C. LES EFFETS DES PESTICIDES SUR LA SANTÉ ET LA RESPONSABILITÉ DES FABRICANTS COMME DES POUVOIRS PUBLICS

1. Les fabricants se sont progressivement organisés pour réduire les risques de l'exposition aux pesticides pour leurs salariés
a) Des sites industriels systématiquement classés Seveso « seuil haut »

Du fait de la nature de leurs activités (stockage et manipulation de produits classés toxiques), les industries fabriquant des produits phytosanitaires sont systématiquement classées Seveso « seuil haut », attestant, si besoin en était, de la dangerosité des substances qui entrent dans la composition de ces produits pour l'homme et pour l'environnement.

A ce classement est associée toute une batterie de normes de sécurité et de contraintes qui constituent autant d'éléments de protection pour les salariés de l'usine et pour les riverains.

Les installations classées Seveso « seuil haut »

La catastrophe industrielle de Seveso en Italie en 1976 (rejet de dioxine sur la commune) a conduit les États européens à se doter d'une politique commune en matière de prévention des risques industriels dont les dispositions figurent dans la directive dite Seveso du 24 juin 1982, remplacée depuis par la directive Seveso II du 9 décembre 1996, toujours en vigueur, mais amendée par la directive 2003-105/CE. Le 1 er juin 2015, la directive Seveso II sera remplacée par la directive Seveso III adoptée en mars 2012 .

La directive Seveso II distingue deux types d'installations selon la quantité de matières dangereuses présente sur le site : celles classées Seveso « seuil bas » et celles relevant d'un degré de risque supérieur, dites Seveso « seuil haut ».

Les installations classées Seveso « seuil haut » figurent dans la catégorie des installations industrielles les plus dangereuses qui présentent un « risque majeur » et qui sont par conséquent soumises à un régime d'autorisation d'implantation beaucoup plus contraignant que le régime d'autorisation classique .

A ce titre, elles font également l'objet par la suite d' une vigilance accrue de la part de l'ensemble des acteurs locaux concernés par le contrôle et la gestion du risque industriel, dans le cadre des Comités Locaux d'Information et de Concertation (CLIC) 19 ( * ) , créés par la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels, dite « loi Bachelot », suite à la catastrophe AZF de Toulouse. Ainsi, à partir de l'étude de dangers réactualisée tous les cinq ans , les établissements concernés doivent élaborer un système de gestion de sécurité (SGS) et une politique de prévention des accidents majeurs (PPAM) et, en cas d'accidents, prévoir des plans d'urgence (plan d'opération interne [POI] et plan particulier d'intervention [PPI ]), révisés tous les trois ans .

La directive prévoit également une information et une consultation obligatoire du public , obligation qui devrait être étendue et renforcée par la directive Seveso III dont l'entrée en vigueur est prévue au 1 er janvier 2015. Actuellement, la législation française prévoit que les représentants des salariés soient obligatoirement consultés sur le POI et que les riverains soient associés à l'élaboration du PPI. C'est d'ailleurs à ce titre que les membres du CHSCT et les riverains sont représentés au sein des CLIC.

b) La notion de protection collective au coeur de l'organisation de la production des produits phytosanitaires

Tenant compte du caractère toxique des produits fabriqués par les entreprises membres de leur association, les représentants de l'Union des industries de produits phytosanitaires (UIPP), auditionnés par la mission 20 ( * ) , ont dit privilégier la protection collective sans négliger pour autant la protection individuelle.

A ce titre, ils sont tenus d'observer les obligations résultant des dispositions réglementaires du code du travail en matière de prévention des risques d'exposition définies par le décret n° 2008-244 du 7 mars 2008. S'agissant des agents chimiques dangereux cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction, des dispositions particulières figurent aux articles R. 4412-59 à R. 4412-93 du code du travail. Elles portent notamment sur l'évaluation des risques, les mesures de prévention, le contrôle des valeurs limites d'exposition professionnelle, la gestion des incidents et des accidents et la formation comme l'information des salariés.

Mesures à appliquer dans une installation classée Seveso « seuil haut »

Article R. 4412-70 du code du travail créé par le décret n° 2008-244 du 7 mars 2008

« Dans tous les cas d' utilisation d'un agent cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction , l'employeur applique les mesures suivantes :

« 1° Limitation des quantités de cet agent sur le lieu de travail ;

« 2° Limitation du nombre de travailleurs exposés ou susceptibles de l'être ;

« 3° Mise au point de processus de travail et de mesures techniques permettant d'éviter ou de minimiser le dégagement d'agents ;

« 4° Évacuation des agents conformément aux dispositions des articles R. 4222-12 et R. 4222-13 ;

« 5° Utilisation de méthodes appropriées de mesure des agents, en particulier pour la détection précoce des expositions anormales résultant d'un événement imprévisible ou d'un accident ;

« 6° Application de procédures et de méthodes de travail appropriées ;

« 7° Mise en oeuvre de mesures de protection collectives ou, lorsque l'exposition ne peut être évitée par d'autres moyens, de mesures de protection individuelles ;

« 8° Mise en oeuvre de mesures d'hygiène, notamment de nettoyage régulier des sols, murs et autres surfaces ;

« 9° Information des travailleurs ;

« 10° Délimitation des zones à risque et utilisation de signaux adéquats d'avertissement et de sécurité, y compris les signaux « défense de fumer », dans les zones où les travailleurs sont exposés ou susceptibles de l'être ;

« 11° Mise en place de dispositifs pour les cas d'urgence susceptibles d'entraîner des expositions anormalement élevées, en particulier lors d'éventuelles ruptures du confinement des systèmes clos ;

« 12° Utilisation de moyens permettant le stockage, la manipulation et le transport sans risque des produits , notamment par l'emploi de récipients hermétiques étiquetés de manière claire, nette et visible ;

« 13° Collecte, stockage et évacuation sûrs des déchets.

Concrètement, cela signifie en particulier que les ateliers doivent être agencés de telle manière que « le contact entre opérateurs et matières actives soit évité. » « Le but est d'assurer un environnement de travail aussi propre que possible » (installations en circuit fermé, confinement, aspiration à la source dans les ateliers de conditionnement, stockage sécurisé, mise en dépression des locaux à risque, transfert pneumatique des matières dangereuses, développement des processus de production automatisés, etc.), afin de respecter les valeurs limites d'exposition professionnelles (VLEP) règlementaires . Ces VLEP représentent la concentration maximale de substances toxiques dans l'air que peut respirer une personne pendant une période déterminée (huit heures par exemple). Les teneurs maximales à ne pas dépasser sont fixées par le ministère du travail sur la base des recommandations de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS). Selon les substances concernées, elles sont définies en volume (ppm), en poids (mg/m 3 ) ou en fibres par unité de volume (f/m 3 ). Certaines VLEP sont contraignantes ; d'autres sont de simples valeurs de référence qui tiennent lieu d'objectifs à des fins de prévention. Des contrôles réguliers d'ambiance (ou mesurages) doivent être effectués - au moins une fois par an - afin de veiller au respect de ces normes. Les résultats de ces études doivent être communiqués à la médecine du travail et au CHSCT.

Le dépassement d'une VLEP contraignante entraîne obligatoirement l'arrêt du travail dans les ateliers concernés jusqu'à la mise en oeuvre de mesures propres à assurer la protection des salariés .

Le dépassement d'une VLEP indicative doit conduire à la réalisation d'une nouvelle évaluation des risques afin de définir des mesures de prévention et de protection adaptées.

Ces mesures de protection collective et de prévention semblent porter leurs fruits. En effet, une enquête réalisée par l'UIPP auprès de ses adhérents 21 ( * ) met en évidence la faible occurrence d'accidents du travail avec arrêt (ATAA) recensés dans les industries phytosanitaires en comparaison avec les taux de fréquence observés tous secteurs confondus parmi les salariés affiliés à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) : ainsi, en 2010, on dénombrait en moyenne 6,9 accidents du travail avec arrêt pour 1 million d'heures travaillées pour les salariés exerçant leur activité dans une entreprise phytosanitaire membre de l'UIPP, contre 23,3 pour les salariés affiliés à la CNAMTS, toutes activités confondues. Parmi les accidents répertoriés par l'UIPP en 2010, seul un cas aurait été dû au contact avec un produit chimique corrosif (non phytosanitaire) , les autres incidents étant dus principalement à des chutes, des coupures ou des chocs. Par ailleurs, en 2009, la même enquête stipule qu' aucune maladie professionnelle due aux produits phytosanitaires n'a été constatée parmi les salariés des adhérents de l'UIPP .

Lors de la visite par la mission du site de Bayer Cropscience à Villefranche-sur-Saône , le médecin du travail de l'entreprise a confirmé que l'exposition aux produits toxiques n'était qu'un élément parmi d'autres permettant d'apprécier l'impact des conditions de travail sur la santé des salariés. D'autres facteurs doivent en effet être pris en compte parmi lesquels : les troubles liés à la manipulation de charges lourdes, le rythme de travail (travail de nuit avec un système de fonctionnement en 3x8) ou encore les risques psychosociaux qui ont tendance à prendre une part prépondérante.

Les résultats de l'enquête citée doivent néanmoins être relativisés, car sur les vingt membres de l'UIPP, seules dix industries ont répondu à l'enquête 22 ( * ) , qui porte sur seize sites de production 23 ( * ) . Cela induit un biais statistique, les entreprises les plus vertueuses ayant tendance à répondre plus volontiers que celles dont les résultats sont moins satisfaisants. En outre, s'agissant des maladies professionnelles, chacun sait aujourd'hui qu' il existe le plus souvent un délai d'une dizaine voire d'une vingtaine d'années avant que certaines maladies (cancers, affections respiratoires, etc.) dues à l'exposition à des produits toxiques se déclarent .

Toutefois, les bons résultats obtenus par les entreprises ayant répondu à l'enquête supposent une forte sensibilisation des salariés et une formation spécifique aux règles de sécurité et de prévention à suivre. A cet égard, les entreprises visitées par la mission (Bayer CropScience à Villefranche et De Sangosse à Agen) ont dit organiser des formations à destination des personnels opérationnels dans plusieurs domaines : formation générale hygiène sécurité environnement HSE (politique de l'entreprise, règles de sécurité, ...), habilitation au poste de travail, risques industriels et chimiques, prévention et lutte contre les incendies, sauveteur secouriste du travail (SST), exercices POI et PPI, réglementation TMD (transport de matières dangereuses), accès aux fiches de données de sécurité (FDS), etc.

A cet égard, la mission s'est inquiétée de la situation particulière des salariés intérimaires qui, du fait de leur temps de présence limité dans l'entreprise, pourraient, par méconnaissance de ces règles, s'exposer eux-mêmes aux matières dangereuses mais aussi affecter ponctuellement la sécurité des autres salariés et les conditions de travail dans les ateliers.

Le groupe Bayer a dit avoir mis en place un « nouveau parcours d'accueil des employés intérimaires » afin de mieux former les personnels exerçant une activité à titre temporaire dans l'entreprise. Toutefois, la formation est assez réduite : elle se limite à une durée de quatre à cinq jours, consacrée à la sécurité du site, aux produits et au risque industriel et à la manipulation d'outils à risque avant l'accueil au poste de travail.

Par ailleurs, certains organismes extérieurs à l'entreprise contribuent également à la formation des salariés concernant la prévention des risques professionnels. Ainsi, depuis le 1 er juillet 2010, les Caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) ont succédé aux caisses régionales d'assurance maladie (CRAM) pour intervenir dans les domaines de l'assurance vieillesse et des risques professionnels (accidents du travail et maladies professionnelles). Leurs missions sont définies par l'article L. 215-1 du code de la sécurité sociale. Dans le domaine des risques professionnels, elles développent et coordonnent des actions de formation visant à prévenir les accidents du travail et les maladies professionnels. Ces formations couvrent plusieurs thématiques : évaluation des risques professionnels (EvRP), secouriste sauveteur du travail (SST), stratégie de prévention de risques spécifiques (troubles musculo-squelettiques, risques psychosociaux, etc.), formation des membres du CHSCT... Certaines de ces formations sont assurées par l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS).

La mission propose qu'une formation spécifique aux règles de sécurité et de prévention soit systématiquement organisée par l'employeur dans les établissements classés Seveso, y compris pour les salariés intérimaires et les intervenants extérieurs pouvant attenter à la sécurité dans l'établissement.

c) Les limites de la protection collective justifient l'existence complémentaire de mesures de protection individuelle

Toutefois, si la protection collective a permis d'améliorer les conditions de travail des salariés des industries phytosanitaires et de limiter les risques d'incidents ou d'exposition à des matières toxiques, elle n'est pas infaillible. Ces failles justifient l'existence complémentaire de mesures de protection individuelle.

En effet, selon l'INRS 24 ( * ) , la définition des valeurs limites d'exposition professionnelle (VLEP) présente, plusieurs limites :

- d'abord, certaines substances ont des effets nocifs même à très faible dose , aussi la définition d'un seuil ne constitue-t-il en aucun cas une protection absolue ;

- en outre, selon la pénibilité de certains travaux, l'absorption et la pénétration des produits peuvent être accentués , or, les VLEP n'intègrent pas ce paramètre ;

- par ailleurs, les VLEP ne tiennent compte que de l'exposition respiratoire, or la pénétration cutanée notamment et l'absorption digestive ne sont pas prises en considération ;

- enfin, les VLEP évoluent en fonction des connaissances scientifiques et présentent donc un caractère relatif.

C'est pourquoi, la mission estime qu'il conviendrait en réalité que les fabricants de pesticides considèrent les valeurs limites d'exposition professionnelle (VLEP) comme des objectifs à parfaire (et non simplement comme des valeurs maximales à ne pas dépasser) et recherchent en permanence à réduire les risques d'exposition des salariés aux matières toxiques présentes dans les ateliers.

Les défaillances observées dans le système de prévention collective expliquent que les salariés présents dans ces ateliers soient tenus de porter des équipements de protection individuelle. Dans les réponses qu'elle a apportées aux interrogations de votre mission, l'UIPP admet d'ailleurs l'existence de risques d'expositions professionnels aux substances dangereuses en reconnaissant que « les protections individuelles (combinaisons, lunettes, masques, gants) sont utilisées afin d' éviter, malgré les protections collectives, tout contact résiduel possible avec les produits ».

Par ailleurs, les entreprises organisent généralement un système de sas et de vestiaires avec douches, afin que les salariés puissent se doucher et se changer avant de quitter l'entreprise. Les membres du CHSCT de Bayer, rencontrés par la mission, ont confirmé que la plupart des salariés se douchaient systématiquement avant de quitter les ateliers, bien que la douche ne soit pas obligatoire.

A cet égard, les deux visites de sites de protection par la mission ont confirmé l'ampleur de l' empoussièrement des ateliers . Ces poussières contiennent des matières toxiques entrant dans la fabrication des produits phytosanitaires. Malgré le système d'aspiration à la source mis en place dans les ateliers de conditionnement par exemple, l'empoussièrement n'est pas négligeable. Inquiets de cette situation et du risque qu'elle pourrait représenter pour la santé des salariés, les membres du CHSCT du site de Bayer à Villefranche ont demandé à la direction de l'entreprise de financer une expertise sur l'empoussièrement des ateliers. Une telle demande relève en effet des prérogatives de droit du CHSCT. L'étude devait être examinée par les membres du CHSCT le lendemain de la visite de votre mission. Mais la direction, invoquant des motifs de confidentialité, a refusé de la transmettre à votre rapporteur, ce que la mission ne peut que regretter...

d) La médecine du travail : le risque d'une dégradation du suivi de la santé des salariés malgré un rôle de prévention et d'alerte renforcé au sein de l'entreprise

La médecine du travail (ou services de santé au travail) joue un rôle déterminant en matière d'évaluation, de prévention et de suivi des risques professionnels au sein des entreprises. Elle assure également la surveillance de l'état de santé des salariés de façon régulière, dès leur embauche.

Toutefois, la réforme de la médecine du travail, qui résulte de la loi du 20 juillet 2011 25 ( * ) et qui est entrée en vigueur le 1 er juillet 2012, risque de se traduire par une dégradation de la surveillance médicale des salariés et par une certaine insécurité juridique.

En effet, les principales dispositions concernant la prévention et le suivi médical des personnes exposées à des risques professionnels particuliers relèvent du domaine réglementaire et non de la loi, ce qui en fragilise la pérennité 26 ( * ) .

La réforme de la médecine du travail résultant de la loi du 20 juillet 2011

Désormais, aux termes de l'article L. 4622-8 du code du travail, le médecin du travail peut travailler en équipe lorsqu'il exerce au sein de services de santé au travail autonomes ou interentreprises. Les missions des services de santé au travail sont assurées par une équipe pluridisciplinaire de santé au travail comprenant des médecins, des intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP), des infirmiers, ainsi que, le cas échéant, des « assistants de services de santé au travail » (qui remplacent les « secrétaires médicaux » et voient leur rôle accru) et des professionnels recrutés après avis des médecins du travail.

Ainsi, les médecins du travail , qui sont chargés d'animer et de coordonner l'équipe pluridisciplinaire, peuvent déléguer certaines activités , sous leur responsabilité et dans le cadre de protocoles écrits réglementés par le code de la santé publique, aux infirmiers, aux assistants ou aux autres membres de l'équipe pluridisciplinaire . Les infirmiers peuvent, par exemple, être habilités à réaliser des entretiens infirmiers avec les salariés.

Le but de cette réorganisation des services de santé au travail (SST) est de pallier l'insuffisance de médecins du travail en leur permettant de se recentrer sur leur coeur de métier : leurs missions médicales.

Ainsi que le rappelle le nouvel article L. 4622-2 du code du travail, les services de santé au travail ont pour principale mission d'éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail. A cette fin, ils agissent dans plusieurs domaines :

- ils conduisent des actions visant à préserver la santé physique et mentale des travailleurs tout au long de leur parcours professionnel ;

- ils conseillent les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur les dispositions à prendre pour éviter ou diminuer les risques professionnels, améliorer les conditions de travail, prévenir la consommation d'alcool et de drogue, prévenir le harcèlement sexuel ou moral, réduire la pénibilité au travail et la désinsertion professionnelle et contribuer au maintien dans l'emploi des travailleurs ;

- ils surveillent l'état de santé des travailleurs en fonction des risques encourus, de la pénibilité au travail et de leur âge ;

- ils participent au suivi et contribuent à la traçabilité des expositions professionnelles des salariés et à la veille sanitaire.

Selon les termes de l'article L. 4624-1 du code du travail, le médecin du travail est habilité à proposer des mesures individuelles telles que des mutations ou des transformations de postes, justifiées par l'âge du salarié, sa résistance physique ou son état de santé physique ou mentale. L'employeur est tenu de le prendre en compte et de donner suite à ces recommandations . Dans le cas contraire, l'employeur doit justifier son refus. En cas de désaccord, l'employeur ou le salarié peut exercer un recours devant l'inspecteur du travail, lequel prend sa décision après avis du médecin inspecteur du travail.

• Évaluation, prévention, alerte et réduction des risques professionnels

En premier lieu, le médecin du travail participe de façon active à l'évaluation des risques professionnels , grâce à l'information qui lui est transmise de façon obligatoire par l'employeur ( fiches de données de sécurité, FDS, sur la composition des produits, résultats des analyses et études réalisées dans les ateliers , etc.) ou lors des réunions du comité d'entreprise, du comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ou du conseil d'administration auxquelles il participe de droit dès lors qu'un sujet intéressant son action est à l'ordre du jour.

Si un travailleur est atteint soit d'une maladie professionnelle, soit d'une anomalie susceptible de résulter d'une exposition à des agents cancérogènes ou mutagènes , tous les travailleurs ayant subi une exposition comparable sur le même lieu de travail font l'objet, à titre préventif, d'un examen médical de contrôle assorti éventuellement d'examens complémentaires et une nouvelle évaluation des risques est réalisée (articles R. 4412-52 et R 4412-53 du code du travail). C'est pourquoi, le médecin du travail doit être informé par l'employeur des absences pour cause de maladie d'une durée supérieure à dix jours des travailleurs exposés à des agents chimiques (article R. 4412-50).

A partir des données de l'évaluation, le médecin du travail propose à l'employeur des mesures collectives ou individuelles propres à prévenir ou réduire l'exposition des salariés aux risques professionnels identifiés : adaptation des postes de travail, suppression d'une substance dangereuse, substitution d'une matière moins toxique à une substance dangereuse, déclaration d'inaptitude pour certains salariés, etc. L'employeur est normalement tenu de suivre les recommandations du médecin du travail . Dans le cas contraire, il doit justifier son refus ou solliciter l'arbitrage de l'inspection du travail.

A cet égard, le médecin du travail du site de Bayer Cropscience à Villefranche, rencontré par la mission, a estimé jouer un « rôle charnière » entre la direction, les employés et le CHSCT. Ainsi, il a dit « contribuer à la recherche de solutions pour concilier des points de vue souvent divergents » ou pour convaincre la direction de réaliser des aménagements de postes nécessitant des investissements lourds. Toutefois, il a reconnu rencontrer certaines difficultés dans sa mission, « qui exige parfois de la persévérance ».

De la même manière, le médecin du travail a dit être souvent à l'origine de mesures de prévention dans l'organisation du travail pour limiter la durée d'exposition des salariés à des produits dangereux . Mais il a regretté que ses préconisations ne soient pas toujours immédiatement suivies d'effets et doivent être plusieurs fois réitérées et richement argumentées avant d'être acceptées et mises en oeuvre par la direction.

Dans l'entreprise De Sangosse visitée par la mission 27 ( * ) , la direction a dit associer le médecin du travail dans plusieurs domaines : la définition des postes à risques, l'identification des personnes nécessitant une surveillance médicale renforcée mais aussi le choix des équipements de protection individuel (EPI) mis à disposition (gants, bouchons d'oreille, protection respiratoire) par poste de travail.

Ainsi, selon les établissements, la participation du médecin du travail à la vie de l'entreprise et à l'organisation de la production permet une amélioration des conditions de travail des salariés et la mise en place de mesures de prévention efficaces pour limiter l'exposition des travailleurs aux substances dangereuses.

• Un assouplissement préjudiciable des conditions de la surveillance médicale renforcée pour les salariés exposés à des substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques

Les salariés des entreprises phytosanitaires, parce qu'ils sont exposés à des substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), bénéficient d' une surveillance médicale renforcée avec des contrôles à la fois plus fréquents et plus approfondis (article R. 4624-18 du code du travail).

Aux termes de l'article R. 4624-10 du même code, tout salarié bénéficiant d'une surveillance médicale renforcée doit être soumis, comme les autres salariés, à un examen médical avant d'être embauché. Cet examen médical d'embauche vise à :

- s'assurer que le salarié est médicalement apte au poste de travail auquel l'employeur envisage de l'affecter ;

- proposer éventuellement les adaptations du poste ou l'affectation à d'autres postes ;

- rechercher si le salarié n'est pas atteint d'une affection dangereuse pour les autres travailleurs ;

- informer le salarié sur les risques des expositions au poste de travail et le suivi médical nécessaire ;

- sensibiliser le salarié sur les moyens de prévention à mettre en oeuvre.

L'examen médical d'embauche comprend un examen clinique général et, selon la nature de l'exposition, un ou plusieurs examens spécialisés complémentaires, le tout étant à la charge de l'employeur.

En effet, un travailleur ne peut être affecté à des travaux l'exposant à des agents chimiques dangereux pour la santé que s'il a fait l'objet d'un examen médical préalable par le médecin du travail et si la fiche médicale d'aptitude établie à cette occasion atteste qu'il ne présente pas de contre-indication médicale à ces travaux.

Après l'embauche, la surveillance médicale renforcée suppose normalement des examens de suivi plus fréquents et plus approfondis que dans le cas d'une surveillance classique . En effet, la pénurie de médecins du travail a fait que la réforme de la médecine du travail en vigueur depuis le 1 er juillet 2012 28 ( * ) a assoupli les conditions de la surveillance médicale renforcée en allongeant la périodicité minimale des examens médicaux de douze à vingt-quatre mois (nouvel article R. 4624-16 du code du travail), soit, désormais, une périodicité analogue à celle qui prévaut dans le droit commun. Toutefois, dans la limite de cette fréquence minimale de deux ans, le médecin du travail peut estimer nécessaire de prévoir d'autres visites médicales et examens complémentaires : selon les termes de l'article R. 4624-19, « le médecin du travail est juge des modalités de la surveillance médicale renforcée, en tenant compte des recommandations de bonnes pratiques existantes. ». Il est difficile d'apprécier à ce jour les conséquences de cette nouvelle disposition. Mais il est à craindre qu'elle ne se traduise par des examens de santé plus espacés , puisque tel en est l'objectif. L'appréciation laissée au médecin du travail en fonction de « bonnes pratiques », dont on ne sait pas précisément par qui elles seront définies, n'est pas de nature à faire croire que l'examen périodique annuel restera la règle. Fort heureusement, indépendamment des examens périodiques et de ceux préconisés par le médecin du travail, tout salarié exposé à des produits chimiques peut bénéficier d'un examen médical à sa demande ou à celle de l'employeur (article R. 4412-50).

Par ailleurs, l'article R. 4451-84 du même code prévoit que seuls « les travailleurs classés en catégorie A bénéficient d'un suivi de leur état de santé au moins une fois par an. » Il s'agit essentiellement des salariés travaillant dans des milieux radioactifs.

Une autre inquiétude de la mission porte sur le fait que les nouvelles dispositions réglementaires entrées en vigueur le 1 er juillet 2012, et déjà évoquées plus haut, permettent aux infirmiers de réaliser certains entretiens en lieu et place du médecin. De tels entretiens ne peuvent naturellement pas déboucher sur des déclarations d'inaptitude. Toutefois, ils peuvent donner aux salariés l'occasion de s'exprimer sur leurs conditions de travail ou sur d'éventuels symptômes ou difficultés. Le cas échéant, l'infirmier pourra alerter le médecin, mais un symptôme peut lui échapper et il n'est pas habilité à poser des questions d'ordre clinique .

Or, ces examens médicaux périodiques sont essentiels car ils ont pour finalité de s'assurer du maintien de l'aptitude médicale du salarié à son poste de travail et de l'informer sur les conséquences médicales des expositions professionnelles qu'il peut subir à son poste et du suivi médical nécessaire.

Dans la pratique, la mission a néanmoins constaté que, jusqu'à présent, pour les salariés particulièrement exposés à leur poste de travail, des examens étaient prévus tous les six mois et étaient complétés par un examen biologique et clinique complet. Ainsi que l'a souligné le médecin du travail rencontré par la mission sur le site de Bayer CropScience à Villefranche-sur-Saône, l'examen biologique (numération formule, plaquettes, exposition de certains organes cibles, transaminases, créatinine, ...) est essentiel car il permet de détecter les signes d'une imprégnation ou d'une exposition à un ou plusieurs produit(s) chimique(s). Pour certains produits spécifiques, le médecin peut même prescrire des examens complémentaires : thyroïde, suivi hormonal (antigène de la prostate proposé systématiquement), échographie, dosages divers, tests fonctionnels, contrôles respiratoires (tous les deux ans), détection d'allergies, électrocardiogrammes (tous les cinq ans ; tous les trois ans après 45 ans).

La surveillance biologique des expositions aux agents chimiques
Principales dispositions réglementaires du code du travail

Article R. 4412-51 - Le médecin du travail prescrit les examens médicaux nécessaires à la surveillance biologique des expositions aux agents chimiques. Le travailleur est informé par le médecin des résultats de ces examens et de leur interprétation. Le médecin du travail informe l'employeur de l'interprétation anonyme et globale des résultats de cette surveillance biologique des expositions aux agents chimiques, en garantissant le respect du secret médical.

Article R. 4412-51-1 - Les analyses destinées à vérifier le respect des valeurs limites biologiques fixées par décret sont réalisées par les organismes mentionnés à l'article R. 4724-15.

En cas de dépassement, le médecin du travail, s'il considère que ce dépassement résulte de l'exposition professionnelle, en informe l'employeur, sous une forme non nominative.

Article R. 4412-51-2 - Un arrêté conjoint des ministres chargés du travail et de l'agriculture précise les modalités ainsi que les méthodes à mettre en oeuvre pour le contrôle du respect des valeurs limites biologiques.

Article R. 4412-52 - Si un travailleur est atteint d'une maladie professionnelle, d'une maladie ou d'une anomalie susceptible de résulter d'une exposition à des agents chimiques dangereux, à l'exception des agents cancérogènes et mutagènes définis à l'article R. 4412-60, le médecin du travail détermine la pertinence et la nature des examens éventuellement nécessaires pour les travailleurs ayant subi une exposition comparable.

Par ailleurs, il existe une procédure spécifique concernant les femmes enceintes , la loi distinguant les produits reprotoxiques. En pratique, le médecin du travail de Bayer CropScience a fait savoir à votre mission que toute femme enceinte est exclue du contact avec les produits concernés, que ce soit sur le site de production ou dans le laboratoire de recherche. Il a indiqué que « les raisons vont bien au-delà d'une analyse chimique des produits. Les restrictions sont purement toxicologiques et ne supportent pas réellement de discussions . Il semble s'être formé un consensus concernant la protection des femmes enceintes ». Mais il a reconnu que cela pose des problèmes de reclassement en cas d'inadaptation prolongée au poste, qui sont « un combat de tous les jours ». Dans la logique de ce raisonnement, on pourrait d'ailleurs considérer que, par précaution, les femmes en âge de procréer devraient pouvoir être protégées en permanence de tout risque d'exposition au cas où se révélerait une grossesse.

Enfin, le nouvel article R. 4624-20 du code du travail 29 ( * ) prévoit que, en cas d' arrêt de travail prolongé (plus de trois mois), une visite de pré-reprise soit organisée par le médecin du travail à l'initiative du médecin traitant, du médecin conseil des organismes de sécurité sociale ou du salarié. Au cours de cet examen, le médecin du travail peut recommander des aménagements et adaptations du poste de travail, un reclassement ou des formations professionnelles en vue de faciliter le reclassement ou sa réorientation professionnelle. Ces recommandations sont transmises à l'employeur, qui doit y donner suite selon des modalités communiquées au médecin du travail, en vue de favoriser le maintien dans l'emploi du salarié.

En cas de congé de maternité , d'absence pour cause de maladie professionnelle ou encore suite à une absence d'au moins trente jours pour cause d'accident du travail, de maladie ou d'accident non professionnel , le salarié bénéficie obligatoirement d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail dans un délai de huit jours à compter de son retour en activité.

L'examen de reprise a pour objet de délivrer l'avis d'aptitude médicale du salarié à reprendre son poste ; de préconiser l'aménagement, l'adaptation du poste ou le reclassement du salarié ou d'examiner les propositions d'aménagement, d'adaptation du poste ou de reclassement faites par l'employeur à la suite des préconisations émises par le médecin du travail lors de la visite de pré-reprise.

Le médecin du travail doit d'ailleurs être informé de tout arrêt de travail d'une durée inférieure à trente jours pour cause d'accident du travail afin de pouvoir apprécier l'opportunité d'un nouvel examen médical et, avec l'équipe pluridisciplinaire, de préconiser des mesures de prévention des risques professionnels.

Votre Rapporteur souhaite que ces bonnes pratiques soient perpétuées pour les salariés particulièrement exposés et les femmes enceintes, malgré l'assouplissement des dispositions réglementaires définissant les conditions de la surveillance médicale renforcée.

Même si votre Rapporteur relève que la plupart des dispositions relatives à l'exercice de la médecine du travail sont d'ordre réglementaire et non législatif, y compris s'agissant de la périodicité des examens médicaux, elle préconise le retour à un examen dont la périodicité soit, au minimum, annuelle, dans le cadre de la surveillance médicale renforcée.

Ces examens (embauche, périodiques, reprise ou pré-reprise) sont en effet d'une importance considérable, car il peut en résulter une déclaration d'inaptitude du salarié à son poste de travail ou une restriction d'aptitude , en particulier en cas d'allergies et de problèmes dermatologiques (cas les plus fréquents).

Mais cela suppose que le médecin du travail ait réalisé au préalable : une étude du poste de travail, une étude des conditions de travail dans l'entreprise ainsi que deux examens médicaux de l'intéressé espacés de deux semaines, accompagnés si nécessaire d'examens complémentaires (article R. 4624-31). Toutefois, lorsque le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour sa santé ou sa sécurité ou celles des tiers ou lorsqu'un examen de pré-reprise a eu lieu dans un délai de trente jours au plus, l'avis d'inaptitude médicale peut être délivré en un seul examen. Les motifs de l'avis du médecin du travail sont consignés dans le dossier médical en santé au travail du salarié.

La déclaration d'inaptitude suppose une bonne connaissance du milieu de travail et des postes de travail. C'est pourquoi, l'article R. 4624-4 du code du travail prévoit que le médecin du travail puisse être sur le lieu de travail au moins durant le tiers de son temps de travail , soit au moins cent-cinquante demi-journées de travail effectif chaque année, pour un médecin à plein temps.

Les actions sur le milieu de travail comprennent notamment : la visite des lieux de travail, l'étude de postes en vue de l'amélioration des conditions de travail, de leur adaptation ou du maintien dans l'emploi, l'identification et l'analyse des risques professionnels, l'élaboration et la mise à jour de la fiche d'entreprise, la délivrance de conseils en matière d'organisation des secours et des services d'urgence, la participation aux réunions du CHSCT, la réalisation de mesures métrologiques, l'animation de campagnes d'information et de sensibilisation aux questions de santé publique en rapport avec l'activité professionnelle, les enquêtes épidémiologiques, la formation aux risques spécifiques, l'étude de toute nouvelle technique de production, ainsi que l'élaboration des actions de formation à la sécurité et à celle des secouristes.

Les examens de suivi individuels et les contrôles réguliers du milieu de travail contribuent également à la traçabilité des expositions professionnelles auxquelles est soumis un salarié. Les résultats sont répertoriés dans le dossier médical du salarié , dont l'existence est une obligation légale (article L. 4624-2). Il est constitué par le médecin du travail et doit retracer les informations relatives à l'état de santé du travailleur, les expositions auxquelles il a été soumis ainsi que les avis et propositions du médecin du travail (fiche médicale d'aptitude notamment). Le dossier ne peut être communiqué qu'à la demande de l'intéressé au médecin de son choix. Le médecin du travail peut également le transmettre au médecin inspecteur du travail à sa demande ou en cas de risque pour la santé publique ainsi qu'à un autre médecin du travail pour garantir la continuité de la prise en charge, sauf refus du travailleur. Le travailleur lui-même peut en demander la communication.

Pour assurer la traçabilité des expositions en cas de survenue tardive d'une maladie professionnelle, le dossier médical est conservé pendant au moins cinquante ans après la fin de la période d'exposition. Par ailleurs, certaines entreprises disposent d' un registre des expositions.

Tel est le cas de l'entreprise Bayer CropScience à Villefranche-sur-Saône. En l'espèce, il se présente sous la forme d'un fichier informatisé permettant de retracer l'exposition de chaque salarié durant toute sa vie professionnelle et auquel le médecin du travail peut avoir accès. Afin que toute exposition soit connue du médecin du travail, la direction doit lui signaler au préalable l'introduction de toute nouvelle molécule dans le processus de production avant que cette innovation n'ait lieu.

La mission considère que la présence d'un tel fichier des expositions professionnelles devrait être obligatoire et généralisée dès lors que les risques d'exposition professionnelle à des matières dangereuses peuvent se traduire par l'apparition de maladies de façon différée pour les salariés.

e) Le CHSCT : un rôle accru dans les entreprises classées Seveso « seuil haut »

Selon les termes de l'article L. 4612-1 du code du travail, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a une triple mission : de contribuer à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs de l'établissement et de ceux mis à sa disposition par une entreprise extérieure ; de contribuer à l'amélioration des conditions de travail, notamment en vue de faciliter l'accès des femmes à tous les emplois et de répondre aux problèmes liés à la maternité et de veiller à l'observation des prescriptions légales prises en ces matières.

A cette fin, le CHSCT analyse les risques professionnels auxquels peuvent être exposés les salariés en étudiant le cas particulier des femmes enceintes et fait un état des lieux des conditions de travail dans l'entreprise en veillant notamment à identifier les facteurs de pénibilité. Sur la base de cette analyse, il contribue à la promotion de la prévention des risques professionnels dans l'établissement et suscite toute initiative qu'il estime utile dans cette perspective. Ses propositions figurent dans le rapport annuel de prévention qu'il rédige à partir de l'analyse des risques et du bilan social.

Le CHSCT dispose de compétences lui permettant de procéder à des inspections régulières dans l'établissement et de réaliser des enquêtes en matière d'accidents du travail ou de maladies professionnelles ou à caractère professionnel. Lors des visites de l'inspecteur ou du contrôleur du travail, les représentants du CHSCT sont obligatoirement informés de cette présence par l'employeur et peuvent présenter leurs observations.

Le CHSCT se réunit au moins tous les trimestres à l'initiative de l'employeur, plus fréquemment en cas de besoin, notamment dans les branches d'activité présentant des risques particuliers ou à la suite de tout accident ayant entraîné ou ayant pu entraîner des conséquences graves ou à la demande motivée de deux de ses membres représentants du personnel.

Cas de consultation obligatoire du CHSCT

- Avant toute décision d' aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail ;

- Sur le projet d'introduction de nouvelles technologies et sur les conséquences de ce projet sur la santé et la sécurité des travailleurs ;

- Sur le plan d'adaptation établi lors de la mise en oeuvre de mutations technologiques importantes et rapides ;

- Sur les mesures prises en vue de faciliter le retour ou le maintien au travail des accidentés du travail, des invalides de guerre, des invalides civils et des travailleurs handicapés, notamment sur l'aménagement des postes de travail ;

- Sur tout document relevant de son domaine de compétence, et en particulier sur le règlement intérieur ;

- Sur toute question de sa compétence dont il est saisi par l'employeur, le comité d'entreprise et les délégués du personnel ;

- Sur les documents établis à l'intention des autorités publiques chargées de la protection de l'environnement pour les établissements comportant une installation soumise à autorisation du fait de leur activité ( installations classées Seveso ).

Ainsi, la direction de l'usine De Sangosse de produits phytosanitaires de protection des plantes contre certains nuisibles (rongeurs, limaces, fourmis, etc.) 30 ( * ) a donné plusieurs exemples d'actions mises en oeuvre en collaboration avec le CHSCT et la médecine du travail visant à contrôler et améliorer les conditions de travail des salariés :

- analyse du système de filtration de l'unité de production de produits anti-rongeurs, grâce à la mesure des particules dans les zones de fabrication et conditionnement ;

- dosage d'un composé d'une substance active au sein des zones de fabrication et de stockage de l'unité anti-limaces par la mesure de l'exposition du personnel ;

- dosage d'un solvant fréquemment utilisé au sein du laboratoire (méthanol) par la mesure de l'exposition du personnel.

Dans le cadre de ses missions, le CHSCT peut également consulter à titre occasionnel toute personne de l'établissement qui lui paraîtrait qualifiée. Le cas échéant, il peut faire appel, aux frais de l'employeur, à un expert agréé lorsqu'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement ou en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail. L'employeur ne peut s'opposer à l'entrée de l'expert dans l'établissement et doit lui fournir toutes les informations nécessaires à l'exercice de sa mission . En cas de contestation sur la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût, l'étendue ou le délai de l'expertise, l'employeur est tenu de saisir le juge judiciaire. L'expert est tenu aux obligations de secret et de discrétion.

Comme cela a été dit précédemment, le CHSCT du site de Bayer CropScience à Villefranche-sur-Saône a eu recours à cette faculté. Il a obtenu de la direction du site l'autorisation de mandater un expert pour réaliser une étude sur l'empoussièrement des ateliers et ses conséquences sur la santé des salariés . L'étude, financée par l'entreprise, devait permettre de prendre des décisions de nature à limiter l'empoussièrement et à améliorer ainsi les conditions de travail des salariés travaillant dans ces ateliers.

Depuis la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, le CHSCT des établissements classés Seveso dispose de pouvoirs et de moyens accrus : majoration de 30 % du temps nécessaire à l'exercice des fonctions de membres du CHSCT, augmentation possible du nombre de représentants du personnel par un accord de branche, information obligatoire sur tout accident ou incident qui aurait pu avoir des conséquences graves, participation aux comités locaux d'information et de concertation (CLIC) , développement des contacts entre inspecteurs des installations ou inspecteurs du travail et les représentants du personnel, développement de la formation aux facteurs de risques particuliers à l'entreprise, droit de faire appel à une expertise « risques technologiques » etc.

Les dispositions légales et réglementaires relatives aux prérogatives et missions des CHSCT des établissements classés Seveso obligent donc l'employeur à communiquer des informations stratégiques concernant les conditions de travail et la sécurité des salariés. Grâce aux informations dont il dispose et dans le cadre des missions qui lui ont été confiées, le CHSCT peut ainsi contribuer largement à l'amélioration des conditions de travail des salariés qu'il représente. Mais son rôle est encore plus efficace lorsque la direction de l'entreprise fait le choix de l'associer aux réflexions et projets concernant l'organisation de la production.

2. Les insuffisances du système de reconnaissance des maladies professionnelles
a) L'exposition aux pesticides : une cause reconnue de maladie professionnelle

L'exposition aux pesticides fait partie aujourd'hui des causes reconnues de certaines maladies professionnelles. Les exploitants et salariés agricoles disposent de tableaux de maladies professionnelles spécifiques au régime agricole. Une dizaine de ces tableaux concernent l'exposition aux produits phytosanitaires. De la même manière, au sein du régime général, huit tableaux de maladies professionnelles couvrent les risques liés à la fabrication ou à l'utilisation de pesticides.

A l'origine, le système de reconnaissance des maladies professionnelles a été établi pour réparer les conséquences de l'exposition professionnelle à certains risques physiques, chimiques ou biologiques et pour répondre à la difficulté d'établissement du lien de causalité entre cette exposition et la maladie contractée par le travailleur. Ainsi, l'ensemble du système repose sur une présomption de causalité pour les personnes ayant travaillé au contact de certains risques répertoriés, et constatant l'apparition d'une pathologie dans un délai déterminé.

Les premiers tableaux de maladies professionnelles en agriculture ont été créés par un décret de 1955 31 ( * ) . Les zoonoses sont les premières affections reconnues (brucellose, charbon, etc.) ainsi que quelques maladies relatives aux produits phytosanitaires, deux types de pathologies particulièrement prégnantes dans le milieu agricole. Les tableaux ont par la suite été complétés ou modifiés à de nombreuses reprises.

La mise en place, en avril 2002, d'une nouvelle législation sur l'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles (ATEXA) permet désormais aux exploitants agricoles de bénéficier du même système de réparation que les travailleurs agricoles salariés.

Toutefois, il est apparu à la mission d'information que ce système de réparation au moyen des tableaux de maladies professionnelles est globalement insatisfaisant ou tout au moins insuffisant dans le cas des risques liés aux pesticides .

Les tableaux concernant ces substances sont peu nombreux, les critères d'obtention de la reconnaissance de maladie professionnelle sont très rigides, conduisant bien souvent le malade à un véritable parcours du combattant. Par ailleurs, les auditions de représentants de la MSA (Mutualité sociale agricole) et de la CNAMTS (Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés) ont permis de constater les très faibles chiffres de reconnaissance de maladies professionnelles en France, laissant suspecter un phénomène de sous-déclaration d'une ampleur difficile à évaluer.

Le système n'est pas entièrement satisfaisant du point de vue de la responsabilité au sens large, dans la mesure où il fait exclusivement reposer sur la collectivité le poids financier de la réparation.

Il convient pour finir de garder à l'esprit que le système en vigueur ne touche, par définition, que les travailleurs au contact du risque pesticides, et qu'il ne bénéficie pas, de fait, aux jardiniers du dimanche ou encore aux riverains des exploitations agricoles.

(1) Quelques éléments de définition

Des éléments de définition sont nécessaires à ce stade afin d'appréhender correctement les contours du régime de maladie professionnelle, et notamment sa distinction avec la notion d'accident du travail.

Un accident du travail se définit par un fait matériel fortuit provoquant une lésion corporelle. En général, l'accident du travail est simple à constater. C'est un événement qui a lieu à un moment et à un lieu précis. La preuve entre la lésion et le fait qui l'a provoquée est relativement facile à apporter.

Une maladie professionnelle doit quant à elle être la conséquence directe de l'exposition du travailleur à un risque physique, chimique, biologique ou résulter des conditions dans lesquelles il exerce son activité . Elle est ainsi la conséquence d'une exposition plus ou moins prolongée à un risque présent lors de l'exercice habituel de l'activité. Par exemple, l'absorption quotidienne de vapeurs toxiques, de poussières peut conduire à une maladie professionnelle. Il est généralement impossible de déterminer le point de départ de la maladie . En outre, elle ne se manifeste souvent que des années après le début de l'exposition à un risque , voire après que le travailleur a cessé son activité. La multiplicité des produits manipulés rend difficile la preuve de la cause professionnelle de la maladie. Du fait de cette difficulté de la preuve , le droit à réparation se fonde sur des critères de probabilité et de présomption.

Il existe également des maladies professionnelles d'origine accidentelle, considérées légalement comme des accidents du travail . Par exemple, une intoxication provoquée par l'éclatement d'une bonbonne, l'exécution de travaux dans une citerne insuffisamment nettoyée ou aérée, etc. Le fait matériel est dans ce cas facile à localiser, mais ses conséquences sont parfois difficiles à rattacher à leur cause, notamment si les symptômes de la maladie ne surviennent que quelques temps après l'accident. Une maladie professionnelle peut également être consécutive à un accident du travail. Par exemple, un travailleur qui contracterait le tétanos à la suite d'une blessure. Dans ces cas, la victime est intégralement prise en charge . L'affection ne rentre pas toujours dans le cadre des maladies professionnelles, mais peut être reconnue comme « complication ou séquelle d'un accident du travail ».

(2) Les tableaux de maladies professionnelles

Le législateur a prévu une série de conditions médicales, techniques et administratives qui doivent être remplies pour qu'une maladie soit reconnue comme professionnelle et indemnisée comme telle. Ces conditions sont résumées dans les tableaux de maladies professionnelles. Il existe des tableaux spécifiques pour les salariés et exploitants agricoles, 58 au total, parallèlement aux tableaux du régime général.

Il existe un délai de prescription de deux ans à compter de la date à laquelle la victime est informée par certificat médical du lien possible entre sa maladie et son activité professionnelle.

Chaque tableau comporte :

o Les symptômes ou lésions pathologiques (colonne de gauche du tableau de maladie professionnelle) : énumération limitative des symptômes que doit présenter le malade ;

o Le délai de prise en charge : délai maximal entre la cessation d'exposition au risque et la première constatation médicale de la maladie. La cessation de l'exposition au risque marque ainsi le début du délai de prise en charge. Le délai varie selon les symptômes présentés ;

o Les travaux susceptibles de provoquer l'affection concernée (colonne de droite du tableau) : dans certains cas, cette liste peut être limitative (cf. pour les maladies infectieuses et la plupart des cancers), ou seulement indicative (cas notamment de certaines maladies provoquées par des substances toxiques). Pour les listes indicatives, tout travail où le risque existe peut être pris en considération ;

o Une durée minimale d'exposition au risque : cette durée ne figure pas dans tous les tableaux. Elle peut varier dans un même tableau selon la maladie.

Si une pathologie répond aux conditions médicales, techniques et administratives présentes dans un tableau, elle est systématiquement présumée d'origine professionnelle, sans qu'il soit besoin d'en faire la preuve.

En ce qui concerne les pesticides, douze tableaux du régime agricole prennent en compte ce risque à l'heure actuelle. Il s'agit des tableaux 9, 10, 11, 13, 13 bis, 19, 19 bis, 23, 44, 45, 48 et 58. Dans le régime général , il existe également des tableaux relatifs aux pesticides , qui recoupent des nuisances communes avec le régime agricole. Il s'agit des tableaux 5, 14, 15, 15 bis, 20, 20 bis, 34, 66 et 74.

Il convient de garder à l'esprit que, dans le régime agricole comme dans le régime général, ces tableaux ne sont pas toujours spécifiques et peuvent très bien concerner également des activités n'ayant rien à voir avec l'utilisation de pesticides : ainsi, par exemple, le tableau 15 du régime général concerne plus, en pratique, la fabrication de colorants et l'usinage des métaux que la fabrication de pesticides.

Liste des tableaux relatifs aux pesticides dans le régime général et le régime agricole

Régime général :

- Tableau n°5 : Affections professionnelles liées au contact avec le phosphore

- Tableau n°14 : Affections provoquées par les dérivés nitrés du phénol

- Tableau n°15 : Affections provoquées par les amines aromatiques

- Tableau n°15 bis : Affections de mécanisme allergique provoquées par les amines aromatiques

- Tableau n°20 : Affections professionnelles provoquées par l' arsenic et ses composés minéraux

- Tableau n°20 bis : Cancer bronchitique primitif provoqué par l'inhalation de poussières ou de vapeurs arsenicales

- Tableau n°34 : Affections provoquées par les phosphates

- Tableau n°66 : Rhinites et asthmes professionnels

- Tableau n°74 : Affections professionnelles provoquées par le furfural et l' alcool furfurylique

Régime agricole :

- Tableau n°9 : Intoxication professionnelle par le tétrachlorure de carbone

- Tableau n°10 : Affections provoquées par l' arsenic et ses composés minéraux

- Tableau n°11 : Affections provoquées par les phosphates

- Tableau n°13 : Affections provoquées par les dérivés nitrés du phénol

- Tableau n°13 bis : Affections provoquées par des préparations associant pentachlorophénol ( ou pentachlorophénates ) avec du lindane

- Tableau n°19 : Hémopathies provoquées par le benzène et tous les produits en renfermant

- Tableau n°19 bis : Affections gastro-intestinales et neurologiques provoquées par le benzène , le toluène , les xylènes

- Tableau n°23 : Intoxication professionnelle par le bromure de méthyle

- Tableau n°44 : Affections cutanées et muqueuses professionnelles de mécanisme allergique

- Tableau n°45 : Affections respiratoires professionnelles de mécanisme allergique

- Tableau n°48 : Affections engendrées par les solvants organiques liquides à usage professionnel

- Tableau n°58 : Maladie de Parkinson provoquée par les pesticides

Plusieurs constats peuvent être faits sur ces tableaux de maladies professionnelles.

Tout d'abord, il apparaît que la liste des pathologies prises en charge est relativement limitée, compte tenu du consensus scientifique actuel sur un certain nombre d'effets sanitaires probables dus à l'exposition aux pesticides .

Par ailleurs, en se penchant sur les types de maladies reconnues, on constate rapidement que ces dernières comprennent essentiellement des affections allergiques, qu'elles soient dermatologiques ou respiratoires, quelques maladies gastro-intestinales et neurologiques, certains cancers pour ce qui concerne les tableaux relatifs à l'arsenic, et, depuis peu, la maladie de Parkinson.

Encore une fois, étant donné les connaissances accumulées depuis de nombreuses années sur l'incidence des pesticides sur la santé, on peut s'étonner que certaines pathologies ne soient pas mieux reconnues.

Si l'on prend notamment l'exemple du cancer, il est désormais largement admis que certaines activités, agricoles en particulier, favorisent le développement de certains types de cancer . L'étude Agrican et d'autres études de cohortes avant elle ont mis en évidence une surreprésentation de certains cancers chez les agriculteurs exposés aux pesticides (cancer de la prostate, cancers de la peau, cancers du sang, etc.). Lors de son audition, le Dr Nadine Houédé de l'Institut Bergonié à Bordeaux a clairement fait le lien entre travail de la vigne et cancer de la vessie .

De nombreuses personnes auditionnées ont appelé à l'ajout rapide de nouveaux tableaux . Lors de la table ronde organisée le 24 juillet 2012 par la mission « Effets des pesticides sur la santé des utilisateurs, de leur famille et des riverains : regards croisés », Mme Annie Thébaud-Mony a ainsi prôné la création d'un tableau sur la multi-exposition aux cancérogènes .

Pour compenser les limites et la rigidité intrinsèque du système de tableaux de maladies professionnelles, un dispositif alternatif a été prévu. Un travailleur peut voir reconnaître sa maladie hors tableaux, même si ce dispositif complémentaire de reconnaissance soulève lui aussi des difficultés certaines.

(3) L'existence d'un système complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles

Le système de tableaux présente des limites : les maladies hors tableaux se retrouvent exclues du système de réparation des maladies professionnelles , ainsi que les maladies pour lesquelles toutes les conditions inscrites dans un tableau ne sont pas totalement remplies.

La loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d'ordre social institue un système complémentaire de reconnaissance du caractère professionnel des maladies , passant par les Comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP).

o Dans le cas d'une maladie figurant dans le tableau , mais pour laquelle une ou plusieurs des conditions administratives de reconnaissance (ex : délai de prise en charge, durée d'exposition, liste limitative des travaux) n'est pas remplie : cette maladie peut être reconnue comme maladie professionnelle s'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime (art. L. 461-1 alinéa 3 du code de la sécurité sociale). Les conditions médicales de reconnaissance restent cependant d'application stricte. La victime ne bénéficie plus de la présomption d'origine et doit établir le lien direct entre la maladie et le travail.

o Il existe également une possibilité de reconnaître une maladie non inscrite dans un tableau , mais directement imputable à l'activité professionnelle habituelle de la victime et entraînant son décès ou une incapacité permanente d'au moins 25% (art. L. 461-1 al.4 et R. 461-8 du code de la sécurité sociale). Il s'agit d'une reconnaissance hors tableau. La victime ne bénéficie alors pas de la présomption d'origine professionnelle. Un dossier doit être présenté au CRRMP qui apprécie l' existence d'un lien direct et essentiel entre l'activité professionnelle et la maladie . Ce dispositif est détaillé aux articles D. 751-33 et suivants du code rural pour les salariés de l'agriculture.

En définitive, un travailleur malade et souhaitant faire reconnaître le caractère professionnel de sa maladie peut se trouver dans trois types de situations distinctes : le cas où un tableau existe et où toutes les conditions sont remplies, le cas où le tableau existe, mais certaines conditions ne sont pas respectées, et enfin le cas où la maladie n'est pas désignée dans un tableau spécifique.

Trois types de situations

Conditions de reconnaissance de la maladie professionnelle

Preuve du lien de causalité entre le travail et la maladie

Point de départ de la réparation de la maladie professionnelle

Maladie désignée dans un des tableaux des maladies professionnelles

a) Toutes les conditions du tableau sont remplies : travail effectué par la victime est listée dans le tableau correspondant ( liste limitative ou liste indicative selon les cas ), exposition habituelle au risque, le cas échéant, durée minimale d'exposition, et délais de prise en charge respectés

Présomption d'imputabilité ( le salarié n'a pas à prouver la relation entre le travail et l'affection dont il souffre )

Date du certificat établissant le lien entre la maladie et l'activité professionnelle

b) Une ou plusieurs des conditions ci-dessus ne sont pas remplies , mais cependant : lien direct entre maladie et travail habituel de la victime

Sur expertise individuelle confiée à un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles

Maladie non désignée dans un des tableaux des maladies professionnelles

Directement et essentiellement causée par le travail et entraînant :

o soit incapacité permanente au moins égale à 25%

o soit décès

Date de consolidation ou de stabilisation de la maladie

Source : Dictionnaire permanent social, Editions Législatives

Le système complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles présente, lui aussi, un certain nombre de limites. Dans le cas où le malade se trouve dans le cadre d'un tableau de maladie professionnelle, le lien de causalité est présumé dès lors que la preuve de l'exposition au risque est faite. Dans le système complémentaire de reconnaissance devant le CRRMP compétent, le travailleur doit non seulement faire la preuve de son exposition, mais doit également prouver un lien de causalité entre cette exposition au risque et la pathologie contractée.

(4) Procédure de reconnaissance des maladies professionnelles et rôle des médecins

La déclaration de maladie professionnelle doit être faite par la victime ou ses ayants droit à la caisse de MSA dans un délai de quinze jours après la cessation du travail ou la constatation de la maladie. Cette déclaration doit être accompagnée d'un certificat médical initial descriptif établi par le médecin.

La caisse ouvre alors une enquête administrative et médicale. Elle en informe l'employeur, l'inspecteur du travail et le médecin du travail. Elle fait connaître sa décision dans un délai de quatre-vingt-dix jours, décision qui peut être contestée par la voie du contentieux général.

Dans le cadre du système complémentaire de reconnaissance, la caisse doit constituer un dossier et le transmettre au CRRMP. Ce comité est composé du médecin-conseil régional de la MSA, du médecin-inspecteur régional du travail, et d'un praticien qualifié. Le CRRMP rend un avis motivé qui s'impose à la caisse. Celle-ci le notifie à la victime et à l'employeur.

Le rôle des médecins est central dans la procédure. Or, à l'heure actuelle, il semble qu'il y ait un manque de formation des médecins traitants aux spécificités des pathologies liées aux pesticides . Ce manque de formation peut constituer un frein pour la reconnaissance des maladies professionnelles.

Par ailleurs, les médecins traitants souffrent souvent d'un manque de moyens pour réaliser et suivre des dossiers de demande de reconnaissance de maladies professionnelles. La lourdeur des procédures ne les incite pas à y recourir autant qu'il serait sans doute nécessaire.

b) Une probable sous-déclaration des maladies professionnelles
(1) Des chiffres de déclarations et de reconnaissances très faibles

On enregistre dans l'ensemble très peu de déclarations de maladies professionnelles en lien avec les pesticides, aussi bien dans le régime général que dans le régime agricole . Les chiffres transmis à la mission d'information par la MSA et la CNAMTS font état de niveaux de déclaration et de reconnaissance très faibles.

Lors de son audition par la mission, le 24 avril 2012, M. Dominique Martin, de la Caisse nationale d'assurance maladie, direction risques professionnels, a indiqué une tendance générale à la baisse du nombre de maladies professionnelles enregistrées ces vingt dernières années pour les huit tableaux du régime général concernant, entre autres, les pesticides . En effet, il a rappelé que ces tableaux ne sont pas spécifiques à l'utilisation de produits phytosanitaires et peuvent concerner des produits et des activités n'ayant rien à voir avec la fabrication ou l'utilisation de pesticides.

Le nombre de maladies professionnelles ayant entraîné une première indemnisation en espèces par la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) pour ces tableaux est passé de 81 cas en 1991 à 23 cas en 2010. Ce chiffre ne dépasse jamais 50 cas par an depuis 1996, et s'établit en moyenne à 27 cas tous les ans sur les cinq dernières années. Par ailleurs, les maladies professionnelles en question relèvent pour la plupart de l'activité dans le domaine de la coiffure et du travail du cheveu, avec 69 cas sur les cinq années passées, suivi par la métallurgie puis le secteur de la chimie.

Il est difficile d'isoler le nombre de maladies professionnelles concernant les pesticides à partir des statistiques dont dispose la CNAMTS. Le classement des données par numéro de risque ne permet pas de distinguer spécifiquement l'industrie phytosanitaire d'autres secteurs de l'industrie chimique. On peut toutefois noter que le risque « chimie organique de synthèse » comptait 29 maladies professionnelles en premier règlement en 2010, et que le risque « fabrication de produits insecticides, anticryptogamiques et désinfectants » en comptait seulement quatre. S'il est impossible d'être plus précis, ces chiffres donnent cependant une idée du chiffrage maximum des maladies professionnelles concernant les pesticides dans le régime général.

Les chiffres de reconnaissance de maladies professionnelles en lien avec la fabrication ou l'utilisation de pesticides sont ainsi très faibles dans le régime général. Cela peut sans doute s'expliquer par un bon accès à la médecine du travail, et à la possibilité de mettre en place dans l'industrie des systèmes de protection collective des travailleurs, chose difficile en milieu de travail agricole, par définition moins facilement maîtrisable.

Dans le régime général, les chiffres faibles de maladies professionnelles, même s'ils souffrent sans doute également d'un biais de sous-déclaration, ne peuvent masquer un phénomène de grande ampleur.

Les chiffres fournis par la MSA lors de son audition devant la mission d'information, le 6 mars 2012, ne sont pas pour autant très élevés, ce qui peut sembler étonnant compte tenu des nombreux effets sanitaires avérés des pesticides sur la santé.

Entre 2003 et 2010, 311 accidents du travail survenus avec des produits de traitement ont été enregistrés pour les non salariés, le plus souvent des herbicides (41). Pour les salariés, 962 accidents du travail sont survenus avec des produits de traitement entre 2003 et 2010, là encore le plus souvent du fait d'herbicides . Les cultures les plus concernées sont les cultures spécialisées et la viticulture. Sur ces accidents de travail, 501 ont provoqué un arrêt, et 23 peuvent être considérés comme graves.

Concernant les maladies professionnelles à proprement parler, les données 2002-2010 font état de chiffres très faibles compte tenu du nombre total de maladies professionnelles reconnues. Sur la période, 47 maladies professionnelles ont été reconnues concernant les tableaux liés aux pesticides , dont 24 pour les salariés et 23 pour les non salariés. La moitié de ces reconnaissances concerne le tableau n°10 relatif à l' arsenic et aux composés arsenicaux . En effet, si l'usage de l'arsenic est interdit en France depuis 2001, la reconnaissance de maladie professionnelle peut se poursuivre après l'interdiction de la molécule pour ses effets différés. Les pathologies faisant l'objet du plus grand nombre de reconnaissances sont les affections cutanées et respiratoires de type allergique.

Dans le cadre du système complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles avec les CRRMP, 1269 demandes ont été déposées entre 2008 et 2010, dont 95 ayant un lien avec les pesticides. Seulement 20 maladies ont été reconnues .

De manière générale, les secteurs agricoles les plus représentés dans ces chiffres sont la viticulture, les cultures spécialisées et l'élevage .

Ces chiffres sont extrêmement faibles, compte tenu du nombre total de maladies professionnelles reconnues entre 2003 et 2010, qui s'élève à environ 44 000.

Comment interpréter ces chiffres ? Sont-ils le signe qu'il n'existe pas aujourd'hui d'urgence sanitaire relative aux pesticides ? La réponse semble plutôt à chercher du côté de la sous-déclaration des maladies .

Les indicateurs de maladies professionnelles ne sont pas forcément un bon outil pour mesurer l'ampleur du problème sanitaire posé par les pesticides. C'est un outil médico-légal permettant la réparation de lésions dont ont été victimes les salariés et les exploitants. En tant que tel, il souffre d'une forte sous-déclaration, et ne permet en aucun cas de tirer de conclusions en termes de veille sanitaire. Il faut combiner ces données avec celles des réseaux de toxicovigilance et celles fournies par les études épidémiologiques.

(2) Des causes variées de sous-déclaration

Il est difficile de mesure l'ampleur de la sous-déclaration quant aux maladies professionnelles liées aux pesticides. Tous les ans, la loi de financement de la sécurité sociale tient compte du phénomène global de sous-déclaration des maladies professionn elles en transférant plusieurs centaines de millions d'euros de la branche AT-MP vers la branche maladie. Cette somme s'élevait pour l'année dernière à 710 millions d'euros. C'est le montant évalué de la compensation de la sous-évaluation. Un rapport annuel est élaboré sur ce sujet par la Commission d'évaluation de la sous-déclaration des AT-MP, présidée par M. Noël Diricq, conseiller maître à la Cour des comptes.

Lors de son audition par la mission le 17 juillet 2012, la ministre de la santé Mme Marisol Touraine, a fait référence au dernier rapport, paru en juillet 2011, pour expliquer la sous-déclaration des maladies liées aux pesticides. Le rapport Diricq met en avant plusieurs causes.

Une des premières causes de sous-déclaration est l'ignorance de la victime quant à la dangerosité des substances, d'une part, et quant à la procédure de reconnaissance de maladie professionnelle, d'autre part. Il existe un véritable défaut d'information sur les droits et les procédures relatifs aux accidents du travail et aux maladies professionnelles. Le rapport relève ainsi que, dans l'expérience de repérage des cancers de la vessie d'origine professionnelle mise en place par la CNAMTS, 48 % des personnes atteintes d'un cancer professionnel probable n'avaient pas fait de déclaration de maladie professionnelle, par ignorance de leurs droits. Cet état de fait semble plaider en faveur d'un renforcement de l'information et de l'aide fournie aux personnes pour la déclaration des maladies.

La complexité de la démarche de déclaration des maladies professionnelles est une deuxième cause de sous-déclaration. Le système des tableaux est un système administratif trop rigide. Lorsqu'un individu ne rentre pas parfaitement dans les cases prévues, son cas ne peut pas être résolu. Or chacun réagit à sa manière, en particulier en matière d'exposition à des produits chimiques. Par ailleurs, le fait que la charge de la preuve repose sur le malade transforme souvent le processus de reconnaissance de maladie professionnelle en parcours du combattant pour le malade .

Lors de son déplacement en Charente, les 3 et 4 avril 2012, la mission d'information a pu rencontrer les membres de l'association Phytovictimes , qui lui ont exposé les difficultés de leur parcours de reconnaissance. Ainsi, Mme Caroline Chénet a témoigné de la lourdeur de la procédure subie pour prouver un lien de causalité entre l'exposition de son mari, Yannick Chénet, à des pesticides et sa maladie, finalement reconnue en 2006 par la MSA. Elle a dû elle-même partir à la recherche d'anciens bidons de produits phytosanitaires, faire procéder à des analyses scientifiques, tout en devant continuer de gérer l'exploitation agricole et soutenir son époux malade. M. Jacky Ferrand, père de Frédéric Ferrand, viticulteur décédé en décembre 2011 des suites d'un cancer de la vessie, a lui aussi témoigné de la difficulté de ce parcours de reconnaissance, alors même que son fils est décédé d'un cancer de la vessie, parfois appelé « cancer du vigneron » , dont le lien avec l'exposition aux pesticides est pourtant communément admis.

Le phénomène de sous-déclaration des maladies professionnelles peut également être lié à des disparités de pratiques entre caisses locales , induisant des taux de reconnaissance disparates et une sous-reconnaissance dans certaines régions. Il apparaît nécessaire que la caisse centrale de la MSA accentue son travail d'harmonisation des taux de reconnaissance et des taux d'incapacité permanente (IP) attribués par ses caisses .

Le manque de formation et d'information des médecins-conseils dans le domaine des maladies professionnelles est un autre frein à leur déclaration et à leur reconnaissance. Ce n'est pas une priorité des cursus médicaux à l'heure actuelle, ce qui conduit à une méconnaissance de ces pathologies. Dès lors, les médecins ne sont pas à même de conseiller au mieux leurs patients, et de les assister, le cas échéant, dans une procédure de déclaration de maladie professionnelle.

Il serait possible d'ajouter à ces causes une autre explication propre au monde agricole. Devant la mission d'information, plusieurs des intervenants ont regretté la persistance d' un tabou relatif aux dangers des pesticides . Les produits phytosanitaires ont permis une formidable modernisation de l'agriculture française, et l'accès à une productivité record. Ils ont constitué le fondement de l'enseignement agricole et des pratiques professionnelles durant des décennies. Tout cela semble ébranlé aujourd'hui par les enseignements et les découvertes de la science sur les effets sanitaires des produits phytopharmaceutiques.

La question des maladies liées au pesticide reste donc en partie taboue, car elle remet en cause des pratiques professionnelles enseignées depuis cinquante ans. Les agriculteurs ont le sentiment d'être accusés d'empoisonner la population , alors même que c'est là le contraire de leur vocation. Toutefois, la parole semble commencer à se libérer , du fait notamment de l'action de pionniers, comme les agriculteurs de l'association Phyto-victimes. Pour autant, cela explique certainement en partie la sous-déclaration des maladies professionnelles en lien avec les pesticides dans le monde agricole.

Enfin, la lenteur de l'actualisation des tableaux des maladies professionnelles contribue au faible nombre de déclarations. Les tableaux ne prennent pas suffisamment en compte - ou pas suffisamment rapidement - les avancées scientifiques , ce qui aboutit à une non-indemnisation des personnes alors même que la pathologie dont elles souffrent peut trouver son origine dans leur travail. Ce problème de manque d'actualisation des tableaux semble être en voie de résolution progressive, comme en atteste l'ajout récent du tableau relatif à la maladie de Parkinson.

c) Une évolution lente : la reconnaissance de nouvelles maladies professionnelles
(1) L'évolution des tableaux : le rôle de la COSMAP

Le décret du 17 juin 1955, pris en application du code rural, crée, suivant les principes du régime général, des tableaux de maladies professionnelles. Ces tableaux peuvent également être modifiés et complétés par décret, après avis de la commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (COSMAP).

Aux termes de l'article D. 751-20 du code rural et de la pêche maritime, la COSMAP est composée de :

- un conseiller d'État, honoraire ou en activité, président ;

- cinq représentants des départements ministériels concernés : trois du ministère de l'agriculture, un du ministère du travail, un du ministère de la santé ;

- quatre médecins représentants des organismes nationaux d'expertise : Académie nationale de médecine, Institut national de médecine agricole, médecin national de santé au travail, médecin-conseil national ;

- deux médecins désignés par le ministre chargé de l'agriculture en raison de leur compétence particulière dans le domaine des maladies professionnelles ;

- deux représentants des associations de victimes de risques professionnels et un représentant d'une chambre consulaire ;

- six représentants des organisations syndicales d'employeurs les plus représentatives au plan national au sens du code du travail, ou d'organisations syndicales d'exploitants habilitées à siéger au sein de certains organismes ou commissions ;

- six représentants des salariés agricoles, désignés sur proposition des organisations syndicales représentatives ;

- trois représentants de la Caisse centrale de la MSA ;

- trois représentants du groupement des organismes assureurs autres que les caisses de MSA.

Les médecins jouent un rôle central dans l'évolution des tableaux. L'article L. 461-6 du code de la sécurité sociale impose à tout médecin qui en a connaissance de déclarer tout symptôme d'imprégnation toxique et toute maladie ayant un caractère professionnel et figurant sur une liste (celle du décret n° 73-1012 du 8 octobre 1973 pour le régime agricole), ou ne figurant pas sur cette liste mais présentant à son avis un caractère professionnel. Les déclarations sont adressées au ministère chargé du travail ou au ministère chargé de l'agriculture par l'intermédiaire du médecin-inspecteur du travail.

Ces remontées permettent de mieux connaître les risques de pathologies professionnelles et de rechercher, si nécessaire, une modification de la réglementation. Cela permet aussi de réaliser des actions de prévention des risques professionnels. L'enjeu est donc capital.

Au-delà des simples remontées d'informations en provenance des médecins, la question qui se pose plus largement est celle de l'organisation de la toxicovigilance en France . De nombreux réseaux de surveillance sanitaire existent, que ce soit par le biais de la médecine du travail, les consultations spécialisées des CHU (le RNV3P, Réseau National de Vigilance et de Prévention des Pathologies Professionnelles), les sources universitaires, les centres antipoison, ou encore les partenaires sociaux. Un progrès important dans la toxicovigilance consisterait à assembler ces sources, ces données éparses, et à centraliser leur exploitation .

(2) Une évolution récente avec la reconnaissance de la maladie de Parkinson

Les tableaux de maladie professionnelle ont connu une évolution récente et significative, avec l'ajout d'un nouveau tableau concernant la maladie de Parkinson. Comme il a été exposé précédemment, il existe aujourd'hui un corpus d'études scientifiques mettant en évidence le lien entre une exposition prolongée aux pesticides et le développement, avec plusieurs années de latence, de maladies neurodégénératives telles que celle de Parkinson.

La commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (COSMAP), lors de sa réunion du 1 er juin 2011, s'est donc prononcée favorablement pour la création d'un nouveau tableau permettant de faire reconnaître l'origine professionnelle de la maladie de Parkinson . Cet ajout a été voté à la quasi unanimité - 19 contre 4 - à l'exception notable des voix de la FNSEA et de Coop de France.

Le décret ajoutant la maladie de Parkinson aux tableaux de maladies professionnelles est paru en mai 2012 32 ( * ) . Il crée un tableau n° 58 intitulé « maladie de Parkinson provoquée par les pesticides » . La maladie doit être confirmée par un médecin spécialiste qualifié en neurologie. Le travailleur doit avoir été exposé pendant au moins dix ans à des pesticides pour pouvoir prétendre à une reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie. Le choix a été fait de ne pas insérer une liste limitative des substances auxquelles il faut avoir été exposé. Il suffit que le malade ait réalisé des travaux l'exposant de manière habituelle aux pesticides , que ce soit lors de la manipulation ou l'emploi de ces produits, par contact ou inhalation, ou que ce soit par contact avec les cultures ou animaux traités, ou lors de l'entretien des pulvérisateurs.

La MSA s'est engagée à recontacter les personnes ayant déposé une demande de reconnaissance concernant leur maladie de Parkinson depuis 2005 et n'ayant pas eu gain de cause, afin qu'ils puissent soumettre à nouveau une demande dans le cadre du nouveau tableau.

D'ores et déjà, la COSMAP a lancé un nouveau groupe de travail, portant, cette fois, sur les hémopathies .

Il y a aujourd'hui une prise de conscience de la nécessité de faire évoluer les tableaux afin de mieux les faire correspondre aux découvertes de la science et aux réalités du terrain. Les évolutions sont en cours, même si on peut déplorer, cependant, la lenteur de ces progrès.

(3) Difficultés et limites du système de responsabilité applicable aux maladies professionnelles

Pour toutes les difficultés déjà exposées, le système des maladies professionnelles est loin d'être satisfaisant à l'heure actuelle. Tous les acteurs s'accordent aujourd'hui pour reconnaître sa complexité et sa rigidité .

Il est bien souvent impossible de recenser les nuisances auxquelles ont été soumises certaines catégories de travailleurs (intérimaires, saisonniers, salariés ayant exercé dans plusieurs entreprises successives, etc.).

Et même si le lien de causalité entre l'exposition à un risque répertorié dans un tableau et le caractère professionnel de la maladie subie est présumé, il reste nécessaire de rapporter la preuve de l'exposition au pesticide en cause. Or, on manque aujourd'hui de moyens pour opérer une traçabilité fiable des expositions .

Par ailleurs, il devient de plus en plus difficile de démontrer et d'évaluer la part qui revient à telle ou telle nuisance dans la survenue d'une maladie, professionnelle ou non. De nombreuses maladies pour lesquelles le rôle des pesticides est incriminé sont des maladies environnementales et multifactorielles. Dans ces conditions, il est extrêmement compliqué d'évaluer la part de la responsabilité des pesticides.

En outre, certaines critiques soulignent que ce serait la situation financière de la MSA plutôt que des données médicales qui la conduirait à n'accepter que peu de demandes de reconnaissance de maladies professionnelles , et que cette situation risque d'empirer compte tenu de la baisse prévisible du nombre de cotisants au régime agricole.

Il convient également de garder à l'esprit que ce système de réparation ne concerne que les travailleurs. Quid des maladies éventuellement développées par les familles des utilisateurs et applicateurs de pesticides ? Quid des riverains et des jardiniers du dimanche, exposés eux aussi à des produits phytosanitaires ?

A chaque étape du processus, le malade ne rencontre que de nouvelles difficultés à surmonter , que ce soit sur le nombre de tableaux, les critères stricts pour obtenir une reconnaissance, la difficulté d'apporter la preuve de l'exposition, le manque de formation des médecins traitants, etc. Ce système ne répond qu'imparfaitement à un besoin de protection des travailleurs face aux risques de leur métier. Il apparaît urgent de le faire évoluer, et de réfléchir, en parallèle, à d'autres mécanismes de responsabilité.

Recommandations de la mission d'information

Connaissance des risques sanitaires liés aux pesticides

S.1 Recherche en santé :

- développer la recherche en épidémiologie, en toxicologie , ergotoxicologie ou expotoxicologie, biologie, génétique etc. ; recherche à mener de manière pluridisciplinaire notamment sur les liens de causalité entre exposition aux pesticides et maladies, sur les effets cocktails, les perturbateurs endocriniens , les effets à faible dose , les effets transgénérationnels , les effets liés à la fenêtre d'exposition , etc.

- accentuer la recherche sur les stades précoces du développement (période prénatale...).

S.2 Contrôle des nouvelles substances et produits :

Le renforcer et introduire le critère de perturbateur endocrinien (PE) en plus des CMR, sans attendre 2014.

S.3 Prévention primaire :

La pratiquer en procédant au retrait pur et simple du marché les substances chimiques à risque .

S.4 Classement d'un produit comme cancérogène :

En application du principe de précaution, procéder à ce classement dès la reconnaissance de ce produit comme cancérogène et mutagène chez l'animal sans attendre les résultats d'études épidémiologiques chez l'homme.

S.5 Perturbateurs endocriniens :

En application du principe de précaution, procéder au retrait et à la substitution des produits pour lesquels le consensus scientifique indique qu'ils sont des perturbateurs endocriniens.

S.6 Produits biocides utilisés pour les enfants :

Éliminer tous les produits anti-poux contenant du lindane et tous les produits contenant des substances dont l'usage est proscrit pour les animaux .

S.7 Suivi post AMM et veille sanitaire des produits sur le marché :

- charger toutes les agences de surveillance et d'analyse de la qualité de l'air de la mesure régulière de la présence de pesticides dans l'air ;

- renforcer les obligations de remontée et d'harmonisation des informations sanitaires de terrain par les réseaux existants (recensement agricole décennal, Phyt'attitude, centres antipoison CAP, InVS, Office national de la chasse et de la faune sauvage, agences de l'eau, d'analyse de la qualité de l'air, Observatoire des résidus des pesticides, Écophyto, Certiphyto, informations douanières et judiciaires) ;

- centraliser les informations collectées (à l'InVS, par exemple, mais avec communication de ces données traitées à l'ANSES) en un lieu où les alertes puissent être données et les décisions prises (InVS et/ou ANSES) ;

- réaliser des études indépendantes de suivi des produits financées par les industriels au moyen d'un fonds non géré par eux ;

- effectuer des investigations dans les sociétés pétitionnaires et dans les laboratoires pour vérifier que tous les moyens ont été mis en oeuvre et les résultats publiés ;

- instituer l'obligation pour les pétitionnaires, les distributeurs de pesticides, les conseillers et les formateurs de signaler tout incident ou accident survenu - y compris, pour les pétitionnaires, ceux survenus à l'étranger ; sanctionner tout manquement à cette obligation.

S.8 Registre national des cancers :

Généraliser les registres dans tous les départements et en centraliser les données (incluant les professions des personnes recensées).

S.9 Épidémiologie :

Toujours étendre les études de santé aux :

- personnes qui ne sont plus en activité,

- travailleurs saisonniers agricoles,

- intérimaires dans l'industrie .

S.10 Ergotoxicologie :

- mener des études sur les travailleurs saisonniers agricoles et sur les intérimaires dans l'industrie ;

- étudier l'ensemble constitué par les combinaisons professionnelles de protection, la transpiration et la modification de la capacité respiratoire.

S.11 Information et prévention :

Accentuer les actions consacrées aux risques , aux bonnes pratiques d'utilisation des pesticides, à la compréhension des étiquettes , etc.

S.12 Axes prioritaires de prévention :

Les femmes enceintes et les jeunes enfants .

S.13 Formation des professionnels de la santé :

Enseigner les spécificités des maladies liées aux pesticides

Reconnaissance des maladies professionnelles

S.14 Prévention :

Faire de tous les organismes de protection sociale agricole de véritables acteurs de la prévention (AMEXA, MSA...) .

S.15 Aide à la détection et à la déclaration de maladies potentiellement professionnelles :

Favoriser la reconstitution des expositions aux pesticides au cours des parcours professionnels de patients, par exemple, en étendant les consultations de pathologies professionnelles dans les C.H.U. ou en développant des actions à travers des initiatives de l'AMEXA ou de la MSA.

S.16 Classement d'une maladie en maladie professionnelle :

En réduire les délais en procédant à ce classement dès la réunion de fortes présomptions sans attendre la preuve d'un lien de causalité avéré.

Des alertes de terrain pourraient entraîner la saisine de la COSMAP à laquelle un délai serait imparti pour se prononcer.

S.17 Création d'un nouveau tableau :

Les conséquences sanitaires de la multi exposition aux cancérogènes pourrait justifier une nouvelle création de tableau.

S.18 Système de réparation des victimes de maladies professionnelles :

Le réformer pour faciliter les démarches de reconnaissance de maladies professionnelles (accélérer la prise en compte des avancées scientifiques par les tableaux, coordonner les évolutions des tableaux du régime général et celles des tableaux du régime agricole, réduire le poids et les délais des procédures, etc.).

S.19 Taux de reconnaissance et taux d'incapacité permanente :

La MSA devrait intervenir pour harmoniser les taux reconnus par ses caisses régionales.

Prévention des risques d'exposition professionnelle pour les salariés des fabricants de pesticides

S.20 Formation spécifique aux règles de sécurité et de prévention dans les établissements classés Seveso :

La rendre obligatoire, y compris pour les salariés intérimaires et les intervenants extérieurs pouvant attenter à la sécurité dans l'établissement.

S.21 Valeurs limites d'exposition professionnelle (VLEP) :

Inciter les fabricants de pesticides à rechercher en permanence à réduire les risques d'exposition des salariés aux matières toxiques présentes dans les ateliers en considérant ces valeurs limites comme des objectifs minimaux et non pas simplement comme des valeurs maximales à ne pas dépasser.

S.22 Surveillance médicale renforcée :

Réintroduire dans le code du travail une disposition légale prévoyant le retour à un examen médical d'une périodicité minimale annuelle .

S.23 Registre des expositions :

Pour tout établissement classé Seveso, rendre obligatoire la tenue d'un registre répertoriant, pour chaque salarié, les matières dangereuses auxquelles il a été exposé au cours de son activité.

S.24 Actions de prévention des risques professionnels :

Inciter à leur mise en place par les directions de sites classés Seveso en y associant davantage le CHSCT et le médecin du travail .

S.25 Emploi des femmes en âge de procréer :

L'interdire sur les postes de travail exposés aux pesticides - les effets des perturbateurs endocriniens étant particulièrement sensibles au cours des premières semaines de la grossesse.

S.26 Médecine du travail :

Multiplier les visites sur place pour améliorer la sécurité sur les postes de travail.

Prévention des risques d'exposition professionnelle pour les agriculteurs et leurs salariés

S.27 Formulation des produits pesticides :

De préférence sous forme liquide au lieu de poudres pour éviter les poussières.

S.28 Registre des expositions :

Pour tout exploitation agricole, rendre obligatoire la tenue d'un registre répertoriant, pour l'exploitant et chacun de ses salarié, les pesticides auxquels ils ont été exposés au cours de leur activité.

S.29 Médecine de prévention et du travail :

Multiplier les visites sur place pour améliorer la sécurité sur les postes de travail.


* 19 Les CLIC doivent être progressivement remplacés par les Commissions de suivi de sites (CSS) suite à la parution du décret du 7 février 2012.

* 20 Extrait des réponses écrites adressées à la mission à l'occasion de l'audition de M. Franck Garnier, président, et de M. Jean Charles Bocquet, directeur général de l'UIPP, le 6 mars 2012.

* 21 Commission des relations industrielles de l'UIPP, « Enquête sur les accidents du travail et les maladies professionnelles des salariés des sites de production des produits phytopharmaceutiques », communiquée en juillet 2012.

* 22 Arysta LifeScience, BASF Agri, Bayer Cropscience, Cerexagri, De Sangosse, Dow Agroscience, Dupont Solutions, Nufarm, Phyteurop, Syngenta Agro.

* 23 Dont quatre sites de synthèse et douze sites de formulation.

* 24 Voir la page du site de l'INRS consacrée aux valeurs limites d'exposition professionnelles mise en ligne le 2 juillet 2012 : http://www.inrs.fr/accueil/risques/chimiques/controle-exposition/valeurs-limites.html

* 25 Loi n° 2011-167 du 20 juillet 2011 relative à l'organisation de la médecine du travail.

* 26 Article L. 4412-1 du code du travail, créé par loi n° 2008-67 du 21 janvier 2008 : « Les règles de prévention des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs exposés à des risques chimiques sont déterminées par décret en Conseil d'Etat... »

* 27 Déplacement à Pont-du-Casse le 23 mai 2012.

* 28 Depuis le 1er juillet 2012, l'organisation, le statut et le rôle de la médecine du travail sont définis par les dispositions de la loi n° 2011-167 du 20 juillet 2011 relative à l'organisation de la médecine du travail et de ses décrets d'application en date du 30 janvier 2012.

* 29 Modifié par le décret n° 2012-135 du 30 janvier 2012.

* 30 Déplacement de la mission à Pont-du-Casse, le 23 mai 2012.

* 31 Décret n° 55-806 du 17 juin 1955 portant règlement d'administration publique pour l'application de l'article 1146 du code rural

* 32 Décret n° 2012-665 du 4 mai 2012 révisant et complétant les tableaux des maladies professionnelles en agriculture annexés au livre VII du code rural et de la pêche maritime

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