III. NOTRE APPROCHE DOIT ÊTRE GLOBALE ET RÉGIONALE ET VISER À UNE STABILISATION DE LONG TERME

A. UNE APPROCHE GLOBALE ET EUROPÉENNE EST INDISPENSABLE

1. Notre réponse doit inclure sécurité, gouvernance et développement
a) Le difficile impératif d'une « approche globale »

Nous l'avons déjà dit, il n'y a pas de sécurité sans développement, ni de développement sans sécurité.

Pour transformer un succès militaire en succès politique, une approche globale s'impose pour la reconstruction ou la stabilisation d'une région menacée.

Il ne suffit pas de gagner la guerre : il faut aussi gagner la paix.

Il n'est pas douteux non plus que prévenir un conflit « coûte » moins cher, à tous égards, que d'intervenir militairement pour tenter de le résoudre.

Les coûts financiers des opérations de stabilisation, de maintien de la paix ou de reconstruction post-conflits sont extrêmement élevés, pour des résultats qui restent fragiles. En 2013, le budget de la quinzaine d'opérations de maintien de la paix de l'ONU, qui mobilisent près de 100 000 personnels en uniforme, est de 7,3 milliards de dollars, dont la France assume, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, plus que sa quote-part dans le financement de l'Organisation (précisément 7,5 %), soit 400 millions d'euros en 2013 , ce qui représente près du tiers du budget du Quai d'Orsay (programme 105).

Il nous faut collectivement arbitrer pour un choix d'allocations de ressources intellectuelles, humaines et financières qui favorise plus la prévention et non pas la gestion militaire des crises ou la reconstruction, processus complexes et coûteux.

Le développement économique, la construction de l'État, d'une administration, d'un système judiciaire, de forces de sécurité intérieure, sont les plus sûrs moyens de prévenir la survenue de nouvelles crises. Cela implique la mise en oeuvre d'un ensemble d'actions complémentaires et cohérentes dans tous les domaines : sécurité, développement, gouvernance.

Or, la coordination entre l'action des militaires, celle des diplomates et des coopérants est loin d'être une marque de fabrique française, là où d'autres cultures, (les Britanniques sont souvent cités), savent impulser des démarches plus transversales.

C'est ce déficit « d'approche globale » qui est bien souvent la pierre d'achoppement de notre action. Car bien souvent, si nous peinons à « transformer l'essai » du succès militaire en succès politique et économique, c'est faute d'une mobilisation coordonnée des différents acteurs et opérateurs civils. Le coût d'opportunité s'étend d'ailleurs aussi parfois à nos entreprises, qui peinent ensuite à se positionner sur les marchés de la reconstruction.

Mettre en oeuvre une « approche globale » implique en amont qu'on puisse mieux prévenir les crises, par des actions de coopération structurelle militaire et de coopération civile, qu'on puisse mieux en détecter les signaux avant-coureurs et qu'on sache aussi, dès les débuts de l'intervention militaire quand celle-ci s'avère inévitable, déployer, en coordination avec l'action militaire, des capacités civiles pour créer les conditions d'une stabilisation durable.

Chacun connaît la fragmentation organique et décisionnelle des différentes administrations et opérateurs : le dispositif français ne se caractérise pas toujours par un partage clair des responsabilités non plus que par une grande cohérence d'action.

Le Livre blanc de 2008 avait déjà mis en avant cette nécessité d'une approche globale, qui avait conduit à l'adoption, en 2009, d'une stratégie interministérielle de gestion civilo-militaire de gestion des crises extérieures . Si le concept d'approche globale semble désormais bien identifié, il peine toutefois à se traduire dans les faits et à s'organiser au plan opérationnel.

En effet, le Livre blanc pour 2013 dresse le même constat que celui de 2008 : « L'expérience des crises récentes a montré que nos capacités civiles, dans les actions de prévention comme dans la reconstruction après un conflit, sont encore insuffisantes, faute, notamment, qu'aient pu être créées les conditions permettant la mobilisation efficace et coordonnée des ministères compétents. Il convient par conséquent de relancer la stratégie interministérielle . (...) La coopération de défense et de sécurité, l'assistance opérationnelle à des armées étrangères, ainsi que notre dispositif prépositionné, constituent autant d'outils qui doivent contribuer à la cohérence de notre politique en matière de prévention. ».

Le Livre blanc prévoit les modalités de la relance de cette stratégie interministérielle de crise, via un comité de pilotage, un document cadre, mais aussi une doctrine opérationnelle, des procédures interministérielles et un partage « clair » des compétences sur le terrain :

Les principes de « l'approche globale » définis par le Livre blanc de 2013

- Au niveau stratégique, les priorités géographiques, en particulier, en termes de veille, d'anticipation et de prévention, devront être clairement déterminées et validées au niveau politique. Le comité de pilotage de la gestion civilo-militaire des crises coordonnera le suivi et l'actualisation annuelle de ces priorités. Un document cadre explicitant notre stratégie interministérielle en matière de prévention et de gestion civilo-militaire des crises sera publié ;

- au niveau opérationnel, le dispositif retenu devra pouvoir s'appuyer sur une doctrine opérationnelle et des procédures interministérielles validées. Il devra mener une action de moyen et long terme, dans une logique tant de diplomatie d'influence que de diplomatie économique. Il devra également être en mesure de monter en puissance rapidement à l'approche d'une crise. Il s'appuiera dans ces situations sur l'installation, auprès du ministère des Affaires étrangères, de structures de réponse rapide composées de personnels mis à disposition représentant les différents départements ministériels compétents. Ces structures légères et réactives resteront en activité tout au long de la période critique ;

- cette approche globale interministérielle doit se traduire, sur le théâtre de la crise, par une délégation et un partage clair des responsabilités afin d'assurer la cohérence de l'action au contact des réalités du terrain.

Recommandation : Passer des intentions (Livres blancs de 2008 et 2013...) aux actes (procédures, comité interministériel...) en matière de mise en oeuvre d'une « approche globale » pour la gestion des crises.

b) Les généreuses promesses de la Conférence du 15 mai n'effacent pas les trois « péchés originels » dont souffre l'aide au développement
(1) Notre méthode est-elle la bonne ?

Présentée comme un succès permettant de « gagner la paix », la conférence des donateurs du 15 mai, qui a enregistré 3,2 milliards d'euros de promesses de dons pour le Mali, résulte pourtant d'une méthode qui souffre de trois défauts originaux.

(a) Où sont passés les milliards engloutis pour le développement du Sahel ?

Personne n'a évalué les causes de nos échecs précédents, car enfin l'aide internationale, conséquente avant la crise malienne, de l'ordre de 1,5 milliard d'euros par an, n'en a pas empêché la survenue.

D'après le plan pour la relance durable du Mali (PRED 2013-2014), la part de l'aide extérieure dans le budget de l'État malien était, en 2012, de 33%. L'aide extérieure représentait 13% du PNB malien.

Où sont passés les milliards déversés sur le Sahel ?

Cette évaluation préalable aurait été indispensable : force est de constater qu'elle n'a pas eu lieu. Comment, alors, garantir qu'il en aille différemment à l'avenir ?

L'échec patent de 50 ans de coopération aurait dû conduire l'ensemble des bailleurs de fonds à s'interroger sur l'efficacité des méthodes utilisées dans des pays aussi pauvres que ceux de la bande sahélienne 120 ( * ) .

Nos méthodes sont-elles adaptées à des pays aussi fragiles ?

Les moyens n'ont pas manqué. La question est plutôt celle de la méthodologie d'intervention dans des pays où l'Etat se révèle si peu présent ou structuré. Avons-nous bien choisi le point d'application de notre aide : avons-nous consacré assez d'efforts à la formation des élites et à la consolidation de la gouvernance, qui permettent seules une véritable appropriation des projets de développement par les Etats bénéficiaires de l'aide ?

En regardant concrètement la réalité de certains projets conduits au Mali, en discutant sur place avec les acteurs du développement, on a parfois l'impression non seulement d'une dispersion mais aussi d'un défaut d'arrimage aux réalités locales, qui peut être l'indice de ce déficit d'appropriation.

La question de l'évaluation de l'efficacité des crédits d'aide au développement, leitmotiv des rapporteurs « aide au développement » de votre commission, MM Christian Cambon et Jean-Claude Peyronnet, semble d'une particulière acuité dans le cas malien.

La problématique de la substitution des « partenaires techniques et financiers » aux structures internes doit être abordée avec réalisme. Il ne s'agit pas aujourd'hui de créer, comme cela a pu être le cas ailleurs, des administrations parallèles, qui peuvent, un temps, mais un temps seulement, conduire des actions de reconstruction qui seront naturellement vouées à l'échec dans le long terme si elles ne s'appuient pas sur des capacités proprement locales.

Recommandation : Évaluer les raisons d'un certain échec de 50 ans de coopération au développement au Sahel.

(b) Faut-il aider le Mali ou le Sahel ?

La Conférence de Bruxelles n'a concerné que le Mali. Mais c'est tout le Sahel qui aurait dû être concerné par un plan de développement à l'échelle régionale.

Comment ne pas voir qu'aider le Niger aujourd'hui, ou le Tchad, c'est véritablement préserver l'avenir ?

Comment expliquer que l'on conceptualise de vastes stratégies globales à l'échelle du Sahel, tant au niveau français qu'européen, pour ensuite s'empresser de ne recueillir des fonds que pour le seul Mali ?

Recommandation : Considérer le Sahel (et non le seul Mali) pour impulser le développement économique.

(c) Comment faire de l'aide un levier du changement ?

Ne nous voilons pas la face : on peut être surpris de constater parfois que l'ennemi semble plus être le touareg que le terroriste. L'aide peut être un levier. Il n'est d'ailleurs pas illégitime qu'il en aille ainsi, car, au fond, les avancées politiques sont la condition indispensable de l'efficacité, à terme, des fonds versés.

Plus précisément, vos rapporteurs considèrent que cette « conditionnalité » pourrait s'appliquer dans 4 domaines :

- Conditionner le versement de l'aide aux progrès politiques :

Comme cela a été affirmé à la Conférence de Bruxelles, le décaissement de l'aide pourra être subordonné au respect des engagements de la feuille de route de janvier dernier, à l'organisation des élections le 28 juillet prochain et à la poursuivre le processus de réconciliation.

Recommandation : Subordonner le versement de notre aide au développement non seulement à la reprise du processus électoral mais surtout aux progrès de la réconciliation inter-malienne.

- Accroître la transparence dans le versement effectif de l'aide :

L'expérience l'a montré, il est impératif de renforcer la transparence et de la traçabilité de l'aide.

À cet égard, le gouvernement français a décidé de lancer une « expérience pilote » dont la pertinence est laissée à l'appréciation de votre commission, et que le ministre Pascal CANFIN a récemment décrite en ces termes 121 ( * ) :

« Un site internet, accessible à tous, fera état de l'ensemble des projets financés par l'aide bilatérale française, avec indication de leur calendrier prévisible de réalisation. Toute ONG malienne pourra ainsi savoir que tel centre de santé financé par la France doit ouvrir à telle date dans tel village, telle piste doit être transformée en route à telle date, tel village être équipé à telle date d'une station de pompage ou d'épuration... Et si aux dates prévues, rien n'a été fait, il sera possible de le signaler auprès d'une hot line. Avec dix millions de téléphones portables en service au Mali, il ne devrait pas être trop difficile aux intéressés d'envoyer un SMS sur cette hot line. Je crois en cette décentralisation du contrôle citoyen de l'aide internationale pour en renforcer la transparence, l'efficacité, mais aussi l'appropriation par la société civile malienne . »

Certains estiment nécessaire la création d'une Cour des comptes au Mali 122 ( * ) , comme le prévoit d'ailleurs l'union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) dont est partie le Mali.

Rappelons qu'un poste de Vérificateur général des comptes des ministères et des entreprises a été créé en 2001. Son dernier rapport (2011) mentionne 123 ( * ) des détournements à hauteur de 8 milliards de francs CFA (ceux dénoncés les années précédentes étant de 100 ou 120 milliards). Dans son rapport 2009, le Vérificateur regrettait par écrit les réticences de certaines administrations à fournir les documents demandés.

Il va de soi que le renforcement de la capacité à contrôler et vérifier les comptes publics devrait être un chantier prioritaire de l'amélioration de la gouvernance financière au Mali. La Cour des comptes française a d'ailleurs une activité soutenue de coopération internationale au sein des différents réseaux d'institutions supérieures de contrôle, et exerce plusieurs mandats de commissariat aux comptes d'organisations internationales. Son expertise pourrait être mobilisée en l'espèce.

Suggestion : Consolider, au titre du renforcement de la gouvernance financière, les moyens du Bureau du Vérificateur général .

Consolider les capacités techniques des partenaires maliens

La question de la capacité technique des partenaires maliens à absorber l'aide (au-delà des phénomènes de corruption et « d'évaporation », qui ont existé par le passé) se pose : dans cette optique, le gouvernement français fait le choix de faire transiter directement une partie de son aide vers les collectivités locales maliennes. Cet arbitrage résulte de la volonté, certes louable, d'accompagner la décentralisation : ainsi, dans le document de conclusions adopté à l'issue de la Conférence de Bruxelles, figure la notion « d'aide budgétaire sectorielle décentralisée » . Une partie (30%) des 3,2 milliards d'euros promis ira directement aux collectivités, pour les aider à rendre les services nécessaires à la population.

Vos rapporteurs ne peuvent qu'adhérer à l'argumentation 124 ( * ) développée par le ministre en charge du développement pour justifier ce choix : « Travailler avec les élus locaux présente aussi l'avantage de dépassionner le débat. Plus pragmatiques, plus proches du quotidien, les élus locaux sont moins obsédés par les grands affrontements traditionnels au Mali. »

Beaucoup de collectivités locales françaises pratiquent depuis longtemps la coopération décentralisée avec leurs homologues maliennes, comme l'a montré la Conférence sur le développement du Mali qui s'est tenue le 19 mars à Lyon pour promouvoir la coopération décentralisée.

Les capacités techniques des collectivités maliennes doivent être consolidées.

- Rééquilibrer le développement entre le Nord et le Sud

L'aide internationale devrait enfin permettre de remédier au problème de sous-développement du Nord du pays.

Est-il normal qu'il n'y ait pas un kilomètre de route goudronnée entre Gao et Kidal ? Est-il normal qu'on prenne encore l'eau dans des puits à Kidal ? Est-il normal qu'il n'y ait encore que 3 heures d'électricité par jour ?

S'il y avait à Kidal une école, un hôpital, une route goudronnée, un accès à Internet, en serait-on là aujourd'hui ? Si 20% de la population n'y était pas en situation de manque de nourriture extrême 125 ( * ) , en serait-on arrivé là ?

Si les autorités maliennes étaient aussi promptes à vouloir redéployer au Nord les services publics, les infrastructures de base, les centres de santé, ou les autres services à la population que ses forces armées, en serait-on là aujourd'hui ?

Comment expliquer que l'aide internationale n'ait pas cherché à prévenir les évènements survenus au Nord Mali en ouvrant des lignes spécifiques pour son développement ? À l'examen, il apparait que 126 ( * ) le FMI, la Banque mondiale et l'Union européenne, qui avaient intégré en 1992 (après la précédente rébellion touarègue) des lignes de spécifiques pour le Nord, n'ont pas poursuivi au-delà de 1997. Les priorités sont alors devenues la santé ou l'éducation, au détriment du développement du Nord.

À cet égard, il est frappant de constater que le développement du Nord du Mali ne figure pas non plus en tant que tel au rang des 12 priorités identifiées par le plan pour la relance durable du Mali, ou « PRED 2013-2014 » , document stratégique malien endossé par la communauté internationale lors de la Conférence des donateurs « Ensemble pour le renouveau du Mali » du 15 mai dernier. Certes, il y est question de l'approfondissement de la décentralisation « pour un développement équilibré du territoire », et des transferts de ressources aux collectivités territoriales, mais cette stratégie s'appuie sur une vision uniforme qui concernerait de la même façon les 8 régions du Mali . Quelques actions spécifiques au Nord sont certes mentionnées 127 ( * ) , mais c'est souvent avec un pendant immédiat qui concerne le sud du pays.

Il convient de renforcer l'action pour le Nord Mali.

Recommandation : Donner une place particulière, dans notre politique de coopération, au développement du Nord du Mali pour éteindre durablement les causes de la crise malienne.

(2) Un défi de la coordination qui reste encore à relever pour 3,2 milliards d'euros de promesses de dons
(a) L'Union européenne est toujours le premier bailleur de fonds au Sahel

Plus de 3 milliards d'euros d'aide internationale (3,2 Mds €) ont été promis à la conférence du 15 mai « Ensemble pour le renouveau du Mali ».

Treize chefs d'État et 108 délégations ont participé à cette conférence des donateurs qui a permis de recueillir des promesses de dons d'un montant dépassant les prévisions et de réaffirmer le soutien de la communauté internationale au peuple malien et son appui au « Plan pour la relance durable du Mali (PRED) 2013-2014 » adopté par les autorités maliennes et endossé par les bailleurs lors de la conférence.

La France s'est engagée à verser 280 millions d'euros à titre bilatéral , en plus de sa contribution à titre multilatéral. Elle participera notamment à hauteur de 20% à l'aide de l'Union européenne , d'un montant de 520 millions d'euros .

L'ensemble de l'aide européenne , allouée par l'Union européenne et les États-membres, rassemblerait autour de 1,3 Md€, dont 520 M€ apportés par l'Union, 280 M€ par la France, 110 M€ par le Danemark, 100 M€ par l'Allemagne (après les élections au Mali) ainsi que par les Pays-Bas, 67 M€ par la Suède et 42 M€ par la Belgique. Le Royaume-Uni a annoncé une enveloppe globale pour le Sahel de 100 M€ (24 M€ pour le Mali).

Parmi les principaux autres donateurs bilatéraux, les États-Unis et le Canada , n'ayant pas encore repris leur aide, conditionnée à la tenue des élections, ont néanmoins pu respectivement annoncer un montant de 212 M$ (160 M€) dont 180 M$ d'aide projet au titre de l'exercice budgétaire 2014, et de 75 M$ (56 M€) sur les deux ans à venir. La Corée du Sud devrait apporter une contribution de 66 M€ , la Suisse de 50 M€ (75M€ sur trois ans), la Norvège de 32 M€. Parmi les multiples autres contributions, on pourra signaler celle du Koweït (60 M$ dont 50 de prêts), du Japon (38 M$), du Luxembourg (26 M€), du Brésil (4M$), de la Turquie (2M$), de la Grèce (50 000€), ou de Malte (25 000€).

S'agissant de l'aide multilatérale, la Banque mondiale a avancé un volume conséquent de 500 M$ d'aide sur la période du Plan. La Banque africaine de développement a promis 240 M€. La Banque islamique de développement a également annoncé une contribution généreuse de 250 M$ (soit 190 M€), de même que la Banque Ouest africaine de développement (200 M€ sur 2013-2014) ou le Fonds mondial (108 M€ sur trois années). Le système des Nations unies a estimé sa contribution informellement à 150 M$ (200 M$ avec le Fonds mondial).

(b) Le défi titanesque de la coordination des bailleurs ne semble pas encore gagné

Une des raisons du manque d'efficacité des actions passées en faveur du développement réside en partie dans l'éclatement et la dispersion des acteurs -y compris européens- qui ruinent toute tentative d'imposer une logique d'ensemble.

Dans cette optique, l'idée de la mise en place d'un fonds multilatéral dédié dont la France aurait pu se voir déléguer la gestion a été suggérée.

En effet, la France dispose d'une expertise sans doute unique en matière notamment de développement agricole.

Un fonds fiduciaire multi bailleurs pour le Sahel ?

- Pour financer ces actions et les gérer de manière cohérente et non désordonnée, une solution efficace consisterait à constituer un fonds fiduciaire qui devrait viser à mobiliser sur une longue période des montants annuels de l'ordre de un à deux milliards d'euros . Ces sommes devraient venir pour une partie d'un regroupement des aides multilatérales actuellement affectés à ces pays mais qui sont dispersés et mal coordonnés afin de les intégrer dans une vision stratégique en fonction d'objectifs clairs.

Afin de participer au contrôle de l'emploi des ressources correspondantes, à la définition des priorités et éviter le gaspillage des fonds comme en Afghanistan, la France devrait contribuer à ce fonds multi-bailleurs pour des montants significatifs ce qui impliquera des arbitrages difficiles sur le budget de la coopération.

- Pour coordonner tant l'action de ses propres administrations que pour assurer la cohérence globale de l'action militaire et de l'action civile qui seront conduites avec ses alliés et partenaires, le gouvernement devrait désigner au plus vite un coordinateur français de haut niveau capable d'imposer sa volonté aux administrations françaises concernées et de conduire un dialogue avec tous nos partenaires et les pays sahéliens. Un tel coordinateur doit être un responsable politique qui devrait disposer pour assurer son autorité d'un mandat clair et d'un accès direct privilégié aux plus hautes autorités.

Source : « Evitons un enlisement militaire au Mali et stabilisons durablement la situation au Sahel » , Serge Michailof, chercheur associé à l'IRIS

Cette proposition n'a pas été retenue par le gouvernement, qui s'en est expliqué en ces termes 128 ( * ) : « L'analyse ne me convainc pas totalement. Elle repose en effet sur des présupposés qui ne me paraissent pas correspondre à la réalité. Pourquoi, par principe, la France ferait-elle mieux que la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, l'Union européenne ou tel pays ? Nous nous engageons à la hauteur nécessaire et acceptons d'assumer un rôle informel de coordination , dans la mesure où notre pays est vraisemblablement le seul à avoir la légitimité pour réunir tous les acteurs autour d'une table. Mais de là à prétendre que la meilleure garantie d'efficacité serait que l'aide passe par un fonds de l'AFD labellisé France, il y a de la marge ! ».

La question n'est-elle pas aussi : la France a-t-elle toujours une capacité suffisante à orienter, à entraîner et à coordonner, compte tenu du faible montant de son aide bilatérale ?

Les ressources directement pilotées par la France sous forme d'aide bilatérale projet sont de plus en plus maigres chaque année (de l'ordre de 250 millions d'euros pour 17 (!) pays prioritaires), et soumises à régulation budgétaire, tandis qu'en comparaison, les ressources que l'on confie à l'Union européenne, à la Banque mondiale et aux Banques régionales de développement sont conséquentes : 1,5 milliard d'euros pour l'UE, 500 à 600 millions pour la Banque mondiale et 200 millions pour les banques régionales de développement.

Dans le maquis des chiffres de l'aide publique au développement, on peut chiffrer l'aide française (aide projet, sous forme de subventions) pour le développement rural dans les pays sahéliens à environ 15 millions par an, soit 1,5 pour mille de notre aide publique totale affichée !

Sur les dix dernières années, le Mali représente 4% de notre aide au développement. C'est peu, pour un pays prioritaire de la coopération française, dont les besoins sont immenses, et dont nous accueillons sur notre territoire une partie de la population.

Aujourd'hui la situation retenue est donc celle d'une « coordination informelle » des bailleurs sur le terrain. C'est peu de dire que la tâche n'est pas aisée.

Certes, la programmation conjointe européenne est un élément de mise en cohérence, dans la mesure où l'Union européenne est le premier bailleur de fonds. Le Mali ayant été désigné comme pays pilote de cette programmation conjointe, les États membres y appliquent déjà les principes agréés lors du Conseil des Affaires étrangères du 14 novembre 2011 :

La programmation conjointe de l'Union européenne


• analyse conjointe par les États membres et la Commission de la stratégie de développement et de réforme et élaboration d'un document unique de cadrage de la programmation ;


• synchronisation du cycle de programmation avec celui du pays partenaire ;


• division du travail incluant des allocations financières indicatives par secteur et par bailleur ;


• ouverture de principe du processus aux bailleurs non-européens qui souhaiteraient y participer ;


• principe de participation sur une base volontaire de chaque Etat membre à cet exercice ;


• identification, formulation et mise en oeuvre des projets et des programmes d'aide bilatérale restant de la responsabilité des États membres.

L'exercice de programmation conjointe, bien entamé en 2011, a toutefois été entravé par la suspension de la coopération suite au coup d'État de 2012. Néanmoins, une approche concertée devrait être mise en oeuvre pour la sortie de crise.

Pour autant, les problèmes de coordination ne sont pas tous résolus, et ce d'autant plus que la méthode retenue à Bruxelles a été celle d'annonces unilatérales de financement, sans harmonisation préalable, ni des calendriers de programmation (le PRED concerne les années 2013-2014 mais les programmations des bailleurs peuvent ne pas être synchronisées sur ces exercices), ni des cadrages thématiques respectifs .

Les mécanismes de coordination informelle des bailleurs de fonds sur place à Bamako (Troïka, différents comités...) se trouvent donc actuellement confrontés à une lourde tâche.

En avril, vos rapporteurs estimaient que la Conférence de Bruxelles devait éviter les quatre écueils suivants :

- la dispersion des acteurs et des fonds ;

- l'absence de vision et d'approche globales (gouvernance, formation, décentralisation...) s'étendant à la dimension du Sahel dans son entier ;

- l'absence d'un mécanisme de suivi très serré sur l'utilisation des fonds,

- le déni de l'existence d'un problème de développement spécifique au Nord Mali.

Force est de constater qu'il n'est pas acquis aujourd'hui que ces écueils puissent réellement être évités.

c) L'aspect économique ne doit pas être oublié

Vos rapporteurs se sont assurés, lors de leurs différents entretiens, que cet aspect n'était pas oublié par nos diplomates et que des contacts étaient pris avec les organisations représentant les entreprises françaises pour qu'elles puissent soumettre des offres dans le cadre des marchés à venir de reconstruction et de développement , pour le bénéfice mutuel de ces entreprises, de leurs salariés, et du peuple malien.

N'oublions pas que l'Union européenne est le premier bailleur de fonds au Mali et qu'outre son aide bilatérale, la France contribue pour 20% à l'aide versée par l'Union européenne.

Cette démarche doit ailleurs tout autant concerner nos experts 129 ( * ) que nos entreprises.

Plusieurs secteurs d'activité concernent les entreprises françaises :

. secteurs de l'eau et de l'assainissement :

Stations d'eau potable

Hydraulique villageoise

. secteur de l'énergie :

Production d'électricité

Cogénération

Transport de l'électricité

. secteur des transports :

Routes

Aéronautique

Rail

. secteur de l'armement.

Force est de constater que ce sont parfois nos propres blocages internes qui expliquent nos difficultés à positionner nos entreprises sur ces marchés.

L'épisode de la « lettre d'attribution » des Nations unies pour la fourniture de biens et services à la MINUSMA est à cet égard assez révélateur.

Pour accélérer et faciliter la mise en place de la MINUSMA, il a été envisagé la conclusion, entre la France et les Nations unies, d'une lettre d'attribution, afin de fournir les biens et services nécessaires à la mise en place de la MINUSMA dans les meilleurs délais (sans passer par de longues et lourdes procédures d'appels d'offres). De tels arrangements sont assez classiques, comme par exemple entre les États-Unis et les Nations unies pour la mise en place de l'AMISOM en Somalie.

Toutefois, compte tenu des difficultés budgétaires et juridiques que posait, en France, ce mécanisme, ce n'est qu'après un intense travail interministériel -et plusieurs mois de délai !- que la France a été en mesure de répondre favorablement à la demande des Nations unies et de proposer, enfin, fin juin, un tel projet de lettre d'attribution.

Plus précisément, les difficultés portaient non seulement sur le respect du code des marchés publics, mais aussi sur le respect du droit budgétaire et comptable qui s'applique à l'État, en ce qui concerne :

- la possibilité pour l'État de s'engager à fournir une garantie de bonne fin des prestations ;

- la possibilité pour l'État de faire une avance de trésorerie avant remboursement par les Nations unies.

Les marchés concernés sont susceptibles de concerner la réfection voire l'extension de pistes d'atterrissage à Gao, Kidal et Tessalit, la construction et l'équipement des camps militaires de la MINUSMA, dont 2 grands camps de 100 personnes à Gao et Tombouctou, la fourniture d'équipements aéroportuaires et de gestion aéroportuaire, notamment sur les petits aéroports du Nord, la fourniture de matériel médical, de gestion des déchets, de traitement des eaux et d'évacuation sanitaire et médicales, ainsi que divers services de gestion des emprises (assurance, nettoyage, gardiennage....).

De tels blocages sont difficilement compréhensibles ; il s'agit de favoriser le déploiement de la MINUSMA tout en positionnant nos entreprises sur les marchés de la « reconstruction » du Mali, deux objectifs prioritaires : comment expliquer qu'il faille des mois pour mettre en place un tel mécanisme pratiqué par la plupart de nos partenaires ?

Dans bien des cas, la France est en effet la seule en mesure d'apporter l'aide indispensable pour le bon déploiement de la MINUSMA (réfection des pistes d'aéroport par exemple, soutien vie pour les implantations onusiennes etc...) : les difficultés rencontrées pour souscrire à un tel accord de soutien logistique sont assez difficilement compréhensibles.

Recommandation : Définir, dans le cadre du groupe de travail interministériel sur « l'approche globale » pour la sortie de crise prévue par le Livre blanc, des procédures budgétaires et comptables permettant à la France de répondre rapidement aux « demandes d'attribution de prestations » de la part des Nations unies.

2. Une approche commune aux pays européens est indispensable
a) Serval, révélateur des faiblesses de l'Europe de la défense
(1) Un soutien avant tout bilatéral des Européens, loin derrière l'appui américain ou canadien

Nous avons déjà relevé ce paradoxe frappant : alors que l'Union européenne a adopté en 2011 une « Stratégie intégrée pour le Sahel » faisant de cette région l'une de ses zones prioritaires d'action, ses initiatives propres pour résoudre la crise malienne sont pourtant restées singulièrement limitées, ou plutôt, cantonnées à un petit nombre de domaines, importants mais circonscrits, comme la formation de l'armée malienne

Les réponses européennes à la crise malienne, pour limitées, n'ont pas non plus été totalement inexistantes , ce qui distingue, certes, le cas malien du cas libyen où l'Union européenne est dans un premier temps (2011) restée singulièrement absente. L'Union européenne a su mettre en place une action commune au Mali, même si limitée au soutien politique, à la formation des soldats maliens et à l'aide au développement.

Certains n'hésitent pas à relever que les organisations régionales africaines (Union Africaine, CEDEAO), malgré la faiblesse de leurs moyens, ont été finalement plus promptes à réajuster leurs dispositifs militaires dans les jours qui ont suivi le 11 janvier 2013 que les institutions européennes, qui se seraient finalement contentées d'accélérer un processus déjà en cours (EUTM-Mali).

Nous l'avons déjà dit, peut-être ne s'agit-il tout simplement que d'un manque d'appétence réel, au-delà des affichages, de nos partenaires européens pour un continent, l'Afrique, qu'ils considèrent à tort comme périphérique et sur lequel se joue pourtant une partie de l'avenir de la sécurité et de la prospérité de l'Europe. Force est de constater que la priorité stratégique qu'accorde la France à ses marges méridionales n'est pas partagée par certains États membres. Vu sous cet angle, avoir réussi à mobiliser des soldats de plus de vingt nationalités 130 ( * ) européennes pour la formation de l'armée malienne pourrait finalement avoir constitué un succès d'étape.

Ce déficit de mobilisation collective européenne fait paradoxalement des Canadiens et surtout des Américains , (aux côtés naturellement des Britanniques et des Belges), nos principaux partenaires au Mali aujourd'hui.

Le précédent rapport « Mali : comment gagner la paix ?» a détaillé le soutien apporté par nos partenaires américains pour l'opération Serval, jugeant que les États-Unis étaient notre principal soutien pour cette opération : « Bien qu'ils n'aient pas de troupes engagées au sol, les États-Unis sont aujourd'hui le principal partenaire des Français en termes financiers , et un maillon important en termes opérationnels .

« Les États-Unis ont apporté immédiatement leur appui politique à l'opération française. Ils ont répondu progressivement à l'ensemble des demandes de soutien opérationnel exprimées par la France au lendemain du lancement de « Serval ». Que ce soit en termes de partage du renseignement , de transport ou de ravitaillement en vol de nos avions de combat, l'appui américain est aujourd'hui inégalé . »

Le Livre blanc 2013 a fait le même désolant constat d'une absence de mobilisation proprement européenne :

« L'importance stratégique pour l'Europe de son voisinage oriental, de la Méditerranée, de la partie de l'Afrique qui s'étend du Sahel à l'Afrique équatoriale n'est pas considérée au même degré par tous nos partenaires et alliés . Pour la France, il ne fait cependant pas de doute que ces approches constituent des zones d'intérêt prioritaire pour l'ensemble de l'Union européenne, et qu'une vision commune des risques et des menaces est souhaitable et urgente. Cette priorité collective européenne devrait être d'autant plus affichée que nos alliés américain et canadien attendent de nous que nous prenions une part essentielle des responsabilités dans des zones à l'égard desquelles ils s'estiment moins directement concernés . »

Le groupe de travail 131 ( * ) de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat spécialement constitué pour traiter de la question : « Quelle défense pour quelle Europe ? », en vue du Conseil européen de décembre 2013 consacré à la défense, sera sans doute à même de tirer les enseignements et formuler des propositions sur ce sujet, dans son rapport qui publié ces jours-ci.

Ayant déjà largement analysé, dans notre premier rapport, comment l'intervention au Mali a révélé les faiblesses de la politique de défense européenne, nous nous contenterons donc ici de rendre hommage au soutien bilatéral apporté par certains États membres à l'opération Serval, en reproduisant ces propos du chef d'état-major français :

« Les Britanniques , les Danois et les Belges ont répondu présents en moins de vingt-quatre heures et sans aucune restriction d'emploi. Le général Barrera me disait ce matin à quel point il avait été « bluffé » par le courage des pilotes danois, qui ont été envoyés jusqu'à Tessalit ou Kidal, ou des pilotes belges , qui ont fait du transport tactique dans des zones de combat . 132 ( * ) »

(2) Des synergies et des complémentarités à trouver entre États membres

Nous avons pu le constater dans le cadre du dialogue bilatéral avec nos homologues parlementaires britanniques 133 ( * ) , au Royaume-Uni , la nécessité de bâtir une stratégie intégrée pour la zone sahélienne fait désormais l'objet d'un consensus au plus haut niveau . Cet intérêt, à l'égard d'une région où l'engagement politique et stratégique britannique s'avère traditionnellement modeste, s'enracine dans la prise de conscience récente que les intérêts économiques et de sécurité du Royaume-Uni y sont directement menacés, et se concrétise par l'adoption récente d'une « Stratégie Sahel » (juin 2013).

C'est sans doute l'évolution de Boko Haram au Nigéria, la crise malienne, mais aussi l'attaque de Tigentourine, qui ont contribué à mobiliser les autorités britanniques autours des enjeux sahéliens, notamment dans le cadre de leur présidence du G8.

C'est à la faveur des combats menés ensemble en Libye que la relation de défense franco-britannique a connu sa réelle montée en puissance. Plus récemment, l'appui apporté par le Royaume-Uni à l'opération Serval s'est naturellement inscrit dans le cadre du partenariat de défense scellé par les accords de Lancaster . L'expérience des opérations au Mali pourrait d'ailleurs préfigurer les opérations de la « force expéditionnaire conjointe » franco-britannique en cours de constitution.

En matière de lutte contre le terrorisme, le Royaume-Uni dispose, au Nigéria, de moyens et d'une connaissance du terrain sans équivalent , et se montre disposé à agir dans un cadre tripartite (France, États-Unis, Royaume-Uni), comme l'affirme sa récente « Stratégie Sahel » qui engage le Royaume-Uni à « Continuer à encourager une initiative de contre-terrorisme de type « P3 », pour coordonner le contre-terrorisme dans la région

L'Espagne est aussi particulièrement concernée par les questions de lutte contre le terrorisme et d'immigration sub-saharienne, de même que l'Italie , qui dispose traditionnellement d'une bonne connaissance de la situation en Libye.

Nos échanges avec les parlementaires du Bundestag allemand nous ont permis de mesurer la prise de conscience progressive qui s'opère sur les menaces au Sahel.

Nous en sommes convaincus : la question sahélienne ne pourra être traitée qu'avec le concours de nos partenaires européens .

Recommandation : Continuer à sensibiliser nos partenaires européens sur la montée des risques au Sahel (Nigéria, Niger, Libye...).

b) La question du partage de l'effort entre Européens reste posée
(1) Vers un surcoût OPEX français supérieur à un milliard d'euros en 2013, dont la moitié pour Serval ?

Le surcoût imputable à Serval est désormais de 400 millions d'euros , et pourrait donc atteindre 550 à 600 millions d'euros fin 2013 , pour un total de surcoût budgété en loi de finances initiale de 630 millions d'euros pour l'ensemble des opérations extérieures (OPEX) pour l'année 2013.

Le total des OPEX pourrait avoisiner le milliard d'euros en 2013 , comme l'a confirmé récemment l'Amiral Guillaud 134 ( * ) : « les 630 millions d'euros prévus au titre des OPEX n'incluent pas l'opération Serval, pour laquelle 300 millions d'euros ont été engagés. La facture globale d'une telle opération est de l'ordre de 100 000 euros par homme et par an ; or, au pic de notre engagement, 4 500 hommes appartenant à 101 formations différentes étaient mobilisés, soit 3 000 hommes en moyenne annuelle - puisqu'il faut inclure les forces présentes à la périphérie -, de sorte qu'au total , le coût dépassera les 400 millions d'euros à la fin de l'année . Une fois consommés les crédits dédiés, il faudra trouver de l'argent ailleurs et, le ministère du budget proposera probablement de prélever une partie des sommes sur notre propre budget, Matignon accordant éventuellement une rallonge. La dépense totale pourrait dépasser, comme en 2011, le milliard d'euros - perspective qui, croyez-le bien, est préoccupante . ».

Il s'agit de surcoûts, c'est-à-dire de dépenses supplémentaires par rapport à ce que coûte l'outil de défense lorsqu'il n'est pas utilisé dans une opération extérieure. Ce sont donc des coûts supplémentaires par rapport aux dépenses dont le financement est déjà planifié.

On voit mal dès lors, dans le contexte de crise qui est celui de la bande sahélo-saharienne, comment on pourrait envisager de baisser l'enveloppe prévisionnelle de nos OPEX en dessous du seuil actuel.

Il faut relever que le passage de relais aux casques bleus de la MINUSMA a aussi une implication financière pour la France, avec un double mouvement :

- Décrue du financement OPEX avec la réduction progressive du nombre d'hommes de Serval sur le terrain ;

- Participation à hauteur de la quote-part française (7,5%) au financement de la MINUSMA, qui devrait avoir un coût de respectivement 450 puis 500 millions de dollars en 2013 (demi-année, mais avec des « couts d'entrée » importants) et 2014, soit un coût prévisionnel (sur le budget du Quai d'Orsay, programme 105), de l'ordre de 30 puis 37 millions de dollars .

Tableau n° 12 : Surcoûts constatés des différents OPEX de 2009 à 2012

Tableau n° 13 : Modalités de financement des OPEX de 2009 à 2012

(2) Quels progrès dans le cadre de la directive sur la protection consulaire des Européens ?

Ensuite, concernant la protection consulaire dont les Européens bénéficient en application des traités, sur les 25 pays considérés comme dangereux au niveau européen (la plupart en Afrique), la France a en charge l'évacuation des Européens dans 17 d'entre eux.

En cas d'évacuation, comme cela aurait pu être le cas au Mali, il faudrait prendre en charge les ressortissants français mais aussi européens , ce qui peut représenter un défi logistique et un coût important.

Jusqu'à présent, le Service européen d'action extérieure n'a pas reçu compétence pour la protection consulaire. La position des autorités françaises est de l'inclure, au moins à titre embryonnaire, dans le cadre de la révision de la décision sur le service européen d'action extérieure et de la négociation en cours sur la directive sur la protection consulaire, en ciblant les pays en crise ou potentiellement en crise, en travaillant dans une logique de concertation sur le terrain, par la définition de plans d'évacuation et de pilotage commun... Des arrangements locaux pourraient par exemple intervenir, sur la base d'une identification précise des ressortissants et de la mise en commun des moyens pour qu'il y ait une meilleure répartition des responsabilités. La France s'oppose, dans le cadre de la discussion sur la directive, à la mutualisation européenne telle qu'elle est proposée, sous forme d'un fonds qui pourrait ensuite défrayer les États-membres, notamment en cas de grosse opération (comme celle que l'on a connue en Côte d'Ivoire où nous avons évacué la quasi-totalité des Européens), qui n'est pas de nature à permettre un meilleur partage du fardeau .

c) L'Europe : un acteur à mobiliser pleinement sur le plan des capacités civiles et de la gouvernance

La nomination d'un représentant spécial de L'Union européenne pour le Sahel (mars 2013) devait permettre une accélération de la mise en oeuvre de la « Stratégie intégrée de l'Union européenne pour le Sahel » (septembre 2011).

Concernant essentiellement le Mali, la Mauritanie et le Niger, la stratégie Sahel s'articule autour de quatre lignes d'action complémentaires :

- développement, bonne gouvernance et règlement des conflits internes ;

- politique et diplomatie: promouvoir une vision et une stratégie communes pour s'attaquer aux menaces transfrontalières ;

- sécurité et État de droit : renforcer les capacités des États concernés dans les domaines de la sécurité, du maintien de l'ordre et de l'État de droit ;

- prévention et lutte contre l'extrémisme violent et la radicalisation.

Chaque ligne d'action donne lieu à des actions concrètes, dotées au total d'un budget de 167 millions d'euros .

Depuis le déclenchement de la crise malienne, les actions de l'Union européenne, si elles ne se sont pas concrétisées par un engagement militaire (voir le rapport précité sur ce point) n'ont pas été négligeables, loin de là, qu'il s'agisse :

- Du financement des troupes de la MISMA par l'intermédiaire de la « facilité de paix » pour l'Afrique, et ce à hauteur de 50 millions d'euros, annoncé lors de la conférence des donateurs du 29 janvier dernier ;

- De la mission de formation EUTM Mali précitée (environ 12,5 millions d'euros de budget) ;

- De la reprise de l'aide au développement (250 millions d'euros). L'Union européenne a déjà consacré 660 millions d'euros du 10 ème fonds européen de développement (FED) au Sahel, ce qui en fait le premier bailleur de fonds de la région ;

- De l'aide humanitaire d'urgence (plus de 100 millions d'euros en 2012).

Pour 2013, des mesures additionnelles destinées spécifiquement au Mali sont en discussion, pour un montant global de 297 M€ , se composant en :

- Un contrat d'appui à la consolidation de l'État : 225 M€ (aide budgétaire) ;

- Une Initiative de Renforcement de la Résilience par l'Irrigation et la Gestion Appropriée des Ressources (IRRIGAR) : 27 M€ ;

- Un programme d'appui aux collectivités territoriales pour l'eau potable et l'assainissement au Mali : 30 M€ ;

- Un programme d'appui au processus électoral pour une sortie de transition : 15 M€ (auxquels s'ajoutent 2 M€ de l'instrument de stabilité de court terme afin de mener une campagne de sensibilisation et d'information de la population) .

Annoncée au Conseil des Affaires étrangères du 22 avril 2013, une mission d'observation électorale européenne se déploiera au Mali et sera financée par l'instrument Européen pour la démocratie et les droits de l'homme (IEDDH) ( 40 observateurs de long terme et 20 observateurs de court terme ).

La mise en oeuvre des différents aides et programmes européennes au Mali

Ces actions sont progressivement mises en oeuvre : un marché pour le soutien aux capacités des services de la police et de la justice (9 M€) a été signée en mars, un marché pour l'assistance technique aux autorités maliennes (1 M€) a également été attribué. Il existe d'autres programmes financés tels que le soutien aux autorités et communautés locales malienne s (5 M€), la promotion d'initiatives de dialogue et de réconciliation au niveau local (3 M€), l'équipement du peloton d'intervention de la gendarmerie nationale et la contribution à la mise en place d'un pôle spécialisé dans la lutte anti-terroriste (2,5 M€). Le projet sur la résolution des conflits et la promotion de la paix, se chiffre quant à lui à 5 M€.

Un programme d'appui à la décentralisation (PARADDER) de 31 M€ est mis en oeuvre par gestion déléguée et avec un cofinancement par la Belgique et par l'Allemagne. Sur les infrastructures routières , 75 M€ restent à décaisser pour effectuer les travaux de construction de la route liant Niono à Tombouctou sur l'axe stratégique Bamako-Tombouctou. La reprise des travaux engendrerait un surcoût de 20 M€. Il est également envisagé que l'UE reprenne en charge la finalisation de la route Niono- Goma Coura (abandonnée par les États-Unis) permettant de compléter le corridor symbolique Bamako-Tombouctou (10-15 M€).

Sur la sécurité et la justice , il existe un projet de réforme des systèmes de Sécurité et Justice (28 M€ sur 3 ans sur le FED). Sur l'aide humanitaire , 54 M€ sont prévus pour le Mali en 2013 par la Commission. Par ailleurs, des financements provenant du FED pour la restauration des services de base (23 M€) sont également prévus : filets sociaux : 10 millions ; santé : 4 millions ; eau : 4 millions et éducation : 5 millions.

Mise en oeuvre dans le cadre de la « Stratégie Sahel » de l'Union européenne, la mission « Eucap Sahel-Niger », opérationnelle depuis août 2012, vise à renforcer les capacités nigériennes de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée . Les experts de l'Union européenne forment et entraînent les forces de sécurité nigériennes, pour une durée de deux ans.

L'enjeu du renforcement des forces de sécurité est en effet essentiel. Faute d'offrir aux citoyens le respect de leur droit le plus élémentaire, celui de la sécurité, l'Etat se discrédite et laisse la voie à tous les types de radicalismes qui peuvent paradoxalement être perçus dans un premier temps comme porteurs d'un certain « ordre ».

Les missions d'EUCAP-Niger :

- fournir conseils et assistance pour la mise en oeuvre du volet sécurité de la stratégie nigérienne pour la sécurité et le développement au niveau national, en collaboration avec d'autres intervenants ;

- soutenir la coordination régionale et internationale dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée ;

- renforcer l'État de droit grâce au développement des capacités en matière d'enquête criminelle et à l'élaboration de programmes de formation adéquats ;

- améliorer la capacité des forces de sécurité nigériennes (gendarmerie, garde nationale et police nationale) à s'inscrire dans la durée ;

- aider à recenser, à programmer et à mettre en oeuvre des projets dans le domaine de la sécurité.

Dotée d'un budget annuel de 8,7 millions d'euros , la mission au Niger s'appuie sur cinquante experts internationaux, policiers et militaires, placés sous l'autorité du chef de la mission, le colonel Francisco Espinosa Navas.

Cette mission, qui a vocation à s'appliquer à l'ensemble du Sahel dans le cadre de la stratégie intégrée de l'Union européenne pour le Sahel, pourrait être étendue au Mali, voire à la Mauritanie.

Enfin, comme cela a déjà été dit, l'Union européenne a mis en place une mission d'assistance pour une gestion intégrée des frontières en Libye (EUBAM Libye), qui a été formellement lancée par la décision du Conseil du 27 mai 2013.

L'objectif de la mission EUBAM Libye est d'aider les autorités libyennes à développer leurs capacités pour améliorer la sécurité de leurs frontières terrestres , maritimes et aériennes à court terme et à élaborer une stratégie plus vaste de gestion intégrée des frontières à long terme.

Les outils mis en place par l'Union européenne peuvent être particulièrement utiles en termes de réforme des secteurs de sécurité, de formation des forces de sécurité intérieure et intérieure, de surveillance des élections, de formation au contrôle des frontières....

Recommandation aux institutions de l'Union européenne :

1) Une mission européenne d'observation électorale pourrait être envisagée au Mali pour les élections législatives, comme c'est déjà le cas pour les présidentielles ;

2) La mission EUCAP Niger pourrait être étendue au moins au Mali , voire à la Libye (sous réserve de faisabilité) ;

3) La mission EUBAM Libye devrait être consolidée voire considérée dans une approche régionale (coopération avec le Niger, le Tchad voire l'Algérie, par exemple ?) ;

4) Le mandat de la mission EUTM Mali devrait être prolongé, sous réserve d'une évaluation des résultats produits par la formation des premiers bataillons.


* 120 Comme le décrivent depuis des années les rapporteurs de notre commission chargés de l'aide au développement, en particulier MM Christian Cambon et Jean-Claude Peyronnet

* 121 Lors d'une audition à l'Assemblée nationale le 22 mai 2013

* 122 Aujourd'hui existe une section des comptes de la Cour suprême en charge de la validation des états financiers des services publics de l'État et un Bureau du Vérificateur général

* 123 Source : entretiens lors de la table ronde « Mali, à l'écoute de la recherche française et européenne », 12 avril 2013, à l'AFD

* 124 Audition précitée devant l'assemblée nationale le 22 mai 2013

* 125 Source : ONG, situation à la fin avril

* 126 Source : séminaire précité de l'AFD : « Mali : à l'écoute de la recherche française et européenne »

* 127 En particulier en matière d'accès aux services sanitaires : la relance des services de santé dans le nord est ainsi expressément prévue par le PRED (p. 38)

* 128 Audition précitée de Pascal Canfin devant l'Assemblée nationale le 22 mai 2013

* 129 Voir à cet égard le rapport : « Pour une équipe France de l'expertise à l'international », Jacques Berthou au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Sénat n°131, 2012-2013

* 130 Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Pologne, Portugal, République Tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Slovénie, Suède

* 131 Co-présidé par MM Daniel Reiner, Jacques Gautier, André Vallini et Xavier Pintat

* 132 Amiral Guillaud, audition devant l'Assemblée nationale, 22 mai 2013

* 133 Réunion conjointe des commissions parlementaires françaises et britanniques chargées de la défense, au Sénat français, 17 avril 2013

* 134 Audition précitée le 22 mai 2013 devant l'Assemblée nationale

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