jeunes militants des petits partis.

Conclusion

A l'occasion d'un atelier de travail sur la BS organisé à Grenoble dans le cadre de l'élaboration de ce rapport, l'ensemble des participants s'est déclaré favorable à la coordination et l'organisation d'un échange avec le public en France par une institution indépendante et représentative des citoyens, à l'image des Research Councils britanniques. Ils ont convergé sur l'OPECST, avec l'aide d'experts d'organismes de recherche et d'universités. Quant à la méthode, c'est ma conviction qu'une formation préalable minimum et contradictoire sur le sujet débattu est la condition du bon déroulement d'un échange avec le public, surtout quand il s'agit d'un sujet aussi complexe que la BS. C'est ce que confirment les exemples les plus réussis en matière de débat public.

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* 246 Intervention à l'audition publique de l'OPECST organisée par Claude Birraux et Jean-Yves Le Déaut, le 26 mai 2011, « Quelles innovations pour la société de demain ? ».

* 247 L'expérience a été annoncée en mai 2010, alors que le dialogue était déjà achevé.

* 248 Büro für Technikfolgen Abschätzung beim Deutscher Bundestag : Bureau chargé de l'appréciation des conséquences techniques du Bundestag. Ce groupe d'experts élabore un rapport sur la BS.

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