21. Philippe Viaux, agronome

Mercredi 14 novembre 2012


• De quels progrès l'agriculture française vous semble-t-elle capable au cours des deux prochaines décennies ?

L'essentiel du problème tourne autour de la durabilité, en développant une agriculture productive plus respectueuse de l'environnement.

J'ai travaillé sur la durabilité des exploitations agricoles avec la mise au point d'un outil d'évaluation de la durabilité. Ces travaux mettent en évidence que les systèmes d'agriculture biologique sont durables uniquement dans la dimension agro-écologique (avec quelques restrictions néanmoins) mais ont des grandes faiblesses dans la dimension sociale et économique de la durabilité. La raison principale de cette faiblesse tient au fait que les coûts de production en agriculture biologique sont beaucoup plus élevés qu'en conventionnel (rendements plus faibles, besoins en main d'oeuvre plus élevés). En conséquence les résultats économiques de ces exploitations sont plutôt plus faibles qu'en conventionnel et les prix de vente des produits agricoles issus de l'agriculture biologique nécessairement plus élevés (problème social pour l'ensemble de la population).

Exemple : le coût du blé issu de l'agriculture biologique est doublé ; pour le lait, c'est une augmentation de 15 à 20 % ; pour la vigne, l'incidence est moindre car le rendement est limité par les AOC.

Je pense depuis longtemps que les systèmes intégrés sont la voie de progrès pour l'agriculture française. Dans ces systèmes, malgré une réduction importante des intrants (les indices de fréquence de traitement (IFT) peuvent être réduits de 50 %), les coûts de productions sont équivalents à ceux des systèmes conventionnels.

[ Gérard Bailly - L'INRA travaille-t-elle suffisamment sur le sujet ?]

Il y a eu peu de travaux avant les années 1995 en grandes cultures (mais il y avait des travaux depuis longtemps en arboriculture à l'INRA d'Avignon) ; l'INRA n'a développé de recherches sur le site de Versailles qu'à compter de 1997 et il faut 15 ans pour le rendu des premiers résultats.

En revanche, un des freins majeur à l'adoption de tels systèmes est le lien qui existe entre la prescription et la vente d'intrants au sein des coopératives. Il est indispensable de développer conseil et formation des agriculteurs, indépendants et de bon niveau. Le système intégré est plus exigeant en connaissances que les systèmes conventionnels, car il faut « le bon produit au bon moment ».

[ Gérard Bailly - Les lycées agricoles ont fait beaucoup de progrès dans les dernières décennies]

En effet, des progrès ont été réalisés, mais de façon inégale selon les lycées.

[ Rénée Nicoux - Il ne faut pas négliger le poids de la tradition familiale dans l'apprentissage]


• Dans quelle mesure l'agriculture de précision permettrait-elle de répondre aux enjeux agronomiques, économiques et environnementaux de l'agriculture actuelle ?

L'agriculture de précision est un peu un rêve dont l'intérêt serait de faire des économies d'intrants. Elle consiste à mettre en évidence la variabilité intra-parcellaire (dans un même champ de blé, il peut y avoir 20 % d'écart). On pourrait donc adapter les doses en fonction de cette variabilité. La difficulté est de mesurer cette variabilité et de l'expliquer : il faut avoir des outils dont on ne dispose pas (pour semer de façon plus ou moins dense, en dosant mieux les produits phytosanitaires).

Parmi ces technologies, on trouve des capteurs (permettant par exemple de mesurer les rendements intra-parcellaires en continu) mais surtout le GPS, moyen de se positionner très précisément dans une parcelle.

Des essais ont été faits aux Etats-Unis, sans grand intérêt économique. En France, il y a eu de nombreuses tentatives en particulier dans le Cher mais aucune n'a été poursuivie.


• Quel potentiel représentent, selon vous, différents systèmes de production tels que la production intégrée, l'agriculture biologique, les techniques alternatives au labour, etc.

L'avenir, c'est l'agriculture intégrée, intermédiaire entre le système conventionnel et le système biologique. Le système intégré est une troisième voie en grande culture qui envisage de réduire de 50 % les produits phytosanitaires et de 20 à 30 % les engrais. C'est surtout une modification des systèmes, un état d'esprit différent.

Cela va plus loin que l'agriculture raisonnée qui ne prévoit qu'une réduction de 10 % des intrants. On est plus près de l'agriculture biologique, mais sans s'interdire les « phytos ».

Concernant les techniques de labour, le labour superficiel permet une meilleure protection des sols. Certes, cette technique pose des problèmes de désherbage, en particulier des vivaces, qui impose l'utilisation d'herbicides. Mais traiter une année sur quatre avec du Round Up est suffisant. En outre, ces systèmes sont moins gourmands en énergie.

[ Gérard Bailly - Beaucoup sont revenus du non labour...]

[ Rénée Nicoux - Il y a probablement un problème de formation... Il semble que le maintien d'une couverture végétale vivante soit parallèlement nécessaire.]

Je suis plus réservé sur la technique de la couverture végétale vivante qui pose en France le problème de consommation l'eau par les couverts ce qui pénalise la culture principale. Il convient aussi d'éviter le dogmatisme de certains qui prônent le non-labour et ont sans doute des liens avec Monsanto (fournisseur du round up).


• Quelles sont les conséquences possibles d'un renchérissement de l'énergie ? de l'eau ? du foncier ? des produits de base ?


• Energie :

Le prix des engrais azotés a été multiplié par 2 en 10 ans, en corrélation avec l'augmentation du prix du pétrole (1,5 t d'équivalent pétrole pour obtenir une tonne d'azote). L'azote représente au moins la moitié du coût énergétique de production des grandes cultures. L'augmentation de son prix devrait donc favoriser les légumineuses et une meilleure valorisation des engrais de ferme ; à plus long terme, il devrait favoriser les systèmes de polyculture élevage.

Il faut se poser la question de la répartition des élevages en France : le rétablissement de l'élevage en ile de France permettrait des économies énormes. La concentration des élevages dans certaines régions n'a pas de raison agronomique, c'est un problème social (par exemple, en Bretagne où l'élevage a compensé l'absence d'industries). Il est indispensable de restaurer des systèmes mixtes qui éviteraient les gaspillages constatés au niveau de la « ferme France » : trop de phosphore en Bretagne et pas assez dans le Bassin parisien où il faut soit importer des engrais phosphatés soit transporter les engrais de ferme.

[ Renée Nicoux : Y-a-t-il des lobbies de producteurs d'engrais azotés ?]

Il y a beaucoup de lobbies qui peuvent freiner le développement de la mixité qui améliorerait l'efficacité de la ferme France. Ce n'est pas seulement les lobbies des engrais il y a aussi des freins dans d'autres domaines, abattoirs, éleveurs... mais il faut changer les états d'esprit en affirmant que « la mixité » est un progrès.

[ Renée Nicoux - Dans les régions, on commence à inciter à la diversification des installations, ce qui renforce l'idée de l'importance de la formation et de l'apprentissage de l'adaptation.]

En effet, mais certaines chambres d'agriculture sont réticentes à cette idée de diversification.

Se pose aussi un problème d'investissement pour l'élevage pour les exploitations qui se sont spécialisées en grandes cultures et pour qui il est difficile de faire marche arrière.

Enfin, l'augmentation du coût de l'énergie favorise les techniques sans labour et d'autre part renchérit les coûts de transports, ce qui incite à pratiquer une alimentation locale (des animaux et des hommes).


• Eau :

Le coût de l'eau est actuellement dérisoire pour les agriculteurs : l'irrigation coute cher car elle résulte des coûts d'investissement et de fonctionnement (énergie).

L'augmentation du prix de l'eau entrainerait moins d'irrigation pour les cultures exigeantes en eau comme le maïs (qu'on peut remplacer par du sorgho à condition que la recherche génétique progresse sur cette culture) ; le soja devrait être remplacé par le lupin (si la recherche accepte de travailler sur l'amélioration génétique de cette culture, ce qui n'est pas l'intérêt des grandes firmes semencières).


• Foncier :

Le prix du foncier est faible en France par rapport aux autres pays européens (UK, GE, NL, I). C'est un avantage qu'il faut garder (lié essentiellement au statut du fermage) car c'est ce qui permet d'avoir des coûts de production plus faibles ou équivalents à l'Allemagne.

L'augmentation du prix du foncier conduit à l'intensification car il faut amortir cette charge fixe avec des rendements supérieurs.


• Produits de bases :

- engrais : le prix des engrais a déjà fortement augmenté au cours des 5 dernières années (azote, phosphore, potasse). La réaction possible pour les agriculteurs pourrait être une diminution des doses d'engrais minéraux. C'est un domaine où les lobbies jouent à plein. Le défaut de cartographie des sols en France empêche de définir les zones qui ont ou non besoin de potasse. L'augmentation du prix du phosphore pourrait conduire, comme pour l'azote, à une meilleure valorisation des engrais de ferme en épandant ces engrais en zone de grandes cultures ;

- produits phytosanitaires : la réduction des IFT est possible et réaliste (la « 3 ème voie ») avec une légère baisse des rendements sinon leur stagnation (avec une volonté politique forte). A noter que s'il faut réduire le nombre de traitement « phytos », il ne faut pas réduire le nombre de molécules disponibles, sinon on crée des résistances ;

- semences : le recours aux semences de ferme doit être conservé à condition que la législation le permette ;

- alimentation du bétail : l'augmentation du prix des céréales conduit à l'augmentation des coûts de production des monogastriques (poulets, porcs), donc à l'augmentation du prix de ces viandes blanches pour le consommateur. Cela aboutira, à long terme, à un rapprochement des prix à la consommation entre viande blanche et viande rouge.


• Quelles seraient les conséquences agronomiques d'une accélération du réchauffement climatiques ?

On devrait parler plutôt de changement climatique (changement du régime des pluies, pic de chaleur ou de froid...).

Certains effets sont visibles sur les 30 dernières années, mais l'extrapolation aux 50 prochaines années n'est pas évidente :

• Effet sur les rendements des cultures :

o plafonnement des rendements du blé et d'une manière générale des céréales d'hiver (et peut-être du colza) ;

o favorise les rendements de la betterave (semis plus précoce possible) ;

o favorise les rendements du maïs ;

o mais pour ces deux cultures, se pose le problème de la disponibilité en eau.

• Effet sur les bio agresseurs

o un effet est déjà constaté sur les insectes (remontée de certaines espèces vers le nord de la France, avec augmentation du nombre de cycle des parasites qui entraine une augmentation du nombre de traitements) ;

o hivers doux qui entrainent le développement des adventices dans les cultures d'hiver et donc une augmentation du nombre de traitements.

[ Gérard Bailly - Quelle est votre vision de citoyen sur l'avenir des campagnes ?]

Il faudrait promouvoir une agriculture au moins duale, sur l'ensemble du territoire, une agriculture de proximité et une agriculture destinée aux exportations.

Cette diversification des productions, permettrait en outre de préserver le revenu des agriculteurs et de maintenir du tissu rural.

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