CONCLUSION

La relation franco-allemande reste incontournable. La réconciliation entre la France et l'Allemagne a été à l'origine de la construction européenne. Le dynamisme du couple franco-allemand a permis à celle-ci de franchir des étapes décisives. C'est vers lui que repose l'espoir que renaisse une grande ambition pour le projet européen.

Indispensable, cette relation entre les deux pays ne pourra fonctionner de manière équilibrée que si la France retrouve sa compétitivité et assainit ses finances publiques. Ce doit être une priorité pour notre pays. Mais c'est aussi un enjeu majeur pour la construction européenne.

Nous ne devons pas faire de mauvais procès à l'Allemagne. C'est le laxisme budgétaire depuis trop d'années qui a conduit de nombreux pays européens à connaître aujourd'hui une situation de crise et de sous-emploi, même si le renflouement du secteur financier en 2008-2009 a lourdement aggravé le problème. Comme le soulignait Mario Monti au colloque de Sciences Po sur l'avenir de l'Europe 7 ( * ) , la dette a paralysé la capacité des politiques économiques.

Des finances publiques bien gérées sont un facteur positif pour la croissance et l'emploi. Il est donc injuste de taxer l'Allemagne d'« égoïsme » quand elle met en avant les disciplines nécessaires. Pour que s'instaure une véritable mutualisation au sein de la zone euro, il faut que les États se fassent confiance. Et, pour cela, ils doivent respecter les critères qui résultent des traités. Cela doit se faire de manière intelligente pour que les efforts demandés soient supportables. L'Union européenne est désormais prête à plus de flexibilité vis-à-vis des États membres qui se sont engagés sur la voie de l'assainissement. Elle est disposée à une contractualisation avec les États qui mettent en oeuvre des réformes structurelles.

Le couple franco-allemand est une référence pour la construction européenne. Il doit retrouver une véritable ambition à travers de grands projets, notamment dans le domaine industriel, afin de redonner de l'espoir à notre jeunesse et de lui ouvrir des perspectives.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission s'est réunie le jeudi 6 juin 2013 pour entendre la présentation de M. Jean Bizet. À l'issue de celle-ci, le débat suivant s'est engagé :

Mme Catherine Tasca . - Je félicite le rapporteur pour ce travail, qui arrive fort à-propos, alors que certains événements faisaient douter de l'avenir de la relation franco-allemande. J'apprécie en outre la tonalité apaisante de son propos - en espérant qu'elle ne témoigne pas d'un excès d'optimisme. La prudence dans l'expression publique, j'en conviens, est particulièrement souhaitable.

La France et l'Allemagne doivent certes converger, mais il restera toujours de fortes différences entre les deux pays. Les réactions à la décision de la Commission européenne de taxer l'importation de panneaux solaires chinois est une nouvelle illustration de la divergence de certains de nos intérêts... Réduisons les différences qui peuvent l'être et acceptons les autres.

Les dernières propositions de François Hollande et d'Angela Merkel donnent la marche à suivre. Il conviendrait toutefois d'insister davantage sur la réhabilitation des objectifs sociaux de l'Union, de plus en plus marginalisés. Le social fait partie du pacte européen originel, ne l'oublions pas. Vous avez parlé du niveau de salaire horaire : ce n'est pas le seul critère à prendre en compte, car le marché du travail allemand est déstructuré par le recours aux emplois précaires et au temps partiel, ce qui fait exploser la pauvreté dans certaines catégories sociales. Réfléchissons à un salaire minimum européen - au moins applicable, dans un premier temps, à un noyau dur d'États membres.

Que peut faire notre commission pour entretenir le dialogue entre nos deux pays ? Sous la présidence d'Hubert Haenel, nous avions effectué une visite de travail avec nos collègues du Bundesrat au Mont-Saint-Michel... où nous avions été accueillis par M. Bizet. Un déplacement à Berlin est-il envisageable, sans visée technique, simplement pour entretenir le dialogue ?

M. Simon Sutour , président. - Les déplacements de notre commission sont limités par ses crédits, qui ont diminué. Notez que le président du Sénat a choisi Berlin pour son premier déplacement officiel il y a un an - je participais au voyage. Et que les membres du bureau de notre commission ainsi que le groupe d'amitié France-Allemagne étaient à Berlin pour l'anniversaire du traité de l'Élysée. Nos contacts plus poussés sont avec le Bundesrat. Il est toutefois difficile de travailler avec les membres d'une assemblée qui se réunit douze jours par an, et dont la présidence est tournante, confiée chaque année à un Land différent. Nous aurions aussi bien vocation à nouer des contacts au Bundestag, mais ses membres ont naturellement noué déjà des relations privilégiées avec les députés français.

Je retiens le principe d'un déplacement en Allemagne mais il faudrait éviter de nous y rendre durant la période électorale, à l'automne prochain.

Mme Catherine Tasca . - Je souhaiterais que cette communication débouche sur un rapport.

Mme Colette Mélot . - Je félicite à mon tour le rapporteur : son travail arrive à point nommé. Nous avons besoin d'un bilan historique pour éclairer l'avenir. Je soutiens moi aussi la publication du rapport.

Continuons à travailler à tous les niveaux. Dans nos territoires, entretenons la flamme de l'amitié franco-allemande. Ne laissons pas se banaliser l'anti-germanisme, ni même se développer une indifférence à l'égard de notre voisin. La politique de jumelage, par exemple, nourrit la connaissance et l'appréciation mutuelles. L'Office franco-allemand pour la jeunesse fête ses cinquante ans : soutenons les rencontres de la jeunesse. Privilégions l'apprentissage de la langue allemande, qui décline comme celui du français en Allemagne.

M. Jean-François Humbert . - Je félicite également le rapporteur. Ce sujet est essentiel pour l'avenir de notre pays, et pour celui de l'Europe. Peut-être le rapport écrit pourrait-il être étoffé ? Je souhaiterais par exemple que le voile soit levé sur certains aspects, comme l'attitude allemande à l'égard de la Grèce. Une mise au point serait bienvenue pour ne pas laisser accréditer des informations inexactes.

M. Alain Bertrand . - À mon avis, en étant trop policé, j'allais dire trop gentil, on trahit l'amitié franco-allemande. Par peur de mettre à mal son acquis le plus important, la paix, nous n'osons rien dire. La vérité, c'est que l'Allemagne ne joue pas le jeu en matière de croissance, d'emploi, de salaire minimum, ni en matière sociale.

Ma ville est jumelée avec Wunsiedel en Allemagne. Mes discours sont souvent traduits en direct par mon directeur de cabinet, qui est franco-allemand. Cela ne m'empêche pas de dire la vérité ! Lors d'une réunion récente, un ancien ministre des affaires européennes expliquait au groupe RDSE qu'il fallait mettre des gants pour traiter avec les Allemands et contourner les sujets de désaccord : à mon avis, c'est le meilleur moyen de donner l'impression aux Français qu'on ne fait rien, et aux Allemands qu'on est d'accord avec eux sur tout ! Et doit-on glisser vers un rapport de vassalité parce que l'un est moins bon que l'autre ? Au bistrot, à la chasse ou aux champignons, les Français en parlent, ils perçoivent tout cela. Alors cessons de nous excuser à tout propos, et en préambule à tout débat, de notre gestion publique, et ayons le courage de la franchise. La fraternité et l'affection qui nous unissent aux Allemands l'exigent.

M. Simon Sutour , président. - Ces sujets sont très complexes. Je comprends le point de vue d'Alain Bertrand. Nous avons souvent le sentiment d'être les élèves du professeur allemand, mais au dîner donné à l'invitation du Bade-Wurtenberg, à l'occasion du 50 e anniversaire du traité de l'Élysée, j'ai été frappé au contraire par l'humilité des élus allemands, et par les nombreuses attentes qu'ils formulaient à notre égard. Entre Européens, il ne faut pas jouer aux donneurs de leçons. À Chypre, lors de la réunion des présidents des commissions des affaires européennes de juillet 2012, j'ai défendu l'idée qu'il n'y avait pas d'États vertueux par nature. À accuser la Roumanie, nous en oublions nos propres turpitudes, celles de douaniers à Roissy ou celles du Président allemand contraint l'an dernier à la démission. Le respect des engagements est un combat permanent.

Cela vaut tout autant en matière économique, comme l'a rappelé Mme Tasca : la médaille allemande comporte naturellement un revers. C'est pourquoi je m'étais réjoui que le Président de la République cherche à coopérer davantage avec l'Italie pour défendre une vision européenne plus tournée vers la croissance.

Mon expérience des instances de coordination européenne me laisse toutefois penser que le plus souvent, on ne peut compter que sur la France et l'Allemagne pour faire avancer l'Europe. À Nicosie en avril dernier, où je représentais le président du Sénat à la réunion des présidents de Parlements de l'Union, la discussion sur la mise en oeuvre de l'article 13 du TSCG sur le contrôle parlementaire partait dans tous les sens : c'en était effrayant ! Heureusement, le représentant du Bundestag, celui du Bundesrat et le président du Parlement européen, Martin Schulz, ont recadré la discussion.

Les Allemands attendent beaucoup de nous. Ils ont parfois l'impression que nous les ignorons. Trouvons un nouvel équilibre, des poids et des contrepoids.

Mme Colette Mélot . - Il faut un moteur à l'Europe !

M. Simon Sutour , président. - Oui. En outre, alternance ou non, il faut se retenir de prononcer certaines phrases. À Athènes, j'ai entendu des choses inacceptables, des références à la seconde guerre mondiale : les Allemands d'aujourd'hui ne sont tout de même pas responsables de ce qu'ont fait les nazis ! De même, évitons la caricature des cigales du nord de l'Europe et des fourmis du sud.

M. Jean-François Humbert . - Elle n'est pas complètement fausse.

M. Simon Sutour , président. - Nous sommes à la jonction de l'Europe du Nord et de celle du Sud : nous réalisons une synthèse.

Je vous propose que la communication donne lieu à la publication d'un rapport d'information, sous réserve que notre collègue étoffe son texte, notamment par des chiffres, et qu'il soumette le texte aux membres de la commission.

Il en est ainsi décidé.

M. Jean Bizet . - Nous vivons une époque où la moindre déclaration publique peut avoir des conséquences disproportionnées. Le populisme et la démagogie sont à nos portes. Maîtrisons notre expression publique.

Nos deux pays sont différents et complémentaires. Ils constituent le moteur de l'Union. Disons-nous la vérité. On n'arrivera à rien en envisageant de contourner l'Allemagne. Tous les présidents de la République, en début de mandat, ont cherché de nouveaux partenaires, avant de revenir aux fondamentaux, c'est-à-dire à la relation franco-allemande. Nicolas Sarkozy s'est rapproché du Royaume-Uni avant de se rendre compte que ce pays regardait toujours vers le large. François Hollande peut toujours chercher l'appui de Mario Monti, reste que le mécanisme européen de stabilité (MES) est financé à hauteur de 27 % par l'Allemagne et à 20 % par la France. Comme l'on dit dans nos campagnes, finalement, qui paye commande !

Le social n'est pas mon penchant premier, vous le savez. Mais je reconnais qu'on ne peut rien construire sans le social, aujourd'hui moins que jamais.

Je serais heureux de faire un rapport d'information à partir de ma communication. Il serait alors nécessaire de compléter certains points et d'approfondir certains autres, comme la perte de notre leadership agricole.

M. Simon Sutour , président. - Qui est tout de même un paradoxe...

M. Jean Bizet . - Oui, car la construction européenne était implicitement fondée sur une Allemagne industrielle et une France agricole.

M. Jean-François Humbert . - Il nous reste le tourisme !

M. Jean Bizet . - Concernant les relations avec la Grande-Bretagne, j'ai perçu pour ma part le discours de David Cameron du 24 janvier de façon plutôt positive. Certes, il fait souffler un vent très libéral sur l'Europe. Mais il faut comprendre ces propos au second degré, c'est un Anglais qui parle. L'Europe ne peut se passer de l'importance, du savoir-faire et de l'ingénierie financière britannique. L'Europe et la France ne peuvent non plus se passer des partenariats noués avec le Royaume-Uni en matière d'armement et de défense. Là également, il faut se dire les choses, entretenir le dialogue.

M. Simon Sutour , président. - Quand le projet de rapport sera finalisé, il sera transmis aux membres la commission et s'ils n'ont pas de remarques sur ce que M. Bizet y aura ajouté, nous le publierons.


* 7 « Europe : les prochaines étapes », 28 mai 2013.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page