2. Un nouvel enjeu audacieux : construire maintenant l'économie du développement durable

Si, en 1992, le monde a pris conscience de la finitude de ses ressources, 2012 doit marquer le point de départ de la construction d'un nouveau modèle économique, d'un nouveau paradigme permettant de concilier le nouveau ratio démographique de notre planète et sa survie, en introduisant dans les relations commerciales une nouvelle éthique. Il faut aujourd'hui penser le passage graduel de notre modèle à un autre modèle de croissance qui intègre la conscience de la finitude des ressources naturelles, la promotion des énergies renouvelables permise par autant de sauts technologiques, dans le respect des populations et des terres, la défense de la souveraineté d'approvisionnement alimentaire, la valorisation d'une consommation responsable et la redéfinition de la mesure de la richesse et du bien-être. La définition de ce nouveau modèle passe inévitablement par une éducation à la « soutenabilité » renforcée.

Votre groupe de travail a rencontré, dans le cadre de ses auditions, la ministre équatorienne coordinatrice du Patrimoine, Mme Maria Fernanda Espinosa, chargée notamment de mettre en oeuvre le projet Yasuni-ITT. Selon elle, ce projet incarne l'orientation vers « une nouvelle matrice énergétique pour penser une économie post-pétrolière ».

L'INITIATIVE YASUNI - ITT : un projet pour penser le modèle économique de demain

Le parc naturel Yasuni, en Amazonie équatorienne, constitue selon des scientifiques du monde entier, l'écosystème qui concentre la plus grande zone de biodiversité de la planète. Dans un hectare du parc Yasuni, on a pu distinguer 644 variétés d'arbres. Il y a autant de variétés d'arbres et d'arbustes dans un hectare du parc qu'il existe d'arbres autochtones dans toute l'Amérique du Nord. Plus de 4 000 espèces de plantes, 173 espèces de mammifères et 610 espèces d'oiseaux vivent à l'intérieur de cette réserve. Si bien qu'en 1989, le parc national Yasuní a fait son entrée dans la Réserve Mondiale de la Biosphère, dans le cadre du programme de l'Homme et de la Biosphère de l'UNESCO.

Le Président de l'Équateur, Rafael Correa, lança en 2007, devant l'Assemblée Générale des Nations Unies, un projet véritablement innovant. Ce projet consiste pour l'Equateur à s'engager à conserver indéfiniment, sans les exploiter, les réserves de 846 millions de barils de pétrole du champ ITT (Ishpingo-Tambococha-Tiputini), soit 20 % des réserves pétrolières nationales, situées dans le Parc National Yasuní.

En échange, la communauté internationale doit contribuer financièrement à hauteur d'au moins 3 600 millions de dollars (environ 50 % des ressources que percevrait l'État s'il devait exploiter ces réserves) pour compenser le coût de cette non-exploitation.

À cette fin a été créé un fonds de capitalisation, géré par le PNUD avec la participation de l'État d'Equateur, de la société civile équatorienne et de représentants des contribuables. Le capital du Fonds Yasuni-ITT sera investi exclusivement dans le développement de sources renouvelables d'énergie hydraulique, géothermique, éolienne ou solaire avec comme objectif un changement de la matrice d'offre énergétique et productive, réduisant l'utilisation des combustibles fossiles. Les intérêts du Fonds seront, eux, destinés principalement au financement de projets de préservation de la biodiversité (lutte contre la déforestation, recherche et développement, etc...).

Il s'agit ainsi de renoncer aux forages pétroliers dans le « Bloc ITT » afin de préserver la biodiversité et surtout la santé de deux ethnies, les Tagaeri et les Taromenane, qui n'ont pas encore eu de contact microbien avec le reste de l'humanité et refusent tout contact avec la « civilisation ». Cet engagement permettrait d'éviter l'émission de 410 millions de tonnes de CO2 et la disparition d'une importante faune et flore, cette zone étant considérée comme la région avec la plus grande biodiversité du monde.

Le projet Yasuni-ITT est à l'origine de la naissance du concept innovant d'émissions nettes évitées. Comme la ministre Espinosa l'a expliqué à votre groupe de travail, outre une valeur pédagogique, il recouvre également une dimension éthique, au travers de la question de la co-responsabilité planétaire pour les biens publics communs, en application du principe de précaution.

Comme l'indique Matthieu Le Qang, doctorant en sciences politiques à l'IEP d'Aix-en-Provence, « cette proposition pourrait créer un nouveau modèle de civilisation qui permettrait d'articuler la justice sociale et l'urgence écologique avec un modèle d'accumulation et de génération de la richesse basé sur le respect des droits de la nature (reconnus dans la nouvelle Constitution de 2008), l'équité sociale et l'utilisation de manière soutenable des ressources ». Pour lui, « cette nouvelle vision implique de rompre avec la vision anthropocentrée du développement et s'appuie sur des concepts qui viennent principalement du mouvement indigène : le "SumakKawsay" ou "Buenvivir" » 2 ( * ) .

Votre groupe de travail est conscient des limites que peuvent comporter un tel projet, dont l'efficacité voire l'opportunité peuvent certainement être interrogées. Ainsi, son coût exponentiel pour la communauté internationale, la crédibilité de ce montage en font pour deux chercheurs de l'IDDRI, Romain Pirard et Raphaël Billé, une « fausse bonne idée » : « la conservation de la zone se justifie pour de nombreuses et bonnes raisons, mais la financer ainsi est une mauvaise idée : les effets négatifs à terme risquent d'être bien supérieurs aux effets positifs. Il s'agit principalement d'une justification erronée de l'usage des ressources financières mises à disposition et donc de leur dilution, d'un ratage prévisible qui pourrait nuire à d'autres solutions innovantes mais plus constructives, et d'une possible surenchère au chantage écologique » 3 ( * ) .

Quoi qu'il en soit, ce type de projet pose les bases d'une réflexion pour l'économie post-pétrolière de demain, que nous ne pourrons pas nous dispenser d'avoir.


* 2 « Une alternative post-Copenhague : l'Initiative Yasuni-ITT en Equateur », par Matthieu Le Qang, article publié dans Le Monde le 12 août 2010.

* 3 Romain Pirard et Raphaël Billé, « Ne pas exploiter le pétrole contre une rente : la fausse bonne idée du projet Yasuni-ITT », Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).

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