III. DES SOLUTIONS DE PROCÉDURE : DÉCENTRALISATION, MODERNISATION, MONÉTISATION

Perturber l'équilibre de la loi Littoral au-delà du strict nécessaire n'est pas souhaitable. Plutôt que de modifier les notions de fond qui structurent l'urbanisation du littoral depuis près de trois décennies, vos rapporteurs préconisent d'intervenir sur les procédures qui conditionnent leur mise en oeuvre concrète.

Quatre leviers ont été identifiés : la décentralisation de l'interprétation de la loi, la modération de son impact contentieux, une meilleure prise en compte des risques littoraux et la régulation du volume et du prix du foncier en bord de mer.

A. CONFIER L'INTERPRÉTATION DE LA LOI LITTORAL AUX ÉLUS LOCAUX

La planification spatiale est au coeur du droit du littoral . Les principes directeurs forgés depuis le début des années 1970 doivent être mis en oeuvre dans des documents de planification élaborés soit par les collectivités soit par l'État. A l'heure actuelle, il manque toujours l'instrument permettant d'atteindre réellement les objectifs équilibrés de la loi Littoral.

Alors que de plus en plus de documents de planification prennent en compte les bassins de vie, la loi Littoral continue de s'appliquer au niveau communal . Cette échelle est certes suffisante pour la gestion du bord de mer, mais elle ne permet pas de définir une véritable politique d'aménagement pour organiser le report du surpoids démographique vers l'arrière-pays ou gérer les paysages et milieux naturels.

La loi Littoral est une loi géographique : elle doit être traitée à un niveau approprié. L'outil idéal repose sur un équilibre subtil : d'un côté, son périmètre doit être suffisamment étendu pour que la gestion de l'urbanisme corresponde aux besoins de l'écosystème littoral ; de l'autre, sa gouvernance ne doit pas être trop complexe, au risque de rendre le dispositif inopérant.

Trois décennies de tâtonnement ont conduit à élaborer une série d'instruments, chacun ayant ses avantages et ses partisans . Aucun d'entre eux n'est toutefois réellement satisfaisant, comme en témoigne leur succès mitigé. La tendance actuelle consiste à miser sur l'efficacité du SCoT intégrateur, dont le maillage territorial est en voie d'achèvement.

Vos rapporteurs prennent acte de cette stratégie, qui permettra sans doute de résoudre un certain nombre de difficultés. Cependant, ni l'échelle ni la portée juridique des SCoT n'offrent la possibilité d'une réelle déclinaison locale des principes de la loi Littoral. Ce n'est pourtant qu'à cette condition qu'il pourra être mis fin aux problèmes d'interprétation d'une loi rédigée dans la perspective de sa territorialisation.

Ainsi, vos rapporteurs préconisent de créer un instrument optionnel s'inspirant des prescriptions régionales initialement prévues : les chartes régionales d'aménagement du littoral auraient vocation à permettre une application véritablement décentralisée de la loi du 3 janvier 1986 , sous le contrôle du Conseil national de la mer et des littoraux (CNML).

1. Le voeu pieux du législateur en 1986 : les prescriptions régionales

La loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État (loi Defferre) a prévu la possibilité de décliner l'application des lois d'aménagement et d'urbanisme dans des prescriptions nationales ou des prescriptions particulières à certaines parties du territoire. La première version de l'article L. 111-1-1 du code de l'urbanisme prévoit ainsi que les régions intéressées puissent être à l'initiative de telles prescriptions, qui s'imposent aux autres documents d'urbanisme dans un rapport de compatibilité 16 ( * ) .

En 1986, le législateur a entendu faire usage de cette possibilité pour préciser les conditions d'application des dispositions de la loi Littoral ; il l'a inscrit à l'article L. 146-1 selon lequel « les prescriptions particulières prévues à l'article L. 111-1-1 peuvent préciser les conditions d'application du présent chapitre. Ces prescriptions sont établies par décret en Conseil d'État après avis ou sur proposition des conseils régionaux intéressés et après avis des départements et des communes ou groupements de communes concernés . »

Le législateur a ainsi confirmé que l'échelle pertinente pour interpréter les concepts généraux de la loi Littoral est l'échelle régionale . Cette dimension permet à la fois de prendre en compte les spécificités propres à chaque territoire, tout en conservant la vision d'ensemble nécessaire à l'aménagement stratégique du littoral.

En pratique, cette possibilité n'a jamais été exploitée. Aucune initiative n'a été prise en ce sens, ni par les régions, ni par l'État. À l'époque, les régions viennent à peine d'être créées comme collectivités territoriales , et les services de l'État eux-mêmes ne sont pas organisés au niveau régional. Le dispositif avait donc peu de chances de fonctionner.

2. Trois décennies de tâtonnements infructueux
a) L'approche géographique : les directives territoriales d'aménagement et les schémas interrégionaux du littoral

Deux instruments ont été créés pour permettre une déclinaison de la loi Littoral à l'échelle géographique. Mais en s'appuyant sur des périmètres pertinents, ils conduisent à sacrifier le caractère opérationnel de leur gouvernance, ce qui apparaît dès lors comme la principale cause de leur échec.

(1) Les directives territoriales d'aménagement

Prenant acte de l'inexistence des prescriptions régionales, l'État s'est appuyé sur les directives territoriales d'aménagement (DTA), introduites par la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire (dite loi Pasqua). Les DTA ne sont pas un instrument spécifique au littoral. Concrètement, il s'agit de prescriptions particulières à certaines parties du territoire, élaborées dans le cadre d'un article L. 111-1-1 fortement remanié.

La référence à l'échelon régional est en effet supprimée : les directives territoriales d'aménagement sont élaborées sous la responsabilité de l'État et à son initiative . Leur portée juridique est en revanche inchangée : les DTA sont opposables aux documents d'urbanisme de rang inférieur (SCoT, PLU) et peuvent préciser les modalités d'application de la loi Littoral. A ce sujet, le Conseil constitutionnel a d'ailleurs précisé, dans sa décision n° 94-358 DC du 29 janvier 1995, que « si les directives territoriales d'aménagement peuvent comporter des adaptations à des particularités géographiques locales, celles-ci qui ne concernent, selon les termes de la loi que «les modalités d'application des lois d'aménagement et d'urbanisme» ne peuvent conduire à méconnaître les dispositions de ces dernières ».

Sous cette réserve, les DTA font écran à l'application directe des lois Littoral et Montagne , tant à l'égard des actes réglementaires qu'à l'égard des actes individuels. Les dispositions législatives peuvent toujours être invoquées par la voie de l'exception d'illégalité, mais ce moyen n'est pas d'ordre public. Autrement dit, il relève de la seule initiative d'un requérant, et non du juge lui-même.

Ce dispositif n'a pas connu le succès escompté . Seulement six DTA ont été adoptées sur l'ensemble du territoire, dont quatre DTA « littorales » : Alpes-Maritimes (décret n° 2003-1169 du 2 décembre 2003), Bouches-du-Rhône (décret n° 2007-779 du 10 mai 2007), estuaire de la Loire (décret n° 2006-884 du 17 juillet 2006) et estuaire de la Seine (décret n° 2006-834 du 10 juillet 2006).

Leur élaboration a été l'occasion de réflexions élargies , dans une logique d'arbitrage souvent difficile entre développement et protection : sur les deux estuaires (Seine et Loire), la rencontre de richesses écologiques et de zones d'activité d'importance nationale, voire internationale, dans des espaces contigus est porteuse de conflits latents ; la zone côtière des Alpes maritimes est traversée par d'importants axes d'infrastructures et de transport entre Cannes et Nice ; dans les Bouches-du-Rhône, le développement de la métropole marseillaise est confronté au problème de la maîtrise de l'étalement urbain.

Cependant, aucune de ces DTA n'est allée jusqu'au bout de la logique en combinant une stratégie de développement et une interprétation des dispositions d'urbanisme de la loi Littoral. Elles se contentent d'identifier les espaces remarquables et les principales coupures d'urbanisation, mais n'abordent pas les sujets sensibles comment la délimitation des espaces proches du rivage ou le champ d'application géographique de la loi Littoral.

Seul le projet de DTA des Alpes du Nord a envisagé des modalités d'application précises de la loi Littoral autour des grands lacs de plus de 1 000 hectares compris dans son périmètre. En dépit d'une large concertation, il n'a cependant pas été approuvé.

Le développement des DTA s'est heurté à un problème de gouvernance . A l'heure de l'approfondissement de la décentralisation, ce dispositif entièrement placé sous la responsabilité de l'État n'a pas suscité l'adhésion des collectivités. A l'issue d'environ dix années d'une procédure complexe d'élaboration et de concertation, les quelques DTA adoptées se sont révélées obsolètes , la jurisprudence ayant évolué sur de nombreux points.

Prenant acte de ces difficultés, la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement (loi « Grenelle II ») a supprimé le régime des DTA pour leur substituer des directives territoriales d'aménagement et de développement durable (DTADD). Contrairement aux DTA, les DTADD ne sont pas directement opposables aux documents d'urbanisme de rang inférieur . Elles peuvent seulement le devenir par le biais d'une procédure de projet d'intérêt général (PIG), dans les conditions prévues à l'article L. 113-4 du code de l'urbanisme. Puisqu'elles n'ont plus de force prescriptive, la négociation des DTADD est moins difficile, mais leur portée réelle est plus réduite.

La seule exception à cet assouplissement est le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC), actuellement en cours d'élaboration. A l'occasion de leur déplacement en Corse, vos rapporteurs ont pu apprécier la qualité du travail accompli par la Collectivité territoriale de Corse pour définir et préciser les concepts de la loi Littoral. L'adoption du PADDUC est certes suspendue à bien d'autres enjeux, qui dépassent le cadre de ce rapport. Néanmoins, il résulte de cette expérience que l'existence d'une structure de gouvernance locale, connue et maîtrisée par l'ensemble des acteurs du littoral, facilite le débat.

Pour éviter les écueils des DTA, la décentralisation de l'application de la loi Littoral doit s'appuyer sur une structure administrative existante plutôt que sur un périmètre ad hoc.

LE PLAN D'AMÉNAGEMENT ET DE DÉVELOPPEMENT DURABLE DE LA CORSE (PADDUC)

Introduit par la loi n° 2002-92 du 22 janvier 2002 relative à la Corse, le PADDUC est un document destiné à cadrer l'aménagement du territoire sur l'île, en remplacement du schéma d'aménagement de la Corse (SAC) approuvé par décret en Conseil d'État du 7 février 1992.

Le PADDUC « a les mêmes effets qu'une directive territoriale d'aménagement » : il peut ainsi préciser les modalités d'application des lois Littoral et Montagne, et s'impose aux documents d'urbanisme de rang inférieur ainsi qu'aux autorisations individuelles.

Une particularité le distingue cependant : il n'est pas élaboré par l'État, mais par la Collectivité territoriale de Corse , aux termes de l'article premier de la loi, codifié à l'article L. 4424-9 du code général des collectivités territoriales (CGCT).

Ainsi, le projet de PADDUC est préparé par l'Assemblée territoriale de Corse et adopté après avoir été soumis pour avis au Conseil économique, social et culturel de Corse, et au Conseil des sites. Il doit être validé par les conseillers à l'Assemblée de Corse, et soumis à enquête publique avant d'être approuvé par l'Assemblée de Corse.

En pratique, les difficultés à réunir un consensus autour des orientations qu'il a déterminé ont conduit au retrait de son examen en séance, à l'Assemblée de Corse, le 15 juin 2009. Dès lors, les dispositions du SAC restent actuellement en vigueur.

Pour faciliter son adoption, la loi n° 2011-1749 du 5 décembre 2011 relative au PADDUC a prévu un débat préalable d'orientation, des délais de consultation limités et une procédure de révision assouplie, tout en y intégrant les objectifs du Grenelle de l'environnement. Il n'a cependant toujours pas été approuvé.

(2) Les schémas interrégionaux du littoral

Les schémas interrégionaux du littoral ont également été introduits par la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire (loi Pasqua) qui ajoute un article 40-A à la loi Littoral.

Directement inspirés des schémas interrégionaux de massif créés par la loi Montagne, ces schémas ont pour objectif de renforcer la dimension intercommunale d'aménagement du littoral en incitant les conseils régionaux de régions voisines à coordonner leurs politiques.

Ces documents de nature économique et à vocation prospective veillent à la cohérence des projets d'équipement et des actions ayant une incidence sur l'aménagement ou la protection du littoral. Ils ne s'imposent pas aux autres documents de planification.

En pratique, ils n'ont jamais été mis en chantier. Le manque d'appétence des collectivités pour ce type de schémas confirme que la gouvernance l'emporte sur la géographie dans la décentralisation de l'application de la loi Littoral : autrement dit, une gouvernance connue, même adossée à un périmètre moins pertinent, est préférable à un périmètre parfaitement adapté au bassin géographique du littoral mais nécessitant la création d'une nouvelle enceinte de concertation.

b) L'approche pragmatique : les schémas de cohérence territoriale

A défaut de directive territoriale d'aménagement, le schéma de cohérence (SCoT) constitue, à une échelle intercommunale, le document de planification territoriale adéquat pour mettre en oeuvre les dispositions de la loi Littoral. Cet outil permet de délimiter, à l'échelle d'un bassin de population, les coupures d'urbanisation et les espaces remarquables à protéger, ou encore d'apprécier la densité de l'urbanisation dans les espaces proches du rivage.

En s'appuyant sur des retours d'expérience positifs, l'administration considère aujourd'hui que le SCoT est le seul document permettant de définir les modalités d'un aménagement équilibré sur le littoral. Elle met en avant son rôle intégrateur : le SCoT concilie des exigences contradictoires alors que les documents de rang supérieur sont généralement thématiques et correspondent à des politiques sectorielles.

L'administration souhaite ainsi profiter de la dynamique de « grenellisation » des SCoT pour y intégrer les notions de la loi Littoral. Vos rapporteurs considèrent également qu'il s'agit d'une opportunité à saisir et recommandent de rendre obligatoire, dans les SCoT littoraux, la traduction de l'ensemble des dispositions particulières au littoral : actuellement, le principe de compatibilité n'impose pas d'intégrer la totalité de ces notions dans les SCoT, d'où l'absence de certaines délimitations.

LE SCOT INTÉGRATEUR

Le schéma de cohérence territoriale (SCoT) a été créé par la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (loi SRU) afin de gérer de manière décentralisée l'ensemble des contraintes et des conflits d'occupation de l'espace.

La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement (loi Grenelle II) a érigé le SCoT comme l'unique document d'encadrement du plan local d'urbanisme (PLU) et de la carte communale . L'article L. 111-1-1 du code de l'urbanisme en fixe les modalités et prévoit que le PLU doit être compatible avec le SCoT dans un délai de trois ans maximum. Il précise également que ce n'est qu'en l'absence de SCoT que les PLU et les cartes communales doivent être compatibles avec l'ensemble des documents de rang supérieur .

Cette démarche, qualifiée de « SCoT intégrateur », n'est pas encore aboutie et des liens juridiques directs subsistent entre le PLU et d'autres documents de rang supérieur. En conséquence, le projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), en cours de discussion, renforce les obligations de mise en compatibilité des PLU avec les SCoT et prévoit que tous ces documents devront être révisés avant le 1 er janvier 2017 pour intégrer l'ensemble des dispositions de la loi Grenelle II.

Vos rapporteurs sont toutefois moins optimistes que l'administration sur le fait que l'achèvement de la couverture en SCoT permettra de résoudre l'ensemble des difficultés posées par la loi Littoral.

Le premier inconvénient du SCoT concerne son périmètre , qui peut être trop restreint pour permettre une vraie politique d'aménagement du littoral. La délimitation des coupures d'urbanisation et des espaces stratégiques à protéger requiert une vision d'ensemble qui dépasse les capacités d'un SCoT de 5 000 habitants, comme il en existe parfois. Dans de tels cas, le SCoT n'a pour seul effet que de reporter à un niveau supérieur les problèmes qui s'imposent au PLU, sans fournir les leviers qui permettraient d'y apporter une véritable réponse.

L'autre inconvénient majeur du SCoT est celui de sa portée juridique incertaine . Contrairement aux DTA et DTADD, le code de l'urbanisme est muet sur la vocation éventuelle du SCoT à préciser les notions de la loi Littoral. En d'autres termes, le juge administratif peut librement continuer à imposer son interprétation, en dépit des spécifications du SCoT. En ce qui concerne les DTA, la marge de manoeuvre du juge est plus étroite puisque ces directives ont un pouvoir « d'adaptation à des particularités géographiques locales » reconnu par le Conseil constitutionnel sur le fondement d'une habilitation législative explicite.

En pratique, le SCoT n'a connu pour le moment qu'un succès mitigé sur le littoral , en dépit d'un principe contraignant de constructibilité limitée. Au 1 er janvier 2013, sur 1212 communes littorales, seulement 546 sont couvertes par un SCOT et 5 par un schéma directeur en cours de révision. L'administration a engagé une démarche pédagogique pour favoriser la mise en conformité des SCOT littoraux avec les dispositions de la loi Littoral, en prévoyant notamment un accompagnement financier pour les SCoT ruraux et une mobilisation du réseau des DDTM, recommandée par l'audit de 2012. Vos rapporteurs saluent cet effort mais il est encore trop tôt pour en mesurer l'impact réel.

LE PRINCIPE DE CONSTRUCTIBILITÉ LIMITÉE EN L'ABSENCE DE SCOT

En instaurant les SCoT, la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) a également posé un principe de constructibilité limitée, qui auparavant n'existait qu'en l'absence de plan d'occupation des sols (POS).

L'article L. 122-2 du code de l'urbanisme précise qu'en l'absence de SCoT, les communes situées à moins de quinze kilomètres de la périphérie d'une agglomération de plus de 50 000 habitants ou à moins de quinze kilomètres de la mer ne peuvent pas modifier ou réviser leur PLU en vue d'ouvrir à l'urbanisation une zone naturelle ou une nouvelle zone à urbaniser délimitée après le 1 er juillet 2002. Une dérogation peut être accordée par le préfet ou, jusqu'au 31 décembre 2016, par l'établissement public en charge du SCoT lorsqu'un schéma est en cours d'élaboration.

L'objectif de cette « règle des quinze kilomètres » est de développer la couverture territoriale en SCoT, en réduisant les possibilités d'urbanisation nouvelle pour les collectivités qui ne sont pas couvertes par ce document. Pour en renforcer la portée, le projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) prévoit son extension à l'élaboration des PLU et des cartes communales : en l'état actuel du droit, la règle des quinze kilomètres ne s'applique en effet qu'aux seules modifications de PLU existants.

c) L'approche intégrée : les schémas de mise en valeur de la mer et les documents stratégiques de façade

Avec plus de la moitié de ses articles concernant l'eau, la loi Littoral a entendu dès le départ s'inscrire dans la perspective d'une gestion intégrée de l'interface terre-mer. Les dispositifs mis en place n'ont toutefois pas eu les effets escomptés, en raison de difficultés de gouvernance : l'articulation entre un domaine public maritime qui relève de la compétence de l'État et la gestion de l'urbanisme qui relève de la compétence des collectivités peine à s'imposer. La situation pourrait néanmoins évoluer rapidement, avec la mise en place d'une Stratégie nationale de la mer et du littoral (SNML).

(1) Les schémas de mise en valeur de la mer

Les schémas de mise en valeur de la mer (SMVM) ont été introduits par la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État (loi Defferre) pour succéder aux schémas d'aptitude et d'utilisation de la mer (SAUM). Leur rôle a ensuite été renforcé par la loi Littoral. Ces documents définissent les conditions de compatibilité des usages sur une portion terre-mer : ils précisent et organisent la vocation des espaces concernés, arbitrent les conflits d'usages et proposent des mesures pour y remédier.

Élaborés par l'État , propriétaire et gestionnaire du domaine public maritime, ils lui permettent d'imposer des prescriptions, y compris sur les espaces terrestres attenants, dès lors qu'elles sont nécessaires à la préservation du milieu marin et littoral. Leur approbation par décret en Conseil d'État leur confère les mêmes effets juridiques qu'une DTA .

En pratique, l'État peine à élaborer ces schémas. Seulement quatre d'entre eux ont été approuvés sur les onze projetés : le bassin de Thau (1995), le bassin d'Arcachon (2004), le golfe du Morbihan (2006) et le Trégor-Goëlo (2007). Cet échec a été dénoncé par le sénateur Patrice Gélard qui, dans son rapport précité de 2004, suggère de simplifier la procédure d'adoption des SMVM et d'en modifier le pilotage.

En réponse à ces difficultés, l'article 235 de la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux (loi DTR) a décentralisé l'élaboration des SMVM et offert la possibilité d'intégrer dans les SCoT des « chapitres individualisés valant SMVM » . Leur approbation est également déconcentrée : le SMVM est approuvé par arrêté préfectoral après enquête publique. La loi maintient cependant en parallèle la possibilité d'élaboration des SMVM par l'État.

Ce nouveau dispositif ne rencontre pas davantage de succès que le précédent : seul le SCoT du bassin de Thau, en cours de révision, devrait comprendre un chapitre individualisé valant SMVM . Plusieurs raisons expliquent le manque d'appétence des élus pour cette formule :

- l'interface terre-mer pertinente pour l'élaboration d'un SMVM ne coïncide pas nécessairement avec le périmètre d'un SCoT ;

- les cabinets d'études sont incités à proposer une élaboration en deux temps, d'abord le SCoT puis le chapitre individualisé, afin de prolonger leur mission de conseil auprès des collectivités ;

- surtout, les élus ont une approche terrestre du littoral : ils sont moins habitués à traiter les questions relatives à la mer, perçues comme un facteur de complexité supplémentaire ;

- l'État est lui-même réticent à laisser les collectivités s'approprier la gestion du domaine public maritime : le chapitre individualisé lui sert de prétexte pour orienter l'élaboration du SCoT, ce qui suscite la méfiance des élus.

(2) Les documents stratégiques de façade

Dans le cadre de la politique maritime intégrée (PMI) et des démarches de gestion intégrée des zones côtières (GIZC), un mouvement d'ensemble se dessine désormais au niveau national et européen, susceptible d'entraîner un profond renouvellement de la gouvernance du littoral .

LA GESTION INTÉGRÉE DES ZONES CÔTIÈRES

Depuis le début des années 2000, se développent des initiatives en faveur d'une gestion intégrée des zones côtières (GIZC), issue de préconisations aussi bien internationales 17 ( * ) que communautaires 18 ( * ) .

Cette démarche tend à promouvoir la mise en oeuvre de politiques globales et coordonnées sur le littoral, notamment pour gérer les conflits d'usages à l'interface terre-mer . Il s'agit ainsi de rechercher une coordination des politiques sectorielles, de définir un périmètre d'action adapté et d'associer l'ensemble des acteurs concernés.

Cette modalité de gestion, dans laquelle les collectivités tiennent une place prépondérante, ne repose pas pour autant sur un outil institutionnel spécifique et se décline davantage au gré des projets locaux.

En France, le Grenelle de l'environnement et le Grenelle de la mer ont réaffirmé la nécessité de soutenir cette approche, en la replaçant dans une perspective nationale. La définition d'une Stratégie nationale de la mer et du littoral 19 ( * ) (SNML) est prévue pour 2014 . Révisée tous les six ans, elle doit ensuite être déclinée dans des documents stratégiques de façade (DSF) puis en documents stratégiques locaux, qui constituent le cahier des charges des projets de GIZC.

Le contexte actuel d'élaboration de la Stratégie nationale de la mer et du littoral (SNML) est favorable à la relance d'une politique intégrée d'aménagement du littoral. La mise en oeuvre des différents volets de la loi Littoral entre naturellement dans les thèmes traités par la SNML : l'article R. 219-1-1 du code de l'environnement reprend d'ailleurs peu ou prou les objectifs de la loi Littoral tels qu'ils figurent à l'article L. 321-1 du même code.

Vos rapporteurs se sont interrogés sur l'opportunité de confier aux futurs documents stratégiques de façade (DSF), le pouvoir de préciser et d'adapter les notions de la loi Littoral , à l'instar des anciennes DTA. En l'état actuel du dispositif, ils ne recommandent pas cette solution. Le Conseil maritime de façade est conçu comme une chambre de réflexion, et non comme une instance de décision. Lui confier l'élaboration de documents chargés d'interpréter la loi Littoral, à une échelle de gouvernance que personne ne maîtrise, laisse planer le risque que ces futurs DSF soient mort-nés.

En revanche, ils considèrent qu' il est aujourd'hui inévitable d'impliquer le Conseil national de la mer et des littoraux (CNML) dans la résolution des difficultés d'application de la loi Littoral . Chambre de réflexion et de concertation, ce dernier n'a pas vocation à jouer un rôle opérationnel dans l'élaboration des documents de planification stratégique, mais pourrait être sollicité en tant qu'arbitre. Sa composition garantit son impartialité.

LE CONSEIL NATIONAL DE LA MER ET DES LITTORAUX (CNML)

Le Conseil national de la mer et des littoraux (CNML) a été créé par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement (loi Grenelle II), en application des recommandations du Grenelle de la mer. Il est le successeur de l'ancien Conseil national du littoral (CNL), créé par la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux (loi DTR).

Le CNML est présidé par le Premier ministre ou, par délégation, par le ministre chargé de la mer. Il est composé à parité, d'une part, de membres du Parlement et de représentants des collectivités territoriales des façades maritimes de métropole et d'outre-mer, d'autre part, des représentants des milieux socioprofessionnels et de la société civile, représentatifs des activités et des usages du littoral .

Instance de réflexion stratégique, le CNML constitue un lieu de débats et d'échanges d'expériences, de concertation et d'observation. Il participe notamment aux travaux de prospective, d'observation et d'évaluation conduits sur le littoral, aux niveaux européen, national et interrégional.

Par rapport à l'ancien CNL, il dispose d'attributions plus étendues qui pourront lui permettre d'exercer une influence sensible. Le décret n° 2011-637 du 9 juin 2011 relatif aux attributions, à la composition et au fonctionnement du Conseil national de la mer et des littoraux lui confie notamment un rôle-clé de proposition auprès du Gouvernement : le CNML définit les objectifs et actions nécessaires pour l'aménagement, la protection et la mise en valeur de la mer et des littoraux, dans une perspective de gestion intégrée des zones côtières. Le CNML est ainsi le partenaire central de la concertation sur la stratégie nationale de la mer et du littoral (SNML).

Officiellement installé le 18 janvier 2013 , il n'a pas encore eu la possibilité de jouer un rôle décisif sur ce sujet.

3. Un retour à l'esprit initial de la loi : les chartes régionales d'aménagement du littoral

L'objectif de vos rapporteurs n'était pas de créer un nouveau dispositif, qui viendrait surcharger l'architecture des documents d'urbanisme. Néanmoins, après avoir analysé l'ensemble des possibilités, il semble qu' il manque toujours un outil d'interprétation de la loi Littoral qui permette de résoudre ses éventuelles difficultés d'application.

Ils proposent donc d' introduire des chartes régionales d'aménagement du littoral (CRAL) , qui ne sont rien d'autre qu'une version moderne des prescriptions régionales prévues en 1986. En d'autres termes, il s'agit de revenir à l'esprit initial de la loi Littoral , adoptée à l'unanimité sur la base d'un équilibre subtil construit autour de sa territorialisation.

Concrètement, ces chartes sont un document simple et isolé dont l'unique vocation est de décliner à l'échelle régionale l'interprétation de la totalité des dispositions particulières au littoral énoncées aux articles L. 146-1 à L. 146-9 du code de l'urbanisme. L'objectif est d'éviter que ces CRAL ne soient conditionnées à d'autres enjeux susceptibles d'en freiner l'adoption, comme c'est le cas, par exemple, pour le PADDUC.

Afin de ne pas créer de contrainte inutile, ce dispositif est optionnel : il ne s'impose en pratique que dans les territoires désirant s'en saisir, lorsque l'application de la loi Littoral est mal vécue par un nombre suffisant de communes qui y sont soumises. En revanche, pour en garantir l'effet utile, sa portée juridique doit être identique à celle d'une DTA : vos rapporteurs suggèrent que l'article L. 146-1 dispose explicitement que les CRAL « peuvent préciser les modalités d'application » des dispositions particulières au littoral.

L'élaboration et l'adoption de ces chartes sont nécessairement décentralisées . Il s'agit de responsabiliser les élus locaux qui sont eux-mêmes chargés de dialoguer et de proposer une réponse équilibrée aux difficultés qu'ils rencontrent. La connaissance du terrain est en effet un facteur-clé de succès en matière d'application de la loi Littoral, pour laquelle le principe de subsidiarité a depuis longtemps été perdu de vue.

En pratique, la procédure serait conduite sous la responsabilité du Conseil régional . Certes, le découpage administratif des régions ne correspond pas nécessairement aux grands ensembles territoriaux qui caractérisent le littoral, mais il présente le double avantage d'englober un périmètre suffisamment large pour une interprétation géographique et de s'appuyer sur une structure de gouvernance connue. En outre, il est raisonnable de penser que les régions sont aujourd'hui suffisamment mûres pour assumer ce rôle, alors que les services de l'État eux-mêmes s'organisent de plus en plus à l'échelon régional.

Cependant, pour conserver une interprétation cohérente de la loi Littoral et éviter toute dérive, vos rapporteurs préconisent un garde-fou à l'échelle nationale : ils suggèrent de confier ce rôle au Conseil national de la mer et des littoraux (CNML). Ce dernier ne serait en aucun cas chargé d'élaborer les CRAL, mais simplement d'arbitrer les conflits potentiels et les divergences d'interprétation.

LA PROCÉDURE D'ADOPTION DES CHARTES RÉGIONALES D'AMÉNAGEMENT DU LITTORAL PROPOSÉE PAR VOS RAPPORTEURS

L'élaboration des CRAL est mise en oeuvre par le conseil régional à son initiative ou lorsqu'il est saisi de cette demande par au moins 30 % des communes littorales de la région . Le conseil régional associe étroitement l'ensemble des acteurs concernés, au premier rang desquels figure l'État. Leur avis est également obligatoire avant que le projet ne soit soumis à enquête publique

Un mécanisme de délégation est prévu pour l'élaboration du projet de charte, afin de permettre de s'appuyer sur des structures déjà existantes, comme par exemple le groupement d'intérêt public (GIP) Littoral Aquitain.

La charte ne peut être approuvée que sur avis conforme du Conseil national de la mer et du littoral , qui joue le rôle d'un garde-fou impartial. Il permet notamment de conserver une vision d'ensemble, et le cas échéant d'harmoniser les chartes entre régions voisines ou appartenant à une même façade maritime. Le Conseil national de la mer et du littoral se prononce également sur la manière dont la charte s'articule avec les dispositions d'une directive territoriale d'aménagement (DTA) prescriptive, pour les communes concernées par une superposition de leurs périmètres respectifs.

Afin d'éviter tout enlisement, le projet de charte doit être présenté au Conseil national de la mer et du littoral dans un délai de trois ans suivant la décision de son élaboration . Une fois approuvée, la charte régionale d'aménagement est opposable aux documents d'urbanisme de rang inférieur (SCoT, PLU) dans un rapport de compatibilité.

Les chartes régionales d'aménagement sont soumises à évaluation environnementale. Elles sont également soumises aux dispositions du code de l'environnement relatives à la participation du public à l'élaboration des projets d'aménagement ou d'équipement ayant une incidence importante sur l'environnement ou l'aménagement du territoire.


* 16 La compatibilité se distingue de la conformité, en ce que la seconde implique un rapport de stricte identité, alors que la première se satisfait d'une non-contrariété.

* 17 Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement de Rio de Janeiro en 1992 et Sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg en 2002.

* 18 Recommandation européenne du 30 mai 2002, livre bleu d'octobre 2007, directive cadre « stratégie pour le milieu marin » du 17 juin 2008, lignes directrices pour une approche intégrée de la politique maritime du 26 juin 2008, conférence ministérielle du 8 octobre 2012 à Limassol.

* 19 Décret n° 2012-219 du 16 février 2012 relatif à la stratégie nationale pour la mer et le littoral et aux documents stratégiques de façade, codifié aux articles R. 219-1 et suivants du code de l'environnement.

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