Rapport d'information n° 653 (2011-2012) fait au nom de la MCI portant sur les dispositifs médicaux implantables, déposé le 10 juillet 2012

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N° 653

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 juillet 2012

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la Mission commune d'information portant sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique (1),

Par M. Bernard CAZEAU,

Sénateur.

Tome 2 : Comptes rendus des auditions.

(1) Cette commission est composée de : Mme Chantal Jouanno, présidente ; M. Bernard Cazeau, rapporteur ; Mme Aline Archimbaud, M. Gilbert Barbier, Mmes Laurence Cohen, Catherine Deroche, Catherine Génisson, Nathalie Goulet, vice-présidents ; M. Philippe Bas, Mmes Marie-Thérèse Bruguière, Françoise Cartron, Caroline Cayeux, MM. Alain Fauconnier, Michel Fontaine, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Jacky Le Menn, Jean Louis Masson, Alain Milon, Jean-Jacques Mirassou, Alain Néri, Mmes Isabelle Pasquet, Gisèle Printz, MM. Gérard Roche, René-Paul Savary, René Teulade et Mme Catherine Troendle.

TRAVAUX DE LA MISSION

Audition de MM. Dominique MARANINCHI, directeur général, et Jean-Claude GHISLAIN, directeur de l'évaluation des dispositifs médicaux, de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) (mardi 28 février 2012)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je remercie monsieur Maraninchi de bien vouloir poursuivre son après-midi au Sénat avec cette nouvelle audition. Je vais laisser la parole à notre rapporteur, Bernard Cazeau, qui a une longue série de questions à adresser à M. Maraninchi, lequel vient de prendre la tête de la future agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).

La réunion de bureau nous a permis de cerner les deux sujets principaux qui occuperont le champ de cette mission : les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique, avec un accent particulier sur la médecine esthétique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Le but de cette mission est de faire le point sur les dispositions en place afin d'éviter, à l'avenir, les problèmes que nous rencontrons aujourd'hui ou que nous avons déjà rencontrés dans le cadre du médicament. Nous nous intéresserons, d'une part, aux dispositifs médicaux implantables de classe III - actifs ou non - et, d'autre part, aux actes à visée esthétique, pour lesquels il nous faudra différencier la chirurgie esthétique, déjà bien encadrée, de la médecine esthétique, beaucoup moins encadrée et où il faut savoir discerner entre ce qui relève de l'esthétique et ce qui relève de la médecine.

Le questionnaire qui vous a été transmis pose deux séries de questions : en premier lieu, sur l'évaluation et le contrôle des dispositifs médicaux, nous vous interrogerons sur le marquage « CE », sur la matériovigilance et sur la surveillance du marché ; en second lieu, nous vous interrogerons sur l'encadrement des interventions à visée esthétique.

Selon la réglementation européenne, l'octroi du marquage « CE » par un organisme notifié suffit à garantir la conformité d'un dispositif médical aux « exigences essentielles » des directives. Pourquoi l'Union européenne n'a-t-elle pas opté pour une procédure d'autorisation de mise sur le marché pour les dispositifs invasifs les plus critiques plutôt que pour l'actuelle « autorisation préalable explicite sur la conformité » ?

Seriez-vous favorable à l'introduction d'une procédure d'autorisation de mise sur le marché pour les dispositifs les plus critiques sur le modèle de la réglementation applicable aux médicaments ?

Les caractéristiques des données cliniques demandées aux Etats-Unis par la « Food and Drug Administration » (FDA) aux fabricants de dispositifs médicaux vous semblent-elles plus à même de prévenir les risques ? Si la question pouvait légitimement se poser au vu du refus d'agrément des prothèses PIP aux Etats-Unis, elle paraît moins pertinente aujourd'hui avec l'apparition d'un nouveau scandale sur des prothèses de hanche américaines dont le matériau se déliterait dans l'organisme.

Comment expliquez-vous qu'il n'existe en France, qu'un seul organisme notifié habilité à certifier des dispositifs médicaux, quand le Royaume-Uni en compte six et l'Allemagne, seize ? Cette question peut paraître accessoire mais nous aimerions vous entendre sur ce point.

L'Afssaps dispose-t-elle de données sur les organismes notifiés installés à l'étranger certifiant des dispositifs médicaux commercialisés en France ?

Seriez-vous favorable au renforcement du contrôle des organismes notifiés en en confiant la supervision à un organe communautaire dédié au sein de l'Agence européenne du médicament ou à un autre organe ad hoc ?

En matière de matériovigilance, pensez-vous que les exigences inscrites dans les directives de 1990 et 1993 sont correctement transposées en droit français ? Existe-t-il bien, en France, une base de données centralisée et opérationnelle permettant aux praticiens et aux patients de communiquer aux autorités compétentes tout dysfonctionnement observé sur des dispositifs médicaux ? Dans quelle mesure la Commission européenne s'assure-t-elle qu'un niveau minimal de vigilance est assuré par l'ensemble des Etats membres ?

Les dispositions réglementaires relatives à la pharmacovigilance prévoient explicitement que le directeur général de l'Afssaps doit informer l'Agence européenne des médicaments et les autres Etats membres de tout effet indésirable grave concernant un médicament survenu en France. Aucune disposition analogue ne semble exister concernant la matériovigilance applicable aux dispositifs médicaux. Comment expliquez-vous cela ?

La commission nationale de sécurité sanitaire des dispositifs médicaux est-elle pleinement opérationnelle pour assurer les missions que lui confie le code de la santé publique ?

Comment pousser les professionnels de santé et les patients à communiquer de façon régulière à l'Afssaps toutes les informations sur les dispositifs médicaux qu'ils ont utilisés ? Le système actuel doit-il être simplifié ou, au contraire, complété afin de le rendre plus effectif ?

En ce qui concerne la surveillance du marché, les contrôles inopinés chez les fabricants de dispositifs médicaux sont-ils une pratique courante de l'Afssaps ou celle-ci ne procède-t-elle à des contrôles qu'après avoir reçu un certain nombre d'alertes ? Comment expliquer le délai entre les premiers signalements sur la défectuosité des implants mammaires en gel de silicone de la marque PIP en 2008 et la décision de police sanitaire de l'agence du 29 mars 2010 ?

Dans quelle mesure les contrôles inopinés constituent-ils une pratique courante des organismes notifiés ? Observe-t-on des disparités en la matière ?

Faut-il, selon vous, systématiser les enquêtes cliniques, de façon périodique, après la mise sur le marché d'un dispositif médical critique de classe III ? Faut-il conditionner le renouvellement des certifications de conformité à la publication périodique d'essais cliniques ?

J'aimerais aussi connaître votre position sur l'existence de registres de dispositifs médicaux mis en oeuvre dans certains pays tels que la Suède ou le Danemark.

La deuxième partie de ce questionnaire s'intéresse aux actes à visée esthétique - injection de produits de comblement, de toxine botulique, utilisation de lasers, blanchiment des dents... Quelle est la réglementation applicable en la matière ? Ne faudrait-il pas envisager d'encadrer ces pratiques en imposant, par exemple, une obligation de déclaration par les médecins concernés ? Faut-il davantage encadrer la publicité en ce domaine ?

Quelles sont vos recommandations en matière de traçabilité des produits cosmétiques injectables ? Pouvez-vous préciser le contenu de la récente recommandation de l'Afssaps concernant l'utilisation d'un « carnet esthétique » où seraient notés la date des injections, les produits et les lots utilisés ?

La société française de dermatologie évoque l'existence d'une structure spécifique de vigilance concernant la dermatologie esthétique en vue de recueillir les effets secondaires des dispositifs médicaux utilisés. L'Afssaps gère-t-elle cette « vigilance dermatologique » ?

M. Dominique Maraninchi, directeur général de l'Afssaps . - Nous avons apporté un certain nombre de documents que nous vous remettrons : les réponses écrites au questionnaire, des éléments d'information sur la réglementation ainsi que la synthèse du rapport « PIP ». J'ai également demandé à Jean-Claude Ghislain, directeur général de l'évaluation des dispositifs médicaux, de m'accompagner afin de nous faire profiter de son expertise. Nos réponses, si vous le permettez, pourront donc se faire parfois à deux voix.

Vous me posez tout d'abord une question crue : le dispositif de marquage « CE » constitue-t-il une protection suffisante ? Je suis tenté de répondre non, sans état d'âme : nous avons constaté à plusieurs reprises que ce marquage n'était pas suffisant pour assurer la sécurité. A la suite de l'affaire « PIP », la Commission a d'ailleurs lancé un « stress test » qui démontre déjà la fragilité du système.

Le dispositif de marquage doit évoluer. Vous avez mis le doigt, à plusieurs reprises, sur cette différence essentielle entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Nous devrions nous efforcer de rapprocher notre système de celui d'un processus d'autorisation de mise sur le marché explicite, plutôt que d'essayer de répondre à des exigences essentielles.

Une de nos problématiques sur cette catégorie de produits de santé réside dans la dispersion des organismes notifiés et donc dans la difficulté à arbitrer le risque. Nous devons respecter le principe de libre circulation des produits à l'échelle européenne mais ce type de marquage peut convenir pour des compresses, plus difficilement pour des dispositifs médicaux implantables. Je rappellerai d'ailleurs que la classification des dispositifs de I à III n'est apparue que très récemment et qu'elle commence à peine à être mise en oeuvre. Il faut savoir également qu'il existe des sous-groupes à l'intérieur du groupe III : quand nous devons analyser les risques, il nous faut parfois décider lequel est plus acceptable qu'un autre. C'est pourquoi nous militons pour la mise en place d'une liste positive des risques au sein du groupe III. Il semblerait que nous soyons entendus, y compris par la Commission européenne, parce qu'il s'agit simplement de bon sens. Il y aura débat sur la manière dont elle sera construite et identifiée, il y aura des pressions diverses, mais si nous respectons certains principes de sécurité il sera difficile de s'y opposer. Il en va de la sécurité sanitaire des patients dans lesquels ces dispositifs seront implantés. Notre démarche s'effectue à deux niveaux : nous discutons en France avec la Haute Autorité de santé (HAS) de façon à éviter toute distorsion et à parler d'une même voix ; et nous nous rapprochons d'autres pays européens parmi lesquels l'Allemagne, qui prône déjà l'instauration d'une telle liste, l'Angleterre et l'Espagne, laquelle hésite encore. Nous avons prévu de remettre notre copie à la Commission européenne très rapidement. Cette initiative doit constituer le moteur d'un changement d'attitude envers ces dispositifs de classe III. Nous ne voulons pas attendre que la nouvelle directive soit mise en place et appliquée uniformément, sachant qu'il a fallu au moins trois ans pour digérer la classification actuelle.

M. Jean-Claude Ghislain, directeur de l'évaluation des dispositifs médicaux . - Une des possibilités offerte par la directive nous permet d'être informés de l'arrivée des nouveaux dispositifs sur le marché. Ainsi, chaque mois, nous recevons soixante communications de nouveaux dispositifs de classe III et cent dix de classe IIb, dont une partie est aussi constituée de dispositifs implantables. Nous avons d'ailleurs dû intervenir pour faire remonter dans la classification un certain nombre d'implants - initiatives françaises ou franco-britanniques sur les implants mammaires au début des années 2000 et sur les prothèses articulaires totales hanche-épaule-genou. Il s'agit d'un volume important mais qu'il faut relativiser : les dispositifs ne sont pas tous d'un genre nouveau mais constituent souvent une évolution d'un précédent type.

Une première révision des directives européennes a eu lieu en 2007 sur l'évaluation clinique, c'est-à-dire sur la démonstration du ratio bénéfice-risque favorable avant mise sur le marché, et ensuite sur la surveillance des dispositifs mis sur le marché via la collecte de données d'études cliniques de confirmation. Mais cette révision n'est entrée en vigueur qu'en mars 2010. Nous en sommes donc au tout début. Le problème aujourd'hui, c'est que tout cela reste à la seule appréciation des organismes de certification et à leurs propres experts. Ce sont eux qui vont juger si les données sont suffisantes pour octroyer le marquage « CE ». Nous nous retrouvons face au manque d'harmonisation des pratiques de ces organismes alors qu'il faudrait un comité d'experts européens indépendants en charge de l'évaluation de ces données cliniques cruciales. C'est d'ailleurs l'élément manquant pour que le marquage « CE » se rapproche de l'autorisation de mise sur le marché propre au domaine pharmaceutique. Nous sommes passés d'une phase de certification de conformité avec des référentiels normatifs à une phase réelle d'évaluation, dont nous ignorons encore l'impact puisqu'elle n'est en vigueur que depuis mars 2010. Les autorités sanitaires de chaque Etat membre restent cependant en dehors du système et ne peuvent intervenir qu'a posteriori. C'est ce que nous devons corriger dans le cadre de la refonte annoncée de ces mêmes directives.

M. Dominique Maraninchi . - Un des leviers d'action possible est d'agir sur les obligations des organismes notifiés en matière de transparence et de qualité. Les décisions de leurs experts mériteraient certainement une confrontation scientifique élargie.

Votre deuxième question porte sur la mise en place d'une autorisation préalable de mise sur le marché. Nous nous sommes exprimés sur ce point dans le rapport « PIP » : pour certains dispositifs médicaux à risque et largement diffusés, cette autorisation devrait être confiée à une agence indépendante qui vérifierait les données fournies par le fabricant. Des dispositifs similaires existent au sein de la FDA. Il ne s'agirait pas d'une autorisation de mise sur le marché stricto sensu, mais d'une autorisation conditionnée à la fourniture de données cliniques comparatives, contradictoires et vérifiables. Comment y parvenir ? Sûrement pas par l'autocertification des organismes notifiés mais plutôt par un système en plusieurs étapes, qui garantirait la collégialité de l'évaluation. Certains parlent de créer une nouvelle agence européenne, à mon sens ce serait une catastrophe. Soit l'on considère qu'il s'agit d'une extension de la vocation de l'Agence européenne du médicament (EMA) - ce qui aurait l'avantage de la simplicité même si la culture du médicament ne correspond pas tout à fait à celle de l'évaluation technique des dispositifs médicaux -, soit l'on crée une commission ad hoc, sous l'autorité de la Commission européenne, qui analyse de manière systématique et en toute neutralité les données fournies.

De telles dispositions nous permettraient d'être plus à même de prévenir les risques. Cependant, ces nouvelles exigences risquent de supprimer du marché un grand nombre de petits fabricants. Pourquoi y a t-il moins de dispositifs mis sur le marché américain ? La production de données cliniques, leur exploitation et la surveillance du marché constituent une charge financière importante. Sans parler de la responsabilité induite lors de la délivrance des produits. Certes, nous n'avons pas vraiment le choix et l'artisanat n'a pas sa place en matière de dispositifs médicaux. Il faut cependant avoir conscience que ces nouvelles exigences seront vécues comme une atteinte à la créativité des petites entreprises. A elles de s'allier avec de plus grosses.

Nous insistons aussi beaucoup pour que ces entreprises puissent disposer d'une personne responsable. Il s'agit d'une notion essentielle. Le pharmacien responsable est protégé devant son PDG quand il refuse de délivrer un lot de médicaments qu'il considère inadéquat. Il n'y a pas d'équivalent dans le domaine des dispositifs médicaux, comme vous avez pu le constater dans les minutes de l'affaire « PIP ». Le refus de libérer un lot doit reposer sur des critères de santé publique plutôt que sur des critères de qualité de production ou sur la conscience professionnelle d'un directeur de fabrication. La nomination d'une personne responsable, à l'image des pharmaciens responsables, devrait faire partie des obligations à la charge des fabricants. Il ne s'agit pas là d'un coût considérable par rapport à l'enjeu de la libération des lots de prothèses mammaires ou de sondes cardiaques, par exemple.

Pourquoi n'y a-t-il qu'un seul organisme notifié en France, le Laboratoire national d'essais ? Je vais laisser monsieur Ghislain répondre.

M. Jean-Claude Ghislain . - Cela tient à des raisons historiques. Je n'ai que peu d'informations sur la genèse de l'évaluation des dispositifs médicaux en France. Il y avait un système d'homologation pour quelques dispositifs et c'est à partir de ce noyau qu'est né le Laboratoire national d'essais. C'est un organisme ouvert : tout le monde peut, à tout moment, déposer un dossier. D'ailleurs, une demande d'homologation est en cours.

Y a-t-il trop d'organismes notifiés en Europe ? Ils sont environ quatre-vingts mais il faut savoir que sur le marché des dispositifs implantables, cinq organismes se partagent 70 % des demandes de certification - parmi lesquels le LNE G-MED français, le TUV Produkt Service allemand et le BSI anglais. Il y a donc une concentration des organismes d'évaluation des dispositifs de classe III. Les autres organismes travaillent essentiellement dans le domaine de la certification des systèmes qualité des entreprises.

Un consensus européen se dégage actuellement sur les procédures de désignation des organismes notifiés. La Commission devrait pouvoir avancer sur l'idée d'une définition de critères de compétence et de transparence pour la désignation de ces organismes ainsi que sur le renouvellement périodique de leur agrément. On parle également d'une codification de leurs modalités d'intervention. On commence même à évoquer l'idée d'un tarif unique afin de limiter la concurrence entre ces opérateurs. Il est encore question de revoir la procédure d'inspection des organismes notifiés et de prévoir une surveillance collégiale des Etats membres sur l'ensemble des organismes et non plus se contenter de ce qui se fait aujourd'hui, à savoir que la France s'occupe de son organisme, l'Allemagne des siens et ainsi de suite, sans échange d'informations.

On a déjà des amorces de coopération volontaire entre pays qui ont fait des audits conjoints mais tout cela devrait être formalisé l'été prochain dans la nouvelle directive. Cela étant dit, cette harmonisation ne répondra à l'exigence que nous évoquions tout à l'heure, à savoir la nécessité d'une expertise du bénéfice-risque à l'échelle européenne, qu'avec des experts communs à l'ensemble des organismes.

Au-delà de la compétence et de l'indépendance des organismes notifiés, nous ne disposons pas dans le domaine des dispositifs médicaux du recul existant dans celui du médicament. Nous manquons donc cruellement de guides d'application des bonnes pratiques, notamment pour l'évaluation clinique. Nous avons beaucoup de normes - européennes ou internationales - décrivant les standards sur les matériaux ou autres, mais aucune ne concerne l'évaluation clinique. C'est pourquoi nous militons pour la création d'une liste positive précise, déterminée par un groupe d'experts indépendants, opposable aux fabricants par les organismes notifiés. Il n'en existe qu'une pour les stents coronaires, laquelle est arrivée trop tardivement sur un marché où étaient déjà présents de nombreux produits.

Nous avons donc beaucoup avancé sur les organismes notifiés dans le cadre de la refonte de la directive, par contre, l'aspect « centralisation » de l'évaluation du bénéfice-risque fait encore débat au sein des Etats membres. Il est indispensable que la France ait une position très forte sur ce thème.

M. Dominique Maraninchi . - Nous pouvons toujours progresser, mais la France est bien située en matière de matériovigilance par rapport aux autres pays.

Comparée à la pharmacovigilance, dont l'éclatement en centres régionaux est une source de dysfonctionnement potentiel pointée par l'Igas, la matériovigilance peut s'appuyer sur la centralisation du système mis en place et sur la responsabilisation des établissements de santé dans chacun desquels se trouve un correspondant de matériovigilance. Il s'agit donc théoriquement d'un dispositif lourd, puissant, transparent ; et pourtant, le signalement ne fonctionne pas. Il faut dire que le code de la santé publique est parfois ambigu : il demande de signaler des événements ayant entraîné la mort ou susceptibles de la donner, ce qui, en termes de gestion prévisionnelle des risques, est un peu réducteur. Par ailleurs, pour avoir dirigé un établissement de santé, je peux dire qu'il existe une dissociation entre celui qui achète le dispositif et le correspondant de matériovigilance : ils n'ont aucun contact entre eux. Limiter les achats des établissements de santé aux dispositifs médicaux présents sur une liste préétablie conjointement avec la HAS, sur la base de critères objectifs, et parvenir à décloisonner les procédures internes serait très positif.

Il faut également ouvrir le système de vigilance aux usagers. Nous devons être capables de recueillir des informations qui ne sont pas inscrites dans un formulaire Cerfa de surveillance du marché. Nous disposons de beaucoup d'atouts, bien que le code de la santé publique définisse ce qui doit être déclaré de façon vraiment inadéquate.

A nous de nous appuyer sur les investigations des correspondants, avec l'appui de l'ARS, afin de mieux analyser certains événements. Le système actuel raisonne - on a vu les chiffres donnés par Jean-Claude Ghislain sur les déclarations de mise sur le marché - en termes d'analyse comparative de surveillance de marché, ce qui ne peut pas être efficace. On arrivera toujours trop tard.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Je vous comprends bien mais ceux qui achètent des dispositifs le font à la demande de praticiens. C'est bien là qu'est le problème.

M. Dominique Maraninchi . - Si nous donnons des règles sur ce qui est achetable ou pas - ce qui relève de notre rôle d'agence de sécurité -, cela va certes créer des tensions, mais l'établissement d'une liste positive permettra aux chirurgiens et aux hôpitaux de savoir sur quoi s'appuyer. Aujourd'hui, ils reçoivent de manière irraisonnable un catalogue de soixante nouveaux produits tous les mois.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Comment fonctionnerait cette liste positive que vous évoquez ? Vous recommanderiez à l'achat certains dispositifs plutôt que d'autres ?

M. Dominique Maraninchi . - Il s'agirait d'une liste de dispositifs médicaux implantables que nous considérons comme à risque - tels que les défibrillateurs ou les prothèses mammaires. A l'intérieur de cette liste, nous ferions plusieurs préconisations aux fabricants et aux distributeurs en matière de sécurité : établissement de données cliniques et création d'un registre de suivi des patients, par exemple. Si les fabricants ne répondaient pas à ces préoccupations, la HAS considérerait alors que ces dispositifs ne peuvent être achetés par les établissements de santé français.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Vous faites donc des préconisations en matière d'évaluation clinique, de surveillance des patients et de traçabilité des dispositifs.

M. Dominique Maraninchi . - Effectivement, sur l'ensemble du spectre de sécurité des dispositifs médicaux. Notre marché intérieur est attractif et de nombreux fabricants ou distributeurs devraient jouer le jeu. Cette liste, qui doit bien évidemment être très précise, constituerait un complément crucial à notre dispositif de matériovigilance. Nous ne pouvons nous contenter de comparer quelques marques entre elles en cas de rupture de prothèses mammaires, sans assurer une véritable sécurité sanitaire en amont. Il est bien plus facile de s'appuyer sur une firme qui surveille ses patients et à qui on peut demander chaque année combien de patients ont été implantés, combien et quels types d'incidents se sont produits. Ce faisant, elle engage sa responsabilité, y compris avec les utilisateurs ; nous retrouvons ici l'idée des registres de dispositifs médicaux qui sont bien plus efficaces que la simple surveillance des dérives du marché.

Mme Catherine Deroche . - Vous vous placez donc en amont de la surveillance du marché en demandant aux fabricants de remplir un certain nombre de critères de qualité. Actuellement, un tel système n'existe pas ?

M. Dominique Maraninchi . - Non, il n'existe aucune obligation de fournir aux autorités sanitaires les éléments cliniques dont les fabricants disposent. Ce qui nous laisse un peu nus et qui complique notre tâche...

Mme Catherine Génisson . - On tourne beaucoup autour d'un sujet central qui est celui de l'évaluation clinique. Quand on parle du rapport bénéfices-risques, c'est malheureusement souvent le risque qui l'emporte.

Vous avez évoqué les organismes notifiés. Sont-ils les seuls concernés par l'évaluation clinique ou faut-il établir des liens avec les praticiens ? Et si oui, comment peut-on s'assurer de la transparence, de l'indépendance, de la neutralité des choix qui seront faits ?

M. Dominique Maraninchi . - Il faut davantage impliquer les praticiens dans les essais cliniques. Ces essais sont aujourd'hui peu transparents et d'un niveau qui ne garantit pas, par exemple, la sécurité des cent mille prothèses de hanches implantées chaque année. Par contre, si la société française d'orthopédie s'engage à examiner le suivi des prothèses posées, quelle que soit la marque, on peut espérer que cette initiative soit financée. Ce serait un peu dangereux si c'était le club des chirurgiens clients de certaines marques de prothèses qui s'en chargeait. Le club des poseurs de prothèses « PIP » ne nous a pas beaucoup aidés mais beaucoup d'entre eux ont aussi été victimes de cette société. Par contre, la société française de chirurgie revendique aujourd'hui le suivi de toutes les prothèses. Nous apprécions cette initiative et j'estime que cela fait aussi partie des devoirs des praticiens, qui ne peuvent le faire isolément. Ils sont expérimentateurs et clients, il faut donc éviter qu'ils soient financés par les fabricants. C'est une manière d'imposer aux firmes de participer à des registres nationaux par le biais de sociétés savantes. Si vous lisez le rapport de la FDA sur les prothèses mammaires à base de gel de silicone, vous verrez qu'il y a trois types d'informations disponibles sur des centaines de milliers de femmes : obligatoires fournies par les firmes ; contradictoires fournies par les sociétés de chirurgie esthétique ; plus la liste des incidents signalés par l'agence centrale. Quand vous disposez d'un tel faisceau de données vous avez une meilleure vue d'ensemble du système et vous pouvez réagir plus vite.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Il faut tout de même que quelqu'un synthétise ces données, c'est-à-dire la HAS ou l'Afssaps...

M. Dominique Maraninchi . - Les deux : nous, pour des raisons de sécurité ; la HAS pour des raisons de valeur financière ou de classification. La sécurité passe avant tout et la HAS refuserait de financer quelque chose qui n'est pas sûr. Nous devons donc travailler conjointement car un dispositif qui ne serait pas remboursé serait très pénalisé. J'insiste donc pour l'élaboration d'une liste positive, raisonnablement restrictive, à l'image de ce qui a été fait pour les stents.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous allons nous arrêter sur le thème de la matériovigilance.

M. Jean-Claude Ghislain . - Je voudrais juste donner quelques éléments chiffrés. En 2011, nous avons enregistré 11 687 signalements sur l'ensemble des dispositifs. La part des dispositifs médicaux implantables dans ces signalements est de l'ordre du tiers. Nos données, en volume et en proportion, sont assez proches de celles du Royaume-Uni.

Il n'existe pas, à l'échelle européenne, de centralisation des incidents survenus en Europe dans une même banque de données. Chaque pays enregistre les signalements survenus sur son territoire. La seule possibilité dont je dispose pour m'informer sur les incidents concernant un dispositif précis est de lancer une demande à mes collègues européens. Il s'agit d'une procédure un peu lourde. Les gens n'ont pas toujours le temps pour nous répondre rapidement. Nous espérons que la révision de la directive nous fera progresser sur ce point. Nous partageons uniquement nos conclusions, c'est-à-dire les décisions de police sanitaire prises - à l'instar de ce que nous avons fait s'agissant des implants « PIP » -, mais pas les incidents survenus. Il y a beaucoup de dispositifs médicaux qui représentent un petit volume sur les marchés intérieurs et, en ne mettant pas en commun les incidents survenus sur ce type de produits, on peut passer facilement à côté d'un problème.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Il n'existe pas de système européen automatique d'alerte ? Un pays qui constaterait une augmentation anormale du nombre de ruptures de prothèses n'a pas l'obligation d'avertir les autres Etats membres ?

M. Jean-Claude Ghislain . - L'obligation de communication ne porte que sur les mesures prises à l'encontre des produits. Si un Etat ne prend aucune mesure, il n'est pas tenu d'informer les autres pays des incidents survenus. Il n'est bien évidemment pas interdit de le faire et un certain nombre de pays échangent déjà leurs signaux mais, malheureusement, il n'existe pas de lieu opérationnel pour travailler en commun sur des données de vigilance.

M. Dominique Maraninchi . - Il n'y a pas de système européen de surveillance. Quand la France a pris sa décision de police sanitaire concernant les prothèses « PIP », elle en a informé la Commission, les Etats membres et tous les autres pays. Certains d'entre eux ont malgré tout continué à commercialiser ces produits, parfois jusqu'en décembre 2011. Il a fallu une alerte sanitaire dans une ambiance de crise pour que tout le monde réagisse. Même une suspension de commercialisation n'est pas forcément considérée comme contraignante par les autres Etats. C'est une faiblesse du système des dispositifs médicaux que nous ne retrouvons pas dans celui du médicament.

M. René-Paul Savary . - En matière pharmaceutique tout est stoppé dès la première alerte.

M. Dominique Maraninchi . - Oui. Si on déclare la suspension d'un produit, une procédure européenne est enclenchée et l'Agence européenne du médicament doit alors ouvrir une instruction pour savoir s'il est légitime que ce médicament soit suspendu dans les autres Etats membres.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quand la FDA a fait ses remarques sur les prothèses « PIP », il n'y a pas eu de réaction de votre part...

M. Dominique Maraninchi . - Aucune...

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous n'étiez pas en place à l'époque...

M. Dominique Maraninchi . - Il n'y a eu aucune réaction. Nous le disons dans le rapport...

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Et pourquoi ?

M. Jean-Claude Ghislain . - Simplement parce que, comme on vient de l'expliquer, les échanges internationaux d'information sont basés sur les retraits de produits déclarés dangereux. Toutes les autres mesures de police plus « administratives », telles que les sanctions à l'égard des entreprises, sont, au mieux, rendues publiques sur les sites internet des agences de surveillance mais ne donnent pas lieu à alerte. Et la FDA ne nous prévient pas quand elle vient inspecter un fabricant français alors qu'une telle information nous serait utile. Cela fera débat, dans le cadre des suites de l'affaire « PIP », sur nos forums de convergence internationale. L'équivalent pour les dispositifs médicaux de l'International conference on Harmonisation (ICH) du domaine pharmaceutique, c'est la Global Harmonisation Task Force (GHTF) et, avec les Etats-Unis, le Canada, l'Australie et le Japon, nous allons discuter de la mise en place d'une meilleure coopération. On ne peut pas passer son temps à rechercher les informations passives publiées sur les sites de chaque agence de santé. Il faut savoir aussi que notre dossier en cours à propos de « PIP » visait les prothèses remplies de gel de silicone alors que la FDA s'intéressait aux prothèses de solution saline. De plus, nous cherchions à réévaluer de manière globale les prothèses de silicone présentes sur le marché français et nous n'avions pas ciblé « PIP » en particulier.

M. Dominique Maraninchi . - La sécurité ne peut, bien évidemment, pas être assurée que par l'international. Nous venons de réexaminer toutes les prothèses en silicone présentes sur le marché. Nous avons beau inspecter, contrôler, prélever des échantillons, il faut bien avoir à l'esprit que les lieux de production changent d'une année sur l'autre. Comment assurer la sécurité sanitaire si la coopération internationale entre régulateurs n'est pas renforcée ? Telle prothèse contrôlée aux Etats-Unis et vérifiée par la FDA n'aura pas les mêmes caractéristiques lorsqu'elle sera vendue en Europe ou en Asie puisque la régulation n'y est pas de même nature. Le terme même de « marque » ne veut plus dire grand-chose de nos jours. Nous devons bâtir de nouvelles normes européennes.

Mme Catherine Génisson . - Je sais combien nous avons envie, les uns et les autres, d'encadrer ce domaine qui en a bien besoin. Il faut cependant faire attention à ne pas provoquer de guerre économique ni susciter des malveillances entre fabricants. Le sujet n'est pas simple.

M. Dominique Maraninchi . - L'impact est non négligeable. Nous devons graduer nos mesures et nous concentrer d'abord sur les fabricants...

Mme Catherine Génisson . - Ce manque de communication que vous décrivez, sur des informations élémentaires, est assez effarant.

M. Jean-Claude Ghislain . - Il s'agit d'un secteur immense et tardivement réglementé. L'immensité du sujet fait que l'on a été très sélectif sur les échanges d'informations. Il nous faut définir les bonnes priorités et trouver les domaines dans lesquels développer plus d'échanges et de coopération. On ne peut pas le faire sur l'ensemble du champ. Les marchés évoluent, les opérateurs changent ; certains marchés sont très stables, d'autres pas du tout ; il faut tenir compte des sauts technologiques et des dispositifs qui ont une durée de vie de plus en plus courte. Nous avons peu de données, peu de statistiques de consommation. Nous manquons d'informations qui pourraient nous permettre d'être plus réactifs.

M. Dominique Maraninchi . - Ne nous méprenons pas sur nos propos. Il est tout à fait possible d'élever le niveau de sécurité pour certains dispositifs médicaux. L'artisanat dans ce domaine peut être dangereux pour les produits de très grande diffusion et implantables à long terme. Il demeure incompréhensible qu'il n'y ait pas de personne responsable chez les fabricants, à l'image du pharmacien responsable, et que toute la responsabilité repose sur le chirurgien qui implante le dispositif et sur l'agence qui surveille le marché. Nous espérons que votre mission nous aidera à remplir ce vide.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Un dernier point, peut-être, sur les formulaires de vigilance que vous évoquez dans votre rapport ?

M. Dominique Maraninchi . - Nous ferons des propositions d'ici un mois et demi pour faire évoluer ces formulaires. Il faut que la notion d'alerte et de signalement soit accessible à tout un chacun.

Il y a des avantages et des inconvénients à avoir des registres. Il n'en reste pas moins que nous sommes pénalisés parce que nous n'en avons pas du tout. La France doit se lancer dans ce domaine. Un registre peut être surveillé par nous-mêmes ou par la HAS, par exemple. Il ne doit pas s'agir d'un simple registre entre l'industriel et son client.

Sur la notion de contrôle inopiné et de contrôle programmé, nous vous avons remis par écrit quelques éléments chiffrés. Ce qui est vrai pour nous devrait l'être encore plus pour les organismes notifiés. Nous disposons d'une centaine d'inspecteurs en tout, et une dizaine est affectée au contrôle des dispositifs médicaux. Nous effectuons environ 130 contrôles chez des fabricants chaque année ; une quinzaine sont inopinés.

M. Jean-Claude Ghislain . - Il faut garder à l'esprit que nous sommes des intervenants de deuxième niveau. En matière de contrôle, les organismes notifiés sont en première ligne pour assurer le suivi des entreprises, contrairement au système pharmaceutique où nos inspecteurs sont les seuls habilités à intervenir. Aujourd'hui, il y a peu de pays européens qui pratiquent des inspections et c'est aussi un problème.

M. René-Paul Savary . - Les organismes de contrôle peuvent-ils être privés ?

M. Jean-Claude Ghislain . - Rien n'est arrêté. Ils peuvent relever du droit privé ou du droit public selon les pays.

M. Dominique Maraninchi . - Les fabricants peuvent être tentés de choisir l'organisme notifié le meilleur marché, qui audite le plus vite et qui n'est pas trop exigeant sur certaines caractéristiques. Il est donc intéressant de réfléchir à la notion de tarif unique évoquée tout à l'heure. Trop de concurrence peut se révéler dangereux, sans parler des conflits d'intérêts. La Commission est très décidée à réglementer ce domaine rapidement car elle en a déjà la possibilité.

M. Jean-Claude Ghislain . - Nous sommes toujours dans le cadre des directives « nouvelle approche » du début des années 1990. Le schéma actuel correspond encore à ce qui se fait dans de nombreux autres domaines industriels, car ces directives n'avaient prévu aucune disposition spécifique aux organismes de certification des dispositifs médicaux. Nous sommes en train d'évoluer vers un nouveau règlement européen qui devrait, nous l'espérons, nous sortir du carcan de départ des directives « nouvelle approche ».

Mme Catherine Deroche . - A partir de quels critères décidez-vous d'aller effectuer ces contrôles normalement dévolus aux organismes notifiés ?

M. Jean-Claude Ghislain . - Nous sommes soit réactifs, c'est-à-dire que nous avons reçu un signal d'alerte auquel nous décidons de répondre ; soit proactifs, c'est-à-dire que nous sélectionnons chaque année des programmes que nous souhaitons examiner. Dans ce dernier cas de figure, nous nous décidons sur la base de critères complexes et en fonction de l'évolution très rapide des marchés. Nous nous sommes, par exemple, intéressés aux prothèses dentaires dont l'importation se développait. Ou encore parce qu'il y a un saut technologique important et qu'il faut vérifier de manière globale la qualité des nouveaux dispositifs.

Nous déployons alors trois modalités qui peuvent se combiner : soit en examinant sur dossier, c'est-à-dire que nous demandons au fabricant de nous remettre son dossier de marquage « CE » ; soit en inspectant l'entreprise sur site ; soit en effectuant un contrôle en laboratoire. Cette dernière possibilité est la plus compliquée à mettre en oeuvre. On peut vérifier un gel de silicone en laboratoire, c'est plus difficile pour un stimulateur cardiaque.

M. Dominique Maraninchi . - Abordons maintenant le grand champ des actes à visée esthétique. Il s'agit de dispositifs qui contiennent des produits. Sous prétexte que le produit se trouve dans une seringue, il s'agit d'un dispositif et nous devons donc envisager l'ensemble du dispositif et non précisément le liquide contenu. Les exigences demandées pour les médicaments injectables pourraient être pensées également pour les produits non médicamenteux injectés. Je ne dis pas qu'il faut nécessairement la même régulation mais rester aveugle en ce domaine pose problème.

M. Jean-Claude Ghislain . - En 2011, une centaine de produits à visée esthétique ont été déclarés auprès de nos services. Ils ne sont pas tous en classe III. Les compléments résorbables de comblement de rides sont en classe III, tandis que les lasers sont en classes IIb ou IIa, par exemple.

Le statut de ces produits fait débat. Un dispositif qui n'a qu'une visée esthétique doit-il être soumis à un marquage « CE » au même titre qu'un dispositif à finalité médicale ? Si l'on s'en tient à une stricte lecture des règles, ce n'est pas nécessaire. Je pense que la Commission va consacrer le caractère de dispositif médical pour tout ce qui est invasif ou implantable à visée esthétique. On verrait mal des implants mammaires arriver sur le marché sans marquage « CE ».

Là encore, la difficulté est d'accéder à la démonstration de la qualité. S'il existe une pharmacopée, ce référentiel doit être pris en compte par l'organisme notifié. Mais cette information, encore une fois, ne sera publiée nulle part. Il n'y a pas de résumé officiel, public, des caractéristiques du dispositif au moment de sa certification. Les professionnels qui achètent ces dispositifs n'ont accès qu'aux informations publicitaires mises en avant par le fabricant.

L'agence n'est compétente qu'en matière de produits, mais produits et actes sont très proches et nous travaillons conjointement avec la HAS. Elle est saisie des actes à risque en matière esthétique, puisque la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) avait prévu que le ministre puisse restreindre ou interdire certains actes esthétiques jugés dangereux. Nous ne pouvons intervenir que sur le produit et non sur les règles ou les compétences professionnelles.

En matière de publicité, le dispositif législatif nouveau va ouvrir la possibilité d'un contrôle de la publicité des dispositifs médicaux - nous attendons les textes d'application - et on pourrait considérer que ces dispositifs à caractère esthétique tombent sous ce contrôle.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Cela fait beaucoup de « si »...

M. Dominique Maraninchi . - Vous nous posiez la question du carnet. Il s'agit d'une bonne formule. Il importe d'avoir une traçabilité de ce que les personnes ont reçu comme produits et ce, d'autant plus qu'elles peuvent changer de praticiens au fil du temps et que ces derniers n'auront pas forcément les mêmes exigences en matière de traçabilité. De plus, les incidents, quand il y en a, se développent souvent sur le long terme et, à l'heure actuelle, nous ne savons rien du parcours des produits et des incidents. C'est pourquoi M. Ghislain a mis au point ce carnet...

M. Jean-Claude Ghislain . - L'idée est d'inciter au développement d'un principe général de traçabilité. Les discussions sont en cours avec le ministère, notamment sur la réglementation actuelle qui oblige à enregistrer dans son dossier et à remettre au patient la référence du lot d'où est tiré le dispositif médical implantable. Les produits de comblement de rides, par exemple, sont logiquement inclus dans cette réglementation mais ce n'est pas tout à fait explicite. Il faudrait le préciser dans le décret fixant les règles en matière de dispositifs implantables.

En cas d'injections répétées, il est important de pouvoir garder la trace du lieu d'injection et de la référence du produit administré. Il faut éviter la multiplication des produits qui constitue un facteur aggravant de l'apparition des granulomes. Le carnet nous permettrait de retracer très précisément les choses. Encore faut-il que les gens conservent cette information, mais ce n'est pas quelque chose que notre agence peut imposer.

Il existe près d'une centaine de produits de comblement de rides différents en Europe pour une vingtaine d'opérateurs. Aux Etats-Unis, le système d'autorisation de mise sur le marché fait qu'on y trouve que neuf produits...

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Comment expliquer cette différence ?

M. Jean-Claude Ghislain . - C'est lié au système d'autorisation préalable.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Ces produits sont donc classés, aux Etats Unis, dans ce que vous imaginez être une liste positive.

M. Jean-Claude Ghislain . - Exactement. L'évolution clinique de ces produits - à l'exception de l'acide hyaluronique qui est maintenant bien connu - n'est pas évidente et disposer de données fiables est très compliqué.

M. Dominique Maraninchi . - Vous nous demandez si l'on peut réguler la médecine esthétique. A tout le moins peut-on faire preuve de bon sens et, par exemple, interdire l'augmentation mammaire par injection directe d'acide hyaluronique. Il y a également des personnes qui se sont injecté du silicone. Il est fondamental qu'un professionnel - je ne parle pas de sa formation - garantisse la traçabilité de ses actes.

Mme Catherine Génisson . - Serait-il souhaitable, d'après vous, de créer une spécialisation en médecine esthétique permettant d'assurer une formation minimale des professionnels de ce secteur ? Aujourd'hui, n'importe quel généraliste ou dermatologue peut faire de la médecine esthétique. Il me semble que nous sommes face à un vide réglementaire effrayant.

M. Jean-Claude Ghislain . - Ce serait d'autant plus pertinent que ces produits ont souvent des règles de profondeur d'injection très précises et contraignantes. Cela influe beaucoup sur la réussite de l'intervention et sur les effets indésirables.

M. Dominique Maraninchi . - A titre personnel, je pense qu'il faudrait bien évidemment demander à ces professionnels de suivre une formation avec un diplôme qualifiant. Il s'agit là d'une garantie pour la population. Je serais aussi favorable à une obligation de déclaration des actes et à la tenue d'un dossier, pour chaque patient, afin d'assurer la traçabilité des produits injectés. Il s'agit là d'une évolution logique qui ne mérite pas de gratification supplémentaire particulière. Leur degré d'indépendance vis-à-vis des fabricants de produits injectables devrait aussi pouvoir être vérifiée sinon mesurable.

M. Jean-Claude Ghislain . - Dans ce domaine - cela vaut pour tous les dispositifs médicaux - nous n'avons pas de circuit de distribution des produits. Soit c'est le client qui s'approvisionne sur les conseils du praticien, soit c'est le médecin lui-même qui s'approvisionne auprès des firmes.

M. Dominique Maraninchi . - C'est le dilemme du médecin pharmacien...

M. Jean-Claude Ghislain . - Nous avons des raisons de penser que beaucoup de patients et de professionnels se fournissent sur Internet. Nous avons donc établi des listes de produits dont les opérateurs se sont déclarés auprès de l'Agence, conformément à la réglementation, ce qui permet d'établir un premier niveau de sécurité. Il ne sert à rien de soumettre certains de ces produits à prescription médicale si on ne crée pas le circuit pharmaceutique adéquat. C'est au législateur d'intervenir en la matière.

Mme Catherine Deroche . - Quelle est la place des appareils du type laser ? Comment s'assurer de leur bon usage ? J'aimerais connaître votre avis même si nous sommes là plus dans le cadre de l'esthétique que dans celui des dispositifs médicaux.

M. Jean-Claude Ghislain . - Nous n'avons pas eu l'opportunité de mener une étude spécifique sur les lasers. La technologie a beaucoup évolué : les premiers appareils étaient réservés aux médecins car très puissants. Nous trouvons aujourd'hui - hors marquage « CE » et dispositifs médicaux - des appareils qui « ressemblent » à des lasers médicaux, la puissance en moins. Nous arrivons au paradoxe que des esthéticiennes ne peuvent utiliser ces appareils réservés aux actes des médecins, alors que le public peut s'en procurer librement dans le commerce. Leur utilisation peut être très contraignante. Je crois qu'il faut éviter de pointer le laser trop souvent sur une même zone, mais j'imagine mal quelqu'un tenir une cartographie corporelle de ses épilations. Ce domaine n'entre pas dans le champ des dispositifs médicaux mais pourrait y être inclus dans le cadre de la refonte des directives.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie pour cette audition très intéressante. La semaine prochaine, nous recevrons M. Xavier Bertrand, puis le président du comité économique des produits de santé.

Audition de M. Gilles JOHANET, président du Comité économique des produits de santé (Ceps) (mercredi 7 mars 2012)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous recevons M. Gilles Johanet, président du comité économique des produits de santé(Ceps). Après le scandale du Mediator, nous avions presque prédit que si un problème nouveau devait surgir, il toucherait les dispositifs médicaux. Est venue l'affaire des prothèses, à laquelle cette mission fait suite : il est urgent de se pencher sur la sécurité de tous ces produits de santé qui font l'objet d'actes médicaux ou d'interventions à visée esthétique. Nos travaux doivent déboucher, d'ici la mi-juillet, sur des recommandations.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Je souhaite vous poser trois séries de questions. La première porte sur l'état du marché de ces produits.

Est-il possible d'évaluer le volume des dispositifs médicaux commercialisés sur le marché français et son chiffre d'affaires ? Même question pour les seuls produits à visée esthétique. Comment les autorités sanitaires françaises parviennent-elles à concilier, dans la régulation de ce marché, les exigences de sécurité propres à chaque spécialité de produits et l'encouragement à l'innovation et la recherche ?

Observe-t-on une tombée significative des brevets sur les dispositifs médicaux et, en conséquence, une montée en puissance d'équivalents « génériques » ? Si oui, quelles sont les spécialités les plus concernées ?

Quel est le taux de pénétration des dispositifs médicaux fabriqués à l'étranger sur le marché français ? Quelles sont les spécialités les plus concernées ? Les produits à visée esthétique le sont-ils davantage que d'autres spécialités ayant recours aux dispositifs médicaux ?

Quel est le cycle de vie moyen d'un dispositif médical ? Cette donnée varie-t-elle sensiblement en fonction de la spécialité concernée ?

M. Gilles Johanet, président du Ceps . - A votre première question, ma réponse est non. On ne peut évaluer le volume d'un marché de la valeur duquel nous n'avons qu'une vision très partielle. En témoigne la béance entre les chiffres livrés par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) en novembre 2010 - 21 milliards de d'euros - et ceux du Ceps - 6,8 milliards. Ceci est largement imputable à notre ignorance tant de la valeur que du volume des dispositifs achetés par l'hôpital public. Nous ne retraçons donc que ce qu'achètent les cliniques privées et qui est remboursé par l'assurance maladie. On peut cependant penser que la valeur de la dépense, pour l'hôpital public, est largement égale à celle qui provient des cliniques.

Tempérons cependant notre frustration : le contenu des lignes de produits changeant d'année en année, il n'est guère de suivi possible. Chaque année, des produits en sortent et d'autres sont inscrits sur la liste en sus des prestations prises en charge par l'assurance maladie. C'est un peu comme l'élève de CM2 devant le problème de la baignoire qui fuit. L'évolution globale de la valeur ne donne guère les moyens de mesurer les besoins physiques qu'elle vient satisfaire. A quoi s'ajoute le problème d'une double entrée sur le marché : à l'entrée sous marque, qui fait l'objet d'une évaluation de la HAS, le prix étant ensuite fixé par nos soins, s'ajoute l'entrée en ligne générique, purement déclarative, dont l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) tient le fichier, sans qu'il soit possible, cependant, de bien discerner combien de produits sont inscrits chaque année et leur valeur. L'entrée sous la ligne générique est, de surcroît, dispensée d'évaluation. Alors que l'entrée en générique est la règle et l'entrée en marque l'exception, nous avons été conduits à inverser la logique, parce que les produits sont traçables et ont fait l'objet d'une évaluation.

Les produits esthétiques sont à cheval entre le remboursable et le non remboursable, en vertu d'un double usage, soit en tant que médicament, soit en tant que produit à visée esthétique. Je pense, par exemple, au Botox, ce qui complique, là aussi, le suivi.

Le taux de pénétration des produits de fabrication étrangère est élevé, à quelques exceptions près, comme les prothèses de hanche. Les produits esthétiques, en cette matière, ne se singularisent pas.

La question des tombées de brevet, capitale pour le médicament, n'est pas ici opératoire : le cycle de vie des dispositifs de santé est très réduit, deux à trois ans tout au plus, si bien que la durée du brevet est toute théorique et que son terme ne fournit pas l'occasion de baisser les prix. L'occasion, pour les produits sous marque, vient plutôt des me too, ces produits très voisins qui suivent toujours un premier lancement. Quant au prix d'un générique, il faudrait, pour le baisser, appréhender une ligne entière, laquelle peut regrouper des produits très divers.

Vous m'interrogez sur les évolutions technologiques. Elles sont rapides, tous les implants étant loin d'avoir atteint la maturité technologique légendaire de la canne anglaise. Plaisanterie à part, les évolutions les plus rapides sont celles qui touchent à l'électronique, comme en matière d'implants cochléaires. Les évolutions peuvent tenir aux techniques de pose : c'est le cas pour les stents actifs. Les défibrillateurs, aussi, mériteraient d'être cités.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Ma deuxième série de questions a trait à l'évaluation des dispositifs médicaux et du rapport bénéfices-risques.

Quelle a été l'évolution, au cours des dix dernières années, de la dépense de l'assurance maladie au titre de la prise en charge des dispositifs médicaux ? Comment s'expliquent les évolutions de ce poste de dépenses et varient-elles en fonction des spécialités ? Observe-t-on une augmentation de la population concernée par la pose de dispositifs médicaux implantables ?

De quels éléments les autorités françaises, Ceps et HAS, tiennent-elles compte pour déterminer un prix de marché acceptable et moduler la prise en charge correspondante ?

La décision de remboursement d'un dispositif médical est-elle bien subordonnée à la communication régulière d'évaluations cliniques avant et après la mise sur le marché ? A quel délai les bénéfices sont-ils réévalués après autorisation de mise sur le marché ? Quelle est la fréquence des révisions de la liste des produits et prestations remboursables (LPPR) ?

Quels sont les éléments de contrôle préalable à l'inscription d'un générique sur la LPPR ? La déclaration obligatoire auprès de l'Afssaps est-elle la seule procédure nécessaire à une première inscription ? L'évaluation médico-technique par la Commission nationale des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS) n'intervient-elle qu'après la première inscription ?

Les délais d'évaluation nécessaires à la conduite d'études cliniques fiables sont-ils compatibles avec 1'obsolescence rapide de certains types de dispositifs médicaux ?

En cas de défectuosité d'un implant, dans quelle mesure l'assurance maladie prend-elle en charge son explantation et son éventuel remplacement ? Est-elle en mesure d'imposer, alors, le choix de la marque, en fonction des données cliniques disponibles ?

Au vu des incidents récents, qui ont concerné tant des dispositifs pris en charge, comme les prothèses de hanche, que des dispositifs non remboursables, comme les prothèses mammaires PIP, ne pensez-vous pas nécessaire de revoir en profondeur la méthodologie des essais cliniques devant déterminer le rapport bénéfices-risques de ces produits ? Si oui, quels principes devraient être retenus pour améliorer le niveau des preuves scientifiques des essais dans l'intérêt du patient ? Quelles instances seraient appelées à s'impliquer dans cette refonte méthodologique ?

Que recommandez-vous pour renforcer les études cliniques sur les dispositifs médicaux les plus critiques et harmoniser les exigences au niveau européen ? Seriez-vous favorable à la création d'un comité d'experts communautaire chargé de superviser les organismes nationaux et de mettre au point une méthodologie indépendante et transparente d'évaluation clinique ?

Existe-t-il un accompagnement spécifique et une surveillance particulière pour les dispositifs innovants à fort bénéfice clinique qui n'ont pu bénéficier d'une évaluation très approfondie ?

Ne serait-il pas bon de faire précéder toute première inscription au titre de la description générique sur la LPPR par une évaluation médico-technique par la CNEDiMTS ? Et rapprocher les missions de cette dernière de celles de la commission de la transparence pour les médicaments ?

Quels sont, enfin, les éléments de l'accord-cadre conclu fin 2011 sur les études post-inscription conduites conjointement par le Ceps et la CNEDiMTS ?

M. Gilles Johanet . - Sur ce tableau retraçant les évolutions sur dix ans, de 2001 à 2010, des remboursements par l'assurance maladie, vous voyez que le taux moyen de remboursement porte sur la part remboursable, non sur le prix réel, ce qui relativise certains pourcentages qui apparaissent élevés, notamment pour les dépenses d'optique. Les prothèses internes ne font pas figure d'exception : une évolution du taux de remboursement de 160 % sur dix ans, dans une fourchette qui va de 102 % pour les pansements, à 270 % pour les appareils respiratoires. Ce qui fait, en revanche, exception, c'est l'évolution de la dépense, nettement supérieure à l'évolution d'ensemble des dépenses d'assurance maladie. Je répète cependant que les lignes ne sont guère comparables d'une année sur l'autre ; les chiffres ne donnent qu'une mesure en volume, pour peu que l'on considère qu'il y a autant d'entrées que de sorties.

Pour l'évaluation du prix, nous prenons en compte trois critères. L'amélioration du service attendu rendu, tout d'abord, que déterminent la HAS et la CNEDiMTS. Nous demandons ensuite - ce qui n'est pas le cas pour le médicament - au fabricant ou à l'importateur de fournir une décomposition du prix de vente, pour apprécier le bien-fondé de sa demande, que nous comparons, enfin, avec les prix pratiqués à l'étranger. La procédure est globalement satisfaisante.

Nous sommes de plus en plus sensibles à la fixation d'un prix limite de vente, pour éviter un reste à charge subreptice aux assurés. D'où l'intérêt que nous portons, en retour, au prix de cession à l'hôpital et à l'officinal, afin d'éviter un grignotage des marges.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - La décomposition du prix vous est-elle un indice pour détecter une éventuelle malfaçon ?

M. Gilles Johanet . - Non, pour faire une distinction, il faudrait que l'Afssaps en fasse une au départ. Pour les prothèses mammaires, la CNEDiMTS avait déclaré qu'elles se valaient toutes. Ce n'était pas l'avis des associations, ni des fabricants, si bien que nous n'avons pu fixer un prix unique, et avons dû renvoyer le dossier à la CNEDiMTS.

Les réévaluations ont lieu tous les cinq ans, sachant que la CNEDiMTS a la faculté de resserrer l'intervalle, comme cela lui est arrivé pour les valves aortiques percutanées qui ont bénéficié d'un saut technologique important. Mais ses moyens sont limités, et la charge de travail que donne la réévaluation d'ensemble de la LPPR est lourde : il reste beaucoup à faire d'ici 2016, terme fixé par la loi de 2004.

Le marquage CE souffre d'une faiblesse préoccupante, dont fait état un article du New England Journal of Medicine paru le 1 er mars, qui compare la procédure aux Etats-Unis et au sein de l'Union européenne. De fait, il n'est pas homogène : certains Etats le délivrent beaucoup plus facilement que d'autres.

La déclaration préalable à l'Afssaps pour les génériques ? Il n'y a pas moyen d'y échapper. La question est plutôt la suivante : à quand un fichier opératoire des génériques, sachant que la masse des dispositifs médicaux évolue beaucoup plus lentement que celle des génériques.

La question des délais d'évaluation, en revanche, soulève un vrai problème, notamment pour les études postérieures à la mise sur le marché. C'est la rançon de progrès très rapides. D'où la priorité à donner à toute mesure susceptible de rendre les études post-AMM plus efficaces et plus rapides.

La prise en charge de la remédiation par l'assurance maladie en cas de défectuosité ? C'est d'abord la responsabilité du fabricant qui est en jeu, même si je conviens qu'elle est parfois difficile à établir. On touche là du doigt une faiblesse du système d'information et de traçabilité.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Mais si le fabricant fait faillite, il faut bien une voie de recours ?

M. Gilles Johanet . - L'assurance maladie prend alors bien évidemment le relais, en dernière instance.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Les fabricants n'ont-ils pas obligation de s'assurer ?

M. Gilles Johanet . - En tout état de cause, l'assurance maladie peut agir par subrogation, mais pas intervenir en lieu et place des responsables. Elle ne peut imposer, alors, le choix d'une marque, tant les dispositifs sont nombreux. J'en veux pour preuve l'article récent du professeur Mimoun dans Le Monde, qui dit n'avoir jamais posé de prothèse PIP et attendre toujours une préconisation de l'Afssaps. Il est d'autant plus difficile pour les autorités de classer les prothèses que les progrès technologiques sont rapides.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Elles peuvent néanmoins analyser la qualité médicale des produits.

M. Gilles Johanet . - Le problème n'est pas tant technique que de capacité d'évaluation au jour le jour. L'article du New England Journal of Medicine sur des défibrillateurs dont je ne sais pas s'ils sont sur le marché français, évoque certains problèmes. Les autorités chargées de l'évaluation ont du mal à suivre.

La méthodologie des essais cliniques est sans doute à revoir. Il faut aussi trouver un équilibre entre les contrôles ex ante et ex post. Une grande partie de l'innovation est le fait de petites entreprises incapables de supporter les frais d'un dossier de demande d'AMM. En ce qui concerne les dispositifs médicaux, il faut arbitrer entre l'encouragement à l'innovation et la prise en compte des risques. Un contrôle ex ante trop exigeant freinerait l'innovation. Lors de son audition par votre mission d'information, M. Maraninchi a suggéré que, comme pour le médicament, un pharmacien responsable soit désigné qui, vu la taille des entreprises, répondrait probablement pour plusieurs d'entre elles : il faudrait voir si les entreprises sont capables de s'organiser pour créer des centres de gestion de pharmaciens responsables. Si le contrôle ex ante doit être mesuré, il faut en revanche renforcer le contrôle ex post. La Commission européenne veut justement harmoniser les tâches des organismes notifiés, imposer une tarification commune et des contrôles inopinés.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Si je comprends bien, il faudrait accepter de prendre un risque pour ne pas brider l'innovation, et préférer le contrôle ex post au contrôle ex ante.

M. Gilles Johanet . - Avec trop de contrôles ex ante, on freinera l'innovation. Ce sera une perte invisible mais néanmoins une perte de chance pour les malades. Il faut donc que les contrôles ex post soient beaucoup plus lourds. A côté des organismes notifiés, l'assurance maladie a aussi un rôle à jouer.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Contrairement à ce qui se passe en Europe, aux Etats-Unis on privilégie l'innovation, quitte à laisser les risques au second plan. Des élus y reprochent parfois aux fonctionnaires d'être trop tatillons... N'y a-t-il pas une voie moyenne ?

M. Gilles Johanet . - Je ne suis pas convaincu qu'en la matière, l'Europe et les Etats-Unis s'opposent comme vous le dites. Les outils dont s'est dotée l'administration - inscription des dispositifs médicaux, carte sanitaire pour les équipements lourds - ont été conçus naguère pour diffuser le progrès plutôt que pour le contrôler. Ils sont devenus inadaptés, depuis que l'on s'inquiète davantage des risques.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - On voit ce que nous coûte notre négligence passée !

M. Gilles Johanet . - Bien sûr. Le domaine des dispositifs médicaux, je l'ai dit, se caractérise par le fait que la balance bénéfices-risques n'y est pas la même que pour les médicaments. M. Maraninchi estime que les petites entreprises n'ont qu'à s'allier avec les plus grosses, et que l'artisanat n'a pas sa place ici. Il est indéniable qu'une restructuration du secteur est indispensable - elle permettrait aussi d'obtenir des gains de productivité et des baisses de prix, dix fois moins rapides aujourd'hui que dans le domaine du médicament - mais cela prendra du temps.

S'agissant des produits fortement innovants, le mieux serait de conclure l'équivalent des contrats de partage de risques pour les médicaments, et de procéder à une réévaluation rapide, pour suivre pas à pas ces produits.

En ce qui concerne l'évaluation médico-économique, le Ceps et la HAS ont récemment lancé une procédure d'avis flash, conforme aux délais réglementaires d'évaluation.

J'en viens à la question des études ex post. Nous avons conclu en décembre un accord-cadre sur les dispositifs médicaux avec fabricants et importateurs. Nous voulions associer étroitement la CNEDiMTS à nos travaux, afin de constituer un guichet commun d'études post-AMM et de rendre le contrôle moins coûteux, plus sûr, plus cohérent et plus rapide - même si nous ne rattraperons peut-être pas le rythme d'obsolescence de certains dispositifs médicaux... Fabricants et importateurs s'en sont félicités.

L'accord-cadre prévoit aussi la mise en place d'un système d'information. Tout reste à faire. Nous allons voir ce qui est utilisable dans les bases de données de l'assurance maladie, ce que l'on peut obtenir des fabricants et importateurs ou acheter sur le marché. Nous n'atteindrons jamais la qualité du système d'information sur les médicaments, mais les marges de progression sont considérables. Enfin, l'accord édicte ou précise les règles relatives au dépôt des données, à l'évaluation, aux auditions, aux procédures contradictoires, aux éventuelles sanctions. Sur vingt-neuf organisations professionnelles ou syndicales, vingt-six l'ont déjà signé. Il faudra cependant le modifier par avenant pour tenir compte des nouvelles règles applicables à la publicité, votées dans le cadre de la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quelle appréciation portez-vous sur les registres existant à l'étranger qui permettent de retracer le parcours de dispositifs médicaux ou de produits à visée esthétique ? Que recommandez-vous pour améliorer la traçabilité des produits cosmétiques injectables ?

M. Gilles Johanet . - Pourquoi se limiter aux produits injectables ?

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - C'est là où l'évolution est la plus sensible, les lacunes de la réglementation les plus évidentes.

M. Gilles Johanet . - Peut-être, mais on vend aussi dans les grandes surfaces des produits de blanchiment des dents qui contiennent des principes actifs... Cela dit, un registre des produits injectables serait certainement très utile. Nous sommes déjà en mesure de suivre la consommation des produits remboursables, qui ont un statut de médicament - hormis leur usage non remboursé. Cela relève de la mission de sécurité sanitaire de l'Afssaps. La technique du registre est d'efficacité décroissante à mesure que le nombre de personnes concernées s'accroît. Le registre est une culture, que nous avons du mal à importer en France. Nous peinons à obtenir des résultats même lorsque ne sont enregistrés que deux cents à deux cent cinquante patients. Comment donc concevoir un registre de dix mille ou vingt mille personnes ?

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je peine à comprendre : vous reconnaissez l'utilité des registres, tout en avouant que les résultats sont maigres... Où placez-vous le curseur ?

M. Gilles Johanet . - Il faut user de plusieurs outils à la fois. Pour ce qui est des prothèses implantables, pourquoi ne pas communiquer au patient le numéro de référence, le code et le nom de l'entreprise ? En cas de rappel, les gens sauraient s'ils sont concernés. Ce serait moins facile pour les produits injectables... On pourrait aussi exiger des laboratoires qu'ils déclarent à l'Afssaps l'évolution de leur production. Mais jusqu'à quel degré de précision aller ?

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Un registre permettrait au moins aux opérateurs de suivre le devenir d'un produit.

M. Gilles Johanet . - Ce serait l'équivalent du tableau des substances vénéneuses.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Un tel registre existe en Australie et en Suède.

M. Gilles Johanet . - L'Australie, c'est loin. La Suède encore plus - si l'on considère la politique de santé publique et la culture épidémiologique. En France, nous ne nous préoccupons de ces questions que depuis une quinzaine d'années. On comprend aisément pourquoi le système de pharmacovigilance ne fonctionne pas : lors des assises du médicament, j'ai entendu des médecins libéraux expliquer que le contrôle n'était pas leur métier ! C'est un problème de formation.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Il faut le rendre obligatoire.

M. Gilles Johanet . - Ça l'est mais ce n'est pas encore intériorisé. Faute d'un registre, une cohorte représentative serait un outil d'alerte plus léger mais très efficace.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Au vu de l'information médicale qui circule sur Internet et les réseaux sociaux, doit-on craindre le développement de trafics illégaux ?

M. Gilles Johanet . - Sans doute, pour les dispositifs médicaux comme pour les médicaments contrefaits.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Pourquoi ne pas créer un site internet qui mette à la disposition du public une information transparente et indépendante, comme l'a fait le gouvernement de l'Etat de Victoria en Australie avec le Better Health Channel ?

M. Gilles Johanet . - Nous pourrions nous rapprocher d'un tel système, pour responsabiliser les consommateurs. Ce ne serait pas très coûteux. Il existe déjà une banque de données européenne, nommée Eudamed, qui recense les fabricants, les produits et les événements indésirables, mais elle n'est pas accessible aux particuliers. Peut-être faut-il en élargir l'accès, pour faire prendre conscience aux patients des risques qu'ils prennent en agissant seuls.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Voyez-vous quelque chose à ajouter en ce qui concerne les produits à visée esthétique ?

M. Gilles Johanet . - Non, les outils seraient les mêmes.

Mme Marie-Thérèse Bruguière . - Si un dispositif implanté se révèle défectueux, son ablation et l'implantation d'un nouveau dispositif sont-ils pris en charge par l'assurance maladie ?

M. Gilles Johanet . - Oui, mais la vertu exige que les fabricants en assument les frais à mesure de leur responsabilité. L'assurance maladie n'acquitte que le solde. En général les fabricants obtempèrent, sachant que, s'ils ne paient pas, l'administration considérera avec moins d'aménité le développement ultérieur de leurs activités...

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Ils pourraient arguer que le produit a été certifié et qu'il était impossible de prévoir les complications dix ou vingt ans à l'avance.

M. Gilles Johanet . - Mais un fabricant ne peut se permettre de fâcher l'administration, qui est chargée d'autoriser ou non la mise sur le marché de ses nouveaux produits.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Certaines entreprises disparaissent : c'est le cas de PIP.

M. Gilles Johanet . - La plupart du temps, les entreprises sont rachetées. En revanche, une rupture de gamme est possible : on se retrouve alors avec un défibrillateur et une console inadaptés.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Une conclusion ?

M. Gilles Johanet . - Si l'on veut les bénéfices de l'innovation, il faut accepter une part de risque, ce à quoi nous ne sommes pas bien préparés.

Audition de M. Xavier BERTRAND, ministre du travail, de l'emploi et de la santé (mercredi 7 mars 2012)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Merci, monsieur le ministre, d'avoir répondu à notre invitation. Notre mission d'information, qui porte sur les dispositifs médicaux et les interventions à visée esthétique, doit rendre ses conclusions à la mi-juillet. Lors du scandale du Mediator, le Sénat s'était inquiété de l'éventualité d'un prochain scandale touchant les dispositifs médicaux. L'histoire, hélas, lui a donné raison.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé . - La loi « Mediator , relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé concerne aussi les dispositifs médicaux, et le scandale des prothèses PIP, s'il a éclaté depuis son entrée en vigueur, porte sur des faits antérieurs, tout comme celui des prothèses de hanche récemment révélé par Le Figaro.

Mais il faut aller plus loin. Nora Berra et moi-même avons demandé en décembre que l'explantation des prothèses PIP soit proposée à toutes les femmes concernées, même sans signe clinique de détérioration, à titre préventif et sans caractère d'urgence. M. Jean Claude Mas me l'a reproché... Certains de mes homologues européens s'en sont aussi étonnés, mais il fallait tenir compte du risque de rupture et du pouvoir irritant du gel, ainsi que de la dimension psychologique de ce dossier. J'estime que cette décision s'imposait devant le nombre de cas de ruptures. Notons cependant que, selon l'avis rendu fin décembre par l'Institut national du cancer, il n'existe pas de risque accru de lymphome. Le comité de suivi national a fait le point le 6 février sur l'organisation des soins ; le prochain aura lieu le 14 mars ; la collaboration est excellente, et je salue l'esprit de responsabilité des professionnels de santé dans la détermination de leurs honoraires - mais je ne me contenterai pas de déclarations d'intention. Nous n'avons pas connaissance à ce jour de tensions dans l'organisation des soins. La gestion des rendez-vous pour les consultations est satisfaisante, et des explantations sans caractère d'urgence ont été programmées ; certaines auront lieu dans les prochaines semaines.

Nous avons pris connaissance en février du rapport de la Direction générale de la santé (DGS) et de l'Afssaps. Il en ressort que l'explantation est nécessaire, et que l'on a affaire à une tromperie de grande ampleur qui a ahuri les autorités sanitaires et les professionnels de santé, et dont les premières victimes sont les femmes. Ce scandale illustre les faiblesses du système de contrôle et de vigilance qui prévalait avant la loi « Mediator » de décembre 2011.

Pour garantir la sécurité d'emploi des dispositifs médicaux, un contrôle rigoureux est nécessaire, depuis l'autorisation de mise sur le marché jusqu'au suivi clinique des patients. Au plan national, les systèmes d'inspection et de matériovigilance doivent être renforcés ; l'Afssaps doit disposer de contrôleurs plus nombreux, procéder à des contrôles plus fréquents et plus efficaces. Au plan européen, il faut revoir la directive 93/42/CEE en ce qui concerne les données fournies par les fabricants, l'évaluation antérieure à la mise sur le marché, les contrôles chez les fabricants et dans les établissements d'implantation, le partage de l'information entre les autorités, le fonctionnement des organismes qui délivrent des certifications. Avec mes homologues belge, autrichien, luxembourgeois, slovène et letton, j'ai écrit en ce sens au commissaire John Dalli.

Nora Berra et moi-même avons également demandé à l'Afssaps la liste des dispositifs médicaux implantables à risque et le programme d'inspections pour 2012. Nous avons demandé à la DGS et à l'Afssaps de faire des propositions de refonte du système de vigilance, avec l'aval de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) : tout incident doit être déclaré et le lanceur d'alerte doit se sentir protégé. Nous attendons d'ici deux mois un rapport sur l'état des lieux et les perspectives d'utilisation des prothèses mammaires en silicone, dix ans après la levée du moratoire en France.

Nous avons tous pour rôle d'assurer la sécurité sanitaire des Français, et votre mission d'information peut apporter une contribution essentielle à nos réflexions. C'est pourquoi j'aimerais en savoir plus sur votre calendrier.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Une mission d'information est normalement constituée pour six mois, mais le mois d'août n'étant pas le bon moment pour rendre notre rapport, nous prévoyons d'en avoir fini avant le 14 juillet.

M. Xavier Bertrand, ministre . - J'espère que nous nous reverrons d'ici là, pour que je vous fasse part des mesures réglementaires que je compte prendre.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Très volontiers.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Pourquoi l'Union européenne n'a-t-elle pas adopté une procédure d'autorisation de mise sur le marché des dispositifs invasifs les plus risqués, comme c'est le cas aux Etats-Unis notamment pour les implants mammaires ? Comment expliquez-vous que le système de contrôle et d'évaluation clinique soit plus rigoureux outre-Atlantique ?

M. Xavier Bertrand, ministre . - Je ne saurais répondre au nom des autorités européennes, n'étant pas moi-même satisfait des règles en vigueur. Le contrôle des médicaments a longtemps été insuffisant, pour les dispositifs médicaux ; comme on dit en bon patois picard, c'était un no man's land. On peut tenter de l'expliquer. Tout d'abord, ces produits sont nombreux et variés  même si l'on se limite aux dispositifs invasifs, le champ reste beaucoup plus large que celui des médicaments. Le rapport publié par l'Igas en novembre 2010 sur l'évolution et la maîtrise des dépenses relatives aux dispositifs médicaux recensait pas moins de 800 000 produits ! En outre, la plupart des pays étaient dénués de toute expertise en matière d'évaluation, ce qui interdisait la mise en place d'un régime même partiel d'autorisation. Enfin, la place des dispositifs thérapeutiques invasifs ou implantables s'est considérablement accrue ces dernières années.

Sous l'impulsion de la France, la directive a été modifiée une première fois pour revoir les règles de l'évaluation clinique, mais cette réforme n'est entrée en vigueur qu'en mars 2010. Elle reste d'ailleurs très insuffisante, en raison de l'organisation très déconcentrée de la certification de conformité, de son opacité et des limites du contrôle a posteriori. Il faut aller vers une AMM explicite.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Semblable à celle des médicaments ?

M. Xavier Bertrand, ministre . - Oui, du moins pour les dispositifs les plus risqués. N'est-il pas légitime qu'une valve cardiaque soit soumise au même contrôle qu'un médicament ?

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous seriez donc favorable à une AMM délivrée par une autorité nationale ou européenne, et au renforcement du contrôle des organismes notifiés ?

M. Xavier Bertrand, ministre . - Oui en ce qui concerne les produits de classe III, ceux qui font courir le plus de risques car ils restent plusieurs années dans le corps humain. L'autorisation doit être délivrée par une structure indépendante et fondée sur une évaluation collégiale, reposant sur des données cliniques comparatives, contradictoires et vérifiables. Il faut aussi mettre en place une structure de coopération permanente entre les autorités compétentes. C'est ce qui a fait défaut dans le cas du Mediator. L'organisme chargé de délivrer l'AMM pourrait être soit l'Agence européenne du médicament - ce qui aurait le mérite de la simplicité, mais le contrôle des médicaments a ses caractéristiques propres - ou une commission ad hoc placée auprès de la Commission européenne. Il faut plus d'Europe, mais je ne veux pas d'une Europe qui me laisse pieds et poings liés et qui m'empêche de mener des contrôles complémentaires au niveau national : de même, si l'AMM des médicaments est délivrée au niveau européen, j'ai changé les règles relatives au remboursement pour ne pas dépendre exclusivement des décisions européennes.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Comment faire pour qu'un contrôle plus strict ne bride pas l'innovation ? Quid de la contradiction entre innovation et risque ?

M. Xavier Bertrand, ministre . - Je n'ai pas coutume de vous entendre poser ce genre de question !

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - En tant que rapporteur, je dois vous interroger sur tous les aspects du problème. Cela ne fait pas de moi un défenseur des fabricants.

M. Xavier Bertrand, ministre . - Soit. Je ne vois pour ma part aucune contradiction entre innovation et risque. Qu'est-ce qu'un produit innovant qui mettrait en danger la vie ou la santé humaine ? D'ailleurs, je ne veux pas que l'on arbitre entre ces deux impératifs au détriment des patients. En renforçant les contrôles, on renforce aussi l'image du fabricant.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Les exigences de matériovigilance inscrites dans les directives de 1990 et 1993 sont-elles correctement transposées en droit français ? Existe-t-il en France et dans les autres Etats membres une base de données centralisée et opérationnelle permettant aux praticiens et aux patients de notifier aux autorités compétentes tout dysfonctionnement observé sur des dispositifs médicaux ? Comment se fait-il que la base de données européenne prévue par l'article 14 bis de la directive de 1993 n'ait pas été créée ?

M. Xavier Bertrand, ministre . - Le droit français, en la matière, est plus exigeant que le droit européen. Celui-ci ne fait pas obligation aux professionnels de santé de signaler les dysfonctionnements ; en France, il existe un système de matériovigilance. La directive n'impose aucun délai de déclaration, alors que le code de la santé publique impose de déclarer tout problème « sans délai ». La notion d'incident est comprise en un sens très étroit dans la directive ; c'est tout le contraire en droit français.

La directive n'impose pas non plus la création d'une base de données regroupant les déclarations des praticiens et des patients. Elle exige seulement que les Etats prennent des mesures pour que tous les incidents et rappels soient enregistrés et évalués de manière centralisée. Malgré cela, la sous-notification est manifeste ; comme je l'ai dit, j'ai demandé à la DGS et à l'Afssaps de réfléchir à la refonte de notre système de vigilance. En 2011, l'Afssaps a reçu 11 697 signalements, qui ont été évalués en fonction de leur criticité, c'est-à-dire de leur gravité et de leur fréquence.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Seriez-vous favorable à la création d'un registre des dispositifs de classe III, comme il en existe en Australie et dans certains pays nordiques, pour suivre ces produits au niveau des professionnels et des patients ? Il y a des choses que l'on ne sait pas lors de la mise sur le marché, ne serait-ce que parce qu'une étude clinique préalable porte sur un nombre de personnes plus faible que les patients concernés par la suite.

M. Xavier Bertrand, ministre . - Oui. Il faut aussi associer les sociétés savantes.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Ce registre devrait-il être organisé par produit - ce qui serait limitatif - ou par groupe de produits ?

M. Xavier Bertrand, ministre . - L'un ou l'autre pourrait convenir. J'ai demandé à l'Afssaps de faire des propositions. Le système doit être rationnel au plan scientifique et médical.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Les contrôles inopinés sont-ils assez fréquents ?

M. Xavier Bertrand, ministre . - Non, je suis le premier à le dire. Mais dans le cas des prothèses PIP, nous avons eu affaire à un escroc qui montrait aux contrôleurs des produits conformes à la réglementation, et qui en vendait d'autres issus d'une autre chaîne de fabrication. Il faut donc rivaliser d'ingéniosité avec les fabricants malhonnêtes, et procéder aussi à des contrôles sur les sites d'implantation.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Avons-nous les moyens de multiplier les contrôles ? J'ai cru comprendre qu'il n'y avait que cinq contrôleurs.

M. Xavier Bertrand, ministre . - Il y en a dix, il en faut davantage. On peut envisager de faire appel au corps d'agents des agences régionales de santé (ARS). Quoi qu'il en soit, il faut procéder à des contrôles vraiment inopinés, jusque dans les lieux d'implantation, en les renouvelant fréquemment pour certains produits.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Estimez-vous qu'il faille systématiser les enquêtes cliniques périodiques après la mise sur le marché d'un dispositif médical critique de classe III ?

M. Xavier Bertrand, ministre . - Oui.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Faut-il conditionner le renouvellement des certifications de conformité à la publication périodique d'essais cliniques ?

M. Xavier Bertrand, ministre . - Oui.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Pour tous les dispositifs médicaux, ou seulement pour ceux qui sont inscrits sur la liste ?

M. Xavier Bertrand, ministre . - Pour les dispositifs inscrits, dans un premier temps. Mais le mieux serait ensuite de généraliser ces règles. N'oublions pas que nous venons de loin. Dorénavant, les dispositifs médicaux doivent être considérés comme des produits de santé à part entière, soumis à un contrôle aussi rigoureux que les médicaments.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - D'un pays à l'autre, les instances chargées du contrôle communiquent-elles assez ? N'est-il pas surprenant que des prothèses de hanche défectueuses aient continué à être commercialisées en France alors que des anomalies avaient été constatées aux Etats-Unis et en Australie depuis 2007 ?

M. Xavier Bertrand, ministre . - A quoi pensez-vous ? Les prothèses dont il était question dans le premier article du Figaro ont été retirées du marché français en juillet 2010. Deux jours seulement après que l'alerte a été donnée, l'agence française proposait un nouveau protocole de surveillance pour les 380 patients concernés. A leur égard, j'ai demandé que le suivi soit le plus fin possible ; les médecins avaient pris contact pendant l'été avec les patients, mais il fallait s'assurer que ceux-ci avaient effectivement été informés. Quant aux autres prothèses en métal, un autre article a évoqué des risques mesurés ; les soixante dix mille porteurs doivent se rassurer.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Les Australiens, grâce à leur registre, sont les premiers à avoir détecté ce problème.

J'en viens à l'encadrement des interventions à visée esthétique. Combien y a-t-il en France d'installations de chirurgie esthétique ayant bénéficié d'une accréditation délivrée par le directeur général de l'agence régionale de santé ?

M. Xavier Bertrand, ministre . - Une enquête de la Direction de la recherche, de l'évaluation, des études et des statistiques (Drees) est en cours à la suite de l'instruction du 9 février. J'attends ses résultats courant mars.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Combien d'accréditations n'ont pas été renouvelées au terme de la période initiale de cinq ans ?

M. Xavier Bertrand, ministre . - Je dois vous faire la même réponse. La chirurgie esthétique est en plein développement. Comme tous les domaines qui concernent la santé humaine, celui-ci doit être soumis à un contrôle rigoureux, afin que nous ne soyons pas rattrapés plus tard par un scandale. Le « laisser-faire » ne saurait prévaloir.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - L'interdiction de la publicité en faveur des installations de chirurgie esthétique est-elle respectée en France ?

M. Xavier Bertrand, ministre . - Il existe des contrôles et un appareil de sanctions. Il n'y a pas de publicité à la télévision ou à la radio ; le risque concerne plutôt les nouveaux supports de communication, en particulier Internet.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Ou des publications spécialisées.

M. Xavier Bertrand, ministre . - Il faut donc renforcer la réglementation, surveiller les insertions sur Internet, les pseudo-sites techniques, les sites d'information des établissements ou d'offres commerciales, les avis de prétendus clients. Longtemps, les ARS n'ont pas été équipées pour assurer une surveillance systématique d'Internet. Nous y travaillons. Il faut aussi prendre garde aux journaux gratuits, à la presse hebdomadaire. Les sanctions existent, et peuvent aller jusqu'au retrait d'autorisation. L'Ordre des médecins a aussi son rôle à jouer.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - J'ai toujours été circonspect à cet égard...

Le problème est réel : on m'a dit qu'aux Etats-Unis, on avait plus de chances de mourir d'une liposuccion que d'un accident de la route.

M. Xavier Bertrand, ministre . - Il existe même là-bas une série télévisée consacrée à ce sujet... Dans ce domaine, les Etats-Unis ne sont pas un modèle.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quelle est la réglementation applicable aux actes de médecine esthétique - injection de produits de comblement, de toxine botulique, utilisation du laser, blanchiment des dents, etc. ? On vend des appareils à lumière pulsée jusque dans les magasins d'électroménager et les « bars à sourire » se développent... Ne faudrait-il pas mieux encadrer ces pratiques et obliger les médecins à les déclarer ? Faut-il mieux réglementer la publicité ?

M. Xavier Bertrand, ministre . - Sans doute, mais notre volonté de réglementer se heurte à la résistance des intéressés. Le décret d'avril 2011 sur la lipolyse a été suspendu le 17 juin 2011 par le Conseil d'Etat pour des raisons de forme. La décision sur le fond a été rendue le 17 février. L'article 1 er a été rétabli : les techniques de lyse adipocytaire invasives, considérées comme présentant un risque grave pour la santé humaine, demeurent donc interdites. Mais l'article 2, relatif aux techniques non invasives, a été annulé, le Conseil estimant que leur dangerosité n'était pas prouvée. Voyez avec quelle minutie les textes réglementaires doivent être rédigés ! Toutefois, les études que j'ai demandées à la HAS devraient permettre d'ici la fin du premier semestre de publier un nouveau décret sur les techniques non invasives.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Ne faut-il pas donner à l'Afssaps une compétence explicite pour contrôler les produits cosmétiques injectables et les dispositifs à visée esthétique ?

M. Xavier Bertrand, ministre . - Ne laissons pas croire que rien n'est fait. Tout d'abord, les produits cosmétiques ne s'injectent pas. Ensuite, ils entrent déjà dans le champ de compétences de l'Afssaps. Les dispositifs esthétiques sont souvent des dispositifs médicaux, sur lesquels l'Agence est compétente. Elle a d'ailleurs mené récemment une campagne d'inspection chez les fabricants de produits de comblement de rides. Cette compétence pourrait en effet lui être explicitement confiée. J'ajoute que tous les professionnels de santé ont l'obligation de signaler tout problème grave portant sur un dispositif médical.

Encore faut-il éviter l'éparpillement des données. J'y insiste : les sociétés savantes ont un rôle à jouer pour relayer les messages de sensibilisation, les mesures et les recommandations. Des consultations sont en cours avec elles sur une fiche de signalement portant spécifiquement sur les dispositifs de comblement de rides.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - La réglementation est indispensable. Au nom de la liberté du commerce, on ne peut pas laisser injecter de l'oxygène pur pour lutter contre les effets de l'âge.

M. Xavier Bertrand, ministre . - Ces produits sont à la frontière entre deux systèmes de protection, c'est là la difficulté.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Dans l'expression « médecine esthétique », il y a le mot « médecine ».

M. Xavier Bertrand, ministre . - La loi HPST renforçait les règles. Que ne l'avez-vous votée ?

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Elle était insuffisante, et les mesures d'application prévues manquaient de précision.

M. Xavier Bertrand, ministre . - Errare humanum est...

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Envisage-t-on de créer un site Internet pour fournir au public une information transparente et indépendante sur les dispositifs médicaux et les actes à visée esthétique, comme l'a fait le gouvernement de l'Etat de Victoria en Australie ?

M. Xavier Bertrand, ministre . - Je ne connais pas le modèle australien aussi bien que vous. Cela étant, je suis favorable à la création d'un site Internet sur les dispositifs médicaux. Pour tout ce qui concerne la médecine esthétique, nous ne le ferons peut-être pas dans un premier temps, mais nous ne pourrons rester sans rien faire. Nos concitoyens veulent être informés. Faute de site institutionnel, ils consulteront des sites privés où l'information n'est pas toujours fiable. Puisqu'il s'agit d'un problème de santé publique, il faut une base de données publique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Faut-il renforcer les règles relatives aux relations et liens d'intérêts entre les professionnels de santé d'un côté, les fabricants et distributeurs de dispositifs médicaux de l'autre ?

M. Xavier Bertrand, ministre . - C'est déjà fait, grâce à la loi Mediator que vous n'avez pas non plus votée.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - J'en ai voté certains articles.

M. Xavier Bertrand, ministre . - Les liens d'intérêts sont pris en compte dès le premier euro en ce qui concerne tous les produits de santé, médicaments ou dispositifs médicaux. Je vous remercie d'avoir fait référence aux « liens d'intérêts » plutôt qu'aux « conflits d'intérêts ». Peut-être vous ai-je convaincu...

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Les liens d'intérêts occasionnent souvent des conflits d'intérêts, mais passons...

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je reviens sur l'arbitrage entre innovation et sécurité. Il semble que les petites entreprises, qui sont à l'origine des innovations les plus remarquables dans le domaine des dispositifs médicaux, n'aient pas les moyens de procéder elles-mêmes à un contrôle ex ante poussé. Et un contrôle ex post ne peut suivre le rythme de l'innovation. Qu'en pensez-vous ?

M. Xavier Bertrand, ministre . - Il n'y a pas d'alternative entre ex ante et ex post, on peut aussi concevoir un contrôle quasi permanent. Quant à l'évaluation ex ante, les entreprises qui n'ont pas les reins assez solides n'ont rien à faire sur le marché. Les dispositifs médicaux sont des produits de santé, qui doivent être contrôlés comme les médicaments. Peut-être y aura-t-il à l'avenir moins d'argent à gagner dans le secteur... L'article L. 165-1-1 du code de la sécurité sociale impose des règles claires.

Les secteurs public et privé ont intérêt à collaborer. Grâce à une sorte de fonds stratégique d'investissement pour les dispositifs médicaux, il serait possible de développer une industrie française dans ce domaine. Toute considération économique mise à part, cela améliorerait la traçabilité des produits. Une mission à ce sujet a été confiée à M. Jacques Lewiner, j'attends ses conclusions dans quelques semaines.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Quelques auditions nous ont alertés sur l'ampleur du phénomène et le manque de données quant au nombre de personnes concernées, au reste considérées davantage, dans le domaine esthétique, comme des clients que comme des patients. Je devrais d'ailleurs le dire plutôt au féminin.

M. Xavier Bertrand, ministre . - Ces dossiers ont fait la une des médias, mais cela ne veut pas dire pour autant que le système, tel que le Mediator nous a amenés, à le transformer ne fonctionne pas. Il est vrai que l'on a longtemps manqué de systèmes de vigilance sur les dispositifs médicaux. Il nous faut non seulement rattraper le retard, mais prendre de l'avance. Tout cela touche, au fond, à la santé puisqu'il s'agit bien de dispositifs implantés dans le corps des patients. Nous avons tous intérêt à un meilleur contrôle, y compris les fabricants car la sécurité est un bon atout pour l'exportation.

L'expérience PIP est celle d'une présomption de fraude caractérisée. L'entrepreneur n'est d'ailleurs pas sorti sous caution : il est en prison, et je ne le plains pas. Il faut que la Justice passe. Dans l'affaire du Mediator, vous allez voir que le jugement aura lieu très bientôt.

Il reste que notre système de contrôle et d'inspection doit changer. J'aimerais que nous revenions devant vous, dans les semaines qui viennent, pour éviter de vous laisser tirer, comme dans l'affaire du Mediator, des conclusions décalées au regard des mesures opérationnelles décidées.

L'esthétique n'est pas seulement une question de santé mais de société : elle engage l'image de soi, à tout âge. Chacun est en droit d'accéder à une information fiable, pour prendre des décisions éclairées. La logique est la même que pour les dispositifs médicaux, on doit donc viser la même cohérence.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous vous donnons donc rendez-vous le mois prochain.

Audition de MM. Jean-Luc HAROUSSEAU, président de la Haute Autorité de santé (HAS), et Jean-Michel DUBERNARD, président de la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS) (mardi 13 mars 2012)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous avons le plaisir d'accueillir le président de la Haute Autorité de santé (HAS) et le président de la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS).

Cette mission commune d'information fait suite au scandale des prothèses PIP. L'affaire touche un dispositif médical, ce que le Sénat avait largement anticipé lors de ses débats sur le Mediator et la réforme de la sécurité sanitaire du médicament.

Nous avons élargi notre enquête à tous les produits de santé implantables, qu'ils soient utilisés ou non à des fins esthétiques, pour nous pencher sur la notion de risque acceptable et le régime d'autorisation des produits. De fait, si l'innovation apporte des avancées thérapeutiques, et Le Figaro évoquait la semaine dernière des lentilles pour diabétiques comme futur moyen de lecture de la glycémie, elle doit être encadrée pour garantir la sécurité des personnes.

M. Jean-Luc Harousseau, président de la HAS . - J'ai demandé au professeur Dubernard de m'accompagner car la CNEDiMTS est autonome au sein de la HAS. On y discute des dispositifs innovants et, c'est logique, des actes chirurgicaux qui leur sont liés. Sa mission, à ne pas confondre avec celle de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), la structure qui remplacera l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), consiste à évaluer les produits de santé dans le but de leur inscription sur la liste des produits et prestations remboursables. Elle apporte également une aide à la fixation des prix. C'est dans ce cadre qu'elle est amenée à débattre des risques potentiels d'un dispositif. Elle n'a cependant pas vocation à mener ce travail sur tous les dispositifs, loin s'en faut : son action se limite aux produits remboursables, c'est-à-dire en ambulatoire, les usages hospitaliers étant pris en charge par les groupes homogènes de séjour (GHS). Jusqu'à la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, la CNEDiMTS ne les évaluait pas. Celle-ci raisonne dans le cadre d'une stratégie thérapeutique suivant les deux grandes modalités d'inscription sur la liste des produits et prestations remboursables, les dispositifs génériques réévalués...

M. Jean-Michel Dubernard, président de la CNEDiMTS . - ... tous les trois à cinq ans...

M. Jean-Luc Harousseau . - ... et les marques.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Les incidents relatifs à la sécurité de dispositifs médicaux implantables, qui se sont répétés ces derniers temps, auraient-ils pu être détectés plus tôt, voire évités ? Quels enseignements en tirer pour l'avenir ? En particulier, qu'en est-il des conditions dans lesquelles sont réalisés les essais cliniques ? D'après vous, faut-il prévoir une autre régulation pour les prêts de matériels aux praticiens ?

M. Jean-Luc Harousseau . - Le professeur Dubernard, en plein drame du Mediator, m'avait annoncé que le prochain scandale serait lié aux dispositifs médicaux. D'ailleurs, il n'était pas le seul à le penser. En outre, très vite après mon arrivée en février dernier, la HAS a fait l'objet d'une enquête de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur les contrôles internes, et plus particulièrement sur la certification des établissements de santé, l'accréditation des professionnels exerçant dans les spécialités à haut risque et l'évaluation des dispositifs médicaux. Sa conclusion était que le système actuel comportait une part de risque.

Attention à ne pas faire de rapprochements hasardeux entre les différentes affaires récentes. Dans le cas des prothèses PIP, un industriel a fraudé dans le désir de gagner de l'argent. La situation est tout à fait différente de celle des prothèses métal-métal DePuy qui, à long terme, se sont révélées déficientes.

Il existe seulement un marquage CE pour les dispositifs médicaux. Fondé exclusivement sur les caractéristiques techniques, il empêche une approche en termes de bénéfices-risques. Le ministre de la santé travaille actuellement à obtenir davantage au niveau européen. Les essais cliniques, que la directive 2007/47/CE encourage pour les dispositifs de classe III, se mettent en place lentement, les produits étant souvent fabriqués par des toutes petites entreprises pour des publics très ciblés.

M. Jean-Michel Dubernard . - Il y a pas moins de 4 000 classes de dispositifs médicaux qui représentent, selon les spécialistes, 160 000 à 800 000 références, des pansements aux valves cardiaques ; impossible, dans ces conditions, de demander des essais cliniques pour tous !

Il faut penser autrement les dispositifs médicaux, qui sont un monde à part de celui du médicament. Au niveau national, et je parle sous le contrôle de Mme Génisson qui a travaillé sur le sujet à l'Assemblée nationale, la réflexion doit porter sur la structure des autorités sanitaires. La Grande-Bretagne a réduit le nombre de ses agences de santé de vingt et un à neuf, avec une économie de fonctionnement de 45 %. C'est le gouvernement de M. Cameron qui a appliqué cette réforme conçue par les travaillistes, preuve que le sujet n'est pas politique. Nous devrions peut-être nous inspirer de cet exemple.

A l'échelon européen, le besoin de construire des coopérations est évident pour les dispositifs médicaux, ce qui est peut-être moins le cas pour les médicaments. Pourquoi ? Parce que les implants rétiniens, dont José-Alain Sahel est un pionnier aux Quinze-Vingts, les stents pour les ruptures d'anévrisme, ou les prothèses de cheville concernent un très petit nombre de patients. Avec des coopérations, qui peuvent partir de la base, nous pouvons leur fournir des réponses plus rapides. J'y travaille depuis quatre ans. L'autre question est celle de la restructuration du système européen, qui repose sur le marquage CE et les organismes notifiés. Pourrait-on élargir le champ d'action de l'Agence européenne du médicament (EMA) ? C'est le problème des politiques avant d'être celui des technocrates européens.

M. Jean-Luc Harousseau . - La solution, pour éviter ces scandales, est de renforcer l'Afssaps afin de mieux détecter les signes de faiblesse dans le système de matériovigilance.

Même quand les essais cliniques sont complexes, les grandes firmes ont les moyens de les lancer. En outre, il existe, en France, un programme de soutien aux techniques innovantes coûteuses, le PSTIC, financé par la Direction générale de l'offre de soins (DGOS). Grâce à un protocole établi préalablement, il permet de tester les nouvelles technologies contre le standard existant et d'évaluer leur efficience. Seul problème, les délais. Or les patients ne peuvent pas attendre, ils ont besoin de l'innovation. Condition imposée pour leur remboursement par l'assurance maladie, une étude de registre sur trois mille cas a été réalisée et a permis d'évaluer, sur trois ans, l'intérêt et les risques potentiels des nouvelles valves cardiaques aortiques transcutanées. C'est un exemple de mise à disposition immédiate bien encadrée.

M. Jean-Michel Dubernard . - Dès mon arrivée à la CNEDiMTS, j'ai pris conscience du besoin d'accompagner petites et moyennes entreprises (PME) et chercheurs pour mener des essais cliniques. D'où ma volonté de mettre en place des plates-formes d'accompagnement, avec le soutien des ministères de la recherche et de l'industrie, à Lyon, Marseille et Paris. Malheureusement, les PME continuent à recourir plutôt à des consultants privés, parfois peu compétents, et qui cherchent seulement à exploiter les possibilités financières de leurs produits.

Autre piste, la réduction des guichets uniques. Depuis que j'ai supprimé celui de la HAS, il en reste deux : à l'Afssaps et au ministère de la santé. Au législateur de rationaliser cette organisation ; il faudrait un seul guichet unique avec des relais locaux.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Comment renforcer l'évaluation médico-technique des dispositifs médicaux par la CNEDiMTS ? Seriez-vous favorable au rapprochement de la CNEDiMTS et de la commission de la transparence pour les médicaments ? Comment la HAS évalue-t-elle la sécurité et l'efficacité des dispositifs médicaux remboursés ? Quelle est la fréquence des contrôles ? Un point sur lequel le Sénat s'est beaucoup interrogé, ces contrôles sont-ils aléatoires ? Enfin, comment le retour d'expérience des défaillances constatées au sein des établissements de santé s'effectue-t-il ?

M. Jean-Luc Harousseau . - L'évaluation médico-technique de la CNEDiMTS repose sur le rapport bénéfices-risques en termes de guérison ou de réduction d'un handicap par comparaison avec les stratégies thérapeutiques existantes. Autrement dit, l'évaluation est conduite au regard d'autres dispositifs médicaux, mais aussi d'un acte chirurgical. Nous disposons de deux indicateurs. Premièrement, le service médical attendu (SMA). S'il est suffisant, le dispositif est inscrit au registre des produits et prestations remboursables. Deuxièmement, l'amélioration du service médical rendu, qui aide le Comité économique des produits de santé (Ceps) à fixer un prix. Il me semble que ce système fonctionne. La difficulté, nous l'avons dit, tient essentiellement au manque d'essais cliniques de qualité. Il faudrait inciter, plus que ne le fait la directive de 2007, les industriels à lancer des études.

Le rapprochement de la CNEDiMTS et de la commission de la transparence ? Je n'y suis pas favorable. Chacune d'entre elles s'appuie sur une compétence spécifique et toutes deux ont déjà beaucoup de travail. Ensuite, qui dit dispositif médical, dit acte chirurgical. De là, l'intérêt de leur évaluation simultanée au sein de la HAS, et de coopérations avec l'Afssaps en matière de matériovigilance afin que cette dernière invite la CNEDiMTS à revoir une marque ou une description générique complète.

Nous avons, pour l'instant, peu de retours d'expériences sur les dispositifs médicaux au sein des établissements de santé, hormis dans le cas des dispositifs médicaux très innovants, en attendant que soit mise en route l'extension de nos responsabilités prévue par la loi de décembre 2011 sur un certain nombre de dispositifs médicaux compris dans l'intra-GHS.

M. Jean-Michel Dubernard . - Je suis tout à fait d'accord avec cette analyse : si la qualité de notre travail est satisfaisante, il faudrait systématiser les études après l'inscription au registre ou, du moins, les multiplier, même si ce point de vue n'est pas forcément partagé au sein des services de la HAS, car l'augmentation de la quantité de travail pourrait nuire à la qualité de celui-ci.

Ma position est identique à celle du professeur Harousseau sur un éventuel rapprochement avec la commission de la transparence. À ce propos, une question taraude depuis longtemps le transplantologiste que je suis. Les produits issus du corps humain sont considérés comme des médicaments. L'ingénierie tissulaire consistant, par exemple, à fabriquer un poumon à partir d'une matrice prélevée sur un cadavre doit-elle être considérée comme telle, et relever de l'Afssaps ou bien de l'agence de la biomédecine ? La fabrication d'organes étant amenée à se développer rapidement, cela pose problème.

On confond trop souvent le rôle de la HAS avec celui de l'Afssaps. Nous évaluons le bénéfice-risque ; eux, le risque-bénéfice. Nos missions sont très proches, ce qui explique le besoin de monter une cellule de coopération. Reste que la matériovigilance est du ressort de l'Afssaps. Ne peut-on aller plus loin ? Jean-Pierre Door parlait récemment, dans Le Quotidien du médecin, de confier à celle-ci un rôle de véritable police sanitaire. Je suis pour : nous distinguerions ainsi les deux fonctions de sanction et d'évaluation du risque. En fait, nous avons deux options : créer un mastodonte comme la Food and Drug Administration (FDA), ce qui était l'orientation poursuivie jusque-là, ou renforcer le rôle de l'Afssaps, direction qu'a prise le législateur dans la loi de décembre 2011 en lui confiant l'évaluation du rapport bénéfices-risques. Avec ces évolutions, nous ne savons plus très bien où nous en sommes.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Quel est votre avis sur la qualité de l'information médicale ? Comment la HAS s'assure-t-elle de la connaissance de la réglementation et de son application effective dans le cadre des visites de certification ? La gestion des dispositifs médicaux implantables fait-elle fréquemment l'objet de réserves ou de recommandations ? Dans quelle catégorie d'hôpitaux et dans quelles spécialités ? Une fois l'alerte donnée, comment diffusez-vous l'information aux acteurs ? Certaines de ces questions sont, sans doute, hors de votre champ.

M. Jean-Luc Harousseau . - De fait, l'alerte et le retrait ne nous concernent pas. La HAS peut simplement demander le déremboursement. L'information médicale diffère pour les dispositifs médicaux et l'acte qui les accompagne, et pour les médicaments. Dans le cas du Mediator, l'information délivrée par l'industriel a conduit à un mésusage du médicament. En revanche, le risque est limité pour les dispositifs qui sont utilisés par des spécialistes.

Ces derniers temps, la HAS a beaucoup travaillé sur les codes de bonnes pratiques, que nous élaborons de plus en plus avec les professionnels. Le problème auquel nous sommes confrontés est celui des conflits d'intérêts, aussi bien avec des firmes qu'entre professionnels. Le point de vue des cardiologues interventionnels n'est pas forcément celui des chirurgiens thoraciques à propos des nouvelles technologies de pose de valve.

Comment nous assurons-nous de la connaissance de la réglementation ? L'accréditation des professionnels exerçant dans les spécialités à haut risque - chirurgiens, obstétriciens, anesthésistes - est une procédure sur laquelle nous pouvons agir pour obtenir le respect des règles. Concernant l'acte plutôt que le dispositif lui-même, l'un de nos objectifs forts est la check-list opératoire qui fait partie des critères de certification des établissements de santé.

M. Jean-Michel Dubernard . - La CNEDiMTS dispose de quatre-vingt-dix jours pour mener ces évaluations, tout comme le Ceps, ce qui est un temps très court pour trouver les experts compte tenu des éventuels conflits entre spécialités. Le délai de traitement des dossiers est passé de 138,5 jours en 2008 à 85 en 2011. Et ce, sans que nous soyons devenus laxistes : dans 36 % des cas, nous avons jugé le SMA insuffisant. Dans ces conditions, les études post-inscription apportent un complément indispensable. Il est néanmoins difficile de gérer les véritables innovations.

M. Jean-Luc Harousseau . - J'ajoute que la HAS a travaillé en amont de la loi de décembre 2011 sur la qualité de la visite médicale à l'hôpital, qu'elle certifie, en mettant au point un guide de bonnes pratiques. Cette certification permet aux firmes de négocier des contrats avec le Ceps. Cela dit, le guide concerne plus les médicaments que les dispositifs médicaux.

M. Jean-Michel Dubernard . - J'ai connu les visites médicales collectives pour le médicament il y a quarante ans aux Etats-Unis. Ce n'est donc pas une invention française. Pour les dispositifs médicaux, la présence des techniciens des entreprises dans le service hospitalier pendant des années est effectivement primordiale car les dispositifs connaissent souvent, tout au long de leur durée de présence sur le marché, des améliorations incrémentales.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Ma dernière série de questions portera sur les interventions à visée esthétique. Quelles sont les pratiques dangereuses en matière d'esthétique dont la HAS a connaissance ? Quel rôle joue la HAS dans la procédure d'interdiction des actes à visée esthétique dangereux prévue à l'article L. 1151-3 du code de la santé publique ? Selon quelles modalités la HAS rend-elle l'avis qui lui est demandé ? Concernant l'interdiction des actes de lyse adipocytaire à visée esthétique, où en sont les travaux de la HAS après l'annulation d'une partie du décret d'avril 2011 par le Conseil d'Etat ? Enfin, comment renforcer la formation continue des médecins pratiquant des actes de médecine esthétique ?

M. Jean-Luc Harousseau . - Effectivement, la HAS remplit désormais cette mission d'évaluation des interventions à visée esthétique. Sa première délibération, rendue en avril 2011, concernait les actes de lyse adipocytaire. Le ministère de la santé a, sur cette base, pris un décret interdisant les techniques invasives et non invasives. Le Conseil d'Etat a annulé l'interdiction portant sur les techniques non invasives.

En tout, la HAS a fait l'objet de cinq saisines dans le domaine esthétique. La première concerne les techniques de lyse adipocytaire ; la Direction générale de la santé (DGS) nous a demandé de réexaminer les techniques non invasives en septembre dernier après l'annulation d'une partie du décret et d'évaluer les effets de ces pratiques en comparaison avec ceux de la chirurgie. La deuxième porte sur les risques liés à la mésothérapie à visée esthétique. La troisième saisine a trait aux appareils émettant des ultra-violets artificiels, en clair, les cabines de bronzage. Nous avons été saisis en septembre 2011, nous avons débuté les études de faisabilité en novembre, et nous publierons nos conclusions en avril. Il y en aurait 40 000 en France, ce qui représente une difficulté supplémentaire pour nous car, derrière une technique, il y a toute une activité économique. La quatrième saisine concerne le dispositif Macrolane, les comblements avec de l'acide hyaluronique, notamment au niveau des seins, pratique que l'Afssaps a interdite en août dernier. La cinquième saisine concerne l'évaluation de l'ensemble des produits de comblement. Nous sommes en train de définir le champ de cette saisine qui nous semble un peu large.

En outre, l'assurance maladie nous a demandé de nous prononcer sur les actes de reconstruction.

Enfin, le Premier ministre souhaite notre opinion sur les échographies foetales à visée non médicale, en gros les « clichés souvenirs ». Avec l'Afssaps, nous nous prononcerons très prochainement.

Lorsque nous sommes saisis par la DGS, nous émettons un avis sur le danger grave ou la suspicion de danger grave. Nous sommes néanmoins confrontés à un problème : il n'y a pas de définition du danger grave, et encore moins de la suspicion de danger grave. Il existe seulement une définition des événements indésirables graves, c'est-à-dire ceux qui seraient susceptibles d'entraîner une hospitalisation ou le décès du patient. Pour les actes à visée esthétique où, par définition, la santé humaine n'est pas en jeu, on peut considérer que le moindre risque doit être évité, d'où la sévérité de notre décision sur la lyse adipocytaire. En outre, nous manquons de données et d'essais cliniques. Nous ne pouvons nous appuyer que sur quelques publications scientifiques, sur les rapports de sinistralité des assureurs, sur les données éventuelles de cosmétovigilance ou de pharmacovigilance, sur l'expérience internationale et, éventuellement, sur les réseaux de vigilance des sociétés professionnelles. Il n'y a eu en l'occurrence qu'une suspicion basée sur le mode d'action potentiel des techniques invasives.

Pour répondre à votre troisième question, nous sommes en cours de réévaluation des techniques de lyse adipocytaire non invasives. Il n'est pas exclu que nous n'ayons pas plus de renseignements que lors de la première décision.

Vous m'avez enfin interrogé sur la formation continue des médecins pratiquant des actes de médecine esthétique. Ayez à l'esprit qu'il s'agit non pas uniquement de médecins, mais aussi de kinésithérapeutes et d'esthéticiennes. Pour l'instant, nous nous occupons seulement de la dangerosité de l'acte et non pas de ses modalités de réalisation. Il faudrait pourtant y réfléchir, notamment pour la lyse adipocytaire, où il y a une grande variété de conditions d'exercice.

M. Jean-Michel Dubernard . - Je suis en tout point d'accord avec ce qui vient d'être dit.

La HAS a été créée pour procéder à des évaluations scientifiques en vue des remboursements par la sécurité sociale. Or, les éléments scientifiques sont très parcellaires en matière d'esthétique. Il faudrait inventer de nouvelles procédures, analyser la littérature et regarder ce qui se passe à l'étranger. Nous voulions aussi organiser une audition des parties concernées, mais les uns et les autres ne sont pas toujours d'accord pour participer ensemble à de tels débats.

Comment renforcer la formation continue ? C'est une très bonne question. Paris VI proposait un diplôme interuniversitaire dans ce domaine, mais il a malheureusement été supprimé. Un diplôme universitaire se met en place à Lyon, sous la direction du professeur Dubreuil, mais un nouveau diplôme interuniversitaire serait vraiment le bienvenu.

M. Jean-Luc Harousseau . - Les questions posées à la HAS doivent être extrêmement précises et nous avons besoin de nombreux experts pour pouvoir répondre sur ces sujets conflictuels.

Mme Catherine Génisson . - Ne faudrait-il pas, pour argumenter notre jugement politique, différencier plus nettement les fonctions de la HAS de celles des autres agences ? La HAS devrait étendre ses missions, afin de devenir le lieu ressource de la recherche et des scientifiques. Elle pourrait intervenir à tous les niveaux possibles. Les agences, quant à elles, ont un rôle plus concret. En outre, une simplification de l'organisation ne s'impose-t-elle pas ?

Deuxième sujet, ô combien important : les essais cliniques. Nous devons avoir beaucoup d'exigences éthiques et bien définir les liens d'intérêts, qu'il ne faut pas confondre avec les conflits du même nom. Le législateur, s'il veut être légitime, doit fixer des règles claires. Quid de l'évaluation par un clinicien qui implante des dispositifs médicaux ? Pourriez-vous nous soumettre des propositions ?

M. Jean-Luc Harousseau . - Oui, les missions de la HAS doivent s'élargir. D'ailleurs, la loi de renforcement de la sécurité sanitaire a par déduction renforcé la HAS, dont la mission, qui consiste en l'évaluation des produits de santé et des actes afférents dans le cadre d'une stratégie thérapeutique, est totalement différente de celle de l'Afssaps, qui s'occupe de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) et du retrait des produits. Nous devrions également pouvoir faire des recommandations aux professionnels de santé. La collaboration est facilitée par mes rapports amicaux avec Dominique Maraninchi : la HAS formulera désormais des recommandations de bonne pratique et de bon usage pour le médicament, parce qu'il s'agit de stratégie thérapeutique.

L'information des professionnels de santé doit encore être améliorée, grâce notamment au développement professionnel continu et à l'accréditation. L'évaluation du produit dans la vie réelle doit, elle aussi, être plus efficace. Certes, elle est prévue par la loi, mais elle doit entrer dans les faits. Comment faire ? Jean-Michel Dubernard a rencontré le président du Ceps. Nous devons avoir recours aux bases de données de l'assurance maladie pour améliorer la qualité des études post-inscription. D'où l'intérêt du groupement d'intérêt public (GIP), créé par la loi de 2011, entre l'Afssaps, la HAS et l'assurance maladie pour mettre au point un outil pour procéder à des études post-inscription.

J'en viens aux études cliniques : nous disposons parfois de peu d'experts et ceux-ci peuvent avoir participé au développement du médicament ou du dispositif médical. Comment utiliser les déclarations d'intérêt et avec quel degré de rigueur ? A la HAS, la règle est de ne pas utiliser un expert en situation de conflit d'intérêts majeur. Nous avons toute une liste de cas dans lesquels un conflit d'intérêts devient majeur. Mais il faudrait que ces règles s'appliquent aussi aux agences. Une uniformatisation est indispensable. Pour certaines maladies, on manque d'experts. En outre, les experts n'ont pas toujours les mêmes missions. Nous essayons de mettre en oeuvre une charte de l'expertise, qui fixera des règles strictes, tout en prévoyant des dérogations. Ainsi, les experts qui auront un conflit d'intérêts pourront être entendus, sans droit de vote, bien évidemment.

M. Jean-Michel Dubernard . - Nous n'avons pas assez dit l'importance de l'accord-cadre qui a été signé le 23 décembre 2011 entre vingt-trois fabricants et le Ceps. Les registres ont une signification extraordinaire. On va le voir de nouveau pour les valves cardiaques par voie intrafémorale, qui viennent de faire l'objet d'un article dans le New England Journal of Medicine.

En ce qui concerne l'expertise, la réalité doit primer. Quand on a fusionné la commission des actes et celle des dispositifs médicaux, on devait passer de quinze plus quatre à vingt et un plus cinq membres ; non seulement on ne le fait pas mais quatre personnes doivent encore partir. Comment faire pour les remplacer ? Ainsi, je ne dispose pas d'un expert en rythmologie cardiaque, dont j'ai pourtant besoin pour évaluer les valves cardiaques.

M. Jean-Luc Harousseau . - C'est pour cette raison que nous élaborons une charte de l'expertise qui prévoirait des dérogations en cas de besoin.

Mme Catherine Génisson . - Il faut distinguer le lien d'intérêts du conflit d'intérêts. L'avis du clinicien est important pour une bonne expertise.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Pour les experts, la loi est soit trop laxiste, soit pas assez. Elle n'a, par exemple, pas prévu les cas exceptionnels. Vous avez parlé d'un accord-cadre avec des industriels. Qu'en est-il exactement ?

M. Jean-Michel Dubernard . - C'est un accord très important. Le Ceps bénéficiera ainsi d'une vision beaucoup plus précise.

M. Jean-Luc Harousseau . - Cet accord favorisera les études post-inscription. Quand un manque clinique sera constaté, une étude devra être mise en place dès l'inscription. La CNEDiMTS devra ensuite réévaluer le produit.

M. Jean-Michel Dubernard . - Et il ne s'agit là que d'un des aspects de cet accord-cadre très important.

M. Gilbert Barbier . - Je ne suis pas satisfait par votre développement sur les essais cliniques. La façon dont ils sont menés actuellement n'est pas non plus satisfaisante : ce sont les firmes elles-mêmes qui les réalisent et elles ne sont pas contrôlées. Une évolution est donc indispensable. Comment remédier à cette situation ?

Quelle fiabilité accorder aux dispositifs médicaux qui ont obtenu le label CE ? Comment ce label est-il contrôlé ? Comment éviter les rétentions d'information opérées par les entreprises qui connaissent des incidents ?

En matière de cancer de la prostate ou de pace maker, beaucoup reste à faire. Vous avez récemment refusé d'expertiser la télé-cardiologie. Bref, comment remplir toutes vos missions avec des moyens, somme toute, réduits ?

M. Jean-Luc Harousseau . - Merci pour cette question ! Il est bon que les parlementaires qui votent la loi de financement de la sécurité sociale se rendent compte que les missions de la HAS augmentent sans que ses moyens suivent le même rythme...

Il faut insister sur la différence entre description générique et inscription sous nom de marque. Dans le premier cas, le fabricant décide simplement que son produit s'inscrit dans une ligne générique. Nous réévaluons cette description tous les cinq ans. Ainsi, les prothèses PIP figuraient dans une telle description. Sur soixante-quatre références bibliographiques sur les prothèses et les implants mammaires, quatre seulement citaient la firme PIP. Parmi d'autres ! Il n'y a jamais eu d'étude clinique spécifique sur PIP. Pour les produits potentiellement dangereux, il faudrait exiger l'inscription sous nom de marque qui est beaucoup plus contraignante.

Reste à savoir comment évaluer les dispositifs à risque, ceux qui restent implantés longtemps. Pour les prothèses de hanche métal-métal, la CNEDiMTS avait tiré le signal d'alarme il y a bien longtemps en soulignant leur SMA insuffisant, mais l'information a mal circulé et l'Afssaps n'a pas retiré le produit du marché.

Le marquage CE est insuffisant car il repose non pas sur des essais cliniques mais sur des spécificités techniques, et il revient à l'Afssaps de contrôler les organismes notifiés de manière aléatoire.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Que se passe-t-il pour les marquages CE étrangers ?

M. Jean-Michel Dubernard . - L'organisme notifié allemand est de bonne qualité. Il s'est fait gruger.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Les entreprises mais aussi les produits devraient être vérifiés, sinon les entreprises peuvent abuser les enquêteurs. C'est d'ailleurs ce qui s'est produit pour les prothèses PIP.

M. Jean-Michel Dubernard . - Une meilleure coordination européenne est indispensable. Les essais cliniques sont certes financés par les entreprises, mais il y a des moyens de contrôle et des méthodologies. En revanche, les petites entreprises ont recours à des méthodologistes qui ne sont pas toujours compétents.

La Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), en application de l'article L. 165-1-1 du code de la sécurité sociale introduit par la loi de 2004, peut financer une prise en charge transitoire et dérogatoire des innovations de rupture en matière de dispositifs médicaux. Elle y répugne, car elle craint d'être saisie de toutes sortes de demandes. Il faudrait reposer ces questions durant la campagne présidentielle.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Vous nous avez dit qu'il existait deux systèmes de certification. Qui décide ?

M. Jean-Luc Harousseau . - L'industriel.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Faut-il mettre en place une liste positive ?

M. Jean-Luc Harousseau . - Ce serait indispensable, et aussi bien avant qu'après l'inscription. En outre, nous avons besoin d'instaurer un dialogue approfondi avec l'industriel très en amont. Pour les grandes entreprises, c'est tout à fait possible. C'est beaucoup plus délicat pour des matériels très spécifiques qui sont produits par des petites firmes.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Un système d'AMM ?

M. Jean-Luc Harousseau . - En quelque sorte, avec des essais cliniques. Mais la liste serait très longue.

M. Jean-Michel Dubernard . - Il faudra rediscuter des classifications. Quant à la liste des dispositifs prioritaires, notre petite cellule de coordination avec l'Afssaps s'est réunie pour la première fois la semaine dernière.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Il me reste à vous remercier pour toutes ces informations passionnantes.

Audition de MM. Edouard COUTY, président du conseil d'administration, Erik RANCE, directeur, et Mme Sabine GIBERT, directrice juridique, de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam) (mardi 13 mars 2012)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous accueillons maintenant le président, le directeur et la directrice juridique de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam). Cette audition intervient presque dix ans jour pour jour après la création de l'Oniam par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

Après le scandale des prothèses PIP, il nous a semblé utile de créer une mission d'information car l'équilibre entre bénéfices attendus des dispositifs médicaux et risques encourus par les malades doit faire l'objet d'une réévaluation en profondeur.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - L'Oniam dispose-t-il d'une structure interne dédiée à l'indemnisation des accidents liés à l'implantation de dispositifs médicaux ? Cette problématique relève-t-elle de sa mission générale d'indemnisation des accidents médicaux ? La multiplication des incidents liés à des dispositifs médicaux implantables n'appelle-t-elle pas la mise en place, au sein de l'Oniam, d'une structure spécifique pour les accidents liés aux dispositifs médicaux invasifs défectueux ?

M. Erik Rance, directeur de l'Oniam . - Les commissions régionales de conciliation et d'indemnisation (CRCI) peuvent émettre un avis sur l'existence d'un accident médical non fautif, sous certaines conditions de date (si l'accident s'est produit après le 4 septembre 2001) et de seuil d'incapacité.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Entre autres.

M. Erik Rance . - A ce moment-là, l'Oniam intervient pour indemniser l'accident. En revanche, dans le cas d'un produit défectueux, c'est la responsabilité du fabricant qui est engagée sur le fondement de l'article 1386-1 du code civil et l'Oniam n'est donc pas concerné.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Et si la responsabilité du producteur n'est pas démontrée ou s'il a disparu ?

M. Erik Rance . - Si le produit est défectueux, l'Oniam ne peut intervenir. En cas de disparition ou de non-solvabilité du producteur, les juridictions peuvent être amenées à examiner les clauses du contrat d'assurance.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Dans le cas qui nous préoccupe, les patientes doivent financer en partie les procédures d'explantation et de remplacement de prothèses mammaires. L'Oniam n'a pas l'intention de faire quoi que ce soit ?

M. Erik Rance . - L'Oniam ne peut intervenir que dans le cas des interventions à visée thérapeutique. Les opérations à visée exclusivement esthétique ne sont en aucun cas concernées.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous semblez hésitant à nous répondre...

M. Erik Rance . - Pas du tout ! Si le produit est défectueux, il appartient à la justice de se prononcer et l'assureur doit intervenir. La loi de 2002 a créé l'Oniam pour permettre l'indemnisation des accidents médicaux sans faute. Si l'assureur se défausse, il est loisible à la victime de demander réparation à l'Oniam qui se retournera alors vers l'assureur.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - La création d'une procédure d'indemnisation des incidents liés à l'implantation de dispositifs médicaux défectueux nécessite-t-elle l'intervention du législateur ? Une telle procédure ne vous semble-t-elle pas justifiée au regard des insuffisances majeures du système de certification, de matériovigilance et de surveillance du marché ?

M. Edouard Couty, président du conseil d'administration de l'Oniam . - Il ne m'appartient pas de me prononcer sur l'opportunité d'une telle procédure qui est du ressort du législateur. Préciser le rôle qu'y jouerait l'Oniam relèverait également du domaine législatif. Quant aux défaillances dans le système de matériovigilance et de mise sur le marché, cela dépasse complètement le champ de compétences de l'Oniam.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous avez bien un avis sur la question...

M. Edouard Couty . - J'ai été rapporteur général des assises du médicament organisées après l'affaire du benfluorex. Elles comportaient un groupe de travail sur les dispositifs médicaux. Le rapport de synthèse que j'ai présenté et qui a alimenté la loi de décembre 2011 insistait sur le renforcement des essais cliniques en amont, la transparence, une plus grande rigueur dans l'octroi du marquage CE et un contrôle plus poussé des organismes notifiés et de leurs exigences.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Merci de nous transmettre ce document.

Est-il possible d'évaluer le coût prévisionnel d'une indemnisation des incidents liés aux prothèses PIP et DePuy par la solidarité nationale ?

M. Edouard Couty . - A mon sens, non, car nous peinons à connaître la réalité des dommages puis à déterminer leur imputabilité pour les prothèses PIP et, a fortiori, pour les prothèses DePuy.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Comment une procédure d'indemnisation par la solidarité nationale pourrait-elle s'articuler avec les procédures judiciaires en cours ? Quel régime de responsabilité pourrait-être envisagé ?

M. Edouard Couty . - Nous sommes très dépendants de la réglementation européenne, laquelle interdit, en l'état, une indemnisation par la solidarité nationale. Cela dit, la récente directive sur la matériovigilance et la sécurité des dispositifs médicaux est en cours de révision. Actuellement, si le caractère défectueux d'un dispositif médical est reconnu, la responsabilité recherchée est celle de l'industriel.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Autrement dit, vous renvoyez au fabricant...

M. Edouard Couty . - Oui, à moins que l'on ne se trouve dans le cas d'une responsabilité sans faute...

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Cela peut arriver !

Mme Sabine Gibert, directrice juridique de l'Oniam . - La dichotomie est très claire entre la situation où le produit est défectueux et celle où l'industriel peut se prévaloir d'une cause d'exonération de responsabilité, ainsi en période de risque-développement. Dès que l'article 1386-1 du code civil ne s'applique pas, nous devons rechercher d'abord s'il y a ou non faute dans le circuit de fabrication du dispositif médical et, en l'absence de toute faute commise par un acteur de santé, l'accident médical sera déclaré non fautif. Dans ce cadre, l'Oniam pourra intervenir au titre des affections iatrogènes non fautives à condition que soient remplies d'autres conditions : une date d'implantation postérieure au 4 septembre 2001, l'anormalité du dommage ou encore les critères de seuil.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - L'Oniam a-t-il été sollicité pour des indemnisations d'accidents liés à des dispositifs médicaux défectueux ? Quelles sont les spécialités les plus concernées par ces demandes ?

M. Erik Rance . - Les CRCI, puisque c'est le point d'entrée du dispositif, sont parfois saisies de demandes d'indemnisation qui concernent surtout les prothèses de hanche et de genou ; on en revient alors au régime que j'évoquais ; si l'acte a été mal pratiqué, c'est la responsabilité du professionnel de santé qui est susceptible d'être engagée ; l'indemnisation n'est pas retenue pour les difficultés qu'entraîne l'usure des prothèses.

Mme Sabine Gibert . - D'après le rapport de l'observatoire des risques médicaux qu'héberge l'Oniam, les médicaments et les dispositifs médicaux représentent 3 % des dossiers de sinistres clos en 2011, sachant que seuls sont pris en compte les sinistres supérieurs à 15 000 euros.

M. Erik Rance . - L'échantillon concerne aussi les assureurs.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quelles sont les spécialités les plus concernées ?

Mme Sabine Gibert . - S'agissant des dispositifs médicaux, principalement la chirurgie orthopédique.

Mme Catherine Génisson . - Sur les 3 % que vous évoquiez, quelle est la proportion d'incidents liés aux dispositifs défectueux ? Qu'en est-il des prothèses cardiaques ?

Mme Sabine Gibert . - Le comptage de l'observatoire ne distingue pas les dommages liés au médicament et aux dispositifs médicaux. Quant aux prothèses cardiaques, l'affaire a été traitée au contentieux, non par les CRCI, et, en tout état de cause, elles ne représentent pas un nombre très significatif de litiges.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quelles sont les déficiences majeures du système de matériovigilance et de surveillance du marché ? Comment y remédier ?

M. Edouard Couty . - Encore une fois, cette question, qui ne relève pas de la compétence de l'Oniam, est à traiter au niveau européen. A titre personnel, je considère que le problème réside, pour l'alerte, dans le recueil et le traitement des effets indésirables et, pour la mise sur le marché, dans le marquage CE. Celui-ci est délivré par des organismes certifiés dans les différents pays européens, un système qui diffère de celui du médicament. Il est pertinent de noter que le choix de l'organisme certificateur appartient au fabricant. Il y a sans doute des marges de progression dans ce circuit. Lors des assises du médicament, nous avions demandé une évaluation plus rigoureuse des organismes notifiés et un renforcement du marquage CE, qui porterait également sur le rapport bénéfices-risques au moyen d'essais cliniques prolongés par un suivi régulier sur l'usage du produit dans la vie réelle. C'est d'ailleurs l'option qui a été retenue dans la loi de décembre 2011.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - L'observatoire des risques médicaux est chargé de recueillir et d'analyser l'ensemble des données relatives aux accidents médicaux, affections iatrogènes et infections nosocomiales, ainsi qu'à leur indemnisation. Quel rôle pourrait-il jouer dans la mise en oeuvre d'un dispositif d'alerte spécifique sur les dispositifs médicaux invasifs ?

M. Erik Rance . - L'observatoire travaille sur un échantillon de sinistres clos et supérieurs à 15 000 euros. Il n'est donc pas le bon outil pour l'anticipation.

M. Edouard Couty . - L'alerte relève de l'Afssaps, non de l'observatoire rattaché à l'Oniam.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Les incidents liés aux interventions de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique sont-ils nécessairement exclus de toute indemnisation par la solidarité nationale ?

M. Erik Rance . - La préoccupation des pouvoirs publics est d'apporter une réponse à toutes les personnes concernées. La loi de 2002, au regard des travaux préparatoires, vise les actes thérapeutiques directs, soit ceux liés à une maladie, sans exclure explicitement les actes esthétiques, contrairement à la loi belge. Il y a donc une marge d'interprétation pour les actes réparateurs liés notamment à un cancer, comme celui du sein. S'agissant des prothèses, les pouvoirs publics ont indiqué que les victimes pouvaient saisir les commissions d'indemnisation des victimes d'infractions (Civi), placées auprès des tribunaux.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Constatez-vous un accroissement des demandes d'indemnisation pour les interventions à visée esthétique ?

Mme Sabine Gibert . - Non, les avocats des victimes connaissant mieux les procédures, l'Oniam n'est pas saisi davantage.

Les CRCI et les juridictions judiciaires ont considéré à chaque fois que la solidarité nationale ne pouvait pas intervenir en matière d'actes de chirurgie à visée exclusivement esthétique, à l'exception d'une décision de première instance qui avait semblé entrevoir la possibilité de faire jouer la solidarité nationale, mais pour laquelle la Cour d'appel de Douai a finalement dû requalifier l'intervention en acte de soins.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie de vos réponses.

Audition de MM. Alain SAUTET, secrétaire général, et Christian DELAUNAY, responsable du registre, de la Société française de chirurgie orthopédique et traumatologique (Sofcot) (mardi 13 mars 2012)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous recevons MM. Alain Sautet, secrétaire général de la Société française de chirurgie orthopédique et traumatologique (Sofcot) et Christian Delaunay, coordinateur du registre. Une des réponses pour garantir à nos concitoyens un accès sécurisé à l'innovation passe par la création de registres. Le seul dont la France dispose aujourd'hui porte sur les prothèses totales de hanche, que votre société savante a créé. Dans ce domaine, la France accuse un retard certain par rapport aux pays du nord, d'où l'intérêt de votre témoignage. Mais avant de vous interroger, je dois vous rappeler que cette audition est publique et est retransmise en direct.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quelles sont les raisons ayant poussé la Sofcot à créer ce registre ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées ? Comment améliorer ce modèle ?

M. Alain Sautet, secrétaire général de la Sofcot . - Seule société des chirurgiens-orthopédistes en France, la Sofcot, qui était une société savante, est devenue professionnelle. Depuis 2004, M. Delaunay s'y bat pour la création d'un registre, qui a fini par voir le jour en 2006. Ce modèle existe en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Europe du Nord, mais non aux Etats-Unis ; en Grande-Bretagne, il reste embryonnaire. Basé sur des données épidémiologiques concernant le patient et l'implant, il constitue un outil pour détecter rapidement les défaillances ; nous l'avons vu avec les prothèses ASR dans le registre australien. Néanmoins, un recul de dix ans est nécessaire pour une bonne appréhension du phénomène - à dix ans, 90 % des implants sont encore en place.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous avez des exemples en tête ?

M. Alain Sautet . - Grâce aux déclarations de matériovigilance, nous avons repéré des fractures de têtes zircone anormalement fréquentes.

M. Christian Delaunay, coordinateur du registre . - En fait, le registre n'est pas l'instrument le plus performant pour les fractures. Il est surtout intéressant pour les effets à long terme. Quand des milliers de billes de prothèses ASR rompent en même temps, la défaillance est immédiatement reconnue.

M. Alain Sautet . - Grâce au registre, nous pouvons noter un taux anormal de reprise de prothèses.

M. Christian Delaunay . - Une de nos difficultés tient au total manque de soutien des pouvoirs publics. Le terme de registre n'était pas utilisé il y a deux ans à la HAS. En Angleterre, il a fallu une catastrophe pour qu'on impose le registre. Il faudrait mieux anticiper. Pourquoi attendre que trois personnes meurent sur le même passage à niveau pour envisager des travaux ?

M. Alain Sautet . - En France, on pose 144 000 prothèses totales de hanche et reprises et 80 000 à 82 000 prothèses totales de genou et reprises. La tenue d'un registre a donc un coût, que nous supportons.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Combien ?

M. Alain Sautet . - Une somme comprise entre 80 000 et 100 000 euros pour le développement du registre, à laquelle il faut ajouter un euro par fiche versée à la société serveur. Autre problème évident, le fichier sur les prothèses totales de hanche est fondé sur le volontariat, alors que l'enregistrement entraîne un travail supplémentaire. Cela fonctionne techniquement, même si c'est encore un échec. D'où un taux d'enregistrement de 1 % : 2 000 fiches sur 144 000 interventions...

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Donc, vos collègues ne jouent pas le jeu...

M. Christian Delaunay . - Quelque trente-deux centres collaborent régulièrement au registre. La difficulté est de motiver les chirurgiens ; actuellement, ils n'ont aucun intérêt à le mettre en oeuvre. Imaginons qu'ils posent cinq prothèses par jour, l'enregistrement leur demandera vingt-cinq minutes de plus devant un ordinateur.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Dans chaque hôpital, il existe un responsable des achats. Il pourrait se charger de cette tâche.

M. Alain Sautet . - Non, car il ne pourrait pas remplir la partie médicale.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Le bilan opératoire ne pourrait-il pas suffire ?

M. Alain Sautet . - Dans ce cas, ce ne serait plus un registre.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Soit, mais vous auriez des retombées...

M. Alain Sautet . - Jeudi dernier, j'ai rencontré M. Grall, le directeur général de la santé. La solution que nous proposions consistant à lier enregistrement des données sur le registre et remboursement, est impossible juridiquement, nous a-t-on expliqué. En revanche, une piste serait de prévoir une clause sur le registre dans le contrat entre les agences régionales de santé (ARS) et les établissements de soins et de l'inclure dans la conduite des bonnes pratiques. Si ceux-ci ne la respectaient pas, ils perdraient leur agrément pour poser ce type d'implant.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - La conduite de bonnes pratiques, on sait ce qu'il en advient !

Mme Catherine Deroche . - Sait-on la répartition des participants au registre entre les secteurs privé et public ?

M. Christian Delaunay . - Sur les trente-trois centres, deux sont des centres hospitaliers universitaires (CHU), trois des hôpitaux privés qui participent au service public et le reste est privé. Des chiffres logiques, 60 % des prothèses de hanche étant posées dans le privé en France.

La constitution du dossier pour la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) n'a pas été une mince affaire ; là aussi, nous aurions aimé plus de soutien des pouvoirs publics.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous nous avez dit que votre registre ne permet pas de détecter les incidents en temps réel. Quels enseignements tirez-vous de l'utilité du registre au regard des récents problèmes ?

M. Christian Delaunay . - En temps réel, le registre serait pris de court. On peut, au bout de trois ans, dépister des implants à risque. Le nombre de reprises des prothèses ASR, 12 sur 383 patients, n'aurait pas été anormal. L'important était la cause de la reprise : un motif inexpliqué. Et là, le registre pouvait faire la différence.

M. Alain Sautet . - Le chiffre est intéressant : 12 sur 383 ! Il y a certainement une sous-déclaration des reprises en France. Il faut renforcer le système de matériovigilance pour obtenir des données plus précises.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Les pouvoirs publics doivent-ils envisager la création d'un registre des dispositifs médicaux au niveau national, voire européen ? Les sociétés savantes ont-elles vocation à participer à leur mise en place ?

M. Christian Delaunay . - Pouvoirs publics et sociétés savantes ont un rôle complémentaire à jouer, même si leurs objectifs ne sont pas tout à fait identiques. Notre registre est totalement ouvert, chacun peut l'utiliser.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - En tant que chirurgien, comment choisissez-vous vos prothèses ?

M. Christian Delaunay . - Un chirurgien qui débute pose les prothèses qu'il a appris à utiliser...

M. Alain Sautet . - ... dans son CHU d'origine. Il n'y a pas de vérité unique ; à chaque cas, sa prothèse. Les congrès sont l'occasion d'améliorer nos connaissances sur les différentes sortes de prothèses.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Par définition, le lobbying pour un seul type de prothèse est donc dangereux... Quid des prothèses DePuy ?

M. Alain Sautet . - Ce sont des prothèses métal-métal. Le principe est de mettre face à face deux diamants pour limiter les risques d'usure. Il n'y avait pas, je le crois, de mauvaise intention au départ. C'était de l'innovation, non du lobbying.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quand on voit les sommes provisionnées...

M. Alain Sautet . - Par crainte de class actions.

M. Christian Delaunay . - Il y a eu des problèmes plus dramatiques que ceux rencontrés avec l'ASR. Pour nous, ce qui s'est passé avec cette prothèse fait partie de l'histoire de l'orthopédie : certaines innovations se révèlent de grandes réussites, d'autres moins. Le problème avec l'ASR, c'est qu'il fallait poser cette prothèse parfaitement. Dès que l'angle de pose était un peu dévié, la prothèse ne fonctionnait pas et c'est ce qui explique son échec. Mais l'implant était en lui-même très bien conçu et je puis assurer, pour avoir travaillé avec lui, que son concepteur est un homme tout à fait honnête.

M. Alain Sautet . - Il ne faut surtout pas bloquer l'innovation. Pourquoi ne pas réfléchir à un encadrement de la mise sur le marché ?

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Que pensez-vous de l'initiative de la Global Harmonisation Task Force sur l'identification des dispositifs médicaux, à savoir le système UDI (Unique Device Identification) ? Ce système représente-t-il l'étape ultime en matière de traçabilité des dispositifs médicaux à risque, de détection des incidents et de collecte d'informations ?

M. Christian Delaunay . - Nous sommes totalement pour. Je suis le correspondant pour ma société du European Arthroplasty Register qui regroupe les différents registres européens. La FDA nous a reçus il y a quelques mois afin de bénéficier des trente ans d'expérience européenne en matière de registres. Nous travaillons avec les Américains. Nous sommes bien évidemment favorables à un système international qui nous ferait bénéficier de l'expérience des autres pays. Il est impensable que chaque fabricant continue de garder son propre code barre ! Les codes barres devraient être les mêmes. Sans être la panacée, une harmonisation est indispensable pour pouvoir croiser les données.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Un registre tel que le vôtre peut-il être étendu à d'autres implants et à quelle échelle devient-il pertinent ?

M. Christian Delaunay . - La question est technique. Nous avons différents projets. Toutes les sociétés souhaitent créer un registre dans leur domaine. Mais les chiffres sont cruels. Ainsi, on pose sept mille prothèses d'épaules par an en France. Si l'on est sûr que les sept mille seront enregistrées, ce sera parfait. En revanche, s'il n'y en a que 1 % dans le registre, quels enseignements pourraient en être retirés ? Aucun. A partir de quel pourcentage un registre est-il pertinent ? Un statisticien pourrait vous répondre, un orthopédiste non. Nous devons donc viser l'exhaustivité, mais le chemin est encore long.

M. Alain Sautet . - Pour l'orthopédie, les implants qui subissent des usures doivent être surveillés par registre. En revanche, pour les implants traumatologiques, l'intérêt d'un suivi n'est pas aussi évident.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - On ne va pas faire un registre pour tout.

M. Alain Sautet . - En France, on procède surtout à des implants de hanches (144 000) et de genoux. Viennent ensuite les épaules, 7 000 cas, et les chevilles, 400 cas.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Certes, mais ces interventions chirurgicales vont se développer dans les années à venir.

M. Alain Sautet . - On reste dans les grosses articulations.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Merci pour toutes ces informations.

Audition de MM. Walter VORHAUER, secrétaire général, Xavier DEAU, responsable de l'enseignement de la médecine et de la chirurgie esthétiques, et André DESEUR, responsable de la section « exercice professionnel », du Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom) (mardi 20 mars 2012)

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Nous recevons M. Walter Vorhauer, secrétaire général, les docteurs Xavier Deau, responsable de l'enseignement de la médecine et de la chirurgie esthétiques, et André Deseur, responsable de la section « exercice professionnel », du Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom). A l'automne dernier, lors de la discussion du projet de loi relatif au médicament et à la sécurité sanitaire des produits de santé, des sénateurs avaient prédit que le prochain scandale sanitaire concernerait des dispositifs médicaux. Malheureusement, les faits leur ont donné raison.

Nous avons élargi l'objet initial de notre mission d'information pour inclure l'ensemble des interventions à visée esthétique. Dans le cadre des auditions que nous avons menées, nous avons été surpris par le flou de la réglementation régissant la médecine esthétique.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - J'aborderai le sujet sous trois aspects : les responsabilités du corps médical ; l'indépendance et la transparence de l'information des professionnels ; la réglementation applicable aux interventions à visée esthétique.

Commençons par les responsabilités du corps médical. Comment le retour d'expérience des défaillances observées sur certains dispositifs médicaux s'effectue-t-il ? Les médecins disposent-ils d'une information actualisée sur les dispositifs qu'ils utilisent et faut-il aménager ou renforcer les dispositifs d'alerte ?

M. Walter Vorhauer, secrétaire général du Cnom . - Je suis accompagné aujourd'hui par le docteur Xavier Deau, responsable de l'enseignement de la médecine et de la chirurgie esthétiques, et par le docteur André Deseur, qui est responsable de la section « exercice professionnel » du Cnom.

Pour pallier l'absence de toute règle juridique, le Conseil national de l'ordre a soutenu depuis plusieurs années la création d'un diplôme interuniversitaire (DIU) « médecine morphologique et anti-âge », dont je reconnais que l'intitulé n'était pas le meilleur. Le problème est européen : nous l'avons constaté mardi avec l'ordre allemand des médecins. Nous savons qu'il en va de même en Espagne et en Italie.

La chirurgie réparatrice et esthétique est une activité bien connue et réglementée quant aux compétences et à la formation requises ainsi qu'aux indications de reconstruction en cas de dysmorphie de naissance, d'accident ou de maladie. Mais le caractère réparateur a disparu progressivement, au profit d'une approche privilégiant la recherche d'une certaine norme corporelle. La médecine esthétique fait parfois appel à de petits actes chirurgicaux, parfois à des traitements plus superficiels, souvent pratiqués par des dermatologues.

Certains praticiens se tournent vers cette pratique, à un moment où l'accès aux soins est déjà rendu difficile par l'évolution de la démographie médicale et par le montant de certains honoraires. Le souci de santé publique est battu en brèche ! Sans critiquer des choix faits à titre individuel, on peut se demander pourquoi tant de médecins généralistes cherchent à développer une offre esthétique. Le tourisme esthétique traduit également la demande sociétale importante ; la motivation des intéressés tient essentiellement au prix des soins pratiqués à l'étranger.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Et les retours d'expérience sur les défaillances de dispositifs médicaux ?

M. Walter Vorhauer . - Le Cnom critique fortement les contrats imposant de ne signaler qu'à la société fabriquant le dispositif toute défaillance dont le praticien aurait connaissance : depuis peu, un médecin ayant signé un contrat comportant une clause contraire à la déontologie médicale ou à l'intérêt des patients peut être traduit devant la juridiction disciplinaire. Il reste que, sauf exception grave, rien n'oblige à déclarer une défaillance auprès de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), de l'ordre des médecins ou de l'assurance maladie. C'est donc par les patients que nous sommes parfois indirectement informés. On peut regretter que l'information ne soit pas obligatoire.

Bien que la mission du Cnom ne soit pas de diffuser une information sur les performances des dispositifs, nous jouons en pratique un rôle de relais lorsque nous sommes informés par l'Afssaps.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Seriez-vous disposé à mettre cela en place ?

M. Walter Vorhauer . - Oui, nous sommes même demandeurs.

Il existe aujourd'hui des correspondants locaux de matério et de réacto-vigilance dans tout établissement de santé, une commission nationale de sécurité sanitaire des dispositifs médicaux et nous relayons les informations dont nous disposons auprès de nos conseils départementaux, voire directement auprès des médecins. Ce système semble pertinent mais insuffisant car le signalement reste facultatif, sauf éventualité de mort ou de dégradation grave de l'état de santé du patient à cause du dispositif médical. L'Académie de médecine a d'ailleurs récemment publié sur ce sujet un rapport tout à fait intéressant. En l'absence de dispositions similaires à celles du code de l'aviation civile, du code du commerce et du code du travail, les médecins craignent que le fait d'effectuer un signalement conduise à mettre en oeuvre leur responsabilité. C'est un frein psychologique.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - C'est très important. Les médecins qui ne signalent pas les incidents dont sont victimes leurs patients doivent être fautifs, ce qui est de votre ressort.

M. Walter Vorhauer . - A condition que nous le sachions.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - L'éthique médicale leur impose d'informer l'Ordre ou l'Afssaps.

M. Walter Vorhauer . - Aux termes de l'article 12 du code de déontologie, codifié à l'article R. 4127-12 du code de la santé publique, « Le médecin doit apporter son concours à l'action entreprise par les autorités compétentes en vue de la protection de la santé et de l'éducation sanitaire. La collecte, l'enregistrement, le traitement et la transmission d'informations nominatives ou indirectement nominatives sont autorisés dans les conditions prévues par la loi ». Nous demandons que la loi nous donne la possibilité d'agir.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Nous comprenons bien, d'ailleurs c'est nécessaire pour le fonctionnement d'un registre.

M. Walter Vorhauer . - C'est un peu compliqué. L'Union européenne envisage de constituer un fichier européen des implants. L'idée nous convient, à condition de pouvoir lever l'anonymat en cas de problème. Or, le projet européen propose de recueillir l'autorisation de l'intéressé, comme s'il s'agissait d'une donnée médicale personnelle et non d'une question de santé publique. A notre sens, il faut une dérogation à ce consentement, comme pour la déclaration obligatoire de certaines maladies. Il faut envisager un régime d'autorisation implicite.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Comme dans le nord de l'Europe.

M. Walter Vorhauer . - Ou en Australie et aux Etats-Unis. Cependant, la chirurgie esthétique concerne des personnes en bonne santé, qui peuvent ne pas vouloir figurer dans un fichier.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Pouvez-vous m'en dire un peu plus sur les sanctions ?

M. Xavier Deau, responsable de l'enseignement (Cnom) . - Dès 2004, nous avions souligné l'opacité entre l'effecteur, l'acte effectué et le patient. Nous avions demandé que des efforts soient accomplis en matière de transparence dans quatre domaines : l'enseignement, les locaux utilisés, la mise au point de référentiels, en cours d'élaboration par la Haute Autorité de santé (HAS) et, enfin, l'habilitation des médecins (dermatologue, chirurgien plasticien, médecin morphologiste et anti-âge ou autre) à pratiquer des soins esthétiques.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Et s'il ne s'agit pas d'un médecin ?

M. Xavier Deau . - En effet, les chirurgiens-dentistes traitent aussi le pourtour de la bouche. Le Cnom demande une transparence totale. Avant même d'établir un registre des incidents, il nous semble nécessaire de mieux connaître l'activité des médecins esthétiques. Il n'existe pas de réelle cotation des actes dits de médecine esthétique. Nous demandons donc que chaque praticien ait l'obligation de conserver une trace de tous les actes effectués. On constate un accroissement du nombre de doléances à l'égard de cette médecine. Je pense notamment au cas d'un médecin qui a importé illégalement de la thyroxine porcine de Belgique pour la remettre en main propre à des patients contre rémunération.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Vous prenez l'exemple d'une pratique illégale, qui doit être sanctionnée. Quand vous apprenez une infraction, que se passe-t-il ? Constate-t-on une augmentation du nombre d'infractions ?

M. Xavier Deau . - L'accroissement du nombre de doléances entraîne une augmentation du nombre de sanctions disciplinaires. Dans le cas que je viens de citer, le médecin en question a été lourdement condamné. Nous ne disposons pas de statistiques à ce sujet, faute de connaître tous les cas ou les médecins concernés. Nous demandons à ce que les décrets d'application de la loi HPST nous permettent de connaître les médecins habilités à pratiquer ces actes ainsi que les produits utilisés de sorte de pouvoir établir des statistiques objectives. Songez que la Food and Drug Administration (FDA) a autorisé huit produits d'injection de comblement des rides quand plus d'une centaine sont sur le marché en France, parce que chacun estime avoir sa recette. C'est totalement opaque. Les normes européennes en vigueur imposent seulement des qualités de fabrication ; il est temps de passer à des normes de tolérance biologique. Nous demandons cette transparence depuis 2003-2004.

M. Walter Vorhauer . - En pratique, la section des assurances sociales est saisie pour des raisons de cotation irrégulière pour des honoraires indus, pour des pratiques publicitaires ou commerciales, des prises de risque injustifiées, des pratiques non conformes aux données acquises de la science, le défaut de soin consciencieux ou encore l'absence de compte rendu opératoire sur la base d'informations fournies par les patients. Avec une meilleure information, nous saisirions plus rapidement la juridiction disciplinaire. Au cours des quatre dernières années, la section des assurances sociales a prononcé cinquante-trois condamnations, dont quarante-quatre interdictions de droit de donner des soins. En section disciplinaire, sur quarante-trois condamnations, il y a eu vingt-huit interdictions temporaires d'exercer ou radiation définitive.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Recevez-vous des informations transmises par les médecins conseil de la sécurité sociale ?

M. Walter Vorhauer . - Absolument pas.

M. Xavier Deau . - L'assurance maladie n'a pas connaissance de ces actes, car ils ne figurent pas dans sa nomenclature et ne sont pas remboursés. Cette opacité cause un préjudice à l'information des patients et à la sécurité des soins. Nous voulons que chaque médecin exerçant cette spécialité produise ses diplômes et garde trace de son activité.

Dès 2004, nous avons réuni autour d'une table les représentants des chirurgiens et des oto-rhino-laryngologistes (ORL) pour créer un diplôme interuniversitaire validant l'enseignement de ces techniques, mais nous en sommes encore aux balbutiements. La médecine esthétique ne constitue en aucun cas le coeur de notre métier, je pense, par exemple, au comblement des rides. Nous avons proposé une prise en charge anti-âge plus complète, abordant par exemple les problèmes de mémoire ou d'hygiène physique, mais les médecins concernés restent pour la plupart cantonnés aux actes à finalité strictement esthétique, exécutés dans une grande opacité. Le DIU devrait évoluer vers un diplôme d'études spécialisées complémentaires de niveau 1 (Desc 1), dont l'enseignement, plus rigoureux, s'adressera aux spécialistes de chirurgie plastique et reconstructrice, aux dermatologues, aux ORL et aux généralistes. Seuls des praticiens ayant suivi cet enseignement pourraient appliquer ces techniques. Nous en avons récemment parlé lors d'une réunion au ministère de la santé.

Mme Chantal Jouanno , présidente . - On peut considérer le blanchiment des dents comme un acte de médecine esthétique. Il en va de même pour l'application du laser sur la peau. Faut-il réserver ces actes aux médecins ayant suivi un tel enseignement ?

M. Xavier Deau . - Le laser peut causer des dommages irréversibles. Seuls des professionnels bien formés doivent pratiquer des actes de médecine esthétique, car l'essentiel est d'assurer la sécurité des patients : on ne peut pas faire n'importe quoi n'importe comment.

M. Walter Vorhauer . - Cela pose aussi la question de la disponibilité de ces médecins dans l'accès aux soins de base. Il est bon d'assurer des formations et d'effectuer des contrôles, mais une région comme la mienne, la Picardie, manque surtout de généralistes. Il faut donc cibler ces formations, voire introduire - pourquoi pas ? - un numerus clausus régional en ce qui concerne les installations. On ne peut pas tout laisser faire au nom de la sacro-sainte liberté d'installation. Les impératifs de santé publique doivent prévaloir.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Ne confondons pas tout : l'insuffisante présence médicale en milieu rural ou périurbain est induite par un numerus clausus national fixé à un niveau trop bas en 1994. Il a été remonté en 2005 mais son effet ne se fera sentir que vers 2018-2020. Une réglementation s'impose : on ne peut pas laisser les arrière-boutiques esthétiques matraquer des personnes ignorantes ou naïves. J'enregistre ce que vous avez dit sur la formation et la déclaration d'activité. C'est dans cette direction qu'il faut aller. Nous en ferons état dans notre rapport.

Passons à l'indépendance et la transparence de l'information des professionnels. Plusieurs retraits de dispositifs ont eu lieu au cours des derniers mois : depuis l'affaire des prothèses mammaires PIP, il y a eu les prothèses de hanche ASR fabriquées par DePuy. Certaines sondes de défibrillateurs sont également mises en cause. Il faut bien que les chirurgiens puissent avoir confiance dans le matériel qu'ils vont utiliser. Ces événements sont-ils de nature à faire évoluer les règles déontologiques applicables aux relations entre les médecins et l'industrie du dispositif médical ? Quel rôle la commission médecins-industrie du Cnom est-elle appelée à jouer sur ces dossiers ?

M. André Deseur, responsable de la section « exercice professionnel » du Cnom . - Les règles déontologiques sont bonnes, il faut en revanche améliorer les choses en amont et en aval. En amont, c'est le recensement, le signalement et l'enregistrement de défectuosité qu'il faut modifier. La transparence doit être totale.

La commission médecins-industrie impose de déclarer au Cnom tous les liens contractuels entre praticiens et industriels. Elle vérifie l'adéquation entre travail effectué et prestation fournie de sorte qu'il n'y ait ni achat d'avis, ni achat de prescription. Second versant, entre médecins et industriels. Nous examinons les contreparties directes, ainsi que les avantages en nature ou matériels. Nous pouvons rendre publique l'information ainsi recueillie, afin de disposer de données non traitées.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Toujours difficiles à apprécier...

M. André Deseur . - Il n'y a rien d'anormal à ce qu'un laboratoire prenne en charge le déplacement et l'hébergement pour un congrès tant que cette aide reste en rapport avec la prestation fournie par le médecin. En revanche, un problème se pose lorsque le voyage est sans rapport direct ou sans travail avéré en contrepartie ou sans intérêt pour l'information du professionnel. Dans certains cas, la commission médecins-industrie formule un avis négatif.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Qu'est-ce qu'un avantage ? Un voyage ? Une formation ? Autre chose ? Tout cela peut être maquillé.

M. André Deseur . - L'ordre ne vérifie pas la matérialité des faits, mais des organismes le font. Des sanctions peuvent être infligées, aussi bien envers le médecin que l'industriel.

Tous les contrats doivent nous être fournis et sont examinés selon un processus normalisé à l'échelle nationale. Mais l'avis de la commission ne s'impose ni à l'industriel, ni au médecin. Nous souhaiterions au moins que l'industriel ait l'obligation d'informer l'institution des suites données à l'avis rendu. L'industriel doit nous rendre compte des actions accomplies. La transparence serait ainsi assurée. Nous demandons en outre la publicité des liens établis entre nos confrères et les industriels.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Quel contrôle le Cnom exerce-t-il sur les conditions de réalisation des études cliniques effectuées par les médecins en relation avec les fabricants ?

M. André Deseur . - Nous ne disposions d'aucun moyen d'exercer ce contrôle. Il n'entre pas dans les missions de l'ordre ; il relève de l'Afssaps ou de la HAS.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Estimez-vous pleinement effectif le contrôle a priori de la publicité pour les dispositifs médicaux les plus risqués, exercé via l'autorisation préalable délivrée par l'Afssaps ?

M. Xavier Deau . - Nous avons organisé une table ronde au cours du dernier trimestre 2011, avec notamment les députés Yves Bur et Jean-Pierre Door. L'ordre demande de véritables moyens d'action contre les conflits d'intérêts ; l'industrie pharmaceutique demande aussi la transparence. Nous pensons que le Cnom devrait pouvoir étudier tous les dossiers, toute la contractualisation entre l'industrie et les médecins. Aujourd'hui, nul ne rémunère plus les praticiens au nombre de boîtes de médicaments prescrites. A l'inverse, il faut rappeler que les liens d'intérêts ne sont pas tous des conflits d'intérêts.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - C'est la théorie du ministre.

Mme Chantal Jouanno , présidente . - La mienne aussi.

M. René-Paul Savary . - Pourquoi ne pas aller jusqu'à l'agrément a priori des congrès et des formations par le Cnom ou d'autres organismes ?

M. Xavier Deau . - Le conseil scientifique indépendant agréera les contrats de formation dans le cadre du développement professionnel continu. L'esprit de la loi est que tout se déroule dans une transparence totale, même si tout ne se mettra pas en place très vite.

M. Walter Vorhauer . - Actuellement, quand un avis est rendu, nul n'en connaît les suites. Nous sommes en train d'achever la mise à niveau des moyens notamment informatiques afin de traiter les dossiers en temps réel.

Mme Chantal Jouanno , présidente . - N'avez-vous aucun moyen de sanction lorsqu'un avis n'est pas suivi ?

M. Walter Vorhauer . - Nous n'avons pas de retour. C'est pourquoi nous le demandons avec beaucoup d'insistance.

Mme Chantal Jouanno , présidente . - S'il y en avait un, quel serait votre moyen de sanction ?

M. Walter Vorhauer . - Notre sanction viserait le médecin, même si celui-ci bénéficierait évidemment de tous les droits de la défense. Mais nous demandons que d'autres institutions soient avisées du comportement de l'industriel.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Vous ne pourriez rien faire en cas de publicité effectuée par une entreprise dont le médecin serait salarié.

M. Walter Vorhauer . - La jurisprudence de la Cour de cassation autorise désormais des poursuites en cas de publicité d'une société ayant pour but de procurer des avantages directs ou indirects à des praticiens. Trois dossiers font actuellement l'objet de poursuites pénales.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Ce ne sont pas des poursuites civiles. On voit dans les journaux des publicités vantant les mérites d'officines de blanchiment dentaire.

J'en arrive au mécanisme de certification des dispositifs médicaux. Que pensez-vous de l'élaboration par l'Afssaps et la HAS d'une liste positive des dispositifs de classe III qui devraient faire l'objet d'évaluations cliniques poussées avant et après leur mise sur le marché ? Seriez-vous favorables à la mise en place de mécanismes d'autorisation préalable de mise sur le marché pour ces dispositifs ?

M. Walter Vorhauer . - C'est ce que nous demandons, avec les autres ordres professionnels en Europe : le dispositif médical doit être traité comme le médicament.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Quelles seraient, selon vous, les pistes à explorer afin d'améliorer la formation initiale et continue des médecins dans l'utilisation des dispositifs médicaux ? Comment éviter que cette formation ne soit exclusivement financée par les laboratoires et les industriels ?

M. André Deseur . - Il n'appartient pas aux laboratoires ni aux industriels d'assurer la formation des médecins. Celle-ci doit être technique, scientifique et universitaire, et sanctionnée par des diplômes universitaires ou interuniversitaires.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Venons-en à la réglementation applicable aux interventions à visée esthétique. Comment appréciez-vous le rôle des pouvoirs publics dans l'encadrement des actes à visée esthétique, notamment s'agissant de l'interdiction de certaines pratiques dangereuses prévue à l'article L. 1151-3 du code de la santé publique ? Cet encadrement doit-il être modifié ou renforcé ?

M. Xavier Deau . - L'action des pouvoirs publics est insuffisante. Nous avons tiré la sonnette d'alarme dès 2003-2004, et nous pensions que le rapport Gallot de 2008 sur les interventions à visée esthétique serait suivi d'effet. La loi HPST abordait aussi la question mais nous restons en l'attente des décrets d'application. Oto-rhino-laryngologistes, dermatologues, spécialistes de chirurgie plastique et reconstructrice se disputent l'activité et, en conséquence, les décrets ne sont toujours pas pris. C'est dommage, car nous avons besoin d'un encadrement législatif plus rigoureux afin que la sécurité des patients soit assurée. Nous l'avons dit, la mésothérapie peut être dangereuse, tout comme les fils crantés. Les produits de comblement forment parfois des granulomes non résorbables. La HAS en reste aux balbutiements.

M. Walter Vorhauer . - Le Cnom peut dénoncer un manque de suivi, mais il ne fait alors que relayer l'avis de l'Académie de médecine ou d'autres experts, comme le professeur Lantieri sur la lipolyse. Son rôle n'est pas de se substituer aux sociétés savantes.

En la matière, l'action des pouvoirs publics nous paraît un peu brouillonne : on l'a encore constaté à propos des injections péribuccales d'acide hyaluronique. Nous appelons de nos voeux une meilleure concertation et aimerions que nos interlocuteurs ne changent pas d'avis en fonction des directives qu'ils reçoivent.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Les sanctions prononcées par le Conseil à l'encontre de médecins pratiquant des interventions de chirurgie et de médecine esthétiques sont-elles devenues plus fréquentes et quels en sont les principaux motifs ?

M. Walter Vorhauer . - Le nombre de sanctions a augmenté assez nettement, mais ce chiffre n'est pas représentatif car nous ne sommes pas au fait de toutes les dérives. Les rejets de plaintes sont devenus plus rares. Cependant l'instruction d'une plainte prend du temps, depuis la chambre disciplinaire de première instance jusqu'à l'appel, et voit souvent s'opposer les experts. Sont visés des praticiens qui n'ont pas les compétences requises ou qui exercent dans des conditions matérielles strictement inadmissibles. Une réflexion est en cours au niveau européen sur la définition d'une norme applicable à la chirurgie esthétique. C'est un projet intéressant mais nous sommes absolument opposés à une norme de type Afnor (association française de normalisation), car l'art médical n'est pas une industrie. Les conditions immobilières et mobilières dans lesquelles sont pratiqués des actes de chirurgie, mais aussi de médecine esthétique de niveau I, doivent être réglementées.

Les autorités sont aujourd'hui beaucoup plus vigilantes que par le passé. On entend souvent parler des bienfaits de la chirurgie esthétique mais bien plus rarement de désastres qui en résultent, car les patients répugnent fréquemment à porter plainte.

M. Xavier Deau . - On touche à l'intimité des personnes, à leur image. Lorsqu'une intervention est ratée, beaucoup de victimes ont honte et se cachent. Il faut leur assurer un sentiment de sécurité et de transparence.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Tous les médecins pratiquant des actes de médecine esthétique ne devraient-ils pas être déclarés à l'agence régionale de santé (ARS) ou au conseil départemental de l'ordre des médecins ? Sont-ils aujourd'hui recensés ?

M. Xavier Deau . - Une procédure de déclaration est indispensable. Depuis 2007, le Cnom accorde aux titulaires du diplôme interuniversitaire « médecine morphologique et anti-âge » le droit de s'en prévaloir sur leur plaque et leurs ordonnances afin de disposer de listes départementales accessibles aux patients. Mais nous déplorons que les universitaires tardent depuis dix ans à faire évoluer cet enseignement.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - A quoi est-ce dû ?

M. Xavier Deau . - Tout le monde veut faire de la médecine esthétique, mais la formation doit être définie à l'échelon national par la Conférence des doyens et non par quelques hurluberlus universitaires. La création d'un diplôme de type Desc 1 serait un gage de transparence.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - La dermatologie n'est-elle pas soumise à une réglementation plus stricte que les autres spécialités ?

M. Xavier Deau . - Nous avons fait remarquer en 2007 que la maquette de dermatologie ne faisait qu'une place très restreinte aux actes à visée esthétique. Depuis, ce volet a été élargi. Il est vrai que ces actes n'intéressent pas tous les dermatologues, et ne représentent jamais plus de 2 % à 3 % de leur volume d'activité.

M. Walter Vorhauer . - Un répertoire existe : le tableau de l'ordre. Toutes les qualifications en chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique y figurent. Il est accessible à la population. Les patients s'adressent souvent aux conseils départementaux pour savoir si un praticien est qualifié ou non ; on leur indique simplement s'il figure ou non sur la liste mais tout s'arrête là. Le DIU « médecine morphologique et anti-âge » est le seul qui donne droit à un titre, mais d'autres titres fleurissent sur les plaques. Les conseils départementaux et les ARS doivent travailler la main dans la main, car les ARS disposent de pouvoirs d'investigation qui leur sont propres sur les établissements. La plupart des praticiens travaillent dans de bonnes conditions, c'est par quelques-uns que le scandale arrive.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Pourquoi cette expression « anti-âge », qui n'est pas très médicale ?

M. Xavier Deau . - C'est un calque de l'anglais. En France, on ne peut utiliser le même mot pour désigner des qualifications dans des spécialités différentes. L'adjectif « esthétique » étant réservé à la chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique, il a fallu trouver un autre titre pour les dermatologues et autres médecins exerçant dans ce domaine. En Italie et en Espagne, on parle bien de « médecine esthétique ».

Mme Chantal Jouanno , présidente . - S'il n'est pas titulaire du DIU, un médecin peut-il pratiquer ces actes ?

M. Xavier Deau . - Oui, ce diplôme n'est pas exclusif : je le pourrais moi-même, alors que je ne sais pas les pratiquer. S'il existait un diplôme national officiel du type Desc 1, seuls les médecins ayant effectivement acquis cette formation pourraient le faire. Reste que ce type d'actes ne formera jamais le coeur de métier d'un médecin.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Pourquoi ne pas créer un groupe d'experts commun à l'Afssaps et au Conseil de l'ordre, chargé d'évaluer les risques des dispositifs et produits utilisés dans les interventions à visée esthétique, afin de rassembler des données scientifiques sur la médecine esthétique ?

M. Xavier Deau . - On peut créer autant de groupes que l'on voudra, on n'avancera pas sans volonté politique. Depuis neuf ans, les choses traînent. Pour garantir la sécurité des patients, il faut mettre en place une formation homologuée.

M. René-Paul Savary . - Que le Conseil de l'ordre veuille réglementer est très positif. Des mesures de bon sens s'imposent, tant sur l'autorisation de mise sur le marché (AMM) que sur la délivrance des formations par les universités.

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Avant d'exiger des médecins pratiquant des actes à visée esthétique qu'ils soient titulaires d'un diplôme, il faudrait définir ces actes et les distinguer de la cosmétologie. La distinction n'est vraiment pas facile.

M. Walter Vorhauer . - Les choses progressent. Nous avons été appelés ce week-end à formuler des observations sur le projet de décret qui précise les actes - autres que la chirurgie - à visée esthétique réservés aux médecins : comblement de toute partie du corps, amincissement, traitement des lésions cutanées, épilation par des produits autres que la pince ou la cire, traitement des rides, traitement des calvities et alopécies et tatouage médical par des produits, dispositifs, techniques, rayonnements électromagnétiques ou ultrasons. Par ailleurs, ce décret en interdit d'autres, à savoir plusieurs techniques de lyse adipocytaire. C'est déjà un net progrès ! En complément, les qualifications requises pour pratiquer les actes réservés doivent être fixées par arrêté des ministres de la santé et de l'enseignement supérieur ; espérons que cet arrêté ne réduira pas la portée du décret, et que celui-ci sera bientôt publié.

M. Jacky Le Menn . - Qu'est-ce qui explique selon vous l'absence de volonté politique universitaire en la matière ? Parlez sans langue de bois.

M. Walter Vorhauer . - Ce n'est pas mon habitude, vous avez pu le constater. Il faut supposer qu'un intense lobbying s'exerce, mais je n'en sais pas plus : je ne suis pas dans le secret des pouvoirs publics.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Nous le percerons !

M. Xavier Deau . - Les intérêts financiers sont considérables.

M. Walter Vorhauer . - Des officines font de la publicité pour des formations adressées aux médecins. Le marché doit être particulièrement lucratif. Que l'on ne me dise pas qu'il s'agit de santé publique !

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Merci de vos réponses très claires et de vos propositions. Nous avons pour notre part la volonté politique de changer les choses.

Audition de Mme Laurence DAGALLIER, directrice de la certification et de la formation, M. Thierry THOMAS, responsable du pôle G-MED, et Mme Corinne DELORME, responsable des affaires réglementaires, du Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE) (mardi 20 mars 2012)

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Nous recevons à présent les responsables du Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE), seul organisme notifié en France au sens des directives européennes relatives aux dispositifs médicaux, le seul donc à délivrer le marquage CE. Tous nos interlocuteurs ont semblé s'accorder sur le fait que la procédure de certification ne garantit pas à elle seule l'innocuité des dispositifs médicaux. Le manque d'essais cliniques de pré-inscription est souvent cité comme une des failles du système. Il n'est pas dans notre intention de faire le procès de ceux qui délivrent le marquage CE ; ce que nous voulons, c'est mieux comprendre la procédure suivie et les obligations qui pèsent sur les fabricants, les organismes notifiés et les autorités.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Pouvez-vous nous présenter brièvement le LNE et ses activités ? Dans quelles conditions le LNE est-il devenu un organisme notifié ? Quels ont été les critères retenus par l'Afssaps pour vous décerner cette qualification, et selon quelles procédures ?

Mme Laurence Dagallier, directrice déléguée du LNE . - Créé en 1901 comme un laboratoire d'essais pour le compte de l'éducation nationale, le LNE est devenu un établissement public industriel et commercial en 1978. Il exerce des missions de service public et des activités à caractère commercial, pour réaliser des prestations d'essais et de certification, de recherche et de développement, d'étalonnage et de métrologie. Il est placé sous la tutelle du ministère de l'industrie, et son conseil d'administration comprend des représentants de l'Etat - dont le ministère de la santé -, des industriels et des représentants du personnel. Son chiffre d'affaires avoisine 76 millions d'euros et il emploie environ huit cents personnes. Outre ses établissements de Paris et de Trappes, où sont ses laboratoires, il dispose d'implantations régionales. Il a aussi des filiales à l'étranger, dont une aux Etats-Unis, dédiée aux dispositifs médicaux, et détient des participations dans des filiales de certification et d'évaluation.

Au sein du LNE, a été créé, il y a plus de trente ans, un organisme de certification reconnu et agréé aux niveaux national et international. C'est un organisme notifié au titre d'une vingtaine de directives européennes, principalement dans les secteurs de la métrologie légale, des produits de construction et des dispositifs médicaux, ces derniers représentant un quart de son activité. Un département du LNE, le G-MED, est plus particulièrement chargé de la certification et de l'évaluation des dispositifs médicaux, en application des directives européennes et d'autres référentiels. En effet, le G-MED peut délivrer des certifications valables au Canada ; la Food and Drug Administration (FDA) l'a habilité à procéder à des inspections pour son compte, préalablement à la mise sur le marché de dispositifs médicaux aux Etats-Unis ; il est aussi reconnu en Australie, au Japon, et le sera bientôt au Brésil.

Comment le LNE est-il devenu organisme notifié ? En 1994, un groupement d'intérêt économique - le G-MED - a été mis en place par les ministères de la santé et de l'industrie ; il associait le LNE et le Laboratoire central des industries électriques (LCIE). Le ministère de la santé lui a confié le rôle d'évaluer les dispositifs médicaux les plus critiques en vue de leur homologation. En 1990 et 1993 ont été publiées deux directives sur les dispositifs médicaux, chacune devant s'appliquer cinq ans plus tard ; le G-MED a alors été notifié par le ministère à la Commission de Bruxelles comme organisme chargé d'appliquer ces textes. Plus tard, le LNE a repris à son compte les activités auparavant exercées par le LCIE pour le marquage CE.

Les critères de notification sont ceux qu'énonce l'annexe XI de la directive aujourd'hui reprise dans le code de la santé publique : intégrité, compétence, indépendance, moyens techniques et humains. Son statut d'Epic et la tutelle par le ministère de l'industrie garantissent l'indépendance et l'impartialité du LNE. Son personnel a été constitué en regroupant les personnels qui étaient chargés de l'évaluation dans le cadre de la procédure d'homologation et les employés du LNE qui s'occupaient déjà de certification et d'évaluation de dispositifs médicaux : l'expertise du Laboratoire au sujet des dispositifs électro-médicaux et des implants était dès cette époque internationalement reconnue.

En tant qu'organisme notifié, le LNE G-MED emploie aujourd'hui une soixantaine de collaborateurs qui se consacrent aux dispositifs médicaux, et a recours à un réseau d'experts cliniciens et à des auditeurs externes partout dans le monde afin de faciliter l'accès aux entreprises. Il compte plus de huit cents clients et il est notifié au titre des trois grandes directives relatives aux dispositifs implantables actifs, aux dispositifs médicaux en général et aux dispositifs de diagnostic in vitro.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Etes-vous régulièrement contrôlés par l'Afssaps ? Quelles formes ces contrôles prennent-ils ? Sont-ils inopinés, sur place ou sur pièces, et sur quels points portent-ils ? Quelle est leur fréquence ? L'Afssaps vous adresse-t-elle des recommandations à l'issue de ces contrôles ?

Mme Laurence Dagallier . - Nous sommes évidemment contrôlés. Ces contrôles revêtent plusieurs formes. L'Afssaps mène parfois chez nous des inspections de plusieurs jours portant sur l'ensemble du champ des évaluations, avec des équipes d'inspecteurs et d'experts. Il s'agit alors d'évaluer nos procédures mises en place pour mener l'évaluation à bien, de vérifier leur application à des cas concrets grâce à un échantillonnage et de déceler d'éventuels écarts. Des contrôles plus ponctuels d'un ou deux jours portent sur une catégorie de dispositifs médicaux en particulier ou destinés à observer l'audit que nous menons chez un fabricant. Enfin, l'Afssaps nous interroge sur des thèmes précis, par exemple, les dispositifs médicaux stériles, le plan de transition entre deux directives, etc. Nous y répondons et nous organisons parfois des réunions. Depuis dix ans que le LNE est organisme notifié, il a fait l'objet de neuf inspections - deux ans après la notification, puis tous les ans, puis la fréquence a diminué avant d'augmenter de nouveau - et il est questionné au moins trois ou quatre fois par mois.

A l'issue, l'Afssaps ne formule pas de recommandations mais établit un rapport d'inspection qui décrit la situation, souligne les éventuels écarts et demande des corrections, en fixant un délai. Si notre réponse ne la satisfait pas, elle exige des actions complémentaires. L'Agence vérifie que ses demandes ont été prises en compte lors de son inspection suivante ou par des demandes d'informations relatives à l'application des recommandations.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Ces contrôles sont-ils parfois inopinés ?

Mme Laurence Dagallier . - Non, hormis les questionnements.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Dans quel délai répondez-vous ?

Mme Laurence Dagallier . - En deux ou trois jours. Quant aux rapports d'inspection, le dossier d'inspection lui-même fixe le délai dont nous disposons pour dire si nous acceptons les constats qui ont été dressés et quelles actions nous comptons entreprendre.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Comment expliquez-vous qu'il n'existe qu'un seul organisme notifié en France alors qu'ils sont nombreux en Europe ?

Mme Corinne Delorme, responsable des affaires réglementaires du LNE . - Les Etats membres et assimilés ont procédé différemment les uns des autres. Au titre de la directive 93/42/CE, l'Allemagne a notifié jusqu'à seize organismes, la France, l'Italie, les Pays-Bas, l'Espagne, le Portugal et le Danemark n'en ont notifié qu'un. Il faut tenir compte du fait que certains organismes ne sont notifiés que pour une partie des modules d'évaluation de conformité et que tous le sont pour un champ de dispositifs médicaux bien défini. Une certaine concentration de l'activité, nous semble-t-il, permet la thésaurisation des compétences et des expériences et facilite la surveillance exercée par les autorités. On ne peut pas parler de client captif, car il est possible de s'adresser à d'autres organismes notifiés à l'étranger ; il n'existe donc pas à proprement parler de territorialité et la concurrence n'en est pas limitée.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Quelles relations entretenez-vous avec vos homologues européens ?

Mme Corinne Delorme . - Nous avons d'abord des relations très institutionnelles au sein du groupe des organismes notifiés nommé NB-Med (Notified Bodies Medical Devices), qui se réunit sous l'égide de la Commission européenne tous les semestres et mène des travaux généraux et, dans le cadre de sous-groupes, des réflexions sur des problèmes plus spécifiques. Sur une base plus volontaire, l'association des organismes notifiés européens pour les dispositifs médicaux, Team-NB, se donne pour tâche de faire connaître l'expérience de ses trente-deux membres au service de la Commission européenne et de mener des activités relevant de leur domaine de compétences. Avec quatre autres organismes, le LNE a été à l'initiative d'un code de conduite, à présent signé par onze organismes, qui a pour objectif de fixer des règles précises en matière de qualification du personnel, de durée et de modalités des évaluations, de sous-traitance et de prise de décision en matière de certification. En 2011, ce code de conduite a été transmis à la Commission européenne afin d'être pris en compte dans le cadre de la rédaction en cours d'une nouvelle réglementation appelée à remplacer les directives actuelles.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Vous avez évoqué la sous-traitance. Si l'on revient à la fabrication des dispositifs médicaux et à leur contrôle, les produits appartenant aux lignes génériques sont-ils soumis aux mêmes vérifications que ceux sous marque du fabricant ?

Mme Laurence Dagallier . - Un dispositif médical peut être décliné en différentes variantes qui sont toutes répertoriées dans les dossiers techniques des fabricants. Un fabricant peut aussi sous-traiter tout ou partie de sa production : dans ce cas les règles de surveillance s'appliquent au sous-traitant comme au fabricant.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Contrôle-t-on la fabrication ou le produit fini ?

Mme Laurence Dagallier . - Les deux. Le dossier de conception doit être établi par celui qui sous-traite, et au moment de l'audit de ce fabricant nous exigeons que le sous-traitant soit certifié par un organisme notifié au moins.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - La surveillance est-elle régulière ? Prévenez-vous les fabricants des inspections que vous programmez ?

Mme Laurence Dagallier . - Oui : il s'agit d'audits, de contrôles de production.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Un fabricant peut donc dissimuler certains faits ?

Mme Laurence Dagallier . - La fraude est toujours possible mais difficile. L'origine des dispositifs et de leurs composants est retracée dans un dossier. Certes, nous procédons par échantillonnage et une fraude peut échapper à l'organisme notifié : tout dépend de la profondeur de l'audit.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Les prothèses PIP avaient été certifiées par un organisme notifié allemand, qui - on peut l'espérer - avait fait son travail correctement. Comment expliquez-vous que l'on ne se soit pas aperçu des dérives ultérieures ?

Mme Laurence Dagallier . - Je ne suis au fait de ce dossier que par la presse. Autant que je sache, un organisme notifié - autre que le LNE G-MED - a examiné le dossier de conception et réalisé un audit, mais le fabricant a mis dans ses prothèses autre chose que ce qu'il avait déclaré dans le dossier. On est exactement dans le monde de la fraude.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Justement. Existe-t-il un suivi après certification ? Contrôlez-vous les entreprises après les avoir prévenues ou de manière inopinée ?

Mme Laurence Dagallier . - L'intervention peut être inopinée.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Est-ce la règle ?

Mme Laurence Dagallier . - Non, d'ailleurs la directive ne le prévoit pas.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Mais nous sommes là pour envisager des modifications.

M. Thierry Thomas, responsable du pôle G-MED . - La directive prévoit une obligation d'audits annuels sur site qui font l'objet d'une information préalable de l'entreprise et la possibilité d'audits inopinés. Il nous arrive d'en faire mais ce n'est pas la règle. Parfois, selon les conclusions de l'audit sur site, nous revenons six mois après. La conception, elle, est évaluée sur pièces, suite à la transmission par le fabricant.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Vous rendez-vous dans les hôpitaux pour étudier les dispositifs achetés sur le marché ?

Mme Laurence Dagallier . - Ce n'est pas notre mission. Le contrôle du marché relève de l'Afssaps.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - En a-t-elle les moyens ?

Mme Laurence Dagallier . - Je l'ignore. Mais la mission des organismes notifiés consiste en l'évaluation et la certification des dispositifs médicaux.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Venons-en à la procédure de certification des dispositifs médicaux. Quelle est la procédure de délivrance de la certification CE pour les dispositifs implantables ? Quelles sont les obligations du fabricant ? Le LNE a-t-il la possibilité en opportunité de mener des tests supplémentaires ?

M. Thierry Thomas . - Les dispositifs médicaux sont répartis en quatre classes, I, IIa, IIb et III. Les implants appartiennent à la classe IIb ou à la classe III. Pour les évaluer, nous nous référons aux exigences décrites dans les directives et nous appuyons sur les guides dits Meddev établis par la Commission européenne. Lorsque le fabricant respecte les normes européennes harmonisées, il existe une présomption de conformité aux exigences européennes, qui concernent les données cliniques, les normes techniques - de biocompétitivité, de stérilisation, etc. - ainsi que les types d'essais et les spécifications à remplir.

Les dispositifs médicaux implantables de classes IIb ou III font l'objet d'une étude préalable différente selon leur classe.

Par exemple, un anneau gastrique ou un implant dentaire appartiennent à la classe IIb. Ils ne sont pas en contact avec le système nerveux central ni avec le système circulatoire central, ils ne contiennent pas de matériaux à risque, d'origine animale ou médicamenteuse. Certains produits ont été reclassés en classe III par la Commission européenne, par exemple les implants mammaires en 2000 ou les prothèses de hanche, de genou... Lorsqu'il examine un dispositif de classe III, l'organisme notifié analyse le dossier de conception et les éléments de preuve transmis par le fabricant, tels que le cahier des charges et des spécifications recherchées, la référence aux normes revendiquées, les données précliniques et les tests de gestion des risques réalisés par le fabricant. L'évaluation clinique, également transmise par le fabricant, vise à démontrer la performance du produit, sa sécurité et à présenter le rapport bénéfices-risques. En complément, on examine les informations relatives à la réalisation du produit. Elles portent sur le processus de fabrication, les contrôles tout au long de la production, le conditionnement, la stérilisation. On reçoit également du fabricant la documentation qui accompagne le produit, notice et étiquetage en fin de processus. L'organisme notifié se rend sur site pour vérifier que l'entreprise a bien mis en oeuvre les moyens pour assurer de façon constante la production de dispositifs correspondant à la qualité annoncée.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Comment évaluez-vous cliniquement les risques ?

M. Thierry Thomas . - L'annexe X de la directive décrit comment évaluer cliniquement les dispositifs ; ce texte s'adresse aux fabricants comme aux organismes notifiés. S'agissant d'un dispositif médical de classe III, trois voies sont admises : le fabricant peut démontrer qu'un dispositif équivalent est déjà commercialisé et s'appuyer sur la littérature, c'est ce qu'on appelle la voie « bibliographique » ; les essais cliniques réalisés selon un protocole bien établi constituent une autre méthode d'évaluation clinique ; il est également possible de combiner les deux approches.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Comment réalise-t-on les essais cliniques pour une prothèse de la classe III, dans un laboratoire ou dans un service hospitalier ? Procède-t-on comme pour les médicaments ?

M. Thierry Thomas . - Un essai clinique réalisé chez l'homme doit être déclaré aux autorités compétentes et effectué en milieu hospitalier.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Comme pour les médicaments ?

M. Thierry Thomas . - Oui. Il est réalisé préalablement au marquage CE.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Effectuez-vous des tests de résistance ?

M. Thierry Thomas . - Au stade préclinique, celui de la conception, le fabricant doit réaliser des essais de résistance et transmettre les résultats.

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Les essais sont réalisés par les fabricants. Avez-vous la possibilité de demander des contre-expertises ? Avez-vous les moyens de juger les protocoles, s'agissant de produits radicalement nouveaux ?

M. Thierry Thomas . - Les protocoles sont évalués, au même titre que les résultats. Si le dispositif n'est pas conforme aux normes européennes harmonisées, le fabricant doit démontrer que la solution choisie permet de garantir la sécurité du produit. Nous ne nous interdisons pas de consulter des experts spécialisés pour apprécier la pertinence du protocole puis des résultats obtenus.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Quel suivi particulier assurez-vous pour les dispositifs médicaux implantables ? Existe-t-il des révisions périodiques ? Etes-vous en mesure de détecter une dérive de fabrication ? Quelle mesure prenez-vous dans ce cas ?

M. Thierry Thomas . - A la suite de l'audit annuel, nous pouvons demander des investigations complémentaires, un suivi particulier sur un point ou un autre. Tous les cinq ans, en outre, les dossiers de conception sont revus sur la base de la documentation transmise par le fabricant. Nous pouvons alors évaluer les modifications dans la conception ou dans l'organisation de la production. Le fabricant a l'obligation d'informer l'organisme notifié et les autorités compétentes en matériovigilance de tous les incidents. Nous pouvons aussi saisir les autorités, qui déclencheront des investigations.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Et si les fabricants ne respectent pas cette obligation ?

M. Thierry Thomas . - Ils la respectent.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - On voit tous les jours des prothèses présentant des malfaçons qui ne sont pas détectées dans l'instant.

M. Thierry Thomas . - Lors des audits, nous avons accès aux informations de matériovigilance et pouvons examiner les données acquises post-production, c'est-à-dire les anomalies et les réclamations des clients, que le fabricant doit déclarer et consigner dans un registre.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Que vous inspire la répétition d'incidents concernant la sécurité des dispositifs médicaux implantables ? Faut-il renforcer les obligations préalables à leur mise sur le marché ?

Mme Laurence Dagallier . - On constate deux grandes catégories d'incidents. Les premiers relèvent de la fraude manifeste, le fabricant met sur le marché autre chose que ce qui a été évalué et certifié. Dans ce cas, lors des audits, le fabricant ne donne pas accès à ce qu'il produit réellement. Ce type d'incidents relève des pouvoirs de police et du droit pénal ; nous ne sommes ni armés ni investis d'une mission en ce domaine.

L'autre catégorie d'incidents tient à un vide réglementaire, à une application partielle, ou mauvaise, de la réglementation - cependant considérablement renforcée depuis dix ans -, qui peut être liée au fabricant, à l'organisme notifié ou à l'autorité compétente elle-même. Sur les dispositifs médicaux, nous pouvons néanmoins suggérer des pistes et contribuer à faire évoluer les textes, car il demeure certains vides dans les obligations des fabricants, mais aussi des distributeurs. Il serait bon, également, de mieux préciser la nature et le périmètre des contrôles par les organismes notifiés. Nous passons un temps limité dans les entreprises. Il conviendrait de mieux préciser les modalités d'évaluation.

Il est également important de s'assurer du respect effectif de ses obligations par chacune des parties quelque soit l'Etat membre ou l'organisme notifié, pour éviter que les fabricants ne s'orientent préférentiellement vers les organismes notifiés les moins exigeants et les moins contrôlés. En Europe, il existe au moins quatre-vingts organismes notifiés. Il y a là aussi quelque chose à faire.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Existe-t-il des différences notables entre les procédures de certification dans les différents Etats membres ? Certains vous paraissent-ils plus laxistes que d'autres ? Comment remédier à cette situation ?

Mme Laurence Dagallier . - Tous ces organismes notifiés appliquent les mêmes textes réglementaires et les mêmes procédures. Cependant, nous en savons peu sur les pratiques des autres organismes notifiés. Lorsqu'un fabricant change d'organisme - qu'il nous quitte ou nous rejoigne - nous voyons ce que l'autre organisme nous transmet ou nous demande... ou ne nous demande pas comme, par exemple, les informations commerciales ou techniques du fabricant. C'est surtout dans les réunions internationales que nous avons des échanges, mais il s'agit d'un groupe restreint, tous les organismes n'y participent pas.

Certaines différences sont sans conséquence, car les données de sortie peuvent être jugées équitables mais d'autres nous préoccupent, car elles mettent en cause les pratiques concurrentielles ou le respect des exigences réglementaires. Lorsque nous établissons une proposition commerciale, celle-ci dépend du nombre de jours nécessaire à l'évaluation. Nous sommes souvent en concurrence avec d'autres organismes notifiés, interrogés également. Or, certaines propositions n'ont rien à voir avec la nôtre en nombre de jours et en niveau de qualification des évaluateurs mobilisés. En revanche, les organismes notifiés sérieux pratiquent des tarifs équivalents.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Certains trichent sur la concurrence ?

Mme Laurence Dagallier . - Oui. Nous avons par exemple refusé une certification pour un équipement électro-médical, car le fabricant ne démontrait pas sa conformité aux normes de sécurité électrique. Celui-ci nous a indiqué trois mois après qu'il avait obtenu la certification, mais l'organisme notifié n'étant pas reconnu au Canada, il souhaitait que nous lui accordions une extension de certification en vue de sa commercialisation dans ce pays. Je précise que nous sommes obligés de reconnaître la certification accordée par les autres organismes notifiés.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Avez-vous accordé l'extension ?

Mme Laurence Dagallier . - Non.

M. Jacky Le Menn . - La certification obtenue dans un Etat membre serait donc opposable dans toute l'Europe, sans possibilité pour les autorités nationales de demander une contre-expertise ?

Mme Laurence Dagallier . - C'est le principe des directives européennes, de la « nouvelle approche » qui a levé les entraves techniques aux échanges et de la libre circulation des marchandises.

M. Jacky Le Menn . - Et c'est le fabricant qui choisit l'organisme certificateur...

Mme Laurence Dagallier . - Oui, où il veut en Europe. Nous recommandons une homogénéisation du niveau d'expertise des inspecteurs évaluateurs. Et certains Etats n'ont pas les moyens de contrôler leurs organismes notifiés, qui opèrent alors sans aucun contrôle.

M. Jacky Le Menn . - Pourquoi ne pas exiger deux certificats ?

Mme Laurence Dagallier . - Ce serait un retour en arrière par rapport à la libre circulation. En outre, il y a rarement des problèmes.

M. Jacky Le Menn . - Mais il existe des maillons faibles.

Mme Laurence Dagallier . - Cela se gère dans d'autres domaines. Pour assurer une surveillance homogène et de même niveau partout, des organismes notifiés, il convient d'abord que ceux-ci ne soient pas trop nombreux. Et qu'ils soient évalués selon les mêmes règles et avec des données de sortie garantissant la sécurité du produit.

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Quand vous refusez la certification à une entreprise, cette décision est-elle transmise aux autres organismes ? A la Commission européenne ? La responsabilité d'un organisme notifié peut-elle être recherchée, en cas de problème sur un dispositif, si l'on s'aperçoit que la certification a été délivrée sans que tous les contrôles préalables aient bien été effectués ? Par qui le LNE, en tant qu'organisme notifié, est-il évalué, par l'Afssaps seule ou par les autorités européennes également ?

M. Thierry Thomas . - Un refus de certification est toujours transmis à l'autorité compétente - l'Afssaps - mais pas à la Commission européenne.

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Qu'il n'y ait rien au niveau européen apparaît contradictoire, car la libre circulation devrait avoir pour contrepartie une information au niveau européen et non seulement national. Un produit peut ainsi être commercialisé en France malgré le refus opposé par le LNE.

Mme Corinne Delorme . - Le système mis en place par la directive - depuis l'origine, mais plus encore depuis l'an dernier - repose sur Eudamed, base de données partagée entre la Commission européenne et les autorités compétentes. Mais les organismes notifiés n'y ont pas - encore - accès. Elle comprend notamment les statuts et les investigations cliniques.

Mme Laurence Dagallier . - La responsabilité des organismes notifiés, c'est d'avoir un personnel qualifié, de réaliser leurs audits avec sérieux - il est donc parfaitement possible de les mettre en cause s'ils n'ont pas réalisé correctement leurs évaluations. Qui le fera ? C'est seulement à l'occasion d'un incident de matériovigilance que l'on se retournera vers l'organisme certificateur, éventuellement. Nous souhaiterions une homogénéité des contrôles sur les organismes. Tant que l'incident n'est pas démontré, l'organisme notifié peut continuer son activité spécifique à la surveillance des organismes notifiés.

Mme Corinne Delorme . - Les autorités compétentes ont mis en place le groupe NBOG (Notified Body Operations Group) auquel l'Afssaps participe : des inspecteurs d'autres pays participent aux contrôles sur les organismes notifiés. Cela a été le cas lors de l'une de nos dernières inspections. En revanche, il n'existe pas d'inspection particulière de la Commission européenne. En dehors du marquage CE, nous sommes contrôlés chaque année par Santé Canada et par la FDA.

Table ronde sur les enjeux des interventions à visée esthétique dans les sociétés contemporaines (mardi 20 mars 2012)

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Nous avons le plaisir d'accueillir le professeur Maurice Mimoun, chef du service de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique de l'hôpital Saint-Louis, Mme Elisabeth Azoulay, ethnologue, enseignante à Sciences Po et M. Jean-François Amadieu, sociologue, professeur à l'université Panthéon-Sorbonne.

L'accroissement du nombre des interventions esthétiques est spectaculaire tant à l'échelle mondiale qu'à la seule échelle de notre pays. Nous savons que certaines de ces interventions ne relèvent que de la seule responsabilité individuelle. Mais nous souhaitions vous poser quelques questions sur le phénomène de société que cette évolution représente : quels en sont les ressorts culturels, sociaux mais aussi économiques ? Est-ce la traduction en termes technologiques modernes d'une quête de perfection esthétique qui est historique ?

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Quelles sont les places respectives des facteurs sociaux, culturels, économiques et individuels dans le recours croissant aux interventions à visée esthétique dans les sociétés contemporaines ? Peut-on parler de banalisation de la chirurgie et de la médecine esthétiques ? Faut-il s'inquiéter de cette évolution ? Y a-t-il des risques autres que strictement médicaux pour l'individu et/ou la société ?

M. Jean-François Amadieu, sociologue, professeur à l'université Panthéon-Sorbonne . - Les facteurs explicatifs sont pluriels : psychologiques, sociologiques et économiques... Les aspects psychologiques sont difficiles à démêler des aspects sociaux. S'agissant des premiers, se pose d'abord la question de l'estime de soi. On constate que les individus, en particulier pendant l'enfance et l'adolescence, peuvent avoir une mauvaise « estime de soi » en raison de leur apparence physique. Les seconds aspects, d'ordre sociologique, concernent les questions d'intégration, de séduction. Des enquêtes convergentes révèlent la stigmatisation des personnes dont l'apparence physique n'est pas dans la norme et qui sont donc susceptibles d'être victimes de moqueries ou de faits de harcèlement. Les enquêtes de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) ont permis de constater que la taille et le poids constituent le premier motif, déclaré par les Français, de moquerie, de mise à l'écart ou de refus d'un droit, à égalité avec le motif tiré des noms et prénoms. Entre dix et dix-neuf ans, tranche d'âge pendant laquelle l'on dénombre le plus de moqueries, la taille et le poids représentent le premier motif de discrimination pour 57 % des personnes interrogées.

En ce qui concerne la vie professionnelle en général et l'accès à l'emploi en particulier, l'Observatoire des discriminations a mené des études dont les résultats sont inquiétants car ils démontrent les impacts discriminatoires de l'apparence physique et notamment du visage. Dans les enquêtes européennes, l'apparence physique est le quatrième motif de discrimination déclaré. Au troisième rang arrive l'âge, ce qui explique que les individus cherchent à combattre les stigmates du vieillissement par tous les moyens. Ces stigmates apparaissent ainsi comme une importante cause de discrimination, avant même le handicap.

Les enquêtes effectuées pour le compte du Défenseur des droits, de l'ancienne Halde et du Bureau international du travail (BIT) sur les discriminations dans le domaine du travail montrent que l'apparence physique est le troisième motif déclaré par les Français dans la fonction publique, le cinquième dans le secteur privé... Les tests sur les CV avec photos confirment sans erreur possible que dès le stade du recrutement, une personne au visage en surcharge pondérale, disgracieux ou dissymétrique est victime de discrimination. J'utilise également des mesures de stéréotypes sur le modèle des tests d'association implicite développés aux Etats-Unis. Ces tests montrent l'étendue des stéréotypes et des préjugés négatifs. Sans même aborder les questions du licenciement et des écarts de salaires, nous voyons que l'enjeu de l'apparence physique est important pour l'accès et le maintien dans l'emploi.

Il y a enfin la question du corps parfait et de la volonté de correspondre aux modèles promus par la publicité dans tous les médias. Dans ce domaine, l'effort des annonceurs est limité et les progrès sont très lents.

M. Maurice Mimoun, chef du service de chirurgie plastique, reconstructive et esthétique et traitement chirurgical des brûlés de l'hôpital Saint-Louis . - Le sujet est d'une ampleur inimaginable. La chirurgie esthétique peut sembler futile, or elle pose les questions les plus profondes, jusqu'à la question du handicap. Pour montrer sa complexité, je souhaite l'illustrer par un cas dont j'ai eu à connaître. Il est difficile de fixer les limites respectives des champs de la chirurgie esthétique et de la chirurgie réparatrice : tandis que je pensais qu'une patiente paraplégique venue à la consultation en fauteuil roulant s'apprêtait à me parler d'un handicap, elle souhaitait en réalité se faire retirer une petite bosse sur le nez, opération fondamentale pour elle. Il faut donc se garder de juger les démarches individuelles.

Il existe deux manières de pratiquer le métier de chirurgien esthétique. Selon une première approche, la chirurgie esthétique viserait à homogénéiser les corps et les visages, ce qui serait une manière de rendre les stigmatisations impossibles puisque nous serions tous pareils. Ce serait une catastrophe. L'éducation doit apprendre à ne pas juger sur les apparences.

Selon la seconde approche, il faut absolument conserver une médicalisation de l'acte esthétique que nous pratiquons : la question que doivent se poser les chirurgiens esthétiques est de savoir si l'opération envisagée rendrait service au patient à titre individuel. Faut-il accéder à sa demande au plan chirurgical et cette accession lui donnera-t-elle un petit peu plus d'aise ? La relation médicale est une relation individuelle, d'un individu à un autre. En médecine, on ne guérit pas toujours mais on soulage, on atténue.

En elle-même, la beauté ne veut rien dire car les critères esthétiques sont très différents d'un individu à l'autre. Le chirurgien qui travaille selon l'idée du nombre d'or ou de symétrie a une vision désastreuse de sa profession. Il doit s'agir de tout autre chose : l'objectif est de mettre le patient en accord avec lui-même.

Mme Elisabeth Azoulay, ethnologue . - Situons le phénomène dans l'histoire et même dès la préhistoire. L'entreprise de transformation des corps est un sujet anthropologique qui accompagne depuis extrêmement longtemps les êtres humains. On a retrouvé des artefacts de transformation des corps qui remontent jusqu'à 400 000 ans avant Jésus-Christ. Les êtres humains ne se contentent pas de leur corps biologique, ils ont un corps culturel en tête et le façonnent à la fois pour répondre aux critères du groupe et pour construire leur personnalité. On se construit toujours en interaction et avec le regard de l'autre et l'individualité se comprend toujours par rapport à l'autre.

Dans ce façonnage, il y a place pour toutes sortes de moyens d'intervention et l'on n'a pas attendu la chirurgie pour transformer le corps, jusqu'au squelette y compris. Par exemple, dans l'Antiquité, les Olmèques, société mère des Aztèques et des Mayas, déformaient le crâne des enfants de l'aristocratie pour lui donner une forme oblongue de manière à ce qu'il ressemble au dieu-maïs. Ascèse alimentaire, sport et musculation, tatouages, piercings, inclusion d'objets, scarifications, maquillage, les moyens sont infinis. On en a usé avec beaucoup d'ambition avant même l'intervention de la chirurgie moderne.

Jusqu'à une certaine époque, les transformations ont été le fait des groupes. Le bandage des pieds des Chinoises ne relevait pas du choix des enfants, mais d'un rite. A l'époque des Lumières, cependant, naît le quant à soi individuel, tandis que la société amorce sa laïcisation. Auparavant dominait l'idée que le corps était un don de Dieu et qu'il ne fallait pas contrecarrer l'oeuvre de Dieu... Désormais les transformations de soi commencent à être vécues comme relevant du champ des décisions personnelles. Nous ne sommes jamais totalement libres et répondons à des injonctions ou des influences mais nous n'obéissons pas à des ordres. Contrairement à ce que l'on lit, jamais nous n'avons été aussi libres puisque nos corps ne sont pas transformés au cours de notre enfance ou malgré nous pour répondre à un rite, même si nous ne vivons pas dans le huis clos d'une individualité fermée sur elle-même.

Les gestes de beauté se retrouvent dans toutes les sociétés, à toutes les époques et partout, parce que tout ce qui se passe sur le corps est un langage de signes, qui marquent l'appartenance à un groupe et fournissent des renseignements biographiques, comme un statut matrimonial par exemple. Nous n'échappons pas à cela aujourd'hui.

La généralisation des interventions à visée esthétique est inéluctable et sera toujours dans une tension entre la manière d'exister en tant qu'individu et le fait de devoir se raccrocher à un langage partagé par un groupe.

Il existe aujourd'hui deux grandes différences par rapport à l'histoire. Premièrement, le passage de l'individu au groupe comme décideur. Deuxièmement, la longueur de nos vies : dans le passé, on vivait quarante ans, cinquante au mieux. Aujourd'hui, l'espérance de vie tend vers cent ans. L'on ne peut pas demander à des gens de quatre-vingts ans de se comporter comme des gens qui vivaient trente ou quarante ans. C'est une invitation à réinventer des morceaux de vie qui n'existaient pas auparavant. La vieillesse ne dure plus cinq à dix ans sur un cycle de vie de cinquante ans. Les gens travaillent plus longtemps, les couples se font et se défont, on ne veut renoncer à aucun loisir, aucune sexualité. Les individus essayent d'accompagner physiquement cette nouvelle opportunité d'existence. Quand on aborde cette nouvelle durée avec appétit, on veut un physique qui aille avec.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Il ne faut donc pas s'inquiéter de cette évolution ?

Mme Elisabeth Azoulay . - Elle a toujours existé. Ce qui ne signifie pas qu'elle ne présente pas de risques. Les êtres humains ont toujours pris des risques.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Cette évolution présente-t-elle des risques autres que strictement médicaux pour l'individu et la société ?

M. Maurice Mimoun . - Sur l'aspect psychologique : penser et modifier son apparence est le propre de l'homme. Pouvoir ne plus être comme on est né est une grande liberté individuelle. Toutefois, comme toujours, des processus sains coexistent avec des mécaniques qui s'emballent dans le mauvais sens.

Il nous est impossible de ne pas juger quelqu'un sur son visage, mais qu'est-ce que la beauté ? Je dis toujours qu'il faut demander aux patients de raconter leur corps, car ce que nous observons s'éloigne parfois beaucoup de ce qu'ils ressentent. Une personne voulant modifier son corps est en malaise. Nous devons réfléchir sur ce terme de malaise. Traditionnellement, le médecin doit guérir ou, au moins, soulager. La chirurgie esthétique soulage une souffrance dans un nombre de cas non négligeable, mais on nous demande parfois d'obtenir du bien-être. La médecine moderne va être une médecine du mieux-être. La différence de principe est substantielle, bien que la limite soit parfois délicate à déterminer : la pose d'une prothèse de hanche permettra de ne plus boiter mais aussi à l'ancien boiteux de ne plus être montré du doigt. Le fonctionnel rejoint ici l'esthétique. La chirurgie de la myopie est également ambivalente.

Il y a aussi des patients dont le malaise est difficile à cerner, où les parts de l'intime et les parts du rapport à la société ou à la culture sont difficiles à distinguer. Le patient lui-même prend parfois le prétexte de sa difficulté à l'autre et à être intégré dans le groupe pour se faire pratiquer une intervention. Il faut alors décrypter les choses. Dans « L'impossible limite », je parle de « corps écran » pour dire que la souffrance exprimée en relation avec l'apparence physique peut avoir une cause distincte, un déplacement au sens psychanalytique ou freudien du terme. Lorsque nous avons mal, nous avons besoin de savoir pourquoi nous avons mal. Parfois, la cause véritable est enfouie mais la douleur est là et elle est rattachée à un aspect physique. Je vais vous citer un exemple : un jeune homme de vingt-cinq ans est venu me consulter parce qu'il voulait supprimer une bosse sur son nez. Après trois quarts d'heure d'une discussion pendant laquelle il m'a notamment dit avoir le nez de son père, je lui ai suggéré de rencontrer le psychiatre avec lequel je travaille ordinairement, ce que le patient a tout de suite accepté. Un rendez-vous opératoire a été pris et, quelques jours avant la date prévue, ce patient est revenu me voir, car ses parents lui avaient appris qu'il était un enfant adopté. Le malaise de ce jeune homme n'était pas celui qu'il avait spontanément exprimé. Il faut savoir ce que le patient vient véritablement chercher. Les ratés de la chirurgie esthétique sont rarement aujourd'hui des ratés physiques mais souvent psychologiques.

M. Jean-François Amadieu . - Un premier risque tient au fait qu'à notre époque les individus sont comptables de ce qu'ils sont et de leur apparence. Ce qui se passe avec le développement de la chirurgie et de la médecine esthétiques, et ce que l'on observe déjà, c'est qu'une personne âgée n'ayant pas fait le nécessaire pour conserver une apparence mince et tonique en sera tenue pour responsable. Deuxième risque : un accroissement de certaines formes d'inégalités nouvelles. Les écarts se creusent tout au long de l'existence entre individus ayant pu recourir aux meilleurs praticiens et pratiques et ceux ne pouvant y accéder. Un marché se développe, tout le monde doit retarder les effets du vieillissement, notamment les femmes. Enfin, la chirurgie esthétique se développe en raison du rejet social subi par les personnes qui ne sont pas conformes aux canons esthétiques. Le phénomène est auto-entretenu, car plus les corps s'améliorent, plus l'individu vieux ayant négligé son apparence devient une personne étrange. On ne lutte pas contre la tyrannie de l'apparence, on l'alimente. Plus on retouche les photos publiées dans les magazines, plus on multiplie les interventions, plus on conforte l'idéal. Par contrecoup, on dévalorise toutes les personnes qui s'en éloignent.

La transformation que l'on pouvait obtenir autrefois était limitée, mais aujourd'hui le marché matrimonial et le marché du travail se sont brutalement transformés, imposant actuellement aux individus jusqu'à un âge très avancé une exigence de séduction pour avoir une vie sociale et s'en sortir économiquement selon une logique marchande.

Mme Elisabeth Azoulay . - La nouvelle échelle du temps rebat les cartes, mais que l'être humain soit soumis à la tyrannie des apparences n'a rien de nouveau. Cela a été, cela est et cela sera ! La vraie question est de savoir comment l'on peut rendre cela plus acceptable au regard de la notion de risque.

Autrefois, l'aristocratie française - hommes et femmes confondus - s'éclaircissait la peau avec du blanc de céruse, un pigment blanc à base de plomb, bien que les effets délétères de ce métal fussent parfaitement connus. On aura attendu la fin du XVIII e siècle pour commencer à l'interdire. Aujourd'hui, nous sommes dans un tout autre rapport au risque. La douleur, les risques qui peuvent avoir des effets délétères, on ne les accepte plus. Les gens veulent tout ce qu'ils peuvent obtenir, jusqu'à la déraison.

On veut aujourd'hui encadrer les risques. Or, la lutte contre l'inné et l'inéluctable est un facteur de démocratisation. Nous ne naissons pas tous avec les mêmes atouts. Pourquoi les moins chanceux ne bénéficieraient-ils pas d'un joker ? Encore faut-il que ce soit un vrai joker, qui ne se transforme pas en calamité, en risque réel. La chirurgie esthétique ne bénéficie pas de la réflexion qu'elle mérite. On la condamne trop vite, alors qu'elle peut renforcer l'égalité des chances. Il en va de même de la lutte contre le vieillissement. Où doit s'arrêter la prévention ? Aujourd'hui on donne aux gens des conseils diététiques, on leur dit de faire du sport, de guetter le moindre symptôme de maladie... Pourquoi ne guetteraient-ils pas aussi l'apparition de rides ? Il existe une continuité entre la prévention de la maladie et les actes de maintien de soi, entre la santé et l'apparence. Notre corps appelle la maintenance.

Mais ce processus entraîne de vrais risques. Un risque social d'abord, qui consiste à ne pas donner à toutes les générations les mêmes chances. Dans notre société, les plus âgés ont un patrimoine et des revenus plus importants. Ils vont voir les mêmes films que les jeunes, s'habillent à peu près de la même façon. Pour la génération montante, définir un nouveau canon de beauté, aimer ce que la génération précédente a détesté est une manière d'exister : ainsi se comprend la mode du tatouage. C'est l'histoire du XX e siècle : on a vu arriver des générations tous les dix ans qui ont inventé un nouveau canon de beauté pour se faire une place au soleil. Quelle générosité a-t-on par rapport aux nouvelles générations ? Dans cette société qui, à certains égards, s'apparente à une gérontocratie, si les plus âgés sont volontiers généreux avec leurs propres enfants, en tant que génération ils ont du mal à faire une place aux générations montantes. C'est une question nouvelle. On ne peut en vouloir à ceux qui luttent contre l'inéluctable pour améliorer leur vie. Mais savoir ce que l'on donne à ses enfants, les privilèges qu'on leur laisse, c'est un problème d'équilibre entre générations.

Un autre risque tient à l'hyperintégration des normes : c'est un phénomène vieux comme le monde, mais par le passé on n'avait pas le moyen d'aller bien loin. Aujourd'hui que les moyens techniques existent, les plus fragiles psychologiquement, ceux qui n'ont pas la distance nécessaire à l'égard de la norme sociale sont prêts à tout pour s'y conformer. Il faut identifier les populations à risque : de même que les adolescentes sont sujettes à l'anorexie, certaines femmes prennent des risques considérables pour ne pas vieillir et, chez les adolescents la scarification confine parfois à la mutilation.

De tout temps on a transformé son corps, mais aujourd'hui on le fait sous le régime de la marchandise : d'où l'importance de contrôler et de réglementer les transactions et les produits, mais en faisant l'économie de la moralisation. Quelle est la responsabilité de l'industriel et comment l'encadrer ? Quels produits autoriser ? Comment réglementer les intervenants ? Cela vaut tant pour la médecine que pour la chirurgie esthétiques.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Le problème est que la médecine esthétique n'est pas réglementée, contrairement à la chirurgie esthétique. La société est coupable à un moment donné. Songez aux gens qui, pour trouver un travail, se font blondir ou défriser les cheveux, débrider les yeux, etc.

M. Maurice Mimoun . - J'entends dire que dans une société marchande, on s'efforce davantage de séduire. Mais la séduction est le propre de l'homme, qui vit sous le regard des autres et, qu'on le veuille ou non, est jugé par les autres. Nous cherchons tous une manière de nous différencier pour plaire, que ce soit par notre apparence physique, par notre vêtement, par notre attitude... Je rencontre des femmes qui, après avoir eu trois à cinq enfants, ont des seins complètement déshabités, de la peau sur des os, et qui n'osent plus se montrer à leur mari ni même se regarder. Grâce à la chirurgie, on leur rend le désir d'elles-mêmes et des autres. On peut aussi essayer de faire aimer les seins plats et déshabités, mais cela demandera des efforts.

Des gens me disent aussi qu'ils veulent avoir l'air plus jeune pour trouver un emploi. Je m'aperçois rapidement qu'ils ont d'autres raisons, d'ordre intime. Il importe de faire disparaître toute discrimination à l'embauche : cela relève de la responsabilité des employeurs. Cela n'ôtera rien aux raisons plus intimes qu'ont les gens d'avoir recours à la chirurgie esthétique

La chirurgie esthétique est aujourd'hui très réglementée et fait l'objet d'un enseignement structuré. Un résultat que mes maîtres qualifiaient hier d'extraordinaire est jugé mauvais aujourd'hui : on a beaucoup avancé dans l'exigence du savoir et la maîtrise du risque. Cependant, l'on a besoin de plus de transparence. Il faut dire clairement quels sont les risques et ce que l'on peut attendre d'une intervention : un lifting n'a pas le même effet sur toutes les femmes. Les patients doivent aussi savoir à qui ils ont affaire ; la multiplication des titres n'y aide pas, tenons-nous en à ceux que délivre la République. Pour la médecine esthétique, il faudrait d'abord savoir quel type de médecin on a en face de soi. Et pour le reste, les produits doivent être vérifiés et le système des dispositifs implantables doit être refondu, s'agissant notamment de la classification.

M. Jean-François Amadieu . - Les standards du modèle occidental sont bien connus : minceur, jeunesse, relative blancheur, cheveux défrisés, yeux débridés, grande taille. Cela correspond à un marché et à des visuels au plan international - on privilégie même la blancheur des peaux noires, des publicités ont ému aux Etats-Unis.

L'exigence de séduction est aujourd'hui plus forte qu'hier. Par exemple, la femme est désormais confrontée au marché matrimonial : son mari peut la quitter. On passe par le marché beaucoup plus souvent. L'instabilité du couple et de l'emploi explique le besoin de séduction. On a beaucoup étudié le phénomène du jeunisme : s'il existe bien une file d'attente pour les jeunes qui se présentent sur le marché du travail, statistiquement, le phénomène le plus préoccupant concerne les plus de cinquante ans, menacés de ne plus retrouver de travail.

M. Maurice Mimoun . - Mais la demande est toujours mixte. Par exemple, la calvitie...

M. Jean-François Amadieu . - Ne pas perdre ses cheveux est devenu inestimable socialement.

M. Maurice Mimoun . - Socialement on peut l'assumer. On dit beaucoup que les chauves ont du charme, des gens se rasent le crâne. C'est un critère esthétique discutable. En revanche, un certain nombre d'hommes atteints de calvitie ont le sentiment de perdre de leur puissance, c'est le syndrome de Samson. Quant à l'occidentalisation, la beauté est toujours ailleurs. Les Asiatiques essaient actuellement de s'européaniser les yeux. Mais l'on n'européanise plus les nez africains.

M. Jean-François Amadieu . - Et le blanchiment ?

M. Maurice Mimoun . - Je ne pratique pas le blanchiment. Rappelez-vous les liftings d'il y a trente ans, quand on orientalisait le regard en faisant des yeux en amande. On ne le fait plus ; de même la tendance à l'européanisation des Asiatiques passera quand les peuples apprendront à assumer l'esthétique de leur culture.

Mme Elisabeth Azoulay . - La préférence sexuelle joue un rôle dans la théorie de l'évolution ; elle expliquerait la surreprésentation de certains traits physiques. Or dans la société mondiale d'aujourd'hui, il existe une sorte d'espéranto de la beauté : on voyage, les images circulent très vite sur internet, aucune société n'est fondamentalement fermée aux autres... La grande frontière sépare ceux qui vivent dans des mégalopoles des autres. Dans les grandes villes, l'on mange un soir des sushis, le lendemain une pizza. Si l'on ne naît pas pareil, l'on regarde les mêmes séries télévisées, et l'on évolue dans le même jus culturel. Cela concerne déjà la moitié de la population mondiale et devrait en toucher 70 % en 2020. Les influences culturelles ne sont pas à sens unique. Ce langage de la beauté subira le poids croissant de la Chine et de l'Inde : il n'est ni univoque, ni réservé à une catégorie de la population.

Dès que l'on inscrit ces techniques dans la longue durée, on mesure que l'occidentalisation ne sera plus de mise dans cinq à dix ans - il faut rester modeste. En Asie, une influence locale - la culture des mangas par exemple - pourrait expliquer ces effets de ressemblance avec les regards occidentaux.

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Notre rôle de législateur est de voir en quoi nous devons prévenir les risques individuels et collectifs. Il y a un risque individuel lié à la prise en compte de l'aspect psychologique. Existe-t-il aujourd'hui une obligation en chirurgie esthétique de prévoir un accompagnement psychologique ?

M. Maurice Mimoun . - Non et le systématiser ne serait pas souhaitable. Nous avons une unité psychopathologie dans mon service ; certains patients ne sauraient qu'y faire. C'est au médecin qu'il incombe de détecter les patients à risque. Voilà pourquoi la législation doit assurer la transparence et éviter toute ambiguïté : on n'a pas la même pratique dans une unité médicale et dans un cabinet d'esthéticienne ; celle-ci tient un discours d'une nature différente et qui est perçu différemment que celui d'un médecin.

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Vous dites que transformer son corps est une chance, car cela introduit plus de démocratie. Mais c'est aussi un facteur d'inégalité : tout le monde n'a pas les moyens et il n'existe pas de prise en charge collective.

Mme Elisabeth Azoulay . - L'un et l'autre sont vrais. Il y a une inégalité dans la lutte contre l'inné, c'est une inégalité sociale, et elle a un coût important.

M. Jean-François Amadieu . - Les moqueries et l'emploi viennent en tête des préoccupations en matière de discriminations. S'agissant de l'emploi, la question la plus sensible est celle du recrutement. C'est une hérésie que de valoriser les CV en vidéos ou avec photo. Il convient de tout faire pour que l'aspect physique ne joue pas dans le recrutement. Concernant les moqueries, les pouvoirs publics ont un rôle à jouer. Les campagnes nationales contre la violence et le harcèlement à l'école ont eu un impact. On y voit justement un garçon moqué parce qu'obèse. Il est possible de lutter contre les stéréotypes sources de discrimination. C'est une responsabilité des pouvoirs publics et il ne s'agit pas de moraliser. Ne sous-estimons pas ces problèmes. On les considère souvent comme des sujets anecdotiques.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Tout a été dit, il nous reste à réfléchir à ce que peut faire le législateur.

Audition de M. Eric VICAUT, vice-président de la chaire santé de Sciences-Po, membre de la Commission d'évaluation des produits et prestations (CEPP) de la Haute Autorité de santé (HAS), président du groupe de travail dispositifs médicaux des assises du médicament (mardi 27 mars 2012)

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Nous allons entendre M. Eric Vicaut, chef du service de biophysique et de traitement de l'image à l'hôpital Fernand Widal et président du groupe de travail sur les dispositifs médicaux (DM) des assises du médicament.

« Il n'est guère de jour sans que les medias ne consacrent un article, quand ce n'est pas une pleine page, à un DM, que ce soit pour louer, dans son domaine, les progrès de la science ou pour dénoncer des incidents ou un accident... Il n'apparaît plus acceptable que la quasi-totalité des DM soit mis à la disposition des soignants et des soignés, et remboursés par l'assurance maladie, sans évaluation préalable sérieuse de leur efficacité ».

L'actualité des dernières semaines a malheureusement confirmé le bien-fondé de cette conclusion tirée de vos travaux en juin dernier.

Vous aviez également formulé un certain nombre de propositions, pour une « évaluation correcte des dispositifs médicaux ». C'est bien le moins ! Je passe maintenant la parole à notre rapporteur.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Mes premières questions porteront sur le rapport bénéfices-risques des DM implantables (DMI). Les incidents récents auraient-ils pu être détectés plus tôt ? Quels enseignements en tirer pour l'avenir ? Le système de certification doit-il être remplacé par une autorisation de mise sur le marché (AMM) ?

M. Eric Vicaut, vice-président de la chaire santé de Sciences-Po, membre de la CEPP de la HAS, président du groupe de travail dispositifs médicaux des assises du médicament . - Aux assises du médicament, je disais que le prochain « Mediator » porterait sur un DM. A partir du moment où l'on commence à s'intéresser aux DM, on est effaré. C'est que les DM ne font pas l'objet des mêmes procédures que les médicaments. Accepterait-on une évaluation de ces derniers sur dix patients, voire sur aucun ? Or, pour des raisons historiques, c'est chose courante pour les DM. On en est encore à une vision profondément industrielle du rapport bénéfices-risques. Tout le problème est là.

Pour autant, rien, en médecine, ne doit être considéré du seul côté du risque. On peut accepter de courir un risque si le bénéfice du dispositif est avéré. Les valves percutanées, par exemple, permettent de traiter des pathologies cardiaques graves, avec un bénéfice élevé, même si les risques sont importants.

Vous centrez la question sur les DMI. Il faut effectivement classer les DM en plusieurs catégories correspondant à des approches radicalement différentes : soit 90 % des dizaines de milliers de DM sont des produits tels que les abaisse-langues ou les pansements, qui n'ont rien à voir avec un stent. Les 10 % restants doivent être évalués comme des produits de santé, dans le cadre d'une autre démarche que les 90 % - lesquels peuvent relever de critères industriels. C'est évidemment sur les 10 % qu'il faut se concentrer.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Restons sur les produits de classe III, implantables ou non, qui ont des répercussions sur la santé.

M. Eric Vicaut . - La logique d'évaluation, pour les produits que vous mentionnez, est la même que pour les abaisse-langues. Le plus souvent, il n'existe aucune évaluation clinique préalable. Malgré la répétition des incidents, on s'y intéresse peu, car la population cible est faible pour chaque dispositif : les incidents sont trop peu nombreux pour devenir un problème de santé publique.

De plus, globalement, l'évaluation clinique est inférieure à ce qu'elle devrait être, avant leur mise sur le marché, comme tout au long du cycle de vie du produit.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Que pensez-vous des conditions de réalisation des essais cliniques ? Doit-on établir une liste positive des DM pouvant être achetés par les établissements de santé ?

M. Eric Vicaut . - Les essais cliniques sont plus difficiles à réaliser que pour les médicaments : il n'est pas possible de mettre en oeuvre des traitements randomisés, c'est-à-dire d'attribution au hasard de pilules placebo ou réelles, ou d'essais en aveugle, comme dans les médicaments ; les conditions de financement des essais par les industriels ne sont pas les mêmes car il s'agit souvent de sociétés beaucoup plus petites que les laboratoires.

En outre, par définition, les patients à qui on a implanté un dispositif dans le cadre d'une étude préalable seront autant d'acheteurs potentiels au moins par la suite. Quant aux DM pouvant être achetés sans évaluation clinique préalable dans le traitement des anévrismes les industriels ne vont pas les mener à bien, sauf si on leur impose.

La liste doit se construire et s'actualiser au jour le jour, en se focalisant sur les DM les plus sensibles.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - La Haute Autorité de santé (HAS) évalue la sécurité et l'efficacité des dispositifs, pourtant...

M. Eric Vicaut . - Pas plus de 10 % des DM, ceux qui sont financés hors groupe homogène de soins (GHS). Dans la très grande majorité des cas, dans le cadre des GHS, l'achat est effectué par l'établissement de santé, avec pour seul contrôle le respect du marquage CE.

Mme Laurence Cohen . - Peut-on envisager une classification sérieuse, et sur quels critères scientifiques ? La HAS - ou un autre organisme - pourrait-elle être saisie ? Car les dysfonctionnements, quand ils apparaissent, ont de graves conséquences pour la santé.

Mme Nathalie Goulet . - J'ai participé à la commission d'enquête sur le Mediator : ce problème a été soulevé. Les procédures de prévention et d'alerte sont essentielles : comment les centraliser et en tirer des enseignements ?

M. Eric Vicaut . - L'alerte, pour les DMI, est un mécanisme plus complexe que pour le médicament. Un chirurgien qui a implanté un DM se sent personnellement mis en cause, ce n'est pas le cas avec un traitement médicamenteux. En cas de problème, il se contente donc de ne plus l'employer ; nous n'avons pas encore une culture de l'alerte. Pour progresser, il faut être sûr que le lanceur d'alerte ne sera pas inquiété juridiquement. Il faut aussi promouvoir l'éducation à la matériovigilance dans les études de médecine.

Quand quelqu'un lance une alerte, les ennuis, pour lui, commencent. Il est attaqué par les industriels, subit des médisances.

Les modalités d'alerte sont lourdes et complexes. Si le lanceur d'alerte doit distraire beaucoup de son temps, il hésitera à le faire. Il faut donc considérablement simplifier et unifier la procédure.

Quid enfin de la façon dont travaillent les agences ? Ce sont des structures qui n'ont pas encore la culture de l'alerte : il ne suffit pas de changer le nom d'une agence pour modifier sa philosophie et sa rapidité de réaction.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Un système de registre pourrait-il améliorer les choses ?

M. Eric Vicaut . - Un registre, ce n'est pas automatique : il faut d'abord le vouloir ; de plus, il recueille les seules données que veut bien fournir le lanceur d'alerte. L'accord-cadre signé entre le Comité économique des produits de santé (Ceps) et les fabricants constitue un bon outil pour favoriser le développement de registres de qualité. Mais l'outil n'a de sens que bien utilisé. Il faut établir une procédure plus automatique, moins chère et plus efficace.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Un registre obligatoire, seriez-vous d'accord ?

M. Eric Vicaut . - Oui, mais nous pourrions mieux exploiter les bases de données des programmes de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) et de la Cnam. Elles constituent déjà une source d'évaluation très large de ce qui se passe. En les interrogeant, on obtient des éléments intéressants, à condition qu'existe une traçabilité des DM.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Vous êtes contre le marquage CE comme ne permettant pas une évaluation claire du rapport bénéfices-risques. Il y a autre chose à faire, selon vous...

M. Eric Vicaut . - Je suis contre, à l'expérience, pour les DM à risques, soit 10 % d'entre eux. Autorisation de mise sur le marché (AMM) ou autre mécanisme, il importe avant tout qu'avant la commercialisation, des essais cliniques soient réalisés et analysés par d'autres que les industriels.

Mme Nathalie Goulet . - Que pensez-vous de l'exploitation des données de l'assurance maladie ? Aux Etats-Unis, cela existe, de façon anonyme, à des fins statistiques, afin de créer des alertes. Ne pourrions-nous nous en inspirer ?

M. Eric Vicaut . - Vous parlez d'or. C'est exactement ce que je crois.

Par exemple, en matière d'adénome prostatique, nous disposons aujourd'hui d'un recul de sept ans tant sur les médicaments employés que sur les actes pratiqués. Mais les fichiers de l'assurance maladie et des PMSI sont détruits chaque année. C'est un scandale absolu : la mémoire médicale disparaît. Gardons ces fichiers, exploitons-les.

Mme Laurence Cohen . - Le marquage CE repose uniquement sur les intérêts commerciaux des industriels. Cela a des conséquences nuisibles pour les patients. Des collectifs de scientifiques devraient donner leur avis, selon des critères objectifs.

Par ailleurs, pourquoi les fichiers sont-ils détruits chaque année ?

M. Eric Vicaut . - Sans doute pour des contraintes techniques de stockage de données ou par crainte de constituer un fichier comportant trop d'informations.

Mme Nathalie Goulet . - Les données n'ont qu'une vocation financière. En matière de sécurité sociale, le délai de prescription est de deux ans, le fichier est ensuite détruit.

M. Eric Vicaut . - Depuis peu, on constate des éléments positifs. La Cnam a changé de perspective. Elle est plus ouverte aujourd'hui à l'utilisation médicale de ces données.

Je critique le marquage CE, mais précisons que la France a joué un rôle moteur pour l'améliorer, comme en témoigne l'action de l'Afssaps. Mais c'est le principe même de ce mécanisme qui doit être remis en cause pour certains DM.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Quelle est la traçabilité actuelle des DM ? Etes-vous favorable à une identification unique (UDI) pour les DM risqués ?

M. Eric Vicaut . - Il est incompréhensible de ne pas le faire alors que c'est techniquement possible. Chaque DM pourrait avoir un numéro d'identification... comme tout produit au supermarché, d'autant que le coût ne serait pas rédhibitoire.

Mme Nathalie Goulet . - Pour les animaux on le fait.

M. Eric Vicaut . - Et dans le codage PMSI, il y a place pour mentionner un numéro d'identification unique. Il faut donc l'imposer. La détection des problèmes serait-elle plus rapide ? J'en suis convaincu. En interrogeant le PMSI, on peut connaître le taux de réhospitalisation pour des problèmes liés aux prothèses de sein par exemple. Dès lors que les équipes savent interroger la base de données, des progrès pourraient être accomplis. Mais il n'est pas possible d'assurer la fiabilité du système s'il repose sur le volontariat de ses utilisateurs.

Les DM, mais aussi les actes, doivent être traçables. Aujourd'hui, si on utilise un nouveau matériel, un laser en urologie par exemple, plutôt que la chirurgie traditionnelle, il n'y a pas d'acte - donc pas de codage - si bien que les praticiens utilisent un autre codage. On ne peut donc pas tracer l'innovation dans notre pays. Or, il n'est pas nécessaire d'attendre d'avoir défini un tarif pour identifier un acte innovant. Il faut déconnecter la cotation de l'acte de sa prise en charge, qui est un processus long.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Quelle est la qualité de l'information médicale ? Et la formation du personnel médical ?

M. Eric Vicaut . - Les revues diffusent une information clinique... sur les meilleurs produits, ceux qui ont fait l'objet d'études. Mais comment l'information donnée par l'industriel serait-elle bonne, puisque la réglementation ne lui impose aucune obligation particulière ? Les prospectus luxueux n'ont qu'une valeur publicitaire ; ils ne sont régis que par les règles ordinaires de la publicité ; en la matière, un stent et un réfrigérateur, c'est la même chose.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Comment faire respecter les préconisations de la HAS ?

M. Eric Vicaut . - Faute de déclarations, l'information circule peu. Lorsqu'un problème est identifié, les agences font bien leur travail et le retour est bon. La difficulté consiste à synthétiser l'information en amont.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - La répartition des compétences entre les agences est-elle correcte ?

M. Eric Vicaut . - Chacune fait sa partie du travail, même si les connexions entre elles peuvent être améliorées. En matière d'innovation, le travail en commun doit être encouragé.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Quelle est votre appréciation de la base Eudamed ?

M. Eric Vicaut . - Elle centralise l'information, mais quel temps il aura fallu pour la mettre en place !

La base reste très fermée, ouverte aux seules agences. Nous préconisons une plus grande ouverture donc une meilleure information au niveau européen.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Le système est bon, selon vous...

M. Eric Vicaut . - Oui, dans son principe. Une base de données est toujours perfectible, et plus elle a d'utilisateurs, plus on peut l'améliorer.

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Les bases de données nationales ont-elles du sens ? Toutes devraient-elles être européennes ?

M. Eric Vicaut . - On a tout intérêt à se situer dès à présent à l'échelle européenne car les populations concernées sont petites. Reste qu'il n'est pas nécessaire d'attendre pour mettre en place une base fondée sur les actes pratiqués.

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Tout cela se recoupe.

M. Eric Vicaut . - Les données de la Cnam ou du PMSI représentent déjà une base importante. Il n'y a pas lieu d'attendre des bases européennes, ce qui prendrait dix ans.

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Le numéro d'identification unique devrait donc être européen ?

M. Eric Vicaut . - Oui.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Les commissions et conférences médicales d'établissement devraient-elles avoir un rôle d'information ?

M. Eric Vicaut . - On ne peut pas laisser acheter des dispositifs médicaux intra-GHS sans évaluation correcte. C'est le rôle de la HAS mais il est illusoire de penser qu'elle puisse effectuer l'ensemble de ce travail. Il convient donc de mobiliser l'ensemble des forces disponibles, comme les commissions et les conférences, sous la coordination de la HAS et une montée en charge progressive. Cette activité supplémentaire devrait être prise en compte, y compris financièrement, au titre des missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation (Merri).

Mme Nathalie Goulet . - Qu'en est-il de la mise à contribution des mutuelles et des compagnies d'assurance, qui détiennent beaucoup de données ? Elles sont directement intéressées par ce relevé de risques.

M. Eric Vicaut . - J'ignore si elles possèdent les compétences requises pour l'évaluation.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Quid des conflits d'intérêts ?

M. Eric Vicaut . - Il s'agit d'un autre problème de bénéfices-risques. Au niveau des décisionnaires, il faut éviter tout conflit d'intérêts et la transparence doit être le maître mot. Si les liens d'intérêts sont affichés, les choses sont claires. Pour ce qui est de la recherche clinique, tous les chercheurs travaillent avec des fabricants, il convient de traquer les essais orientés mais ne pas se contenter de dénoncer des liens. Bref, il faut analyser les essais afin d'établir leur qualité. J'ai quatre-vingts liens d'intérêts mais je peux conseiller des procédures d'essais cliniques indiscutables. Le vrai risque réside dans le fait que les professionnels bénéficient d'avantages indus mais il n'existe pas d'évaluation sans étude.

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Que pensez-vous de la mise en place de registres d'essais cliniques ?

M. Eric Vicaut . - Le grand registre qui existe au niveau international, clinicaltrials.gov, doit être utilisé car tous les essais cliniques y sont déclarés. Désormais, les éditeurs des grandes revues internationales imposent le dépôt des protocoles avant le démarrage des essais. Tout est écrit avant et rien ne peut être modifié par la suite, ce qui garantit la validité scientifique de l'étude. Ce mécanisme n'est pas systématique pour les petites revues.

Audition de M. Stéphane PENET, directeur des assurances de biens et de responsabilité et Mme Anne-Marie PAPEIX, chargée de mission, de la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) (mardi 27 mars 2012)

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Nous recevons la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA), représentée par M. Stéphane Pénet, son directeur des assurances de biens et de responsabilité, accompagné par Mme Anne-Marie Papeix, chargée de mission.

Les assureurs sont concernés à plusieurs titres par les sujets sur lesquels nous travaillons, aussi bien par les scandales récents en matière de dispositifs médicaux que par la multiplication des actes médicaux ou non à visée esthétique. Vous pourrez nous apporter des précisions en matière de régime de responsabilité des différents acteurs, d'indemnisation ou de couverture complémentaire, domaines techniques dans lesquels nous avons besoin d'éclairages.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - L'actualité est riche en défaillances de dispositifs médicaux implantables (DMI). La FFSA perçoit-elle une augmentation du nombre des incidents ?

M. Stéphane Pénet, directeur des assurances de biens et de responsabilité, de la FFSA . - Les assureurs que nous avons consultés nous ont indiqué qu'ils ne constataient pas, dans leurs statistiques, de hausse des sinistres liés à des dispositifs médicaux.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Comment la responsabilité du médecin et des assureurs peut-elle être engagée lorsque le dispositif médical implanté, bien que certifié, comporte un vice susceptible de causer un préjudice au patient ?

M. Stéphane Pénet . - Le régime applicable est celui de la responsabilité civile du fait d'un produit défectueux. En application d'une directive européenne, c'est sa responsabilité objective. La responsabilité du professionnel de santé ne peut être mise en cause qu'en cas de faute, essentiellement si celui-ci manque à son devoir d'information préalable du patient.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Seule une victime a fait reconnaître la responsabilité de l'assureur de PIP. Vous attendez-vous à la multiplication de ce type de procédures ?

M. Stéphane Pénet . - Cette décision est un référé-provision, qui ne préjuge pas du fond. Il n'est pas encore établi que le contrat d'assurance de la société PIP puisse être invoqué. L'assureur a présenté une demande en nullité du contrat, en raison de la fraude intentionnelle du fabricant qui a vendu un produit non conforme à la place de celui qui avait été certifié. La nullité du contrat pourrait être déclarée.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Dans ce cas, qui prend en charge l'indemnisation des victimes ?

M. Stéphane Pénet . - Il existe plusieurs possibilités. La responsabilité du fabricant peut être directement mise en cause. Les victimes peuvent bénéficier, en cas d'infraction, de fonds de garantie, comme le fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), financés en partie par les assureurs. Il est également possible de mettre en place des dispositifs ad hoc.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Vous êtes assureur d'une fabrication. N'êtes-vous donc pas responsable de votre client ?

M. Stéphane Pénet . - Non, l'assurance ne couvre pas la fraude. La nullité du contrat peut être déclarée en cas de fausse déclaration intentionnelle. C'est ce critère de l'intentionnalité qui est important. La non-intentionnalité peut faire jouer le principe de la règle proportionnelle, qui permet une indemnisation partielle.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Ce problème devra être réglé par la justice. Il faudra bien indemniser les gens et déterminer les responsabilités. Si la firme est en faillite, qui doit les assumer ?

M. Stéphane Pénet . - Il existe des dispositifs pour prendre en charge les victimes en substitution d'un responsable défaillant, comme l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam) dans le cadre des accidents médicaux. Celui-ci peut déjà verser rapidement une indemnisation et se retourner ensuite vers le payeur responsable.

Le transfert du risque du fabricant vers l'assureur a ici été caractérisé par la fraude. Or, la fraude intentionnelle n'a jamais été couverte par l'assurance.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Ce qui m'intéresse, ce sont les gens. Ils méritent indemnisation. Qui va payer ? Il faudra bien que quelqu'un paye ! L'entreprise est en faillite, les assureurs arguent de la fraude, en dernier ressort l'Etat doit-il intervenir ?

M. Stéphane Pénet . - Il existe aujourd'hui des dispositifs ad hoc comme le FGTI ou l'Oniam. On peut en créer un supplémentaire pour indemniser des victimes dont le préjudice n'est pas imputable à un responsable avéré. Sinon, c'est la solidarité nationale qui sera amenée à intervenir.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Quelles obligations assurantielles pèsent sur les chirurgiens esthétiques et les médecins pratiquant des actes esthétiques ? Sont-elles suffisantes ? Vous arrive-t-il, en cas de condamnation, de mener des actions récursoires contre les praticiens ?

M. Stéphane Pénet . - Ces praticiens sont soumis aux mêmes obligations que l'ensemble des professionnels de santé. Des questions peuvent se poser pour les interventions à visée non thérapeutique du fait de l'ambigüité de la loi Kouchner. La règle de responsabilité instaurée par celle-ci impose une assurance pour tous les actes de diagnostic, de soins et de prévention. Les actes chirurgicaux à vertu non thérapeutique en font-ils partie ? C'est notre avis comme celui de la Commission nationale des accidents médicaux (Cnamed).

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Le même régime s'applique également aux médecins ?

M. Stéphane Pénet . - Oui, de la même façon qu'aux chirurgiens esthétiques.

Mme Laurence Cohen . - Dans le cadre de nos auditions, nous souhaitons que vous vous projetiez dans l'avenir, au-delà de ce qui existe aujourd'hui. Selon vous, faut-il améliorer les choses ?

M. Stéphane Pénet . - Les praticiens sont-ils suffisamment assurés ? Cette question a été abordée par la réforme récente de la responsabilité civile médicale, qui a eu des conséquences importantes sur l'assurance des professionnels de santé. Jusqu'ici, l'obligation pour les assureurs était de couvrir les professionnels à hauteur de 3 millions d'euros par sinistre et de 10 millions d'euros par an. Le législateur a décidé d'augmenter le plancher de 3 millions à 8 millions d'euros par sinistre et de modifier les règles de telle sorte qu'il ne puisse plus y avoir de trou d'assurance chez les praticiens, aussi bien chez les chirurgiens et médecins esthétiques que chez les gynécologues-obstétriciens. Cela constitue un progrès notable.

La question des dispositifs médicaux renvoie à la problématique des sinistres sériels. En l'état actuel des choses, l'assurance responsabilité couvre la mise en cause de la responsabilité, dépendant elle-même d'aléas juridiques complexes. En conséquence, plus il y a de sécurité juridique sur ce point, plus le système assurantiel peut fonctionner. Aux aléas des événements s'ajoutent ceux de la jurisprudence, liés aux droits de la victime que celle-ci peut chercher à faire valoir. C'est pourquoi je tiens à la stabilité des textes existants, alors que nous vivons dans une société où la responsabilité est de plus en plus mise en cause.

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Des professionnels, ni chirurgiens ni médecins, se livrent à des actes pour lesquels des problèmes peuvent survenir.

Mme Anne-Marie Papeix, chargée de mission à la FFSA . - Il existe une jurisprudence assez abondante sur le sujet. En application de la réglementation actuelle, l'ensemble de ces activités doivent être pratiquées par des médecins. Il s'agit donc, pour le juge, d'exercice illégal de la médecine.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Donc ces esthéticiennes ne sont pas assurées ?

Mme Anne-Marie Papeix . - Nous n'assurons pas l'exercice illégal de la médecine.

Mme Nathalie Goulet . - Demeure la responsabilité civile.

M. Stéphane Pénet . - Tout dépend de leur déclaration. On peut être dans le cadre de fausses déclarations, comme par exemple quand une esthéticienne déclare réaliser des épilations à la cire alors qu'elle les réalise au laser. Si une esthéticienne n'est pas titulaire des diplômes nécessaires à l'exercice de sa profession, elle ne trouvera pas d'assureur.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Elles ne sont donc pas assurées en responsabilité.

M. Stéphane Pénet . - On ne peut empêcher les gens de prendre des risques démesurés.

Mme Nathalie Goulet . - Avocate, je connais les problèmes de l'assurance, qui se règlent en fonction des lois applicables. On ne peut vous demander plus.

Quels sont vos rapports avec l'Ordre des médecins ? Avez-vous fait évoluer le devoir de conseil par le biais des contrats que vous signez avec les praticiens ? Avez-vous un département particulier pour les soins esthétiques ? Il serait intéressant d'avoir un contrat-type. Vos critères évoluent-ils en fonction des litiges ?

M. Stéphane Pénet . - L'engagement des assureurs est d'indemniser. C'est ce que nous faisons dans 99,9 % des cas, en dehors des très rares fausses déclarations intentionnelles ou de l'exercice illégal de la médecine.

Les assureurs travaillent en permanence avec le corps médical. Tous les assureurs médicaux - il y en a cinq ou six en France - développent des départements de prévention, aussi bien auprès des praticiens que des établissements, de plus en plus pointus et pertinents. Ainsi le leader français de l'assurance des établissements publics de santé a acquis une réputation en matière d'ingénierie, de prévention médicale, d'organisation et de traçabilité qui fait l'unanimité auprès de ceux-ci.

Un grand assureur très présent auprès des professionnels libéraux ne cesse d'organiser des colloques pour faire progresser la prévention, aussi bien dans l'acte lui-même que dans l'organisation administrative. Le risque médical lié à la désorganisation administrative est aujourd'hui mieux identifié et plus précisément évalué.

Mme Nathalie Goulet . - Organisez-vous un accompagnement de l'organisation du système de soins et un suivi des risques médicaux ?

M. Stéphane Pénet . - Le risque médical est volatil ; les fréquences ne sont pas celles de l'automobile, mais les sinistres peuvent être très importants. Les assureurs craignent cette volatilité qui affecte leurs résultats. Ils accompagnent donc leurs clients dans ce domaine avec beaucoup d'attention.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Percevez-vous une augmentation forte des demandes d'indemnisation liées à des accidents esthétiques ? Quelles sont les implications financières de cette situation ? Quelle est l'évolution du taux de sinistralité ?

M. Stéphane Pénet . - Nous n'avons pas de suivi spécifique de la sinistralité esthétique. Les assureurs affirment ne rien avoir constaté d'anormal concernant ce type de sinistres depuis cinq à dix ans.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - C'est curieux. Les techniques seraient-elles plus précises, malgré l'augmentation très forte de la demande ?

M. Stéphane Pénet . - La part de ces sinistres dans l'ensemble des sinistres assurés reste marginale ou stable. Il n'y a pas eu de rupture notable, selon nos adhérents.

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Existe-t-il des assureurs spécialisés dans l'assurance de la chirurgie ou de la médecine esthétique ?

M. Stéphane Pénet . - Le leader auprès des professionnels de santé libéraux l'est aussi en matière d'esthétique mais il n'en a pas fait sa spécialité.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Avez-vous connaissance de pratiques esthétiques non médicales donnant lieu à des demandes d'indemnisation en réparation d'un préjudice ? Certains actes sont-ils davantage source de contentieux ?

M. Stéphane Pénet . - Je n'en ai pas connaissance.

Mme Anne-Marie Papeix . - Sauf en cas de pratique illégale de la médecine.

Mme Nathalie Goulet . - En matière de procédures d'alerte, seriez-vous disposés à établir un registre des déclarations concernant les actes esthétiques, de façon à recueillir des données ? Est-ce envisageable ?

M. Stéphane Pénet . - J'enregistre cette demande. Pour les phénomènes d'alerte liés aux praticiens, il convient d'intervenir très en amont pour être efficace. Nous n'avons pas connaissance des incidents qui frôlent le sinistre, sans avoir de conséquences graves. Ils sont plus nombreux que les accidents eux-mêmes. Nous n'aurions pas une très forte valeur ajoutée, car nous n'intervenons qu'en cas de sinistre avéré.

Mme Nathalie Goulet . - Comment avoir connaissance de ces incidents s'ils ne donnent pas lieu à déclaration ?

Mme Anne-Marie Papeix . - Les professionnels et les établissements de santé doivent déclarer les événements indésirables graves. Un avis vient d'être rendu par l'Académie de médecine sur ce sujet. Il s'agit de déclarer les événements pour ensuite corriger les actes. Les assureurs ne sont pas partie prenante de cette procédure.

M. Stéphane Pénet . - Cela ne porte pas que sur des interventions esthétiques. Elle touche tous les professionnels de santé.

Mme Anne-Marie Papeix . - Notamment les infections nosocomiales.

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Une question que nous ne vous avons pas posée ?

M. Stéphane Pénet . - Je rappelle le rôle de l'Oniam pour indemniser les victimes.

Mme Anne-Marie Papeix . - Nous sommes dans le champ d'application de la loi Kouchner, quelle que soit la finalité de l'acte.

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Qu'est-ce que la faute dans le domaine esthétique ?

Mme Nathalie Goulet . - Il peut s'agir d'implants trop gros, d'un acte non conforme au contrat passé avec le chirurgien esthétique. Le médecin doit détailler ses prestations et le patient les accepter. Il peut aussi s'agir d'un manque au devoir de conseil ou d'un problème d'anesthésie.

M. Stéphane Pénet . - Pour tout acte médical, il faut différencier l'aléa thérapeutique pur, c'est-à-dire l'accident, du dommage causé par une faute. La distinction n'est pas facile. C'est une question d'expert. C'est le rôle des commissions régionales de conciliation et d'indemnisation (CRCI). En cas d'aléa pur, la solidarité nationale intervient, conformément à la volonté du législateur à travers la loi Kouchner.

Audition de MM. Eric LE ROY, directeur général et François-Régis MOULINES, directeur des affaires publiques, juridiques et de la communication du Syndicat national de l'industrie des technologies médicales (Snitem), Antoine AUDRY, président, Timothé de ROMANCE, secrétaire général, de l'Association pour la promotion de l'innovation des dispositifs médicaux (APIDiM) (mardi 27 mars 2012)

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Nous recevons maintenant MM. Eric Le Roy, directeur général du syndicat national de l'industrie des technologies médicales (Snitem), Antoine Audry, président, et Timothé de Romance, secrétaire général, de l'Association pour la promotion de l'innovation des dispositifs médicaux (APIDiM), accompagnés de François-Régis Moulines, directeur des affaires publiques, juridiques et de la communication au Snitem.

Lors de la discussion de la loi sur le médicament, plusieurs de nos collègues avaient prédit que les dispositifs médicaux implantables seraient au coeur du prochain scandale sanitaire. Les faits leur ont donné raison : PIP, DePuy, sondes cardiaques Medtronic...

Il nous a donc semblé important de recevoir aujourd'hui les représentants des fabricants de dispositifs médicaux, en particulier des filiales françaises des grands acteurs du secteur au niveau international. Johnson & Johnson, maison-mère de DePuy, et Medtronic sont tous deux membres de vos groupements.

Loin de vouloir faire le procès d'une industrie innovante, nous souhaitons vous entendre sur les moyens, si ce n'est de garantir l'innocuité de ces produits, du moins de s'assurer que le risque encouru l'est en toute connaissance de cause. Au vu de la place des dispositifs médicaux dans les différents systèmes de soins et de l'importance économique de ce marché, il s'agit là d'un enjeu de sécurité sanitaire majeur à l'échelle mondiale.

Comment expliquez-vous ces défaillances quant à la qualité et la sécurité de dispositifs médicaux qui mettent en danger la vie des patients et comment proposez-vous d'y remédier ?

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Pouvez-vous nous présenter le marché des DM ? Les organismes notifiés européens présentent-ils tous les mêmes garanties de rigueur ? Les moins-disant n'attirent-ils pas certains industriels ? Ces derniers changent de certificateur pour obtenir leur label...

M. Eric Le Roy, directeur général du Snitem . - Le marché est diversifié à l'extrême, depuis l'abaisse-langue jusqu'au défibrillateur implantable. Le secteur pharmaceutique relève de la chimie, contrairement à l'industrie des DM qui fait appel à de nombreux secteurs d'activité : l'électronique, la mécanique, le textile, la plasturgie... Le tissu industriel est composé de PME, à 94 %... Pourquoi ? Parce qu'il ne s'agit pas de produits de masse ; les DMI doivent s'adapter à chaque individu, les niches de population concernée sont plus étroites. La customisation est de mise.

Les DM sont très opérateurs-dépendants, ils sont le prolongement du bras du chirurgien. Autre spécificité, la vitesse d'évolution technologique, avec des cycles de trois à cinq ans.

Le DM est souvent structurant en matière de soins : les techniques micro-invasives réduisent le temps d'hospitalisation, voire autorisent le passage à l'ambulatoire. En France, 19 000 autorisations de mise sur le marché (AMM), pour quelque 3 000 à 5 000 molécules, mais il existe entre 800 000 et 2 millions de DM selon l'Inspection générale des affaires sociales (Igas).

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Restons sur les DMI ayant une action thérapeutique. Quel est le nombre de DMI ?

M. Eric Le Roy . - Les nouveaux DM donnent des indications. Nous y reviendrons.

Les organismes notifiés sont un maillon essentiel et les fabricants, que je représente, sont attachés à ce que le marquage CE soit un vrai label et que les organismes soient tous rigoureux. Donnez-nous seulement des organismes sérieux !

Les normes d'accréditation doivent être précisées au niveau européen, surveillées aussi à l'échelle européenne, mieux contrôlées, avec plus de transparence. Les mêmes règles doivent s'appliquer partout, notamment pour définir les procédures d'audit. Il existe des audits conjoints d'autorités concernées, c'est intéressant.

Le Joint research Committee (JRC) existe déjà au plan européen.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Faut-il renforcer la surveillance ?

M. Eric Le Roy . - Oui, une meilleure harmonisation éliminerait les moins-disant.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Pourquoi dix-huit organismes notifiés en Allemagne ? Nous n'en avons qu'un.

M. Eric Le Roy . - Il y en a trop au total en Europe, mais cinq des quatre-vingts effectuent 70 % des certifications.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Malgré les contrôles, on n'a pas décelé l'affaire des prothèses PIP : il faut les revoir, ne pas prévenir le fabricant, pour éviter les fraudes.

M. Eric Le Roy . - Le contrôle du marché relève aussi de l'autorité de police sanitaire, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) en France, qui peut diligenter tous contrôles pour vérifier la qualité des produits.

La clause de sauvegarde lui permet aussi d'interdire l'arrivée d'un produit sur le marché.

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Vous venez de dire qu'ils sont très nombreux et évoluent très rapidement : il est donc très difficile de les contrôler.

M. Eric Le Roy . - Quant au mode de financement de la certification, par rapport à l'AMM, où une redevance est payée à l'autorité, le paiement est versé à un organisme auquel l'autorité compétente a délégué sa mission en l'accréditant.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Les DM innovants sont-ils suffisamment contrôlés avant leur mise sur le marché ? Ne méritent-ils pas une approche spécifique ? Ne bridons pas les PME innovantes, cependant que penseriez-vous d'une véritable AMM, comme pour les médicaments, au moins pour les DM de classe III ?

M. Eric Le Roy . - La réglementation européenne de 1990 et 1998 a fait l'objet de cinq modifications pour répondre à plusieurs préoccupations, celle du développement des PME notamment. La directive de 2007, transposée en mars 2010 en France, traite des essais cliniques. L'impact en apparaîtra bientôt.

La procédure est déjà spécifique, concernant les DMI et DM de classe III.

M. Antoine Audry, président d'APIDiM . - Une des particularités des DMI, c'est qu'ils naissent « au lit du patient », un ingénieur, un industriel, et un médecin travaillant ensemble.

Il existe deux types d'innovation : l'innovation de rupture, au risque inconnu, comme les valves percutanées ou le coeur artificiel. L'innovation suscite une étude des risques, très tôt, entre les différents partenaires, régulateurs inclus.

L'Afssaps a ainsi travaillé sur le coeur artificiel, produit inconnu auparavant. La rupture passée, on entre dans la phase des innovations incrémentales : le stimulateur cardiaque a cinquante ans, on en imagine aujourd'hui qui ne comportent pas de sondes, le point faible du dispositif, une source de risques aussi.

Lorsqu'on parvient à cette phase, on se demande si le rapport bénéfices-risques est modifié. Dans ce cadre, l'évaluation clinique peut être moins nécessaire.

Néanmoins, depuis la directive de 2007, l'étude clinique est imposée, sauf si l'on peut prouver que le système équivaut à un système existant.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Une petite modification peut avoir de grandes conséquences. D'ailleurs, les nouvelles versions des voitures sont soumises à des essais.

M. Antoine Audry . - Aux Etats-Unis comme en Europe, on cherche à travailler sur la preuve par équivalence - mais la démonstration doit être rigoureuse !

M. Eric Le Roy . - Tout cela ressemble fort aux AMM...

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Ce n'est pas la même procédure. Une certification ne suffit pas pour les médicaments.

M. Eric Le Roy . - Depuis 2007, le dossier de certification comprend des essais cliniques.

L'Agence européenne délivre 650 AMM par an, les organismes notifiés 500 ou 550. Le médicament pèse 30 milliards d'euros, les DMI de classe III, dix fois moins.

Au sujet d'une AMM, les industriels français ont deux craintes, tenant aux délais de cette procédure et à son coût. Après l'AMM, il y a peu de modifications profondes du produit, alors que les DM changent fréquemment. Si à chaque fois il fallait reprendre la procédure à zéro, tout serait bloqué. Se pose aussi la question du coût : une AMM, c'est 200 000 euros...

Mme Nathalie Goulet . - Combien d'entreprises représentez-vous ? Combien de salariés ? Quelles masses financières, quelles activités ?

M. Eric Le Roy . - Le Snitem représente 250 entreprises et 65 000 emplois, PME essentiellement, soit 8 milliards d'euros pour un marché de 20 milliards d'euros. Selon le ministère de l'industrie, le secteur compte mille entreprises.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Comment renforcer l'information des pouvoirs publics ? Les fabricants ne devraient-ils pas prévenir l'Afssaps au premier incident ? Les accords fabricants-distributeurs ne nuisent-ils pas à la matériovigilance ?

M. Eric Le Roy . - Cette obligation d'information existe déjà, elle s'impose à tous, professionnels de santé et patients comme fabricants. Les autorités envisagent des formulaires plus simples, pour améliorer les remontées du terrain. C'est une piste intéressante.

S'agissant de la matériovigilance, un portail unique européen serait très utile ; les portails nationaux ne favorisent pas la communication entre les autorités nationales.

M. Antoine Audry . - La population des patients, pour chaque DMI, s'assimile à une population souffrant de pathologies orphelines : la dimension nationale est souvent faible et l'échelle européenne s'impose. Il existe une continuité entre la phase antérieure à la mise sur le marché et celle qui la suit. Le suivi clinique proactif exige un suivi actif et non passif.

Enfin, c'est la pratique qui apporte des informations concrètes et des progrès. La surveillance du marché post-autorisation est donc importante.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Hors Europe, les systèmes de contrôles existants sont-ils performants ?

M. Eric Le Roy . - Le système français fait beaucoup d'envieux. Le nombre des premières mondiales réalisées dans notre pays depuis trente ans en atteste. J'en ai compté 78, dont la moitié s'articule autour des DMI : 1973, première coloscopie à Clermont-Ferrand avec le professeur Bruat, 1979, première dilatation coronarienne à Toulouse, pose du premier stent à Toulouse en 1986, première opération à coeur ouvert en 1996 et 2007, première opération relative à l'ablation de la vésicule biliaire par voie transvaginale...

M. Antoine Audry . - Le contrôle de la Food and Drug Administration (FDA) est beaucoup plus ancien que le marquage CE puisqu'il date de 1976. Le système européen comporte des éléments de l'approche américaine mais s'en distingue : il faut deux ans de moins pour obtenir la certification d'un dispositif en Europe, sans plus de rappels de produits. Nous pourrions nous inspirer des guide lines par produit et spécialité médicale, pour améliorer la sécurité.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Les Américains sont peut-être moins bons que nous, mais ils n'ont pas autorisé les prothèses PIP ; les Australiens ont démontré des faiblesses sur les prothèses de hanche. Ne croyons pas toujours être les meilleurs.

Quels éléments emprunter aux autres approches ?

M. Eric Le Roy . - Renforçons la réglementation, en nous inspirant des référentiels verticaux américains comme le suggérait M. Audry.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Que pensez-vous des référents-risque ?

M. Eric Le Roy . - C'est une piste, nous n'avons pas de position arrêtée.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Que pensez-vous du renforcement des essais cliniques pour les DM les plus invasifs ?

M. Eric Le Roy . - La directive de 2007 renforce la sécurité, tout en se préoccupant de la survie des PME. Evitons de tuer des produits utiles à des populations restreintes ! Le dommage passerait inaperçu mais serait grand.

Mme Laurence Cohen . - Depuis le début de ces auditions, nous constatons la nécessité de faire évoluer les comportements, ainsi que de mieux articuler entre monde industriel et communauté scientifique.

A l'évidence, le marquage européen est insuffisant ; l'intervention des scientifiques ne doit-elle pas être renforcée ?

M. Eric Le Roy . - Les règles doivent continuer à progresser, pour parvenir à un bon équilibre, pour trier et conserver les bons produits, ceux dont le rapport bénéfices-risques est positif.

Les entreprises sont favorables à une évolution du cadre réglementaire : après cinq modifications des textes européens, il en viendra d'autres, c'est normal.

M. Antoine Audry . - La réglementation de 2007 n'a pas fait sentir tous ses effets. Le marquage CE, en tout cas, n'est pas le même aujourd'hui qu'il y a trois ans... L'évolution réglementaire tend à resserrer les mailles.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Que pensez-vous de l'UDI, initiative de la Global harmonisation task force ?

M. Eric Le Roy . - Nous y sommes extrêmement favorables. Ce système renforcera la traçabilité, améliorera la connaissance des produits, facilitera la surveillance des marchés et limitera la contrefaçon, ce qui n'est pas négligeable.

Mme Nathalie Goulet . - En avez-vous des exemples ? Quels sont les produits les plus contrefaits ? Existe-t-il de la contrebande ?

M. Eric Le Roy . - Il est toujours difficile d'évaluer la contrefaçon ; lors du conseil stratégique des industries de santé (CSIS), on a annoncé des taux de fraude colossaux. Je n'ai pas d'éléments tangibles à ce sujet.

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Avez-vous des statistiques sur les différents DMI fabriqués en France ?

M. Eric Le Roy . - Nos statistiques sont partielles : chaque année, on pose un peu moins de 20 000 défibrillateurs par an en France et environ 750 000 dispositifs intraoculaires. Pour le dixième produit implanté, on doit tomber à moins de 30 000. On rejoint presque les chiffres des maladies orphelines... On doit être autour de 100 000 prothèses de hanche, quelques milliers de valves percutanées et d'implants intra-aortiques. Sur les implants cochléaires, on est passé de 500 à 1 000 après cinq ans.

Mme Chantal Jouanno , présidente . - Merci.

Audition de M. François-Xavier SELLERET, directeur général de l'offre de soins (DGOS) (mardi 27 mars 2012)

Mme Nathalie Goulet, présidente . - Nous terminons nos auditions de la journée en recevant M. François-Xavier Selleret, directeur général de l'offre de soins au ministère du travail, de l'emploi et de la santé.

Notre mission porte à la fois sur des soins délivrés et des actes médicaux réalisés en établissement de santé ainsi qu'en médecine de ville. La Direction générale de l'offre de soins (DGOS) est donc la mieux placée pour observer ces activités.

Nous sommes également curieux de savoir comment est réalisée, au niveau régional, la régulation de l'offre de soins en chirurgie et médecine esthétiques et si les agences régionales de santé (ARS) mènent une politique coordonnée en la matière.

N'étant pas médecin, je serais désireuse de connaître votre organisation et votre domaine d'activité.

M. François-Xavier Selleret, directeur général de l'offre de soins (DGOS) au ministère du travail, de l'emploi et de la santé . - Au sein du ministère de la santé, deux grandes directions interviennent sur le sujet des dispositifs médicaux. La Direction générale de la santé (DGS), est en charge de toute l'urgence sanitaire, de la remontée des pratiques, et exerce la tutelle de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). La DGOS s'occupe du pilotage des structures, des outils et des financements, tandis que la DGS pilote les pratiques.

Sur le sujet de votre mission, les deux directions générales agissent de concert, certaines questions pouvant être davantage du ressort de la DGS, comme la médecine esthétique.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Sur l'usage des dispositifs médicaux implantables (DMI) à l'hôpital, quel rôle la DGOS peut-elle jouer pour prévenir les incidents qui se sont répétés récemment ?

M. François-Xavier Selleret . - Le système ministériel d'alerte a été refondu en 2007 avec la création du département des urgences sanitaires, qui fait partie de la DGS et constitue le guichet unique de toutes les urgences qui remontent au ministère et qui sont ensuite réparties entre les différentes directions compétentes.

En parallèle, la matériovigilance est gérée - au niveau national - par l'Afssaps, auprès de laquelle siège la commission nationale de sécurité sanitaire des dispositifs médicaux. Au niveau local, des correspondants de matériovigilance sont présents dans les établissements de santé. Ainsi deux chaînes coexistent : celle dédiée à la matériovigilance - établissements, Afssaps, ministère - et celle, généraliste, qui remonte des ARS à la DGOS, via le nouveau département des urgences sanitaires.

Aujourd'hui nous formalisons davantage les relations entre DGOS, DGS et Afssaps pour améliorer le retour vers les prescripteurs, en particulier les chirurgiens.

Pour prévenir la répétition de ces événements, il faut mettre en avant le bon usage du dispositif médical. L'ancêtre de la DGOS, la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS), avait beaucoup travaillé avec les agences régionales de l'hospitalisation (ARH) pour mettre en place dans chaque région un Observatoire des médicaments, des dispositifs médicaux et des innovations thérapeutiques (Omedit) et déployer, vers les établissements de santé, des référentiels de bon usage des dispositifs médicaux. Elle s'appuyait sur les sociétés savantes, notamment en cardiologie avec les stents ou les défibrillateurs et en orthopédie avec les prothèses de hanche ou de genou.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Faites-vous des recommandations aux établissements de santé pour l'utilisation et l'achat des DMI ?

M. François-Xavier Selleret . - Le bon usage est mis en valeur depuis 2005 avec les référentiels des Omedit. Il a donné lieu à des contrats, entre les ARH puis les ARS et les établissements de santé pour les médicaments et les dispositifs médicaux Il s'agit de faire émerger une vision globale, car dans certains cas la distinction entre dispositif médical implantable et médicament est ténue : il y a dans les dispositifs médicaux implantables actifs des substances qui se rapprochent des médicaments.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Est-ce pris en compte pour évaluer leur performance ?

M. François-Xavier Selleret . - Oui. L'évolution de la consommation des dispositifs médicaux par les établissements est comparée aux données nationales. Du fait du grand éparpillement des lignes de produits, nous menons un travail d'optimisation des achats hospitaliers, notamment des dispositifs médicaux implantables. Ce secteur est beaucoup plus dispersé que celui du médicament. Dans le passé, beaucoup de dispositifs médicaux étaient mis au point par la concertation entre un chirurgien et un fabricant. Nous avançons dans la voie de la standardisation et de l'efficience des achats, qui fait partie des indicateurs de performance des établissements de santé.

Mme Nathalie Goulet, présidente . - Quels sont les organismes qui vous font remonter des informations ? Dans quels délais les traitez-vous ?

M. François-Xavier Selleret . - La question est à poser à l'Afssaps, puisque le traitement de ces informations relève de sa compétence : elle abrite la commission nationale de sécurité sanitaire des dispositifs médicaux.

Mme Nathalie Goulet, présidente . - Oui, mais vous dites que vous collectez ces informations.

M. François-Xavier Selleret . - L'organisme qui autorise a plus d'informations. Des informations nous parviennent, mais les délais dépendent de l'analyse.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Les dispositifs médicaux implantables sont-ils inclus dans les tarifs des groupes homogènes de séjour ?

M. François-Xavier Selleret . - Non, la plupart sont remboursés en sus, pour des raisons médicales et de coût. Ils peuvent introduire une hétérogénéité en termes de coûts. Il faudrait que leur prix, pour une pathologie donnée, ne varie pas pour qu'ils puissent être inclus dans un séjour. Pour les deux grandes familles de dispositifs médicaux implantables, en cardiologie et en orthopédie, la dispersion des coûts est souvent supérieure à 30 %. Pour un traitement spécifique, le praticien peut souvent choisir entre plusieurs dispositifs médicaux implantables, il ne faut donc pas priver le patient de l'accès à un dispositif médical. C'est pourquoi ces produits ne sont pas inscrits dans les tarifs des séjours.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Quels sont les programmes de soutien aux dispositifs médicaux implantables innovants ?

M. François-Xavier Selleret . - Nous disposons de deux dispositifs : un programme de soutien aux techniques innovantes (Stic) et un programme hospitalier de recherche clinique. Il faut y ajouter un nouveau dispositif : le forfait innovation. Le dispositif médical en question peut ensuite rejoindre la liste en sus, où il reste tant qu'il introduit une hétérogénéité dans les tarifs.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Avez-vous des remontées sur les incidents relatifs aux dispositifs médicaux implantables dans les établissements de santé ?

M. François-Xavier Selleret . - Parmi les données qui remontent au département des urgences sanitaires, 3 % concernent des dispositifs médicaux implantables. L'essentiel va à l'Afssaps, car la filière de matériovigilance permet l'unicité de traitement de l'information.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Disposez-vous de données précises sur le nombre d'établissements et de médecins pratiquant la chirurgie esthétique ? Celle-ci est-elle exercée dans les établissements de santé ou dans des structures spécialisées ? Quelles sont les parts du public et du privé ? Et celle des consultations privées à l'hôpital public ?

M. François-Xavier Selleret . - Aujourd'hui, cinq cents établissements publics et privés sont autorisés à poser des implants esthétiques mammaires en chirurgie esthétique et reconstructrice, dont trois cent cinquante privés.

Les établissements qui ne sont que des centres autonomes de chirurgie esthétique sont une trentaine, concentrés en Ile-de-France et en région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Mme Nathalie Goulet, présidente . - Je suis surprise de ces chiffres. Les médecins groupés équipés d'un bloc opératoire sont-ils répertoriés ?

M. François-Xavier Selleret . - Je ne parle que des établissements de santé. Cela n'épuise pas le sujet. Certains actes esthétiques peuvent être faits par des médecins libéraux dans leur cabinet.

Il existe huit cent neuf spécialistes en chirurgie plastique reconstructrice et esthétique titulaires d'un diplôme d'études de spécialité (DES) en la matière, dont 70 % sont des libéraux exclusivement. En complément, des oto-rhino-laryngologistes (ORL) peuvent accomplir certains actes, tout comme des gynécologues obstétriciens peuvent faire de la reconstruction mammaire. C'est, pour eux, une activité annexe.

Les médecins esthétiques, sur l'encadrement desquels nous travaillons avec les représentants de cette profession, sont plusieurs centaines...

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Vous parlez des dermatologues ?

M. François-Xavier Selleret . - Non, ce sont essentiellement des généralistes qui se sont  spécialisés en esthétique.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Quel est le régime d'autorisation pour les installations de chirurgie esthétique ? Exercez-vous un pilotage national de l'offre ? Les ARS le font-elles au niveau régional ?

M. François-Xavier Selleret . - Les cinq cents établissements autorisés en chirurgie esthétique et reconstructrice s'inscrivent dans le cadre des schémas régionaux d'organisation des soins (Sros) et sont soumis au régime de droit commun des établissements de santé. Les soins qu'ils délivrent sont pris en charge par l'assurance maladie.

Les centres autonomes de chirurgie esthétique ne sont pas des établissements de santé et ne relèvent pas des Sros. C'est le directeur régional de l'ARS qui examine les demandes d'autorisation, procédure auparavant conduite par les préfets. Il n'y a pas de planification. Les ARS répondent au cas par cas aux demandes d'autorisation.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Quels sont les contrôles sur les établissements de chirurgie esthétique ? Arrive-t-il que l'autorisation de cinq ans ne soit pas renouvelée ? Pour quels motifs ?

M. François-Xavier Selleret . - La première phase de cinq ans touche à sa fin. Le décret du 11 juillet 2005 ayant fixé les critères d'autorisation, les premières d'entre elles ont été délivrées en 2006, au vu d'un dossier et d'une visite de conformité réalisée par l'ARS. Une autorisation peut être retirée pour non-conformité ou pour des raisons liées à la publicité. La certification de la HAS est requise. Une trentaine de procédures de ce type sont en cours.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Combien existe-t-il de médecins esthétiques ?

M. François-Xavier Selleret . - Entre quatre cents et cinq cents. Un travail de recensement est en cours.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Leur formation est-elle suffisante ?

M. François-Xavier Selleret . - La DGS a engagé une concertation avec les professionnels pour mieux encadrer les pratiques et augmenter le niveau de formation exigé pour l'exercice de la médecine esthétique, notamment grâce à la création d'un diplôme interuniversitaire (DIU).

Mme Nathalie Goulet, présidente . - Vous n'avez aucune donnée sur les médecins libéraux installés qui pratiquent la chirurgie esthétique dans leur cabinet ?

M. François-Xavier Selleret . - Ce sont plutôt des actes de médecine esthétique qui sont pratiqués en cabinet car pour la chirurgie il faut un plateau technique, notamment pour l'anesthésie. Les praticiens ont donc souvent une activité dans une clinique classique, où ils opèrent, voire dans certains établissements publics.

De plus, comme ces actes ne sont pas déclarés à l'assurance maladie, on se situe plutôt dans le champ de compétences de la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF). C'est pourquoi je distingue la chirurgie esthétique, pour laquelle il existe un cursus universitaire complet, de la médecine esthétique.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Que pouvez-vous nous dire de la controverse sur l'utilisation d'acide hyaluronique par les chirurgiens-dentistes ? Existe-t-il beaucoup de conflits entre professions de santé en matière d'interventions esthétiques ?

M. François-Xavier Selleret . - Là encore, cette question relève davantage de la DGS. Un acte autour de la bouche peut-il être pratiqué par un chirurgien-dentiste ? Autrement dit, jusqu'où remonte la bouche ? Deux projets de décret sont actuellement à l'étude, l'un sur les actes de médecine esthétique pouvant être faits par les médecins, l'autre sur ceux qui peuvent être accomplis par les chirurgiens-dentistes.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Comment informer les patients des risques liés aux procédures chirurgicales ou médicales ?

M. François-Xavier Selleret . - Le code de la santé publique pose une obligation d'information du patient par le praticien sur les conditions de l'intervention, les risques de celle-ci et ses conséquences. Celui-ci doit également fournir un devis détaillé et respecter un délai entre la remise de celui-ci et l'intervention.

Depuis 2008, la DGOS sensibilise régulièrement patients et soignants à la prévention des risques associés aux soins. Nous menons une action globale sur l'information du grand public dans ce domaine, aussi bien en matière de sécurité du patient que de qualité des soins, en plus des obligations législatives et réglementaires qui s'imposent aux médecins.

M. Bernard Cazeau , rapporteur . - Que vous inspire le développement d'actes à visée esthétique par des non-médecins, grâce à des équipements médicaux ?

M. François-Xavier Selleret . - Les décrets que j'ai évoqués ont pour objet de réserver certains actes aux médecins. Jean-Yves Grall, directeur général de la santé, pourra vous en dire plus.

Mme Nathalie Goulet, présidente . - Avez-vous des préconisations pour améliorer le dispositif ?

M. François-Xavier Selleret . - Tout part du signal. Nous n'avons de cesse, dès la formation initiale, puis en formation continue et dans la gestion des établissements de santé, d'inciter à signaler les événements indésirables.

Dernier point, il faut mieux gérer les dispositifs médicaux, par leur bon usage et une amélioration des achats. Un nombre de références resserré et mieux identifié faciliterait le pilotage. Il s'agit de standardiser les pratiques.

Mme Nathalie Goulet, présidente . - Vous n'en voudrez pas à un sénateur rural d'évoquer la démographie médicale.

La demande en matière de soins esthétiques ne va-t-elle pas intéresser un nombre croissant de médecins généralistes et aggraver la désertification médicale des campagnes ?

M. François-Xavier Selleret . - Nous avons lancé un plan d'action sur la médecine de proximité afin de favoriser un exercice attractif et diversifié de la médecine générale. Un projet de décret « habilitation » a été examiné aujourd'hui par le Conseil d'Etat. Il vise à permettre à un médecin généraliste d'acquérir une habilitation secondaire dans une autre activité, en médecine du sport ou du travail par exemple. Celui-ci n'aurait pas pour autant l'obligation de renoncer à pratiquer la médecine générale. Pour fidéliser les généralistes, il faut leur proposer un exercice diversifié, et cela passe notamment par la maîtrise d'une compétence complémentaire.

Table ronde sur la chirurgie esthétique (mardi 3 avril 2012)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Notre sixième semaine d'auditions porte sur le thème de la chirurgie esthétique. Nous entendrons aujourd'hui chirurgiens et patients. MM. Bruno Alfandari, président du Syndicat national de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique (SNCPRE), et Michel Rouif, secrétaire général de la Société française des chirurgiens esthétiques plasticiens (Sofcep), doivent nous apporter un éclairage sur un secteur qui, depuis la loi Kouchner de 2002, est précisément réglementé mais a suscité, récemment, des interrogations. Il n'est pas question, ici, d'instruire quelque procès que ce soit. Nous ne voulons en aucun cas sombrer dans la caricature. Pour autant, le rôle de notre mission d'information est bien d'examiner tous les aspects, même les moins plaisants, d'un secteur qui fait l'objet de fortes préoccupations de la part des Français.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Pouvez-vous tout d'abord nous présenter les organisations que vous représentez ?

M. Michel Rouif, secrétaire général de la Sofcep . - La Sofcep, créée il y a vingt-cinq ans, est une société savante qui regroupe plus de cent cinquante chirurgiens plasticiens qualifiés. Son but était, dès l'origine, de regrouper plus spécifiquement les chirurgiens plasticiens français ayant une activité esthétique.

M. Bruno Alfandari, président du SNCPRE . - Le SNCPRE est un syndicat comptant cinq cents membres qui exercent aussi bien dans le privé que dans le public. La distinction entre chirurgie esthétique et plastique n'existe que sur le papier. Dans les faits, les chirurgiens prennent en charge les patients avec le même sérieux et de la même manière dans tous les cas. La seule distinction est que les interventions de chirurgie esthétique ne sont pas remboursées par l'assurance maladie. Le SNCPRE est l'organisation représentative de la profession au niveau national, notamment lorsqu'il s'agit d'élaborer de nouvelles normes portant sur la chirurgie plastique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Combien existe-t-il aujourd'hui en France de chirurgiens esthétiques et d'établissements de santé pratiquant la chirurgie esthétique ? Parmi ces praticiens, combien pratiquent également de la chirurgie reconstructrice et combien exercent dans un cadre libéral ?

M. Bruno Alfandari . - Il y a entre huit cents et neuf cents chirurgiens plasticiens. Il n'y a pas de chirurgien seulement esthétique : l'activité des praticiens est généralement mixte, esthétique et reconstructrice. On ignore combien d'établissements sont autorisés au titre de la chirurgie esthétique, mais il faut supposer que tous ceux qui abritent des chirurgiens plasticiens ont fait une demande.

M. Michel Rouif . - Une grande proportion de ces chirurgiens exerce en libéral. Toutefois, il existe des services de chirurgie plastique dans les hôpitaux universitaires qui forment les internes dans le cadre du cursus de chirurgie générale. C'est après un internat et un clinicat que les chirurgiens plasticiens sont diplômés. Ce sont donc des chirurgiens à part entière, qui ont suivi une spécialisation. La reconnaissance, en 1985, d'un diplôme universitaire spécifique a facilité les choses et amélioré la visibilité de notre spécialité.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Ils s'installent en libéral ?

M. Michel Rouif . - La pratique l'impose. Il existe très peu de postes dans les services hospitaliers publics.

Mme Catherine Génisson . - Quelle est votre place dans le système hospitalo-universitaire ? Quelle part consacrez-vous à la chirurgie réparatrice, quelle part à la chirurgie esthétique ? La première n'a-t-elle pas un champ plus vaste que la seconde ?

M. Bruno Alfandari . - Ce qui peut sembler évident en France n'est pas vrai ailleurs. Une chirurgie considérée comme réparatrice en France peut relever, dans d'autres pays, de la chirurgie esthétique. La réduction mammaire est de l'esthétique au-dessus de trois cents grammes par sein, de la réparation en-dessous. Tous les praticiens font donc de la chirurgie réparatrice. Le partage entre les différents types d'actes dépend beaucoup du lieu d'exercice : il n'est pas le même à Paris qu'en Dordogne ou à Marseille. Il varie également au cours d'une carrière.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - N'avez-vous pas d'éléments chiffrés sur la répartition des actes ?

M. Michel Rouif . - C'est chronologiquement et individuellement variable. Pour moi, qui exerce à Tours, ce serait deux tiers d'esthétique, un tiers de réparation, notamment pour le cancer du sein. C'est assez représentatif de l'activité libérale en province. Dans les hôpitaux publics, la chirurgie réparatrice est sans doute plus développée, même si la chirurgie esthétique doit être enseignée pour former les futurs praticiens qui exerceront en libéral. Reste qu'il est difficile de fournir des chiffres précis.

Mme Catherine Génisson . - Il semble donc que la chirurgie reconstructrice, qui ne concerne pas seulement le cancer du sein mais aussi les grands brûlés ou les accidentés, soit davantage pratiquée dans le milieu hospitalo-universitaire, tandis que les actes de chirurgie esthétique concernent des interventions plus courantes.

M. Michel Rouif . - Nous parlons d'une spécialité à part entière. Mon établissement compte, pour quatre cents lits, douze gynécologues et trois chirurgiens plasticiens. Nous avons une forte activité de chirurgie réparatrice du sein. J'opère régulièrement des tétraplégiques suivis dans des centres de rééducation fonctionnelle publics.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - L'actualité récente a été marquée par la répétition d'incidents relatifs à la sécurité de dispositifs médicaux implantables (DMI). Quel est votre avis sur le dispositif de matériovigilance en vigueur ?

M. Michel Rouif . - Il n'a pas correctement fonctionné. Nous sommes particulièrement affectés par le scandale PIP : nous le vivons tous les jours. Cet événement malheureux, pour les patients comme pour notre activité, nous incite à nous interroger. Nous avions une forte confiance dans le système de vigilance institutionnelle : on a pris conscience, depuis, que la vigilance était aussi notre devoir, qu'il nous faut développer une démarche organisée pour remédier à l'inertie du système institutionnel, qui est peut-être un peu lent.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - La démarche doit-elle être gouvernementale ou celle des sociétés savantes ?

M. Michel Rouif . - On a besoin de tout le monde. La difficulté est d'accéder à l'information. La Food and Drug Administration (FDA) américaine, malgré ses moyens, n'y parvient pas toujours. Il faut collaborer avec les chirurgiens, mais aussi avec les patients.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Que pensez-vous du système des registres comme il en existe en Australie ou en Scandinavie ?

M. Michel Rouif . - Il n'est pas assez employé. Les institutions ne suffisent pas, il faut que tout le monde s'y mette.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Certains de vos confrères ont lancé un système de vigilance avec un registre des prothèses de hanche.

M. Michel Rouif . - La Société française de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique (SofCPRE), société savante de la chirurgie plastique, met en place un système de vigilance. La Sofcep le trouve adapté.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Concrètement, au regard du système obligatoire de vigilance, qu'apporte votre initiative ?

M. Bruno Alfandari . - La difficulté tient à la déclaration de matériovigilance. Même après l'affaire PIP, il est difficile de trouver les informations pertinentes sur le site de l'Afssaps. Il faudrait un système de déclaration plus fluide et plus rapide, quitte à se retourner ensuite vers les praticiens pour leur demander un complément d'information. C'est ce que nous tentons de faire avec une société savante, en lien avec l'Afssaps, sans avoir abouti, pour l'instant, à un système pleinement satisfaisant. Les charges administratives des médecins sont déjà très importantes, il faut donc aller vers une simplification des procédures.

M. Michel Rouif . - Pour accélérer la déclaration, il est proposé que les chirurgiens déclarent un événement à la SofCPRE avant que celle-ci ne transmette l'information à l'Afssaps : on n'omet rien, on favorise, au contraire, les déclarations.

Mme Catherine Génisson . - La déclaration ne doit-elle pas d'emblée entraîner une évaluation de l'Afssaps afin de surmonter l'inertie administrative ?

M. Bruno Alfandari . - Nous ne sommes pas juges de notre propre déclaration : c'est là son principe. Nous voulons les meilleurs soins pour nos patients : plus l'Afssaps sera réactive, plus nous serons satisfaits. Mais, à sa décharge, il n'est pas toujours simple de mener une étude épidémiologique sur un dispositif médical implantable. Partager les données avec la société savante nous permettrait d'avoir nos propres études épidémiologiques. On accélérerait les choses grâce à ce double contrôle.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quels sont les principaux dispositifs médicaux implantables qu'on utilise en chirurgie esthétique ? Comment les praticiens sont-ils informés des innovations en la matière, dans quelles conditions sont-ils sollicités pour des essais cliniques et sur quelles bases choisissent-ils ceux qu'ils utilisent ? Emettez-vous des recommandations à ce sujet ? Jouez-vous un rôle dans la transmission de mises en garde relative à la sécurité de certains dispositifs médicaux ?

M. Michel Rouif . - Vaste question. Les dispositifs médicaux implantables utilisés en chirurgie esthétique sont principalement les prothèses mammaires, de fesses et les fillers, c'est-à-dire les produits de comblement non résorbables.

Mme Nathalie Goulet . - Et les fils ?

M. Michel Rouif . - En effet, les fils crantés, surtout en nylon, sur le principe des barbelés, sont utilisés pour suspendre des tissus du visage, les rehausser. Ils permettent de réaliser des techniques de type lifting doux sans intervention chirurgicale. Certains sont résorbables, d'autres ne le sont pas, mais avec le temps les tissus glissent autour des fils et reprennent leur place. Ce sont des solutions intelligentes, mais il convient de bien les distinguer, notamment en ce qui concerne leurs effets sur la durée, d'un lifting. En ce qui concerne les implants, ils peuvent être remplis de silicone ou de sérum physiologique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous êtes des chirurgiens ayant une bonne renommée : comment participez-vous au choix des dispositifs médicaux implantables ? Vous fondez-vous sur la seule propagande des fabricants ou sur les éventuelles études existantes ?

M. Bruno Alfandari . - Pour les implants mammaires, il a existé une relation de proximité avec l'industrie : les concepts, comme la texture ou les formes, ont souvent été élaborés avec les chirurgiens. Il n'y a pas de propagande pour ces produits du fait de la taille réduite du marché. C'est plus compliqué pour les fillers. Ils sont faciles à fabriquer, donc beaucoup d'opérateurs veulent entrer sur ce marché et l'étendre à d'autres praticiens voire à des non-praticiens, comme les infirmières. C'est ainsi que l'on voit arriver des produits pour lesquels le recul scientifique n'est pas le même que pour les implants ou qui n'ont quasiment pas été testés.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - L'administration américaine a refusé les prothèses PIP. Cela n'a-t-il pas alerté votre attention ?

M. Michel Rouif . - Le protectionnisme américain est très fort : pas un seul fabricant français n'a eu l'autorisation de vendre des prothèses en silicone sur ce marché.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Il y a quand même eu des arguments scientifiques.

M. Michel Rouif . - Nous n'avons jamais eu accès aux informations communiquées à l'Afssaps. C'est une faiblesse du processus de traçabilité et de vigilance.

M. Bruno Alfandari . - Les chirurgiens n'étaient absolument pas au courant, ils ont appris en même temps que vous les défauts des prothèses PIP.

Mme Catherine Génisson . - Pour les prothèses, les relations sont fortes, dites-vous, avec les fabricants. Que se passe-t-il une fois le produit créé : êtes-vous encore intervenant et de quelle manière ?

M. Michel Rouif . - Il existe des normes pour la fabrication des prothèses, on en fabrique depuis cinquante ans. Le moratoire sur les gels en silicone a été levé en France en 2001. Après validation, nous utilisons les produits, mais il y a des choses que nous ne voyons pas tout de suite.

Mme Catherine Génisson . - Mais quel est le retour sur le conseil technique que vous avez fourni lors de la mise au point ?

M. Michel Rouif . - Certains chirurgiens participent à des études sur cohortes qui sont parfaitement contrôlées. Il n'y a pas de spécificité de notre spécialité. Lorsque les matériaux sont autorisés, les praticiens les utilisent : ils contribuent à la connaissance et à l'évaluation des produits. Nos pratiques doivent être parfaitement transparentes. Si conflits d'intérêts il y a, ils doivent être connus.

Mme Catherine Génisson . - Admettons que, dans le cadre d'une recherche clinique, vous ayez mis au point une prothèse, qui pourrait d'ailleurs porter votre nom. Y a-t-il ensuite un retour vers vous après la mise sur le marché ?

M. Bruno Alfandari . - Tout dépend des laboratoires. Certains sollicitent les chirurgiens pour participer à l'évaluation d'un implant. Le retour est-il honnête et clair sur les incidents déclarés ? C'est toute la question de la relation entre praticiens et laboratoires. Mais pour ce que j'ai pu en connaître, cela se passe généralement assez bien. Une vaste escroquerie comme PIP a semblé remettre cela en cause. Les laboratoires sont plutôt demandeurs d'un retour d'information sur la qualité de leurs produits.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - La loi Kouchner de 2002 et ses mesures d'application fixent le cadre réglementaire de la chirurgie esthétique. Vous semble-t-il adapté ? Auriez-vous des modifications à y apporter ?

M. Michel Rouif . - Le consentement éclairé, qui s'applique à toute activité médicale, est une excellente chose. Il faut espérer que les patients comprennent bien. Leur expliquer l'intervention et ses alternatives demande beaucoup de temps. Quand on interroge les patients, on voit qu'ils ne lisent pas les documents remis car ceux-ci sont de plus en plus longs et complexes. C'est la limite pratique des choses.

M. Bruno Alfandari . - Je ne suis absolument pas d'accord. Les patients sont souvent de mieux en mieux informés, notamment grâce à Internet. L'information circule bien. Nos confrères étrangers nous envient la loi Kouchner. Nous sommes fiers de la reconnaissance qu'elle nous apporte. On constate que ses principales dispositions - consentement éclairé, devis, délais de réflexion - ont ensuite été étendues à l'ensemble des patients. Le texte est extrêmement sécurisant pour les patients, et nous travaillons dans de bien meilleures conditions qu'auparavant.

M. Michel Rouif . - Je voulais dire qu'il y a beaucoup d'informations à assimiler, ce qui n'est pas facile. La chirurgie esthétique est souvent en première ligne dans l'expérimentation de telles modalités favorables aux patients.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Les documents doivent être explicites, brefs et synthétiques.

M. Michel Rouif . - C'est ce que font nos sociétés savantes, qui fournissent des fiches d'information synthétiques.

Mme Catherine Génisson . - Il faut savoir trouver l'équilibre entre l'information et la relation de confiance qui existe entre le praticien et le patient dans le cadre du colloque singulier. Si les patients lisaient tout, ils partiraient en courant. Pourquoi ne pas confier cette mission, même si je ne le pense pas, à un tiers ?

M. Michel Rouif . - La confiance est en effet essentielle dans la relation médicale. Et cela vaut dans les deux sens. Quand on demande à un patient d'arrêter de fumer, il faut pouvoir lui faire confiance.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Comment percevez-vous le développement rapide de la médecine esthétique ? Constatez-vous sur ce thème une sorte de concurrence entre les différentes spécialités médicales ? La formation, dans ce cas, doit-elle passer par la médecine ou par des voies parallèles ?

M. Bruno Alfandari . - Les actes de médecine esthétique font partie de la spécialité des chirurgiens esthétiques, capables de proposer à leurs patients la solution la mieux adaptée à leurs besoins. Ils apprécient notre indépendance vis-à-vis de l'acte, chirurgie ou injection.

Certes, il existe une concurrence. Nous craignons que, comme c'est le cas aux Etats-Unis, une certaine confusion s'instaure. Les patients s'imaginent que ceux qui pratiquent ces actes sont forcément chirurgiens alors qu'ils sont autorisés à beaucoup de praticiens, parfois formés à la va-vite sous la pression des laboratoires. La controverse récente sur l'utilisation de produits injectables par les chirurgiens-dentistes en est l'illustration. N'importe qui ne doit pas pouvoir faire n'importe quoi pour la seule raison qu'il s'agit d'esthétique. Les chirurgiens plasticiens, tout comme les dermatologues, ont une formation universitaire. Pour le reste, nous considérons que seuls ceux qui sont aptes à prendre en charge les complications devraient être habilités à accomplir les actes. Nous savons le faire, tout le monde ne peut pas en dire autant.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Soyez un peu plus explicite !

M. Michel Rouif . - Pour une perforation du colon, le gastroentérologue, pourtant très compétent, appelle le chirurgien digestif. Il doit y avoir une collaboration réelle entre les praticiens. Tout ce qui peut susciter des complications doit être pris en charge par ceux qui ont la compétence. On fait plus de bêtises lorsqu'on injecte un produit si on ne connaît pas l'anatomie de ce qui est sous la peau.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Faut-il encadrer ces procédures ?

M. Michel Rouif . - Il existe une telle poussée de l'industrie, que cela vaudrait mieux. Souvent, ce n'est pas un médecin qui procède aux injections. Ainsi en Grande-Bretagne comme aux Etats-Unis ce sont les infirmières qui injectent la toxine botulique.

M. Bruno Alfandari . - En effet, ce sont les infirmières qui font les injections en Grande-Bretagne, et des nurse injectors dans certains Etats des Etats-Unis. Nous n'y sommes pas favorables. On ne manque pas de praticiens pour réaliser ces actes. Or il existe, pour l'instant, un vide juridique. Sachant qu'une norme Afnor est en préparation, il vaudrait mieux ne pas s'aligner sur de telles pratiques, et prévoir, à tout le moins, de réserver ces actes à ceux qui ont une formation universitaire reconnue. Il ne nous semble pas nécessaire de créer une spécialité à part entière mais il faut développer une formation universitaire afin de permettre à certains médecins de pratiquer de tels actes dans leur domaine de compétences.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous savez bien qu'il existe des diplômes universitaires en médecine esthétique.

M. Bruno Alfandari . - Je connais effectivement l'existence d'un diplôme interuniversitaire et de quelques diplômes universitaires, mais tout dépend à qui les formations s'adressent. Nous voulons un encadrement clair et une information transparente des patients, qui doivent être entre les mains de gens compétents. D'après nos remontées, à l'étranger, les généralistes ne sont pas les seuls à se mettre à la médecine esthétique. Or, le consentement éclairé repose sur la confiance. Aujourd'hui, en France tous les praticiens qualifiés en chirurgie plastique et esthétique sont compétents dans leur domaine, la même chose n'est pas vraie en médecine esthétique. Cela n'est pas sans conséquence sur la matériovigilance, comme le montre l'exemple américain où ceux qui sont insuffisamment formés ne se soumettent pas aux obligations en la matière.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Avez-vous mis en place des procédures spécifiques en faveur des patients victimes d'une erreur lors d'une intervention esthétique ? Vous arrive-t-il d'en référer au Conseil de l'ordre lorsque les plaintes à l'égard d'un praticien s'accumulent ?

M. Bruno Alfandari . - En tant qu'organisation syndicale, le SNCPRE défend les confrères, mais je veux également améliorer les pratiques. Nous ne sommes pas sollicités en cas d'erreur médicale. Il y a en général dépôt de plainte. Nous pouvons jouer un rôle de médiation en cas de défaut d'entente entre un patient et son chirurgien. Si des faits graves étaient reprochés à un de nos membres nous saisirions le Conseil de l'ordre, mais ce cas de figure ne s'est jamais présenté. Il nous est arrivé de faire des signalements d'usurpations du titre de chirurgien plasticien.

Mme Catherine Génisson . - Y a-t-il eu des suites ?

M. Bruno Alfandari . - C'est en cours.

M. Michel Rouif . - J'ai le même sentiment que M. Alfandari. En cas d'événement grave, il est de notre devoir d'informer l'Ordre mais ce n'est pas à un praticien de se plaindre de la qualité des soins délivrés par un confrère.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Les patients ne s'en aperçoivent pas toujours. Certaines personnes n'ont pas les qualités requises. Il y a eu un cas à Marseille.

M. Bruno Alfandari . - Il n'était pas chirurgien plasticien. L'Ordre avait d'ailleurs été informé. Il existe des commissions de qualification au sein du Conseil de l'ordre. Nous sommes extrêmement attentifs à leur fonctionnement car pour nous un généraliste ne peut obtenir la qualification de chirurgien esthétique par cette voie.

M. Michel Rouif . - S'il existe un danger pour le patient, nous avons le devoir d'avertir le Conseil de l'ordre. C'est la loi.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - C'est la moindre des choses ! Qu'en est-il du tourisme médical en matière de chirurgie esthétique ? Ce phénomène est-il aussi répandu qu'on le dit ? Quelle appréciation portez-vous sur la qualité des soins délivrés ? Quels sont les risques encourus par le patient ? Quel encadrement vous paraît-il nécessaire de mettre en place ?

M. Bruno Alfandari . - La France a bénéficié et bénéficie toujours du tourisme médical. Beaucoup de patients viennent se faire soigner en France. Toutefois, lorsque les patients ne choisissent plus leur chirurgien en fonction de sa qualité mais des prix qu'il pratique, on entre dans le tourisme chirurgical low cost. Bien sûr, il existe de bons chirurgiens à l'étranger, mais ce n'est pas toujours le cas. En cas de complications, ces patients se retrouvent dans un no man's land, car la prise en charge de ces situations en France est complexe et les chirurgiens sont réticents à intervenir. Le système de qualité français a un coût, les mêmes garanties n'existent pas à l'étranger.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Pourquoi les actes de ces chirurgiens, dont vous dites qu'ils sont aussi compétents que vous, coûtent-ils moins cher ?

M. Michel Rouif . - Les charges de structure sont bien moins élevées. La facture finale est donc moindre. Ensuite, un chirurgien travaille avec toute une équipe et une infrastructure efficace, sans compter les accréditations et les contrôles. Tout cela a un coût.

M. Bruno Alfandari . - Il ne faut pas oublier le coût des soins postopératoires : ils sont incontournables, il faut donc les assurer. L'absence de suivi et de correction éventuelle pour les opérations low cost réalisées à l'étranger diminue le coût de 30 %. Les chirurgiens français qui prennent en charge un patient étranger s'assurent qu'il peut revenir en consultation après l'opération. Si ce n'est pas le cas, je refuse d'opérer.

M. Michel Rouif . - Quand nous opérons des patients étrangers, nous les orientons ensuite vers nos correspondants dans leur pays d'origine. Le suivi de ce tourisme chirurgical et son intégration dans nos soins est une problématique majeure.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Ce tourisme esthétique est-il en augmentation ?

M. Michel Rouif . - Certainement ! Les démarchages se multiplient, de plus en plus agressifs. Des gens qui n'ont absolument rien demandé sont contactés.

M. Bruno Alfandari . - Ces démarchages ont lieu par internet. Des établissements étrangers utilisent nos noms et nos patients pour les attirer chez eux. Un député avait proposé de lutter contre cette pratique anticoncurrentielle en autorisant la publicité pour la chirurgie esthétique en France. Nous n'y sommes pas favorables, ce serait une erreur. Nous souhaitons que la publicité faite par des officines étrangères soit encadrée. La chirurgie esthétique s'est démocratisée, mais les prix devraient encore diminuer. Il faut plutôt favoriser l'accès à des crédits médicaux, comme il en existe dans d'autres pays, que de voir les patients aller se faire opérer à l'étranger, loin de chez eux et de leurs proches.

M. Michel Rouif . - Certains actes ne vont plus être pris en charge et seront qualifiés d'esthétiques. Ils ne feront que renforcer l'attrait de ces opérateurs pour une partie de la population. Il est donc urgent d'agir.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Quelle est la principale difficulté à laquelle vous êtes confrontés vis-à-vis de vos patients ? Vous semblez opposé à l'idée de faire de la médecine esthétique une spécialité à part entière. Pourtant, vous militez pour son encadrement. N'y a-t-il pas un paradoxe ?

M. Michel Rouif . - La plus grosse difficulté tient à Internet : on y trouve tout et n'importe quoi ! La chirurgie post-bariatrique, consécutive à celle de l'amaigrissement, pour des patients qui ont perdu quarante kilos ou plus, qui est très lourde, longue et difficile, y est bien souvent présentée comme un acte bénin. Il nous appartient de lutter contre cette information au cours de la consultation.

M. Bruno Alfandari . - Les spécialités sont créées en raison de l'utilité qu'elles présentent. Or, quelle est l'utilité de la médecine esthétique ? Je ne suis pas sûr que l'instituer en spécialité améliorerait la situation. C'est aussi un problème de santé publique. Pourquoi détourner des généralistes pour leur faire pratiquer des actes esthétiques ? On entend souvent qu'il s'agit de leur assurer un complément de revenu. Ce n'est pas, à mon sens, ce qui doit déterminer la politique de santé publique.

Nous défendons notre spécialité, mais aussi les patients. Les dentistes n'ont pas à faire des injections au motif de s'assurer un complément de revenu.

M. Michel Rouif . - Dans les années 1970, lorsque la chirurgie plastique a explosé, la création d'une spécialité pour fédérer toute la technicité est devenue nécessaire. Une spécialité de médecine esthétique dans les CHU ne répond pas à un tel besoin.

M. Bruno Alfandari . - En outre, ce serait la première spécialité à se situer en dehors de la nomenclature de la sécurité sociale. Il faut que chacun se borne à ce qu'il sait faire. Aux Etats-Unis, certains médecins estiment, sous la pression des patients et des laboratoires, pouvoir pratiquer de la chirurgie esthétique. Nous ne voulons pas de telles dérives en France, ni d'un retour au caractère sulfureux du chirurgien esthétique.

Mme Nathalie Goulet . - Je vous ai écoutés avec beaucoup d'attention. Que penseriez-vous d'un dossier médical en matière de chirurgie esthétique ? Il n'y a pas de suivi par la sécurité sociale et certains patients sont loin d'être raisonnables, enchaînant liftings et liposuccions. Peut-on donc envisager une telle solution ? Considérez-vous que les produits injectables soient suffisamment contrôlés ?

M. Michel Rouif . - Le principe d'un dossier médical esthétique est excellent, mais long à mettre en place. Certains d'entre nous proposent déjà des « passeports esthétiques », notamment en ce qui concerne les produits injectables. Il est indispensable d'améliorer leur traçabilité. Faut-il formaliser ce dossier ? Je ne sais pas.

Mme Nathalie Goulet . - Il faut inciter les chirurgiens à le faire !

M. Michel Rouif . - Certainement, et nos sociétés savantes le font. Il faut aussi inciter les patientes à être vigilantes. La traçabilité est un bon outil. Or je ne suis pas sûr que certains acides hyaluroniques fabriqués à l'étranger soient aussi purifiés que ceux des principaux fabricants. J'ai tendance à privilégier les grands laboratoires, qui ont fait leurs preuves.

Mme Catherine Génisson . - Le dossier médical est une excellente idée, mais il appartient au patient. Celui-ci est libre d'en faire ce qu'il veut.

Je reviens sur une question à laquelle vous n'avez pas totalement répondu. Vous ne voulez pas de spécialité en médecine esthétique. Pourtant, pour éviter les dérives et le charlatanisme, il faudrait soit un encadrement très strict, soit une interdiction des pratiques sachant que, comme vous l'avez rappelé, la demande est forte.

M. Bruno Alfandari . - Le dossier médical appartient en effet au patient. Il faut toutefois que la traçabilité du dispositif médical implanté soit totale. Les chirurgiens plasticiens établissent un dossier pour les actes de médecine esthétique. A l'heure actuelle, ce sont les chirurgiens plasticiens et les dermatologues, ainsi que les oto-rhino-laryngologistes (ORL) et les ophtalmologues, qui peuvent pratiquer des actes esthétiques. La formation doit être la plus parfaite possible. Ces actes sont souvent, pour nous, assez faciles à réaliser, car ils sont le prolongement de notre activité chirurgicale habituelle. Mais tout le monde ne peut les pratiquer car des complications graves peuvent apparaître.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous souhaitons fermer les formations plutôt que d'en ouvrir.

Mme Christiane Kammermann . - Les produits injectables et les fils crantés sont ils tous résorbables ?

M. Bruno Alfandari . - Nous avons beaucoup de mal à savoir ce qu'il y a dans les produits que nous injectons. Quand on interroge les laboratoires, même sérieux, nous ne pouvons avoir une certitude absolue. Un laboratoire peut très bien acheter son acide hyaluronique à un sous-traitant et en changer sans informer les praticiens. Les toxines ayant des applications thérapeutiques sont considérées comme des médicaments et doivent donc disposer d'une autorisation de mise sur le marché. Pour les produits injectables, nous pensons que les grands laboratoires prennent toutes les précautions possibles, mais la multiplication des petits laboratoires, si elle réduit les coûts, ne permet pas d'avoir une telle assurance.

Pour les implants, il n'existe que deux fabricants de gel de silicone dans le monde, parfaitement reconnus. Peut-être faudrait-il la même chose pour les produits injectables. Nous souhaitons une sécurité accrue pour nos patients. Aujourd'hui, il est difficile d'y voir clair. Les médecins qui procèdent aux injections sont la proie de démarches commerciales agressives.

M. Michel Rouif . - Les publicités se multiplient dans les magazines pour de nouveaux produits qui n'ont aucun effet. Les industriels vendent parfois n'importe quoi, sans travail scientifique derrière. Une vigilance accrue serait nécessaire, car nos patients nous interpellent ensuite sur cette base. A côté de cela, on trouve bien peu de choses à ce sujet dans les revues scientifiques.

Audition de Mme Marianick LAMBERT, secrétaire générale du Collectif interassociatif sur la santé (CISS) et de Mme Claude RAMBAUD, présidente du LIEN, association d'aide aux victimes d'infections contractées dans une clinique ou un hôpital (mardi 3 avril 2012)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - La parole est maintenant laissée aux patients. Nous souhaitons vous entendre, mesdames Marianick Lambert, secrétaire générale du Collectif interassociatif sur la santé (CISS), et Claude Rambaud, présidente du LIEN, association d'aide aux victimes d'infections contractées dans une clinique ou un hôpital, sur les enjeux de sécurité en matière d'interventions à visée esthétique et d'indemnisation des préjudices subis. La souffrance physique des victimes d'accidents médicaux est importante, mais la souffrance psychologique l'est plus encore d'après les témoignages dont nous disposons.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Pouvez-vous présenter les associations que vous représentez ?

Mme Marianick Lambert, secrétaire générale du CISS . - Le CISS est un collectif qui regroupe des associations d'origines diverses (patients, familles, handicapés, consommateurs). Mon association d'origine, l'Union féminine civique et sociale, a travaillé dans les années 1990 sur la chirurgie esthétique, au moment des class actions concernant des prothèses mammaires Dow Corning aux Etats-Unis.

Mme Claude Rambaud, présidente du LIEN . - Le LIEN est une des trente-sept associations du CISS. Il prend en charge les victimes d'infections nosocomiales et d'accidents médicaux (respectivement 70 % et 30 %), représente les patients dans les instances de démocratie sanitaire et porte les thèmes nés des dossiers de demande d'indemnisation sur la scène publique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Lors des récents scandales sanitaires liés à des dispositifs médicaux implantables (DMI) défectueux, l'information des patients vous a-t-elle semblé suffisante ? Quels sont, au vu de votre expérience, les DMI les plus dangereux ?

Mme Claude Rambaud . - Les dossiers reçus montrent un défaut d'information : dès lors que les praticiens ne détenaient pas eux-mêmes l'information nécessaire, ils n'avaient pas les moyens d'informer leurs patients avant de recueillir leur consentement éclairé. Dans les dossiers que j'ai reçus, il n'y a pas eu de rappel des patients. Bien souvent, les comptes rendus opératoires n'indiquent pas la nature exacte de la prothèse, c'est en particulier ce qui s'est produit s'agissant des prothèses ASR, d'où un problème de traçabilité. Les prothèses en cause n'ont été détectées que parce que des médecins ont pris l'initiative d'examens qui ont révélé la présence de métaux toxiques dans le sang.

Malgré la loi du 2 mars 2002 et les efforts de la Haute Autorité de santé (HAS), l'information constitue un champ déserté par les médecins. Pour les prothèses PIP, nous avons passé du temps à rassurer les patients. Que peut-on faire de plus pour améliorer la qualité de l'information délivrée à un large public ? Quand une information de masse circule, il faut l'accompagner de recommandations afin de rassurer les patients.

Mme Marianick Lambert . - La surmédiatisation lors de la survenue du scandale Mediator a démontré l'absence d'informations en amont. Pour les prothèses PIP, il y a eu des décalages, voire des informations contradictoires, quant à savoir s'il était conseillé ou pas de procéder à leur retrait immédiat. L'information officielle a varié d'un pays à l'autre. Les patients étaient désemparés. Dans le cas du Mediator, l'information a circulé auprès des médecins par l'intermédiaire de l'assurance maladie.

Mme Claude Rambaud . - Les DMI les plus dangereux sont ceux qui restent durablement dans le corps. Je pense en particulier aux perturbateurs endocriniens, notamment pour les jeunes enfants ; on sait que le bisphénol contenu dans les cathéters pédiatriques se diffuse dans le corps.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Les patients vous paraissent-ils correctement informés des conséquences et des risques éventuels associés aux interventions de chirurgie esthétique ?

Mme Marianick Lambert . - La sécurité est davantage prise en compte dans les textes depuis les quinze dernières années, en réponse aux class actions concernant les prothèses Dow Corning. Les textes existent même si on gagnerait à exercer un contrôle renforcé des établissements et des médecins. Les dérives concernent la médecine esthétique plutôt que la chirurgie esthétique. Un certain nombre d'actes devraient relever de la chirurgie esthétique mais sont requalifiés en actes médicaux simples afin de pouvoir les pratiquer en cabinet et les soustraire à la réglementation applicable à la chirurgie esthétique. Mentionnons aussi l'esthétique démédicalisée avec les officines de blanchiment des dents, car le péroxyde d'hydrogène rend l'émail poreux, ou encore l'épilation par lumière pulsée.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Il faut différencier la médecine esthétique, qui est un acte médical, de ce qui relève de l'acte d'esthétique pur, qui concerne certains produits dont on ignore s'ils sont toxiques.

Mme Marianick Lambert . - J'ai bien parlé de médecine esthétique. On constate beaucoup de dérives. Toutes les injections sont faites par des médecins. De même que les lipotomies, qui sont réalisées en cabinet alors qu'elles devraient être pratiquées par des chirurgiens.

Mme Claude Rambaud . - Ce sont les médecins qui qualifient leurs actes. Il est donc important de veiller à leur bonne qualification. On assiste à des escroqueries à l'assurance maladie par qualifications inopportunes. Je pense par exemple à la rhinoplastie ou la réparation abdominale.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - A l'assurance maladie de procéder aux contrôles nécessaires.

Mme Catherine Génisson . - Comment expliquer de telles pratiques ?

Mme Claude Rambaud . - La requalification permet d'obtenir le remboursement par l'assurance maladie. Certaines cliniques parisiennes vivent à 80 % de telles requalifications frauduleuses.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Les patients sont-ils correctement informés des conséquences et des risques éventuels associés à ces interventions ?

Mme Marianick Lambert . - Le problème est le même que pour les régimes amaigrissants : les patients veulent tellement avoir le nez de Cléopâtre et les seins de Brigitte Bardot qu'ils ne veulent pas entendre l'information. Il faut tenir compte de cette dimension psychologique en amont. En matière de chirurgie de l'obésité, il existe une obligation d'évaluation psychologique ou psychiatrique préalablement à l'intervention chirurgicale ; l'avis d'un psychiatre pourrait être de même utile en chirurgie esthétique, pour faire entendre au patient ce qu'il ne veut pas entendre et engager la responsabilité du médecin esthétique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - C'est discutable...

Mme Catherine Génisson . - Qu'une tierce personne intervienne pour conseiller, informer, suivre, me paraît une excellente proposition. Que ce soit le médecin psychiatre est plus discutable. Toutes les personnes qui font appel à la chirurgie esthétique ne relèvent pas de la psychiatrie, qui vise à soigner les troubles de l'esprit. Pourquoi ne pas prévoir une consultation obligatoire du médecin traitant qui est la personne qui connaît le mieux le patient ?

Mme Claude Rambaud . - Il est rarement impliqué dans la chirurgie esthétique.

Mme Marianick Lambert . - Il ne faut pas limiter l'intervention du psychiatre à ce qu'on appelait autrefois la folie. Il s'agit simplement de médicaliser l'acte et d'intervenir comme en chirurgie bariatrique alors que les obèses ne sont pas fous. Le médecin traitant n'est plus le médecin de famille qui connaissait la personnalité de ses patients. L'intérêt d'une consultation, qu'elle soit psychiatrique ou psychologique, est d'amener le patient demandeur à se poser des questions.

Mme Claude Rambaud . - La question psychologique compte, mais l'essentiel est que l'information soit claire et loyale. Or, on le sait bien, pour être accessible à tous, l'information relative aux protocoles d'intervention ne doit pas dépasser le niveau d'études du CM2. Dans certaines disciplines, l'information délivrée par le chirurgien est complétée par un entretien avec l'infirmière, que le patient se sent parfois plus libre d'interroger. C'est le cas, par exemple, en coeliochirurgie.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Des reportages dans les médias dénoncent de manière récurrente des « chirurgiens voyous » qui pratiquent la chirurgie esthétique sans être inquiétés par les autorités sanitaires. Est-ce un phénomène répandu ? Assiste-t-on à l'émergence d'une chirurgie esthétique low cost, qui répond à une demande, sans respecter les exigences en matière de qualité des soins et de sécurité sanitaire ?

Mme Claude Rambaud . - La lipotomie pose un grave problème : on a souvent requalifié ainsi de véritables liposuccions, ce qui est malhonnête. Encore faut-il que les sociétés savantes et la HAS se prononcent clairement sur la question. Pour le reste, les voyous vivent plutôt de l'industrie de la beauté. S'y développent des actes invasifs pratiqués par des personnes non-médecins, comme les poses de plaques sous-cutanées pour visser les bijoux, ou les implantations de cheveux, pratiquées dans une arrière-boutique.

L'article 16-3 du code civil ne prévoit pas de sanction et le code pénal ne connaît que l'incapacité de travail. Il faudrait prévoir une sanction pénale autre qu'une simple contravention en cas d'atteinte à l'intégrité corporelle d'autrui, qui soit véritablement dissuasive.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Je pensais aussi au tourisme chirurgical.

Mme Marianick Lambert .- Il se développe manifestement. Mais comment intervenir depuis la France ? Les victimes sont désarmées en cas d'accident médical. Que faire ? Sauf à étudier le type de contrat passé, car il existe des agences de voyages spécialisées dans l'esthétique comme en matière de tourisme culturel. Leur responsabilité pourrait dans ce cas être recherchée, en France. Les patients doivent être conscients des risques du low cost.

Mme Claude Rambaud . - On parle peu de l'implantologie dentaire. Ces implants n'entrent pas dans le champ du marquage CE, puisqu'il s'agit de pièces uniques. On contrôle donc très peu leur composition alors qu'on sait qu'ils peuvent contenir du mercure et des métaux lourds.

Mme Marianick Lambert . - J'ai longtemps été membre du Conseil national de la consommation (CNC). Le combat fait rage depuis quinze ans entre prothésistes et chirurgiens-dentistes pour la traçabilité des implants : elle est aujourd'hui inexistante, il n'y a donc pas de contrôle possible.

Mme Catherine Génisson . - Les nouveaux métiers de l'industrie de l'esthétique ne sont pas homologués. Ne faut-il pas les interdire ?

Mme Chantal Jouanno, présidente . - La difficulté est de caractériser l'acte : acte médical à visée esthétique ou acte purement esthétique, qui ne requiert pas de compétence médicale.

Mme Catherine Génisson . - Quelle est la frontière entre chirurgie esthétique et médecine esthétique ? Si médecine esthétique il y a, doit-on mettre en place des diplômes validants ?

Mme Marianick Lambert . - Les chirurgiens esthétiques, qui ont des obligations de moyens renforcées, ne peuvent tout aborder. Si médecine esthétique il y a, elle doit être réglementée et exercée par des praticiens qualifiés dans des lieux accrédités. On ne peut pratiquer des actes invasifs en cabinet. C'est la même chose pour les « bars à sourire » ou les épilations définitives à lumière pulsée : on assiste à des transferts de techniques des dermatologues ou des dentistes vers des intervenants extérieurs au monde médical, mais ces pratiques ne sont pas anodines. Il faut donc contrôler et pénaliser.

Mme Catherine Génisson . - Pour pénaliser, il faut définir.

Mme Claude Rambaud . - Pourquoi les chirurgiens-dentistes seraient-ils autorisés à pratiquer des injections antirides au motif que cela concerne la bouche ? Il faut aussi définir la limite entre chirurgie et autres pratiques réalisées par les médecins.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Au-delà des séquelles physiques, une opération de chirurgie esthétique ratée a également des conséquences psychologiques sur le patient. Comment les mesurer et les traiter ? Cela peut-il conduire à une sous-déclaration des incidents de la part des patients auprès de leur médecin ? Percevez-vous un tel phénomène ?

Mme Claude Rambaud . - La douleur, y compris physique, est très mal évaluée, ni prise en charge en chirurgie esthétique. J'ai vu une patiente affectée d'une fasciite, infection qui peut conduire à la mort en deux ou trois heures. Pour l'éviter, il a fallu un dépeçage ! La douleur est insupportable.

Comment faire ? Nous avons travaillé à une commission « Douleur » au sein du ministère, mais nous aurions besoin d'un appui, au bénéfice de toutes les victimes de complications médicales. Il faut créer des experts de la douleur et prévoir une tarification relevant de la sécurité sociale. Apaiser la douleur n'est pas un acte de confort. 3 000 euros quand on a besoin d'un lit qui permet de prendre des positions soulageant la douleur, c'est bien peu. En matière de chirurgie esthétique, c'est encore pire car tout le monde considère que les intéressés n'avaient pas besoin d'y recourir.

Mme Marianick Lambert . - La douleur psychologique est décuplée par le sentiment de culpabilité. Souvent, les actes de médecine esthétique sont réglés en espèces. D'où une absence de preuve des dommages.

Mme Claude Rambaud . - Beaucoup d'argent liquide circule, que ce soit pour le règlement de l'acte ou lorsque le chirurgien indemnise lui-même directement la victime.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Pas seulement en matière de chirurgie esthétique. On a néanmoins le sentiment que les médecins s'attachent aujourd'hui à une meilleure prise en charge de la douleur.

Mme Claude Rambaud . - C'est vrai mais on part de loin. Nous avons néanmoins eu connaissance de trois suicides au cours des six derniers mois. Si la douleur est bien prise en charge dans le temps opératoire et hospitalier, il n'en va pas de même ensuite, dans le cadre de la médecine de ville.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Et la douleur psychique ?

Mme Claude Rambaud . - Elle est très mal prise en charge.

Mme Marianick Lambert . - Je ne dispose pas d'éléments permettant d'affirmer qu'il existe une situation particulière en matière de chirurgie esthétique. Il convient de prendre en compte la douleur psychologique pour tous les accidents médicaux. J'associe plus la douleur psychologique à la dimension médicale de l'acte qu'à sa dimension esthétique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Avez-vous des suggestions à formuler en matière de sécurité sanitaire et de matériovigilance, d'encadrement de la formation et de la pratique de la chirurgie esthétique ou de respect des droits des patients ?

Mme Claude Rambaud . - La traçabilité ; l'obligation d'informer le patient du type de dispositif implanté. Souvent cela n'est pas noté dans les comptes rendus opératoires, il n'existe pas toujours de facture détaillée. La traçabilité doit valoir aussi pour les dispositifs médicaux.

Mme Catherine Génisson . - Pour les prothèses ASR, on peut retrouver la traçabilité. Mais les chirurgiens esthétiques nous ont fait part de leurs préoccupations car s'ils utilisent des produits bien identifiés, ceux-ci peuvent être faits de composants venus d'ailleurs, d'où la difficulté d'assurer leur traçabilité.

Mme Marianick Lambert . - Il faut évidemment renforcer les contrôles, ce que l'on a toute latitude de faire une fois les produits sur le marché français.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Etes-vous favorable aux registres médicaux ?

Mme Claude Rambaud . - Oui, comme le sont les orthopédistes. Il faut rendre les registres obligatoires car les nouveaux produits sont de plus en plus complexes techniquement. La sécurité s'améliorerait aussi grâce à une exigence de déclaration des incidents par les professionnels, vers lesquels se retournent les patients. Et un contrôle a posteriori.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Selon quelles modalités les patients victimes d'une erreur médicale lors d'une intervention de chirurgie esthétique peuvent-ils être indemnisés ? Ce régime d'indemnisation devrait-il évoluer ? Sur quels points ?

Mme Marianick Lambert . - L'intervention de chirurgie esthétique reste médicale, même si elle n'est pas thérapeutique. La responsabilité du médecin doit s'exercer dans le droit commun. La vraie question est celle de l'indemnisation créée par la loi Kouchner : se pose toujours le problème du seuil qui correspond à une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique (AIPP) de 25 %. C'est aussi un problème éthique car s'il n'y a pas de difficulté en cas de faute, domaine dans lequel l'assurance du médecin joue, la question de l'aléa thérapeutique reste entière. L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam), le payeur, estime que la solidarité nationale ne doit pas jouer pour les opérations à visée esthétique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Dans le cas des prothèses PIP, où l'assureur se dédouane en invoquant la nullité du contrat, qui indemnise ?

Mme Marianick Lambert . - Dans ce cas, on est confronté à un produit défectueux, donc pas dans le champ de compétences de l'Oniam, d'où la difficulté pour les victimes. Elles ont bien demandé devant le tribunal de commerce de Toulon indemnisation à l'organisme certificateur, mais on voit mal qui sera le payeur.

L'Oniam, qui refuse de payer en cas d'intervention esthétique, prend en charge les complications à la suite d'opérations rituelles. On pourrait imaginer la création d'un fonds d'indemnisation pour toutes les interventions esthétiques, mutualisant le versement d'une surprime d'assurance par les praticiens esthétiques, destiné à couvrir les aléas.

Mme Claude Rambaud . - L'Oniam pourrait d'ailleurs gérer un tel fonds dédié, qui ne pèserait pas sur la solidarité nationale, mais abondé par les clients.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Les assureurs ont déjà un fonds.

Mme Marianick Lambert . - Mais ils assurent en cas de faute, pas d'aléa.

Mme Catherine Deroche . - En termes de proportion, par rapport au système d'indemnisation de la faute, a-t-on une idée du coût que représenterait l'indemnisation de l'aléa ?

Mme Marianick Lambert . - Les assureurs ont peut-être des notions malgré la sous-déclaration...

Mme Claude Rambaud . - Les dossiers ne sont pas si nombreux, en revanche les sinistres peuvent être lourds. Cela étant, le nombre d'actes est énorme : en France, 250 000 liposuccions sont pratiquées chaque année, ce qui en fait la deuxième intervention chirurgicale après la cataracte. Cela doit permettre de créer un fonds conséquent. Et cela nous donnerait une meilleure connaissance d'un phénomène qui nous échappe largement.

Mme Marianick Lambert . - Un champ énorme, et qui concerne aussi les hommes.

Mme Christiane Kammermann . - Et les résultats ?

Mme Claude Rambaud . - Quelques belles années avant la formation possible de nodules graisseux...

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Ne craignez-vous pas que le patient, ou le client si je puis dire, si le résultat obtenu n'est pas celui qu'il escomptait, considère qu'il y a aléa ?

Mme Marianick Lambert . - Pour établir le préjudice, il faut une expertise.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Jusqu'à quand l'aléa peut-il se constater ?

Mme Marianick Lambert . - Pour la victime, l'aléa n'est pas, dans le résultat, différent de la faute.

Mme Claude Rambaud . - On est donc dans le système de prescription classique, de dix ans.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.

Audition de Mme Murielle AJELLO, présidente du mouvement de défense des femmes porteuses d'implants et de prothèses (MDFPIP) (mardi 3 avril 2012)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous allons entendre Mme Murielle Ajello, présidente du mouvement de défense des femmes porteuses d'implants et de prothèses (MDFPIP), que je remercie tout particulièrement d'être venue jusqu'à nous malgré les grandes difficultés rencontrées dans les transports. Le scandale des prothèses PIP, auquel ont malheureusement fait suite d'autres affaires, comme celles des sondes de défibrillation Riata et des prothèses de hanche DePuy, nous conduit à nous interroger sur les conditions d'encadrement des dispositifs médicaux implantables et, plus largement, des interventions à visée esthétique. Nous souhaitons trouver les meilleures solutions pour améliorer le dispositif et prendre la mesure du préjudice moral qui s'ajoute bien souvent au préjudice physique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Pourriez-vous nous présenter le mouvement que vous présidez ? Combien de patientes fédère-t-il ? Comment s'organisent vos contacts avec les autres associations de victimes à la fois en France et dans d'autres pays ?

Mme Murielle Ajello, présidente du MDFPIP . - Ce mouvement a vu le jour le 3 mai 2010, à la suite de l'affaire PIP. Il compte actuellement mille trois cents membres mais ce nombre va croissant : tous les jours de nouvelles personnes s'inscrivent sur notre site internet afin de trouver des informations et d'être accompagnées dans leurs démarches. Nous essayons de travailler en bonne intelligence et de collaborer avec les autres associations françaises. A l'étranger, notamment en Amérique du Sud, nous sommes surtout en contact avec les cabinets d'avocats impliqués dans l'affaire dont ils suivent l'évolution sur notre site.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quelles relations entretenez-vous avec l'administration ? Quelle appréciation portez-vous sur le comité de suivi national ? Quels sont les obstacles concrets auxquels se heurte le suivi des victimes ? Enfin, l'information et l'accompagnement individuel des victimes vous paraissent-ils satisfaisants ?

Mme Murielle Ajello . - En décembre 2010, nous avons mené une enquête auprès de mille victimes afin d'identifier leurs besoins et d'en informer les pouvoirs publics. Nous avons exploité 255 réponses : c'est la prise en charge de leur opération dans son ensemble qui vient au premier rang de leurs préoccupations. Or, si l'explantation est prise en charge depuis une décision de septembre 2011, il n'en va pas de même de la réimplantation qui demeure payante. De nombreuses femmes retardent leur opération en raison de ce coût, même si elles sont victimes de ruptures ou de fuites. Les résultats de cette enquête ont été portés à la connaissance de l'Afssaps et des sociétés savantes. Tout au long de l'année 2011, je suis également intervenue dans les congrès de chirurgie pour exposer les attentes des victimes et rappeler que nos revendications ne sont pas d'ordre commercial : dans le cadre de la fraude, la réopération s'impose et nous demandons des conditions de prise en charge les meilleures possibles. De ce point de vue, nous n'avons pas obtenu satisfaction à ce jour.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous confirmez que les victimes ayant eu recours à la chirurgie esthétique souhaitent une réimplantation ? Quelle confiance accordent-elles aux nouveaux implants ?

Mme Murielle Ajello . - Ces femmes n'ont pas le choix. Je rappelle qu'antérieurement à leur opération de chirurgie esthétique, elles n'étaient pas en accord avec leur image. De plus, une reconstruction mammaire serait beaucoup plus onéreuse que la réimplantation souhaitée par 80 % d'entre elles. Les 20 % restants d'entre elles renoncent à la réimplantation parce qu'elles n'en ont pas les moyens ; dans ces 20 %, 5 % se sont fait explanter sans réimplantation. Ce sont souvent des femmes d'un certain âge, qui ont subi des cancers et qui ne veulent plus repasser sur la table d'opération. Tout cela est difficile à vivre ; bien des femmes sont sous anxiolytique depuis l'annonce du retrait en mars 2010. On aurait limité le coût humain par une prise en charge globale.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Les chirurgiens ne font-ils pas un geste que je n'ose qualifier de commercial ?

Mme Murielle Ajello . - En mars 2011, seuls 32 % des chirurgiens proposaient une prise en charge par la sécurité sociale. Cela signifie que près de 70 % d'entre eux ne s'étaient pas souciés d'entreprendre les démarches de prise en charge par la sécurité sociale et faisaient payer la totalité de l'intervention, explantation comprise. La prise en charge a été plus efficiente dans les centres de cancérologie pour les victimes ayant eu recours à la chirurgie reconstructrice. Il a fallu que j'intervienne dans les congrès de chirurgie pour rappeler la règle du jeu.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - La prise en charge par l'assurance maladie n'est pas très coûteuse. Le coût de l'intervention est plus élevé par exemple dans votre région où les prix sont légèrement supérieurs...

Mme Murielle Ajello . - Ils sont les mêmes qu'ailleurs, de 1 500 à 4 000 euros.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Je suis médecin. Dans le Sud-Ouest, le coût moyen est plutôt de l'ordre de 1 500 ou 2 000 euros. Les chirurgiens qui demandent 4 000 euros exagèrent.

Mme Murielle Ajello . - Comme si nous n'étions pas déjà endormies, que l'ouverture n'était pas déjà faite pour l'explantation et qu'il ne fallait pas de toute façon refermer. Cela fait cher l'acte... De plus, certains pratiquent des dépassements d'honoraires, y compris des anesthésistes...

Mme Catherine Deroche . - Pour l'explantation et la réimplantation, les femmes retournent-elles chez le même chirurgien que celui qui leur avait implanté les prothèses PIP ?

Mme Murielle Ajello . - Le plus souvent, oui, car la plupart ont rappelé leurs patientes. Leur prise en charge devrait donc être un peu plus importante. Mais ce n'est toujours pas le cas. Ce que je vous dis n'est sans doute pas ce que vous avez entendu ni le retour entendu au comité de suivi, car, officiellement, tout va bien, on nous demande de ne pas faire trop de vagues. Qui nous opérera si nous mettons en cause les chirurgiens ?

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - C'est le seul obstacle auquel vous vous heurtez au sein du comité de suivi ?

Mme Murielle Ajello . - C'est le principal. Nous souhaitons une solution pour les femmes en attente. Beaucoup d'entre elles se sont endettées pour l'opération initiale et ne peuvent se permettre d'aggraver leur endettement pour être explantées. Ce n'est pas une question esthétique mais un enjeu quasi vital. Les implants PIP ont un impact psychologique non négligeable ; les femmes changent leur façon de vivre. On n'attache plus notre ceinture de sécurité de la même manière. On ne porte pas nos enfants ou on ne joue pas avec eux de la même façon. Certaines ont arrêté de faire du sport de peur d'une rupture.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Aviez-vous demandé une interdiction des dépassements d'honoraires et que seules les prothèses soient facturées ?

Mme Murielle Ajello . - Nous l'avions demandé dès le départ. Les sociétés savantes estiment qu'on ne peut pas imposer une façon de faire aux chirurgiens ni un tarif unique. Seul le principe de tact et de mesure a été rappelé. Aux yeux des chirurgiens, tout encadrement de la prise en charge est impossible.

La publicité des bonnes pratiques est impossible puisque toute forme de publicité est interdite. Nous avons donc proposé une labellisation spécifique pour que les victimes puissent s'adresser à ceux qui adhèrent à un cahier des charges mais seule une dizaine de chirurgiens a accepté d'y adhérer.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quel est ce cahier des charges ?

Mme Murielle Ajello . - Il porte sur l'accueil et le suivi des victimes. Car il n'y a pas qu'une question de tarif : certains chirurgiens proposaient une intervention à 1 600 euros mais dans des conditions déplorables, par exemple en ambulatoire, avec des anesthésies locales pour limiter le coût. C'est aberrant. La gratuité devait également s'appliquer au suivi des victimes.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quelles sont les voies d'indemnisation ouvertes aux victimes ?

Mme Murielle Ajello . - Bonne question ! L'issue du procès nous donnera une première partie de la réponse quand il aura lieu. Une fois que les voies pénales seront épuisées, on passera au civil puis à une éventuelle intervention de la chirurgie esthétique à travers l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam). Mais le procès pour tromperie aggravée pour blessures involontaires n'aura pas lieu avant la fin de l'année 2012 et la date du procès n'est toujours pas fixée. Il a déjà fallu dix-huit mois pour obtenir la désignation d'un juge d'instruction.

Ce n'est pas tant l'indemnisation que la prise en charge qui nous importe aujourd'hui. Or pour la prise en charge, on en est encore aux balbutiements. Il existe pourtant plusieurs solutions : l'Etat pourrait se substituer aux victimes et se retourner ensuite contre les responsables de la situation. Pourquoi aussi ne pas proposer des prêts à taux zéro avec un cautionnement de l'Etat ? De toute façon les banques seraient remboursées dès lors que nous serions indemnisées.

Nous voulons être indemnisées de nos frais en tant que victimes, nous n'attendons pas un jackpot, contrairement à ce qu'a dit M. Mas.

Mme Catherine Deroche . - Seule l'explantation est prise en charge.

Mme Murielle Ajello . - Reste la question du financement de la réimplantation. Certaines femmes conservent les prothèses, faute de pouvoir les faire remplacer. En outre, des pathologies connexes apparaissent, dont certaines sont communes à plusieurs victimes.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - L'explantation est prise en charge mais vous affirmez que seuls 32 % des chirurgiens ont entrepris les démarches pour cette prise en charge ?

Mme Murielle Ajello . - C'était le cas en mars 2011 mais la situation s'est améliorée depuis, grâce à la médiatisation et aux interventions dans les congrès. Les sociétés savantes et l'Ordre des médecins ont également insisté pour que l'explantation soit prise en charge par la sécurité sociale.

Mme Catherine Deroche . - Observez-vous des dépassements d'honoraires pour les explantations ?

Mme Murielle Ajello . - A priori, non, sauf pour des cliniques privées et hors convention, qui ont proposé dès le départ des tarifs présentés comme avantageux mais totalement à la charge des patientes.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Que faudrait-il faire, selon vous, pour éviter la répétition d'incidents liés au défaut de sécurité des dispositifs médicaux implantables ? Le cadre réglementaire, fixé par la loi Kouchner de 2002 et ses mesures d'application, vous semble-t-il adapté ?

Mme Murielle Ajello . - Pour la sécurité sanitaire, si on avait agi dans le milieu médical comme dans l'industrie, avec des contrôles inopinés ou des prélèvements et des expertises sur toute la chaîne de production, on aurait pu déceler les dysfonctionnements de la société PIP. Un inspecteur de la répression des fraudes peut arriver dans une usine de stylos billes, faire arrêter la chaîne et jeter toute la production si elle n'est pas conforme au cahier des charges : un stylo quelconque est aujourd'hui plus sécurisé que ce que j'ai dans la poitrine. A l'heure actuelle, ce sont les fabricants des dispositifs médicaux implantables qui fournissent leurs propres échantillons aux personnes qui les contrôlent.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Il faudrait organiser des contrôles inopinés dans les entreprises.

Mme Murielle Ajello . - La plupart des fabrications ne se font pas en France.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Il existe quand même des règles. Le problème, c'est que nous avons eu affaire à un escroc.

Nous devons arriver à créer un vrai contrôle des DMI.

Mme Murielle Ajello . - Il n'existe qu'un seul fabricant de gel de silicone médical. Il est facile de contrôler que les fabricants de dispositifs médicaux l'utilisent bien : un simple contrôle comptable suffirait. Ce ne serait pas si onéreux que cela.

La loi de 2002 prévoit une obligation d'information renforcée. Bien sûr, la plupart d'entre nous ont été informées des risques encourus dans le cadre de la pose de prothèses mammaires, mais le fascicule qui nous a été donné est très long et fastidieux à lire. Le fait de donner de la lecture est-il vraiment le meilleur moyen d'informer ? J'en doute... Aucun contrôle n'est effectué pour s'assurer que la lecture a été faite et comprise. Ceci est vrai de façon générale, y compris pour la charte d'information du patient hospitalisé...

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quel regard votre mouvement porte-t-il sur le tourisme médical en matière de chirurgie esthétique ?

Mme Murielle Ajello . - Les femmes qui se sont fait opérer en France par des chirurgiens français avec des produits français se demandent si elles n'auraient pas été plus en sécurité à l'étranger. 30 000 à 50 000 portent aujourd'hui des prothèses PIP. J'ai mis six ans pour me décider à me faire opérer et la seule chose que je n'ai pas vérifiée, c'est le fabricant des prothèses, parce que la production se faisait en France. Depuis deux ans, nous nous rendons compte que la sécurité en France n'est pas ce qu'elle devrait être : nous vivons des situations compliquées, voire dramatiques ou même catastrophiques.

Mme Catherine Deroche . - Les adhérentes de votre mouvement ont-elles toutes été opérées en France ?

Mme Murielle Ajello . - La majorité des victimes ont été opérées en France, mais nous avons aussi des adhérentes italiennes qui ont été opérées dans leur propre pays. En outre, la société PIP a commercialisé ses prothèses à l'étranger sous d'autres noms mais l'information à ce sujet ne circule pas bien.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - En France ou à l'étranger ?

Mme Murielle Ajello . - Les chirurgiens français nous disent qu'ils n'ont posé que des PIP. Mais l'information aurait dû mieux circuler à l'étranger. Jusqu'à octobre 2011, la Chine commercialisait toujours des prothèses PIP.

Mme Christiane Kammermann . - Les prothèses chinoises ont-elles provoqué des problèmes ?

Mme Murielle Ajello . - L'information est difficile à obtenir. J'ai bien un contact avec une journaliste locale qui essaye d'alerter les autorités chinoises. Cependant, je n'ai pas de retour sur l'impact de ces prothèses.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - D'autres pays proposent-ils de meilleurs dispositifs d'information et de prise en charge?

Mme Murielle Ajello . - La Suisse, qui prend en charge la totalité de l'opération, compte, il est vrai, très peu de cas. En France, il y a 30 000 victimes : on peut comprendre que le chiffre effraye. Entre le suivi semestriel qui comporte une échographie voire une IRM et les visites chez le médecin qui prescrit ces examens, le coût global du suivi médical annuel des femmes implantées est très élevé. Il correspond à la somme déboursée pour pouvoir être explantée puis réimplantée. En plus des traitements médicamenteux, cela reviendrait sans doute moins cher de prendre en charge la réimplantation de nouvelles prothèses.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - La somme de 1 500 euros, correspond au coût de l'ensemble de l'opération ?

Mme Murielle Ajello . - Cette enveloppe comprend les prothèses, l'anesthésie et l'opération chirurgicale. Il n'y a que le coût de la réimplantation puisque la sécurité sociale prend en charge le reste, y compris l'hospitalisation. La part la plus importante de l'enveloppe revient au chirurgien puisque la plupart des laboratoires qui fabriquent des prothèses ont proposé aux victimes de leur mettre à disposition des prothèses à des tarifs abordables.

Mme Catherine Deroche . - La surveillance tous les six mois est prise en charge mais non pas l'opération ? C'est assez paradoxal !

Mme Murielle Ajello . - Tout à fait. En outre, plutôt que d'étirer dans le temps le suivi, on pourrait planifier les actes chirurgicaux assez rapidement par une meilleure organisation. Cela coûterait moins cher. C'est en tout cas ce que nous attendons.

Mme Christiane Kammermann . - Y a-t-il eu des dépressions sérieuses ? Des suicides ?

Mme Murielle Ajello . - Des dépressions, certainement. Dans les suicides, il est toujours difficile de faire la part des choses. L'affaire PIP s'ajoute à une histoire, un passif, elle joue parfois le rôle de déclencheur.

Quant aux pathologies connexes observées, on relève beaucoup de problèmes articulaires. Est-ce dû aux fuites de gel, aux adjuvants ? Difficile à dire. Simplement, la convergence des symptômes chez nombre des femmes concernées est inquiétante. 18,7 % des femmes sur les 255 qui ont répondu à notre enquête décrivaient des problèmes articulaires en utilisant les mêmes expressions, alors que leurs profils étaient différents. Cela étant, aucun lien n'a été démontré jusqu'à présent, on en est encore au stade des suppositions et des constatations.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Que dit le comité de suivi ?

Mme Murielle Ajello . - Qu'il n'existe pas de lien de causalité, que les études menées avant la levée du moratoire il y a dix ans ont démontré l'absence d'impact du gel de silicone sur la santé et dans le développement de maladies auto-immunes. Ce dont on ne tient pas compte aujourd'hui c'est que les adjuvants contenus dans ces prothèses sont toxiques et irritants. Il va falloir analyser ces produits qui n'avaient rien à faire a priori dans des organismes humains.

Mme Catherine Deroche . - Les complications articulaires ont lieu sur des prothèses non rompues ?

Mme Murielle Ajello . - Les deux. On les retrouve dans les cas tant de prothèses rompues ou perspirantes que de prothèses non rompues.

Mme Catherine Deroche . - Ne faut-il pas un délai pour que la femme se décide pour la solution de l'explantation ? Ou bien les femmes veulent-elles se débarrasser au plus vite de leurs prothèses pour en avoir de nouvelles ?

Mme Murielle Ajello . - Elles veulent éliminer ce qui empoisonne leur vie, ce qui ne les empêche pas de se poser la question de savoir ce qu'il faut mettre à la place des prothèses explantées. La solution la plus simple est d'enlever et de remettre de nouvelles prothèses, mais lesquelles ? Nous n'avons aucune certitude sur leur qualité. Tout le monde n'est pas au fait des techniques de chirurgie réparatrice. Il faut trouver des chirurgiens qui proposent ces techniques.

Mme Catherine Deroche . - On est sur une opération relativement simple. Encore faut-il mettre un bon produit.

Mme Murielle Ajello . - Tout à fait.

Mme Christiane Kammermann . - C'est courageux de recommencer.

Mme Murielle Ajello . - On n'a pas de choix.

Mme Christiane Kammermann . - Combien de femmes passent par cette voie de la chirurgie réparatrice ?

Mme Murielle Ajello . - Très peu. Les femmes qui sont passées par une reconstruction plutôt que par une réimplantation ont beaucoup de mal à vivre, parce que ça induit des cicatrices beaucoup plus importantes. La réparation de l'image de soi est très compliquée, surtout pour des femmes qui étaient déjà en recherche d'une meilleure image avant la pose des prothèses. Recourir à la chirurgie réparatrice ne les aide pas à se reconstruire.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Merci pour votre témoignage.

Audition de M. Alain GRISET, président, Mme Béatrice SAILLARD, directrice du département des relations institutionnelles, de l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat (APCMA) et Mme Monique AMOROS, coprésidente de la Confédération nationale artisanale des instituts de beauté (CNAIB) (mardi 10 avril 2012)

M. Jacky Le Menn, président . - En l'absence de Mme Jouanno, retenue par des impondérables, il me revient d'accueillir les représentants de l'Assemblée permanente des chambres de métiers et d'artisanat (APCMA) : M. Alain Griset, président, et Mme Béatrice Saillard, directrice du département des relations institutionnelles. Je souhaite également la bienvenue à Mme Monique Amoros, coprésidente de la confédération nationale artisanale des instituts de beauté (CNAIB).

Comme vous le savez, le champ d'étude de notre mission n'est pas circonscrit aux dispositifs médicaux implantables mais s'étend à l'ensemble des interventions à visée esthétique, parmi lesquelles les très nombreux actes réalisés par la profession des esthéticiennes, ici représentées. Ce secteur de l'esthétique, en pleine expansion, évolue rapidement. Certaines de ses innovations scientifiques se situent parfois à la croisée de la médecine et appellent une attention particulière. Songeons par exemple aux techniques controversées de lyse adipocytaire... Comme pour les dispositifs médicaux implantables, il nous revient de nous pencher sur la réglementation applicable aux actes réalisés par cette profession, notre préoccupation centrale étant bien entendu d'assurer les meilleures conditions de sécurité aux consommateurs.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Combien existe-t-il d'instituts de soins esthétiques ? Quels sont le nombre d'esthéticiennes en activité en France et la proportion d'instituts qui relèvent des chambres de métiers et de l'artisanat ? Je voudrais également connaître le poids économique du secteur et mesurer les évolutions récentes du marché.

M. Alain Griset, président de l'APCMA . - Les chambres de métiers et de l'artisanat travaillent depuis de nombreuses années en partenariat avec la Cnaib, organisation représentative de l'esthétique. L'objectif de cette collaboration est de fournir aux consommateurs, dont les attentes évoluent autant que les techniques, l'information la plus précise possible car il s'agit d'un sujet sensible.

La loi de 1996 relative à la qualification de l'artisanat a instauré une qualification obligatoire des exploitants d'instituts de beauté afin que les consommateurs soient assurés d'avoir affaire à des personnes qualifiées. Face aux kinésithérapeutes auxquels le terme de « massage » avait été réservé, nous avions obtenu du ministre du commerce et de l'artisanat de l'époque, M. Renaud Dutreil, l'introduction dans la loi du terme de « modelage » comme étant une prestation pouvant être effectuée par les esthéticiennes. Malheureusement, le terme de massage est aujourd'hui utilisé par de très nombreuses structures qui ne sont pas des instituts de beauté et qui peuvent pratiquer ces massages sans avoir à justifier d'aucune qualification. Cela s'explique par la coexistence de deux codes professionnels distincts : seul le code 9602B, réservé aux instituts de beauté, impose une qualification pour effectuer du modelage, le code 9604Z permettant de faire du massage sans qualification tout en étant inscrit au répertoire des métiers.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Ce que l'on appelle les salons de massage, en somme.

M. Alain Griset . - Il s'agit effectivement des salons de massage que l'on voit fleurir partout et qui représentent donc une concurrence déloyale pour les instituts de beauté tout en étant source de confusion pour le consommateur.

M. Jacky Le Menn, président . - N'importe qui peut ouvrir un salon de massage sans qualification ?

M. Alain Griset . - Oui, c'est ce qui préoccupe la profession des esthéticiennes. Les esthéticiennes se trouvent associées à des pratiques qu'elles n'ont pas le droit d'exercer bien qu'étant qualifiées pour ce faire, alors que ces pratiques peuvent être exercées par des personnes non qualifiées et dans de mauvaises conditions, notamment du point de vue sanitaire. Cela est de nature à tromper le consommateur.

Mme Monique Amoros, coprésidente de la Cnaib . - En France, on compte 36 000 entreprises, 65 000 esthéticiennes, pour un chiffre d'affaires de 1 428 millions d'euros ; 9 150 instituts de beauté emploient 94 % du nombre total de salariées, c'est-à-dire 30 000 salariées. 69 % des salariées sont à temps plein et 64 % en CDI.

M. Jacky Le Menn, président . - Le chiffre d'affaires est-il récent ?

Mme Monique Amoros . - C'est celui de 2011.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Ce chiffre est-il en expansion ?

Mme Monique Amoros . - Oui.

M. Alain Griset . - La croissance de l'activité a été d'un peu moins de 1 % entre 2010 et 2011.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quels sont les actes les plus fréquemment pratiqués ?

Mme Monique Amoros . - Ce sont, dans l'ordre d'importance, l'épilation, la vente de produits, les soins du visage et du corps, la manucure et la beauté des pieds, le maquillage. Aujourd'hui, la clientèle demande surtout des nouveautés : spas, soins amincissants, soins de bien-être et lumière pulsée pour la dépilation. Nous devons faire face à une forte demande malgré les difficultés que nous rencontrons.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - L'usage de la lumière pulsée en institut est interdite. Les médecins affirment que son usage requiert des connaissances et des pratiques garanties par un diplôme.

Mme Monique Amoros . - Nous aurions voulu qu'elle soit autorisée aux esthéticiennes de niveau 4, celles qui détiennent un brevet professionnel ou un bac pro, et aux esthéticiennes de niveau 3, qui possèdent un BTS ou un brevet de maîtrise, sur la base d'un certificat médical produit par le client et attestant que celui-ci ne souffre pas de certaines pathologies. L'objectif est de vérifier que sa peau est saine. Nous n'avons absolument pas de vocation curative.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous avez abordé les qualifications professionnelles requises pour exercer la profession d'esthéticienne. Pourriez-vous décrire succinctement l'organisation et le contenu des formations dispensées à ce titre ? Ces formations vous paraissent-elles suffisamment complètes et adaptées ?

Mme Monique Amoros . - Le certificat d'aptitude professionnelle (CAP), diplôme de niveau 5, est le seul requis pour ouvrir un institut. On y apprend les gestes de base : manucure, épilation à la cire et à la pince, soins du visage, beauté des mains et des pieds, maquillage. Au niveau 4, brevet professionnel (BP) ou bac professionnel, s'ajoutent des notions de gestion et de comptabilité ainsi que l'apprentissage des soins du corps et de soins plus sophistiqués pouvant nécessiter la manipulation d'appareils.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - C'est-à-dire ?

Mme Monique Amoros . - Dans le cadre CAP, on apprend à traiter des types de peau particuliers par l'application de produits spécifiques (anti-âge, déshydratation) et les soins du corps (amincissement et relaxation).

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - L'amincissement avec des crèmes ?

Mme Monique Amoros . - Avec des crèmes ou des appareils. Au niveau 3, correspondant au brevet de maîtrise et au brevet de technicien supérieur (BTS), on apprend le management et l'on se dote de compétences plus pointues dans le métier.

M. Alain Griset . - Nous avons demandé à plusieurs reprises au ministre de faire évoluer le niveau minimum d'installation, le BP nous paraissant plus approprié que le CAP pour ouvrir un institut de beauté. Les décrets de la loi de 1996 pourraient venir faire évoluer la réglementation en ce sens.

Par ailleurs, depuis le 1 er janvier 2009 et la création du statut d'auto-entrepreneur, des personnes, même non titulaires du CAP, peuvent proposer au public des actes d'esthétique à domicile. Cela pose problème en termes de concurrence et de protection du consommateur.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Ceux qui s'y livrent prennent des risques.

M. Alain Griset . - Les consommatrices aussi. Mais ce régime, que nous combattons depuis son origine, le permet puisqu'il n'existe pas de contrôle.

M. Jacky Le Menn, président . - Internet ne permet-il pas l'achat d'instruments destinés aux soins du corps qui échappent, hélas, à toute surveillance quand ils sont utilisés individuellement et qui connaissent un fort développement ?

M. Alain Griset . - Vous avez raison. Il en va ainsi de la lumière pulsée pour laquelle des appareils sont facilement disponibles sur Internet. La réglementation fait défaut.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Existe-t-il des contrôles en institut ?

Mme Monique Amoros . - Les instituts de beauté sont soumis aux contrôles de l'inspection du travail, de la médecine du travail, des unions de consommateurs ainsi que de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Cette dernière vérifie les prix et la conformité des appareils, des diplômes ou encore de l'affichage, s'agissant par exemple des cabines de bronzage.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Mais existe-t-il un contrôle des diplômes des esthéticiennes ?

Mme Monique Amoros . - Le diplôme est contrôlé à l'installation.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - On pourrait imaginer une situation où la patronne est diplômée mais pas ses employées...

Mme Monique Amoros . - Une praticienne non diplômée doit travailler sous le contrôle permanent de l'exploitante.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Ce qui signifie dans ce cas-là que c'est l'exploitante qui est responsable des actes effectués par son employée. Vous avez intérêt à disposer de personnels qualifiés !

Mme Monique Amoros . - Tout à fait.

M. Jacky Le Menn, président . - Les contrôles sont-ils fréquents ?

Mme Monique Amoros . - Les contrôles de la DGCCRF sont fréquents pour les UV. Lorsqu'ils viennent pour contrôler les installations d'UV, les agents de la DGCCRF mènent un ensemble de contrôles, y compris sur les prix.

M. Alain Griset . - En dehors des apprenties, les esthéticiennes embauchent au minimum des titulaires de CAP et de BP. Elles ne peuvent pas se permettre d'avoir des salariées non qualifiées. Ce serait un non-sens au plan commercial.

Mme Monique Amoros . - Comme on le dit dans notre profession, le CAP constitue un tremplin d'entrée pour poursuivre vers un BP ou un bac pro.

M. Jacky Le Menn, président . - Existe-t-il beaucoup d'apprenties ?

Mme Monique Amoros . - 12 000.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - En matière de responsabilité, existe-t-il des règles, un régime ? Les incidents touchant les clientes sont-ils portés à votre connaissance ?

Mme Monique Amoros . - Nous avons interrogé nos assureurs : aucun accident, ni aucun incident n'a été relevé. Dans le cadre de l'élaboration du décret n° 2011-382 du 11 avril 2011 relatif à l'interdiction de la pratique d'actes de lyse adipocytaire à visée esthétique, la Haute Autorité de santé (HAS) a conduit une étude sur les soins amincissants : pas d'incidents, pas d'accidents. Les seuls incidents intervenus concernent la lumière pulsée dans son utilisation pour la réjuvénation : des érythèmes sont parfois apparus mais ils ont disparu en quelques heures. Nous n'avons donc pas connaissance de problèmes d'hygiène, ni d'accidents graves. C'est plutôt dans certains salons, qui ne sont pas des instituts de beauté et qui utilisent des méthodes comme le nettoyage des pieds en aquarium, qu'il peut y avoir des problèmes sanitaires, par exemple des mycoses.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous devez bien avoir des incidents liés à des allergies, sans compter des blessures qui s'infectent ? Un panaris à la suite d'une manucure, par exemple. Cela ne vous arrive donc jamais ? En coupant un ongle incarné ?

Mme Monique Amoros . - Nous n'intervenons qu'en superficie : on ne doit en aucun cas faire saigner. Nous ne touchons pas aux ongles incarnés : cela relève de la profession médicale.

M. René-Paul Savary . - Les produits sont-ils bien agréés ? Quant aux éventuelles complications, s'il y a une réaction cutanée, vous ne revoyez pas nécessairement le client : il va voir son médecin.

Mme Monique Aromos . - Une allergie est toujours possible. En pratique, les clients qui sont allergiques le savent et nous préviennent. Il existe des gammes de produits ne contenant pas de substances allergènes. Mais il est également possible de développer subitement une allergie sans qu'il y ait eu de préavis...

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous ne pratiquez pas d'injections ?

Mme Monique Aromos . - Jamais ! C'est strictement interdit et les fournisseurs ne nous livrent aucun produit qui pourrait être ainsi utilisé.

M. Jacky Le Menn, président . - Puisque les produits changent sans arrêt, qu'en est-il de la formation continue et qui vous la dispense ?

Mme Monique Aromos . - Les fournisseurs assurent une formation théorique et pratique : une journée pour un produit ou davantage pour une gamme. Nous ne trafiquons pas nos propres produits.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Et les UV ?

Mme Monique Aromos . - Nous avons une formation spéciale.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous utilisez les rayonnements. Vous savez que leur usage est cancérigène, comme le souligne cet article paru dans Le Parisien le 3 avril ? Avez-vous des règles rigoureuses en la matière ?

Mme Monique Aromos . - Nous devons d'abord définir le type de peau pour déterminer le temps d'exposition et son fractionnement. Certains types de peau ne passent jamais en UV.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Les UV sont accusés d'augmenter les mélanomes, ces tumeurs cancéreuses de la peau.

Mme Monique Aromos . - Passer toute la journée au soleil est sûrement plus dangereux que de faire une séance d'UV dans un institut de beauté.

M. Alain Griset . - Je vois régulièrement ce type d'articles. Mais je n'ai jamais vu, dans ces articles, de mise en cause directe des instituts de beauté pour les UV. D'autres structures, qui ne sont pas des instituts de beauté, ne présentent pas les mêmes garanties. Je n'ai pas, pour l'instant, les éléments qui permettent de penser qu'un consommateur qui se rend dans un institut de beauté pour effectuer de temps en temps des rayons UV, ait subi des conséquences néfastes.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Les dermatologues s'inquiètent. Vous estimez donc que, les contrôles étant tellement stricts dans les instituts de beauté, il n'existe aucun problème ?

Mme Monique Aromos . - Il n'y a pas de problème chez nous.

M. Jacky Le Menn, président . - Qu'en est-il de la tarification ?

Mme Monique Aromos . - Les tarifs sont libres. Avec la concurrence, le forfait de dix séances d'UV s'établit entre 50 et 60 euros, 70 euros tout au plus. Des centres de bronzage cassent les prix et affichent un forfait à 30 euros ! La cliente y manipule elle-même le minuteur : elle n'est pas accompagnée comme chez nous. Dans les instituts de beauté, la formation des esthéticiennes doit être renouvelée tous les trois ans.

M. Jacky Le Menn, président . - La liberté d'usage est dangereuse. Le client ne connaît pas forcément la différence entre un institut de beauté et un centre d'UV.

M. René-Paul Savary . - Quel est l'agrément requis ? Je suppose qu'un CAP ne doit pas suffire pour disposer d'une cabine et la faire fonctionner ?

Mme Monique Aromos . - Avant toute mise en place d'une cabine d'UV dans un institut de beauté, un organisme de contrôle rend visite à l'exploitant. La conformité de la pièce et de l'installation sont vérifiées. Les esthéticiennes sont formées et les appareils sont contrôlés tous les ans.

M. Jacky Le Menn, président . - Qualité et sécurisation.

Mme Martine Berenguel . - Dans les cabines sont affichés les diplômes et les passages de la DGCCRF.

Mme Marie-Thérèse Bruguière . - Une femme qui aurait eu un cancer du sein vous prévient-elle ?

Mme Monique Aromos . - Généralement, une femme qui se trouve dans ce cas-là ne vient pas en institut de beauté pour faire des UV. Il existe une responsabilité personnelle de la personne malade. Si le problème est apparent, nous n'acceptons pas que le client fasse une séance d'UV. Si elle insiste, nous demandons systématiquement un certificat médical.

M. Jacky Le Menn, président . - Vous ne lui demandez pas systématiquement ?

Mme Monique Aromos . - La fiche que nous faisons remplir aux clientes préalablement à une éventuelle séance d'UV nous permet de contrôler la date des dernières séances, les maladies, les traitements médicaux. Nous en remettons un exemplaire à la cliente. La liste des médicaments susceptibles de provoquer une photosensibilisation se trouve affichée dans la cabine, de même que le diplôme de l'esthéticienne et le certificat de contrôle annuel de l'appareil.

M. Jacky Le Menn, président . - C'est la situation idéale. En cas de forte affluence, à certaines époques...

Mme Monique Aromos . - Nous prenons toujours le temps de recevoir la cliente.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Que pensez-vous du projet de décret réservant aux médecins les actes, procédés techniques et méthodes à visée esthétique présentant des risques sérieux autres que les interventions de chirurgie esthétique relevant de l'article L. 6322-1 du code de la santé publique ? N'êtes-vous jamais sollicités, par exemple, pour de l'amincissement par ultra-son, ou de l'effacement de cicatrices... ?

Mme Monique Aromos . - Jamais, ce n'est pas de notre domaine.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Le projet de texte réserve aussi aux médecins l'épilation par lumière pulsée... Il vous restera la pince et la cire.

M. Alain Griset . - Le projet de décret tel qu'il est prévu aujourd'hui, et c'est aussi le sentiment de la présidente de la CNAIB, ne touche pas les bonnes cibles : auto-entrepreneurs, personnes non qualifiées ne travaillant pas en institut.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous savez qu'il existe même des gens qui pratiquent des actes médicaux sans être médecins.

M. Alain Griset . - En ce qui concerne l'épilation et l'amincissement, la CNAIB revendique pour les esthéticiennes de pouvoir les pratiquer avec tous les moyens modernes existants et toute la sécurité nécessaire. De notre point de vue, ce décret, qui interdirait aux esthéticiennes de recourir aux techniques modernes de l'épilation, n'est pas adapté.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Même si ces techniques apparaissent dangereuses ? L'épilation à la lampe flash ?

M. Alain Griset . - Ces matériels utilisés en instituts ne se sont pas révélés dangereux.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Si, ce sont des méthodes qui peuvent être dangereuses, provoquer des brûlures. Des problèmes sont apparus.

M. Jacky Le Menn, président . - Auriez-vous idée du nombre d'accidents ?

Mme Monique Aromos . - D'après les informations obtenues auprès des assureurs, on dénombre deux cas d'accidents à la suite d'un acte de réjuvénation par lumière pulsée, liés à des érythèmes. Nous n'avons aucun retour d'incident, ni d'accident, en ce qui concerne l'usage de la lampe flash pour la dépilation.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Les professionnels médicaux usant des lampes flash ont connu des incidents. Pourquoi n'en auriez-vous pas ? Vous êtes devant une mission d'information. Il ne faut pas vouloir laver trop blanc.

Mme Monique Aromos . - Nos appareils sont bridés, avec en moyenne 20 joules, ils n'ont donc pas la même puissance que les appareils médicaux. Et nous travaillons sur des peaux saines. C'est pourquoi nous plaidons pour l'autorisation de l'utilisation de la lumière pulsée par des praticiennes de niveau 4, sur des clientes munies d'un certificat médical. En esthétique, nous n'avons pas d'accident.

M. Jacky Le Menn, président . - Acceptons-en l'augure.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Le projet de décret ne vous satisfait pas ?

Mme Monique Aromos . - Pas du tout.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Mais qu'est-ce qui vous gêne puisque vous dites ne pratiquer aucun des actes visés ?

Mme Monique Aromos . - Sauf la dépilation.

M. Jacky Le Menn, président . - Avez-vous été consultés ?

M. Alain Griset . - Nous n'avons pas été consultés et n'avons pu nous exprimer que devant votre commission. La présidente de la CNAIB a fait savoir son désaccord au ministère.

Mme Marie-Thérèse Bruguière . - Les appareils « Cellu M6 » sont-ils utilisés par les seules praticiennes diplômées ?

Mme Monique Aromos . - En institut, c'est le cas.

Mme Marie-Thérèse Bruguière . - Je connais personnellement une femme ayant souffert d'un cancer et à laquelle l'institut de beauté où elle s'était présentée a affirmé que son sein pouvait être protégé, sous les UV, par une simple serviette éponge.

Mme Monique Aromos . - C'est une faute professionnelle !

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Il est évident que vous ne pouvez pas contrôler tout le monde. La profession doit avoir ses propres règles et la possibilité d'intervenir en cas de mauvaises pratiques.

M. Alain Griset . - Au nom de l'artisanat français, nous demandons pour nos métiers des qualifications à un niveau qui permette au consommateur d'avoir une garantie. Nous regrettons qu'aujourd'hui la qualifications ne soit pas suffisamment élevée et contrôlée.

M. Jacky Le Menn, président . - Nous savons que les chambres de métiers et de l'artisanat sont très rigoureuses pour tout un ensemble de métiers. Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.

Audition de MM. Christian COUZINOU, président du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, et Jacques LEVOYER, vice-président national de l'Union des jeunes chirurgiens dentistes-union dentaire (UJCD-UD) (mardi 10 avril 2012)

M. Jacky Le Menn, président . - Nous poursuivons notre après-midi d'auditions en recevant MM. Christian Couzinou, président du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, et Jacques Levoyer, vice-président de l'Union des jeunes chirurgiens dentistes-union dentaire (UJCD-UD).

Nous évoquerons en premier lieu les injections d'acide hyaluronique par les chirurgiens-dentistes, puis nous nous pencherons sur l'apparition et le développement d'établissements du type « bar à sourire », spécialisés dans le blanchiment des dents.

Dans les deux cas, les chirurgiens-dentistes ont été en première ligne de polémiques touchant à la sécurité des personnes : tout d'abord avec l'Ordre des médecins qui s'est opposé à leur capacité à procéder à des injections d'acide hyaluronique autour de la bouche de leurs patients, puis avec les « bars à sourire » auxquels les chirurgiens-dentistes eux-mêmes ont reproché un manque de compétence en matière de blanchiment des dents.

Bien évidemment, nous ne voulons ici faire le procès de personne. Nous voulons seulement voir plus clair dans le domaine de la médecine esthétique qui intéresse la santé des personnes et qui manque cruellement de réglementation.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Pouvez-vous présenter vos organismes respectifs et le nombre d'adhérents qu'ils représentent ? Quelle est la différence entre les deux ? Est-ce lié à l'âge ?

M. Christian Couzinou, président du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes . - L'un est un ordre, l'autre un syndicat. Organisme privé chargé d'un service public, l'Ordre est l'organisme régulateur de la profession. Il a été créé par le Général de Gaulle par une ordonnance de septembre 1945, François Billoux étant alors ministre de la santé. 44 000 chirurgiens-dentistes y sont inscrits. On ne peut exercer la profession sans l'être. Nous veillons à la moralité et aux compétences des chirurgiens-dentistes et luttons, afin de préserver la santé publique, contre l'exercice illégal de la profession.

M. Jacques Levoyer, vice-président de l'UJCD-UD . - Notre syndicat est l'un des trois syndicats représentatifs de la profession. Créé il y a cinquante-deux ans comme association professionnelle, il est devenu syndicat le 15 mars 1995. Représentatif depuis 1997, il est signataire des conventions dentaires depuis 1998. L'UJCD-UD a été le seul syndicat à porter la convention avec l'assurance maladie entre 2000 et 2002. Sur 37 000 chirurgiens-dentistes en exercice, 6 000 sont membres de notre syndicat. Nous défendons les intérêts matériels et moraux de la profession, au sens de la loi de 1948.

M. Jacky Le Menn, président . - Est-ce le principal syndicat ?

M. Jacques Levoyer . - Le deuxième après la Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD).

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Le 24 janvier dernier, un courrier conjoint de la direction générale de la santé (DGS) et de la direction générale de l'offre de soins (DGOS), adressé à l'Ordre des chirurgiens-dentistes, disposait que l'injection de produits de comblement de rides sur le visage n'était plus autorisée aux chirurgiens-dentistes parce qu'un tel acte conduisait les chirurgiens-dentistes à intervenir dans une zone anatomique extra-buccale. Par la suite, un courrier signé de la secrétaire d'Etat à la santé les a maintenus dans cette capacité. Pouvez-vous nous préciser les enjeux de ce débat et nous indiquer le nombre de vos confrères pratiquant de tels actes ?

M. Christian Couzinou . - En 2004, quand M. Douste-Blazy était ministre de la santé, le code de la santé publique a été modifié en ce qui concerne notre capacité. Celle-ci portait auparavant sur les dents, les maxillaires et la bouche. On y a alors ajouté les tissus attenants à la bouche, pour être en adéquation avec une directive européenne de 1978. La France a mis vingt-six ans à transposer ce texte ! Depuis 2004, quatre cents à cinq cents chirurgiens-dentistes pratiquent des injections d'acide hyaluronique. Ce n'est pas le coeur de notre métier mais cela fait partie de notre capacité professionnelle. Cette lettre, signée par Mme Podeur et M. Graff, nous a beaucoup surpris. Nous étions déjà compétents pour l'intra-oral avant 2004, et pour l'extra-oral depuis. Personne ne sait vraiment d'où est sortie cette lettre de cachet. DGS, DGOS et cabinet se renvoient la balle. Evidemment, nous avons souhaité rencontrer Xavier Bertrand. Sa conseillère, Mme Clara De Bort, nous a reçus. Le vendredi suivant, nous recevions une lettre de Mme Nora Berra nous précisant que nous pouvions continuer à faire des injections d'acide hyaluronique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Sur quelles zones l'utilisez-vous ?

M. Christian Couzinou . - Le sillon naso-génien et le péribuccal.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous remontez jusqu'au nez ?

M. Christian Couzinou . - Le maxillaire fait partie de notre domaine. Le sillon naso-génien lui est attenant.

M. Jacques Levoyer . - C'est un vrai-faux débat. Le vrai débat de fond, c'est la capacité professionnelle du chirurgien-dentiste. Nos confrères médecins se trompent en nous critiquant sur ce point. Une autre question se pose : avons-nous la compétence pour pratiquer de tels actes ? Nous sommes toujours ouverts au dialogue sur ce point, mais la profession sera toujours unanime à défendre sa pleine capacité d'exercice.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - N'y a-t-il pas eu des problèmes ?

M. Christian Couzinou . - Aucun. La Médicale de France, qui assure un grand nombre de chirurgiens-dentistes, nous l'a confirmé par courrier.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Le Conseil de l'ordre n'a reçu aucun retour à ce sujet ?

M. Christian Couzinou . - Jamais.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Que pensez-vous du décret en préparation qui vous retirerait cette compétence ?

M. Christian Couzinou . - Nous ferons tout pour nous y opposer. Le cas échéant, nous irons devant le Conseil d'Etat et jusqu'à la Cour de justice de l'Union européenne s'il le faut.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous y êtes donc très attaché.

M. Christian Couzinou . - C'est une atteinte à notre capacité.

M. Jacques Levoyer . - C'est une question de principe.

M. Christian Couzinou . - Nous pratiquons des actes bien plus compliqués que des injections, comme des relevés de sinus en implantologie. Le problème de l'acide hyaluronique tient au produit utilisé. Aux Etats-Unis, seuls six sont sur le marché tandis qu'on en compte cent dix en France, tous marqués CE. Les dentistes n'utilisent que de l'acide hyaluronique réticulé.

M. Jacques Levoyer . - On fera tout en amont pour que ce décret ne voie pas le jour. Si, malgré tout, le Gouvernement le prend, nous continuerons à défendre notre capacité professionnelle devant la justice. Ce n'est pas sur l'acide hyaluronique que nous nous crispons, mais sur le respect de notre capacité professionnelle.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - C'est pourtant d'une extension récente de votre capacité dont il est ici question.

MM. Christian Couzinou et Jacques Levoyer . - Depuis 2004 !

M. Jacques Levoyer . - Certains confrères médecins y voient une atteinte à leur clientèle. Les stomatologistes, qui pratiquent bien l'ensemble du champ de la chirurgie dentaire, n'ont jamais demandé que notre capacité soit réduite. C'est l'esprit de cette mesure qui nous fait nous dresser pour que soit respectée notre capacité, même dans ce domaine marginal.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - La chirurgie dentaire n'a pas vocation à s'occuper des rides et de l'esthétique du visage.

M. Jacques Levoyer . - La réglementation européenne et mondiale peut nous éclairer sur les évolutions récentes de la chirurgie dentaire : jusqu'il y a peu, on parlait d'art dentaire, dorénavant, le terme de médecine s'est imposé. Le code de la santé publique nous définit comme une profession médicale, non comme des auxiliaires médicaux. Nous ne chercherons jamais à être médecins, nous voulons simplement être de bons chirurgiens-dentistes dans la pratique totale de leur capacité.

M. Jacky Le Menn, président . - Qui délimite le périmètre de votre compétence ?

M. Christian Couzinou . - La capacité, c'est ce que l'on peut faire, la compétence, ce que l'on sait faire.

M. Jacques Levoyer . - C'est l'article L. 4141-1 du code de la santé publique. Notre capacité comporte depuis 2004, selon cet article, « la prévention, le diagnostic, le traitement des maladies congénitales ou acquises, réelles ou supposées, de la bouche, des dents, des maxillaires et des tissus attenants ». Certains médecins interprètent différemment ces derniers termes, mais ont-ils étudié la réglementation européenne de 1978 et perçu l'ajout des tissus attenants ?

M. Jacky Le Menn, président . - Y a-t-il eu concertation entre votre Ordre et celui des médecins ?

M. Christian Couzinou . - Le dialogue est difficile. Ils défendent leur pré-carré. Pour certains d'entre eux, nous sommes encore des arracheurs de dents sur la foire.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - N'exagérez pas ! Vous jouez sur les mots et eux aussi ! Il y a un conflit sur la signification des mots « et attenants ».

M. Christian Couzinou . - J'ai une liste de synonymes !

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous aurez le dernier mot, je n'en doute pas.

M. René-Paul Savary . - Vous parlez de tissus attenants. Dans ce cas, pourquoi ne pas vous occuper des oreilles décollées, situées à proximité des maxillaires ? La distinction entre capacité et compétence est au coeur de notre débat. Tous les chirurgiens-dentistes ayant commencé à exercer avant 2004 n'ont pas été formés au traitement des tissus attenants. Il leur faudrait au moins une formation spécifique.

M. Jacques Levoyer . - Tout à fait. Intransigeants sur notre capacité, nous sommes soucieux de notre compétence. Tout praticien se doit d'acquérir les compétences nécessaires à sa pratique. Le législateur, dans son bon sens, a élargi, dans la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) du 21 juillet 2009, les missions de l'Ordre national. Il doit vérifier que le chirurgien-dentiste s'acquitte de son obligation de formation continue et ne se trouve pas en état d'incompétence. Il est garant de la compétence du chirurgien-dentiste. C'est une question de santé publique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Comment vous en assurez-vous ?

M. Jacques Levoyer . - Une formation est délivrée par l'université Paris VII et certains confrères se forment à l'étranger. Des pays, comme le Luxembourg, ont fait le choix de limiter la capacité de faire à l'acquisition d'une compétence validée. D'autres pays sont plus ouverts.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Existe-t-il des pays où les chirurgiens-dentistes sont médecins ?

M. Jacques Levoyer . - En France, les stomatologistes.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Ils sont d'abord médecins. N'y a-t-il pas des pays où les dentistes sont médecins ?

MM. Jacques Levoyer et Christian Couzinou . - Pas dans l'Europe des vingt-sept.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Nous débattons actuellement d'une question à l'importance marginale : les chirurgiens-dentistes posent beaucoup plus d'implants qu'ils ne pratiquent le comblement naso-génien. Je partage le point de vue de ceux qui veulent préserver l'intégrité de leurs compétences alors que d'autres défendent leur part de marché. Ce débat me gêne. Quel chirurgien-dentiste n'a jamais fait de chirurgie buccodentaire sur la lèvre supérieure d'un enfant victime d'un traumatisme sans se soucier d'une quelconque frontière anatomique ? L'échange épistolaire contradictoire avec le ministère que vous mentionnez ne plaide pas en faveur du sérieux du débat. La compétence doit s'accompagner d'une formation garantie par l'Ordre. Je ne veux pas qu'on s'imagine que 95 % des chirurgiens-dentistes font une fixation là-dessus. Dans les quartiers populaires où j'exerçais, on est à mille lieues de ces préoccupations ou de celles liées au blanchiment des dents. L'important est de garantir une formation adéquate, voilà le point sur lequel j'aimerais avoir des assurances.

M. Christian Couzinou . - La directive européenne 2005-36 le prévoit : le chirurgien-dentiste doit avoir une formation qui corresponde à toute sa capacité. Si le projet de décret est publié sous sa forme actuelle, beaucoup de médecins qui ne sont ni dermatologues, ni chirurgiens plasticiens devront aussi suivre une formation complémentaire pour continuer à injecter. Nous sommes favorables à la création d'un tel mécanisme pour les dentistes. Il n'y a aucun problème là-dessus.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Il est beaucoup plus rentable de faire de la prothèse dentaire que de picoter, n'est-ce pas ?

M. Jacques Levoyer . - Vous mettez le doigt sur une plaie béante de la chirurgie dentaire française. Les soins opposables, comme les soins de caries, les dévitalisations de dents, qui représentent 70 % de notre temps et 25 % du chiffre d'affaires, sont pris en charge à un niveau très inférieur à leur prix de revient, souvent avec un déficit de l'ordre de 40 %. Les tarifs français de soins conservateurs et chirurgicaux sont les plus faibles d'Europe alors que les prothèses ont le plus faible taux de prise en charge par l'assurance maladie. Un taux qui a été divisé, en euros constants, par deux en trente ans. En conséquence, nos patients ont des difficultés croissantes d'accès aux soins.

Je rejoins notre confrère sénateur : il est vrai que dans les zones défavorisées, les patients et leurs chirurgiens-dentistes ne se préoccupent pas des injections d'acide hyaluronique ou du blanchiment des dents. C'est une réponse à une demande marginale, mais cela concerne l'intégrité de notre compétence. Les problèmes sont tout autres et l'avenant à la convention dentaire, que nous sommes en train de négocier, loin de les régler, les prorogera sans doute pour cinq ans.

Mme Marie-Thérèse Bruguière . - Quel est le cadre thérapeutique de l'utilisation de l'acide hyaluronique ? C'est un produit essentiellement esthétique. Est-ce remboursé par la sécurité sociale ?

M. Jacques Levoyer . - Quand un médecin prend en charge un malade dans le cadre des maladies de l'âge, est-ce thérapeutique ou esthétique ? Toutes les thérapies liées au vieillissement sont, à mon sens, thérapeutiques.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Cela dépend de l'organe : entre le coeur sénile et le sillon naso-génien, il y a quand même une différence.

M. Jacques Levoyer . - Je vous le concède, mais il faut aussi s'interroger sur la nature des produits injectés. Sont-ils des produits médicaux, pharmaceutiques ou strictement cosmétiques ? On se situe bien, dans le cas présent, dans le cadre d'une indication thérapeutique. On ne peut laisser dire que ce n'est que de la cosmétique. Une esthéticienne, absente du code de la santé publique, ou un auxiliaire médical, qui ne peut rien prescrire de tel, ne doit pas pouvoir réaliser de tels actes. Nous sommes l'une des trois professions médicales, nous prescrivons donc sous notre responsabilité. A nous d'y adapter notre compétence.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Réaliser une injection sous-cutanée n'est pas banal et des risques y sont attachés. Néanmoins, j'interpelle le président de l'ordre sur l'éthique, parce que je crains l'effet de mode et la pression des patients sur les praticiens. Je compte sur le discernement de la profession car il faut savoir leur dire non. Le non-remboursement de ces pratiques est bien sûr une barrière, mais je crains que ne se développent des demandes disproportionnées, comme on en a connu pour le blanchiment. Il n'existe pas de critère absolu pour différencier esthétique et thérapeutique : rien ne remplace le contact entre le praticien et le patient.

M. Christian Couzinou . - C'est le problème du consentement éclairé. Il est de notre devoir, lorsque les demandes du patient ne sont pas raisonnables, de le lui expliquer.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Je vois cependant un risque de dérive. Il suffit de feuilleter les magazines féminins pour comprendre que les demandes vont se multiplier. Il y a un risque de banalisation. La profession ne sortirait pas grandie de sa transformation en prestataire de services à vocation esthétique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Dans un récent communiqué de presse, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) relevaient qu'un nombre croissant de personnes ont recours à la pratique du blanchiment des dents, soit à domicile au moyen de produits destinés à être appliqués sur les dents, soit dans des établissements. Une polémique semble s'être engagée entre les dentistes et ce qu'il est convenu d'appeler les « bars à sourire ». Certains de ces établissements ont porté plainte contre les instances représentatives des dentistes, car ils s'estimaient victimes de pratiques anticoncurrentielles de leur part. Pouvez-vous nous dire en quoi ces officines pratiquant le blanchiment des dents ont des méthodes plus dangereuses que les vôtres ?

M. Christian Couzinou . - J'ai été auditionné cinq heures durant par l'Autorité de la concurrence sur ce sujet.

Nous avons été alertés depuis environ dix-huit mois par des patients qui ont eu des problèmes après être passés par ces « bars à sourire ». Nous avons obtenu de plusieurs présidents de tribunaux de grande instance (TGI) la possibilité d'envoyer des huissiers, qui ont examiné les pratiques et saisi des produits. Ces endroits emploient des produits qui contiennent du peroxyde d'hydrogène à plus de 0,1 % et du perborate de sodium, substance mutagène et cancérigène. Nous avons alerté les agences régionales de santé (ARS), qui en ont fermé certains, notamment en Alsace et en Bourgogne, ainsi que l'Afssaps, à qui nous avons fourni les échantillons saisis, et la DGCCRF.

Nous avons publié dans La Lettre un article qui n'a pas plu aux propriétaires de « bars à sourire », qui nous ont dénoncés à l'Autorité de la concurrence. La directive européenne de septembre dernier définit clairement deux marchés : celui du peroxyde d'hydrogène d'une concentration inférieure à 0,1 %, dont l'usage est libre mais l'effet limité, et celui des concentrations supérieures, jusqu'à 6 %, réservé aux dentistes.

M. Jacques Levoyer . - La réglementation européenne limite les fortes concentrations aux chirurgiens-dentistes, car ceux-ci pratiquent un examen clinique avant tout acte. Si ces produits venaient à être apposés sur des dents présentant des lésions carieuses ou sur des reconstitutions non étanches, il y aurait un risque de pulpite, c'est-à-dire d'inflammation du nerf de la dent, voire de nécrose pulpaire, ce qui aurait pour conséquence une dévitalisation de la dent.

M. Jacky Le Menn, président . - Je comprends mais ces produits peuvent être achetés sur Internet.

M. Christian Couzinou . - Effectivement, le problème du marquage CE se pose. Les « bars à sourire » se fournissent sur Internet, aux Etats-Unis, auprès des deux grands fabricants mondiaux. La DGCCRF a constaté de nombreuses anomalies. Qui plus est, ils utilisent des porte-empreintes non ajustés à la bouche du patient : le produit touche donc aussi les gencives. A Nevers, un cas de concentration à 35 % a été relevé. L'établissement a été fermé par l'ARS.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Et le dentifrice ?

M. Christian Couzinou . - La concentration est inférieure à 0,1 %.

M. Jacques Levoyer . - Dans ce cas, le blanchiment constaté est surtout dû à l'action mécanique de la brosse.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Existe-t-il beaucoup de « bars à sourire » ?

M. Christian Couzinou . - Il y en aurait quatre cents, ainsi que mille trois cents espaces dédiés chez des esthéticiennes. Il y a eu un effet de mode et plusieurs émissions de télévision leur ont été consacrées. A Rouen par exemple, il s'en est récemment créé un tenu par une coiffeuse et un jeune diplômé d'école de commerce, sans autre formation.

M. Jean-Jacques Mirassou . - J'aurais souhaité que vous abordiez les normes qui encadrent la pose d'implants.

M. Jacques Levoyer . - L'implantologie a connu trois phases. Après une phase expérimentale, il y a vingt à vingt-cinq ans, avec le protocole mis au point en Suède par Per-Ingvar Brånemark, on a connu une phase de développement. Mais de nombreux problèmes sont apparus, notamment avec les implants juxta-osseux. On a relevé des accidents médicaux, les dégâts osseux pouvant être importants. L'implantologie entre aujourd'hui dans sa troisième phase, celle de la normalisation. Du fait des erreurs du passé, les dentistes sont de plus en plus attentifs. Les assureurs ont également modifié leurs contrats selon que le praticien pose des implants ou pas.

L'UJCD-UD cogère une société d'assurance civile professionnelle, et nous constatons beaucoup moins de problèmes qu'il y a dix ou quinze ans. Le praticien doit disposer d'un plateau technique spécifique et réaliser un examen sérieux. La très large majorité de nos confrères qui posent des fixtures, des pièces implantées à l'intérieur de l'os, sont très conscients des risques.

M. Christian Couzinou . - La MACSF, qui assure 25 000 chirurgiens-dentistes, ne reçoit que dix à quinze réclamations par an. Le scanner et la radiographie 3D ont révolutionné les choses. Les nouvelles techniques ont changé la vie des gens qui ne pouvaient plus mastiquer ni sourire avec les dentiers complets. C'est une évolution formidable.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Ça, c'est sûr.

M. Christian Couzinou . - Sur quarante mille praticiens, quatre mille assurent la phase chirurgicale, les autres posent la prothèse ensuite.

M. Jacky Le Menn, président . - Constate-t-on de nombreux recours ?

M. Jacques Levoyer . - Aujourd'hui, on relève moins d'accidents.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Ce sujet est autrement plus important que celui des injections.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Il faut que vous soyez plus nombreux à poser des implants et moins à combler le sillon naso-génien.

Table ronde sur la médecine esthétique (mardi 10 avril 2012)

M. Jacky Le Menn, président . - Nous avons le plaisir d'accueillir, dans le cadre d'une table ronde consacrée à la médecine esthétique, un grand nombre d'experts du sujet, et je laisserai le soin à chacun d'entre eux de se présenter au début de son intervention. Nous souhaitons que vous nous éclairiez sur les contours du secteur encore peu encadré de la médecine esthétique, les dysfonctionnements constatés et les réponses à y apporter.

Les personnes que nous avons auditionnées jusqu'ici nous ont exposé des positions différentes quant à la spécificité de la médecine esthétique : certains évoquent sa consécration en tant que spécialité médicale à part entière, d'autres souhaitent qu'elle demeure une composante d'autres spécialités comme la chirurgie esthétique ou la dermatologie, d'autres encore envisagent ce que j'appellerais une solution intermédiaire : considérer la médecine esthétique comme un exercice particulier, comme l'allergologie par exemple. Il sera intéressant de recueillir votre sentiment sur ce sujet.

Par ailleurs, tant qu'il n'aura pas été établi de définition claire de la médecine esthétique et de son champ, il restera difficile de l'encadrer afin de mieux prévenir les événements indésirables qui y sont associés. Le décret en préparation soulève encore des difficultés. En outre, contrairement à d'autres spécialités médicales, nous constatons un manque criant de données scientifiques sur la médecine esthétique et les effets secondaires ou complications qui en découlent.

Je vous invite donc, en réponse aux questions de notre rapporteur, à la franchise et à nous faire des propositions concrètes pour corriger les dysfonctionnements et les manques que vous auriez pu déceler.

Enfin, je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et au public. Elle fait également l'objet d'un enregistrement audiovisuel et est retransmise en direct sur le site du Sénat.

Etes-vous d'accord avec cette retransmission ?

Je laisse maintenant la parole à notre rapporteur.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Première question, quelle définition donnez-vous de l'acte de médecine esthétique ? A-t-on assisté à une augmentation du nombre d'actes de médecine esthétique en France au cours des dernières années ? N'observe-t-on pas une dérive consistant à requalifier en médecine esthétique un certain nombre d'actes, pourtant assimilables à de la chirurgie esthétique, afin de pouvoir les pratiquer en cabinet et les soustraire à la réglementation applicable à la chirurgie esthétique - je pense par exemple à la lipotomie par injection de produits lipolysants ?

M. François Turmel, président de la Fédération française des médecins experts en médecine esthétique et anti-âge (Ffmeaa) . - Je répondrai en reprenant la définition donnée ici même en 2004 au Sénat lors d'un colloque sur l'avenir de la médecine esthétique, c'est-à-dire « l'ensemble des prescriptions ou des actes visant à prévenir, améliorer ou corriger les aspects inesthétiques ou jugés comme tels par un sujet sain, quel que soit son âge, y compris les conséquences du vieillissement physiologique, et ce, grâce à une approche pluridisciplinaire ».

Après avoir été particulièrement soutenue entre 2005 et 2010, la croissance du nombre des actes a connu une légère décélération au cours des dernières années, mais elle reste à deux chiffres, phénomène à mettre en parallèle avec la croissance de l'offre de soins par différents praticiens.

On ne requalifie pas les actes médicaux. Le problème reste de qualifier les actes frontière - la lipotomie par injection de produits lipolysants est interdite, du reste, pour tous, par décret. D'où l'intérêt d'une formation pour tous les médecins concernés, adaptée à leur profil et à leur spécialité, qui pourrait soit être intégrée dans le diplôme initial, soit faire l'objet d'un diplôme interuniversitaire.

Mme Catherine de Goursac, membre du conseil d'administration de l'Association française de médecine morpho-esthétique et anti-âge (AFME) . - Je partage la définition donnée par M. Turmel ; la médecine esthétique, ce sont des actes médicaux permettant de modifier l'apparence corporelle sans visée nécessairement thérapeutique.

La croissance des actes de médecine esthétique serait de 11 % dans le monde, de 5 % à 8 % en France, chaque année. On le voit dans les congrès internationaux, la médecine esthétique a plus d'ampleur que la chirurgie. La médecine esthétique répond précisément à une demande forte des patients qui préfèrent avoir recours à des actes plus légers et ne souhaitent pas passer par la chirurgie. Au demeurant, nos techniques sont validées et tous les effets secondaires rendus publics ; nous ne sommes pas vraiment dans le flou.

M. Christian Dubreuil, coresponsable du diplôme interuniversitaire de médecine morphologique et anti-âge . - On parlerait d'actes sans but thérapeutique ? Il ne faut pas oublier le bien-être des personnes. Ce peut être un acte thérapeutique, au même titre qu'une psychothérapie. La médecine esthétique est moins chère et comporte moins de risques que la chirurgie esthétique. Les produits sont moins dangereux et les actes sont réversibles à plus ou moins long terme. Les médias diffusent largement les complications qui interviennent dans le domaine de la chirurgie esthétique ; celles-ci demeurent, en revanche, très rares en ce qui concerne la médecine esthétique. Il n'y a pas de requalification. Aucun acte dont l'innocuité n'a pas été démontrée n'est enseigné dans le cadre du diplôme interuniversitaire que je dirige à Lyon.

Mme Lydia Houri, présidente de la Société savante de médecine morphologique et anti-âge (SOFMMAA) . - Il s'agit avant tout d'un acte médical. Il répond à une demande du patient dont l'apparence ne le satisfait pas, soit en raison de l'hérédité ou de la maladie, soit en raison des dégâts du temps, et qui souhaite faire appel à des techniques moins invasives, plus sécuritaires et enseignées de façon rigoureuse. Autrefois, l'apparition de tâches, qu'on appelle fleurs du cimetière, était un signe avant-coureur d'une fin de vie dans les dix ans suivants. Aujourd'hui, lorsqu'elles apparaissent sur un patient de trente ans qui vivra encore quarante ans, on n'a pas le droit de lui refuser de s'en débarrasser. Nous vivons dans une société de consommation, où les gens travaillent et vivent plus longtemps. Le médecin esthéticien est alors appelé à dépister des carences internes liées à l'âge et à réaliser en conséquence un geste technique, scientifique et sécuritaire. Nous nous sommes engagés dans une charte à ne pratiquer aucun acte chirurgical. Tout est clairement encadré.

M. Jacky Le Menn, président . - Le sociologue et l'anthropologue que nous avons entendus ont développé ce type d'approche.

M. Xavier Deau, vice-président du Conseil national de l'ordre des médecins . - Pour nous, la médecine dite esthétique n'est pas une spécialité. Mais il s'agit d'un acte médical à part entière, qui suppose examen et diagnostic préalables avant traitement. On est bien sûr totalement dans l'exercice de la médecine.

Les techniques ont évolué : un grand nombre d'entre elles sont désormais micro-invasives et sont prônées par des magazines féminins ou des émissions télévisées. Tous ces actes peuvent être pratiqués par des médecins, sans empiéter sur le domaine chirurgical. Enfin, l'encadrement légal et règlementaire est désormais bien connu.

M. Luc Sulimovic, président du Syndicat national des dermatologues et vénérologues . - Je préfère que nous parlions d'actes esthétiques médicaux, par opposition aux actes esthétiques chirurgicaux. Il existe bien sûr des formes frontière, mais la médecine esthétique ne constitue pas une discipline à part entière, car on retrouve de tels actes dans beaucoup de spécialités. Il n'est donc pas question de regrouper tout cela dans une seule spécialité. Ce sont d'abord des actes médicaux, même si leur visée est esthétique. La distinction entre médecine et chirurgie est claire dans la loi, qui devrait en revanche mieux anticiper l'évolution des techniques et l'évaluation des risques, car elle accuse aujourd'hui encore trop de retard en matière de matériovigilance - je pense aux cabines UV, car on connaît le risque de cancer de la peau qui y est associé.

M. Jean-Jacques Mirassou . - C'est l'approche en termes de débat sociétal qui m'intéresse. Les standards esthétiques varient selon les époques et les sociétés. Quand l'acte est rattachable à une pathologie, il n'y a pas de problème, mais quand on est dans l'esthétique pure, j'y vois une forme de dérive sociétale : on sait que les standards sont suscités et que seule une upper-class a les moyens économiques pour améliorer une apparence qui influe souvent sur les critères de jugement. Compte tenu de l'évolution exponentielle que l'on observe, ne jouez-vous pas les apprentis-sorciers quand l'offre crée la demande ?

M. Xavier Deau . - La question s'est posée au Conseil national de l'ordre des médecins (Cnom), statuant à titre disciplinaire, dès 2003, face à la multiplication d'actes non déclarés. On ne pouvait plus laisser errer une population égarée auprès de médecins borderline, parfois un peu charlatans. Nous avons donc demandé aux médecins qui s'occupaient déjà d'esthétique d'élaborer des référentiels et de préparer un enseignement national afin de valider ces techniques, sachant que notre souci est avant tout la sécurité des patients et la qualité des soins.

M. François Turmel . - Le colloque qui s'est tenu ici en 2004 l'a montré, c'est une question existentielle. La demande est croissante : on ne peut laisser les patients aller vers n'importe quel professionnel, une simple esthéticienne par exemple qui pratiquerait de la lumière pulsée alors même qu'il s'agit d'un acte médical. Il y a bien des médecins et des non-médecins.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Les esthéticiennes nous ont assuré ne pas pratiquer d'actes médicaux.

Mme Lydia Houri . - La simple lampe à la lumière pulsée est aussi dangereuse qu'un laser : cela peut trouer, décolorer, faire des tâches. Et les esthéticiennes, influencées par les fabricants, sont souvent mal informées de tout cela. D'où la jurisprudence récente. Pour pratiquer ces actes, il faut réaliser un diagnostic préalable et disposer d'une assurance en cas d'aléa.

M. Luc Sulimovic . - Distinguer entre ce qui est pathologique et non pathologique est toujours complexe : voyez le vieillissement de la peau, ou le traitement de la ménopause. Le rôle du médecin, c'est aussi d'aider les gens à mieux vivre.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Mais pas n'importe comment. Notre mission est fondée sur la sécurité du patient ; elle fait suite à l'affaire PIP, survenue alors que les mesures de contrôles existaient déjà.

M. Luc Sulimovic . - C'est plutôt une affaire de moyens.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Nous voulons mettre en exergue les capacités requises, les formations. Avant d'exercer une profession, une personne est formée en général, ainsi qu'aux actes spécialisés pratiqués. Quelles conditions de formation souhaiteriez-vous voir appliquer aux professionnels pratiquant des actes de médecine esthétique ? Seriez-vous favorables à la généralisation d'un diplôme interuniversitaire de médecine morphologique et anti-âge, même si le mot ne me plaît guère ? La médecine esthétique a-t-elle vocation à s'imposer comme une spécialité médicale à part entière ou doit-elle constituer une composante d'une autre spécialité ?

M. Christian Dubreuil . - Un diplôme interuniversitaire (DIU) de médecine universitaire esthétique anti-âge suffit. L'enseignement que nous dispensons à Lyon I comprend quatre universités. Le ministère nous a demandé de continuer afin de mieux impliquer certaines régions (Strasbourg, le Sud-Ouest). Le numerus clausus, qui est actuellement de quatre-vingt-cinq médecins formés chaque année, doit demeurer en l'état.

Nous parlons d'une composante de la médecine ; le médecin doit poser un diagnostic préalable puis proposer un traitement : les médecins ne doivent pas se comporter comme de simples techniciens. La création d'un DESC ? Le DIU de Lyon I comporte déjà deux cents heures d'enseignement, dispensées par un grand nombre d'intervenants. Il est des gestes de prévention indispensables à connaître. Nous enseignons aussi l'endocrinologie, la dissection de la face (huit heures d'enseignement), de même que les conséquences médico-légales de ces actes. Qualité et sécurité sont nos maîtres mots.

M. Luc Sulimovic . - Un diplôme interuniversitaire n'offre pas de garantie de quota, ni d'uniformité dans la qualité. Le DESC, dont la qualité est supportée par un quota, certifie l'acquisition d'une compétence complémentaire et non exclusive, dans le cadre de chaque spécialité. Compte tenu de la formation en internat, mieux vaut un diplôme national équivalent à un DESC, qui concerne une compétence et non une spécialité.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Devrons-nous arbitrer ?

M. Xavier Deau . - Le diplôme interuniversitaire était la seule voie possible. Nous l'avons reconnu par le droit au titre, en autorisant les médecins qui ont validé cette formation à l'apposer sur leur plaque. Nous avons également conforté la maquette d'enseignement, pour renforcer l'apprentissage des actes techniques et avons demandé que soit élargi le recrutement universitaire. Il est vrai qu'il serait bon que ce DIU se transforme en DESC, cependant le médecin ne doit pas abandonner sa spécialité mais exercer avec une compétence particulière.

M. Luc Sulimovic . - Si le dermatologue veut faire de la nutrition...

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Esthétique ?

Mme Lydia Houri . - Oui, en cas d'acné, par exemple.

M. Luc Sulimovic . - ... il faudra qu'il se forme.

M. Xavier Deau . - Le ministère de l'enseignement supérieur, qui a souvent un temps de retard, veut que l'on conforte le DIU. Après cinq ou dix ans de recul, tout le monde veut parvenir à la mise en place un DESC. Cela assurerait une plateforme commune à toutes les spécialités sans marginaliser la médecine esthétique : on serait dans la prévention et le bien vieillir.

Mme Lydia Houri . - Le diplôme interuniversitaire est venu combler un vide : jusqu'en 2004, la médecine esthétique était essentiellement l'affaire de compagnonnages privés. Le DIU est enseigné à Lyon, mais dépend aussi d'autres universités - Montpellier, Paris et Pointe-à-Pitre. A l'époque, la création de ce DIU découlait du constat que la médecine esthétique était une médecine nouvelle mais qui s'apprend.

Le geste ne compte pas seul : le diagnostic est essentiel. Un DESC nécessite des stages, ce qui suppose de trouver des services hospitaliers et ce n'est pas facile. Les ministères concernés - enseignement supérieur et santé - constatent que le DIU a permis de sensibiliser à la prévention des infections, de connaître le champ des actes à ne pas dépasser, d'anticiper l'évolution des techniques, de différencier entre le besoin et le fantasme du patient, en définissant une déontologie. Pour aboutir à la mise en place d'un diplôme national, ils nous demandent l'extension à quatre villes. Un DESC, qui serait l'idéal, se heurte à bien des difficultés pratiques, car il n'existe pas de services hospitaliers dédiés à la médecine esthétique - c'est pourquoi nous proposons des stages pratiques en centres libéraux. Pour l'heure, nous disposons d'un DIU élargi, bien assis sur son socle universitaire. Près de six cents médecins ont été formés sans aucun sinistre notable.

M. François Turmel . - Je suis tout à fait pour le DESC dans la mesure où il permet à toutes les spécialités d'intégrer une composante esthétique. Depuis 2002, nous en sommes à la troisième version du DIU, qui a aujourd'hui acquis ses lettres de noblesse avec le droit au titre du Conseil de l'ordre. Ce diplôme a le mérite d'exister, d'offrir un apprentissage des actes, qu'on n'apprend pas dans les livres. Le projet de décret prévoit une validation des acquis - il faudra peut-être proroger la date de forclusion. Reste que je suis plutôt favorable au DESC.

M. Jean-Jacques Mirassou . - S'il s'agit d'une problématique de santé publique, médecines de ville et hospitalière devraient marcher ensemble. Il ne devrait pas y avoir ce vide sidéral à l'hôpital, ce qui renforce d'ailleurs ma remarque initiale.

M. Luc Sulimovic . - Il existe, dans le milieu hospitalier, l'angoisse d'un appel d'air des médecins généralistes, en nombre déjà insuffisant, vers la médecine esthétique. Mais l'essentiel doit être la sécurité : mieux vaut organiser des stages à l'université que de laisser se développer des formations sauvages.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - L'important, pour nous, c'est que le cadre soit légitime et sécurisé ; la formation est préférable au recours à des officines à l'étranger.

Mme Lydia Houri . - Nous sommes d'abord allés assurer diverses composantes de la formation dans chaque ville, mais c'est épuisant. D'où le choix de Lyon, qui sera peut être partagé avec Paris et éventuellement Strasbourg.

M. Luc Sulimovic . - On en revient à une absence de quota, le DIU ne permet pas le contrôle des entrées et des sorties. En France, toutes les spécialités sont contrôlées : aucune raison ne justifie que la médecine esthétique ne se soumette pas aux mêmes exigences.

Mme Lydia Houri . - Nous donnons tous les ans la liste de ceux qui ont réussi et de ceux qui ont été inscrits au probatoire. En sept ans, nous n'avons jamais dépassé le quota fixé par le Conseil de l'ordre.

M. Christian Dubreuil . - N'oublions pas que la médecine est du compagnonnage. A Lyon, les médecins ont été formés en cliniques par manque de places d'internes, mais sous contrôle universitaire. On ne peut donc pas parler de médecine esthétique à deux vitesses.

M. François Turmel . - Comme on manque de places d'internat, beaucoup font leur stage en cabinet privé, et personne n'y trouve à redire. Nous n'allons pas vers une médecine esthétique à deux vitesses : 93 % de notre patientèle est dans la moyenne, seulement 7 % est issue de la classe haute. Cela dit, nous pratiquons de l'esthétique et la question peut se poser du déconventionnement des médecins qui ne pratiquent que l'esthétique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Là n'est pas l'objet de la mission.

Mme Lydia Houri . - Pourquoi un déconventionnement, alors que la médecine esthétique ne constitue qu'une compétence particulière d'un médecin généraliste ou spécialiste ? Grâce au DIU, à l'hôpital, en gérontologie, on nous a ouvert une aire de soins pour les malades d'Alzheimer, avec l'espoir que retrouver un visage rajeuni aide au retour de la mémoire.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Seriez-vous favorables à une délégation par les médecins de certains actes tels que les injections ou l'épilation, à des personnels non-médecins ?

Mme Catherine de Goursac . - La plupart des assurances exigent que nos assistants soient des professionnels de santé. Mon assistante est infirmière. Elle n'aurait pas pu suivre le DIU de laser, réservé aux infirmières employées par des dermatologues, si je ne m'étais pas installée avec une dermatologue.

M. Luc Sulimovic . - Il est impératif de bien distinguer la délégation d'actes et le transfert de compétences. La délégation d'actes, lorsque le délégué est seul et pleinement responsable de son acte, c'est de l'exercice illégal de la médecine, parce que la personne s'autonomise. La délégation de compétences est d'une autre nature : le manipulateur en radiologie demeure sous l'autorité et la responsabilité du radiologue.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - L'infirmière aussi ?

M. Luc Sulimovic . - Elle a ses actes propres. La question est celle de la délégation complète de l'acte qui ouvre la voie à des professions sous-médicales, comme en ophtalmologie aux Etats-Unis ! C'est un problème pour la sécurité des patients. Aujourd'hui, l'entreprise médicale permet d'avoir un personnel sous la responsabilité du médecin.

Mme Lydia Houri . - Le médecin sait ce qu'il doit déléguer.

M. Luc Sulimovic . - On est en train de créer une profession spécifique d'assistant de dermatologie, comme le radiologue a un manipulateur radio : libre aux autres spécialités de créer leurs propres assistants spécifiques.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Seriez-vous favorables à la mise en place d'un dossier médical du patient ayant recours à un acte de médecine esthétique, un carnet esthétique en somme, comprenant des informations relatives aux dispositifs et produits utilisés, aux zones concernées, etc. ?

M. Xavier Deau . - Le dossier médical s'impose à tous. Tout patient doit avoir un dossier médical, sous forme papier ou électronique. Il doit être renseigné quand des actes esthétiques sont exécutés.

Mme Catherine de Goursac. - Les patients doivent en disposer.

Mme Lydia Houri . - Tous les médecins qui pratiquent la médecine esthétique assurent la traçabilité de leurs actes, reportés dans un carnet remis au patient depuis 2004, dont nous conservons un double inclus dans le dossier médical.

M. Luc Sulimovic . - Le patient esthétique a tendance à cacher ou à égarer son carnet... Cela dit, je suis pour.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Qu'il le cache s'il veut, mais qu'il en ait un !

M. Luc Sulimovic . - On doit parfois interroger un autre médecin. La traçabilité est importante, y compris pour des produits qui ont une autorisation de mise sur le marché (AMM). Il faut y obliger les fabricants de produits injectables, comme la toxine botulique pour laquelle nous ne disposons pas d'étiquette collante et nous devons recopier le numéro du lot.

Mme Catherine de Goursac . - Nos patients ont tendance à être plus nomades. Il existe une difficulté à reconstituer leur parcours médical.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - C'est exact. Il faut l'interroger si nécessaire, en le mettant en confiance.

M. Christian Dubreuil . - Cent dix produits à base d'acide hyaluronique sont disponibles sur le marché. D'où viennent les produits ? Comment sont-ils fabriqués ? On risque d'avoir des accidents liés au produit plutôt qu'à l'acte médical lui-même.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Primum non nocere. Il est essentiel que les produits soient de qualité et authentifiés. Le marquage CE impose une coordination européenne. Il est fondamental que la sécurité du malade ainsi que des pratiquants soit assurée.

M. Luc Sulimovic . - Se pose le problème des moyens de contrôle. Le cas des prothèses PIP illustre qu'il n'y a pas assez de contrôles inopinés. Non que je défende la multiplication des marques d'acide hyaluronique, mais s'il y en a moins aux Etats-Unis, c'est aussi qu'ils utilisaient auparavant d'autres produits et en raison de pratiques protectionnistes. En France, certaines chaînes de fabrication sont dédiées au marché américain, pour répondre aux exigences du contrôle : la Food and Drug Administration (FDA), qui se déplace, ne tolère aucun écart.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Certains disent qu'ils ont refusé les prothèses PIP par protectionnisme. Il faut une coordination européenne. Tant que l'on en reste à des certifications sans vérification, il y a des dérives et l'on peut tomber sur des escrocs. Notre objectif est de faire des propositions que nous allons élargir à la médecine esthétique. Nous irons aux Etats-Unis et dans les pays du Nord, qui ont l'expérience des registres. Le problème, c'est la sécurité, celle du malade et celle des pratiquants - comment ont-ils choisi leurs prothèses ? Certaines sont défaillantes.

Il y a une petite difficulté avec les esthéticiennes, qui sont blanches comme neige... Quant aux dentistes, ils tiennent au sillon naso-génien. Les « querelles de boutique » nous intéressent moins que de savoir à partir de quand un acte peut être médical. Quelles sont vos recommandations pour l'encadrement des actes à visée esthétique qualifiés de « non médicaux » ? Je pense, par exemple, à l'épilation par lumière pulsée pratiquée par les esthéticiennes...

M. Luc Sulimovic . - Mauvais exemple !

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Les esthéticiennes le revendiquent !

M. Luc Sulimovic . - Elles ont été condamnées pour exercice illégal de la médecine !

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Il se pratique. Que fait le Conseil de l'ordre ?

M. Luc Sulimovic . - C'est un problème de législation. C'est toujours le problème de la classification des matériels. Les lampes flash sont apparues après les lasers, qui étaient réservés aux médecins ; elles ont progressivement gagné en puissance. Reste qu'un arrêté de 1962 encore en vigueur précise que les esthéticiennes ne peuvent épiler qu'à la pince et à la cire. Il y a un diagnostic médical à faire... L'hyper-androgénie n'est pas rare. Les lampes flash utilisent le même principe qu'un laser. Une destruction de lésion cutanée, c'est sérieux : un mélanome, potentiellement, ça tue !

Mme Lydia Houri . - Chacun son métier.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Encore faudra-t-il préciser les catégories d'appareils.

M. Luc Sulimovic . - Il s'agit plus de définir des rayonnements électromagnétiques que des catégories de matériel.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Je ne parle pas des ventes libres sur Internet.

M. Luc Sulimovic . - Pour les UV, l'incidence du bronzage sur l'augmentation des mélanomes est avérée.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Mais on trouve des appareils à lumière pulsée dans les grands magasins.

M. Luc Sulimovic . - C'est fort dommage.

Mme Catherine de Goursac . - Il existe des procédés physiques à risque, tels que l'usage des ultrasons ou des ondes radio, dont on ne connaît pas les effets secondaires.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Seriez-vous favorables à la mise en place d'un mécanisme d'indemnisation des accidents médicaux sans faute liés à un acte de médecine esthétique - un fonds alimenté par une surprime assurantielle par exemple ?

M. Christian Dubreuil . - C'est de la médecine, au même titre que la cardiologie ou la chirurgie.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - N'y a-t-il pas d'aléas ?

M. Christian Dubreuil . - Nous sommes dans le champ de la loi sur les droits des malades de 2002. Il est normal qu'en cas de préjudice sans faute, les gens soient indemnisés soit par les assureurs privés, soit par l'office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam) selon le degré de déficit fonctionnel permanent : en-dessous de 25 % d'incapacité, indemnisation par l'assureur, au-delà par l'Oniam.

M. François Turmel . - La sinistralité en médecine esthétique est très faible, vingt fois inférieure aux actes chirurgicaux. Nous payons déjà une prime d'assurance dix fois supérieure à celle d'un médecin généraliste. Nous sommes opposés à la mise en oeuvre d'une surprime, d'autant qu'il y a l'Oniam et les commissions régionales de conciliation et d'indemnisation (CRCI).

M. Jacky Le Menn, président . - Vous la payez déjà !

M. Christian Dubreuil . - Les appareils à radiofréquence librement commercialisés sont-ils soumis à un contrôle ?

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Cela relève de la réglementation commerciale.

M. Xavier Deau . - Le Conseil de l'ordre a la volonté de ne pas marginaliser, au risque de jeter sur elle le soupçon, cette médecine à part entière qui nécessite une formation universitaire et sur laquelle pèsent les mêmes obligations que pour tout médecin, notamment en termes de tenue du dossier médical ou d'assurance. La médecine esthétique doit être un complément d'exercice à une spécialité existante.

Mme Catherine de Goursac . - La formation continue devrait être obligatoire.

M. Luc Sulimovic . - Elle l'est avec le développement personnel continu (DPC). Tout est organisé.

M. François Turmel . - Vous ne nous avez pas interrogés sur l'accréditation ?

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Il m'a semblé que vous aviez répondu.

M. François Turmel . - J'avais proposé au ministère une procédure d'accréditation pour les médecins esthétiques. Il ne l'a pas retenue car cela nécessitait de modifier la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - J'ai considéré en effet que la question était inutile. Il ne faut pas assommer les médecins. Dès lors qu'ils sont formés par l'université, qu'ils peuvent suivre une formation continue, est-il bien nécessaire de créer une accréditation ?

M. François Turmel . - On peut accréditer plus facilement les structures. Le projet de norme Afnor est une usine à gaz.

Mme Lydia Houri . - Le projet de décret définit bien les actes des médecins, les équivalences, la formation. Tout serait beaucoup plus clair s'il était publié.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Il y a un impondérable, les élections. Il n'est pas utile d'opposer les uns aux autres.

M. Luc Sulimovic . - Distinguons les actes esthétiques médicaux des autres !

Mme Lydia Houri . - Pourquoi les dentistes s'opposeraient-ils à ce sur quoi les médecins se sont mis d'accord ?

M. Luc Sulimovic . - C'est un problème de sémantique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - En matière de loi, elle est essentielle !

M. Jacky Le Menn, président . - Je vous remercie tous de votre contribution à cette audition qui a été très riche.

Audition de M. Jean-Yves GRALL, directeur général de la santé (DGS) (mardi 24 avril 2012)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous accueillons M. Jean-Yves Grall, directeur général de la santé. Monsieur le directeur général, je souhaite que vous nous apportiez des précisions sur les enseignements et les suites que l'on peut tirer des affaires relatives aux prothèses mammaires et de hanche.

Nous attendons également de vous des éléments portant sur la médecine esthétique, la formation des médecins et l'encadrement des interventions, qui tendent de plus en plus à se répandre dans les officines commerciales, ce qui pose la question de l'interdiction de certains actes.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - L'actualité récente a été marquée par la répétition d'incidents relatifs à la sécurité de dispositifs médicaux implantables. Pourquoi le dispositif de sécurité sanitaire et de matériovigilance n'a-t-il pas été en mesure d'identifier plus tôt les défaillances des prothèses PIP ? En dehors de ce cas, qui relève plutôt de la fraude, pourquoi l'alerte est-elle d'abord donnée ailleurs qu'en France, par exemple en Australie dans l'affaire des prothèses de hanche DePuy ? Quelles mesures ont été prises par la DGS, tutelle de l'Afssaps, pour prévenir la récurrence de tels événements ou, en tout cas, pour permettre leur détection plus rapidement ?

M. Jean-Yves Grall, directeur général de la santé . - Je souhaite souligner l'importance de la déclaration des effets indésirables ainsi que des signaux de matériovigilance. En l'occurrence, la détection n'a pas été optimale. En effet, jusqu'à l'inspection sur site réalisée par l'Afssaps en mars 2010, il y a eu très peu de déclarations d'effets indésirables.

En 2009, nous avons enregistré quarante déclarations d'effets indésirables des prothèses PIP. Leur nombre a été multiplié par onze entre mars 2010 et décembre 2011. Les dernières données du recueil de l'Afssaps font apparaître, pour le seul mois de mars 2012, près de deux cents déclarations de rupture.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Des ruptures se sont certainement produites avant le début de l'affaire. Comment, dès lors, procéder aux vérifications nécessaires ?

M. Jean-Yves Grall . - L'organisation de la surveillance des prothèses mises sur le marché pose problème. Les organismes notifiés et l'Afssaps, confrontés à une fraude caractérisée, n'ont pas donné l'alarme.

Nous proposons de réorganiser le système des vigilances, en facilitant les déclarations, grâce à la mise en place d'un portail unique, par exemple en prévoyant un retour systématique de la déclaration faite par le déclarant et en impliquant le niveau régional de manière systématique. Le fabricant doit faire connaître à l'Afssaps les avis des autorités étrangères sur un produit. Il semble également nécessaire de sérier les dispositifs : les dispositifs médicaux de classe III devraient faire l'objet d'une inspection annuelle par l'Afssaps. Tout cela requiert une modification de la législation européenne. Peut-être faudrait-il également s'inspirer de ce qui existe pour les médicaments, avec une étude préalable avant autorisation de mise sur le marché, si les études pré et post-exposition ne suffisent pas.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Comment travaillez-vous avec l'Afssaps et la Haute Autorité de santé (HAS) pour assurer le suivi après commercialisation ? Un article paru aujourd'hui est très dur à l'égard du système actuel.

M. Jean-Yves Grall . - Nous assurons le pilotage et la tutelle de l'Afssaps, qui est chargée du contrôle. Nos relations avec elle vont être régies par un contrat d'objectifs et de performance. La HAS, chargée de l'évaluation technique des dispositifs médicaux par la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé, la CNEDiMTS, est indépendante, mais nous devrions pouvoir collaborer via une convention.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Tout cela est bien vague.

M. Jean-Yves Gral l. - Avec l'Afssaps, les modalités de contrôle seront définies par le contrat d'objectifs et de performance qui sera établi d'ici quatre mois.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Le marquage CE s'avérant insuffisant, faut-il rendre obligatoires les essais cliniques pré et post-inscription ?

M. Jean-Yves Grall . - Le calcul d'un rapport bénéfices-risques semble, en tout cas, nécessaire pour les dispositifs à haut risque. De tels essais, même s'ils sont intéressants, seraient insuffisants. Il faut s'aligner sur la procédure applicable au médicament, avec des dispositifs d'autorisation de mise sur le marché.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Cela vaut-il pour la surveillance ?

M. Jean-Yves Grall . - Cela vaut pour l'établissement des conditions laissant apparaître qu'un dispositif peut être mis sur le marché.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Pour tous les dispositifs de classe III ?

M. Jean-Yves Grall . - Oui.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Etes-vous favorable à la création de registres ?

M. Jean-Yves Grall . - C'est un outil de suivi très utile, mais un registre doit être exhaustif. Il en existe déjà un pour les prothèses de hanche.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Mais il ne semble pas être performant ni complet.

M. Jean-Yves Grall . - Les inscriptions ou déclarations sont trop peu nombreuses. Toute la question est de savoir comment les rendre nécessaires, voire obligatoires. Peut-être en conditionnant la procédure de remboursement à cette inscription.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Il semble que, jusqu'à présent, on se souciait peu de ce problème.

M. Jean-Yves Grall . - La réflexion portant sur la révision de la réglementation européenne applicable aux dispositifs médicaux est en cours. Elle avait débuté bien avant le scandale des prothèses PIP, mais le processus est long.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Faut-il élargir l'accès aux bases de données existantes, comme Eudamed ?

M. Jean-Yves Grall . - Ce serait utile. La transparence de l'information permet l'alerte et donc la sécurité.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - J'en viens aux questions sur la médecine esthétique. Savez-vous combien de médecins la pratiquent et quels sont les actes les plus fréquents ?

M. Jean-Yves Grall . - Je n'ai pas d'éléments chiffrés. Les actes de médecine esthétique peuvent être pratiqués par plusieurs spécialités différentes, car la discipline de médecine esthétique n'existe pas en tant que telle.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - La formation des médecins est-elle suffisante ? Comment l'améliorer ?

M. Jean-Yves Grall . - Encadrer la médecine esthétique est une nécessité absolue. La formation devrait être spécifique. Un diplôme universitaire ne suffit pas : je suis pour une formation définie nationalement, comme un diplôme d'études spécialisées complémentaires (DESC). Cette formation spécifique, homogène et de haut niveau, doit non seulement concerner les gestes, mais également prendre en compte les effets dans le temps et la prise en charge des complications.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Que pensez-vous de la controverse relative à l'utilisation d'acide hyaluronique par les chirurgiens-dentistes ? Qu'est-ce qui a amené la DGS et la direction générale de l'offre de soins (DGOS) à écrire à l'Ordre des chirurgiens-dentistes ?

M. Jean-Yves Grall . - C'est le résultat d'une saisine de l'Ordre des médecins et de celui des chirurgiens-dentistes. Nous avons ainsi rappelé la réglementation.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Ce n'est pas ce que nous avons entendu dire. J'aimerais que vous me confirmiez par écrit que vous avez bien été saisi par l'Ordre des chirurgiens-dentistes.

La DGS contribue-t-elle à informer les patients sur les risques liés à la médecine et à la chirurgie esthétiques ?

M. Jean-Yves Grall . - Cela existe déjà pour la lipolyse, et nous allons continuer dans cette direction.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Que pensez-vous du développement du tourisme « esthétique » ? Pèse-t-il sur le système de soins français ?

M. Jean-Yves Grall . - Il peut peser en cas de complications liées à l'intervention, qui seraient prises en charge en France. Comme ce phénomène se développe, j'appelle à la vigilance sur la qualité des interventions.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - On propose des séjours à l'étranger, comprenant un séjour en milieu médical puis des soins en milieu hôtelier. Comment réglementer ces pratiques ?

M. Jean-Yves Grall . - Cela touche surtout la chirurgie esthétique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - En effet, et c'est le plus grave !

M. Jean-Yves Grall . - Il faut travailler sur le sujet avec la DGOS, voir si cela entraîne des complications susceptibles d'être prises en charge par notre système de soins. La mesure du phénomène est peut-être malaisée.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Que vous inspire le développement d'actes à visée esthétique pratiqués par des gens qui ne sont ni médecins ni dentistes ? On m'a par exemple invité à Toulon pour voir un nouveau laser...

M. Jean-Yves Grall . - La situation n'est pas satisfaisante. Il y a, de fait, un vide réglementaire, qui peut être utilisé par certains professionnels pour développer des actes à visée esthétique sans limite sécuritaire. Nous travaillons donc à un meilleur encadrement. Un décret devrait préciser prochainement la qualification et la formation des professionnels pouvant pratiquer des actes à risque sérieux, ainsi que les conditions dans lesquelles ils pourront être réalisés. Trois décrets sont en préparation, sur les médecins, les chirurgiens-dentistes et les esthéticiens. Le premier est prêt, les deux autres sont en préparation.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quand seront-ils publiés ?

M. Jean-Yves Grall . - Le premier a été transmis à l'autorité signataire, nous en attendons la publication.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Comment comptez-vous rebondir après l'annulation partielle par le Conseil d'Etat du décret du 11 avril 2011 relatif à l'interdiction des techniques de lyse adipocytaire ?

M. Jean-Yves Grall . - Nous avons fait appel à la HAS et à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l'Anses, pour reformuler le décret. Nous sommes dans l'attente de leur réponse. Nous avons également demandé l'avis de la HAS sur les risques liés à l'utilisation des produits de comblement, des ultraviolets et de la mésothérapie.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - A Périgueux, deux « bars à sourire » ont ouvert cette semaine. Comment s'assurer du respect de la réglementation par ces établissements, notamment en matière de concentration de produits utilisés ?

M. Jean-Yves Grall . - Une directive européenne du 20 septembre 2011 prévoit que les produits de blanchiment contenant entre 0,1 % et 6 % de peroxyde d'hydrogène seront réservés aux chirurgiens-dentistes. Elle est en cours de transposition. L'opération de blanchiment doit être précédée d'un examen dentaire pour éviter des douleurs éventuelles.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Dans les « bars à sourire », la concentration doit donc être inférieure à 0,1 % ?

M. Jean-Yves Grall . - De toute façon, ce produit exige un examen préalable de la dentition.

Nous avons publié, le 5 décembre 2011, un communiqué de presse commun avec la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour attirer l'attention du public sur ce sujet. Par ailleurs, une campagne d'inspection est en cours avec l'Afssaps et la DGCCRF.

Se pose un autre problème, celui de l'exposition à la lumière bleue des diodes, qui n'est pas sans danger pour les yeux.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Des études scientifiques récentes rappellent les effets néfastes de l'exposition de la peau aux UV artificiels. Ne faudrait-il pas, tout au moins, renforcer l'information des utilisateurs sachant qu'il est difficile d'interdire la vente de tels produits ?

M. Jean-Yves Grall . - Il faudrait déjà se poser la question de l'accès à des appareils à UV personnels que l'on peut utiliser soi-même !

La réglementation applicable aux cabines à UV, en matière de formation des professionnels, de contrôle des pratiques et des appareils, a été renforcée depuis 1997. La loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) a alourdi les sanctions. Elles peuvent être d'ordre administratif et financier. Enfin, une campagne d'information ponctuelle, menée par l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, l'Inpes, a été réalisée. Elle sera suivie d'une campagne permanente sur le sujet.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - S'agissant de la matériovigilance, l'obligation de déclaration doit-elle peser d'abord sur les fabricants ou les utilisateurs ?

Est-il nécessaire de clarifier dans la loi la définition des actes à visée esthétique dangereux ?

Enfin, la responsabilité est-elle bien établie en matière de médecine esthétique, notamment en ce qui concerne la charge de la preuve en cas de conséquences néfastes ?

M. Jean-Yves Grall . - L'obligation de déclaration, en ce qui concerne la matériovigilance, doit peser sur tous, fournisseurs comme professionnels. Le signalement d'effets indésirables est un des éléments de vigie de notre système de sécurité sanitaire. Nous devons la rendre la plus efficiente possible.

Un décret fixera une liste aussi complète que possible des actes à visée esthétique.

Pour ce qui est de la médecine esthétique, la responsabilité incombe clairement à l'effecteur de l'acte.

M. René-Paul Savary . - Je souhaiterais obtenir des précisions par rapport aux propositions que vous avez faites relatives à l'évaluation, la formation des médecins. Mais qu'en est-il de l'harmonisation des règles en Europe ? La surveillance des dispositifs médicaux devrait-elle être plus longue que celle applicable aux médicaments ? Quid des implantations réalisées à l'étranger ?

M. Jean-Yves Grall . - Nous avons demandé à la Commission européenne que les firmes aient obligation de faire savoir si des problèmes ont été rencontrés dans d'autres pays. Une meilleure coopération entre les Etats est également nécessaire : l'affaire des prothèses PIP l'illustre. Nous réclamons ces deux points auprès des autorités européennes.

Mme Marie-Thérèse Bruguière . - Le tourisme esthétique se développe. Les éventuelles complications sont-elles prises en charge par la sécurité sociale, à quel taux et selon quels critères ? Les médecins ne peuvent-ils pas dénoncer ces pratiques quand ils en ont connaissance ?

M. Jean-Yves Grall . - Les pathologies sont prises en charge par la sécurité sociale au tarif habituel. Le signalement des complications doit entrer dans les moeurs des professionnels. Ce point est très important et nous sommes en train d'y travailler.

Audition de MM. Stanislas MARTIN, chef du service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés, Axel THONIER, sous-directeur en charge du secteur industrie, santé et logement, Alain BOULANGER, chef du bureau produits et prestations de santé et services à la personne, et Daniel MILES, membre du bureau produits et prestations de santé et services à la personne, à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) (mardi 24 avril 2012)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous accueillons MM. Stanislas Martin, chef du service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés, Axel Thonier, sous-directeur en charge du secteur industrie, santé et logement, Alain Boulanger, chef du bureau produits et prestations de santé et services à la personne, et Daniel Miles, membre du bureau produits et prestations de santé et services à la personne, à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Vous vous trouvez au coeur des questions qui nous intéressent et nous souhaitons aborder avec vous des thèmes aussi variés que le problème de la contrefaçon sur le marché des dispositifs médicaux implantables, les pratiques tarifaires anticoncurrentielles ou la fraude sur Internet. Nous souhaitons également recueillir votre avis sur l'encadrement des produits à visée esthétique, dont l'offre est abondante et qui sont parfois présentés dans la presse comme des produits miracles alors qu'ils ne sont pas sans danger, ainsi que sur le tourisme à visée esthétique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Parmi les dispositifs médicaux implantables contrôlés par la DGCCRF, quelle est la proportion de produits qui ont été saisis comme ne satisfaisant pas aux obligations communautaires de sécurité sanitaire (marquage CE, règles d'étiquetage et de conditionnement, contrefaçon, péremption, etc.) ? Certains types de dispositifs médicaux implantables sont-ils plus concernés par la fraude et la contrefaçon que d'autres ?

M. Stanislas Martin, chef du service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés à la DGCCRF . - La DGCCRF assure trois missions différentes : la régulation concurrentielle des marchés en lien avec l'Autorité de la concurrence, la protection économique des consommateurs et la sécurité des consommateurs. C'est cette dernière mission qui vous intéresse. La DGCCRF compte environ 2 800 agents répartis sur l'ensemble du territoire et compétents pour assurer l'ensemble de ces trois missions. La partie santé représente quinze personnes en administration centrale et une vingtaine de personnes en région, soit huit à neuf personnes en équivalent temps plein. Dans le sujet qui vous intéresse, la DGCCRF apporte un regard de généraliste, ses agents n'ayant pas de compétence médicale. En matière de surveillance du marché, elle détient en effet des pouvoirs de police générale, qui s'effacent derrière les pouvoirs de police spéciale qui existent par ailleurs.

De fait, les dispositifs médicaux implantables ne sont pas contrôlés par la DGCCRF : tout le dispositif de matériovigilance est organisé autour de l'Afssaps et la DGCCRF n'a pas accès aux informations de ce dispositif. L'accès à ces informations ne fait d'ailleurs pas partie de nos revendications puisque nous serions dans l'incapacité de les interpréter compte tenu de l'absence de compétences médicales en notre sein. C'est l'Afssaps qui détient les compétences médicales nécessaires à cette interprétation.

Au plan juridique, le pouvoir de la DGCCRF dans le domaine des dispositifs médicaux est doublement restreint. D'une part, c'est l'Afssaps qui détient le pouvoir de police spéciale, la DGCCRF n'ayant qu'un pouvoir de police générale. D'autre part, l'article L. 221-8 du code de la consommation prévoit que lorsqu'une police spéciale existe, la DGCCRF n'est habilitée à prendre que les mesures relevant de l'article L. 221-5 de ce même code, à savoir les mesures d'urgence, donc les retraits de produits du marché en cas de danger grave et immédiat. Ces retraits requièrent un arrêté conjoint avec le ministère de la santé. Pour déterminer si le danger est grave et immédiat, il est, une fois encore, nécessaire de bénéficier de compétences médicales. Dans le champ des dispositifs médicaux, c'est donc principalement l'Afssaps qui intervient.

Un protocole conclu avec cette agence en 2006 nous permet de répartir nos interventions en fonction de l'autorité la mieux placée face à un type de problème donné. De manière générale, l'Afssaps intervient principalement au stade de la fabrication des produits destinés aux professionnels de santé, la DGCCRF intervenant de manière privilégiée au stade de la distribution des produits directement destinés aux consommateurs individuels, comme par exemple les pansements.

Compte tenu de cette organisation juridique et technique, nous n'avons pas identifié de produits comme ne satisfaisant pas aux obligations communautaires de sécurité sanitaire.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous n'intervenez donc pas sur les dispositifs médicaux implantés ?

M. Stanislas Martin . - Non.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Y a-t-il des échanges d'informations avec l'Afssaps en matière de matériovigilance ?

M. Stanislas Martin . - Elle nous informe après coup pour une bonne coordination de nos administrations. Encore une fois, nous manquons des compétences médicales requises.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Réalisez-vous des inspections dans les lieux de production ?

M. Stanislas Martin . - Cela peut arriver, en complément de nos inspections au stade de la distribution, mais seulement pour les dispositifs médicaux destinés au grand public, et donc pas pour les dispositifs médicaux implantables.

M. Alain Boulanger, chef du bureau produits et prestations de santé et services à la personne . - Il existe trois grands types de dispositifs médicaux relevant de la compétence de la DGCCRF : les produits d'optique, les audioprothèses et les aides techniques telles que fauteuils roulants ou rampes d'escalier. Ces produits étant vendus au grand public, les inspecteurs de la DGCCRF sont les mieux placés pour les contrôler. Les circuits de commercialisation sont les pharmacies, les magasins spécialisés et Internet.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quid des produits à visée esthétique ?

M. Alain Boulanger . - Ils ne correspondent pas à une catégorie juridique, ce qui rend la réponse difficile. Parmi les produis à finalité esthétique, certains sont des dispositifs médicaux et nous retombons donc sur le partage évoqué précédemment, d'autres sont des produits cosmétiques pour lesquels les contrôles sont coordonnés avec l'Afssaps qui détient un pouvoir de police spéciale. Un troisième type de produits à finalité cosmétique rassemble des produits inclassables, ceux qui posent probablement le plus de difficulté et parmi lesquels figurent notamment les produits injectables utilisés pour la lyse adipocytaire, qui ont fait l'objet d'une interdiction en avril 2011. Cette dernière catégorie ne relevant ni des dispositifs médicaux, ni des produits cosmétiques, la DGCCRF retrouve ici sa compétence générale mais celle-ci apparaît difficile à exercer : face au principe de la libre circulation des marchandises au sein de l'Union européenne et à la liberté du commerce et de l'industrie, une interdiction requiert un motif de santé publique, lequel ne peut être mis en évidence que par une expertise. Or, l'expertise est réalisée par les agences sanitaires (l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, la Haute Autorité de santé, l'Afssaps, nos laboratoires) et ne parvient donc qu'indirectement à la DGCCRF. S'agissant de la lyse adipocytaire, ce n'est pas le produit qui a été interdit mais la pratique, sur la base de dispositions du code de la santé publique.

Ces « produits frontières » posent de grandes difficultés. La seule obligation qui s'impose est une obligation générale de sécurité, la même que pour les jouets ou les produits alimentaires. C'est une catégorie fourre-tout. Nous nous heurtons ici aux failles de la législation mais ce n'est pas pour autant que nous nous trouvons démunis tant dans les contrôles que dans les pouvoirs de police.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Qu'en est-il du contrôle des produits à visée esthétique vendus sur Internet au regard de la fraude et de la contrefaçon notamment ?

M. Stanislas Martin . - Lorsque nous contrôlons un produit, nous le faisons à la fois dans les magasins physiques et au sein du commerce électronique. Il existe une législation particulière sur la vente à distance mais qui relève davantage de la protection économique du consommateur, par exemple au sujet des délais de rétractation, que de la sécurité des produits. Certaines commercialisations de médicaments sur Internet peuvent s'avérer problématiques. En revanche, à ce jour, le centre de surveillance du commerce électronique de la DGCCRF, qui intervient dans toutes les enquêtes, n'a pas identifié de fraude particulière liée à la commercialisation de dispositifs médicaux sur Internet. Bien entendu, cela ne signifie pas qu'il n'en existe pas. Ce qui peut éventuellement poser problème, ce sont les sites implantés à l'étranger, surtout hors de l'Union européenne. Dans ce dernier cas, nous sommes démunis : il n'existe pas de stock physique en France. De plus, quand bien même nous déterminerions qu'un produit commercialisé sur un site internet hors Union européenne est dangereux, ce qui n'est déjà pas évident, nous ne disposerions pas des moyens juridiques nécessaires pour faire cesser sa commercialisation. C'est d'ailleurs pourquoi, fin décembre 2011, le Sénat a adopté en première lecture le projet de loi « renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs ». Ce texte comporte deux dispositions permettant de répondre à ce problème : la première autorise des agents de la DGCCRF à se faire passer pour des consommateurs lorsqu'il n'existe pas d'autre moyen de preuve possible, ce qui leur permettrait donc d'acheter et de se faire livrer le produit avant de l'envoyer au laboratoire pour examen, procédé impossible en l'état actuel du droit ; la seconde fournit la possibilité de demander au juge de fermer l'accès au site internet à partir du territoire national, soit via l'hébergeur dans l'hypothèse où le site est hébergé en France, soit via le fournisseur d'accès à Internet dans le cas contraire. Cela ne permettrait pas de sanctionner les délits passés mais d'éviter que d'autres consommateurs continuent d'acheter les produits concernés. Ces dispositions ne sont pas spécifiques aux dispositifs médicaux mais nous seraient très utiles pour contrôler les sites de commerce électronique les plus problématiques.

Mme Catherine Génisson . - Pensez-vous qu'il faille élargir votre compétence, et donc les moyens dont vous pourriez disposer pour la surveillance des produits médicaux à visée esthétique, ou estimez-vous souhaitable que cette compétence fasse elle aussi partie des missions, par exemple, de l'Afssaps ?

M. Stanislas Martin . - La répartition actuelle fonctionne car chacun se concentre sur son métier. Si nous devions nous voir conférer des compétences sur d'autres produits plus techniques, comme les dispositifs médicaux implantables, cela supposerait que nous recrutions des médecins et aurait un coût. Nous risquerions en outre de faire double emploi avec l'Afssaps. Transférer à l'Afssaps la compétence sur les produits destinés au grand public ne me paraît pas non plus optimal. Le fait que les contrôles au stade de la distribution soient réalisés par le même acteur permet une certaine synergie.

Mme Catherine Génisson . - Je pensais surtout aux produits tels que le silicone par exemple, qui ne constitue pas qu'un produit médical, loin s'en faut, et qui peut entrer dans la composition d'un dispositif médical. Est-ce un type de produit pour lequel vous avez voix au chapitre ? Qu'en est-il, le cas échéant, de vos compétences et de vos moyens ?

M. Alain Boulanger . - Les modalités actuelles du partage des missions entre la DGCCRF et l'Afssaps, qui tiennent compte des compétences propres à chaque réseau d'inspecteurs, nous paraissent pratiques. Nous estimons que les agents de la DGCCRF sont les plus aptes à contrôler les produits vendus au consommateur final, à un coût économique moindre, dans la mesure où ils opèrent les contrôles de sécurité sanitaire en même temps qu'ils s'acquittent de leurs missions de protection économique du consommateur. Revenir là-dessus supposerait de revoir les moyens affectés à chaque administration. Par ailleurs, lorsqu'il a créé l'Afssaps en 1998, le législateur a voulu la doter d'une part de pouvoirs d'inspection, d'autre part de pouvoirs de police spéciale, pouvoirs particulièrement renforcés. Le législateur partait du constat que les pouvoirs détenus par l'administration en application des règles du code de la consommation étaient insuffisants pour faire face aux défis de sécurité sanitaire posés tant par les médicaments que par les dispositifs médicaux. On a voulu donner un maximum de pouvoirs à l'Afssaps en la dotant d'inspecteurs spécialisés et d'experts, que l'administration du ministère de l'économie n'a donc pas choisi de recruter de son côté.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Comment assurez-vous le contrôle de la qualité des produits à visée esthétique, de l'innocuité de leur utilisation et du respect des mises en garde - je pense par exemple aux produits de blanchiment des dents ? Quel contrôle exercez-vous sur la publicité en faveur de ces produits afin que le client ne soit pas trompé ?

M. Alain Boulanger . - Il faut distinguer les produits cosmétiques d'une part et les produits de consommation courante de l'autre. S'agissant des premiers, c'est l'Afssaps qui dispose des pouvoirs de police spéciale, mais sur le terrain ce sont les inspecteurs de l'Afssaps et de la DGCCRF qui s'assurent conjointement du respect de la réglementation issue de la directive européenne 76/768 CEE du Conseil du 27 juillet 1976 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux produits cosmétiques (directive « Cosmétiques »), modifiée à plusieurs reprises et transposée dans le code de la santé publique. A partir de juillet 2013, les produits cosmétiques se verront directement appliquer un règlement européen et ses annexes. Concrètement, nous nous rendons sur les lieux, prélevons des échantillons et les faisons analyser pour vérifier leur conformité. Les produits de blanchiment des dents, par exemple, ne peuvent comporter plus de 0,1 % de peroxyde d'hydrogène.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Avez-vous inspecté des « bars à sourire » ?

M. Alain Boulanger . - Oui, certaines inspections sont encore en cours.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Dans le cadre des inspections qui ont déjà été menées à leur terme, avez-vous trouvé des dépassements ?

M. Alain Boulanger . - Oui, nous avons trouvé des produits non conformes.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Donc c'est toxique ?

M. Alain Boulanger . - Ce sont des produits que les experts considèrent comme dangereux. Plus précisément, ces produits cosmétiques comportent dans leur composition des substances chimiques qui, effectivement, peuvent être toxiques.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Qu'avez-vous fait dans ces cas-là ?

M. Alain Boulanger . - Le constat ne peut être immédiat car le produit est d'abord envoyé au laboratoire pour analyse. En cas de non-conformité, l'inspecteur qui a procédé au prélèvement prend les mesures qu'il estime utiles pour faire cesser le danger et engager les poursuites.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - C'est-à-dire ?

M. Stanislas Martin . - A partir du moment où le produit qui dépasse les normes admises a été repéré, nous remontons au responsable de la première mise sur le marché pour suspendre la commercialisation.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Et le responsable du bar ? Doit-il avoir des diplômes ?

M. Stanislas Martin . - La profession n'est pas réglementée ; aucune qualification n'est requise.

M. Alain Boulanger . - Dans les cas avérés, pour lesquels il n'existe pas encore de compte rendu officiel, aucune mesure de police n'a été mise en oeuvre de la part de l'Afssaps car cela ne s'est pas avéré nécessaire : une fois contactés, les fabricants ont retiré d'eux-mêmes leurs produits du marché.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Ils connaissent pourtant les règles applicables à leurs produits ?

M. Alain Boulanger . - Malheureusement, une ambigüité dans le droit applicable à ces produits a laissé penser à certains fabricants qu'ils étaient en droit de commercialiser des produits dont la concentration en peroxyde d'hydrogène était supérieure à 0,1 % en les rangeant sous le registre des dispositifs médicaux et en se soustrayant à la législation sur les produits cosmétiques. C'est pourquoi la DGCCRF a cru devoir rappeler, au mois de décembre dernier, que la législation sur les produits cosmétiques s'appliquait aux « bars à sourire ». La Commission européenne elle-même a estimé devoir remédier à ce flou dans la réglementation.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Venons-en aux lasers à lumière pulsée utilisés pour les épilations.

M. Alain Boulanger . - A priori les lasers, qui sont des dispositifs médicaux, ne sont vendus qu'à des professionnels de santé.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - J'ai reçu chez moi, comme consommateur, une invitation à assister à une démonstration d'appareil à lumière pulsée. N'importe qui peut donc en acheter.

M. Alain Boulanger . - La commercialisation de ces produits à lumière pulsée apparaît peu encadrée à l'heure actuelle. Le fabricant est tenu à l'obligation générale de sécurité de ses produits mais il est difficile d'en contrôler l'usage par les particuliers. Le problème est relativement récent. Il se pose surtout depuis que le prix de ces appareils est devenu plus abordable, c'est-à-dire inférieur à 10 000 euros.

En l'absence de législation particulière, laquelle devrait d'ailleurs être mise en regard avec le principe de libre circulation qui prévaut au sein de l'Union européenne, nous ne pouvons que veiller à ce que les notices de ces appareils soient suffisamment précises et comportent les avertissements nécessaires sur les dangers potentiels. L'usage par les professionnels est une autre question mais elle ne regarde pas les agents de la DGCCRF.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Vous êtes donc en demande d'encadrement légal ou réglementaire ?

M. Alain Boulanger . - Oui, nous devons vous l'avouer.

M. Stanislas Martin . - Effectivement, à partir du moment où ces appareils commencent à être diffusés dans le circuit de distribution grand public... Toutefois, l'encadrement risque de constituer une restriction aux échanges impliquant de devoir faire une notification à la Commission européenne sur la base de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques. La suite dépend de la sensibilité des autres Etats membres aux enjeux de santé publique et le débat doit se tenir au niveau communautaire.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Avez-vous identifié d'autres types de produits posant un problème similaire ?

M. Alain Boulanger . - Nous avons demandé à l'Anses et à la HAS un inventaire complet des produits se trouvant sur le marché, de leurs caractéristiques et de leurs risques potentiels. C'est sur cette base-là que nous interviendrons soit directement par une modification réglementaire apportée au code de la consommation, soit en portant l'affaire au niveau communautaire, pour que la Commission européenne s'empare elle-même du sujet, celui-ci dépassant le simple territoire français.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Avez-vous déjà identifié d'autres types de produits qui se situent à la limite de la réglementation et qui mériteraient que le législateur ou le Gouvernement intervienne ?

M. Alain Boulanger . - Les produits qui utilisent des ultrasons s'apparentent à certains dispositifs médicaux et pourraient engendrer des risques pour la santé.

M. Alain Néri . - Je suis surpris du flou des réponses. Quel que soit le prix du produit en question, ce qui importe est son caractère dangereux ou non. Le principe de libre circulation ? On ne compte plus les normes européennes sur tant de produits, et voilà qu'ici, on nous oppose ce principe ?

M. Stanislas Martin . - Tant que ces produits coûtaient très cher, la question de la vente au grand public ne se posait pas. Plus les progrès techniques ont permis de faire baisser les prix, plus les particuliers ont commencé à être intéressés.

Nous ne disons pas que le droit communautaire s'opposerait forcément à une législation ou à une réglementation nationale. Mais si nous voulons réglementer la commercialisation d'un produit sur le territoire national, il faut démontrer à la Commission et aux autres Etats membres que les dispositions envisagées et les objectifs de santé publique poursuivis sont proportionnés à la restriction des échanges qui s'ensuivrait. Dans cette perspective, la saisine de l'Anses va permettre de posséder un dossier scientifique étayé.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Que pensez-vous de l'utilisation du terme de massage par des personnes ne disposant d'aucune qualification médicale ou paramédicale ?

M. Stanislas Martin . - L'état du droit, tel que confirmé par la Cour de cassation, veut que le terme de massage soit réservé aux kinésithérapeutes, que le but du massage soit thérapeutique ou non. Conformément à la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat, le terme de massage se distingue de celui de modelage, lequel serait un massage qui resterait plus superficiel... Les esthéticiennes ne peuvent utiliser que ce dernier terme.

La demande des consommateurs est importante. Sur le principe, nous sommes plutôt favorables à l'existence d'une concurrence entre les opérateurs tant que cela ne porte pas atteinte à la santé publique. Dans une décision du 12 octobre 2010, la cour d'appel de Paris a condamné un institut de massage ayant usé du terme de masseur pour exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute mais en appliquant une sanction modérée : au vu « du peu d'entrain manifesté par les pouvoirs publics à faire application de la protection pénale de la profession de masseur-kinésithérapeute si l'on en juge par le nombre d'établissements, proposant des massages de détente, ayant pignon sur rue, il y a lieu d'appliquer une sanction modérée aux deux prévenus ».

A cela s'ajoute la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur (directive « services ») qui exclut de son champ d'application tout ce qui relève des soins de santé. Dès lors que le massage n'est pas à but thérapeutique, il tombe donc sous le coup de cette directive : un opérateur qui exerce légalement une activité de masseur autre que thérapeutique dans un Etat membre pourrait, d'assez bon droit à notre sens, se prévaloir de la directive « services » pour qu'on ne lui oppose pas la législation nationale. Sur ce point, la législation ne paraît donc pas très adaptée ni aux évolutions du marché, ni au droit communautaire.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous n'agissez donc pas face à cette multiplication de salons de massage ?

M. Stanislas Martin . - Cela relève du ministère de la santé, comme pour l'exercice illégal de la médecine.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quel est votre avis sur la réglementation applicable à la profession d'esthéticienne ?

M. Stanislas Martin . - Au-delà de la nécessité de réfléchir à une éventuelle évolution des règles qui distinguent le « massage » du « modelage » afin de mettre notre législation en conformité avec la directive « services », nous n'avons rien à ajouter.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quelle appréciation portez-vous sur le tourisme esthétique ? Que pouvez-vous faire face aux agences touristiques qui proposent des interventions à visée esthétique dans le cadre de séjours à l'étranger ?

M. Stanislas Martin . - Je vois mal comment les pouvoirs publics pourraient intervenir sur des pratiques de ce type au sein de l'Union européenne. A l'extérieur de l'Union européenne, il reste difficile de disqualifier globalement les prestations médicales d'un pays tiers.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Les soins de suite sont souvent assurés dans de simples hôtels. Ce n'est pas adapté !

M. Stanislas Martin . - Encore une fois, nous n'avons pas les compétences médicales.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - La publicité pour la chirurgie esthétique est pourtant interdite.

M. Alain Boulanger . - L'interdiction ne vaut que pour les installations autorisées en France. Mais il n'existe pas d'interdiction de principe de la publicité pour la chirurgie esthétique. Une entreprise étrangère qui fait de la publicité en France est dans son droit.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie.

Table ronde sur la place de l'esthétique dans la ligne éditoriale de la presse magazine (mardi 24 avril 2012)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je remercie les participantes à cette table ronde, qui font partie des rédactions des magazines Elle, Marie Claire et Grazia, tout en regrettant que les représentants d'autres magazines n'aient pas souhaité y prendre part. Sachant que vos articles contribuent souvent à créer des tendances et à promouvoir de nouvelles techniques esthétiques, nous souhaiterions comprendre, sans préjugés ni parti pris, comment vous définissez vos sujets, et quelles réponses vous recevez de vos lectrices et lecteurs. Il est d'ailleurs dommage qu'aucun magazine masculin n'ait donné suite à notre invitation.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quelle place accordez-vous à l'esthétique et aux interventions à visée esthétique, médicales ou non, dans la ligne éditoriale de votre magazine ? Avec quelle régularité et sous quel angle ces thèmes sont-ils abordés dans vos colonnes ?

Mme Julie Lasterade, chef du service beauté-santé du magazine Grazia . - Nous traitons au moins deux fois par an, au printemps, à la rentrée et parfois en fin d'année, dans des numéros spéciaux, des thématiques anti-âge. Nous abordons également ces sujets à travers notre couverture de l'actualité, comme ce fut le cas avec les prothèses PIP.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Est-ce que ce sont des sujets médicaux ?

Mme Julie Lasterade . - Pas uniquement, la notion d'anti-âge comprenant aussi bien les crèmes que la médecine et la chirurgie esthétiques, cela dépend du thème de l'article et de l'actualité.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Il y a bien toujours une dimension esthétique dans vos publications, n'est-ce pas ?

Mme Julie Lasterade . - Oui, bien sûr.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Qui traite ces sujets ? Avez-vous des spécialistes dans vos équipes ? Des médecins pour les sujets médicaux ?

Mme Julie Lasterade . - C'est moi, entre autres. Nous interrogeons des médecins, mais ils n'écrivent pas les articles.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Une rubrique est-elle réservée à la santé ?

Mme Julie Lasterade . - Non. Ces sujets apparaissent dans la rubrique beauté. Il n'y a pas, à proprement parler, de section consacrée chaque semaine à la santé dans Grazia, notre couverture dépend plutôt de l'actualité et des tendances.

Mme Monique Le Dolédec, rédactrice en chef adjointe beauté du magazine Elle . - Nous faisons un suivi régulier des évolutions du secteur de l'esthétique, sous différents angles et en fonction de l'actualité. Elle fait environ une accroche par mois sur l'esthétique, soit un numéro sur quatre. Nous réalisons aussi des sujets thématiques réguliers, avec une fois par an des numéros estampillés « Rajeunir » qui comportent une cinquantaine de pages dédiées, « Spécial kilos » ou encore « Cellulite »...

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Voila bien un numéro ambitieux !

Mme Monique Le Dolédec . - Le choix des mots utilisés est très important et fait l'objet, de notre part, d'une longue réflexion. Ainsi, nous n'utilisons plus le terme « maigrir », car c'est une notion à l'intérêt discutable. Tous ces numéros se vendent bien.

Par les sujets traités, nous ne faisons que refléter les préoccupations des femmes qui ont des attentes, des espérances, des envies, mais aussi des méfiances et des interrogations. Nous sommes comme des éponges qui intègrent et répondent à ce qui se passe dans la tête et le corps des femmes. Nous n'avons pas la science exacte mais nous leur apportons des réponses et des éclairages en faisant des enquêtes, en nous renseignant sur les nouveaux produits, en les testant. Notre métier est bien d'aider les femmes.

Nous publions aussi des témoignages sur des sujets ponctuels, plutôt sous l'angle de la psychologie ou de l'estime de soi, comme « La chirurgie esthétique a changé ma vie », ainsi que des articles qui rendent compte de phénomènes qui font l'actualité ou suscitent des polémiques, comme ce fut le cas pour ce que l'on a appelé le « vampire lift », technique qui consiste à réinjecter dans le visage du patient son sang préalablement prélevé après l'avoir passé à la centrifugeuse. Dans des cas pareils, nous enquêtons : il est hors de question d'en faire état sans en savoir plus. Tel a été notre comportement également lorsqu'il s'est agi de parler du laser fractionné ou de la cryothérapie.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Mettez-vous en garde contre les risques de ces techniques ?

Mme Monique Le Dolédec . - Bien sûr, c'est notre métier. Nous cherchons continuellement à faire la part des choses, entre le pour et le contre, mais nous nous interdisons de juger : nous mettons les éléments à disposition de nos lectrices, sans stigmatiser celles d'entre elles qui ont recours à ces techniques. Nous les interrogeons plutôt sur leur expérience et les résultats qu'elles estiment avoir obtenus grâce à de telles interventions. Lorsque surgissent des polémiques, comme sur les cabines UVA, le blanchiment des dents ou la qualité du Botox(c) vendu sur Internet, elles sont traitées plutôt dans la partie généraliste de notre magazine que dans la section beauté afin de les aborder sous un angle plus large.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Comment préparez-vous vos articles ? Quel est le travail de recherche que vous menez ? Vos enquêtes sont-elles toujours approfondies ?

Mme Ariane Goldet, rédactrice en chef santé-beauté-forme du magazine Marie Claire . - Elles le sont d'autant plus qu'il en va de la santé de nos lectrices. En matière d'esthétique, nous ne publions aucun article qui n'a pas été relu ou qui n'a pas fait l'objet d'une véritable enquête.

Mme Monique Le Dolédec . - Nous sommes beaucoup lus, nous n'avons donc pas le droit à l'erreur.

Mme Ariane Goldet . - Et nous faisons confiance aux spécialistes pour nous prévenir si jamais nous avons malgré tout fait une erreur.

Mme Julie Lasterade . - Nous ne pourrions rien écrire si nous n'enquêtions pas.

Mme Monique Le Dolédec . - Nous sommes des journalistes à part entière et, au même titre que des journalistes politiques ou économiques, nous enquêtons sur les sujets qui paraissent dans nos colonnes.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Ecrivez-vous sur les ratés ?

Mme Ariane Goldet . - Nous parlons tout autant des points positifs que des points négatifs. Nous présentons le pour et le contre, ce qui nous conduit régulièrement à écrire, par exemple, sur les dangers des injections trop importantes de Botox(c) qui ont été mis en lumière aux Etats-Unis et se traduisent par des maux de tête. S'agissant des nouvelles techniques, nous précisons toujours que nous n'avons pas assez de recul pour en mesurer pleinement les effets et, le cas échéant, qu'aucune étude scientifique n'a été publiée dans une revue de référence.

M. Alain Néri . - Considérez-vous que vos articles sont scientifiques ou de vulgarisation ?

Mme Ariane Goldet . - Dans mon cas, je considère que nous faisons de la vulgarisation. Marie Claire n'est pas un journal scientifique.

Mme Isabelle Sansonetti, journaliste au magazine Elle . - C'est la même chose pour Elle : nous mettons en garde nos lectrices lorsque les techniques sont nouvelles et nous interrogeons des spécialistes afin de nous faire notre propre idée sur la question.

M. Alain Néri . - La vulgarisation des différentes formes d'interventions esthétiques dans vos colonnes n'encourage-t-elle pas des personnes facilement influençables à courir des risques et à se soumettre à des pratiques sans que leur consentement éclairé ne puisse être établi ?

Mme Ariane Goldet . - Certaines femmes veulent de toute façon recourir à ces techniques, autant qu'elles soient informées des risques qu'elles encourent.

Mme Isabelle Sansonetti . - D'après les échos que je peux en avoir, nos articles les dissuadent parfois. Nous donnons un maximum d'informations sur ce qui existe afin que les femmes aient le plus d'éléments possible avant de décider de recourir à un acte esthétique.

Mme Ariane Goldet . - En outre, il existe aujourd'hui, en réaction au développement des interventions esthétiques, un engouement pour les techniques naturelles, sans risque, à base de massage ou de modelage. Il existe une vraie demande de la part de femmes qui refusent ces pratiques nouvelles. Nous leur fournissons donc aussi des informations à ce sujet.

Mme Julie Lasterade . - Dans Grazia, nous passons plutôt notre temps à mettre en garde les jeunes femmes sur les risques et les précautions à prendre si elles envisagent une intervention esthétique. Notre lectorat étant plus jeune, nous faisons plutôt la promotion de méthodes plus naturelles dans la technique comme dans le résultat.

Mme Ariane Goldet . - Chaque journal a une cible d'âge spécifique. Celle de Grazia est plus jeune. En revanche, il existe une demande d'information de la part de femmes plus âgées. Nous devons y répondre.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous êtes en relation avec votre lectorat ?

Mme Ariane Goldet . - Bien sûr. Nos lectrices constituent notre caisse de résonance.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Comment les préoccupations de vos lectrices vous parviennent-elles ?

Mme Ariane Goldet . - Nous sommes non seulement des femmes, mais notre métier de journalistes fait de nous, comme le disait ma consoeur, des éponges : on sent les tendances, on rencontre les acteurs, beaucoup d'informations nous remontent sur ce qui a du succès. Cette intuition des journalistes est complétée par les travaux de nos services de marketing et les tables rondes avec des lectrices que nous organisons régulièrement.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Avez-vous des règles d'éthique en matière de publicité pour le choix des annonceurs ?

Mme Ariane Goldet . - Cela relève du service publicitaire, qui est complètement distinct de la rédaction. Toutefois, je crois savoir que nous n'avons légalement pas le droit de refuser une publicité.

Mme Julie Lasterade . - Je n'ai personnellement jamais vu de publicité pour des produits injectables.

Mme Ariane Goldet . - Pourtant il y en a mais, phénomène plus inquiétant, on voyait il y a quelques années des publicités pour des cliniques privées qu'un magazine ne pouvait pas refuser.

D'ailleurs, sur quels critères pourrions-nous refuser la publicité d'un fabricant et accepter celle d'un autre ? Nous, journalistes, serions assez mal placés pour juger.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - On sait bien que certains produits sont dangereux.

Mme Ariane Goldet . - Un cas s'est récemment présenté avec un produit dangereux. Une firme française, qui cherchait à commercialiser un produit injectable, avait besoin pour celui-ci d'obtenir le marquage CE. Elle l'a demandé dans un autre pays européen puis a pu vendre ce produit en France. Heureusement, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) est intervenue. Les exigences pour obtenir le marquage CE ne sont pas uniformes dans l'Union européenne alors qu'il produit les mêmes effets. Le marquage CE est une garantie mais n'est pas une panacée.

Mme Julie Lasterade . - Le marquage CE est une garantie de production, de conformité à un cahier des charges mais non de sécurité sanitaire. Un produit marqué CE n'est pas forcément inoffensif.

M. Alain Néri . - Vous dites être attentives au souhait d'information et aux préoccupations de vos lectrices et lecteurs en matière de santé et de beauté. Déterminez-vous votre cible sur la base de critères autres que la simple vente de vos journaux ?

Mme Ariane Goldet . - Nous répondons aux attentes de notre lectorat.

M. Alain Néri . - Mais tracez-vous une frontière entre les pratiques qui relèvent de la santé, du bien-être et de la beauté ?

Mme Ariane Goldet . - La distinction entre santé et beauté tient dans l'urgence qui peut être attachée aux questions médicales. En matière de beauté et de lutte contre le vieillissement, on n'est jamais dans l'urgence. Notre conseil aux lectrices est donc de toujours prendre le temps de la réflexion en la matière.

Mme Monique Le Dolédec . - Nous leur recommandons de consulter des spécialistes et de recueillir plusieurs avis. De plus, nous ne sommes pas les seuls à même de dispenser des conseils à ces femmes. Les esthéticiennes, les kinésithérapeutes et surtout les médecins, professionnels diplômés et compétents, doivent eux aussi faire correctement leur métier. Le nôtre est d'informer notre lectorat, le leur est de mettre leurs compétences au service des femmes et des hommes qui viennent les voir. A chacun son métier.

Mme Ariane Goldet . - Le délai de réflexion est essentiel. Tout le monde aspire au rajeunissement et lorsqu'on est face à une telle promesse, on veut y croire et on a tendance à se précipiter. Il faut pouvoir y repenser chez soi, à tête reposée. Je veux insister sur le fait qu'en médecine ou chirurgie esthétique il n'y a jamais d'urgence.

M. Alain Néri . - En somme, vous apportez de l'information sur des bases vérifiées, tout en appelant à la prudence. Vous vous gardez de toute incitation.

Mme Ariane Goldet . - Par rapport à des domaines comme la coiffure ou le maquillage, le caractère incitatif est bien moindre. Nous sommes sensibles aux risques et au caractère aléatoire des résultats en fonction des personnes et des praticiens, d'où notre prudence.

Mme Monique Le Dolédec . - Les techniques de médecine esthétique, bien que moins invasives que la chirurgie esthétique, ne sont jamais anodines ; nous le rappelons toujours.

Mme Ariane Goldet . - Nous précisons également le recul qu'on peut avoir sur certaines techniques. On préfère attendre d'avoir les premiers retours plutôt que de traiter des nouveautés dès leur sortie. Aujourd'hui, comme le prix des études cliniques est très élevé, certains tests se font dans le cabinet du médecin. Nous ne voulons pas que nos lectrices soient des cobayes.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Votre ligne éditoriale est-elle tournée vers un certain style de femmes ? Après le style mannequin, qui a fait des ravages en matière d'amaigrissement chez les jeunes, favorisez-vous le modèle d'une femme jeune et dynamique ?

Mme Ariane Goldet . - Marie Claire a une cible très large, qui débute dès dix-sept ans. Nous nous adressons donc à un public très nombreux et diversifié et nous laissons une grande liberté aux femmes, héritage de notre tradition militante et féministe. Nous écrivons des articles comme « Belle avec mes rides » ou « Plus belle à soixante qu'à trente ans » car ils sont le reflet de notre société. Une femme de cinquante-cinq ans aujourd'hui a une apparence beaucoup plus jeune qu'une femme du même âge il y a vingt ans. Avec l'augmentation de l'espérance de vie, le curseur se décale. Désormais, l'esthétique ou la beauté ne sont plus l'essentiel, mais le dynamisme compte aussi beaucoup. L'explosion du marché des tests génétiques est une bonne illustration de cette nouvelle réalité dont l'esthétique ne rend compte que très partiellement.

Mme Monique Le Dolédec . - Je n'ai pas l'impression de travailler pour un journal qui ne vise qu'un type de femmes. Il a un panel très large et même 30 % d'acheteurs. Nous avons sans doute tous des idéaux en tête, d'une image physique et intellectuelle de nous-mêmes que l'on souhaiterait atteindre. Mon journal est surtout marqué par un état d'esprit qui met l'accent sur le dynamisme et l'optimisme. Voilà ce que nous souhaitons partager avec notre lectorat.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Quelles évolutions de la demande en matière d'esthétique avez-vous pu constater ces dernières années ? Le critère esthétique principal est-il donc désormais plutôt le dynamisme que la beauté ?

Mme Monique Le Dolédec . - Aujourd'hui, les femmes ne veulent pas avoir l'air fatigué. Comme l'expliquent très bien les sociologues, l'apparence a de l'importance vis-à-vis des autres mais aussi de soi-même en ce qu'elle contribue, chaque matin, à définir notre état d'esprit.

Mme Ariane Goldet . - Il est intéressant de noter une autre évolution récente en la matière. Les femmes ne se focalisent plus sur les rides comme il y a vingt ans mais sur la santé et l'éclat de la peau. Nos articles sur le sujet doivent aborder aussi bien l'alimentation que l'hygiène de vie. On sort du champ de la médecine esthétique.

Mme Isabelle Sansonetti . - Les femmes ne veulent pas être transformées et sont plus méfiantes que par le passé vis-à-vis de la chirurgie esthétique. Elles recherchent maintenant une harmonie générale et veulent rester elles-mêmes.

Mme Ariane Goldet . - Les femmes subissent plus jeunes des interventions plus légères, et cela se voit beaucoup moins. On repère facilement une femme plus âgée qui a subi une intervention il y a quelques années. Aujourd'hui, les techniques et les gestes chirurgicaux plus précis, développés notamment par l'école française, la french touch reconnue jusqu'aux Etats-Unis, visent à privilégier le naturel. Les codes américains d'injections du Botox(c) s'en inspirent afin d'éviter d'en utiliser de trop grandes quantités.

Mme Julie Lasterade . - Il est désormais plus important d'avoir une belle peau, sans pores, mais je trouve cela paradoxal car avec l'arrivée du Botox(c) et de l'acide hyaluronique les femmes qui y ont recours, même jeunes, changent de tête. Je repère vite ces femmes qui, ayant fait de la mésothérapie, ont un teint plus ciré. Les femmes veulent plus de naturel mais sont prises dans un engrenage.

Mme Ariane Goldet . - Avec le Botox(c) et l'acide hyaluronique, qui sont résorbables, il faut six mois pour revenir à l'état de départ. L'image qu'on a de soi, son image corporelle, n'est donc pas modifiée, contrairement à ce qui se passe en cas d'intervention définitive, comme un lifting. Cette idée de réversibilité me semble capitale. On peut décider de recommencer ou non. Les femmes qui tombent dans la dysmorphophobie ou l'addiction à ce genre de techniques n'attendent pas que leur apparence revienne à sa forme naturelle. Il faut être prudent sur ce point, et nous disons clairement à nos lectrices qu'il n'est pas recommandé de subir de telles injections plus de deux fois par an.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Des considérations financières n'entrent-elles pas également en jeu ? Et puis il me semble que certaines femmes ont recours à ces techniques par crainte des complications parfois rencontrées en chirurgie esthétique. Les effets du Botox(c) ne sont pas permanents.

Mme Ariane Goldet . - Ils durent de quatre à six mois, puis le vieillissement revient.

Mme Julie Lasterade . - Il me semble qu'aujourd'hui la chirurgie esthétique s'adresse aux femmes qui ont plus de cinquante ans.

Mme Monique Le Dolédec . - Tout dépend de l'opération envisagée.

Mme Ariane Goldet . - Il est vrai que le nombre d'actes de chirurgie esthétique est en nette diminution. C'est la raison pour laquelle les chirurgiens esthétiques souhaitent faire plus d'injections et sont en opposition sur ce point avec les médecins esthétiques.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Comment expliquez-vous que le phénomène de développement des interventions esthétiques ait moins d'ampleur en France qu'ailleurs ?

Mme Ariane Goldet . - C'est difficile à dire. Les raisons sont sans doute culturelles. En Asie, les femmes ont une culture de la blancheur mais peu de rides. Au Brésil, les interventions concernent bien plus le corps que le visage. On peut toutefois constater l'apparition d'un modèle universel de la femme. Les caractéristiques spécifiques à chaque continent tendent à s'amenuiser face à la mondialisation d'un type féminin. Les Asiatiques se font débrider les yeux, par exemple.

Mme Isabelle Sansonetti . - Mais celles qui vivent hors d'Asie, contrairement à celles qui y vivent, ne les font débrider qu'à moitié, comme si elles voulaient préserver une part de leur identité.

Mme Julie Lasterade . - Dans certains pays, comme aux Etats-Unis ou en Amérique du Sud, la chirurgie esthétique ou les injections peuvent être un signe extérieur de richesse...

Mme Ariane Goldet . - Comme le bronzage l'était il y a quelques années.

Mme Julie Lasterade . - Mais chez les jeunes, le Botox(c) devient une mode.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Vous sentez monter un tel phénomène ?

Mme Ariane Goldet . - C'est incontestable.

Mme Julie Lasterade . - Ce n'est absolument plus tabou.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - C'est donc un phénomène de société ?

Mme Ariane Goldet . - Effectivement, et plus on commence jeune, plus le risque est élevé de perdre l'image de soi et de refuser le vieillissement par rapport aux générations qui n'ont connu ces techniques qu'à cinquante ans. Cela va susciter un problème psychologique d'appréhension du vieillissement totalement différent de ce que nous avons connu jusqu'à présent.

Mme Isabelle Sansonetti . - Tous les médecins ne sont pas d'accord sur ce point. Certains disent qu'ils accueillent plus de jeunes dans leur cabinet, d'autres non. En l'absence de statistiques officielles, il est difficile de se prononcer. Peut-être une frange de cette génération a-t-elle recours à cette chirurgie pour imiter celle de ses parents, qui l'a banalisée.

Mme Julie Lasterade . - C'est peut-être un phénomène très parisien.

Mme Ariane Goldet . - En matière de chirurgie mammaire, les demandeuses sont de plus en plus jeunes. Certains chirurgiens sont extrêmement rigoureux sur ce point et refusent d'opérer, si le but est purement esthétique, les jeunes filles de moins de dix-huit ans mais d'autres acceptent.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Qu'est-ce qui vous préoccupe le plus dans le domaine de l'esthétique ?

Mme Julie Lasterade . - La chirurgie esthétique est assez bien encadrée alors que la médecine esthétique ne l'est pas du tout. Des personnes se faisant passer pour des médecins proposent des injections de Botox(c) ou d'acide hyaluronique. Les produits utilisés sont assez mal connus de l'Afssaps. La réaction de la peau et du corps aux produits injectés sur la durée l'est également. Les médecins rechignent à signaler les effets secondaires qu'ils constatent.

Mme Ariane Goldet . - La situation est différente pour le Botox(c), pour lequel nous disposons d'un recul de plus vingt ans.

Mme Julie Lasterade . - Effectivement, c'est un médicament qui bénéficie d'une autorisation de mise sur le marché (AMM). Mais d'autres produits injectables, comme l'acide hyaluronique, ne sont pas des médicaments. Il n'y a donc pas eu d'AMM, les remontées sont très limitées et l'encadrement est faible.

Mme Monique Le Dolédec . - C'est pareil pour les injections anticellulite, qui sont heureusement interdites aujourd'hui.

Mme Ariane Goldet . - Le marché pour ces produits est énorme et mondial, avec une croissance de 12 % et de 8 % par an en Europe et en France. De grosses entreprises l'investissent car elles ont bien compris son potentiel de développement. Certains acteurs issus de pays où les contrôles sont peu rigoureux font du marketing pour leur acide hyaluronique en mettant en avant sa composition spécifique, qui le différencie de la concurrence. Pourtant, plus la formule de ces produits est complexe, à base de molécules et d'ingrédients nouveaux, plus les risques allergiques sont élevés. Ils peuvent agir à retardement et se déclarer plus tard, lors d'une nouvelle injection. Il est indispensable de savoir précisément ce que l'on se fait injecter. Le carnet de suivi esthétique est donc une bonne chose, surtout sur la longue durée. Comment connaître autrement, à soixante ans, les produits qui composaient une injection reçue à trente ans ?

Il existe donc un risque de croisement des allergènes et de multiplication des réactions très important. Nous incitons nos lectrices à choisir les produits les plus simples et à bien regarder la boîte de ceux-ci.

Mme Monique Le Dolédec . - Malheureusement elles refusent de le faire, malgré les mises en garde réitérées dans chacun de nos articles. Elles ne veulent pas savoir.

Mme Ariane Goldet . - Des médecins peu rigoureux, à qui les laboratoires offrent de nouveaux produits, les testent ensuite sur leurs patientes et les leur facturent sans révéler leur véritable composition.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Attention, il ne faut pas faire d'amalgame : ne mettons pas tous les médecins dans le même panier.

Avez-vous consacré des articles au tourisme esthétique ? Si c'est le cas, quel jugement avez-vous porté dessus ?

Mme Monique Le Dolédec . - Nous y avons consacré un article il y a bientôt trois ans : nous étions très circonspects car nous manquions de recul. Nous avions mis en garde nos lectrices sur l'absence de suivi. Il fallait traiter ce sujet car il faisait alors l'actualité, mais nous avons recommandé la prudence.

Mme Isabelle Sansonetti . - Il paraît aberrant d'aller se mettre entre les mains d'un chirurgien qu'on ne rencontre pas avant l'opération et qu'on ne connaît pas.

Mme Monique Le Dolédec . - C'est très souvent une question de coût.

Mme Ariane Goldet . - Il est souvent trois fois moindre.

Par ailleurs, il faut rappeler que la formation des médecins esthétiques est souvent assurée par les fabricants des produits qu'ils utilisent.

Mme Isabelle Sansonetti . - Il n'y a pas de véritable diplôme reconnu en médecine esthétique car le terme « esthétique » est réservé aux chirurgiens plasticiens. Les formations proposées par les sociétés savantes sont assez hétérogènes. Il faudrait créer une formation de médecine esthétique qui soit reconnue par le ministère de la santé afin que les femmes puissent savoir quelle est la qualification de ceux à qui elles s'adressent.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Nous y pensons également, c'est l'objet de notre mission d'information.

Mme Ariane Goldet . - Nous sommes plusieurs à avoir récemment assisté au congrès international de médecine anti-âge à Monaco. Nous avons été affolées...

Mme Isabelle Sansonetti . - Par la foire commerciale !

Mme Ariane Goldet . - ... par le nombre de produits proposés. C'est un marché énorme qui dépasse de loin les injections : machines, gélules, tests génomiques.

Mme Monique Le Dolédec . - Nous souhaitons, afin de protéger nos lectrices, qu'il y ait un véritable encadrement de ce secteur.

Mme Ariane Goldet . - Les femmes et les hommes sont tentés par ces techniques, c'est le cours des choses. On ne pourra pas les en empêcher, il faut donc prendre des mesures pour mieux les protéger.

Mme Monique Le Dolédec . - Nous comptons sur vous !

Audition de MM. Pierre CHIRAC, membre de la rédaction de la revue Prescrire, et Mathieu ESCOT, chargé d'études santé à l'UFC-Que Choisir, au nom du collectif Europe et Médicament (mercredi 25 avril 2012)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous recevons aujourd'hui MM. Pierre Chirac et Mathieu Escot qui sont membres du collectif Europe et Médicament. Alors que l'essentiel de la réglementation relative aux dispositifs médicaux relève des instances européennes, rares sont les collectifs de niveau européen comme le vôtre. Créé en 2002, il réunit des représentants des patients, des professionnels de santé et des mutuelles. Nous souhaitons vous interroger sur ce que vous inspire la répétition d'incidents relatifs à la sécurité de dispositifs médicaux implantables (DMI), mais aussi sur le marché des produits et interventions à visée esthétique, dont nous avons le sentiment qu'il reste peu réglementé.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Pouvez-vous, après une brève présentation de votre organisme, nous préciser la nature de vos actions ?

M. Pierre Chirac, membre du collectif Europe et Médicament . - Le collectif Europe et Médicament est né en 2002, alors que la Commission européenne entreprenait de réviser le cadre communautaire relatif au médicament. Les projets de règlements et de directives lancés par la Commission se sont succédé, nous avons donc continué notre travail. Notre collectif, constitué de représentants des patients, des soignants, des mutuelles, prend des configurations différentes selon les sujets abordés, et travaille beaucoup en relation avec d'autres collectifs, afin de nous donner plus de poids à l'échelle européenne. Pour les dispositifs médicaux, nous avions répondu à la consultation lancée par la Commission européenne en 2008 avec trois autres collectifs européens, représentant les mêmes acteurs que le nôtre.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quelles sont vos actions ?

M. Pierre Chirac . - Nous assurons une veille sur les projets de la Commission européenne, émettons des propositions lors des consultations sur les projets de règlement ou de directive, dans le domaine du médicament pour l'essentiel.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous êtes-vous intéressés aux dispositifs médicaux ?

M. Pierre Chirac . - Outre la consultation que j'ai évoquée, nous suivons aujourd'hui de près le projet de révision de la directive relative aux essais cliniques et de la directive transparence sur le médicament.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Au vu de l'apparente diversité de vos membres, et notamment de la présence de représentants des professionnels de santé, comment gérez-vous les liens d'intérêts susceptibles de survenir ?

M. Pierre Chirac . - Notre fonctionnement est collégial : nous défendons une vision élargie de l'intérêt des acteurs, qui, exigeant des compromis, exclut les positions corporatistes. Aucun groupe ne pourra défendre de position particulière. Nous défendons l'intérêt des patients et poursuivons des objectifs de santé publique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Dans un communiqué de presse daté du 31 janvier dernier, le collectif Europe et Médicament déclare souhaiter un renforcement de l'évaluation des dispositifs médicaux avant leur mise sur le marché. Vous évoquez également les « graves lacunes du circuit d'évaluation et de suivi des dispositifs médicaux et l'échec du système de certification basé sur le marquage CE ». Pouvez-vous préciser vos critiques à l'encontre du système européen de marquage et de surveillance des dispositifs médicaux, et nous présenter vos recommandations ?

M. Pierre Chirac . - Nous avons participé à la consultation lancée par la Commission européenne en 2008 sur la refonte de la directive touchant aux dispositifs médicaux, car nous estimions que bien des progrès restaient à accomplir, notamment en matière d'harmonisation. Plusieurs options nous étaient soumises, allant du statu quo à l'alignement sur la procédure d'autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée par l'Agence européenne du médicament, telle qu'elle existe pour le médicament. Cela représentait l'encadrement maximal proposé. Nous nous sommes prononcés en faveur d'une AMM, au moins pour les dispositifs médicaux les plus à risque. Hélas, le bilan publié par la Commission fut très décevant, parce que, sur les quelque deux cents participants à la consultation, nombreux étaient les organismes intéressés, au sens financier du terme, fabricants ou organismes notifiés, qui ont fait pencher la balance en faveur du statu quo. Or la Commission n'a considéré que la moyenne du total des réponses.

A la suite du scandale survenu en France avec les prothèses PIP, nous avons donc souhaité intervenir. La Commission européenne voulait renforcer la sécurité dans ce domaine, mais en s'en tenant, pour l'essentiel, à ce qui se passe après la commercialisation - notification d'effets indésirables, traçabilité - et penchait, en amont, contre l'AMM pour les dispositifs médicaux. Cela ne reviendrait qu'à améliorer à la marge le dispositif. Nous avons donc voulu attirer l'attention des Etats membres sur la nécessité de renforcer le cadre communautaire au-delà de ce que proposait la Commission.

M. Mathieu Escot, membre du collectif Europe et Médicament . - J'aimerais apporter le point de vue de l'usager du système de santé. La répétition de scandales, en particulier l'affaire des prothèses PIP, a fait prendre conscience au consommateur de l'absence de contrôle des dispositifs médicaux avant leur mise sur le marché. Comment admettre que ce que l'on va vous implanter dans le corps ne fasse pas l'objet de la même surveillance et des mêmes procédures d'homologation que celles qui s'imposent aux médicaments ? Tout cela a suscité une perte de confiance, y compris à l'égard des autorités sanitaires. Les courriers des lecteurs que nous recevons, les bénévoles spécialisés dans l'aide au litige fournie aux adhérents au sein de nos associations locales, témoignent de cette incompréhension. N'est-il pas scandaleux qu'un pace maker, un dispositif dont votre vie va dépendre, ne subisse pas, en amont, des tests à la hauteur ? Il faut donc rétablir la confiance pour renouer avec une démarche saine. Nous pouvons, en la matière, dresser un parallèle avec le Mediator : l'utilisateur ne peut comprendre l'existence de failles dans un processus qui, de son point de vue, doit être parfait car il touche à sa santé.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Comment envisagez-vous l'AMM que vous préconisez ? Comment s'articuleraient les échelons national et européen ?

M. Pierre Chirac . - L'Europe se rapproche de ce qui existait dès avant les années 2000 aux Etats-Unis, où les producteurs doivent communiquer à la Food and Drug Administration (FDA) des renseignements relatifs à l'efficacité et l'innocuité des dispositifs médicaux les plus à risque devant être commercialisés. Pour les patients comme pour les soignants, il n'y a pas de raison de faire la différence entre médicaments et dispositifs médicaux : ils ont aussi besoin, pour ces derniers, de disposer de renseignements sur leurs indications, leurs contre-indications, leurs limites, voire d'informations comparatives. Il est étonnant de constater que le seul contrôle pour les implants porte sur la qualité de la fabrication. Pour le médicament, une directive de 1965 prévoit deux autres critères : l'efficacité et l'innocuité. Or, il est essentiel que les patients et les soignants disposent de ces informations, au moins pour les dispositifs médicaux à risque, de classes IIb - à risque potentiel élevé - et III - à risque potentiel critique. Le British Medical Journal, l'une des plus grandes revues médicales mondiales, a ainsi crûment observé que le patient, en Europe, est un « cobaye », car les produits arrivent sur le marché sans avoir été testés. Ce n'est qu'en intégrant les mêmes exigences que celles qui sont requises pour le médicament que les autorités de santé pourront réellement protéger la santé publique et mettre l'information à la disposition des patients.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Ne visez-vous pas trop large avec les classes IIb et III, alors que l'on objecte souvent que la lourdeur des procédures complique l'innovation, notamment pour les PME ? Une liste positive ne serait-elle pas plus pertinente ?

M. Pierre Chirac . - Dans les années 1980, il existait près de deux mille firmes ou PME pharmaceutiques. Beaucoup ont disparu depuis et la santé publique ne s'en porte pas plus mal, au contraire ! Quand on ne contrôle pas, il est naturel que beaucoup de petits acteurs puissent apparaître.

Reste que les petits producteurs doivent pouvoir fabriquer sur le long terme des produits de qualité. Le collectif Europe et Médicament s'intéresse évidemment à l'innovation, mais sous son angle thérapeutique et non purement technique. Pour vérifier le progrès thérapeutique représenté par un produit, il faut une évaluation clinique, aujourd'hui inexistante, avant toute mise sur le marché, alors qu'on se contente d'un suivi, après commercialisation, sur les effets indésirables. On ne peut raisonner sur le seul risque, il faut aussi s'intéresser à la balance bénéfices-risques : il est des cas où un bénéfice important peut faire admettre un risque, d'autres où aucun risque, même petit, n'est admissible, car il n'y a pas de bénéfice. Pour les dispositifs médicaux qui peuvent être considérés comme des produits de santé, lorsqu'ils cherchent à prévenir ou à traiter des problèmes de santé, une telle balance aide les soignants comme les patients à faire les meilleurs choix.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - L'AMM que vous préconisez devrait-elle être délivrée par l'Agence européenne du médicament ou par les organismes notifiés, en faisant évoluer leurs compétences et les exigences qui pèsent sur eux ?

M. Mathieu Escot . - Nous envisageons plutôt un système s'appuyant sur l'Agence européenne du médicament, dotée de nouvelles prérogatives, sachant que le système actuel a montré ses limites, même s'il est vrai que cela est dû, en partie, à la définition des missions confiées aux organismes notifiés. Pour aller vers un bilan bénéfices-risques, il faut changer de logique et confier l'évaluation à des organismes publics.

M. Pierre Chirac . - Actuellement, pour le médicament, l'Agence européenne du médicament peut s'appuyer sur l'avis des agences nationales. Dans le cas des dispositifs médicaux, l'Agence européenne n'aurait donc pas à faire tout le travail, et les organismes notifiés, s'ils étaient mieux contrôlés par les agences, ne seraient pas nécessairement inutiles.

L'objectif de notre collectif est d'assurer la population d'un niveau de contrôles et d'informations suffisant.

Nous sommes également en faveur d'un contrôle plus exigeant des conflits d'intérêts. Le système actuel repose, pour beaucoup, sur le marquage CE. Or on sait que les experts chargés de contrôler la qualité ont, à un moment donné, travaillé avec les fabricants. Il faut donc que les autorités publiques se dotent d'une capacité d'expertise ou, tout au moins, qu'elles s'appliquent à prévenir les conflits d'intérêts. C'est pourquoi nous estimons qu'il serait bon de s'inspirer de ce qui existe pour le médicament, même si le dispositif n'est pas encore idéal.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Que pensez-vous des moyens européens mis en place pour la surveillance des dispositifs médicaux, et notamment de la base Eudamed ? Seriez-vous favorable à la création d'un système d'identification unique (UDI) pour les dispositifs médicaux présentant le plus de risques ? Que pensez-vous des registres de dispositifs médicaux, comme il en existe dans les pays du nord de l'Europe ou en Australie ? Est-il envisageable de les développer à l'échelle européenne ?

M. Pierre Chirac . - Les registres constituent la première étape du contrôle, qui permet de savoir ce qui existe sur le marché européen. Mais il faut aussi, pour chaque dispositif médical, pouvoir disposer des informations requises pour peser la balance bénéfices-risques, comme le fait la FDA américaine. Sur son site, elle fait apparaître les renseignements pour les dispositifs médicaux de classe III, même si on leur voudrait plus de clarté. Tel est donc notre objectif. Or je crains que les registres européens ne restent de simples listings, sans intérêt pour les patients et les soignants, même s'ils permettraient, à la rigueur, aux autorités de savoir qui fait quoi.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Je songeais aussi au suivi des dispositifs implantés. L'existence d'un registre digne de ce nom, dans le cas des prothèses PIP, aurait par exemple pu alerter sur un nombre de ruptures plus important que pour d'autres prothèses.

M. Pierre Chirac . - Sur Eudamed, je ne puis vous répondre plus précisément, car seules les agences du médicament peuvent y accéder. Si un registre devait être mis en place pour assurer une matériovigilance, il faudra qu'il soit largement accessible et que les patients comme les soignants soient fermement incités à notifier les problèmes. Or, on le sait, les chirurgiens ne l'ont pas fait dans le cas des prothèses PIP. La notification décentralisée, via les centres de pharmacovigilance ou les agences nationales du médicament, plutôt qu'à un lointain organisme européen, nous apparaît, de ce point de vue, le meilleur système. Un registre de suivi des dispositifs médicaux après commercialisation peut donc être important, mais il ne suffit pas : il faut un contrôle en amont, portant sur la balance bénéfices-risques.

M. Mathieu Escot . - Les consommateurs ont aussi un rôle de veille à jouer, d'où la nécessité de leur mise à niveau dans le processus de notification. Pour que les patients puissent faire remonter l'information, il faut aussi lever leurs craintes quant à une possible utilisation de leurs données privées.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Avez-vous établi des comparatifs entre dispositifs médicaux ?

M. Mathieu Escot . - Non.

M. Pierre Chirac . - Si la revue Prescrire, à la rédaction de laquelle j'appartiens, n'a pas de rubrique sur les dispositifs médicaux, c'est bien parce que l'on manque, à leur sujet, d'information scientifique, pas même celle dont on dispose pour les médicaments grâce à l'AMM. Quand existent des essais cliniques, les agences sont soumises de fait à une exigence de transparence quant aux éléments qui ont fondé leur décision.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous disposez tout de même d'un certain nombre d'informations, par exemple à propos des stents.

M. Pierre Chirac . - Cela ne représente presque rien, comparé à ce dont nous disposons pour le médicament, alors qu'il y a beaucoup plus de dispositifs médicaux sur le marché.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - C'est bien le but de notre mission que de rechercher un système qui fonctionne. Pensez-vous qu'il faille renforcer l'information des professionnels et des consommateurs européens sur les dispositifs médicaux, déficients ou non, et avez-vous des propositions en ce sens ? Cela pourrait passer, par exemple, par un site internet transparent et indépendant, à l'instar de ce qu'a mis en place le gouvernement de l'Etat de Victoria en Australie, avec le Better Health Channel.

M. Mathieu Escot . - Il existe un réel besoin d'information. Les consommateurs, au premier chef, veulent des données sur la balance bénéfices-risques et des instructions d'utilisation précises. Des études menées au niveau européen ont montré que de réelles carences existaient en la matière. L'information qui leur est délivrée doit être pure de tout biais. Il est donc essentiel de s'assurer que le patient, qui n'est pas un expert, puisse disposer d'une information qui ne porte pas la marque de divers intérêts. Il se pratique parfois, en amont, des tests auprès des consommateurs sur l'information qui leur est délivrée. Ils aident à vérifier ce qui est bien compris, ce qui mériterait d'être amélioré : cela vaudrait la peine de développer ces pratiques.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous avons rencontré des associations de patientes, dont les représentants nous ont dit que le problème n'est pas tant l'information disponible que les modalités de sa transmission. Les patients ne sont pas toujours psychologiquement prêts à entendre les mises en garde.

M. Mathieu Escot . - Le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), dont l'UFC-Que Choisir est membre, a mené une enquête au niveau européen sur les prothèses mammaires, qui a bien fait apparaître ce besoin d'information.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Dans la perspective de la révision, annoncée par le commissaire Dalli, de la réglementation européenne relative à la surveillance et à la sécurité des dispositifs médicaux, votre organisme a-t-il approché la Commission et formulé des propositions ? Disposez-vous d'informations sur les travaux en cours et que pensez-vous des orientations retenues ?

M. Pierre Chirac . - L'idée d'une révision remonte à plus loin : la première consultation, lancée par la direction générale « entreprises », a eu lieu en 2008. La synthèse qu'en a retirée la Commission nous semble, je l'ai dit, biaisée, puisqu'elle ne fait que recommander de s'en tenir au statu quo, comme l'ont souhaité les firmes et les organismes notifiés. C'est regrettable. Sans doute le scandale PIP, qui, à la différence du Mediator, n'est pas seulement franco-français, suscitera des réactions des Etats membres : il se pourrait que les gouvernements, les parlementaires et, au-delà, la société civile, poussent la Commission à aller plus loin dans ses propositions, qui sont pour l'instant tout à fait insuffisantes. Notre collectif, avec d'autres, va être reçu à Bruxelles, le 30 mai, par le directeur adjoint de cabinet de M. Dalli. Nous allons défendre nos idées, mais nous manquons d'informations sur les travaux en cours. C'est une vraie boîte noire : vous en savez sûrement plus que nous !

M. Mathieu Escot . - Le BEUC, impliqué auprès de la Commission par des actions de lobbying et des rencontres diverses, a été associé, en amont, au projet de résolution du Parlement européen, qui va être adopté sous peu et rejoint en grande partie les orientations aujourd'hui évoquées : renforcement, dans l'immédiat, des contrôles et réforme, à terme, de la réglementation, pour aller vers une forme d'AMM.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Que vous inspire le développement rapide, ces dernières années, de la médecine esthétique et des interventions non médicales à visée esthétique ? Quels dangers particuliers pour la santé des patients avez-vous identifiés dans ces pratiques ? Selon vous, quelles modalités faudrait-il mettre en place pour un meilleur encadrement de ce secteur où la réglementation reste floue et parfois mal respectée ?

M. Pierre Chirac . - Cela sort un peu de nos compétences. Nous avions cependant répondu, lors de la consultation de 2008, au point 4, qui portait sur les dispositifs médicaux invasifs sans visée médicale, que, dès lors qu'un dispositif est implantable, il doit relever, fût-il à but purement esthétique, des principes applicables aux DMI, en raison du risque potentiel critique pour la santé. Le doute doit toujours bénéficier au patient et conduire à l'adoption du statut le plus protecteur.

M. René-Paul Savary . - Vous vous déclarez en faveur d'une procédure européenne, mais plus on est éloigné, moins on est sûr du résultat. Vous avez parlé de l'opacité de la Commission ou des conflits d'intérêts parmi les experts. Si la procédure européenne, vers laquelle il faut sans doute aller, n'est pas garantie, on court un risque. On le voit pour les AMM pour les médicaments : une autorisation refusée en France peut être accordée dans un autre pays.

M. Pierre Chirac . - Ce n'est pas la règle.

M. René-Paul Savary . - Mais c'est le fait ! Si l'on prend des mesures différentes d'un pays à l'autre, nous n'aurons fait que compliquer le système. Il existe bien, au niveau national, un système de protection ; peut-être cela vaudrait-il la peine de l'améliorer, en renforçant le contrôle de l'Etat sur les agences, en lui octroyant plus de moyens, plutôt que d'inventer de toutes pièces un nouveau système, forcément complexe ? J'ajoute que, si l'on met en place des procédures trop contraignantes, on risque de pénaliser l'innovation. Pourquoi ne pas envisager une procédure intermédiaire, en prévoyant une AMM, non par dispositif, mais par grands types de produits ou de matériaux utilisés, comme le silicone, assortie d'un système de suivi plus précis, par la création d'un registre, par exemple ?

M. Pierre Chirac . - L'AMM incorporera, en tout état de cause, de nouveaux critères, nécessairement documentés par des évaluations cliniques, permettant d'établir une balance bénéfices-risques. Pour le médicament, il existe différents canaux, certains obligatoires, d'autres facultatifs. Les AMM purement nationales sont rares, hors génériques. Pour les dispositifs médicaux, nous défendons avant tout certains principes : contrôle sur critères cliniques et non uniquement sur la qualité de fabrication, et mise à disposition d'informations validées par les autorités.

Une procédure par type de produits ? Pourquoi pas, si les connaissances scientifiques le permettent. Les producteurs mettent en avant l'innovation. Or ce qui compte avant tout pour les patients et les soignants, c'est l'intérêt thérapeutique. On sait combien de nouveaux médicaments ont peu d'intérêt thérapeutique. Il faut donc que la collectivité fixe un certain nombre de principes pertinents dans ce domaine.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Le critère de l'intérêt thérapeutique est compréhensible, mais y incluez-vous l'intérêt thérapeutique psychologique, comme cela peut être le cas pour les prothèses posées à des fins de reconstruction ?

M. Pierre Chirac . - C'est en effet à prendre en compte. Il en va de même pour le Viagra, qui n'a pas qu'un seul usage récréatif : il sert aussi à certains patients, qui ont été opérés, par exemple, à se reconstruire. Les prothèses mammaires ont aussi ce rôle. La dimension psychologique fait donc, bien entendu, partie intégrante de l'intérêt thérapeutique.

Audition de M. Jean-Luc BESSE, président de l'Association française de chirurgie du pied (AFCP) (mercredi 25 avril 2012)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Monsieur Besse, depuis plusieurs années, votre association cherche à mettre en place un registre exhaustif des prothèses de cheville. Merci de nous donner aujourd'hui l'opportunité d'entendre votre témoignage, notamment sur les difficultés que vous avez rencontrées dans la constitution de ce registre.

Le scandale des prothèses PIP comme l'affaire concernant les prothèses de hanche DePuy nous ont laissé penser que, si nous avions eu des registres bien renseignés, peut-être l'alerte aurait-elle pu être donnée plus tôt et les pouvoirs publics auraient-ils pu mieux anticiper les dispositions à prendre pour la protection des patients. Parallèlement, nous constatons que le renseignement des registres, au-delà de leur constitution, pose des problèmes pratiques aux professionnels de santé ainsi que des problèmes d'accessibilité aux fichiers correspondants.

M. Jean-Luc Besse, président de l'Association française de chirurgie du pied . - Permettez-moi, tout d'abord, de dire quelques mots sur l'organisme que je représente. L'Association française de chirurgie du pied (AFCP) est une société savante associée à la Société française de chirurgie orthopédique et traumatologique (Sofcot) que vous avez déjà auditionnée. Je souhaite vous apporter un éclairage pratique sur le thème des registres de dispositifs médicaux implantables, en m'appuyant sur le cas des prothèses de cheville. Qu'apporte un registre ? Est-il complémentaire de la matériovigilance et des données du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) et de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) ?

M. Bernard Cazeau, rapporteur .- Quelles raisons ont poussé l'AFCP à créer ce registre ? Dans quelle mesure s'est-elle inspirée d'autres modèles français ou étrangers ? Pourriez-vous décrire la nature des informations collectées dans ce registre ? Comment fonctionne-t-il ? A quelles difficultés concrètes la mise en place de ce registre se heurte-t-elle ? Est-ce réservé à la chirurgie du pied ou avez-vous l'intention de l'élargir ? Les explantations sont-elles également renseignées ?

M. Jean-Luc Besse . - Avant les scandales du Mediator et des prothèses PIP, l'AFCP a été elle-même confrontée à une affaire concernant les prothèses de cheville. Les prothèses de cheville donnent lieu à environ six cents poses chaque année et il s'agit d'un dispositif remboursable en nom de marque, donc très contrôlé. En 2004, quatre modèles de prothèses de cheville avaient été autorisés sur le marché. En 2006, l'AFCP a réalisé une grande étude multicentrique des douze principaux centres poseurs : on a répertorié plus de six cents implants, et aucun de ces quatre types de prothèses ne posait de problème.

En 2008, dans le cadre d'un contrat d'évaluation, j'ai lancé une alerte au sujet d'une des quatre prothèses qui se caractérisait par un taux d'ostéolyse élevé, ayant pour conséquence des descellements, à trois ans de recul. S'ensuit, en France, une polémique intense. J'ai alerté également l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Après beaucoup d'hésitations, la société qui commercialisait le produit l'a retiré du marché au début de 2009. Depuis, quatre publications internationales ont confirmé sa nocivité, à 100 % pour la dernière étude qui date de 2011.

A la suite de ces remous qui ont menacé de faire éclater notre société, avec l'ancien président de l'AFCP, le docteur Michel Maestro, nous avons décidé, en 2008, de créer un registre. Ce registre poursuivait un but scientifique, d'évaluation de nos pratiques. Le contexte réglementaire nous a semblé favorable, puisque nous nous placions en remboursement en nom de marque qui contraint les industriels à fournir des données exhaustives sur leurs produits en vue d'obtenir des remboursements et des autorisations du comité économique des produits de santé (Ceps).

Le registre n'a d'intérêt que s'il est exhaustif. Or, la France accuse dans ce domaine un retard considérable par rapport à des pays comme la Suède, dont le premier registre date de 1975, ou même la Roumanie (2001) et la Slovaquie (2003). Notre seul registre sur les prothèses de hanche date de 2006, et peut être qualifié d'échec puisqu'il se caractérise par un taux de remplissage de 1 %.

Une très intéressante étude a été réalisée par la société Calling, publiée en 2007 dans la revue Bone and Joint Surgery, pour identifier les critères garantissant l'efficacité d'un registre, à partir de quinze registres existants. J'ai étudié les quatre registres de prothèses de cheville existants, ceux de la Suède, Norvège, Finlande et Nouvelle-Zélande, qui existent depuis la fin des années 1980 avec des remplissages qui atteignent les 95 %.

La première étape consiste à déterminer les informations qu'il convient d'inscrire dans le registre. Celles-ci sont de trois types :

- les données épidémiologiques : quelles sont les indications, quel type d'intervention a été pratiqué, quel implant a été posé pour en assurer la traçabilité à travers un numéro ;

- les fiches de reprise ou de révision et les fiches de suivi. Seule l'expérience sur dix ans permettra d'évaluer le service rendu par la prothèse. Ces fiches permettent ainsi de connaître le motif de la reprise, s'il y a des douleurs, la radiographie, etc. On a ainsi défini trois catégories de reprises : la reprise facilement authentifiable quand l'implant a failli et qu'il est nécessaire de le remplacer pour bloquer l'articulation (arthrodèse) ; des réinterventions avec ablation partielle d'une ou plusieurs pièces ; l'échec complet.

Dans certains registres, comme en Suisse ou en Nouvelle-Zélande, les chirurgiens ont la possibilité de rentrer les scores fonctionnels, la mobilité, la douleur et les données radiologiques. Le registre est très important, car il permet de suivre les courbes de survie. Dans le cas des prothèses de cheville, les séries-concepteurs les plus fréquentes correspondent à des courbes de survie à dix ans de 85 %. Au niveau de la hanche, on situe de 95 % à 99 %. Concernant les prothèses ASR, ce sont les registres étrangers qui nous ont fait voir qu'à cinq ans la courbe de survie était insuffisante par rapport à la moyenne. Dans les registres scandinaves, les courbes de survie des prothèses de cheville sont comprises entre 60 % et 70 %.

En France, on compte six cents prothèses de cheville par an, pour cent quarante-huit poseurs : il est difficile d'obtenir des données fiables en matière de matériovigilance quand un chirurgien pose une ou deux prothèses par an !

Quelles sont nos difficultés ? Ce registre n'est pas encore en place aujourd'hui, bien que nous y travaillions sans relâche depuis deux ans. D'abord, il doit être exhaustif. Or, l'expérience en France des prothèses de hanche montre que si l'on ne compte que sur la bonne volonté des acteurs, le taux de remplissage n'est que d'à peine 1 %. Il n'existe pas, dans notre pays, d'obligation réglementaire en ce sens - à la différence d'autres pays comme la Finlande où le remboursement est lié au renseignement du registre. Enfin, le nerf de la guerre est l'argent, il faut le financer ! Pour la Sofcot, le coût d'une prothèse est d'un euro. Si demain, tous les chirurgiens remplissaient le registre, cela coûterait 150 000 euros à la Sofcot, ce qui n'est pas soutenable. Les deux conditions à réunir afin que le registre soit opérationnel sont donc les suivantes :

- il doit être géré par une société savante et non par les industriels ;

- en revanche, les financements ne peuvent être que gouvernementaux.

L'AFCP est un petit organisme de trois cents membres qui ne dégage un bénéfice que de 3 000 euros par an. Ainsi, afin de contourner ces deux écueils et du fait des exigences de la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS), qui doit disposer de données, nous avons obtenu l'aide des industriels. Le registre est monté en parallèle avec une unité de recherche au sein des hospices et ce sont les industriels qui vont financer le travail réalisé par cette unité clinique : ils vont fournir en temps réel le nom des poseurs, et l'unité clinique ira identifier à partir du registre les chirurgiens qui ne l'auront pas renseigné afin de les resolliciter. Le problème est que les industriels souhaitaient obtenir les données dont nous, nous voulions être propriétaires. A cet égard, le Snitem a exercé un lobbying négatif. Aucun industriel ne semble avoir intérêt à ce que ce projet voie le jour de peur que cette obligation de contribuer au financement d'un registre crée un précédent...

Deuxième écueil : le remplissage du registre. En particulier, si le patient est réopéré : comment savoir qu'une explantation a été réalisée ? Nous avons imaginé la création d'un passeport patient, comme pour les porteurs de stents. L'idée était d'investir le patient dans son suivi en l'amenant à lui-même déclarer s'il avait été réopéré. Elle a été fraîchement accueillie.

La situation est aujourd'hui bloquée. Nous avons signé un contrat avec une unité de recherche clinique des hospices civils de Lyon. Le coût s'établit à 32 euros par prothèse pour les industriels, auquel s'ajoute le coût des analyses statistiques. Nous attendons le feu vert de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) depuis octobre 2011, alors que nous pensions l'obtenir dès le début de cette année, après l'accord de sa sous-section compétente, le Comité consultatif sur le traitement de l'information en matière de recherche dans le domaine de la santé (CCTIRS). Celui-ci a rendu un premier avis - pas complètement favorable - en nous demandant de supprimer les références à la Haute Autorité de santé (HAS). Finalement, l'accord du CCTIRS a été obtenu au début du mois de janvier 2012. Nous avons eu la faiblesse de croire que la Cnil allait rapidement entériner la décision du CCTIRS. Or, quatre mois se sont écoulés depuis l'accord du CCTIRS et nous n'avons toujours pas reçu de réponse. L'AFCP s'est ainsi fendue d'un communiqué : « l'AFCP, grâce à laquelle un scandale de même nature que celui des prothèses mammaires PIP a pu être évité, s'étonne que les mêmes lourdeurs administratives qui ont conduit aux catastrophes évoquées ne soient pas levées par les tutelles de ces organismes de contrôle ». Depuis quatre mois, nous remuons ciel et terre auprès de la HAS et l'Afssaps pour demander que l'une de ces autorités se manifeste sur l'importance de ce registre, en vain. Ce qui est d'autant plus incompréhensible que la HAS aura besoin de ces données pour décider du renouvellement du remboursement en 2015. C'est la raison pour laquelle nous avons demandé à être auditionnés.

Aujourd'hui, nous disposons d'un registre opérationnel, avec une partie du financement, mais il nous manque ce dernier accord alors que nous attendons depuis sept mois.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quelle appréciation portez-vous sur la capacité à identifier et à contacter rapidement les porteurs d'un type de prothèse déficient fournie par le registre ?

M. Jean-Luc Besse . - La capacité à identifier est bonne et nous pourrons réagir en temps réel en examinant les informations saisies, puisque le registre est géré par une unité de recherche clinique, publique et hospitalière. S'agissant des événements indésirables, nous avons, toutefois, une inquiétude. La CNEDiMTS, dans le cadre de la procédure de remboursement en nom de marque, a demandé aux industriels de fournir une étude s'appuyant sur un protocole de données complètes sur les prothèses. S'ajoute donc au registre une étude de cohorte : les industriels devront fournir toutes les informations concernant quatre cents à cinq cents prothèses selon des méthodes statistiques. Ainsi, en plus du registre, sur deux cents patients par type de prothèse, l'unité de recherche clinique rappellera tous les patients, un, deux puis quatre ans plus tard, pour savoir s'ils ont été réopérés. Cela nous permettra de contrôler l'exactitude des informations de notre registre. Si nous constatons des différences notables, cela signifiera que la réglementation française n'est pas propice à l'établissement de registres fiables.

M. Bernard Cazeau, rapporteur .- Comment l'imposer ?

M. Jean-Luc Besse . - Deux pistes existent :

- la première est législative, comme dans certains pays scandinaves tels que la Finlande, où la loi conditionne le remboursement au remplissage des registres. En France, le chirurgien est bien obligé de remplir un certain nombre de données du PMSI pour obtenir le remboursement du groupe homogène de séjour (GHS). Pourquoi ne pas appliquer la même logique aux implants à risque ? Cette piste est tout de même plus contraignante que la seconde ;

- la seconde est l'accréditation. C'est déjà le cas pour la base de données « Epithor » dans laquelle les chirurgiens thoraciques doivent renseigner les opérations qu'ils ont réalisées, les complications survenues, etc., et ce afin d'obtenir leur accréditation auprès des organismes qui gèrent le cancer. Les chirurgiens orthopédistes doivent aujourd'hui déclarer les événements indésirables sur « Orthorisque », afin que leur assurance soit, en partie, prise en charge.

M. Bernard Cazeau, rapporteur .- Les statistiques établies à partir du registre de l'AFCP permettraient-elles d'améliorer les technologies répertoriées et envisageriez-vous de partager ces données avec les fabricants ?

M. Jean-Luc Besse . - Les données d'un registre ne sont pas scientifiques au sens strict. Si l'on entre trop d'informations, il s'agit d'une étude de cohorte destinée à analyser la qualité de vie ou les résultats fonctionnels. Le registre informe sur le taux de complication, de réintervention et la courbe de survie à dix ans. Par exemple, quand sur la prothèse de hanche ASR nous sommes sur des courbes de survie de 95 % à 98 %, si sur un registre à cinq ans nous nous situons déjà à 80 %, cela signifie qu'il faut arrêter...

Nous allons partager nos données avec les industriels car nous avons passé un contrat avec eux : ils financent une partie du registre, car ils ont besoin de ces données pour le Ceps. Mais l'AFCP doit rester la propriétaire des données individuelles. Les industriels auront accès aux données statistiques et aux rapports annuels. Parallèlement, le grand public doit pouvoir consulter les données générales sur les prothèses sur le site des sociétés savantes.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Comment inciter les médecins à mieux déclarer les événements indésirables ?

M. Jean-Luc Besse . - Il y a un problème d'ordre culturel, du fait de l'absence d'obligation réglementaire. Dès lors que les patients auront un passeport, ils seront demandeurs d'informations. Sur des dispositifs spécifiques, les patients sont de plus en plus au courant de ce qu'ils peuvent en attendre.

La matériovigilance ne fonctionne pas très bien car la déclaration est très subjective. Que déclarer ? Les bris de prothèses ou de plaques ? Les ostéolyses, phénomènes d'usure du revêtement des prothèses, doivent-elles être considérées comme normales ou anormales ? L'absence de retour de l'Afssaps quand on fait une déclaration est aussi critiquable, c'est en particulier la remontée que j'ai des responsables d'établissement. J'en ai fait l'expérience quand je me suis interrogé sur la fréquence des ostéolyses peut-être dues à la qualité des revêtements. Il aurait fallu que celui qui a déclaré puisse également suggérer des pistes sur l'origine de la complication, du moins avoir son mot à dire.

M. Bernard Cazeau, rapporteur .- La création d'un registre des dispositifs médicaux à risque devrait-elle être décidée par les pouvoirs publics ? Un tel registre à l'échelle européenne vous paraît-il concevable ? Quel pourrait être le rôle des sociétés savantes dans sa mise en place ?

M. Jean-Luc Besse . - Oui, il revient aux pouvoirs publics de s'emparer du problème. L'échec du registre sur les prothèses de hanche l'a prouvé. Il faut donc, soit modifier la législation, soit instaurer des accréditations, avec des incitations financières. Dans certains pays, si vous remplissez convenablement vos données, vous obtenez des avantages en matière d'assurance notamment.

Les registres sont aussi indispensables. Le PMSI ne signale pas la nature des implants posés et les codes de la Cnam ne permettent pas de suivre les dossiers des patients. Il existe trois codes de la classification commune des actes médicaux (CCAM) pour les prothèses : mise en place d'une prothèse (on sait ainsi qu'on en pose 580) ; ablation de prothèses (on sait ainsi qu'on en enlève 150) ; ablation de prothèse accompagnée d'une arthrodèse. Mais le cas du patient à qui on a enlevé une prothèse qu'on a ensuite remplacée par une autre n'apparaît pas dans ce circuit.

Les registres constituent aussi le seul moyen de lutter contre les conflits d'intérêts et de contourner les lobbies : les registres exhaustifs se feront dans le seul intérêt des patients. Beaucoup de dispositifs médicaux sont conçus avec l'aide de chirurgiens et d'équipes réputées. Le problème peut aussi être sociétal : quand les chirurgiens sont influents et membres d'une société savante, ils peuvent utiliser cette dernière pour régler des problèmes concernant des dispositifs médicaux. Le but d'un registre exhaustif est de se placer au-dessus de tous ces intérêts personnels et de se ranger derrière celui du patient. Pour autant, les registres ne doivent concerner que les dispositifs les plus à risque.

M. Bernard Cazeau, rapporteur .- Peut-on constituer des registres pour les prothèses de la hanche, malgré leur plus grand nombre ?

M. Jean-Luc Besse . - L'exemple de la Suède nous prouve que c'est possible : son registre est rempli à 97 % pour les prothèses de hanche, à 99 % pour les prothèses du genou, à 82 % pour les prothèses de cheville. La législation y est différente, comme en Suisse.

M. René-Paul Savary . - Qui remplit le registre ?

M. Jean-Luc Besse . - Ce ne peut être que le chirurgien.

M. René-Paul Savary . - En France, c'est la sécurité sociale qui connaît toutes les opérations, qu'elle cote : compte tenu des précisions nécessaires au remboursement des actes, ne serait-il pas plus simple de lui confier également ce rôle scientifique ? Quant à l'accréditation, elle contraint à multiplier les démarches. Allons au plus rapide.

M. Jean-Luc Besse . - En théorie, vous avez raison mais il y a des obstacles pratiques. S'agissant du codage, on n'a rien inventé, on s'est simplement aligné sur ce qui se fait dans d'autres pays. Une fois qu'on vous a posé une prothèse, on vous attribue un code, mais, pour autant, si trois ans après la pose il faut refaire un ligament, le lien avec une possible défectuosité de la prothèse ne sera pas forcément établi. Seul le registre permet de suivre au long cours le patient et tout ce qui lui arrive.

S'agissant des consultations : idéalement, quand je fais une étude clinique sur les prothèses de cheville, je revois les patients à six mois, à un an, à deux ans, à cinq ans, à dix ans... Le problème est qu'après cinq ans, le chirurgien ne dispose plus du temps suffisant pour revoir en consultation les patients auxquels il a posé une prothèse car il voit de nouveaux patients et les opère. Souvent, le patient est donc réopéré par quelqu'un d'autre. Le registre permet précisément un tel suivi, à condition d'associer un numéro à la prothèse et que tout le monde joue le jeu.

Les données de la sécurité sociale et du PMSI sont complémentaires ; d'ailleurs, elles ont permis de montrer que, si sur 580 prothèses de cheville posées, on en enlevait 150, c'est qu'il y avait un problème. Pour autant, ces données ne remplacent pas celles du registre.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Que pensez-vous de l'initiative de la Global Harmonisation Task Force sur l'identification des dispositifs médicaux à partir du système UDI (Unique Device Identification) ?

M. Jean-Luc Besse . - C'est indispensable. Nous avons trop de référencements différents. Faut-il procéder au niveau européen ou au niveau international ? Je crois qu'il faut commencer par une harmonisation européenne car une prothèse portant le même nom aux Etats-Unis peut avoir un traitement de surface différent du modèle européen.

M. Bernard Cazeau, rapporteur .- La création d'un registre des essais cliniques vous semble-t-elle une idée pertinente afin d'améliorer le suivi et la qualité des dispositifs médicaux mis sur le marché ainsi que l'information des praticiens et des autorités sanitaires ? Cela constituerait-il une amélioration par rapport à la situation actuelle et, si oui, quelle échelle (nationale, européenne) serait la plus appropriée ?

M. Jean-Luc Besse . - Il existe déjà une base de données, le Clinical Trial, qui ne répertorie que les déclarations d'essais cliniques, il ne s'agit donc que des études les plus pertinentes. Beaucoup d'études ne sont pas déclarées. La publication pose de vrais problèmes quand les résultats de l'étude ne sont pas favorables. Lorsque vous procédez à une étude randomisée, à partir de la comparaison de deux techniques chirurgicales, en établissant un protocole et en définissant un nombre d'inclus, si vous constatez, au bout de dix à quinze inclusions, de grosses complications pour un groupe, alors éthiquement vous arrêtez. Or, une telle étude est pratiquement impubliable.

Alors que tout le monde était ligué contre moi, les résultats défavorables de mon étude, conduite dans le cadre de mon contrat d'évaluation clinique avec le fabricant de la prothèse, n'ont pas pu être publiés en France. Je n'ai pu les publier que dans une revue internationale. Par chance, d'autres publications sont venues confirmer peu après mes résultats.

Sur le fond, je suis d'accord pour qu'on constitue une base recueillant les données des essais cliniques, mais il faut s'entendre sur ce que l'on publie, notamment les études défavorables.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Les registres, tels qu'ils existent en Suède, ne peuvent-ils être étendus à toute l'Europe puisque les marchés sont européens ?

M. Jean-Luc Besse . - Il existe des projets de registres européens. L'European Foot and Ankle Society travaille sur ce type de projet. Mais rien qu'à l'échelle de la France, c'est le parcours du combattant. D'un pays à un autre, les numéros d'identification sont différents. De plus, sur les quinze registres que j'ai examinés à l'étranger, six requièrent l'accord du patient. Au Royaume-Uni par exemple, seuls 68 % des patients acceptent que leurs informations soient intégrées dans un registre. Il faudrait harmoniser les législations. Par le passé, un projet de registre européen sur les prothèses de cheville aurait permis de récupérer, non pas les données individuelles et nominatives, mais les données analytiques pour les centraliser. En outre, les quatre modèles de prothèses de cheville agréés en France ne sont pas les plus posés en Europe.

Comment créer un registre européen avec des législations différentes ? Un registre européen réunissant des données remplies à plus de 90 % en Suède, où c'est obligatoire, et des données remplies à seulement 1 % en France, n'a plus aucun sens.

M. René-Paul Savary . - On voit bien que le registre est efficace pour une prothèse spécifique. Il devient difficilement tenable dès qu'on aborde un dispositif destiné à un traitement de masse. On demande de plus en plus de garanties aux praticiens : accréditation, PMSI, codages de l'assurance maladie, etc. Attention à ne pas éloigner les professionnels de santé de leur occupation principale. Il faut améliorer la sécurité certes, mais sans pénaliser la réalisation des actes.

M. Jean-Luc Besse . - Je ne suis pas tout à fait d'accord. S'agissant des prothèses de cheville, nous avons calculé que le remplissage du registre ne prendrait pas plus de trois minutes pour quelques items de départ. A titre personnel, quand je suis au bloc opératoire, je dois remplir le PMSI, à partir d'un logiciel plus ou moins manipulable. Compte tenu de la pénurie de secrétariat, c'est à nous de taper nos comptes rendus. Mon logiciel nécessaire à la prescription postopératoire me demande quatre fois plus de temps que ce que je vais consacrer à un registre... Les Scandinaves ont su mettre en place des registres qui fonctionnent. Veut-on assister à des scandales à répétition, ou se donner le moyen de les éviter ?

Audition de représentants d'organismes notifiés allemands : MM. Daniel PFLUMM (Verband der TÜV), Hans-Heiner JUNKER (TÜV Süd) et Björn CLÜSSERATH (TÜV Rheinland) (mercredi 9 mai 2012)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Mes chers collègues, l'émotion suscitée par le scandale des prothèses PIP n'est pas retombée et l'actualité nous apporte de nouveaux éléments sur l'étendue du traumatisme lié à cette affaire. Je pense, par exemple, aux informations révélées récemment, et relatives au taux de rupture de ces prothèses, qui serait encore plus élevé que redouté. Après avoir recueilli le témoignage des victimes, nous entendons aujourd'hui les représentants des organismes certifiés allemands, MM. Daniel Pflumm (Verband der TÜV), Hans-Heiner Junker (TÜV Süd) et Björn Clüsserath (TÜV Rheinland).

Comme vous le savez, c'est l'un de ces organismes, TÜV Rheinland, qui a certifié, année après année, les prothèses fabriquées par PIP. C'est dire si nous sommes désireux de comprendre comment les choses se sont passées, ainsi que les leçons que vous en avez tirées pour l'avenir.

Le fait que PIP ait pu mettre ses produits sur le marché dans les conditions que l'on sait et pendant une période aussi longue nous interpelle.

L'objectif de notre mission n'est pas de nous substituer à la justice ni de mettre qui que ce soit en accusation. Il est au contraire de se pencher sur les mesures à mettre en oeuvre afin d'assurer une plus grande sécurité des patients, d'autant que les derniers mois ont également été marqués par le retrait d'autres prothèses, avec les conséquences que l'on sait pour la santé des patients ; je pense en particulier aux prothèses de hanche DePuy ou aux sondes de défibrillation St Jude Medical.

Bref, nous abordons votre audition dans un esprit constructif et nous attendons de vous un effort de transparence. Nous espérons aussi que vous nous formulerez des propositions issues de votre propre expérience.

Je passe maintenant la parole à notre rapporteur, qui a de nombreuses questions à vous poser.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Mes questions porteront sur votre système de travail ainsi que sur les procédures que vous employez, de manière à comprendre le fonctionnement - et les dysfonctionnements - du processus de certification.

Pouvez-vous nous présenter TÜV Rheinland et, plus largement, nous expliquer l'organisation de la certification des dispositifs médicaux en Allemagne ? Celle-ci paraît en effet très dispersée par rapport à ce qui existe par exemple en France ou au Royaume-Uni. Est-ce dû à des raisons historiques ? Au caractère fédéral du pays ? Pouvez-vous nous expliquer, en particulier, pourquoi il existe quatre organismes notifiés aptes à certifier des dispositifs médicaux implantables, sur un total de vingt au sein de l'Union européenne, situation totalement inédite ?

M. Björn Clüsserath, TÜV Rheinland . - Nous vous remercions tout d'abord de nous donner la possibilité de participer au débat lancé à la suite des scandales liés aux dispositifs médicaux.

Je représente à la fois TÜV Rheinland et la fédération des TÜV en Allemagne. TÜV Rheinland opère le contrôle technique de la certification, son métier depuis cent quarante ans. Cet organisme contrôle, inspecte et certifie la sécurité et la qualité de produits du monde entier. Notre groupe est organisé comme une association, détail qui peut avoir son importance. TÜV Rheinland est un des quatre organismes notifiés allemands compétents en matière de dispositifs médicaux.

Hans-Heiner Junker représente le groupe TÜV Süd, autre organisme notifié allemand. Il est expert en produits médicaux. Daniel Pflumm représente la fédération de l'association des TÜV.

Pour répondre à votre première question, je dirais qu'il n'y a pas de particularité allemande dans le fonctionnement du système. Ce dernier est européen. Il repose sur une directive européenne, transposée par les Etats membres. Les bases légales sont donc les mêmes en Allemagne qu'en France.

Le fait que l'Allemagne compte quatre organismes notifiés aptes à certifier des dispositifs médicaux n'est pas isolé. L'Italie en compte cinq, la Belgique trois, même s'il est difficile de comparer, car les notifications peuvent varier.

Les organismes sont notifiés par l'autorité nationale compétente. En Allemagne, il s'agit de la ZLG, ou Zentralstelle der Länder für Gesundheitschutz bei Arzneimitteln und Medizinprodukten, l'équivalent de l'Afssaps en France.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Pouvez-vous nous décrire la façon dont vous certifiez les dispositifs médicaux implantables ?

M. Björn Clüsserath . - Les implants mammaires appartiennent à la classe III des dispositifs médicaux, définie par la directive européenne. Pour cette classe, il existe deux procédures de certification différentes. Le producteur a le choix de recourir à l'une ou l'autre.

La première procédure repose sur l'examen d'un produit type. En ce cas, le producteur présente un échantillon qu'il souhaite introduire sur le marché européen. La vérification porte donc sur le produit même.

Pour la seconde, le producteur livre la documentation de conception du produit médical. Il dépose une présentation d'examen de dossier, où il explique le système de contrôle qualité qu'il souhaite introduire, puis fournit une documentation complète relative au produit, à la production, aux matériaux de base utilisés. Enfin, un audit du système de qualité est réalisé de manière périodique.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Si le producteur choisit de recourir à la deuxième procédure, il n'a donc pas à subir de prélèvement sur son produit ?

M. Daniel Pflumm, Verband der TÜV . - Le producteur est libre de son choix. Celui-ci fait porter le contrôle sur le produit ou sur la documentation. L'organisme notifié n'a pas à juger ce choix. Il a, en l'occurrence, peu de marges de manoeuvre. Ce que nous vous décrivons est mentionné dans les annexes de la directive européenne.

Dans le cas des prothèses PIP, le producteur avait choisi de recourir à la deuxième voie, celle où le produit est le moins au centre de la procédure.

M. Hans-Heiner Junker, TÜV Süd . - La première voie consiste en un examen du produit puis de la société, du système de contrôle qualité de la firme, et des conditions de production du produit. Ce n'est qu'ensuite que vient la certification. Au cours de la première phase du contrôle, qui porte donc sur le produit en tant que tel, un échantillon est prélevé et vérifié en laboratoire.

La deuxième voie repose sur le contrôle intensif de la documentation portant sur l'élaboration du produit, présentée par le fabricant. Le fabricant doit lui-même procéder aux contrôles qualité. Il nous présente ensuite ses résultats, que nous vérifions.

Lorsque nous examinons le système de gestion de la qualité, nous nous assurons que la société en question est en mesure de procéder aux différents contrôles nécessaires.

Après certification, nous procédons une fois par an, au moins, à un audit de la société, au cours duquel nous vérifions le système de contrôle qualité. Nous nous assurons également que le fabricant respecte les règles imposées. Tous les cinq ans, un nouveau contrôle du produit a lieu.

Le contrôle peut également être provoqué en cas d'incidents remettant en question la recertification du produit.

Mme Nathalie Goulet . - Combien de produits contrôlez-vous chaque année ? Combien de refus de certification opposez-vous ? En ce cas, quels sont les recours dont dispose le fabricant ?

M. Hans-Heiner Junker . - Le nombre de contrôles dépend de la taille de l'organisme notifié. En règle générale, la majorité des produits ne sont pas acceptés lors du premier contrôle mené par nos inspecteurs. La documentation, les notices d'emploi, le marquage, la description de l'utilisation du produit peuvent souvent être améliorés. On constate aussi, parfois, des erreurs ou des manques techniques.

M. Jacky Le Menn . - Prenons l'exemple du producteur ayant choisi de recourir à l'examen sur dossier. Au cours de celui-ci, l'organisme notifié peut-il demander à recourir au prélèvement d'un échantillon du produit contrôlé, s'il l'estime nécessaire ?

M. Hans-Heiner Junker . - La directive indique que l'organisme notifié peut demander le prélèvement de certains échantillons, ou procéder à certains contrôles, afin de vérifier ce qui est mentionné dans la documentation.

M. René-Paul Savary . - Comment est-il possible qu'un produit comme PIP ait pu passer entre les mailles de ce filet, s'il est si rigoureux ?

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Tout le problème est que la certification repose soit sur le produit lui-même, soit sur une documentation fournie par le producteur. La directive européenne ne permet-elle pas de faire les deux ? Les producteurs peuvent-ils vous en empêcher ?

M. Björn Clüsserath . - Le producteur a le choix de recourir à l'une ou l'autre procédure, et non pas à une combinaison des deux.

M. Daniel Pflumm . - Il faut bien comprendre que le législateur européen considère les deux méthodes comme équivalentes.

M. Jacky Le Menn . - Vous nous avez pourtant bien dit que l'organisme notifié pouvait, en cours de vérification du dossier, demander des échantillons, n'est-ce pas ?

M. Björn Clüsserath . - Si le producteur décide de recourir à la deuxième voie, l'organisme notifié ne peut travailler que sur le dossier qui lui est fourni, tant que la documentation est conforme aux exigences de production dudit produit. La possibilité de recourir à la demande d'échantillons, évoquée par M. Junker, est une exception. Il faut, pour y avoir recours, des indications montrant que des problèmes existent sur le produit contrôlé.

Le dossier présenté par le fabricant comprend une documentation portant sur le matériel de base utilisé, faisant elle-même appel à l'expertise de laboratoires accrédités. Aucune vérification supplémentaire n'est menée si nous ne disposons pas d'indice relatif à l'existence de problèmes sur le matériel.

Le producteur a l'obligation de signaler à l'organisme notifié tout changement dans son dossier. Dans ce cas, et si des doutes existent sur le matériel de base, des échantillons peuvent également être demandés.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous avez contrôlé et certifié les prothèses PIP. Votre contrôle a-t-il porté sur le produit ou sur le dossier ? Vous dites, en outre, mener des vérifications régulières après certification. Pourquoi, dès lors, n'avoir pas vu le problème ?

M. Björn Clüsserath . - TÜV Rheinland était effectivement chargé du contrôle des prothèses PIP, pour lequel le fabricant avait choisi la deuxième voie.

Pourquoi le problème ne nous est-il pas apparu ? Il faut bien comprendre que l'audit de qualité en entreprise n'a rien à voir avec la surveillance du marché, qui dépend des autorités compétentes de chaque Etat membre.

Par exemple, le chiffre relatif au nombre de ruptures de prothèses n'est pas signalé à l'organisme notifié.

M. Hans-Heiner Junker . - Lors de la vérification d'un système qualité, nous nous basons sur les normes européennes harmonisées Iso 13485 et Iso/CEI 17021. Nous programmons les audits, en convenons avec le fabricant. Nous définissons ensuite un plan d'audit, que nous remettons au producteur. Une fois sur place, nous regardons ce qui se passe, discutons avec les employés et vérifions si l'activité de la société correspond au système qualité mis en place.

Le contrôleur prélève certaines pièces, mais nous ne communiquons pas le détail de nos investigations au fabricant.

La modification par le producteur de son produit, notamment quand il est de classe III, est toujours contrôlée. Si celle-ci est importante, il se doit de la signaler à l'organisme notifié, ce qui déclenche un contrôle.

Nous vérifions également la façon dont le fabricant a mis en oeuvre les mesures de correction, ou dont il intègre l'information qui lui revient du marché. Le fabricant reçoit en effet un retour de ses clients sur le positionnement de son produit.

Mme Nathalie Goulet . - Savez-vous si un produit a déjà subi un refus de certification en Union européenne ou hors de celle-ci ? Existe-t-il un registre indiquant qu'un produit a déjà été présenté ou refusé ailleurs ?

M. Hans-Heiner Junker . - Ce type de registre n'existe pas en Europe.

Cependant, un fabricant désireux de mettre son produit sur le marché doit en faire la demande auprès d'un organisme notifié, et lui signaler toute demande de certification faite précédemment auprès d'un autre organisme.

M. Björn Clüsserath . - Le système repose fortement sur la responsabilité du producteur : il doit signaler cette information, ainsi que tout changement dans son processus de production, par exemple.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - A quelles sanctions s'expose-t-il s'il ne le fait pas ?

M. Björn Clüsserath . - A notre connaissance, aucune.

M. Daniel Pflumm . - Il en va de même dans d'autres domaines de la législation européenne, portant sur les ascenseurs ou les jouets, par exemple !

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Cela n'est pas gage d'une meilleure sécurité sanitaire !

M. Daniel Pflumm . - C'est pourquoi nous proposons des changements. Un réajustement doit se faire, surtout lorsqu'il s'agit de produits pouvant être potentiellement dangereux.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quelle appréciation d'ensemble portez-vous sur la procédure de marquage CE ? Comment la compareriez-vous à la procédure de l'autorisation préalable existant aux Etats-Unis pour les dispositifs les plus critiques ?

M. Daniel Pflumm . - Le marquage CE sert uniquement à montrer aux autorités nationales compétentes que le producteur a déclaré son produit conforme à la loi.

Cela peut déjà donner une indication pour la surveillance du marché au sein des Etats membres. Néanmoins, les autorités nationales compétentes, qui ont toutes des moyens limités, ne peuvent mener que des contrôles ciblés.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Et donc, quelle appréciation portez-vous sur cet état de fait ?

M. Daniel Pflumm . - Nous aimerions revenir à une vérification centrée sur le produit, surtout pour les dispositifs médicaux. C'est la position de tous les organismes notifiés du secteur. Nous parlons d'un produit pouvant être vraiment dangereux. Une simple déclaration du producteur ne peut suffire !

Il arrive de plus en plus souvent que les produits viennent de très loin. Dans ces conditions, la surveillance du marché par les autorités compétentes arrive trop tard, le produit est déjà chez le consommateur. Il faut donc recentrer les contrôles sur le produit et son origine, c'est la direction prise par les quatre propositions que nous avons formulées sur ce sujet. Le législateur européen doit intervenir.

Mme Nathalie Goulet . - Il est important pour nous de connaître les mécanismes pour savoir où sont les failles. Lors de travaux du Sénat portant sur la pollution des mers par les hydrocarbures, nous avions constaté que se posait, là aussi, le problème des compagnies qui certifiaient les navires.

Nous avions à l'époque imaginé que les fabricants puissent contribuer à un fonds d'indemnisation, qui constitue, en quelque sorte, une garantie financière de leur bonne foi.

Peut-on imaginer cette solution dans votre domaine ?

M. Björn Clüsserath . - Nous sommes naturellement ouverts à tout changement qui permette de limiter les conséquences de tels scandales.

Il est important de modifier le comportement des parties impliquées dans ce système, en étant plus sévère. Cependant, il semble difficile d'imaginer un système qui garantisse la non-reproduction des sinistres quand on est face à des agissements aussi criminels que dans l'affaire PIP.

Votre proposition permettrait de limiter à la fois les conséquences financières des dommages et les motivations frauduleuses. Pour autant, à notre sens, il faut faire plus.

M. Daniel Pflumm . - La révision de la législation en vigueur est en cours depuis 2008. Cette année, Bruxelles va proposer un règlement, par définition plus contraignant pour les Etats. Il devra mettre fin aux ambiguïtés, en faisant en sorte que le fabricant n'ait pas le choix de la méthode de certification de son produit. C'est en tout cas notre souhait.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Avez-vous modifié votre dispositif d'évaluation des dispositifs de classe III, à la suite de l'affaire PIP ? Sur quels points ? Avez-vous davantage recours à des inspections inopinées ?

M. Björn Clüsserath . - La directive prévoit non pas des inspections mais des visites inopinées. En outre, la norme Iso 17021 ne prévoit de visites inopinées qu'en cas de raison importante ou de motif grave.

Le cadre légal sur lequel s'appuient les organismes notifiés faisant partie de Team-NB pour agir n'a pas fondamentalement changé, jusqu'à présent. Cependant, nous prenons de nombreuses initiatives pour renforcer nos actions. Nous avons ainsi, récemment, proposé un code de conduite qui prévoit de renforcer nos activités.

Dans la pratique, les visites inopinées ne sont pas évidentes à effectuer. Les fabricants ont le droit de ne pas nous ouvrir leur porte.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Comment s'effectue le contrôle des organismes notifiés en Allemagne ? Sur quels points est-il différent de ce qui existe dans les autres pays européens, s'il l'est ?

M. Hans-Heiner Junker . - J'ignore les procédures de contrôle en vigueur dans les autres pays.

En Allemagne, l'organisme de contrôle vient nous voir au moins une fois par an, pendant plusieurs jours. Les activités et contrôles que nous effectuons sont vérifiés par plusieurs auditeurs, ainsi que notre système de gestion de qualité.

J'espère que la procédure est la même dans les autres pays ! Dans tous les cas, nous avons besoin qu'elle soit harmonisée au niveau européen. Des règles européennes ont été prises. Elles constituent des documents de base, appelés NBOG, pour Notified Body Operations Group, que tous les Etats membres ont indiqué vouloir mettre en oeuvre. A ce jour, cependant, seule l'Allemagne a traduit cette documentation en actes. Il est possible que les autorités de contrôle des différents pays aient des points de vue divergents sur la transcription de ces règles, qui ont été rédigées par des représentants des autorités de surveillance des Etats membres.

M. Daniel Pflumm . - La loi doit être appliquée. Les règles sont communes, mais leur application ne l'est pas.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Etes-vous évalués par les autorités sanitaires des autres Etats membres ?

M. Hans-Heiner Junker . - Les autorités ont commencé à pratiquer des peer reviews. Par exemple, nous avons été récemment interrogés par l'autorité espagnole. De cette façon, les autorités nationales compétentes s'efforcent d'échanger leurs points de vue et leurs exigences.

M. Björn Clüsserath . - En revanche, il n'est pas possible d'être notifié par une autorité d'un autre pays.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Faites-vous partie de l'association des organismes notifiés, Team-NB ? Avez-vous signé le code de conduite établi par cette association, qui a pour objectif de fixer des règles précises en matière de qualification du personnel, de durée et de modalités des évaluations, entre autres choses ?

M. Hans-Heiner Junker . - TÜV Rheinland et TÜV Süd font partie des trente-trois membres qui constituent Team-NB. Un code de conduite a été rédigé il y a trois ans par cinq organismes notifiés : LNE/G-MED, BSI, KEMA, TÜV Rheinland et TÜV Süd. Douze organismes notifiés l'ont déjà signé, cinq autres ont annoncé leur intention de le faire.

Nous nous demandons actuellement si ce code de conduite ne devrait pas devenir obligatoire au sein de Team-NB. Nous continuons en outre à l'améliorer et à le renforcer, ce qui correspond, d'ailleurs, à une demande du commissaire européen Dalli, que nous avons récemment rencontré.

Audition de M. Thomas FATOME, directeur de la sécurité sociale (DSS) (mercredi 9 mai 2012)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - La direction de la sécurité sociale assure la tutelle de l'ensemble des organismes du système de sécurité sociale et je souhaite, monsieur Thomas Fatome, que vous puissiez apporter votre éclairage sur plusieurs points qui intéressent notre mission d'information.

En effet, au-delà du poids important des dispositifs médicaux dans les dépenses d'assurance maladie, nous souhaiterions aborder avec vous la question de l'association de la sécurité sociale au système d'évaluation et de matériovigilance des dispositifs médicaux. Plusieurs interlocuteurs de notre mission ont par exemple insisté sur le rôle que pourraient jouer les bases de données de l'assurance maladie dans la réévaluation des dispositifs après leur commercialisation. La possibilité de soumettre le remboursement des dispositifs médicaux implantables au renseignement d'un registre garantissant leur traçabilité a également été évoquée.

Par ailleurs, comme vous le savez, le champ de notre mission s'étend aux interventions à visée esthétique. Nous sommes curieux de connaître votre point de vue sur la place qu'il convient d'accorder à la responsabilité collective dans ces pratiques de plus en plus nombreuses et, plus généralement, sur leurs modalités d'encadrement.

Sur ces premières interrogations, je laisse la parole à notre rapporteur.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Pourriez-vous présenter brièvement le rôle et les missions de la direction de la sécurité sociale ? Comment s'inscrit-elle dans le paysage institutionnel sanitaire français, notamment dans le cadre de ses relations avec l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), la Haute Autorité de santé (HAS), le Comité économique des produits de santé (Ceps), etc. ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale . - La direction de la sécurité sociale est chargée du pilotage des politiques de sécurité sociale dans trois grands domaines :

- sur le plan financier, dans le cadre de la préparation et du suivi des lois de financement de la sécurité sociale ;

- l'élaboration et le suivi des différentes politiques publiques de sécurité sociale : l'assurance maladie, la vieillesse, les accidents du travail et la famille ;

- la tutelle et l'animation des caisses de sécurité sociale au travers de la contractualisation avec la caisse nationale.

En ce qui concerne l'assurance maladie, notre mission fondamentale consiste à assurer la préparation et le suivi de l'objectif national des dépenses de l'assurance maladie (Ondam). A ce titre, nous sommes membre du Ceps, membre avec voix non délibérative des différentes commissions de la HAS et, en particulier s'agissant des dispositifs médicaux, de la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS). Bien que nous ne soyons pas compétents stricto sensu sur les sujets de sécurité sanitaire, nous sommes donc associés aux mécanismes de régulation des dispositifs médicaux. Dans le cadre des procédures de remboursement, il peut effectivement y avoir une interface entre les critères d'admission au remboursement et les critères d'évaluation des dispositifs médicaux. Pour autant, la direction de la sécurité sociale ne demeure associée que de façon très lointaine aux problématiques strictes de matériovigilance, puisqu'elle se concentre sur les sujets de droit au remboursement.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quel est le nombre total de dispositifs médicaux inscrits sur la liste des produits et prestations remboursables (LPPR) de l'assurance maladie ? Combien d'entre eux appartiennent à la classe III ? Quelles sont les parts respectives des dispositifs médicaux de classe III sous nom de marque et sous ligne générique ?

M. Thomas Fatome . - La LPPR comporte aujourd'hui près de 3 000 lignes génériques, recouvrant ainsi près de 80 000 produits commercialisés, ce qui témoigne de l'extrême diversité des produits. Se pose également la problématique de la distinction entre ligne générique et produits de marque. L'ANSM recense, de son côté, près de 4 400 dispositifs médicaux de classe III et 7 600 dispositifs médicaux de classe IIb, ces deux classes constituant le périmètre qui se rapproche le plus des dispositifs médicaux implantables. Ce chiffrage comprend des dispositifs médicaux inscrits sous ligne générique.

Si nous examinons, maintenant, les produits admis au remboursement dans le cadre de la LPPR, nous recensons 700 dispositifs inscrits à la nomenclature, dont 29 % sous ligne générique et 71 % sous nom de marque. 87 % des dispositifs implantables posés par les établissements correspondent à des lignes génériques, avec deux grandes familles : les implants orthopédiques et les implants afférents au système cardio-vasculaire.

Coexistent deux types de mode de prise en charge des dispositifs médicaux :

- d'une part, le financement intra-GHS (groupement homogène de séjour) qui constitue le financement de droit commun des dispositifs médicaux, ceux-ci n'étant pas codés pour la plupart et s'intégrant dans la politique d'achat de l'établissement de soins ;

- d'autre part, le financement via la liste en sus pour lequel nous avons un dispositif médical ayant fait l'objet d'une évaluation, d'une procédure de fixation d'un tarif et d'un prix limite de vente par le Ceps, ce qui nous donne une connaissance beaucoup plus fine de l'utilisation des différents produits, même si sur cette liste en sus nous retrouvons encore une fois la problématique de la liste générique versus l'inscription en nom de marque.

Cette différence de réglementation, de pratiques et de modes de remboursement est un élément très structurant de l'analyse du secteur des dispositifs médicaux.

Mme Nathalie Goulet . - Etant réfractaire aux sigles, j'ai du mal à comprendre ce que sont les GHS.

M. Thomas Fatome . - Groupement homogène de séjour. Dans ce cadre-là, l'assurance maladie paie à l'hôpital une prestation qui peut comprendre, selon les cas, l'utilisation et la pose d'un dispositif médical dont on n'identifie pas, en réalité, l'existence, par opposition aux dispositifs inscrits sur la liste en sus qu'on peut suivre avec précision. Cette liste en sus existe pour un certain nombre de dispositifs médicaux qui, de par leur prix et leur utilisation non homogène par rapport au tarif, diffèrent sensiblement du GHS. C'est bien souvent leur caractère innovant qui justifie un financement particulier et donc leur inscription sur la liste en sus.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quelle est la part dans les dépenses d'assurance maladie et l'évolution, au cours des quinze dernières années, de la prise en charge de ces dispositifs médicaux de classe III ?

M. Thomas Fatome . - Les dispositifs inscrits sur la LPPR représentent une dépense globale avoisinant les 6 milliards d'euros, qui a connu une dynamique assez forte avec des taux de croissance supérieurs à 10 % jusque dans le milieu des années 2000. Par la suite, le taux de progression se situe plutôt entre 5 % et 10 %, avec des évolutions qui peuvent être fortement heurtées, liées à des politiques de réintégration dans certains tarifs. Par exemple, en 2009, on observe un taux de croissance faible des dépenses de prise en charge de 1,6 %, en raison de la réintégration des dispositifs médicaux utilisés par les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quelles sont les spécialités chirurgicales les plus concernées par ces évolutions ?

M. Thomas Fatome . - La dépense liée aux dispositifs médicaux implantables inscrits sur la liste en sus, de l'ordre d'1,5 milliard d'euros, est légèrement moins dynamique. Elle progresse, en 2010, de 2,6 %. Les spécialités chirurgicales les plus concernées sont l'orthopédie (genou, hanche) et la neurologie (pour la pose de stents en particulier).

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Que posez-vous en neurologie ?

M. Thomas Fatome . - Principalement des stents à la suite d'accidents vasculaires cérébraux.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Dans ce cas, parlons plutôt de neuroangiologie. Je pensais que la cardiologie était beaucoup plus concernée par la pose de stents et sondes.

M. Thomas Fatome . - La cardiologie est moins dynamique car un certain nombre de dispositifs ont été réintégrés dans les GHS et apparaissent, par conséquent, moins sur la liste en sus.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Les chiffres que vous nous avez communiqués ne font référence qu'à des produits inscrits sur la liste en sus ?

M. Thomas Fatome . - Oui.

M. Jacky Le Menn . - En clair, vous cherchez à diminuer le volume de ce qui apparaît sur la liste en sus.

M. Thomas Fatome . - On cherche à appliquer une doctrine qui est celle dictée par les textes.

M. Jacky Le Menn . - En tout état de cause, la maîtrise de la dépense est plus forte pour les dispositifs hors liste en sus...

M. Thomas Fatome . - Il existe des critères pour qu'un dispositif puisse être inscrit sur la liste en sus : des prix élevés par rapport au tarif du GHS et une dispersion de l'utilisation par rapport au GHS. Si vous intégrez un dispositif très cher utilisé de façon épisodique dans le cadre du GHS, vous perturberez considérablement la tarification de l'hôpital, ce qui n'est pas conforme aux exigences de régulation de la dépense. Dès lors que nous avons des produits qui, en termes de prix et d'homogénéité des pratiques, ne justifient plus leur maintien en liste en sus, nous proposons chaque année au ministre, conjointement avec la direction générale de l'organisation des soins, une réintégration dans le tarif du GHS. En 2010, nous avons ainsi réintégré un certain nombre de valves cardiaques classiques, en 2011 des défibrillateurs cardiaques implantables. L'idée est que la liste en sus reste réservée à des dispositifs innovants avec des prix décorrélés du GHS.

Il s'agit d'un des éléments de notre politique de maîtrise globale des coûts, auquel s'ajoutent des baisses de prix et la maîtrise médicalisée, c'est-à-dire la promotion d'un usage pertinent des dispositifs médicaux aussi bien par les prescripteurs que par les assurés.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quel est le coût estimé de la prise en charge par la sécurité sociale des explantations de prothèses des victimes de l'affaire PIP ? Seriez-vous favorable à la prise en charge par l'assurance maladie des dépenses engendrées par les réimplantations de prothèses pour ces victimes ?

M. Thomas Fatome . - Le coût dépend des motivations qui ont conduit la patiente à avoir recours à une explantation. Les chiffres communiqués par la direction de la sécurité sociale reflètent un coût maximal de 60 millions d'euros dans l'hypothèse d'un recours systématique à l'explantation par 30 000 femmes pour un coût moyen de 2 000 euros. L'ANSM, en lien avec l'assurance maladie, suit régulièrement l'évolution du nombre de recours à l'explantation : on se situait à un peu moins de 4 000 explantations à la fin du mois de mars.

Les ministres ont exprimé clairement leur position sur ce qui devait être pris en charge par l'assurance maladie et ce qui n'avait pas vocation à l'être. Cette ligne de partage me semble conforme aux textes. Dans le cas d'une chirurgie reconstructrice, on se situe clairement dans une logique de soins ; dans le cas d'une opération à visée esthétique, on ne l'est pas.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quelle appréciation portez-vous sur l'évaluation des dispositifs médicaux implantables et sur leur réévaluation après leur commercialisation ? Les conditions dans lesquelles la HAS évalue la sécurité et l'efficacité des dispositifs médicaux implantables vous paraissent-elles satisfaisantes ?

M. Thomas Fatome . - En matière de sécurité sanitaire, interviennent l'ANSM, sur la matériovigilance, et la HAS sur l'évaluation de l'efficacité et la définition des spécifications techniques des dispositifs médicaux.

La HAS, comme les autres acteurs de la sécurité sanitaire, fait face à une dispersion importante du secteur et à un nombre extrêmement important de produits à gérer. Nous travaillons avec elle en vue de prioriser davantage les réévaluations régulières de lignes génériques. Nous sommes susceptibles de progresser en nous appuyant sur deux éléments :

- l'accord-cadre signé entre le Ceps et l'industrie des dispositifs médicaux va permettre de réaliser des progrès importants dans la définition des programmes d'études et du suivi des dispositifs ;

- compte tenu de l'insuffisance des informations dont nous disposons sur les dispositifs médicaux utilisés en intra-GHS, nous devons mettre en oeuvre le levier que nous confère l'article 37 de la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé (dite loi « médicament »), qui permet l'évaluation par la HAS de certaines classes de dispositifs médicaux afin de décider, en fonction de la mesure de leur efficacité, de leur intégration dans la liste d'achats par les hôpitaux, ce qui revient à mettre en place un système d'évaluation comparable à celui opéré pour la liste en sus.

Le décret d'application de ces dispositions est actuellement en cours d'examen au Conseil d'Etat et devrait donc être publié très prochainement.

L'existence même d'une ligne générique peut limiter la connaissance du payeur et de l'ensemble des acteurs sur la qualité du produit concerné.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Plusieurs interlocuteurs de la mission ont souligné la nécessité de renforcer l'évaluation des dispositifs médicaux implantables après leur commercialisation. Dans cette perspective, l'utilité du recours aux bases de données de l'assurance maladie a été soulignée. A cet égard, pourriez-vous nous préciser la nature des informations contenues dans les bases de données de la sécurité sociale en ce qui concerne les dispositifs médicaux implantables (patient, prescripteur, distributeur, etc.) ? Le recours à ces bases de données serait-il, selon vous, de nature à améliorer la qualité des études post-inscription ?

M. Thomas Fatome . - Je partage tout à fait l'idée que ces bases de données constituent des outils potentiellement utiles et puissants en vue de nourrir des études sur la bonne adaptation de notre système de soins et des mesures sur l'utilisation d'un certain nombre de produits. Pour autant, ces bases de données sont construites à partir d'informations existantes et de règles de codage. A ce stade, aucune donnée dans le système d'information de l'assurance maladie n'existe pour l'ensemble des dispositifs médicaux implantables qui sont intégrés au tarif des GHS. Si on souhaite s'appuyer sur les bases de données de l'assurance maladie afin de mieux appréhender l'utilisation de ces dispositifs, il faut donc mettre au point un codage pour la partie intra-GHS qui n'existe pas encore. C'est techniquement faisable, mais se pose également la question des produits génériques : entendons-nous simplement identifier une ligne générique dans ce codage, ou identifier à la fois une ligne générique et un produit de marque afin de pouvoir remonter jusqu'au dispositif précisément concerné ? Un certain nombre de préalables restent à lever.

Il nous faut également construire une politique d'étude afin de déterminer précisément les informations que l'on cherche à collecter. C'est le sens du groupement d'intérêt public (Gip) créé par la loi « médicament » qui réunit la HAS, l'ANSM, la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), la direction générale de la santé (DGS) et la DSS en vue de mettre en commun l'expertise et de construire des programmes d'étude. Il s'agit d'une oeuvre de longue haleine.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Des pays comme l'Australie ou la Suède ont mis en place des registres pour les dispositifs médicaux implantables, qui consignent des données épidémiologiques relatives au patient et à l'implant. Ces registres peuvent constituer un outil efficace pour détecter rapidement les défaillances de certains dispositifs. Cependant, en France, leur mise en place achopperait sur le caractère facultatif de leur renseignement par les chirurgiens ou sur la trop grande complexité des renseignements demandés. Pour remédier à ces difficultés, serait-il envisageable, selon vous, de conditionner le remboursement d'un dispositif médical implantable à l'inscription par le chirurgien, au sein d'un registre dédié, des données permettant de garantir la traçabilité du dispositif et d'avertir rapidement le patient en cas de défaillance ?

M. Thomas Fatome . - On touche à des sujets qui concernent plus la sécurité sanitaire. Les règles existantes imposent des exigences de traçabilité aux hôpitaux, aux pharmaciens, aux médecins prescripteurs et utilisateurs, afin de pouvoir rattacher l'utilisation du dispositif médical à un épisode de soins, mais elles sont imparfaitement respectées.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Très imparfaitement, en raison notamment du caractère facultatif des déclarations.

M. Thomas Fatome . - Si nous souhaitons disposer d'une information consolidée permettant de mettre en oeuvre un suivi, le plus simple et le plus opérationnel consiste encore, en effet, à s'appuyer sur le flux d'informations liées au remboursement en l'enrichissant. A partir du moment où nous saurons coder la nature d'un dispositif bien ciblé, là encore après s'être posé la question de la ligne générique, nous aurons à notre disposition un registre qui permettra d'automatiser la remontée de l'information. Ce qui correspond peu ou prou à la logique de circulation de l'information que nous avons mise en place jusqu'ici au travers du système national d'information interrégimes de l'assurance maladie (Sniiram) et du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI).

C'est une stratégie relativement simple qui n'exige pas de changer fondamentalement les pratiques du médecin et de son équipe. Néanmoins, elle suppose des évolutions du système d'information des hôpitaux, qui peuvent s'avérer techniquement lourdes. Nous sommes devant l'alternative suivante : soit on privilégie une approche de métiers en confiant aux sociétés savantes le soin de créer et de piloter l'enregistrement des données dans les registres, mais on sait que le caractère facultatif de cet enregistrement met en cause la fiabilité des informations d'un point de vue statistique ; soit on choisit de s'intégrer complètement dans le dispositif de traçabilité du remboursement, ce qui suppose alors d'enrichir le PMSI et le codage des dispositifs.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Avez-vous évalué les évolutions induites par le développement de ce codage ? Est-ce faisable ?

M. Thomas Fatome . - Nous ne les avons pas évaluées, mais rien ne me laisse penser, a priori, que ce n'est pas faisable. On en revient, cependant, au sujet de la ligne générique : si le codage ne référence une prothèse qu'en fonction de sa ligne générique, vous ne serez pas en mesure d'identifier précisément la prothèse effectivement utilisée. Pourrons-nous donc mettre au point un codage à la fois de la ligne générique et du produit considéré ?

Des travaux conduits au niveau européen s'intéressent à la mise en oeuvre d'un identifiant unique pour chaque dispositif médical. Il n'y aurait pas d'obstacle à faire figurer celui-ci dans le PMSI. Mais il s'agit de chantiers particulièrement longs. Le Sniiram a nécessité près de dix ans...

M. Jacky Le Menn . - Vous disposez de suffisamment de données dans le PMSI pour participer à cette évolution. Si l'objectif commun est celui de la traçabilité, pourquoi ne serait-il pas possible, dans le cadre d'une opération donnant-donnant, de demander au chirurgien de fournir un certain nombre de données, du reste pour certaines déjà contenues dans le PMSI, s'il souhaite obtenir le remboursement de son opération ?

M. Thomas Fatome . - Attention, ces informations, pour l'heure, n'existent pas : la nature d'un dispositif médical en dehors de la liste en sus n'est pas indiquée dans le flux d'informations liées au remboursement. Mais effectivement, mon opinion est qu'on peut faire apparaître ces informations en vue de constituer des registres à l'appui d'études épidémiologiques par exemple.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Justement, dans les hôpitaux, une personne est, en général, chargée de procéder à une commande globale de dispositifs médicaux. Pourquoi ne pas demander à cette personne de fournir un certain nombre d'informations de suivi ? Je ne vois pas bien vos réticences...

M. Thomas Fatome . - Fondamentalement je n'en ai pas.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Si cela demande plus d'effort, ce n'est pas un problème en soi, quand l'intérêt qui prime est celui d'une plus grande sécurité.

M. Thomas Fatome . - Je souhaitais juste insister sur le fait qu'une évolution de ce type prend du temps.

M. Jacky Le Menn . - C'est du temps bien investi...

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Un identifiant unique doit-il être élaboré au niveau européen ou international ? Quelles sont les difficultés dans ce domaine ?

M. Thomas Fatome . - Dès lors que des travaux sont conduits au niveau européen sur ce sujet, autant se caler dessus. Il faut qu'il soit conçu de façon à pouvoir être utilisé dans les chaînes de facturation. Je prends comme exemple la facturation directe dans les établissements de santé anciennement financés par dotation globale, votée par le Parlement dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004. Après plusieurs reports successifs, une expérimentation a été lancée en 2010, et nous savons, en 2012, que la montée en charge du dispositif se poursuivra au moins pendant encore cinq ans.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Que vous inspire le développement des pratiques médicales à visée esthétique ? Pensez-vous que cette évolution risque de limiter l'accès aux soins pour une partie de la population ?

M. Thomas Fatome . - Premièrement, cela me semble relever d'une logique de choix personnels. Deuxièmement, cela suppose la mise au point d'un cadre de sécurité sanitaire conférant plus de garanties aux patients concernés. Cela dit, je n'ai pas à ma disposition d'outil d'analyse me permettant de mesurer un éventuel risque de détournement du temps médical de soin vers des pratiques esthétiques. Notre objectif est celui de la maîtrise des dépenses d'assurance maladie, en tenant compte de l'attractivité des métiers médicaux et de la rémunération des personnels concernés. Je n'ai pas le sentiment que le développement de la médecine esthétique prive nos concitoyens de ressources médicales.

Quand l'acte intervient dans le cadre d'une chirurgie réparatrice et reconstructrice, il répond à une logique de soin qu'il est normal de rembourser. En revanche, l'assurance maladie n'a vocation à rembourser ni la pratique ni les conséquences des interventions à visée esthétique. Il existe un dispositif souvent mal connu qui est celui du recours contre tiers. Il appartient à l'assurance maladie de se retourner vers l'auteur du dommage ou son assureur en cas de complication. Au mois de février 2011, nous avons rappelé aux établissements de santé leur obligation d'informer les caisses des dysfonctionnements de certains dispositifs médicaux pour permettre ensuite aux caisses d'exercer ce recours contre tiers. Il me semble pleinement légitime que l'assurance maladie ne finance pas en dernier ressort ces accidents. Naturellement, elle paiera car il est hors de question de refuser, mais par la suite elle doit se retourner vers la personne responsable du dommage, qu'il s'agisse du professionnel de santé ayant commis une faute ou du fabricant du dispositif.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - L'article L. 165-1-1 du code de la sécurité sociale autorise, sous certaines conditions, la prise en charge partielle ou totale par l'assurance maladie de « tout produit, prestation ou acte innovant ». Pourriez-vous préciser les circonstances dans lesquelles cet article est applicable ? Ce dispositif a-t-il déjà été mis en oeuvre pour un dispositif médical implantable ? Le cas échéant, a-t-il fait la preuve de son efficacité ?

M. Thomas Fatome . - Cette disposition est venue compléter une panoplie réglementaire censée permettre la mise sur le marché de dispositifs médicaux innovants, en dehors des procédures habituelles d'évaluation. Je rappelle que nous disposons, par ailleurs, de la procédure intervenant plus en amont de soutien aux techniques innovantes coûteuses (Stic).

Le dispositif que vous évoquiez est en voie d'utilisation pour trois technologies à l'heure actuelle :

- le paradigme VEO qui assure une mesure en continu du glucose associé à une pompe à insuline. Le protocole d'étude est en cours d'expertise par la HAS et la direction générale de l'organisation des soins (DGOS). Il s'agit d'un dispositif semi-implantable ;

- les SIR-sphères qui sont des microsphères utilisées dans le cadre d'une radiothérapie dans le traitement d'un cancer colorectal métastatique. Il s'agit d'un dispositif implantable ;

- l'HIFU qui est le traitement du cancer localisé de la prostate par ultrasons focalisés de haute densité. Il s'agit d'un acte.

Mme Nathalie Goulet . - J'ai bien compris que votre champ d'activités dépassait celui des dispositifs médicaux implantables qui sont le coeur de notre mission. Nous intervenons juste après la mission sénatoriale qui a porté sur le scandale du Mediator, quinze ans après celui du Vioxx. A plusieurs reprises, nous avons évoqué le peu d'utilisation faite des données liées à la sécurité sociale. Est souvent cité l'exemple américain avec des fichiers qui permettent, en respectant totalement les exigences d'anonymat, de cumuler des données médicales, celles communiquées par les patients et celles transmises par les donneurs d'alertes. Ne pourrions-nous pas mettre en place ce type de fichier individuel pour chaque patient en vue de renforcer les dispositifs d'alerte ?

M. Thomas Fatome . - Si on se situe dans le cadre d'une utilisation non personnelle et anonymisée des bases de données en vue de réaliser des études d'épidémiologie, cela a clairement un intérêt, comme l'a démontré le Mediator. C'est le sens du Gip que j'ai évoqué précédemment, destiné à impulser des politiques d'études épidémiologiques. Cette logique est à différencier de l'exploitation des données personnelles contenues dans le dossier médical personnel qui permet une consolidation d'informations au niveau de l'individu par le médecin traitant. Ces logiques sont différentes, bien que complémentaires.

Audition de Maître Georges LACOEUILHE, avocat au barreau de Paris (mercredi 9 mai 2012)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Mes chers collègues, nous poursuivons notre après-midi d'auditions en recevant maintenant maître Georges Lacoeuilhe, avocat au barreau de Paris, spécialiste du droit de la responsabilité médicale.

Maître Lacoeuilhe est régulièrement sollicité par les praticiens et les assureurs dans les contentieux médicaux et il dispose donc d'une grande expérience sur des questions entrant dans le champ de notre mission d'information.

Plusieurs de nos interlocuteurs ont d'ailleurs pointé du doigt la responsabilité des praticiens dans toutes les interventions à visée esthétique aussi bien qu'en matière de déclarations d'événements indésirables.

Dans ces deux domaines, les questions de responsabilité médicale ne manquent pas. Il n'est que de constater les suites de la triste affaire PIP et les multiples recours judiciaires intentés par l'ensemble des acteurs afin de se prémunir contre la mise en jeu de leur responsabilité.

Il nous revient de nous pencher sur la réglementation applicable en ces matières et nous espérons, maître, pouvoir compter sur votre grande expérience et votre connaissance de la législation médicale pour mettre en lumière les forces et les faiblesses de notre dispositif juridique.

Avant de laisser la parole à notre rapporteur, je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et au public.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Pouvez-vous nous présenter votre parcours et votre activité d'avocat spécialisé en droit de la responsabilité médicale ?

Maître Georges Lacoeuilhe . - Je suis avocat depuis 1984. Mon cabinet s'est spécialisé en responsabilité médicale au début des années 1990, par le biais de notre clientèle d'assureurs. Au début, il s'agissait d'une activité assez mineure parmi d'autres en matière de responsabilité civile. Puis ce type de contentieux a explosé dans les années 2000 à la suite d'une jurisprudence de la Cour de cassation remontant à 1997, qui a opéré un renversement de la charge de la preuve en matière d'information. Ce fut l'élément déclencheur d'un très important contentieux. Le nombre de sinistres s'est donc multiplié en une dizaine d'années. Il n'existe plus guère de spécialités médicales dans lesquelles un praticien n'aura pas à subir un sinistre au moins une fois tous les cinq ans.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - En tant que conseil régulier des praticiens et des assurances, que pensez-vous de la façon dont les professionnels gèrent les conflits juridiques en cas de complications en matière de médecine et de chirurgie esthétiques ? Quelle est la part de la résolution transactionnelle dans les affaires que vous avez à connaître ?

Maître Georges Lacoeuilhe . - Il faut différencier deux terrains : l'humain et le technique. Mon cabinet intervient essentiellement sur le plateau technique lourd : il s'agit d'apporter un soutien juridique aux professionnels libéraux. Mais il y a également un aspect humain, d'ordre psychologique, qui compte énormément. Une action en justice est toujours très mal vécue par un professionnel : c'est non seulement son honneur qui est mis en cause mais aussi son savoir-faire. D'où une souffrance réelle, dont l'importance s'est un peu atténuée depuis quinze ans, compte tenu du grand nombre de contentieux qui ont vu le jour.

En termes financiers, ce sont les assureurs qui décident de transiger ou non car ce sont eux qui signent le chèque au final. Les professionnels n'ont quasiment pas leur mot à dire sur l'issue de la procédure enclenchée. Il ne reste aujourd'hui que quelques compagnies spécialisées en assurance médicale, ce qui rassure les professionnels libéraux qui se sentent correctement épaulés. Les assureurs ont recours à la transaction après une étude précise des éléments du dossier mais ils n'ont pas forcément les mêmes grilles de lecture. En général, c'est en présence d'une faute du médecin qu'ils choisiront de transiger. Encore faut-il que les revendications financières du demandeur ne soient pas très élevées, voire irrationnelles, au regard des chiffres retenus par la jurisprudence. Il faut donc regarder chaque litige au cas par cas et se livrer à une évaluation précise du préjudice avant de prendre une décision. Les politiques sont différentes suivant les assureurs : s'agissant des petits et moyens litiges, certains vont vouloir transiger, d'autres transigeront seulement en cas de réelle responsabilité du praticien.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Pouvez-vous nous présenter les risques médicaux les plus prégnants dans les différents traitements médicaux et chirurgicaux à visée esthétique que vous pouvez rencontrer ? Y a-t-il un risque de plainte plus élevé sur certains types d'opérations que sur d'autres ? Avez-vous constaté, ces dernières années, une augmentation du nombre de contentieux médicaux en matière esthétique ?

Maître Georges Lacoeuilhe . - On a assisté à une explosion des contentieux, pas seulement en matière de chirurgie plastique et reconstructrice mais dans toutes les spécialités chirurgicales. Qui dit contentieux ne dit pas nécessairement condamnation. Il y a beaucoup de contentieux et peu de condamnations. Il reste tout de même un coût important à la charge de l'assureur : frais d'expertises, honoraires d'avocats, parfois sur trois à quatre ans.

Existe-t-il des gestes spécifiques qui fassent l'objet de contentieux ? Oui mais ce ne sont pas nécessairement les gestes les plus dangereux. En chirurgie plastique, le geste le plus dangereux est sans doute celui de la plastie abdominale, qui peut entraîner des décès en l'absence de toute faute du chirurgien. Ce n'est pas pour autant ce geste qui provoque le plus de poursuites mais bien plutôt les gestes portant sur une partie hautement symbolisée du corps : le nez chez les hommes et la poitrine chez les femmes. Si la rhinoplastie ne donne pas le résultat escompté - ce qui est courant - les hommes n'hésitent pas à attaquer plus en raison de leur mécontentement que d'une véritable complication opératoire.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quel regard portez-vous sur la réglementation française encadrant les actes à visée esthétique et notamment sur l'articulation entre les articles 1151-2 et 1151-3 du code de la santé publique ?

Maître Georges Lacoeuilhe . - Ces dispositions, votées en 2009, permettent au pouvoir exécutif d'intervenir, via ses différentes agences, dans des processus thérapeutiques qui se révéleraient dangereux. Ce dispositif a été sollicité par les médecins eux-mêmes et la société française de chirurgie plastique et esthétique en est tout à fait satisfaite. Par contre, la question demeure de savoir qui va donner les moyens scientifiques et médicaux à l'agence régionale de santé (ARS) de juger que tel ou tel procédé est dangereux ? L'affaire PIP, sur laquelle nous reviendrons sans doute, montre combien il est difficile de manier l'interdiction trop hâtivement. Ce dispositif est donc satisfaisant mais attention à ne pas y avoir recours de manière trop rapide ou imprudente.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Pensez-vous qu'il faille rapprocher le régime juridique de la médecine esthétique de celui de la chirurgie esthétique en instaurant, par exemple, une obligation d'information sur les risques et les complications, en exigeant un niveau d'installation et d'équipement précis et en renforçant l'expression du consentement ?

Maître Georges Lacoeuilhe . - La médecine esthétique, notamment pour tout ce qui a trait aux injections, ne nécessite pas une installation plus drastique que ce qui est déjà prévu ou en place dans les cabinets de généralistes, de chirurgiens-dentistes ou de rhumatologues, par exemple. Un bon état d'hygiène et d'installation est suffisant, même s'il demeure fondamental que les autorités sanitaires procèdent à des contrôles réguliers.

Pour ce qui est de l'information du patient, notre droit positif s'applique également à la médecine esthétique et exige donc une information assez précise et complète sur les actes envisagés. Il ne me semble pas nécessaire de renforcer les dispositions légales existantes. Les différentes jurisprudences de 1997 à 2002 sont assez précises et la loi Kouchner a bien encadré tout risque de déconvenue.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - L'avalanche de plaintes à laquelle nous assistons dans l'affaire PIP montre que chacun cherche à se prémunir contre une mise en cause de sa responsabilité civile. A ce titre, que pensez-vous de la décision du juge des référés d'Avignon du 11 janvier dernier qui a condamné l'assureur de l'entreprise PIP à indemniser une porteuse de prothèses ? En cas d'annulation du contrat d'assurance par les tribunaux, vers qui devraient se tourner les victimes : les médecins au titre d'un manquement au devoir d'information, le laboratoire certificateur, les distributeurs... ?

Maître Georges Lacoeuilhe . - Nous sommes en présence d'une escroquerie à la fabrication. C'est quelque chose qui peut arriver dans n'importe quel domaine, n'importe quand et contre lequel on ne pourra jamais se prémunir totalement. Nous nous trouvons face à un double émoi : celui des femmes qui se sont fait implanter des prothèses dont elles ignorent si elles sont nocives ou non, et celui des chirurgiens qui ont acheté ces prothèses certifiées en toute bonne foi. Par dessus, la gestion médiatique et politique est venue se superposer sans aucune logique et en contradiction avec les critères médicaux pertinents. Toutes les sociétés savantes occidentales ont d'ailleurs déclaré qu'être porteur d'une prothèse PIP aujourd'hui ne faisait peser que peu de risques sur la santé.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Ce n'est pas aussi évident que vous le dites au niveau médical...

Maître Georges Lacoeuilhe . - Les choses semblent pourtant très claires au niveau médical et je dispose de nombreux communiqués de sociétés savantes : toutes disent qu'il n'y a aucune obligation d'explanter systématiquement. L'opinion publique s'est émue et le Gouvernement a recommandé, par sécurité et par souci médiatique peut-être, une dépose systématique, à la charge de la sécurité sociale, alors que cela n'avait aucun caractère urgent ni obligatoire...

Sur le plan judiciaire, la responsabilité du fabricant est évidente et n'est pas contestée. Il n'existe pas de responsabilité des chirurgiens qui ont été trompés. Dans ce cadre, la décision rendue par le juge des référés d'Avignon est une bonne décision d'opportunité, qui semble équitable pour l'avocat des praticiens que je suis. L'assureur a contesté sa responsabilité car il y eu tromperie et, dans ce cas-là, les assureurs ne veulent jamais accorder leur garantie.

En droit, je ne saurais me prononcer. Il faut attendre la décision au fond. L'arrêt du tribunal de commerce de Toulon ne devrait plus tarder à être rendu et il constituera la première décision au fond sur cette affaire. Je ne peux en préjuger, mais si le tribunal décidait que l'assureur n'a pas à payer en raison de la tromperie, la question de la charge financière resterait à résoudre. Le préjudice ne semble pas énorme : les chiffrages d'experts judiciaires indiquent une fourchette de 4 000 à 7 000 euros par explantation et les délais d'incapacité sont assez réduits dans ce type d'interventions. Il me semblerait injuste que ce soit les chirurgiens et leurs assureurs qui assument cette charge. La jurisprudence impose au fabricant d'assumer cette responsabilité mais le fabricant en question n'existe plus. Il me semble donc important que son assureur, Allianz, soit en mesure d'assumer sa garantie.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Dans un article de 2010, vous avez écrit que la Cour de cassation était toujours plus encline à protéger les victimes, quitte à les « victimiser ». Pensez-vous que cette remarque vaille aussi en matière esthétique ?

Maître Georges Lacoeuilhe . - Elle vaut de plus en plus. Notre société ne supporte pas le risque et, de manière généreuse et respectable, cherche à en indemniser toutes les conséquences. Se pose donc la question du coût du risque et de son imputabilité. La Cour de cassation a une position « indemnisante » majeure de principe. La loi Kouchner a eu le grand mérite d'encadrer ces questions et de ne pas laisser s'installer un droit prétorien unique. Malheureusement, dans leurs interprétations postérieures, les juges font reposer de plus en plus le coût du risque sur les épaules des chirurgiens. C'est une vision généreuse et intelligente mais il faut prendre en compte les questions de coût et de santé publique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Votre réponse a le mérite de la clarté et de la sincérité.

Maître Georges Lacoeuilhe . - C'est tout l'intérêt de ma présence parmi vous : vous dire ce que je pense.

Mme Nathalie Goulet . - Dans une audition précédente, nous avons évoqué la création d'un carnet de santé des patients en matière esthétique. Je pense que les praticiens et les patients ont bien souvent une responsabilité en commun : quand un praticien refuse une intervention, le patient va voir un autre spécialiste en toute connaissance de cause, que ce soit en matière d'injections ou d'implants. La responsabilité de la charge de la preuve est donc discutable dans ce cas. Ne pensez-vous pas que l'instauration d'un carnet de santé, attaché au patient, nous permettrait d'assurer un suivi médical précis et une traçabilité des différentes interventions subies ?

Maître Georges Lacoeuilhe . - Sur le plan logique, c'est une idée très intéressante. Je crains néanmoins que se pose le problème du secret médical, à moins qu'il ne s'agisse d'un équivalent du carnet de santé général et que le patient accepte de le donner au praticien. Il ne faudrait pas que n'importe quel praticien puisse avoir accès à ces informations indépendamment de l'accord du patient. Il y aurait là un souci en matière de liberté publique. En théorie et en pratique, toute consultation démarre par une description des antécédents médicaux et chirurgicaux. C'est quelque chose de très important en matière esthétique car cela permet au praticien de mieux comprendre qui est la personne qui vient le trouver et quelles sont ses attentes. En plus de l'aspect physiologique, c'est une question d'ordre psychologique : il faut être sûr que la personne ne demande pas trop au praticien ou à la chirurgie elle-même et je ne suis pas sûr que cela pourrait être inscrit dans ce carnet de santé. J'y vois une limite au systématisme. Laissons une part à l'humain.

Mme Nathalie Goulet . - Je pensais à un carnet de santé semblable à celui qu'ont tous les enfants. Quand les déclarations sont volontaires, beaucoup de choses sont malheureusement tues...

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Avez-vous eu à connaître de problèmes particuliers en matière de médecine esthétique, lumière pulsée ou blanchiment des dents par exemple ? J'aurai une deuxième question dans un tout autre ordre d'idée : vous semblez très critique sur les recommandations d'explantations des prothèses PIP. Certes le risque de cancer ne semble pas avéré mais il existe cependant un risque certain d'inflammation en cas de rupture des prothèses. Ne croyez-vous pas que devant cette faille du système public de vigilance à déceler une fraude, il n'est pas anormal que cette explantation soit prise en charge par la collectivité ?

Maître Georges Lacoeuilhe . - L'explantation est déjà prise en charge dès qu'on sort de la chirurgie esthétique. La pose de prothèses après cancer est prise en charge totalement. L'explantation est également prise en charge en matière de chirurgie esthétique mais non la réimplantation postérieure. Le bruit fait autour de ce dossier m'a semblé démesuré par rapport à ce que j'ai cru comprendre d'un risque scientifique. Je ne suis pas médecin ni oncologue mais le risque réel semble mineur. L'intervention de la puissance publique m'est apparue singulière.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Au-delà du bruit médiatique derrière lequel nous avons tendance à courir, ne croyez-vous pas que cette prise en charge collective de l'explantation soit normale ?

Maître Georges Lacoeuilhe . - Sur le principe, une défaillance avérée du système de vigilance sur une question de santé publique peut justifier une prise en charge collective. A côté de ça, on constate un désengagement du remboursement des soins optiques ou dentaires, qui touche tous les Français et notamment les plus démunis, en l'absence de tout scandale. Il y aurait sans doute un équilibre à trouver.

M. Jacky Le Menn . - Avez-vous constaté une augmentation des saisines à l'encontre des chirurgiens - voire des obstétriciens - plutôt en matière civile afin d'obtenir des dommages et intérêts ou plutôt en matière pénale pour faire condamner les praticiens ?

Maître Georges Lacoeuilhe . - Comme je l'ai dit, nous constatons une explosion réelle des actions en réparation, en témoigne la multiplication du montant des primes d'assurance en quinze ans. De manière regrettable à mes yeux, on se trouve face à une légère augmentation de la voie pénale. Cette voie, longue et complexe, n'est pas destinée à la réparation mais répond à mille choses. Je regrette que la loi pénale puisse être utilisée aussi facilement, même en cas de décès à l'origine duquel se trouve une faute non intentionnelle du praticien. Je pense que le recours au pénal devrait être réservé à des configurations beaucoup plus radicales que celle d'un médecin qui n'aurait pas utilisé la meilleure technique ou dont la main aurait glissé et qui aurait percé une artère. L'instruction est souvent très mal vécue par les praticiens sur le plan psychologique.

M. Jacky Le Menn . - Ils peuvent en sortir détruits.

Maître Georges Lacoeuilhe . - Les compagnies d'assurance constatent effectivement un fort taux de suicide chez les anesthésistes, par exemple. J'ai malheureusement l'habitude de conseiller à mes clients un suivi psychologique en cas de poursuites pénales car ils ne sont pas du tout structurés ni formés pour faire face à cette pression, à ces attaques publiques. A cet égard, le personnel politique m'impressionne par sa grande force à supporter toutes sortes d'attaques...

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous n'en mourons pas...

Mme Marie-Thérèse Bruguière . - Pour aller dans votre sens, j'ai eu à connaître du cas d'un jeune anesthésiste de Montpellier, qui avait commis une erreur ayant provoqué la mort d'un enfant, ne l'a pas supportée et s'est suicidé à trente-deux ans...

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Vous n'avez pas répondu à ma première question sur la médecine esthétique...

Maître Georges Lacoeuilhe . - J'ai de plus en plus de médecins esthétiques parmi ma clientèle mais je n'en ai aucun de mauvais. Je n'ai donc pas eu à connaître de litiges en matière civile ou pénale qui impliqueraient des gestes totalement inappropriés de médecine esthétique.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Il me reste à vous remercier pour cette audition très intéressante.

Maître Georges Lacoeuilhe . - J'ai été très honoré d'avoir à vous répondre.

Audition de M. le professeur Daniel LOISANCE, membre de l'Académie nationale de médecine (mercredi 9 mai 2012)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous achevons notre après-midi d'auditions en recevant le professeur Daniel Loisance, membre de l'Académie nationale de médecine, chirurgien cardiaque, ancien chef du service de chirurgie cardiaque de l'hôpital Henri-Mondor de Créteil.

Au mois de janvier dernier, vous avez présenté une communication à l'Académie de médecine sur le thème de l'évaluation des nouveaux dispositifs médicaux implantables. C'est un sujet auquel notre mission d'information a été confrontée dès le début de ses travaux. Le juste équilibre entre la nécessité d'assurer une haute sécurité sanitaire et le besoin d'innovation et d'amélioration des traitements, souvent portés par de petites structures qui ne seraient pas en mesure de répondre à des procédures d'autorisations plus contraignantes, est difficile à définir. Il ne faut pas décourager l'innovation et ses aspects bénéfiques tant sur le plan économique que sur le plan sanitaire. Où faut-il donc placer le curseur ?

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Le dispositif de contrôle et de mise sur le marché des dispositifs médicaux existant au sein de l'Union européenne (UE) vous paraît-il satisfaisant ? Le marquage CE n'a-t-il pas récemment fait la preuve de son insuffisance ? Quelles seraient les mesures appropriées à prendre pour que la sécurité sanitaire des dispositifs médicaux soit renforcée ? En amont, un registre des essais cliniques ne permettrait-il pas d'offrir une meilleure visibilité à tous les acteurs sur ce sujet ?

M. Daniel Loisance, membre de l'Académie nationale de médecine . - L'homme ayant la mémoire courte, je voudrais tout d'abord resituer le contexte exact en matière de techniques médicales et d'usage des dispositifs médicaux implantables. En 1971, quand j'ai commencé à exercer la chirurgie, les systèmes d'assistance circulatoire n'existaient pas et la chirurgie cardiaque, discipline encore très aventureuse, présentait des taux de mortalité de l'ordre de 30 % à 50 %. Aujourd'hui, on dispose de coeurs artificiels, on réalise des transplantations, on utilise des stents et des valves implantables sans chirurgie lourde avec des taux de mortalité qui se situent autour de 1 %. Les progrès monstrueux réalisés dans le domaine cardio-vasculaire ont eu tendance à occulter les quarante dernières années, qui furent difficiles.

J'ai participé à l'essentiel des grandes premières, de la transplantation du père Boulogne à la mise en place des premiers coeurs artificiels. J'ai eu la responsabilité de mettre en place, pour la première fois au monde, un système d'assistance circulatoire portable, permettant au patient de vivre normalement chez lui. J'ai été à l'origine des stents coronaires avant de m'en éloigner pour me concentrer pleinement sur le développement du coeur artificiel, et je reste encore très impliqué dans toutes ces questions.

Le contexte est donc celui d'un progrès indéniable, accompagné d'une prise de risque considérable. La situation était évidemment différente de ce qu'elle est aujourd'hui : il n'y avait pas de consentement à demander au malade et toute la responsabilité reposait sur le chirurgien. C'est désormais plus complexe.

On pourrait donc considérer que la réglementation européenne est bonne. Des progrès considérables ont été réalisés alors que peu de catastrophes, ou tout du moins de catastrophes dont on ait parlé et qui aient acquis une visibilité médiatique, sont à déplorer.

Cette première analyse est pourtant incorrecte : il est évident que la réglementation européenne n'est pas bonne. L'Europe est pour les Etats-Unis un terrain d'investigation pour tous les dispositifs médicaux innovants pour la simple raison qu'il est facile d'obtenir un marquage CE alors qu'il est bien plus difficile d'obtenir une approbation de la Food and Drug Administration (FDA). Aux yeux de la communauté internationale des chirurgiens, l'Europe est un laboratoire d'expérimentation clinique, voire humaine.

Ce point de vue négatif, contraire à l'idée qui prévaut, s'explique par la complexité excessive du système européen, qui permet de nombreuses dérives. Plus un système est complexe, plus il est facile de le biaiser : l'affaire PIP en est le parfait exemple.

Le fait qu'il y ait de multiples intervenants ne fait que renforcer cette situation. Entre le fabricant, l'organisme notifié et l'autorité sanitaire nationale, trois acteurs sont concernés alors que les relations entre eux ne sont pas claires. Le joueur essentiel n'est pas le fabricant. Celui-ci doit seulement définir la classe de risque de son produit. Il est très facile de tricher sur ce point, comme le montre l'exemple d'un système d'assistance circulatoire allemand agréé en tant que pompe artérielle. La procédure n'est pas la même : elle est, dans le second cas, plus rapide et moins chère. La simple décision du fabricant sur la classe de risque qu'il choisit a des conséquences directes sur les formalités à remplir. Les organismes notifiés sont des entreprises commerciales qui font payer leurs services d'autant plus cher qu'elles délivreront le marquage CE rapidement et à moindre coût pour elles. La logique de leur fonctionnement les éloigne de manière croissante d'une démarche scientifique. Enfin, les autorités sanitaires compétentes définissent les règles. Certaines sont très précises, comme celles établies par l'International Organization for Standardization (ISO) auxquelles j'ai parfois été amené à participer. Une telle façon de procéder ouvre la porte aux charlatans : c'est ce qui s'est passé avec PIP. C'est comme ça depuis que la « nouvelle approche » a été adoptée.

La définition des standards pose problème, notamment pour l'évaluation in vitro. Quant à l'évaluation in vivo chez l'animal, elle pose tellement de problèmes aujourd'hui que de nombreux dossiers prétendent s'en passer au motif que les progrès de l'informatique permettraient désormais de modéliser parfaitement les conséquences de l'implantation d'un ventricule artificiel chez l'homme par exemple. Il n'existe aucune preuve scientifique de cela, et les conséquences en sont très lourdes. Si un système d'assistance circulatoire peut être approuvé sans expérimentation animale préalable, le processus sera beaucoup plus rapide et bien moins cher, l'expérimentation animale étant très complexe à réaliser, surtout en France. Les modèles sont difficiles à choisir. L'expérimentation demeure pourtant essentielle car certains phénomènes après implantation ne sont pas modélisables, même sur le plus puissant des ordinateurs. La réaction inflammatoire de l'organisme face à un corps étranger n'est pas simulable, surtout lorsqu'il s'agit d'un coeur artificiel de 950 grammes. L'expérimentation animale seule permet d'appréhender ces phénomènes.

L'évaluation clinique intervient en amont de l'approbation du dispositif médical ainsi qu'après sa commercialisation, dans le cadre de la surveillance post-inscription. Elle n'est malheureusement régie par aucune règle. Il y a dans les dossiers d'évaluation tout et n'importe quoi. On dit qu'il faut faire des registres : c'est une plaisanterie. Dans le registre France 2 de la Haute Autorité de santé (HAS), qui porte sur les valves aortiques percutanées, la saisine des données importantes est incomplète, c'est d'ailleurs la HAS elle-même qui le précise ! Un registre qui n'est pas complet n'a strictement aucune valeur, il est même trompeur. De nombreux produits ont été autorisés en Europe sur la base de registres défaillants.

Les études prospectives randomisées coûtent très cher, sont très difficiles à réaliser mais ne reflètent pas la vraie vie. Les patients y sont très rigoureusement sélectionnés ; ce n'est pas le cas des malades au quotidien. Il existe souvent un décalage important entre les résultats d'une étude contrôlée prospective, indiscutable scientifiquement et statistiquement, et ce qui est observé dans la pratique. Les règles ne sont claires ni pour l'évaluation in vitro, ni pour celle in vivo chez l'animal, ni pour celle in vivo chez l'homme. Voila pourquoi, à mes yeux, le système européen n'est pas très bon.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Au-delà de ces critiques, que préconisez-vous ? Votre très bonne analyse nous montre que vous avez longuement réfléchi à ce problème. Faut-il baisser les bras ?

M. Daniel Loisance . - Certainement pas. Il faut arriver à un système qui concilie véritablement liberté d'innover et sécurité des malades. On doit pouvoir y arriver.

Il est fondamental de revoir toutes les règles de l'évaluation in vitro. La plupart sont très anciennes et ne correspondent pas aux contraintes imposées par les nouveaux matériaux et par ceux que nous utiliserons demain et qui feront appel aux nanoparticules ou à un mélange cellulaire. Les standards Iso ne sont plus adaptés à ce type de produits tout en continuant à imposer des tests dont la pertinence est discutable. Il faut faire un grand ménage dans ces règles qui datent des années 1975 à 1990. La médecine et la science ont beaucoup évolué depuis. Le même raisonnement est applicable aux cas de l'évaluation in vivo chez l'animal et chez l'homme. Il faut également faire en sorte que ces règles ne soient pas manipulables selon les dispositifs médicaux en fonction de considérations politiques.

La plus grande difficulté concerne l'évaluation humaine. La France est frappée d'une terrible maladie qui consiste à ne pas vouloir regarder les faits, mais plutôt à vouloir les faire parler en fonction d'idées préconçues. En France, l'évaluation n'existe pas en médecine. Les procédures d'accréditation ne font pas de l'évaluation mais de la politique. Il est urgentissime de développer une culture de l'évaluation. Chaque médecin devrait être conscient qu'il doit évaluer le résultat de ses interventions. Ni les services hospitaliers, ni les hôpitaux ne sont évalués. L'étalon de mesure de la qualité est l'enquête réalisée par le magazine Le Point, qui n'a aucun fondement scientifique. Il faut former les médecins à l'évaluation et leur fournir les outils informatiques adaptés et les techniciens d'études cliniques nécessaires pour vérifier que tous les dossiers sont correctement remplis. Ce système d'information doit aussi être plus convivial que ceux qu'on utilise aujourd'hui ! Un chirurgien sérieux ne peut pas connecter son logiciel d'évaluation au réseau informatique de l'administration hospitalière car c'est interdit ! Pour un chef de service de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), recruter un technicien informatique s'apparente à une mission impossible. J'ai eu la chance d'avoir, attachée à mon service, une unité de recherche du CNRS, ce qui me permettait de surmonter ces difficultés administratives. Tous ne sont pas dans une situation si privilégiée qui habilite à engager les dépenses indispensables à la réalisation d'une bonne évaluation.

A ce titre, l'exemple anglais est très parlant. Il y a quelques années, le scandale de Bristol avait révélé une surmortalité très importante dans le service de chirurgie cardiaque pédiatrique. La réaction française aurait été de changer de chirurgien. Les Anglais ont cherché à comprendre les causes de cette situation et ont découvert un dysfonctionnement systémique majeur au sein de l'hôpital, malgré le talent du chirurgien. De toute évidence, il existe de nombreuses situations de ce type en France, mais aucun moyen de les identifier. En réaction à cette tragédie, l'évaluation a été rendue obligatoire en Angleterre. Désormais, moins de trois ans après la mise en place de ce système de surveillance de l'activité médicale, les chiffres de mortalité et de morbidité de chaque service hospitalier, de chaque chirurgien ou de chaque classe pathologique sont consultables en ligne en fonction de critères précis, âge des patients ou facteurs de risque.

Grâce à un tel outil d'évaluation continue, les dérapages sont immédiatement perceptibles. J'en parle avec d'autant plus de certitude que j'en ai moi-même fait l'expérience. Avec des financements obtenus à travers mon équipe de recherche, j'avais mis en place un tel système dans mon service, reposant sur une base de données recensant près de 10 000 malades suivis entre 1998 et 2010. Chaque matin je pouvais surveiller l'évolution de l'activité de mon service et identifier les problèmes en observant différents indicateurs de performance. C'est ainsi que j'avais, par exemple, pu détecter un taux anormalement élevé de complications chez un chirurgien au cours d'une période de trois semaines et l'expliquer. Tant qu'un tel mécanisme n'aura pas été généralisé le système ne sera pas efficace.

Pour le dispositif médical, avec un système de ce type, et dès lors que chaque dispositif aura été doté d'un identifiant, il sera possible de savoir immédiatement si l'un d'entre eux est responsable d'une surmortalité, d'un taux anormalement élevé de complications infectieuses, de réhospitalisations ou de complications en général.

M. Jacky Le Menn . - Vous nous dites qu'il n'existe pas d'évaluation en France. Pourtant, dans le cas des établissements de santé, des organismes comme l'ancienne Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (Anaes), aujourd'hui intégrée à la HAS, interviennent pour assurer leur certification et conduisent des études très longues. Il ne faut pas non plus oublier les comités de lutte contre les infections nosocomiales (Clin), dont les travaux sont communiqués aux agences régionales de santé (ARS). En ce qui concerne les pratiques médicales, et notamment en cardiologie, les sociétés savantes émettent des recommandations et des cadrages pour la réalisation de certains actes. Il me semble donc que l'évaluation est une réalité.

M. Daniel Loisance . - Prenons l'exemple d'un service qui aurait un taux de médiastinite, d'infection du thorax après une chirurgie cardiaque, tellement important qu'il ne peut plus le gérer. Dès qu'un malade présentera des signes de cette infection, il sera transféré dans un autre service et ne sera donc pas comptabilisé comme une complication infectieuse imputable au service d'origine. Celui qui aura, dans les faits, le taux de complications le plus élevé aura, dans le suivi statistique, le taux le plus bas.

En ce qui concerne les registres en cardiologie, il faut préciser qu'ils ne sont pas obligatoires mais volontaires. Lorsqu'une complication peu avouable intervient chez un patient, le dossier ne sera pas déclaré. Les registres non contrôlés fournissent une vue toujours beaucoup plus favorable que la réalité.

Les procédures d'accréditation prennent très peu en compte les résultats des patients, bien moins en tout cas que le respect des procédures. Un indicateur communément utilisé est celui de la consommation de fioles de solution hydroalcoolique, afin d'évaluer la lutte contre les infections. Il ne prend malheureusement pas en compte le fait que le personnel soignant peut être tenté d'en détourner un certain nombre pour un usage personnel. Une évaluation mal faite est donc trompeuse : ici, la consommation de produit désinfectant est déconnectée de la réalité.

L'évaluation telle qu'elle doit être faite n'est pas celle qui est faite aujourd'hui, et c'est bien là le coeur du problème. La surveillance des médicaments et des dispositifs médicaux ne poserait aucun problème si on disposait de dossiers de suivi. On ne sait malheureusement pas de quoi on parle, et les autorités sont incapables de dire exactement combien de prothèses PIP posent problème.

La réglementation a bien tenté de s'adapter à cette situation. Ainsi, il nous avait été demandé de recenser et de suivre tous les porteurs de prothèses valvulaires. C'est facile à dire, mais il ne faut pas oublier que, chaque année, 10 % de la population française déménage. Le même problème se pose lorsque des études sur des cohortes de malades sur cinq, dix ou vingt ans sont réalisées. Celle que je suis en train de réaliser, sur le suivi de porteurs d'une prothèse valvulaire très particulière, concerne 3 000 personnes. Bien que deux secrétaires s'y consacrent pleinement, 12 % de cette population restent introuvables. Je ne dis pas que de telles études ne sont pas faisables, au contraire, mais qu'elles sont très difficiles à réaliser.

Tout cela est parfois décourageant. La surveillance d'une prothèse valvulaire donnée, comme la valve Mitroflow, utilisée de 1980 à 1990 et faite à base de péricarde bovin, en est l'illustration. Elle avait, en théorie, beaucoup d'avantages. Le dossier était bien fait, les autorisations ont été délivrées et elle fut utilisée. Pourtant, il est vite devenu évident que cette prothèse avait un taux de dysfonction primaire inacceptable. Au sein de mon service, la vigilance ainsi que la surveillance des malades ont été accrues. Après dix ans, la quasi-totalité d'entre eux avaient dû être réopérés ou étaient morts pour d'autres causes. La conséquence nous apparaissait claire : surtout ne plus jamais utiliser cette valve. Pourtant, alors que nous publiions nos résultats, une étude allemande aux conclusions diamétralement opposées est parue. Nous sommes sortis renforcés d'une analyse très précise de leurs chiffres. Les Allemands ne voulaient tout simplement pas voir le problème : ils manipulaient les statistiques et se livraient à des interprétations douteuses des données.

La vérité est l'objectif ultime, mais on ne la trouve pas dans les publications. Elle est dans l'analyse des faits et des chiffres ; on l'obtient avec une base de données bien faite si on accepte de ne pas tricher.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous critiquez à juste titre l'utilité des registres lorsque ceux-ci sont mal utilisés. C'est malheureusement le cas à l'heure actuelle. Que préconisez-vous à ce sujet ? Comment est-il possible d'en faire un bon usage ?

M. Daniel Loisance . - Sur une note d'optimisme, je dirais qu'on peut toujours bien faire dans la vie.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Mais comment obliger les gens à bien faire ?

M. Daniel Loisance . - C'est très simple, comme le montre l'exemple d'Intermacs (Interagency registry for mechanically assisted circulatory support), le registre américain des systèmes d'assurance circulatoire. L'établissement de santé qui a réalisé une opération chirurgicale implantant un tel dispositif médical n'est pas remboursé tant que le dossier informatique concernant celui-ci n'a pas été transmis à la structure qui gère le registre et audité. Cette base de données est donc exhaustive. Créés à l'initiative de la Société internationale de transplantation du coeur et du poumon (International society for heart & lung transplantation, ISHLT), avec des moyens fournis par les industriels et la FDA, tous les centres américains ont été obligés d'y souscrire, sous peine de perte du remboursement. Le même type de registre conditionnant le paiement des actes existe en Suède pour les prothèses orthopédiques.

Près de six mille malades sont répertoriés dans Intermacs qui fonctionne depuis cinq ans. On a la certitude de son exhaustivité et de sa précision.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - D'après ce qui nous a été dit, ce serait difficile à faire en France...

M. Daniel Loisance . - Il n'y aurait pas de problème si c'était obligatoire et que les médecins étaient correctement formés à cela. A l'heure actuelle, aucun cours consacré à l'évaluation des pratiques médicales n'est donné durant les études de médecine. L'ajout d'un module méthodologique sur l'évaluation clinique à la fin de ces études serait très utile.

Le coût des outils informatiques n'est pas un obstacle. Au contraire, il est très faible. On manque de techniciens pour réaliser la saisie des données et le suivi des études cliniques, néanmoins dans de nombreux cas les médecins complètent eux-mêmes le dossier informatique post-opératoire. C'est n'est donc pas impossible, mais la volonté pour le faire est absente actuellement.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - D'après votre expérience de praticien hospitalier, les modalités d'information des professionnels de santé en matière de dispositifs médicaux devraient-elles évoluer ? La publicité devrait-elle être encadrée différemment ?

M. Daniel Loisance . - Aujourd'hui, la formation continue médicale est, en règle générale, prise en charge par l'industrie. C'est regrettable. Le financement par l'industrie devrait être secondaire par rapport à un financement public. La création récente de l'Organisme gestionnaire du développement professionnel continu (OGDPC) constitue une avancée, reste à voir ce qu'il pourra accomplir. Il n'est certainement pas souhaitable que l'industrie ait le monopole de l'information des médecins dans leur pratique quotidienne. Les pressions dont les médecins font l'objet sont considérables.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - La réglementation aux Etats-Unis est-elle plus efficace qu'en Europe ?

M. Daniel Loisance . - Elle est plus précise et plus rigoureuse, mais elle n'est pas pour autant satisfaisante. A la suite des affaires des prothèses DePuy et des sondes de pace maker de la marque St. Jude Medical, le Congrès a créé une commission spéciale avec un seul mot d'ordre : plus jamais ça. Les Américains rencontrent des difficultés dans la surveillance post-inscription de la plupart des dispositifs médicaux implantables, sauf pour ceux qui rentrent dans le champ d'Intermacs. En revanche, il existe un gros problème avec les stents. Il y a deux ans, le New York Times s'interrogeait sur le nombre de morts indues causées par les stents couverts. C'est une affaire monstrueuse dont on parle trop peu, car on peut dire que la mise au point des stents s'est faite directement sur l'homme. Certains modèles ont été implantés sans connaître les réactions qu'ils pourraient causer. Ce n'est qu'ensuite qu'ont été constatées des occlusions précoces, à l'origine d'infarctus et de décès. En un an, quatre mille morts ont été imputées au stent Taxus®.

La vigilance y est très forte en ce qui concerne les valves percutanées. Une étude randomisée, contrôlée, et prospective, c'est-à-dire la plus complexe, a été imposée. Cette étude Partner, qui devait être le modèle de surveillance d'un dispositif médical à haut risque, est mal conduite. Le plus grand risque après la mise en place d'une telle valve est l'embolie cérébrale. Une autre étude américaine a mis en lumière, grâce à la détection par IRM, un taux d'embolisation de 80 %. L'expression clinique n'est ensuite que de 5 % à 10 %, mais une étude hollandaise a ensuite montré la corrélation entre la fréquence des épisodes d'ischémie cérébrale silencieuse et le développement de la sénilité. Cette information n'est pourtant pas prise en compte dans les critères d'évaluation de Partner, car elle souligne les dangers que font peser au cerveau des malades les valves percutanées. En cours d'étude, la définition des critères a évolué : les « cerebral events » ont été remplacés par les « major cerebral events ». Les épisodes d'ischémie silencieuse ne sont donc plus comptabilisés.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - La sécurité des stents s'est quand même améliorée. Je connais de nombreuses personnes qui en portent et pour qui tout va bien.

M. Daniel Loisance . - Les chirurgiens ont tellement peur qu'ils font extrêmement attention ! Toutes les études randomisées contrôlées montrent la supériorité du pontage coronarien sur le stent dès lors qu'il s'agit d'une maladie sévère.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Et lorsqu'il n'est question que d'une seule artère ?

M. Daniel Loisance . - On peut mettre un stent ou ne rien faire, ce qui est souvent la bonne décision. Les études contrôlées portant sur des problèmes coronariens peu sévères qui comparent traitement médical bien conduit et stent ne montrent pas la supériorité de ce dernier.

Mme Gisèle Printz . - Tout cela n'est pas très encourageant !

Mme Chantal Jouanno, présidente . - J'aimerais revenir sur l'équilibre à trouver entre sécurité et innovation. Vous nous dites qu'il faut améliorer les essais préalables à la commercialisation d'un dispositif et moderniser les règles qui leur sont applicables, sans toutefois que cela puisse remplacer une évaluation en continu. Vous privilégiez donc cette voie pour fixer l'équilibre ?

M. Daniel Loisance . - On ne peut jamais envisager tous les cas de figure lors des essais préinscription. La surveillance des produits mis sur le marché est indispensable car les surprises, bonnes ou mauvaises, sont nombreuses. Ce fut le cas avec la valve Silzone® de St. Jude Medical, retirée du marché à cause d'un taux de fuite périvalvulaire extrêmement important. La surveillance des malades chez lesquels cette valve avait été implantée n'a pas permis de confirmer que ce risque se maintenait à long terme. Le fort taux de fuite était en fait principalement causé par la façon dont les chirurgiens utilisaient la valve. La surveillance post-inscription permet de mieux mesurer l'impact du malade et de la technique opératoire sur le fonctionnement de l'implant. Une prothèse en PTFE (polytétrafluoroéthylène) manipulée avec des pinces s'abîmera très vite ; malheureusement certains chirurgiens ne prennent pas ce type de facteurs en compte et n'ont pas les bons réflexes.

Toutefois, il ne faut pas dissocier la surveillance post-inscription des essais menés avant la commercialisation. Ces deux processus doivent se compléter.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Certaines personnes que nous avons auditionnées, ont recommandé la mise en place d'une sorte d'autorisation de mise sur le marché (AMM) pour les dispositifs médicaux les plus à risque. Pourtant, si cette AMM existait, l'innovation serait sans nul doute bridée. Quel est votre avis sur la question ?

M. Daniel Loisance . - Les dispositifs médicaux mis sur le marché aujourd'hui apportent un service attendu et un service rendu qui sont marginaux. Récemment, le New England Journal of Medicine présentait les conclusions d'une étude à deux ans sur les valves percutanées : le taux de mortalité chez les malades en ayant reçu était de 47 %, par rapport à un taux de 51 % chez ceux n'ayant pas subi d'intervention. Le gain à deux ans semble moins probant que celui à un an. Faut-il vraiment dépenser 28 000 euros pour gagner 3 % de survie à deux ans ? Une réflexion approfondie à ce sujet est nécessaire.

Il en va de même avec le coeur artificiel. Des systèmes d'assistance circulatoire existent déjà, mais moins de 10 % de la population qui en a besoin en bénéficie. Pourquoi mettre au point quelque chose de plus complexe et plus coûteux alors que les technologies actuelles, qui fonctionnent très bien, ne sont pas utilisées ? On nous parle d'un marché de 300 000 malades pour 37 milliards d'euros de chiffre d'affaires, ce qui conférerait à la France une place de leader mondial. Par comparaison, l'an dernier 185 systèmes d'assistance circulatoire ont été implantés en France. J'ai du mal à croire qu'on va multiplier les opérations et réaliser un bond de plusieurs milliers pour la simple raison que les coeurs artificiels seraient français.

Il faut passer outre le simple critère de la survie pour parler de celui de la qualité de vie. N'oublions pas qu'après quatre-vingt-cinq ans, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques(Insee), un Français est atteint au minimum de douze pathologies.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Effectivement, mais c'est là un autre débat.

Mme Nathalie Goulet . - L'an dernier, la mission commune d'information créée à la suite de l'affaire du Mediator, avait rencontré, lors de son déplacement aux Etats-Unis, des représentants de Medicare et de Medco, deux organismes de santé, l'un public et l'autre privé, qui font un très grand usage des statistiques. Vos propos confirment la nécessité qu'il y a à analyser la totalité des données qui sont en notre possession, qu'elles proviennent de la sécurité sociale, de lanceurs d'alerte ou de la pharmacovigilance. Les médecins n'y sont d'ailleurs pas formés. Tous ces éléments, une fois rassemblés, permettraient d'avoir une vue bien plus précise du système de soins et de son efficacité. Les Américains ajoutent à cela la question du remboursement : la motivation repose sur la recherche de l'efficience entre le coût et les prestations médicales fournies. Les gens sont, par ce biais, mieux soignés car il est fait plus attention à ce qui est consommé, le tout pour améliorer l'efficacité générale du système. Nous avons donc encore beaucoup de travail à faire sur la collecte et l'utilisation des données.

M. Daniel Loisance . - Surveiller un dispositif médical implantable consiste avant tout à surveiller le résultat d'un geste chirurgical. Nous n'avons, en France, ni la culture, ni les moyens pour le faire. Je regrette de ne pas avoir été capable, en dehors de mon service, de diffuser cette culture de l'évaluation.

Audition de Mme Laure LECHERTIER, responsable du département politique des produits de santé, et M. Vincent FIGUREAU, responsable du département relations institutionnelles, de la Mutualité française (mardi 22 mai 2012)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous entamons ce qui est sans doute notre dernière série d'auditions, avant la remise du rapport à la mi-juillet.

Nous recevons aujourd'hui Mme Laure Lechertier, responsable du département politique des produits de santé, et M. Vincent Figureau, responsable du département relations institutionnelles, de la Mutualité française.

Nous avons assisté ces derniers mois à une multiplication d'incidents impliquant des dispositifs médicaux : prothèses PIP, sondes de défibrillation RIATA, prothèses de hanche DePuy. La Mutualité française réclame de longue date la mise en oeuvre d'une véritable autorisation de mise sur le marché (AMM), à l'image de celle du médicament, pour les dispositifs médicaux les plus risqués. Lors des Assises du médicament, elle a souligné la nécessité de refondre le marquage CE, de renforcer la matériovigilance et de développer les évaluations pré et post-commercialisation des dispositifs médicaux. Enfin, la traçabilité des dispositifs médicaux pourrait être liée à leur remboursement, sous réserve qu'ils puissent être individualisés.

Cette audition nous permettra de connaître précisément vos propositions et recommandations relatives à la sécurité des dispositifs médicaux mais aussi au développement des pratiques médicales à visée esthétique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Pourriez-vous rappeler le rôle de la Mutualité française et les fonctions que vous y occupez ?

M. Vincent Figureau, responsable du département Relations institutionnelles de la Mutualité française . - Je m'occupe des relations de la Mutualité française avec les pouvoirs publics français, en collaboration avec le département chargé des affaires européennes et celui de Mme Lechertier.

La Mutualité française est un acteur important de l'économie sociale. Les mutuelles sont des sociétés de personnes à but non lucratif, dont les bénéfices ne se partagent pas ; elles ne rémunèrent pas d'actionnaires, contrairement aux assurances privées. Leur activité repose sur les principes de solidarité et de non-sélection du risque. Les mutuelles sont financeurs et offreurs de soins ; elles sont aussi les premiers acteurs de la prévention et de la promotion de la santé après les pouvoirs publics et la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam).

La Mutualité française couvre 38 millions d'assurés. Elle a présenté des propositions en vue des élections présidentielle et législatives, visant à renforcer le rôle du médecin traitant, à réduire le reste à charge des patients et à assurer un droit réel à une complémentaire santé solidaire. L'accès aux soins égal pour tous reste en effet un problème majeur.

Le médicament est la première dépense de remboursement des mutuelles ; si on y ajoute les dispositifs médicaux, cela représente 42 % du total, soit 5 milliards d'euros.

En mars 2011, la Mutualité française a proposé un plan médicament, diffusé à de nombreux parlementaires.

Mme Laure Lechertier, responsable du département Politique des produits de santé de la Mutualité française . - Nous tentons de définir un positionnement stratégique aux niveaux national et européen, qui correspond à des actions très concrètes pour nos adhérents, centré sur le médicament et les dispositifs médicaux.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - La place des dispositifs médicaux (DM), et plus particulièrement des dispositifs médicaux implantables (DMI), dans les dépenses des mutuelles a-t-elle évolué ces quinze dernières années ? Quelles spécialités, quelles populations sont concernées ?

Mme Laure Lechertier . - Les mutuelles sont des payeurs aveugles qui, à la différence des régimes obligatoires, n'ont pas accès aux codes permettant une analyse fine de la dépense de remboursement. Cela vaut pour les médicaments comme pour les dispositifs médicaux. C'est un enjeu majeur pour les années à venir si nous voulons avoir une vraie gestion du risque. Nous combinons les sources pour collecter des données disponibles de la Cnam, de la Direction de la recherche, de l'étude, de l'évaluation et des statistiques (Drees), etc. et savons ainsi que la part des DM dans les dépenses des mutuelles est passée de 7 % à 15 % pour atteindre 2 milliards d'euros en 2010. A quoi imputer ce dynamisme ? L'évolution des dépenses liées d'une part aux pansements et au maintien à domicile, d'autre part aux orthèses et prothèses est particulièrement importante ; le ticket modérateur augmente chaque année.

Au niveau européen, nous ne disposons pas de données précises, le système français étant sui generis.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Remboursez-vous tant le DMI que l'acte d'implantation ?

Mme Laure Lechertier . - Les DMI font partie des GHS, la facturation a lieu au sein des établissements avec une prise en charge souvent à 100 %. Encore une fois, nous ne disposons pas d'informations assez précises.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Faut-il créer un registre exhaustif à partir des bases de données de l'assurance maladie et des hôpitaux afin d'automatiser la remontée d'information vers les pouvoirs publics ?

Mme Laure Lechertier . - La traçabilité est essentielle, aussi bien en ville qu'à l'hôpital, tant pour les dispositifs médicaux intra-GHS que pour les autres. Les données de traçabilité devraient être rendues publiques. Cela permettrait de retirer du marché plus rapidement les dispositifs défaillants. La condition serait un système de codification harmonisé au niveau européen, avec un identifiant unique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Avez-vous des préconisations pour enrichir le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) et le codage des dispositifs médicaux ?

Mme Laure Lechertier . - Le PMSI est un outil de gestion et de planification de l'activité. Peut-on y intégrer la traçabilité des DM ? Peut-être le système est-il encore trop récent. J'ajoute qu'il ne permettrait pas une traçabilité en médecine de ville. Quant à la tarification à l'activité, elle n'est pas arrivée à maturité.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Que pensez-vous de l'identifiant unique ?

Mme Laure Lechertier . - Nous y sommes très favorables.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Au niveau européen ou mondial ?

Mme Laure Lechertier . - Procédons par étapes : au niveau européen, l'harmonisation est déjà très complexe. Un identifiant unique permettrait de faire des études longitudinales et épidémiologiques.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Mais l'économie est mondialisée. Pourquoi pas un code-barre mondial ? A défaut, nos dispositifs médicaux ne pourront pas sortir d'Europe...

Mme Laure Lechertier . - Le système de mise sur le marché des dispositifs médicaux est très différent aux Etats-Unis. Nous devrions d'ailleurs nous inspirer de leur modèle d'évaluation. En Europe, la mise sur le marché des DM est très facile : la certification repose sur le marquage CE, qui s'applique à tout produit industriel, DM, grille-pain ou jouet ; on n'a pas besoin de prouver l'efficacité du dispositif, mais seulement la conformité aux exigences du marquage. Il y a une part d'autocertification par les fabricants, et une autre via soixante-trois organismes notifiés européens, qui ont des exigences très variables et ne font pas tous des audits de suivi. Il y a là un transfert de compétences du régulateur vers un opérateur privé, l'organisme de certification, lequel est lié contractuellement au fabricant et payé par lui. Ce système est archaïque.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Préconisez-vous la mise en place d'une AMM ?

Mme Laure Lechertier . - Oui. La responsabilité doit incomber à l'autorité sanitaire, qui délivrera une AMM fondée sur des études cliniques irréprochables et randomisées. Ce rôle devrait être confié à l'Agence européenne du médicament (EMA).

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Pas l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Afssaps)...

Mme Laure Lechertier . - La notion de « données cliniques » figure dans la directive de 2007, mais cela peut être une simple recherche bibliographique... Le rapport du centre fédéral d'expertise des soins de santé belge a bien fait état des différences d'approche : études cliniques randomisées aux Etats-Unis, simples études de performance en Europe.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous admettez donc les circuits courts - je pense au traitement des dispositifs présentant une équivalence avec des produits déjà sur le marché aux Etats-Unis ?

Mme Laure Lechertier . - Je parle de premarket approval.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Mais moins de 10 % des DM sont soumis à cette procédure d'approbation aux Etats-Unis.

Mme Laure Lechertier . - Il faut généraliser ce système qui permet de sécuriser en amont et d'introduire de la sélectivité.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Cela ne renchérirait-il pas les produits et donc les dépenses de remboursement ? En allongeant les circuits, ne risque-t-on pas de retarder la mise en oeuvre d'une innovation ? Les sénateurs américains reprochent à leur système sa lenteur...

Mme Laure Lechertier . - Nous n'avons pas une logique comptable : nous sommes prêts à rembourser au juste prix les DM innovants, plutôt qu'une foule de produits dont le bénéfice clinique n'est pas avéré.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - N'allez-vous pas un peu loin ? Un chirurgien ne s'amuse pas à implanter des dispositifs non fiables...

Mme Laure Lechertier . - L'affaire des sondes RIATA prouve le contraire !

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Le fabricant prétend qu'elles ont mal été posées...

Mme Laure Lechertier . - Le rapport de l'Afssaps ne va pas dans ce sens ; il a pointé une défaillance des chocs électriques.

Nous sommes aujourd'hui dans une logique d'innovation incrémentale, pas de véritable innovation. Pour nous, la réglementation n'est pas un frein, mais un moteur de l'innovation : l'exemple américain le prouve. En 2010, le rapport de la Haute Autorité de santé (HAS) a montré que 75 % des produits en primo-inscription n'apportaient pas d'amélioration du service attendu.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - C'est affaire de concurrence. Peut-on empêcher la mise sur le marché d'un produit sûr, même s'il n'apporte pas d'amélioration ?

Les Américains ont beaucoup plus d'argent que nous, beaucoup plus de laboratoires et d'instituts de recherche.

Mme Laure Lechertier . - Seuls 20 % des fabricants européens ont tenté de pénétrer sur le marché américain...

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Ils sont trop petits...

Mme Laure Lechertier . - ... car ils se heurteraient à la réglementation. Les prothèses PIP y ont été refusées...

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Ce n'est pas tout à fait cela.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Plus exactement, celles en silicone...

Mme Laure Lechertier . - En janvier 2012, les entreprises du médicament ont salué la déclaration du ministre qui appelait à la création d'une AMM pour les dispositifs médicaux.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Nous y sommes tous attachés et notre rapport devrait aussi aller dans le sens de la sécurisation des dispositifs. Mais l'innovation existe en France : voyez les valves aortiques implantables par voie intraveineuse, d'abord critiquées par les Américains et aujourd'hui très largement utilisées aux Etats-Unis.

Mme Laure Lechertier . - J'attirais votre attention sur une contrevérité, relayée par la Commission européenne. Non, la réglementation ne freine pas l'innovation. Voyez la feuille de route de Bruxelles, qui s'oriente vers un renforcement du contrôle ex post au détriment d'un contrôle ex ante. Toute la place au marché et à la compétitivité, au détriment de la santé !

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Les études post-inscription amélioreraient-elles le suivi des DMI ? Qui les financerait ? Faut-il en faire une condition du remboursement ?

Mme Laure Lechertier . - Ces études sont effectivement très utiles, mais elles n'autorisent pas à se dispenser d'études ex ante. Il y a un équilibre à trouver.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Rien ne vaut le suivi en temps réel... Qui doit payer les études ex post, alors ?

Mme Laure Lechertier . - A notre sens, la puissance publique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Voilà qui va réjouir la sécurité sociale...

Mme Laure Lechertier . - Le financement public est, seul, gage d'indépendance et d'objectivité. On peut trouver des ressources.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Le financement public n'interdit pas les conflits d'intérêts : voyez le Mediator. Ne peut-on pas faire participer les fabricants ?

Mme Laure Lechertier . - L'expérience prouve que le financeur exerce un contrôle sur les études.

M. Jacky Le Menn . - Pourquoi l'industriel ne financerait-il pas un organisme indépendant qui, lui, mènerait les études ? Où est la difficulté, hors celle de le convaincre ?

Mme Laure Lechertier . - Un financement public garantit l'indépendance des études. Le système que vous préconisez est envisageable, mais il faut s'assurer que les industriels n'exercent aucun contrôle sur la conception, le choix des indicateurs et la méthodologie. Il faut distancer le financement de la réalisation de l'étude. Par ailleurs, il devrait exister une exigence de transparence des données : les études négatives doivent aussi être publiées. Or un industriel financeur pourrait tout à fait interdire la publication d'une étude défavorable à son produit.

M. René-Paul Savary . - Quels sont vos arguments pour dire que la réglementation ne freine pas l'innovation ? Ce n'est pas ce que j'observe...

Mme Laure Lechertier . - La comparaison avec les Etats-Unis, et les données publiées par la HAS : 75 % des produits en primo-inscription n'apportent pas d'amélioration du service attendu ou rendu, alors même que notre réglementation est peu contraignante.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Mais encore une fois, les sénateurs américains reprochent à la FDA la longueur de ses procédures... Les innovations viennent d'Europe...

Mme Laure Lechertier . - Encore faut-il s'entendre sur ce qu'est une innovation... Sans étude clinique, on ne peut pas le dire de façon objective.

Mme Françoise Cartron . - N'est-ce pas avant tout une prédominance du modèle économique par rapport à l'intérêt médical ?

Mme Laure Lechertier . - La conception européenne, c'est d'autoriser la mise sur le marché à condition que les exigences de sécurité soient respectées.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Le modèle américain n'est pas parfait, notamment en ce qui concerne l'innovation.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Que vous inspire le développement du tourisme en matière de chirurgie esthétique ? Avez-vous eu à prendre en charge des patients ayant souffert de complications à la suite d'une intervention esthétique à l'étranger ?

Mme Laure Lechertier . - Nous sommes payeurs aveugles. Ces informations ne quittent pas le dossier médical et ne sont pas transmises aux mutuelles.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Donc vous remboursez le laxisme étranger...

Mme Laure Lechertier . - Peut-être... Nous avons remboursé le Mediator hors AMM...

Mme Gisèle Printz . - Comment pouvez-vous dire que vous êtes payeur aveugle ?

Mme Laure Lechertier . - Tout le monde est payeur aveugle...

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Avez-vous des médecins-conseil ?

Mme Laure Lechertier . - Non. Cela fait plus de dix ans que nous demandons l'accès aux données de santé. Nous ne sommes pas à égalité avec l'assurance maladie obligatoire ; nous ne pouvons pas avoir de politique de gestion du risque.

M. Vincent Figureau . - C'est d'autant plus regrettable que l'on fait toujours davantage appel aux mutuelles pour financer les dépenses de santé.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Merci.

Audition d'une délégation de la Confédération nationale de l'esthétique parfumerie (Cnep) composée de Mme Régine FERRERE, présidente, représentant l'Union des professionnels de la beauté et du bien-être (UPB) et la Fédération française des écoles de l'esthétique et de la parfumerie (FFEEP), MM. Jean-Yves MARTIN, trésorier de l'Union des marques du matériel (UMM), Jean-Claude SIROP, président de l'Union des marques de l'esthétique (UME), et Hervé CORLAY, vice-président du Syndicat national des professionnels du bronzage en cabine (SNPBC) (mardi 22 mai 2012)

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous poursuivons nos auditions en accueillant Mme Régine Ferrère, présidente de la Confédération nationale de l'esthétique parfumerie (Cnep), représentant l'Union des professionnels de la beauté et du bien-être (UPB) et la Fédération française des écoles de l'esthétique et de la parfumerie (FFEEP), ainsi que MM. Jean-Yves Martin, trésorier de l'Union des marques du matériel (UMM), Jean-Claude Sirop, président de l'Union des marques de l'esthétique (UME) et Hervé Corlay, vice président du Syndicat national des professionnels du bronzage en cabine (SNPBC).

Le champ d'étude de notre mission s'étend à l'ensemble des interventions à visée esthétique, parmi lesquelles les actes réalisés par les professionnels de l'esthétique sans formation médicale.

Ce secteur de l'esthétique, en pleine expansion, voit apparaître de nouvelles techniques parfois controversées, comme la lyse adipocytaire... L'enjeu de notre mission est de définir les améliorations à apporter à la réglementation afin d'assurer la sécurité des consommateurs.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Pourriez-vous présenter brièvement les organismes que vous présidez ?

Mme Régine Ferrère, présidente de la Cnep, représentant l'UPB et la FFEEP . - La Cnep est une confédération patronale fondée en 1997, au moment de l'édiction du décret du 30 mai 1997 relatif à la vente et à la mise à disposition du public de certains appareils de bronzage utilisant des rayonnements ultraviolets. Il s'agissait de créer un pôle économique puissant qui rassemble les acteurs de l'esthétique et de la parfumerie (la formation, socle fondamental de nos entreprises, la fabrication de cosmétiques, les équipementiers et les distributeurs, c'est-à-dire les instituts, les centres de bronzage en cabine, les spas et les stylismes de cils et d'ongles). La Cnep accompagne la filière beauté-bien-être dans ses évolutions et rassemble six syndicats autonomes.

Nos entreprises sont affiliées à 90 % aux chambres de commerce. Elles emploient près de 50 000 salariés dans environ 40 000 entreprises et réalisent un chiffre d'affaires de près de 3 milliards d'euros. La Cnep regroupe les plus grandes chaînes du secteur, en particulier les franchises nouvellement émergées.

Nous employons exclusivement des personnels qualifiés. Les personnels des instituts et des spas sont titulaires d'un diplôme d'Etat, conformément aux règles qui encadrent la qualification des esthéticiennes. Dans les centres de bronzage, nos salariés ont soit obtenu un diplôme d'Etat, soit passé la formation obligatoire. Pour les nouveaux métiers, les stylismes ongulaires et de cils, nos employés sont soit titulaires du diplôme de la branche, soit qualifiés par des certificats de compétence. Depuis 2009, nous nous attelons en effet à encadrer les formations. Nous mettons au point une norme Afnor qui verra le jour fin 2012. Cette norme « chapeau » sur les soins de beauté et de bien-être se déclinera en deux spécialités : les soins appareillés et les soins de stylisme de cils et d'ongles.

Nous représentons la filière auprès des ministères de tutelle et sommes une force de proposition, travaillant à l'actualisation de la réglementation

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quelles sont les principales évolutions du secteur ces dernières années ?

Mme Régine Ferrère . - Nous sommes le quatrième secteur exportateur français. Nos activités ne sont pas délocalisables. Naguère confidentielles et réservées à une élite, nos activités se sont ouvertes à un public plus large et sont devenues plus accessibles financièrement. Nos soins répondent ainsi au besoin irrépressible de conserver une image acceptable socialement. En l'an 2000, l'avènement du spa a fait entrer nos activités dans l'ère du bien-être. La clientèle a changé : on voit de plus en plus de jeunes, d'hommes, de seniors.

De TPE, nos entreprises ont muté, les surfaces allant désormais de 150 à 2 000 m² pour les plus grands spas.

Force est de constater une mutation profonde de la société, aujourd'hui plus attentive à l'image de soi, facteur de bonne insertion sociale. Nous revenons aux codes des sociétés grecques et latines, qui ont empreint nos civilisations : Mens sana in corpore sano. On veut un corps souple et ferme, un visage sans les marques du temps. La course au jeunisme ne connaît pas de limites : liposuccion, bistouri, implants, injections, mésothérapie...

Nos pratiques, qui ont toujours utilisé les mains et les appareils, se sont adaptées et ont progressivement introduit dans leurs protocoles des techniques plus performantes, mais en restant toujours dans le cadre des soins de beauté, de bien-être et de confort.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Les formations initiales vous paraissent-elles suffisantes ? Existe-t-il une formation continue ?

Mme Régine Ferrère . - La branche emploie des diplômés de niveaux 5, 4 et 3. Le certificat d'aptitude professionnelle (CAP) d'esthétique cosmétique parfumerie, premier diplôme de la branche, se situe au niveau 5. Il est obligatoire pour pouvoir exercer. Les études menant à ce diplôme peuvent être poursuivies dans le cadre du brevet professionnel, de niveau 4, qui s'obtient exclusivement en alternance. Il correspond à un baccalauréat sans les matières générales. En 2005, avec la réforme Darcos, nous avons mis en place un baccalauréat professionnel en trois ans. Nous venons d'achever la grande réforme du brevet de technicien supérieur (BTS), diplôme à bac + 2. Au niveau du CAP, les esthéticiennes sont qualifiées pour assurer les soins du visage, des mains et des pieds, les épilations et le maquillage. Pour les soins du corps, il faut le brevet professionnel, avec un pôle technique mais aussi juridique et réglementaire. Le BTS mènera à des métiers de laboratoire, de formation, de cadre ou de manager.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quid de la formation continue ?

Mme Régine Ferrère . - Elle fait partie de notre culture : il faut se former tout au long de la vie. En 2010, une étude du centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc) a mis en lumière les axes d'amélioration possibles : la gestion, l'anglais et les nouvelles technologies, qui évoluent plus rapidement que nos diplômes. Nous organisons des stages permanents. La formation continue est au coeur de nos métiers et de la pérennité de nos entreprises.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Le décret du 11 avril 2011 relatif à l'interdiction de la pratique d'actes de lyse adipocytaire à visée esthétique a été partiellement annulé par le Conseil d'Etat : son article 2 avait interdit cinq techniques non invasives de lyse adipocytaire, au motif que leur absence de dangerosité n'était pas prouvée. Quelle est votre position ? Quels sont les contrôles opérés sur les pratiques, comme l'épilation par lumière pulsée, sur les appareils utilisés et sur la pratique de l'instrumentation ?

Mme Régine Ferrère . - Ce décret nous a fauchés en pleine saison minceur : ce fut une catastrophe pour nombre d'entreprises qui venaient d'investir dans de nouveaux appareils. D'où notre action en référé, pour obtenir sa suspension, puis l'annulation de son article 2, l'article 1 er ne nous concernant pas. Il faut définir précisément ce qu'est une pratique invasive. La technique invasive, c'est une effraction cutanée. Il y a amalgame, car les médecins dits « esthétiques » utilisent le même terme que nous pour qualifier leurs interventions. Nous pratiquons le non invasif depuis toujours...

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - S'il a été interdit, c'est qu'il y a eu des problèmes !

Mme Régine Ferrère . - Non, le rapport de la Haute Autorité de santé (HAS) est parfaitement clair. Nous avons collecté des études scientifiques sur les dispositifs concernés : elles démontrent l'absence de problème de santé publique posé par les techniques non invasives.

Reste qu'il faut assurer la sécurité des consommateurs par la formation et par la réglementation des équipements, ce que nous réclamons en vain depuis quatre ans !

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Quel type de réglementation demandez-vous, et quel est votre interlocuteur ? La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ?

Mme Régine Ferrère . - En 2010, devant le mutisme des autorités, nous avons proposé un projet de réglementation dans le cadre de l'élaboration d'une norme Afnor. Nos interlocuteurs sont la DGCCRF, la société française de dermatologie ou l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - La société française de dermatologie n'est pas d'accord avec vos affirmations, et souhaite réserver les techniques que vous employez aux médecins, voire à ceux spécialisés en « médecine esthétique », au nom du principe de précaution.

Mme Régine Ferrère . - Discuter ne veut pas dire être toujours d'accord.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Où mettez-vous la barrière ?

Mme Régine Ferrère . - Nous la mettons sur les types d'appareil. Au-delà d'une certaine fluence, les appareils ne devraient être utilisés que par des médecins.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Faites-vous des vérifications dans les instituts ?

Mme Régine Ferrère . - Il est impossible d'aller au-delà de fluences autorisées.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quid des appareils vendus sur internet ?

Mme Régine Ferrère . - Une jeune femme chef d'entreprise ne prendra pas le risque d'acheter un appareil sur internet, sans formation ni service après-vente. Aujourd'hui, le risque est que le consommateur néophyte utilise, chez lui, les appareils vendus en ligne. Vous pointez ici une dérive : c'est bien pour cela qu'il faut une réglementation ! Je suis favorable à ce qui a été réalisé en matière de rayons ultraviolets : le décret de 1997 a imposé la déclaration des appareils en préfecture et la formation, permettant de débarrasser le marché des machines de mauvaise qualité.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Où mettez-vous la barrière ? La lampe flash, c'est dans vos fluences ?

Mme Régine Ferrère . - Oui.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Il n'existe donc pas de danger ?

M. Jean-Yves Martin, trésorier de l'UMM . - Si l'énergie est limitée à 18 joules, l'appareil est efficace sans être dangereux.

Mme Régine Ferrère . - C'est ce que nous préconisons dans la norme Afnor.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Enfin une réponse claire.

Mme Régine Ferrère . - Nous vous communiquerons un tableau récapitulant les normes et les fluences pour tous les dispositifs.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - On sait que l'exposition aux rayonnements ultraviolets concourt aux cancers de la peau. Qu'en dites-vous ?

M. Hervé Corlay, vice-président du SNPBC . - Nous sommes confrontés à un paradoxe : le soleil est indispensable à l'organisme, mais on ne cesse de mettre en garde contre ses effets nocifs. Seuls 2 % à 5 % de la population présentent des facteurs de risque qui rendent dangereux tant un bain de soleil qu'une séance de bronzage en cabine. Il faut changer la façon dont le débat est abordé. L'approche se fait par la statistique : en moyenne, une exposition accrue aux rayons ultraviolets accroît le risque de développer des problèmes de peau. Cette affirmation est exacte mais la situation apparaît différente lorsqu'on procède à une analyse plus détaillée : l'organisation mondiale de la santé (OMS) parle de l'équilibre bénéfice-risque, affirmant que l'exposition solaire est excellente pour la plupart des gens.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - On ne peut pas comparer l'exposition au soleil et une exposition en cabine qui peut être faite n'importe quand et comment... Avez-vous des normes d'intensité ? Que faites-vous si une jeune femme à la peau très blanche vous demande un bronzage express ?

M. Hervé Corlay . - Beaucoup de gens parlent de ces questions sans rien y connaître, y compris dans les ministères. Pour un appareil donné, contrairement au soleil, le rayonnement en cabine est constant...

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Heureusement !

M. Hervé Corlay . - En cabine, le rayonnement ultraviolet est filtré : seules les longueurs d'ondes permettant de bronzer sont conservées. On réplique avec efficacité le phénomène naturel qu'est le bronzage qui, plus qu'un effet de mode, est avant tout un moyen pour la peau de se protéger.

Cependant, le rayonnement reçu au cours d'une séance d'ultraviolets en cabine est supérieur aux rayonnements reçus, en énergie, lors d'un bain de soleil. En termes de composition des rayonnements, une séance moyenne d'ultraviolets en cabine correspond à peu près au rayonnement solaire à dix-huit heures à La Rochelle le 21 juin. En termes de puissance, le rayonnement apparaît dix fois plus important : le même résultat obtenu en dix fois moins de temps.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Quid de la jeune fille qui veut être bronzée à son arrivée sur la plage quelques jours plus tard ?

M. Hervé Corlay . - Un centre de bronzage qui fait bien son travail part de l'aptitude du client à bronzer correctement. Le syndicat national des professionnels du bronzage en cabine a d'ores et déjà commencé à déployer dans les centres adhérents un diagnostic solaire, validé par des dermatologues et qui permet au client éventuel, à partir d'un auto-questionnaire, de savoir s'il présente des facteurs de risque.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Le problème, c'est la pratique !

M. Hervé Corlay . - Une de nos préconisations est que soient rendus obligatoires l'affichage et la mise à disposition du public de ce diagnostic. Nous attendons du décret une avancée dans ce sens. Un centre de bronzage qui fait bien son travail doit commencer par un diagnostic.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - En est-il capable ? Le diagnostic est un acte médical !

Mme Régine Ferrère . - Quand on va chez son garagiste, on demande aussi un diagnostic !

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Rien de plus difficile à faire qu'un diagnostic dermatologique, même pour un professionnel !

M. Hervé Corlay . - Il n'est pas question pour les instituts de se substituer aux dermatologues.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - La plupart de vos clients ne consultent pas avant de venir en cabine.

M. Hervé Corlay . - En effet.

Notre document, qui doit pouvoir servir à tous, vise à améliorer l'information du client, à lui permettre de se poser les bonnes questions. C'est tout.

Le décret de 1997 réglemente la mise à disposition de l'information au client. Mais bien qu'elle soit de bonne qualité, l'information est indiscriminée. Les personnes à risque, peu nombreuses, doivent être identifiées. Quant à votre jeune femme à la peau blanche, il se pourrait très bien qu'elle puisse bronzer sans risque...

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Mais à quel rythme ?

M. Hervé Corlay . - Le programme de bronzage est adapté à chaque client. On peut, en trois ou quatre semaines, obtenir un hâle permettant de ne pas brûler sur la plage. La fréquence moyenne est de sept séances par an, ce qui correspond à 15 % de la limite réglementaire d'exposition préconisée. Seuls 4 % des clients font plus de deux séances par mois et eux aussi sont en-dessous de la limite.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Le soleil est là depuis très longtemps... Or les cancers de la peau augmentent depuis quelques années, comme augmente la pratique de l'exposition en cabine... Ce qui était exceptionnel ne l'est plus. Il y a bien une raison à cela...

Venons-en à un autre sujet : un décret définissant les interventions à visée esthétique réservées aux médecins est en préparation. Attendez-vous qu'il délimite votre champ de compétences et celui des médecins ?

Mme Régine Ferrère . - Malheureusement, le décret ferait passer la plupart de nos techniques dans le champ médical. Nous ne pouvons qu'être contre.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Y voyez-vous une injustice ? Ne pensez-vous pas qu'il s'agit d'appliquer un principe de précaution ?

Mme Régine Ferrère . - Nous sommes d'abord choqués par le manque de concertation - mais nous y sommes habitués - et par le fait d'affronter deux professions.... A chacune de nos professions correspond un champ de compétences et une expertise. Nous travaillons depuis toujours sur la ride, le poil et la minceur. Tout d'un coup, les professions de santé veulent s'arroger ces pratiques sous couvert d'un problème de santé publique qui n'existe pas. Nous ne voulons pas un monopole.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - La limite est floue...

Mme Régine Ferrère . - En 2011, nous avons pratiqué onze millions de soins de beauté et de bien-être, dont six millions sur la ride, le poil et l'anti-âge. Sur ces six millions, aucun problème avéré n'a été rapporté.

M. Bernard Cazeau, rapporteur . - Vous n'effectuez pas de piqûre ?

Mme Régine Ferrère . - En France, jamais ! C'est de l'invasif ! Du remodelage collagénique, uniquement. Nous travaillons sur l'aspect, non sur les tissus profonds. Nos clientes n'ont pas d'illusions...

Nous demandons à continuer de faire notre travail. Nous sommes fiers d'être diplômés d'Etat et de dire que nous connaissons la peau. Le décret mettrait 60 000 personnes au chômage, et 30 000 entreprises fermeraient : les activités visées représentent 88 % de notre chiffre d'affaires. La branche serait détruite ! Cela imposerait de devoir effectuer des études d'impact. Sécuriser les consommateurs, c'est évidemment une nécessité ; mais le risque zéro n'existe pas.

Mme Françoise Cartron . - La formation initiale est-elle gratuite ou payante ?

Mme Régine Ferrère . - Les deux existent. La formation peut se faire en centre de formation d'apprentis (CFA), dans un lycée professionnel ou dans une école privée, où elle n'est pas toujours payante car il y a des systèmes d'alternance. Nous recevons également beaucoup de personnes en reconversion, notamment des infirmières ; le financement est alors assuré par Pôle Emploi.

M. Jean-Claude Sirop, président de l'UME . - Notre souci est d'améliorer la qualité des soins, nous participons donc activement à la formation des esthéticiennes - au moins deux fois par an, et pour l'essentiel gratuitement.

L'amincissement, l'anti-âge, l'épilation, cela représente 88 % de l'activité. Si les instituts disparaissent, les entreprises qui les fournissent disparaîtront aussi. Or elles exportent beaucoup, ne l'oublions pas...

La formation, la qualité, la sécurité, c'est l'unique voie possible. Nous en sommes conscients. Nous sommes une profession responsable. Ne cassons pas ce savoir-faire de la France.

Mme Régine Ferrère . - D'où la norme Afnor et la nécessité de définir notre périmètre d'exercice.

Mme Catherine Deroche . - Les propriétaires de cabines de bronzage sont-ils soumis à des obligations de contrôle et de maintenance du matériel ?

Mme Régine Ferrère . - Oui, le décret de 1997 les précise très clairement.

Mme Catherine Deroche . - A la charge de l'exploitant ?

M. Hervé Corlay . - Oui. Le décret de 1997 prévoit un contrôle des appareils au minimum tous les deux ans par un organisme agréé.

Mme Gisèle Printz . - Certains soins sont-ils remboursés par la sécurité sociale ?

Mme Régine Ferrère . - Bien sûr que non. Posez la question aux médecins esthétiques... Si tous nos clients vont chez eux, qui remboursera la consultation ? Et qui va payer la TVA ? Nous donnons 700 millions d'euros par an au Trésor français, je le rappelle !

M. Jean-Claude Sirop . - Quid du contrôle des médecins ? Une esthéticienne ne fera jamais une piqûre, mais certains médecins pourraient être tentés de faire passer un soin esthétique en remboursement...

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Attention, il y a beaucoup de médecins dans la salle !

M. Jean-Claude Sirop . - Le décret peut être source de dérives insoupçonnées...

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Merci de vos réponses.

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