Rapport d'information n° 384 (2013-2014) de Mme Hélène MASSON-MARET et M. André VAIRETTO , fait au nom de la commission du développement durable, déposé le 19 février 2014

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N° 384

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 février 2014

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire (1) sur la protection et la mise en valeur du patrimoine naturel de la montagne ,

Par Mme Hélène MASSON-MARET et M. André VAIRETTO,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Raymond Vall , président ; MM. Gérard Cornu, Ronan Dantec, Mme Évelyne Didier, MM. Jean-Jacques Filleul, Alain Houpert, Hervé Maurey, Rémy Pointereau, Mmes Laurence Rossignol, Esther Sittler, M. Michel Teston , vice-présidents ; MM. Pierre Camani, Jacques Cornano, Louis Nègre , secrétaires ; MM. Joël Billard, Jean Bizet, Vincent Capo-Canellas, Yves Chastan, Philippe Darniche, Marcel Deneux, Michel Doublet, Philippe Esnol, Jean-Luc Fichet, Alain Fouché, Mme Marie-Françoise Gaouyer, M. Francis Grignon, Mme Odette Herviaux, MM. Benoît Huré, Daniel Laurent, Mme Hélène Masson-Maret, MM. Jean-François Mayet, Stéphane Mazars, Robert Navarro, Charles Revet, Roland Ries, Yves Rome, Henri Tandonnet, André Vairetto, Paul Vergès .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire a bien voulu confier à vos deux rapporteurs, élus respectivement des Alpes-Maritimes et de la Savoie, la mission d'établir un rapport d'information relatif à la protection et à la mise en valeur du patrimoine naturel de la montagne.

Vos rapporteurs voudraient, en préambule, vous faire partager les grandes convictions qui ont porté leurs réflexions et leur travail tout au long de cette mission.

La première conviction est que ce patrimoine exceptionnel est bien évidemment la propriété des populations qui y vivent, travaillent et s'impliquent dans le développement des zones de montagne. Mais, justement parce que cette richesse est exceptionnelle, il est légitime de penser que ce patrimoine naturel peut être considéré comme un bien appartenant à la Nation tout entière.

C'est d'ailleurs ce qui ressort des propos tenus par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault lors de son discours d'ouverture du Conseil national de la montagne à Foix le 29 avril 2013 : « A travers la beauté de ses paysages, mais aussi parce qu'elle est associée à des valeurs fortes, la montagne habite notre imaginaire collectif. Les paysages, je n'en dirai pas un mot car ils sont là, tout autour de nous. Quant aux valeurs, j'ai à l'esprit : la solidarité, la persévérance et le sens de l'effort. Valeurs immémoriales des montagnards. Auxquelles il faut ajouter leur attachement à un développement respectueux de la nature ».

La deuxième conviction de vos rapporteurs est que, par son souci de concilier le développement et la protection de la montagne, la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 dite « loi Montagne » ou « loi Besson », du nom de son principal inspirateur, constitue un texte précurseur du développement durable, plus de vingt avant le « Grenelle de l'environnement » et les textes législatifs qui en sont issus.

Lors d'un précédent Conseil national de la montagne à Paris le 3 novembre 2009, un autre Premier ministre, François Fillon, déclarait à propos de cette loi Montagne : « Je crois qu'on peut dire qu'au fil des ans, elle est devenue un texte de référence. Elle a posé le principe d'une évolution progressive de la société montagnarde dans le respect de sa culture et de son identité. Elle a élevé le développement équitable et durable des territoires de montagne au rang d'objectif d'intérêt national ».

La troisième conviction de vos rapporteurs est que ce patrimoine naturel est fragile, en dépit de l'impression de solidité immuable donnée par les montagnes, et sera spécialement sensible aux effets du changement climatique, dont les répercussions sont particulièrement dommageables en altitude.

Pour définir le périmètre du présent rapport d'information, vos rapporteurs ont jugé opportun de s'intéresser, dans un premier temps, à la richesse en termes de biodiversité de cet environnement montagnard, mais aussi aux risques qui lui sont inhérents, ainsi qu'aux outils permettant sa protection, parmi lesquels la Trame verte et bleue, les zones Natura 2000, ou encore les parcs nationaux et les parcs naturels régionaux.

Dans un deuxième temps, ils se sont préoccupés de la situation de l'agriculture et de la forêt de montagne, qui sont des parties intégrantes et humanisées de ce patrimoine, ainsi que de la problématique de l'eau, particulièrement abondante en montagne.

Enfin, il leur est apparu que le tourisme était une activité économique fondée très directement sur la mise en valeur du patrimoine naturel de la montagne. Car ce que les touristes viennent chercher en séjournant en altitude, c'est d'abord la qualité des paysages et une variété de loisirs sportifs en plein air.

En traitant ces différents thèmes relatifs au patrimoine naturel de la montagne, vos deux rapporteurs ont en permanence gardé en mémoire le questionnement qui se trouve au coeur de la loi Montagne de 1985 : comment concilier protection et développement ? Ils lui ont adjoint, comme un deuxième fil conducteur, une préoccupation nouvelle apparue depuis, et qui se trouve au coeur des lois Grenelle I et Grenelle II de 2009 et 2010 : comment préparer la nécessaire adaptation au changement climatique ?

Pour amorcer leur réflexion, vos rapporteurs ont pu s'appuyer sur le rapport de la mission commune d'information sénatoriale chargée, en 2002, de dresser un bilan de la loi Montagne, dont le président était Jacques Blanc et le rapporteur Jean-Paul Amoudry.

Intitulé « L'avenir de la montagne - Un développement équilibré dans un environnement préservé », ce document de référence rassemble des analyses de toutes les problématiques propres aux zones de montagnes, dont beaucoup sont toujours pertinentes aujourd'hui, et formule de nombreuses propositions, dont certaines demeurent encore à appliquer.

Ils ont pu s'appuyer, également, sur un autre rapport d'information sénatorial consacré, en 2011, par Jacques Blanc aux aspects communautaires du sujet et intitulé « Pour une politique européenne de la montagne », ainsi que sur de nombreux autres travaux de sources parlementaires ou administratives 1 ( * ) . Ils veulent faire une mention spéciale du rapport publié par l'association nationale des élus de montagne (ANEM) en 2007, et intitulé « Au-delà du changement climatique, les défis de l'avenir de la montagne ».

Pour alimenter leur réflexion, vos rapporteurs ont aussi entendu, au cours d'auditions tenues au Palais du Luxembourg et de trois déplacements à Nice, Bruxelles et Chambéry, plus d'une soixantaine de personnes, toutes qualifiées pour évoquer les sujets traités dans le présent rapport d'information : parlementaires ; élus locaux ; universitaires ; fonctionnaires nationaux, territoriaux et européens ; représentants d'organisations professionnelles, de fédérations et d'associations les plus diverses.

Vos deux rapporteurs souhaitent partager l'aboutissement de leur travail dans le présent rapport d'information, dont les propositions pourront alimenter la réflexion de tous ceux qui s'intéressent à ou se passionnent pour la montagne. Ils espèrent, également, que le législateur pourra y puiser d'utiles mesures ou pistes de réformes, afin de préserver et mettre en valeur ce patrimoine naturel exceptionnel.

La montagne française : Carte des massifs

(France métropolitaine)

Source : DATAR, Atout France

I. UN ENVIRONNEMENT D'ALTITUDE À LA FOIS FRAGILE ET EXIGEANT

A. LES EFFETS ACCENTUÉS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

1. L'amplitude confirmée du réchauffement climatique

Depuis le « Sommet de la Terre » de Rio de Janeiro en 1992, qui a donné naissance à la convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique, le réchauffement de la planète a cessé d'être purement une question d'étude scientifique ou une affaire d'opinions, pour devenir un sujet de préoccupation très largement partagé par l'ensemble de la communauté internationale. Les travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), créé en 1988 à la demande du G7, ont contribué à cette prise de conscience. Depuis deux décennies, ses rapports d'évaluation, parus successivement en 1990, 1995, 2001 puis 2007, ont rythmé les négociations internationales sur le climat.

Le 27 septembre 2013, le GIEC a rendu public le premier volume de son cinquième rapport d'évaluation du changement climatique, que Jean Jouzel, climatologue, glaciologue et vice-président français du GIEC, est venu présenter le 2 octobre suivant devant la commission du développement durable du Sénat.

Lors de son audition, Jean Jouzel a d'abord souligné les multiples indices de la réalité du phénomène : « Le réchauffement du système climatique est sans équivoque, et depuis 1950 les changements observés sont sans précédent. L'atmosphère et l'océan se sont réchauffés. L'étendue et le volume des neiges et des glaces ont diminué, et le niveau de la mer s'est élevé. Ce diagnostic est très clair. Bien sûr, ce n'est pas année après année que le climat se réchauffe. L'unité de temps est au moins la décennie. La dernière a été de loin la plus chaude, même si le réchauffement s'est ralenti dernièrement - ce qui ne remet aucunement en cause notre diagnostic.

« Les indices du réchauffement sont nombreux : l'accumulation de chaleur dans l'océan de surface, sur une épaisseur de 70 mètres ; les variations, dans l'hémisphère nord, de la couverture de neige, qui a diminué en quelques décennies d'au moins trois millions de kilomètres carrés - soit quatre à cinq fois la surface de la France - malgré des fluctuations annuelles ; la diminution de la superficie de la banquise dans l'océan arctique, qui a atteint un minimum en 2007, avec 3,7 millions de kilomètres carrés, et est remontée depuis au-dessus de 5 millions de kilomètres carrés, ce qui ne doit pas masquer une tendance à la décroissance.

« Mais le plus parlant est sans doute l'élévation du niveau de la mer, résultat de deux phénomènes qui découlent eux-mêmes du changement climatique : la fonte des glaciers et le réchauffement (donc la dilatation) de l'océan. Le rythme actuel est de trois millimètres par an, dont 40 % viennent du Groenland et de l'Antarctique de l'Ouest, 20 % à 30 % des glaciers continentaux, le reste étant dû à l'expansion thermique. »

Le vice-président du GIEC a, ensuite, confirmé l'origine humaine du réchauffement climatique : « Lorsque nous disons qu'il faut agir aujourd'hui pour prévenir une catastrophe après 2050, nous sommes peu écoutés. Ce qui intéresse, c'est de savoir si le réchauffement actuel est lié à l'activité humaine. Le débat n'est pas clos. Chaque rapport le reprend. En 1990, on ne savait pas répondre. En 1995, nous estimions à une sur deux la probabilité pour que le réchauffement soit dû aux activités humaines, et le simple fait de le dire a eu un rôle considérable dans la mise sur pied du protocole de Kyoto en 1997. En 2001, la probabilité est passée à deux tiers, et à neuf sur dix en 2007. Notre diagnostic actuel est très clair : il y a plus de 95 % de chances que le réchauffement des cinquante dernières années soit dominé par les activités humaines. »

Enfin, Jean Jouzel a évoqué les différents scénarios d'évolution du réchauffement climatique : « Pour construire des projections climatiques, nous avons besoin de savoir comment l'effet de serre évoluera. Nous nous sommes donc tournés vers les économistes, qui ont produit différents scénarios plus ou moins émetteurs, que nous avons utilisés. Mais ils n'ont pu nous fournir un scénario qui réponde aux objectifs de restriction des émissions inscrits dans la convention climat. Nous sommes partis de quatre scénarios stabilisant l'effet de serre ; le plus émetteur aboutit à un réchauffement de 4,8 degrés à la fin du siècle. Il faut savoir que 4 degrés en moyenne globale correspondent à 5 degrés sur les continents, et 7 ou 8 degrés dans les régions polaires du Nord. Le scénario le moins émetteur permet de limiter à moins de 2 degrés le réchauffement climatique. Évidemment, si nous atteignons 4 degrés à la fin du siècle, le réchauffement continuera ensuite. Certaines simulations aboutissent à 10 degrés de plus en 2300. »

Le changement climatique est donc une réalité qui ne fait aucun doute pour la communauté scientifique, même si le débat se poursuit en son sein quant à son rythme et à ses causes. L'origine « anthropique » du phénomène est certainement prépondérante. Le déploiement des activités humaines depuis deux siècles, à mesure que la révolution industrielle s'est intensifiée et généralisée, s'est traduit par une combustion croissante des énergies fossiles, entraînant la libération massive du carbone jusque-là emprisonné, depuis des millions d'années, dans les profondeurs géologiques.

Des causes naturelles diverses jouent sans doute également, pouvant expliquer des variations du rythme du réchauffement climatique, voire des inversions de tendance sur plusieurs décennies. Comme le réchauffement global s'accompagne de perturbations climatiques localisées, qui prennent parfois la forme de refroidissements, il peut sembler plus approprié de parler de changement  climatique. Mais ce dernier terme ne doit pas masquer le fait que le sens général de l'évolution du climat planétaire est bien celui d'une élévation inexorable des températures du globe, que celles-ci soient mesurées au niveau de l'atmosphère, des continents ou des océans.

2. La sensibilité particulière des zones de montagne

Le rapport de l'ANEM de 2007 sur le changement climatique et ses répercussions dans les zones de montagne rappelle pourquoi celles-ci y sont particulièrement sensibles.

D'une part, le relief de la montagne participe à la fragmentation des massifs en différentes zones climatiques, le déplacement des masses d'air dans les vallées favorisant l'apparition de microclimats.

Par ailleurs, les massifs de montagne jouent le plus souvent le rôle de frontières climatiques. Ainsi, par leur localisation au coeur du continent européen, les Alpes se trouvent à la frontière de divers climats océaniques, méditerranéens ou continentaux, et subissent des influences multiples. Cela vaut également pour les Pyrénées, pour le Massif central, pour le Jura, comme d'ailleurs pour beaucoup d'autres massifs situés ailleurs en Europe ou dans le monde.

Sur le plan de la biodiversité, ces spécificités climatiques contribuent au morcellement des habitats naturels et à la sensibilité des écosystèmes montagnards. Ces derniers présentent une très grande diversité d'espèces, aux spécificités très marquées du fait de leur adaptation aux conditions extrêmes de la montagne. Elles occupent autant de niches écologiques directement menacées par l'évolution du climat.

Du fait de cette sensibilité, les montagnes fournissent des terrains intéressants pour la détection précoce et l'étude des signaux du changement climatique et de ses impacts. À cet égard, la fonte des glaciers de montagne est emblématique.

Ces études montrent, d'ailleurs, que les montagnes subissent le changement climatique de manière accrue par rapport à la tendance moyenne du réchauffement mondial. Ainsi, pour les Alpes, une étude de 2006 montre que les fluctuations des températures suivent celles de la moyenne globale, mais avec une plus forte amplitude : le réchauffement y serait de 1,5°C depuis le début du siècle, soit deux fois plus que le réchauffement mondial, évalué par cette étude à 0,6°C.

3. Les impacts prévisibles sur l'environnement montagnard

Les massifs français subissent d'ores et déjà les premiers effets du changement climatique : ainsi, une augmentation moyenne de la température de 1,63°C entre 1950 et 2007 a été enregistrée pour les montagnes de Savoie.

Les modèles projettent une augmentation de température dans les Alpes d'ici à 2100 comprise entre 2,6 et 3,9°C. Le réchauffement pourrait être significativement plus élevé en haute montagne, pour atteindre +4,2°C au-dessus de 1 500 mètres d'altitude.

D'une manière générale, ce réchauffement va se traduire par un décalage, vers le haut, des différents étages de végétation en montagne : collinéen, en dessous de 900 mètres ; montagnard, entre 900 et 1 600 mètres ; subalpin, entre 1 600 et 2 300 mètres ; alpin, entre 2 300 et 3 000 mètres, nival au-dessus de 3 000 mètres.

C'est donc l'ensemble des écosystèmes de la montagne qui va se mouvoir vers le haut, de même que certaines populations animales et végétales auront tendance à se déplacer vers le Nord, pour retrouver des conditions climatiques plus proches de celles auxquelles elles sont habituées. Mais, les différentes espèces de faune et de flore en montagne étant très spécialisées sur leurs niches écologiques, et pas forcément très mobiles, c'est leur survie même qui pourrait être mise en cause. D'autant plus que le changement climatique favorise l'apparition d'espèces invasives, plus concurrentielles, qui se répandent aux dépens des espèces autochtones spécialement adaptées aux conditions actuelles des écosystèmes montagnards.

En ce qui concerne l'agriculture de montagne et le pastoralisme, le changement climatique n'aurait pas que des conséquences négatives. En effet, l'augmentation des températures et de l'ensoleillement laisse augurer une augmentation de la biomasse végétale, encore renforcée par un allongement de la période végétative à la belle saison. Mais la probabilité de périodes de sécheresses plus marquées et prolongées pourrait jouer en sens inverse, en réduisant les quantités de fourrage disponibles.

Enfin, la hausse des températures en montagne impliquera une diminution du couvert neigeux, à la fois du fait de moindres chutes de neige et d'une fonte accélérée. Le retrait des glaciers depuis le début du siècle dernier est un phénomène bien documenté.

B. DES RISQUES NATURELS À MAÎTRISER

1. L'augmentation des risques liés au changement climatique

De manière générale, la recrudescence des risques liés au changement climatique ne fait pas de doute, même si des incertitudes sur leur intensité et leur fréquence demeurent. Nombre d'événements climatiques extrêmes devraient se multiplier : cyclones, tornades, tempêtes et pluies violentes. Or, l'ampleur et l'impact de ces phénomènes violents sont aggravés lorsqu'ils touchent des zones de montagne.

Par ailleurs, il existe des risques liés au changement climatique plus spécifiques à la montagne. En effet, les reliefs pentus favorisent les phénomènes gravitaires à cinétique rapide et de forte intensité.

Ainsi, le réchauffement du climat va entraîner des changements dans l'intensité et la saisonnalité des avalanches (en particulier celles de neige humide, qui ont lieu en général au printemps, mais de plus en plus tôt dans la saison), des crues torrentielles (en particulier des crues de fonte des neiges), des chutes de blocs et des glissements de terrain superficiels.

La haute montagne pourrait voir une recrudescence des risques d'origine glaciaire et périglaciaire : chutes de séracs, voire rupture de glaciers (c'est-à-dire passage brutal d'un régime thermique froid à un régime tempéré), vidanges de lacs ou de poches d'eau glaciaires. Le réchauffement des terrains à pergélisol risque de se traduire par des éboulements sur les parois rocheuses, ou la déstabilisation de glaciers rocheux.

En saison chaude, l'accroissement des sécheresses et canicules impliquerait une augmentation des risques de feux de forêt, qui sont particulièrement difficiles à maîtriser en montagne, car le relief complique l'intervention des secours, voire la rend impossible.

2. La politique de restauration des terrains en montagne

La politique de restauration des terrains en montagne est née au milieu du XIX ème siècle, à une époque où les surfaces cultivées avaient atteint en France leur maximum d'extension, les surfaces boisées étant, par conséquent, réduites à leur minimum historique. Or, la disparition du couvert forestier dans les zones de montagne, qui accélère l'érosion et l'écoulement des eaux, avait fini par rendre plus fréquentes et par amplifier les catastrophes naturelles.

La loi de 1882 sur la restauration des terrains de montagne a fondé le dispositif actuel, en instituant les « périmètres RTM », qui sont des zones expropriables par l'État. Sur les zones effectivement expropriées, dites « séries RTM », des boisements sont alors mis en place, renforcés par des ouvrages de protection. On recense aujourd'hui environ 20 000 ouvrages à entretenir.

Le service RTM a longtemps été exercé directement par l'État, à travers l'administration des Eaux-et-Forêts. Il est confié depuis 1996 à l'Office national des forêts (ONF), qui l'assure pour le compte de l'État.

Le rapport d'information sénatorial de 2002 sur le bilan de la loi Montagne s'inquiétait déjà de l'érosion constante des crédits budgétaires consacrés au RTM, qui avaient atteint en 2001 un niveau de 15,6 millions d'euros en entretien et 3,4 millions d'euros en investissement. La proposition n° 10 de ce rapport consistait donc à « s'engager sur une hausse raisonnable des crédits d'entretien et d'investissement RTM ».

Vos rapporteurs relèvent que ce souhait n'a guère été entendu, puisque les crédits RTM sont tombés, à la fin de 2011, à un très bas niveau de 8 millions d'euros, dont 4,5 millions d'euros apportés par l'État à l'ONF et 3,5 millions d'euros autofinancés par l'Office.

Cette situation n'était pas admissible, s'agissant d'une mission régalienne exercée par l'ONF pour le compte de l'État, qui doit donc, par principe, lui être intégralement compensée. À la suite de de nombreux rapports dénonçant ce fait, le contrat d'objectifs entre l'État et l'ONF pour la période 2012-2016 est venu réaffirmer le principe d'un financement à 100 % budgétaire.

Simultanément, le montant des crédits RTM a été relevé au niveau de 10 millions d'euros dans la loi de finances pour 2012, à raison de 5 millions d'euros imputés sur le budget de l'agriculture et 5 millions d'euros imputés sur le budget de l'écologie.

Hélas, vos rapporteurs doivent constater que la lente érosion des crédits RTM a repris son cours dès l'année suivante, puisque, si la loi de finances pour 2013 maintient la dotation à l'ONF en provenance du budget de l'agriculture au niveau de 5 millions d'euros, elle réduit celle en provenance de l'écologie à 3,5 millions d'euros.

Toutefois, tenant compte d'un contexte budgétaire plus tendu aujourd'hui qu'il y a dix ans, vos rapporteurs ne plaideront pas pour une « hausse raisonnable » des crédits RTM, comme leurs prédécesseurs de 2002, mais du moins pour leur maintien.

Proposition n°1 : compte tenu des baisses récurrentes enregistrées, maintenir les crédits alloués à l'ONF pour la restauration des terrains en montagne (RTM), a minima, au niveau de ceux déjà alloués.

3. La nécessité d'optimiser les plans de prévention des risques naturels en montagne
a) Le contenu et les limites des PPRN

Créé par la loi n° 87-565 du 22 juillet 1987 relative à l'organisation de la sécurité civile, à la protection de la forêt contre l'incendie et à la prévention des risques majeurs, le plan de prévention des risques naturels (PPRN) a pour objet de délimiter les zones directement exposées à des risques, et d'autres zones qui ne sont pas directement exposées, mais où certaines occupations ou certains usages du sol pourraient aggraver des risques ou en provoquer de nouveaux.

Les documents d'urbanisme étant tenus de prendre en compte les risques naturels, les PPRN constituent autant de servitudes d'utilité publique, s'imposant à tous. En conséquence, ils doivent être annexés aux plans locaux d'urbanisme.

En ce qui concerne le contenu et la portée du PPRN, le préfet peut délimiter les zones exposées ou non directement exposées aux risques naturels, comme les couloirs d'avalanche, et y définir les interdictions ou surtout les conditions de réalisation, d'utilisation ou d'exploitation de nouvelles constructions (renforcement des constructions, obstruction d'ouvertures exposées, renforcement de toiture, interdiction de dépôts de matériaux, occupations temporaires). Il peut également définir des mesures de prévention (maintien du couvert forestier), de protection (réalisation d'un ouvrage), et de sauvegarde (dispositif d'alerte et d'évacuation) à prendre par les particuliers et les collectivités territoriales.

Lors de la parution du rapport sénatorial de 2002 sur le bilan de la loi Montagne, la couverture des zones de montagne était encore insuffisante, puisque, sur les 3 300 PPRN approuvés et les 5 000 autres en cours d'élaboration au plan national à l'époque, seules 600 PPRN approuvés et 500 autres en cours d'élaboration concernaient des communes de montagne. Aujourd'hui, la situation s'est un peu améliorée, puisque les chiffres correspondants sont, parmi l'ensemble des communes classées de montagne ou de haute-montagne (dans 48 départements différents) : 1 687 PPR approuvés et 437 PPR en cours (rapportés à des chiffres nationaux pour 2013 de 9 575 PPRN approuvés et 3 616 PPRN en cours d'élaboration au 1 er août 2013). Mais la couverture des zones de montagne est encore loin d'être aussi complète que l'importance et la multiplicité des risques en altitude le justifieraient.

À la différence de pays voisins comme la Suisse et l'Italie, où la décision d'établir des documents analogues aux PPRN relève le plus souvent du niveau communal, cantonal ou parfois régional, la France a fait le choix d'une procédure de définition des PPRN contrôlée par l'État. C'est ce dernier qui conserve la responsabilité première de « dire le risque » et d'en déterminer le niveau acceptable, puis d'en déduire les zonages et les préconisations qui en découlent. Contrairement à son homologue suisse ou italien, le maire français d'une commune de montagne n'est pas en situation d'arbitrer lui-même le risque acceptable pour son territoire.

Certes, la procédure d'élaboration des documents techniques associés aux PPRN doit respecter les règles de concertation de droit commun en matière d'urbanisme : enquête publique, consultation des collectivités et d'autres organismes. La circulaire Borloo du 3 juillet 2007 « relative à la consultation des acteurs, la concertation avec la population et l'association des collectivités territoriales dans les plans de prévention des risques naturels prévisibles », demande bien aux services de l'État davantage de concertation à toutes les étapes de l'élaboration du PPRN, mais elle n'a pas valeur législative et demeure susceptible d'une application différente d'une commune à l'autre.

Mais en pratique, les différents acteurs s'enferment trop souvent dans un jeu de rôles stérile entre un État soucieux de faire prévaloir une conception extensive du risque assortie de zonages intangibles, au nom du souci de la sécurité publique et du principe de précaution, et des collectivités et des acteurs locaux soucieux de réalisme et de souplesse, au nom de la conservation d'une possibilité d'aménagement et de développement territoriaux. Les positions des uns et des autres se crispent rapidement, et les divergences de vues sont parfois renvoyées devant les juridictions administratives pour être tranchées.

L'exemple des « zones jaunes » liées au risque d'avalanche tricentennal

Un débat emblématique de ce jeu de rôles, et des crispations qu'il induit, est relatif aux « zones jaunes » : il s'agit des périmètres, déterminés en fonction du risque tricentennal d'avalanche, que l'administration a souhaité définir dans une logique de protection civile. Ces nouvelles « zones jaunes » sont intégrées à la cartographie des PPRN et viennent, ainsi, se surimposer à la distinction classique entre « zones bleues », à faible niveau de risques et librement constructibles, et « zones rouges », à niveau de risques plus élevé, qui sont assorties d'interdictions ou de limitations de constructibilité.

Bien que l'administration ait pris la précaution de préciser que ces nouvelles « zones jaunes » demeureraient sans incidence sur la constructibilité et la délivrance des permis de construire, l'incertitude juridique liée aux contentieux potentiels semble majeure : le juge pourra toujours reprocher au maire de ne pas avoir pris en compte cet aléa, dès lors qu'il est signalé par l'administration.

Les élus de montagne sont opposés au principe même de ces « zones jaunes », qui leur semblent à la fois surprotectrices et irréalistes, en ce qu'elles prennent en compte un risque tricentennal aussi exceptionnel qu'imprévisible, tandis que l'État demeure campé sur sa position d'unique autorité chargée de « dire le risque ».

Proposition n° 2 : Réexaminer le principe des « zones jaunes » (déterminées en fonction du risque tricentennal d'avalanche) en conservant l'aléa centennal de référence actuel.

b) L'encouragement à une approche collective, participative et partenariale pour la définition des risques acceptables

Compte tenu à la fois de la multiplicité et de la dangerosité des phénomènes naturels en montagne, susceptibles d'effets cumulés, mais aussi des besoins inhérents au maintien de la possibilité d'un développement local durable, il apparaît nécessaire d'encourager l'émergence de nouvelles stratégies territoriales de prévention des risques.

Ces stratégies devraient s'inscrire dans des processus davantage participatifs, associant les différents acteurs : élus, services de l'État, société civile. Elles devraient aussi recourir à des approches « objectivables », reposant sur une analyse multicritères et socioéconomique des risques, qui croiserait l'état des connaissances scientifiques relatives aux aléas et à la vulnérabilité d'un territoire, avec une vision politique et stratégique du développement territorial. C'est au regard de l'ensemble de ces éléments, présentés de manière transparente, que pourra naître un processus de définition du risque acceptable par tous les acteurs.

Par ailleurs, si elle est suffisamment ouverte à la société civile, cette réflexion sur l'acceptabilité des risques en montagne, forcément plus grande qu'en zone de plaine, pourra alimenter la culture locale du risque et sensibiliser davantage les populations. Ce dialogue local devrait être engagé dès les premières phases d'élaboration des PPRN, ou des documents d'urbanisme.

Proposition n°3 : encourager, par le dialogue local, une définition davantage collective, participative et partenariale des risques acceptables sur les territoires de montagne, dans une approche soutenable à la fois pour l'État et pour les collectivités.

c) L'explicitation des scénarios de risques sous-jacents aux PPRN

La loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile rend obligatoire l'élaboration d'un plan communal de sauvegarde (PCS) pour toutes les communes soumises à un PPRN, l'analyse des risques contenues dans le premier étant faite sur la base des informations fournies par le second.

Or, dans la plupart des cas, les informations contenues dans les notes de présentation des PPRN ne permettent pas de préconiser directement des mesures opérationnelles pouvant être inscrites dans les PCS, car les scenarios de risques pris en compte pour déterminer les zonages et les prescriptions du PPRN ne sont pas suffisamment décrits.

Les maires des communes de montagne sont donc demandeurs des connaissances et des outils d'aide à la décision qui leur permettraient d'anticiper ou de gérer l'événement redouté, et de prendre les décisions pertinentes en situation de crise. En effet, les PPRN sont précis dans leurs zonages et leurs préconisations en matière d'urbanisme, mais n'offrent qu'une vision statique des phénomènes de référence, le plus souvent centennaux. Les conditions de survenue possible de ces phénomènes (pluviométrie, nivologie) ne sont pas explicitées.

Pourtant, le fait de préciser les scenarios pris en compte permettrait un dialogue plus constructif entre l'État et les collectivités, sur la base d'éléments d'une expertise enfin partagée de manière pédagogique, enfin susceptible d'être appréhendée et bien acceptée par les acteurs du territoire. Cette amélioration du lien entre PPRN et PCS contribuerait à la qualité du dialogue et est souhaitable pour parvenir à une définition collective des risques acceptables. De surcroît, cette mesure permettrait d'apporter des éléments pratiques d'aide à la décision pour les maires dans le cadre de l'exercice de leurs pouvoirs de police en cas de crise.

Proposition n° 4 : compléter la carte d'aléas des PPRN par des scenarios de risques plus explicites et détaillés, associés à des seuils d'alerte ainsi qu'à des mesures concrètes à prendre pour la mise en sécurité des personnes.

d) L'élargissement du périmètre des PPRN à l'échelon intercommunal

Actuellement, les PPRN multirisques, seuls outils réellement pertinents en zone de montagne, sont réalisés dans les limites du périmètre communal, à la différence des PPRN inondations, qui sont réalisés à une échelle intercommunale correspondant de manière mieux adaptée à la notion de bassin versant. De ce fait, dans le cadre de l'élaboration des SCoT ou de toute autre démarche d'aménagement à l'échelle intercommunale, les élus sont confrontés à une mosaïque hétérogène de PPRN, dont la réalisation a été confiée à des bureaux d'études différents et à des périodes diverses.

Cette situation entraîne des difficultés, voire une impossibilité dans certains cas, d'utiliser les zonages existants à une échelle intercommunale, car ils ne permettent pas de comparer l'exposition au risque de sites à cheval sur des communes limitrophes.

Par ailleurs, cette absence de vision intercommunale ne permet pas de faire des choix d'aménagement intercommunaux, au regard des risques, en planifiant l'affectation des installations non pas en fonction de la seule disponibilité foncière, mais aussi en fonction de la sensibilité des installations ou aménagements à tel ou tel phénomène naturel susceptible de survenir sur ce même territoire intercommunal.

Proposition n° 5 : permettre des choix d'aménagement intercommunaux à partir d'une définition élargie des périmètres d'étude des PPRN mieux adaptée pour une utilisation à l'échelle intercommunale.

e) Le renforcement du lien entre connaissance scientifique et gestion opérationnelle des risques

Enfin, vos rapporteurs estiment qu'il conviendrait de renforcer les liens entre les activités de recherche sur les risques en montagne, impliquant les compétences pluridisciplinaires des laboratoires, et les activités opérationnelles et décisionnelles de prévention et de gestion de ces risques.

Dans le domaine de la connaissance des phénomènes générateurs de risques, il s'agirait de développer des dispositifs hybrides scientifiques et opérationnels permettant de multiplier les sites d'observation et d'acquisition des données. Au travers de modalités communes d'instrumentation bénéficiant de financements mutualisés, certains dispositifs pourraient associer une démarche de développement des connaissances portée par les scientifiques (acquisition de données, observations, modélisations) et une action préventive portée par les opérateurs techniques, experts et gestionnaires (surveillance et alerte).

Dans le domaine de l'analyse de la gestion publique et collective des risques, il s'agirait de développer des projets de recherche et des actions visant à améliorer les processus et les modes de gouvernance des risques par l'apport de nouvelles méthodes d'analyse, d'évaluation et de diagnostic (approches multicritères, évaluations socio-économiques, outils d'aide à la décision).

Le caractère hybride de ce type de dispositifs permettrait de favoriser un transfert de connaissances scientifiques et techniques de l'amont vers l'aval, de renforcer les collaborations et de multiplier les opportunités d'observations.

Proposition n° 6 : favoriser le transfert de connaissances, de méthodes et d'outils, de la recherche scientifique vers la gestion opérationnelle des risques.

II. DES OUTILS DE PROTECTION DU PATRIMOINE NATUREL MONTAGNARD MULTIPLES ET EFFICACES

A. LES DISPOSITIFS GÉNÉRAUX

1. L'insertion des zones de montagne dans la Trame verte et bleue
a) Les objectifs de la Trame verte et bleue

La Trame verte et bleue est l'une des mesures phares du « Grenelle de l'environnement » qui s'est déroulé en 2007. Elle a pour ambition d'enrayer le déclin de la biodiversité en reconstituant un réseau écologique cohérent afin de permettre aux espèces animales et végétales de circuler, de s'alimenter, de se reproduire, de se reposer... En d'autres termes, d'assurer leur survie.

Concrètement, elle vise à la préservation et à la restauration des « continuités écologiques » qu'elle répertorie pour constituer un réseau, à l'échelle du territoire national, composé à la fois d'espaces terrestres et de cours d'eau (d'où l'appellation de « Trame verte et bleue »), qui comprend des « réservoirs de biodiversité » reliés entre eux par des « corridors écologiques » :

- les réservoirs de biodiversité sont des espaces dans lesquels la biodiversité est la plus riche, ou la mieux représentée, où les espèces peuvent accomplir leur cycle de vie et où les habitats naturels peuvent remplir leurs fonctions en ayant une taille suffisante. Ainsi définis, les réservoirs de biodiversité abritent des noyaux de populations d'espèces à partir desquels les individus se dispersent, ou sont susceptibles de permettre l'accueil de nouvelles populations d'espèces. De manière prioritaire, ils comprennent tous les espaces protégés, mais aussi tous les espaces naturels importants pour la préservation de la biodiversité ;

- les corridors écologiques sont des espaces linéaires ou discontinus qui assurent des connexions entre les réservoirs de biodiversité, en offrant aux espèces des conditions favorables à leurs déplacements et à l'accomplissement de leur cycle de vie.

b) Une articulation en trois niveaux

La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite « loi Grenelle II », précise l'organisation de la Trame verte et bleue, qui s'articule en trois niveaux successivement emboités :

- au niveau national, les « orientations nationales pour la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques » ont été élaborées et viennent d'être approuvées par le décret en Conseil d'État n° 2014-45 du 20 janvier 2014. Les documents de planification et les projets relevant de ce niveau, notamment les grandes infrastructures linéaires de l'État et de ses établissements publics, doivent être compatibles avec ces orientations nationales ;

- au niveau régional, l'État et les régions sont engagés dans la co-élaboration des « schémas régionaux de cohérence écologique » (SRCE), qui doivent tenir compte des orientations nationales et devraient tous aboutir d'ici 2015 ;

- au niveau local, les documents de planification et les projets des collectivités territoriales, comme ceux de l'État, doivent prendre en compte les SRCE. En application de cette obligation, les initiatives locales se multiplient et les SCoT ou PLU sont de plus en plus nombreux à intégrer l'enjeu des continuités écologiques lors de leur adoption ou révision.

c) Une insertion de la montagne essentielle mais parfois délicate

En principe, les zones de montagne apparaissent comme un élément essentiel de la Trame verte et bleue, dans la mesure où elles abritent une richesse en biodiversité supérieure à celle de la plupart des autres zones du territoire et où elles sont en général moins peuplées, donc moins soumises à la « pression anthropique ». Elles sont ainsi de nature à abriter en grand nombre des réservoirs de biodiversité, à la fois vastes et très diversifiés, riches d'espèces menacées ou endémiques.

Mais, en pratique, les territoires de montagne ne s'insèrent pas si facilement dans la Trame verte et bleue. En effet, celle-ci a été conçue pour préserver la biodiversité dans des territoires urbains ou ruraux très fortement marqués par la présence de l'homme. Or la logique de continuité écologique, qui relie des réservoirs de biodiversité par des corridors de biodiversité, n'est pas vraiment adaptée aux zones de montagne.

La question des corridors se pose essentiellement pour ceux qui relient les sous massifs, en traversée de certaines vallées fortement urbanisées et aménagées. Par exemple, entre les massifs de la Chartreuse et des Bauges, qui constituent des réservoirs de biodiversité, il est essentiel de créer un corridor qui puisse les relier entre eux, en passant dans la cluse de Chambéry, fortement anthropisée. Cependant, à l'échelle supérieure de l'ensemble du massif alpin, ces deux sous-massifs de la Chartreuse et du Vercors, plus faiblement urbanisés, peuvent constituer également des corridors pour certaines espèces, comme le tétras lyre, par exemple. Ils jouent ainsi un double rôle, à la fois de réservoirs et de corridors. La logique de la Trame verte et bleue doit donc revêtir, en montagne, des aspects différents selon l'échelle territoriale et les espèces prises en compte.

Proposition n° 7 : au sein de la Trame verte et bleue, identifier dans les territoires de montagne des zones « mixtes », susceptibles d'être considérées à la fois comme réservoirs de biodiversité et comme corridors de circulation.

2. La mise en oeuvre du réseau Natura 2000 en montagne
a) Une forme d'espaces protégés plus fréquente en montagne

La directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 sur la conservation des habitats naturels de la faune et de la flore sauvages, dite directive « Habitats », a pour objectif de contribuer à la préservation de la diversité biologique du continent européen, principalement par la constitution d'un réseau écologique intitulé « Natura 2000 » de sites constituant les habitats naturels d'espèces de faune et de flore sauvages d'intérêt communautaire.

Alors que la mise en oeuvre de la directive « Habitats » semblait mal engagée à l'époque de la rédaction du rapport d'information sénatorial de 2002 sur le bilan de la loi Montagne, et que la France avait déjà fait l'objet à deux reprises d'actions en manquement de la part de la Commission européenne, la situation s'est depuis bien détendue. Aujourd'hui, le réseau Natura 2000 français, dont le zonage a certes duré très longtemps, est considéré comme complet par la Commission, pour sa part terrestre. La priorité est désormais de réussir la gestion de ce réseau : c'est-à-dire la restauration des habitats dégradés, d'une part, leur valorisation, d'autre part.

Les surfaces classées Natura 2000 sont, proportionnellement, plus fréquentes et plus étendues en zones de montagne qu'ailleurs. Les parcs naturels régionaux constituent, d'ailleurs, un bon support pour l'animation du réseau Natura 2000, dans la mesure où leurs deux principaux objectifs sont de valoriser le patrimoine naturel et de concilier sa préservation avec le développement économique.

b) Une difficulté de financement

Actuellement, la difficulté est de trouver les fonds nécessaires aux actions de restauration, de sensibilisation et de mise en valeur des sites Natura 2000. Faute de financement, certains sites se trouvent « orphelins », parce qu'il n'est plus possible de rémunérer le personnel qui devrait en assurer la gestion. Au niveau national, les dotations budgétaires disponibles sont de l'ordre de 60 millions d'euros chaque année, imputables à parts égales sur les budgets du ministère de l'écologie et du ministère de l'agriculture.

En effet, près de 40 % des sites Natura 2000 se trouvent en zone agricole. Les risques afférents sont ceux d'une dégradation du site par une intensification de sa mise en valeur agricole ou, au contraire, de l'abandon de l'exploitation du fait d'un excès de protection.

Vos rapporteurs considèrent, néanmoins, que la nature agricole d'un site Natura 2000 représente une opportunité de solliciter des financements communautaires complémentaires pour sa mise en valeur, dans le cadre des « mesures agroenvironnementales territorialisées » (MAET) prévues par la politique agricole commune. Il leur semble donc très opportun de mettre en place ce type de mesure financée sur fonds communautaire, chaque fois que possible. Sur la période 2007-2013, les montants engagés au titre des mesures agro-environnementales (FEADER et Ministère de l'agriculture) représentaient en moyenne un peu moins de 100 millions d'euros par an, et il est prévu, pour la période 2014-2020, de doubler ces engagements financiers.

Proposition n° 8 : recourir aux financements communautaires complémentaires prévus dans le cadre de la politique agricole commune, en généralisant dans les sites Natura 2000 les « mesures agroenvironnementales territorialisées ».

Toutefois, ces compléments de financement communautaires ne constituent qu'une partie de la solution et ne sont pas disponibles hors des zones agricoles. Compte tenu de la modestie des crédits budgétaires au niveau national, ce sont les collectivités territoriales qui supportent l'essentiel de la charge financière des sites Natura 2000. Or, celle-ci peut être lourde pour une commune petite par sa population, mais au territoire étendu et de grand intérêt au regard de la directive « Habitats », ce qui est le cas de beaucoup de communes de montagne.

Afin de faire mieux prendre conscience, par les élus et par les populations, de l'intérêt de la faune et de la flore protégées dans le cadre du réseau Natura 2000, vos rapporteurs estiment que la réalisation, par les communes, d'atlas de la biodiversité répertoriant les richesses présentes sur leur territoire constitue une première étape à forte valeur pédagogique, au-delà de sa valeur scientifique propre.

Proposition n° 9 : inciter les structures intercommunales à réaliser des atlas communaux de la biodiversité, afin de faire connaître la richesse de la faune et la flore à protéger.

Mais cette première étape ne saurait suffire. Il conviendrait de régler également le problème que pose aux communes le fait que les terrains classés Natura 2000 sont exonérés de taxe sur le foncier non bâti (TFNB). Le taux du remboursement par l'État aux communes des exonérations de TFNB existantes ayant été progressivement réduit, jusqu'à atteindre 51 % seulement en 2013, les communes de montagne qui ont à la fois beaucoup de terrains classés Natura 2000 et une TFNB importante se trouvent en difficulté financière. Cette érosion des recettes fiscales concerne, notamment, les communes dotées d'importantes forêts domaniales.

Une solution simple consisterait à supprimer l'exonération de TFNB pour les terrains situés en zone Natura 2000. Toutefois, vos rapporteurs estiment préférable de rétablir, dès que possible, la compensation intégrale par l'État, qui n'est pas contestée dans son principe, mais n'a été rognée qu'en raison de pures considérations d'économies budgétaires.

Proposition n° 10 : rétablir la compensation intégrale par l'État des pertes de recettes de taxe sur le foncier non bâti subies par les communes au titre de l'exonération des terrains situés en zone Natura 2000.

De manière générale, vos rapporteurs estiment nécessaire de renforcer la péréquation financière et fiscale au bénéfice des communes ayant des territoires à haute valeur environnementale, qui sont souvent relativement démunies. Ce serait une manière de donner un contenu très concret au principe, souvent affirmé, mais plus rarement mis en oeuvre, de  rémunération des « aménités naturelles » apportées gratuitement par un environnement préservé aux populations urbaines qui le fréquentent.

Cette logique est déjà celle qui inspire la dotation « coeur de parc », qui vient majorer la dotation globale de fonctionnement (DGF) des communes qui se trouvent en tout ou partie incluses dans le coeur d'un parc national. L'attribution de cette dotation est fonction de la part du territoire de la commune comprise dans le coeur de parc, cette part étant doublée pour le calcul de la dotation lorsque la superficie du parc dépasse 5 000 kilomètres carrés. Vos rapporteurs estiment que cette modulation positive de la DGF devrait ne pas être réservée au seul cas des parcs nationaux, mais s'appliquer aux autres formes d'espaces protégés de nature réglementaire, tels que les sites Natura 2000 ou les réserves naturelles nationales.

Proposition n° 11 : étendre la majoration de la dotation globale de fonctionnement (DGF) en fonction des surfaces de la commune situées dans un parc national, à toutes les autres formes réglementaires d'espaces protégés.

B. LES PARCS NATIONAUX

Sur les dix parcs nationaux existants, six visent à protéger un patrimoine naturel montagnard. Créés entre 1963 (Vanoise) et 2007 (La Réunion), ces parcs nationaux d'altitude se situent, pour quatre d'entre eux, en haute montagne : Vanoise, Ecrins, Mercantour et Pyrénées. Les deux autres, ceux des Cévennes et de La Réunion, se situent en moyenne montagne.

L'ensemble des zones centrales des parcs nationaux métropolitains de montagne, bénéficiant de la plus forte protection, représentent moins de 1 % du territoire national et moins de 4 % des territoires d'altitude du pays. Pour les zones périphériques, ces pourcentages sont respectivement de moins de 2 % et moins de 8 %.

1. Un dispositif centralisé et fortement protecteur

Le rapport d'information sénatorial de 2002 sur le bilan de la loi Montagne avait déjà bien posé la problématique des parcs nationaux.

Le réseau des parcs nationaux apparaît comme un dispositif fortement centralisé. La procédure de création de chaque parc est conduite directement par le ministère en charge de la protection de l'environnement, et son territoire est classé en parc nationa l par décret en Conseil d'État. Le périmètre du parc, délimité en annexe de ce décret, s'impose à tous les documents d'urbanisme en qualité de servitude d'utilité publique opposable aux tiers.

La création d'un parc national vise à assurer une protection maximale du patrimoine naturel inclus dans le périmètre de son coeur, dans une logique de « sanctuaire » valorisée par les uns, mais contestée par les autres. La réglementation s'appliquant sur les territoires des parcs nationaux n'est pas homogène, mais adaptée à chacun d'entre eux. Le décret de création réglemente ou interdit un certain nombre d'activités énumérées par la loi, afin d'éviter l'altération du milieu naturel. Le décret peut énumérer des contraintes particulières dans certaines zones, qui deviennent des réserves intégrales, afin d'assurer la plus haute protection de la faune et de la flore.

Le fonctionnement du parc est aussi largement contrôlé par l'État, qui en nomme le directeur. Son conseil d'administration est composé de représentants des administrations concernées, des collectivités territoriales incluses dans son périmètre, du personnel et de personnalités qualifiées. Jusqu'en 2006, les élus locaux représentant les communes y étaient minoritaires.

De manière récurrente, des désaccords, voire de franches oppositions, se sont fait jour au sein des conseils d'administration des parcs nationaux entre la direction nommée par l'État et les représentants des collectivités territoriales. Le rapport sénatorial de 2002 estimait que « si l'objectif de protection d'espaces naturels sensibles particulièrement remarquables a été atteint par les parcs nationaux, il n'y a pas réellement de mise en place d'une politique concertée de préservation, de développement et d'aménagement du territoire ».

En conséquence, il préconisait de « donner un second souffle à cet outil de protection remarquable, qui bénéficie d'une labellisation internationale, [en réfléchissant] à une évolution de ses règles de gestion afin que les collectivités territoriales y soient réellement associées ».

Ce rapport posait notamment la question du développement de ce qui s'appelait alors la « zone périphérique » des parcs nationaux. Il s'agit des territoires limitrophes du « coeur » du parc, aussi délimités par le décret de création, qui présentent également un intérêt au regard de la protection de l'environnement et de la préservation de la biodiversité. Cette zone périphérique est, en général, davantage habitée que la zone centrale du parc et accueille des activités humaines, agro-pastorales, artisanales, touristiques ou culturelles.

Le rapport de 2002 soulignait qu'« il importe de définir plus précisément les axes structurants d'une politique plus complémentaire entre zone centrale et zone périphérique, avec l'objectif, pour les parcs nationaux, de participer plus activement au développement local ».

Le projet transfrontalier « Marittime-Mercantour »

Le parc national du Mercantour s'étend sur 214.270 ha (dont 68.500 en zone coeur et 146.270 en aire d'adhésion) et partage 33 km de frontière commune avec le Parco naturale Alpi Marittime en Italie. Les deux parcs (jumelés en 1987) ont signé, en 1998, une charte de coopération pour renforcer leur identité transfrontalière, et ont créé, en 2011, un Groupement Européen de Coopération Territoriale (GECT), outil juridique européen de gestion transfrontalière qui facilite la mise en oeuvre de projets communs.

Soutenus, côté français, notamment par le conseil général des Alpes-Maritimes ainsi que de nombreux maires du coeur de parc et des zones d'adhésion du Mercantour, les deux parcs se sont engagé depuis 2013 dans un processus visant à faire classer ce site transfrontalier par l'UNESCO. Instaurée par la Convention de l'UNESCO pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel de 1972, la liste des biens inscrits au Patrimoine Mondial de l'Humanité comprend à ce jour 193 biens naturels, 759 biens culturels et 29 biens mixtes répartis dans 160 États. Le projet intègre d'autres espaces protégés (le Parco del Marguareis, le Parco Alpi Liguri, les aires protégés de la Provincia Imperia et l'aire maritime du Jardin biologique Villa Hanbury) pour présenter ensemble une candidature transfrontalière unique : « Les Alpes de la Mer ».

Première étape de la candidature, cet espace a été inscrit le 15 avril 2013 par la France sur l'inventaire indicatif des biens que chaque État partie a l'intention de proposer au classement au titre de trois critères de la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel : exemple représentatif des grands stades de l'histoire géologique de la terre (critère 8) et des processus écologiques, biologiques et des écosystèmes (critère 9), habitat naturel d'importance majeure pour la biodiversité et la conservation des espèces menacées (critère 10).

L'attribution d'un tel label serait naturellement un puissant facteur d'attractivité et de notoriété pour ce territoire. Néanmoins, des progrès dans la concertation locale semblent encore nécessaires afin de recueillir le soutien de toutes les populations : Plusieurs acteurs du pastoralisme et de l'élevage de montagne ont ainsi fait part de leurs inquiétudes et de leurs regrets sur la méthode choisie, appelant de leurs voeux un projet qui ne fasse pas disparaître tous les acteurs ruraux de ce territoire.

2. Les orientations de la « loi Giran » du 14 avril 2006

Les problématiques évoquées précédemment ont été prises en compte par la loi n° 2006-436 du 14 avril 2006 relative aux parcs nationaux, aux parcs naturels marins et aux parcs naturels régionaux, dite « loi Giran », car le député Jean-Pierre Giran en a été rapporteur pour l'Assemblée nationale, après avoir suggéré ses dispositions essentielles dans un rapport sur les parcs nationaux qu'il avait remis au Premier ministre trois ans auparavant.

Sur le plan terminologique, les anciennes « zones centrales » sont rebaptisées « coeurs de parc », les anciennes « zones périphériques » étant, pour leur part, renommées « aires d'adhésion ». La protection demeure maximale dans le coeur de parc, où l'État détient l'essentiel du pouvoir de décision.

Les communes dont le territoire se situe dans le périmètre réglementaire de l'aire d'adhésion ne se trouvent pas automatiquement intégrées au parc national : si elles souhaitent l'être, elles doivent souscrire à la « charte » du parc.

Cette charte prend la forme d'un plan de préservation et d'aménagement, qui décrit aussi bien les mesures de protection prévues pour la zone centrale, que les orientations pour la mise en valeur et l'aménagement des espaces périphériques. Toutefois, dans l'aire d'adhésion, le développement économique doit rester compatible avec la préservation de l'environnement, comme dans les parcs naturels régionaux.

Par ailleurs, la composition du conseil d'administration des parcs nationaux est modifiée, afin de renforcer effectivement le poids des acteurs locaux : la « loi Giran » prévoit que les administrateurs représentant les collectivités territoriales devront détenir au moins la moitié des sièges du conseil d'administration.

Cette meilleure articulation, au sein des parcs nationaux, entre les coeurs de parc et les anciennes « zones périphériques », fondée sur le principe d'adhésion volontaire à la charte et garantie par la majorité donnée aux représentants des élus au sein des conseils d'administration, vise à favoriser une participation plus active des communes à la politique menée par la direction des parcs et un apaisement des tensions entre les différents acteurs.

3. Une application plus difficile que prévu
a) La persistance de crispations anciennes

Force est de constater que l'application de la « loi Giran » n'a pas été aussi facile ni consensuelle qu'espéré. Certes, dans les aires d'adhésion, très peu nombreux sont les élus ou les acteurs du développement local à contester encore sérieusement la légitimité de la protection très forte assurée par les coeurs de parcs, ou le caractère intangible de ceux-ci. Au contraire, l'immense majorité des élus perçoit parfaitement tout l'intérêt, en termes d'activités économiques et d'attractivité touristique, d'un label de parc national venant consacrer un territoire véritablement exceptionnel, tant par la qualité de sa faune, de sa flore et de son paysage, que par l'authenticité de son caractère.

Cela dit, les crispations sont anciennes et difficiles à dénouer. Parmi les reproches les plus souvent faits par les populations locales, lorsqu'elles ont l'impression de « subir » la présence du parc national, reviennent souvent :

- un sentiment d'expropriation ressenti très fortement, alors même que ces populations sont viscéralement attachées à la préservation de leur territoire ;

- la prolifération d'une réglementation appliquée de manière à la fois tatillonne et rigide ;

- un sentiment de frustration chez les élus, qui se sentent largement dépossédés des leviers du développement local des territoires dont ils sont responsables.

C'est, en particulier, le système des « mesures compensatoires » qui peut conduire à des exigences aberrantes et est particulièrement mal ressenti.

Depuis 1976, date de la première loi de protection de la nature, a été érigée en principe l'obligation de compenser les impacts résiduels des projets d'aménagement sur les milieux naturels et les espèces.

Or, le renforcement récent des exigences en matière de ratio de compensation (jusqu'à dix hectares de compensation par hectare détruit) est source de crispations et de conflits entre usages alternatifs des sols. Ce système accroît en effet la pression qu'un projet d'aménagement induit sur le marché foncier agricole. L'aménageur, pour réaliser les mesures compensatoires, va devoir acheter des surfaces qui, souvent, avaient ou auraient pu avoir une vocation agricole.

Le projet d'aménagement et les mesures compensatoires qui s'imputent sur des surfaces agricoles entraînent ainsi une augmentation du prix du foncier. Dans un contexte économique difficile pour certaines filières, les montants financiers engagés pour la préservation d'une espèce sont parfois mal compris par le monde agricole qui exprime ainsi un sentiment de « double peine ».

Face à ces difficultés, vos rapporteurs estiment que les mesures compensatoires ne devraient normalement être mises en oeuvre qu'après que toutes les mesures d'évitement ont été sérieusement explorées et quand, malgré des mesures de réduction d'impact, il reste des impacts résiduels notables. C'est ce qui est résumé par le triptyque, dont il faut bien respecter l'ordre : « éviter, réduire, compenser ».

b) Une procédure d'adoption des chartes de parc parfois maladroite

Dans ce contexte sensible, le tour pris par le processus d'adoption des chartes dans les parcs nationaux de montagne et les débats en cours témoignent du caractère délicat, et par endroit encore incertain, de l'adhésion des communes.

La charte d'un parc national comporte deux parties distinctes : la première fixe la réglementation applicable au coeur de parc, la seconde fixe les orientations pour l'aire d'adhésion. Une fois actée par le conseil d'administration du parc, la charte est validée par décret en Conseil d'État. À compter de la parution de ce dernier, chaque commune dispose de quatre mois pour décider si elle adhère, ou pas.

En pratique, les directions des parcs ont parfois, de manière assez maladroite, présenté aux conseils d'administration des projets de charte rédigés unilatéralement, volumineux et technocratiques. De surcroît, les projets de chartes comportaient initialement en annexe, dans leur partie concernant l'aire d'adhésion, des « documents graphiques » aux zonages très précis. Les chartes étant opposables aux documents d'urbanisme, les élus l'ont forcément interprété comme une « extension » de fait des limites précédentes des parcs et un « transfert » à leurs dépens des compétences d'urbanisme.

Le cas du parc national de la Vanoise est emblématique. Le premier parc national créé en France avait vocation à servir de test pour les autres. Or, lorsque les 29 communes du parc ont été invitées en 2012 à donner leur avis, consultatif, sur le projet de charte qui leur était soumis, 26 conseils municipaux ont voté défavorablement, les 3 autres réservant leur avis. Certes, les malentendus qui avaient conduit à ce rejet massif ont été éclaircis, certaines difficultés aplanies, et la charte du parc de la Vanoise est en cours de validation par le Conseil d'État. Mais le nombre des communes qui finiront par adhérer demeure incertain.

Heureusement, les choses se sont mieux passées dans la plupart des autres parcs nationaux, lorsque leurs chartes ont déjà été validées par le Conseil d'État. A la fin de 2013, trois parcs nationaux de montagne avaient ainsi adopté leurs chartes, avec des taux d'adhésion des communes proches ou supérieurs à 75 % : Ecrins (73 %), Mercantour (75 %) et Pyrénées (78 %). La seconde vague d'adoption devrait intervenir en 2016.

Mais il est clair que si, dans un parc national de montagne, les communes ne trouvaient définitivement pas intérêt à adhérer, en échange de « contreparties » pour leur développement territorial, l'ensemble des acteurs de ce territoire d'intérêt majeur au point de vue environnemental, à commencer par l'État, auraient échoué dans la recherche de la convergence recherchée par la « loi Giran », et qu'un tel échec serait durable.

En attendant, vos rapporteurs suggèrent, afin d'éviter les complications qui résulteraient du rejet d'une charte de parc national par une majorité des communes concernées (hypothèse qui n'avait pas été anticipée par la « loi Giran ») de bien dissocier juridiquement le coeur du parc de l'aire d'adhésion. De cette manière, les orientations et préconisations applicables au coeur pourraient être validées par le Conseil d'État, indépendamment du sort réservé à la charte.

Proposition n° 12 : pour permettre l'adoption de la réglementation des coeurs de parc, même en cas de rejet des chartes par une majorité des communes des aires d'adhésion, dissocier juridiquement les coeurs de parc des aires d'adhésion.

c) La question du recrutement des agents des parcs nationaux

Vos rapporteurs estiment que l'exaspération des populations résulte pour une bonne part d'une évolution dans l'attitude des agents des parcs nationaux. Historiquement, ceux-ci étaient des « gens du pays » recrutés localement, qui appliquaient les réglementations avec toute la rigueur nécessaire, mais sans excès de zèle et sur la base d'une connaissance personnelle des us et coutumes locaux.

Cette proximité avec la population s'est perdue, à mesure que le recrutement des gardes s'est fait sur la base d'un concours national. De surcroît, ce recrutement au plan national étant commun avec celui d'organismes tels que l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), qui ont surtout des missions de police administrative, les nouveaux agents, lorsqu'ils sont affectés dans un parc national, s'y présentent avec une culture du contrôle et de la sanction qui n'était pas celle de leurs prédécesseurs.

Vos rapporteurs estiment donc opportun, afin de détendre les relations entre les agents des parcs nationaux et les populations, d'apporter quelques améliorations au mode de recrutement des gardes. Sans remettre en cause le principe d'un recrutement par concours national, il conviendrait de faciliter le succès des candidats bénéficiant déjà d'une expérience de terrain.

Proposition n° 13 : rendre possible un recrutement local des gardes des parcs nationaux par un système de validation des acquis d'expériences.

D'autre part, afin de réduire les risques d'incompréhension mutuelle, il serait opportun d'intégrer dans le cursus des études des futurs gardes une formation initiale les sensibilisant à la nécessité de vivre « en harmonie » avec les populations locales.

Proposition n° 14 : offrir aux gardes des parcs nationaux une formation d'adaptation à l'emploi prenant en compte les nécessités du développement local, ainsi que l'écoute des populations et des élus.

C. LES PARCS NATURELS RÉGIONAUX

Sur les 48 parcs naturels régionaux existants, 22 sont situés dans les massifs des Vosges, du Jura, des Alpes, du Massif central, des Pyrénées et en Corse. Au total, 41 % des communes classées PNR se situent en zone de montagne. Réciproquement, 26 % des communes classées en zones de montagne se situent dans des parcs naturels régionaux. Du point de vue démographique, près de 30 % de la population des parcs naturels régionaux habitent en zone de montagne, tandis que la population des parcs en zone de montagne représente 20 % de la population totale en zone de montagne.

1. Un dispositif à l'initiative des collectivités territoriales

Depuis leur institution en 1967 sur proposition de la DATAR, la logique de création et de fonctionnement des parcs naturels régionaux est bien différente de celle des parcs nationaux : alors que les premiers résultent, à la base, de l'initiative des collectivités territoriales, ces derniers procèdent, d'en haut, de l'initiative de l'État.

La démarche de création d'un parc naturel régional est partenariale du début à la fin : la région prend l'initiative, les collectivités locales s'engagent dans un projet de développement durable sur un territoire dont l'identité repose sur un patrimoine naturel commun et, in fine , l'État prononce par décret le classement, qui autorise l'utilisation de la dénomination « parc naturel régional », marque déposée à l'Institut national de la propriété industrielle (INPI).

Ainsi fondée sur la notion de contrat et de libre adhésion, la démarche s'appuie sur une charte approuvée par les collectivités territoriales et l'État, qui fixe les orientations en matière d'aménagement du territoire du parc, de préservation de l'environnement et de développement économique, pour une durée de 12 ans. Le renouvellement du classement est prononcé selon la même procédure.

La procédure de classement et de renouvellement est exigeante. Elle implique de faire le bilan des actions menées, d'évaluer l'action du parc et les engagements des autres partenaires. Elle nécessite l'accord de toutes les collectivités, une concertation avec tous les acteurs, une enquête publique et de multiples avis.

La gestion du parc est assurée par un syndicat mixte regroupant les différents niveaux de collectivités concernées : communes, établissements publics de coopération intercommunale, départements, régions. Sa gouvernance locale associe élus, acteurs socioéconomiques ou associatifs, et population.

2. Un équilibre dynamique entre protection et développement

Lors de leur création en 1967, les parcs naturels régionaux devaient être une réponse à la désertification du milieu rural, conforter les activités économiques locales et offrir aux citadins des espaces naturels et de loisirs. Aujourd'hui, ils conservent toute leur pertinence, dans un contexte socioéconomique qui a beaucoup évolué en milieu rural, et dans un cadre institutionnel local bouleversé par la décentralisation.

Les parcs naturels régionaux ont pour mission de gérer et protéger le patrimoine naturel, culturel et paysager. Ils sont ainsi opérateurs majeurs des sites Natura 2000, gèrent ou co-gèrent de nombreuses réserves naturelles, et travaillent activement à la mise en place des corridors écologiques dans le cadre de la Trame verte et bleue.

Mais ils ont aussi la mission d'assurer le développement économique et social de leur territoire. Pour ce faire, ils appuient les entreprises, les accompagnent dans des diagnostics environnementaux, développent les filières courtes et valorisent les acteurs économiques, notamment au travers de l'attribution de la marque « parc naturel régional » à des produits, des savoir-faire ou des prestations touristiques.

3. Un succès à conforter

En 2013, au-delà des 48 parcs naturels régionaux existants, on recensait 23 projets de parc soutenus par les régions, à des stades de réflexion plus ou moins avancés. En 2020, plus de 20 % du territoire sera couvert par des parcs naturels régionaux. Ces perspectives témoignent de l'intérêt grandissant des élus locaux pour ce type de territoires de projets. Au point que d'aucuns craignent une banalisation du label « parc naturel régional » et une dilution des moyens financiers que les régions peuvent consacrer aux parcs à mesure qu'elles les multiplient.

a) L'intégration des PNR dans la Trame verte et bleue

En ce qui concerne leur mission de protection et mise en valeur de leur patrimoine naturel, dont la qualité conditionne le classement, le succès des parcs naturels régionaux est incontestable. Ce sont des territoires reconnus au plan national pour la richesse de leur biodiversité : plus de la moitié de la surface terrestre des réserves naturelles régionales et 20 % de la surface des zones Natura 2000 sont situés dans des parcs naturels régionaux. Ces derniers ont beaucoup contribué, par leur implication, à permettre à la France de respecter ses engagements pris dans le cadre de la directive européenne relative à la protection des habitats naturels.

En ce qui concerne la mise en oeuvre de la Trame verte et bleue, l'implication des parcs naturels régionaux est également très importante. Pour l'élaboration, actuellement en cours sur la base des orientations nationales, des « schémas régionaux de cohérence écologique », les parcs naturels régionaux, qui par définition correspondent à des espaces préservés et de grand intérêt environnemental, devraient systématiquement être considérés comme des réserves de biodiversité.

Proposition n° 15 : considérer, de manière systématique, les parcs naturels régionaux comme des réserves de biodiversité dans la Trame verte et bleue.

b) L'intégration des chartes des PNR dans les documents d'urbanisme

Par ailleurs, la grande majorité des parcs naturels régionaux de montagne est centrée sur de petits massifs, en intégrant les parties hautes des piémonts. De ce fait, beaucoup d'entre eux incluent dans leur périmètre des villes ou des fonds de vallée, dont les problématiques et les dynamiques sont différentes de celles des espaces situés plus en altitude. La cohérence et la lisibilité des projets de territoires portés par les parcs risquent de s'en trouver affectées.

Pour maintenir cette cohérence, il est donc essentiel que les divers documents d'urbanisme en vigueur sur le territoire du parc naturel régional tiennent compte des orientations fixées par ce dernier dans sa charte et déclinées dans son plan. La question a été posée lors de la discussion, qui vient de s'achever au Parlement, de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », en instance de promulgation.

Un amendement à ce texte de loi avait proposé que les « dispositions pertinentes » des chartes des parcs naturels régionaux soient intégrées aux SCoT, de manière à devenir opposables aux documents d'urbanisme de niveau inférieur. Cet amendement n'a finalement pas été retenu, la notion de « dispositions pertinentes » ayant été estimée trop floue juridiquement, au risque de fragiliser les SCoT.

Néanmoins, vos rapporteurs considèrent que les documents d'urbanisme élaborés par les communes adhérentes d'un parc naturel régional devraient tenir compte, d'une manière ou d'une autre, des orientations de la charte de ce parc. C'est leur demander simplement un minimum de cohérence, puisqu'elles ont librement adopté la charte, participé au préalable à son élaboration, et trouvé avantage à se joindre au projet porté par le parc.

Proposition n° 16 : pour les communes adhérentes d'un parc naturel régional, rendre obligatoire d'intégrer dans le projet d'aménagement et de développement durable (PADD) de leur plan local d'urbanisme (PLU), les préconisations de la charte et du plan du parc.

III. L'HUMANISATION DE L'ENVIRONNEMENT MONTAGNARD PAR L'AGRICULTURE

À la différence de certains massifs situés sur d'autres continents, les massifs français ne relèvent pas de la montagne « sauvage ». Ils accueillent des activités agricoles et pastorales, liées à une présence humaine millénaire, qui en ont façonné les paysages et caractérisé les ressources en biodiversité. Par conséquent, l'article 18 de la loi Montagne, dans sa rédaction initiale, a reconnu l'agriculture de montagne comme étant d'intérêt général et comme « activité de base de la vie montagnarde ». La protection de la montagne est intrinsèquement liée à la préservation et au développement des activités agricoles et pastorales.

A. LES SPÉCIFICITÉS DE L'AGRICULTURE DE MONTAGNE

1. Une surface agricole étroite et un foncier rare

Comme le relève le rapport d'information sénatorial de 2002, en dépit des vastes espaces qu'ils offrent aux yeux, les massifs ne représentent, avec environ 4 millions d'hectares de surface agricole utile (SAU), que 13 % de la SAU nationale. En effet, les zones de montagne se caractérisent par l'importance des surfaces impropres à toute activité productive, des surfaces forestières et des parcours et terres collectives. De ce fait, en montagne, la SAU représente moins de 30 % du territoire, contre plus de 50 % en moyenne nationale. Bien sûr, ce taux varie beaucoup selon les massifs, de près de 50 % dans le Massif central, à 10 % dans les Alpes du Sud et en Corse.

Cette étroitesse de la surface agricole utile est aggravée par le morcellement du foncier en multiples parcelles, généralement exigües. Il en résulte des coûts d'acquisition des terres très élevés au regard de leur potentiel agronomique réel.

L'augmentation du prix des terres en montagne s'explique aussi par la concurrence avec d'autres activités économiques dans les zones à fort potentiel touristique ou en voie de « rurbanisation ».

Cette pression foncière exercée sur les terres agricoles est renforcée par les contraintes du relief, qui conduisent à accentuer la pression sur les prairies de fauche dans le fond des vallées. Les prairies de fauche doivent être d'autant plus protégées qu'il existe un lien fort entre les quantités de fourrage récoltées pour l'hiver, la taille des troupeaux et la capacité à entretenir les pâturages d'altitude, et donc à maintenir des paysages ouverts et attrayants.

Vos rapporteurs jugent donc essentiel que la mise en oeuvre des règles d'urbanisme visant à limiter l'érosion des terres agricoles, sous le contrôle des commissions départementales de la consommation des espaces agricoles, tienne compte avec le plus grand soin des différentes qualités agronomiques des terres, particulièrement variables en montagne.

Proposition n° 17 : dans la mise en oeuvre des règles d'urbanisme visant à freiner la consommation des terres agricoles en montagne, tenir compte du fait que les différentes parcelles de terrain présentent des qualités agronomiques inégales.

La ferme école des Monts d'Azur,
exemple de projet innovant pour faciliter l'accès au foncier agricole

La Communauté de Communes des Monts d'Azur (CCMA) est située dans les Alpes-Maritimes sur un territoire très rural de moyenne montagne où la relance agricole s'avère complexe à réaliser en raison des difficultés d'accès au foncier agricole.

Face à ce problème, certaines collectivités font le choix d'acquérir des terres agricoles pour les mettre en location et y installer un agriculteur, mais cette solution nécessite des moyens financiers importants et la présence de propriétaires acceptant de vendre leurs biens.

Le projet de la « Ferme école des Monts d'Azur » constitue une alternative innovante pour faciliter l'accès au foncier agricole. Depuis juillet 2011, la CCMA a loué à un propriétaire privé, sur la commune de Collongues, 113 hectares de terres dans le cadre d'un bail emphytéotique de 30 ans. Les terrains cultivables sont approvisionnés en eau et proches du réseau électrique. La CCMA réalise les aménagements nécessaires à leur exploitation (bâtiments agricoles, atelier de transformation...) et la commune les travaux permettant d'améliorer l'accès aux parcelles. La ferme a vocation à former et insérer des candidats à l'installation qui se voient confier en sous-location l'exploitation et la mise en valeur des terres agricoles.

Pour la collectivité locale, le bail emphytéotique confère des droits très proches de ceux d'un propriétaire et permet de sous-louer sans autorisation du propriétaire. Ce système permet ainsi d'exploiter et remettre en valeur des terres agricoles non valorisées depuis de nombreuses années, dans le respect de l'environnement naturel et paysager, en créant de l'emploi.

Le propriétaire du terrain, lui, conserve ses biens et la possibilité de les transmettre à sa descendance (ils sont bénéficiaires au terme du bail, de l'ensemble des améliorations apportées par la collectivité et par les exploitants), est exempt du paiement de la taxe foncière (à la charge de la collectivité) et dégagé des contraintes d'entretien de ses terres dont il favorise la revalorisation.

Lors de la discussion à l'Assemblée nationale du projet de loi d'avenir pour l'agriculture, plusieurs amendements ont, en outre, été discutés, sans être adoptés, qui avaient pour objet de donner aux SAFER la possibilité de dissocier entre bâti et terrain lors des rétrocessions de biens acquis par préemption (avec droit de préférence à l'acquéreur évincé pour la rétrocession des bâtiments d'habitation) dans l'optique de fluidifier l'accès au foncier agricole.

Dans les zones de montagne, en particulier, le prix du bâti, supérieur au non-bâti, constitue en effet un frein important lors de certaines rétrocessions de biens entourés de terres agricoles et empêche parfois leur acquisition en raison de prix prohibitifs. Ces montants limitent le bon exercice du droit de préemption des SAFER, celles-ci ne pouvant dissocier la rétrocession du bâti et du foncier agricole.

Il a néanmoins été objecté qu'une telle possibilité existait déjà pour les acquisitions amiables des SAFER et que son extension aux biens acquis par préemption risquerait de donner aux SAFER un privilège exorbitant du droit commun pour réaliser des opérations immobilières sans lien direct avec leur mission.

2. La prédominance de l'élevage extensif

L'agriculture de montagne est principalement herbagère et extensive. Les conditions climatiques et topographiques expliquent que l'élevage soit la première activité agricole pour près de 75 % des exploitations de montagne, contre moins de 40 % en moyenne nationale. Les zones de montagnes accueillent 40 % des brebis, 20 % des vaches allaitantes et 16 % des vaches laitières de notre pays.

De manière générale, cet élevage de montagne est nettement plus extensif qu'ailleurs : sa « charge animale » est en moyenne de 0,7 UGB/ha (Unité de Gros Bétail par hectare), contre 1,1 UGB/ha en moyenne nationale. Ces bonnes pratiques agricoles assurent à la fois la protection du sol, de l'eau, de la biodiversité.

Cette prédominance d'un élevage extensif contribue à l'entretien des paysages exceptionnels qui font l'attractivité de la montagne et explique, en partie, la richesse de sa biodiversité.

3. De fortes contraintes naturelles

Les handicaps naturels de l'agriculture de montagne sont principalement liés à l'altitude et à la baisse consécutive des températures, avec un gradient thermique de 5 à 7°C par 1 000 mètres d'altitude. Il en résulte un allongement de la durée de la période hivernale, qui réduit d'autant la période de végétation, avec un gradient de 8 à 9 jours par 100 mètres d'altitude. Le potentiel de production des prairies s'amenuise donc avec l'altitude et, à partir d'un seuil variable selon les conditions locales, leur exploitation n'est plus économiquement rentable.

Avec ces hivers longs, la durée de stabulation des animaux s'accroît et les capacités de stockage de fourrages doivent être plus importantes. Les bâtiments d'élevage doivent être fermés, plus isolés du froid et plus résistants au poids de la neige. Le coût par animal logé est ainsi plus élevé.

La pente vient, le plus souvent, s'ajouter aux limitations d'ordre climatique et rend difficile, voire impossible, la mécanisation des travaux agricoles. Les machines agricoles les plus courantes ne sont généralement pas utilisables et le matériel adapté doit être acquis à un prix plus élevé qu'en plaine.

Ces contraintes naturelles, déjà structurellement fortes, risquent d'être encore aggravées par le changement climatique. En effet, la progression en altitude des différents étages de végétation, au fur et à mesure du réchauffement, pourrait se traduire, en haute montagne, par un décalage global préservant l'espace prairial aux dépens de la zone nivale, mais risque de provoquer, en moyenne montagne, la remontée de la limite basse des alpages, généralement marquée par la forêt, jusqu'à la disparition de ceux-ci.

B. L'APPLICATION DE LA POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE À LA MONTAGNE

Comme l'ensemble de l'agriculture française, l'agriculture de montagne dépend des orientations de la politique agricole commune (PAC). Historiquement, la PAC a été la première politique européenne à contenir des dispositions normatives visant expressément la montagne. Si l'agriculture de montagne a aussi bénéficié des aides de marché relevant du « premier pilier », c'est surtout le « second pilier », celui du développement rural, qui a permis sa modernisation en compensant ses handicaps.

1. Un principe ancien de compensation des handicaps

Afin de tenir compte des handicaps de l'agriculture de montagne, l'Union européenne a développé depuis 1975, au sein du second pilier une série de mesures visant à aider les agriculteurs des zones de montagne.

a) L'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN)

Créée en 1972 sous le nom de « prime à la vache tondeuse », l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN) était à l'origine réservée aux zones de montagne, avant d'être étendue (piémont, zone défavorisée). Initialement versée en fonction du nombre d'unités de grand bétail (UGB), cette aide est devenue en 2001 une prime à l'hectare de surface fourragère. Elle concerne aujourd'hui 85.000 bénéficiaires avec une enveloppe totale de 550 millions d'euros.

L'ICHN constitue toujours la principale mesure de soutien à l'agriculture de montagne : Bien qu'elle ne soit plus réservée aux seuls agriculteurs de montagne, l'ICHN leur est, de fait, toujours très majoritairement destinée. Environ 80 % de l'enveloppe globale ICHN pour la France bénéficie aux zones de montagne et on estime ainsi qu'elle permet de compenser, en moyenne, environ 40 % de l'écart entre le revenu agricole des zones non défavorisées et celui des zones de montagne.

b) La prime herbagère agro-environnementale (PHAE)

Créé en 1993 sous le nom de « prime à l'herbe », la prime herbagère agro-environnementale (PHAE) consiste en un dispositif contractuel d'une durée de cinq ans, au cours de laquelle l'agriculteur s'engage à respecter un cahier des charges visant à s'assurer que les espaces herbagers sont entretenus et ne sont pas soumis à un chargement en bétail trop élevé. La PHAE concerne actuellement 54.000 bénéficiaires, avec une enveloppe de 240 millions d'euros.

Ce plafond de chargement et le fort degré de spécialisation impliqué par le cahier des charges aboutissent à cibler de facto la PHAE sur les zones de montagne : environ 60 % de son enveloppe globale pour la France bénéficie aux agriculteurs de montagne.

c) La revalorisation et la simplification des aides dans le cadre de la nouvelle PAC

L'ICHN et la PHAE ont été des outils importants de soutien de pratiques agricoles favorables à l'environnement, à la préservation de la biodiversité et à la protection des ressources en eau. Elles se justifiaient pleinement par le fait que les règles du marché n'intègrent pas les externalités positives de l'agriculture de montagne.

Néanmoins, le soutien à l'herbe sous sa forme actuelle (PHAE) a fait l'objet de critiques de la Commission européenne comme de la Cour des comptes européenne et ne pourra être conservé en la forme. En contrepartie, la déclinaison nationale de l'accord conclu sur la réforme de la PAC post-2013 prévoit d'importantes mesures permettant de préserver le revenu des agriculteurs de montagne, et notamment :

- une revalorisation de 15 % de l'indemnité compensatoire de handicap naturel sans changement des bénéficiaires ni des critères actuels d'attribution ;

- une simplification par l'intégration dans l'ICHN, à partir de 2015, d'un montant global un peu supérieur à celui de la PHAE supprimée.

Vos rapporteurs estiment souhaitable que, lors de la mise en oeuvre de la réforme de la PAC pour la période 2014-2020, le Gouvernement français cherche à accentuer, dans toute la mesure du possible, la logique de l'ICHN et de la PHAE, qui visent à favoriser une agriculture de montagne extensive et riche en emplois.

Proposition n° 18 : fonder les aides sur le nombre d'actifs dans l'exploitation, plutôt que sur celui d'hectares.

d) Les aides à l'installation et à la modernisation

Au sein du « deuxième pilier », d'autres aides sont également ciblées sur les massifs, grâce à des majorations de leur taux lorsque qu'elles sont versées en zones de montagne.

Ainsi, l'aide à l'installation des jeunes agriculteurs varie de 8 000 euros à 25 000 euros en plaine, mais de 16 500 euros à 35 900 euros en montagne.

Jusqu'en 2005, l'aide aux bâtiments d'élevage était réservée à la modernisation des exploitations en zone de montagne. Les éleveurs de montagne en ont perdu l'exclusivité lorsque cette aide a été étendue à tout le territoire national, mais continuent d'être relativement avantagés par des taux de subvention et des plafonds d'aide majorés.

Toutefois, vos rapporteurs relèvent que ces plafonds, qui viennent limiter les montants effectivement versés pour un même projet, restent souvent bien trop bas pour permettre une compensation suffisante des surcoûts inévitables d'un bâtiment d'élevage capable de supporter la rudesse du climat montagnard. Ces plafonds apparaissent aujourd'hui contreproductifs, en décourageant, en pratique, la réalisation de projets de modernisation pourtant nécessaires.

Proposition n° 19 : relever, voire supprimer, les plafonds des aides pour la modernisation des bâtiments d'élevage en montagne.

2. Une valorisation de la qualité par la labellisation
a) L'importance des labels de qualité pour l'agriculture de montagne

L'agriculture de montagne, au-delà des « handicaps » qui justifient les régimes d'aides spécifiques prévus pour les compenser partiellement, dispose aussi d'un sérieux avantage comparatif : la qualité exceptionnelle de ses produits, fabriqués selon des techniques extensives et souvent encore quasi-artisanales. Cette qualité est largement reconnue par les nombreux labels de qualité qui permettent de les valoriser au mieux sur le marché. Ainsi, plus des deux-tiers de la production d'AOC fromagères françaises sont d'origine montagnarde, et environ 40 % de la collecte en zones de montagne sont transformés en fromages AOC.

Toutefois, cet avantage comparatif naturel est amoindri par le fait que l' « argument montagne » n'est pas toujours utilisé à bon escient. Tantôt, la mise en place d'une AOC ou d'une IGP se heurte à la difficulté de mobiliser collectivement et de mettre d'accord entre eux les producteurs qui pourraient la porter. Tantôt, à l'inverse, des images de montagne séduisantes se trouvent affichées sur des produits qui n'auraient guère de raisons convaincantes d'y prétendre.

b) Le projet de label montagne de la Commission européenne

La Commission européenne a présenté en 2011 un « paquet qualité applicable aux produits agricoles » visant à améliorer les productions et à offrir une garantie de qualité qui soit à la fois une sécurité et une reconnaissance. Initialement, cet ensemble de textes ne comportait pas de proposition pour labelliser les produits issus de l'agriculture de montagne. À la demande des députés européens, la Commission a donc présenté en 2013 une proposition complémentaire de nouveau label européen « produit de montagne ».

Cette initiative, pourtant a priori favorable à l'agriculture de montagne, suscite des inquiétudes. Tout d'abord, les critères proposés par la Commission permettraient dans certains États membres, à des produits élaborés dans les grandes villes situées sur les piémonts des montagnes de bénéficier du nouveau label. La difficulté vient du fait que chaque État membre a une marge d'appréciation pour définir sa propre notion de zone de montagne, et que certains en ont une conception extensive.

Inversement, la nouvelle législation communautaire serait plus stricte que certaines législations nationales pour les critères relatifs à l'alimentation des animaux, en exigeant qu'au moins 60 % des aliments pour bovins et ovins, et 50 % des aliments pour porcins et volailles proviennent de zones de montagne. Ces règles seraient très gênantes pour la France, dont la législation relative à l'appellation « produit de montagne » autorise, par exemple, un taux de 0 % pour l'alimentation des porcs de montagne, qui peut ainsi intégralement provenir de régions hors zone de montagne.

c) Une remise en cause éventuelle par les effets du changement climatique

Une menace plus insidieuse pèse sur les labels de qualité, liée au changement climatique. Comme l'indique très judicieusement le rapport de 2007 de l'ANEM, précité, sur l'impact du défi climatique pour la montagne : « la hausse globale des températures, de même que la modification du rythme des saisons ont nécessairement un effet sensible sur les productions végétales, qui ont-elles-mêmes une incidence sur les productions animales. (...) Tant la viande que les produits laitiers risquent de voir leurs qualités gustatives se modifier. La diminution de la prise de poids durant la période d'estive, associée aux phénomènes de sécheresse, implique une nécessaire compensation nutritive. Or, ce même stress hydrique diminue la capacité de production fourragère et tend à orienter les éleveurs vers une fourniture extérieure ».

Très concrètement, « ces évolutions menacent les conditions de valorisation des produits, car elles interfèrent avec la notion même de terroir. En effet, l'évolution inéluctable du produit pose le respect du cahier des charges associé aux labels d'origine, et particulièrement aux AOC ».

Afin de prévenir cette difficulté, l'ANEM propose donc d'envisager l'adaptation des divers régimes de labellisation, en veillant à ne pas amenuiser leur crédibilité et leur efficacité.

3. Des résultats tangibles

L'ensemble formé, d'un côté, par les régimes d'aides spécifiques destinés à compenser les handicaps et, de l'autre côté, par les labels de qualité destinés à valoriser les points forts de l'agriculture de montagne, a produit des résultats tangibles.

a) En termes de revenus agricoles

Les revenus des exploitations agricoles de montagne se sont régulièrement améliorés, mais demeurent inférieurs d'environ 30 % à la moyenne nationale. Cet écart semble, a priori, marquer l'échec de l'objectif fixé par la loi Montagne d'assurer aux agriculteurs en zones de montagne des revenus d'un niveau « comparable à celui des autres régions ».

Toutefois, les exploitations agricoles de montagne sont en moyenne plus petites et plus souvent de type herbager que dans les autres régions : ces deux facteurs expliquent à eux seuls le maintien d'un écart de revenus par rapports aux exploitations des régions de plaine, plus vastes et spécialisées dans des cultures plus lucratives.

b) En termes de maintien de la population agricole

Globalement, le nombre d'exploitations agricoles professionnelles s'érode moins vite en zones de montagne qu'ailleurs : il a diminué de 25 % seulement entre les deux derniers recensements agricoles, contre 31 % en moyenne nationale.

Le taux de remplacement des agriculteurs partant à la retraite par des jeunes agriculteurs est meilleur en montagne pour deux raisons : d'une part, la taille des exploitations à reprendre est plus faible, ce qui rend les reprises moins onéreuses ; d'autre part, les soutiens publics sont conséquents ou majorés en zone de montagne, ce qui favorise la prise de risque que constitue une reprise ou une création d'entreprise.

Les aides à l'installation sont un facteur déterminant pour le maintien d'exploitations agricoles, en particulier en zones défavorisées telles que la montagne. Les projets « hors cadre familial » (personnes qui s'installent sur une exploitation agricole autre que celle d'un parent) se caractérisent par une durée plus longue et la possibilité de cumul avec d'autres activités. En effet, les « hors cadres familiaux » sont plus longs à voler de leurs propres ailes pour finir par s'installer complètement par rapport aux agriculteurs reprenant l'exploitation de leurs parents. Malgré tout, les conditions plus favorables qui leur sont réservées ne sont pas toujours suffisantes pour permettre le succès de leur projet d'installation.

Proposition n° 20 : renforcer le caractère progressif des contrats d'installation pour les « hors cadres familiaux », c'est-à-dire les personnes souhaitant s'installer comme agriculteurs qui ne s'inscrivent pas dans une tradition familiale.

Les dispositions relatives à la montagne
dans le projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt
(en cours de discussion)

Le texte initial a été enrichi à l'Assemblée nationale par plusieurs dispositions en faveur de de l'agriculture de montagne concernant notamment les secteurs de l'élevage et de la forêt :

- Affirmation de l'importance stratégique des secteurs de l'élevage et du pastoralisme dans la conduite de la politique d'aménagement rural, prévue par l'article L. 111?2 du code rural et de la pêche maritime ;

- Reconnaissance d'une politique spécifique à l'agriculture de montagne, en application du « droit à la prise en compte des différences » posé dès l'article 8 de la loi « Montagne » du 9 janvier de 1985 ;

- Maintien d'un nombre d'exploitants agricoles sur l'ensemble des territoires en adéquation avec les enjeux d'accessibilité et d'entretien qu'ils représentent ;

- Représentation de la montagne au sein du conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire et consultation pour avis des comités de massif lors de l'élaboration des plans régionaux d'agriculture durable ;

- Adaptation de surface minimale d'assujettissement (SMA) aux particularités de la montagne ;

- Sécurisation de la possibilité de solliciter les fédérations de chasse pour contribuer au retrait des prédateurs, à l'initiative du préfet ;

- Présentation d'ici le 31 décembre 2014, d'un rapport du gouvernement au parlement sur le développement des formations bi-qualifiantes dans l'enseignement agricole ;

- Reconnaissance du rôle de la forêt dans la prévention des risques et la fixation des sols en montagne, justifiant une politique publique spécifique.

En outre, en commission au Sénat, a été introduite une meilleure prise en compte des spécificités des zones de montagne pour la constitution des Groupements d'intérêt économique et environnemental forestiers (GIEEF).

C. L'IMPACT DU RETOUR DES GRANDS PRÉDATEURS SUR LE PASTORALISME

1. Une activité essentielle à l'entretien des paysages, mais fragile
a) Une contribution irremplaçable à l'entretien des espaces, des paysages et à la biodiversité

Parce qu'il se situe sur des parcelles difficiles d'accès, peu valorisables et où aucune autre activité alternative n'est envisageable, le pastoralisme assure en dernier recours l'entretien des paysages de ces secteurs à moindre productivité.

Ainsi, dans les Alpes-Maritimes, avec une superficie totale utilisée de 142 000 hectares, l'activité pastorale se pratique sur un tiers du territoire, tandis qu'en Savoie, première région d'alpages des Alpes du Nord, les 157 000 hectares pastoraux représentent un quart de la surface totale du département.

L'élevage ovin est concentré dans des secteurs à forte pente, des prairies à faible rendement, des zones pierreuses ou caillouteuses ou des espaces embroussaillés, et l'essentiel du cheptel se situe en haute montagne, en moyenne montagne ou en zone défavorisée.

En outre, concentré dans des secteurs souvent désertés, le pastoralisme apporte une contribution irremplaçable à la biodiversité et favorise le fonctionnement des écosystèmes locaux et la préservation de l'environnement. Le pâturage extensif d'ovins figure, à ce titre, parmi les bonnes pratiques des contrats conclus dans le cadre de la gestion des sites Natura 2000.

Exemple d'une recherche de partage harmonieux des espaces de montagne, vos rapporteurs saluent particulièrement le récent rapprochement entre les chambres d'agriculture et Domaines skiables de France, signataires en février 2014 d'une « Charte pour un développement équilibré de l'économie de la montagne » destinée à favoriser une coopération pérenne entre gestionnaires de domaines skiables et agriculteurs.

Le pastoralisme dans les Alpes-Maritimes

La particularité du département est de bénéficier d'une double influence alpine et méditerranéenne qui se traduit par des milieux naturels variés, et constitue sur le plan pastoral un potentiel de ressources fourragères naturelles important et diversifié.

La grande majorité des systèmes d'élevage ovin, viande et laitier, du département sont extensifs, grands consommateurs d'espace, les troupeaux pouvant pâturer 8 à 12 mois grâce au climat favorable. L'été, les élevages transhumants vont chercher la ressource fourragère dans les estives, au-dessus de 1500 m et, l'hiver, dans les zones préalpines ou de plaines.

On compte près de 160 exploitations ovines pour un cheptel d'environ 60 000 têtes, nombre porté à 120 000 avec l'arrivée des transhumants du Var et des Bouches-du-Rhône. Il existe en effet deux types de transhumances dans les Alpes-Maritimes :

- la transhumance intra-départementale (qui se fait de la zone côtière ou du moyen pays vers les alpages) ;

- la transhumance interdépartementale ou transfrontalière (depuis les départements du Var, des Bouches du Rhône et du Vaucluse vers les alpages de haute altitude essentiellement dans le Haut-Var et la Haute-Tinée, et La Roya pour les transhumances provenant de l'Italie).

(Source : Centre d'Études et de Réalisations Pastorales Alpes Méditerranée ;
Association pour la Promotion du Pastoralisme dans les Alpes Maritimes)

Les pratiques sylvo-pastorales constituent une réponse adaptée et efficace au problème d'entretien de certains espaces difficilement valorisables et à faible potentiel forestier. La forêt méditerranéenne, et la Corse, en particulier, connaissent bien ces problématiques.

Pourtant, en l'état des textes, et à de rares exceptions près, les surfaces boisées sur lesquelles se développent des activités agricoles ou pastorales échappent au droit de préemption des SAFER qui ne peuvent les acquérir que par voie amiable ou d'adjudication.

Lors de la discussion en Séance à l'Assemblée nationale du projet de loi d'avenir de l'agriculture, le Gouvernement a précisé par amendement la notion de « terrains nus » sur lesquels s'exerce le droit de préemption des SAFER, afin de sécuriser leur champ d'intervention sur les terrains qui sont laissés à l'abandon (friches, ruines, etc.).

Vos rapporteurs saluent cette précision et sont également sensibles aux bénéfices qui pourraient être tirés d'une extension du droit de préemption des SAFER aux espaces intermédiaires sylvo-pastoraux, terrains boisés depuis toujours (et qui ne constituent donc pas des friches) qui sont utilisés pour faire paître ou transhumer les troupeaux (ovins, caprins et porcins principalement).

Proposition n° 21 : élargir l'assiette du droit de préemption des SAFER aux espaces « intermédiaires » sylvo-pastoraux.

b) Une filière ovine économiquement fragile

Ainsi que l'ont montré nos collègues Gérard Bailly et François Fortassin dans leur rapport d'information de 2008 sur la filière ovine française, la situation de celle-ci est marquée par la diminution continue du cheptel (revenu, de près de 13 millions de têtes en 1980, à 7,5 millions en 2012, soit une baisse de plus de 40 %), par la réduction du nombre d'exploitations, par l'augmentation de la taille des troupeaux et par la spécialisation des exploitations.

La production est fragilisée par une consommation de viande d'agneau en constant recul, des variations fortement erratiques des prix, en baisse sur le long terme, et le recours, de façon de plus en plus massive aux importations (Nouvelle-Zélande, Grande-Bretagne). Les revenus de la filière ovine, pris dans leur ensemble, se situent à des niveaux extrêmement bas par rapport aux autres secteurs d'activité agricole.

c) Une fragilité vraisemblablement accrue par le changement climatique

Or, les activités pastorales sont directement dépendantes des conditions climatiques : phases hivernale (se déroulant en stabulation) et estivale (en alpage) sont étroitement imbriquées, puisque l'alimentation d'hiver dépend des fourrages et que le rendement des alpages en herbe durant l'été est lié à la couverture neigeuse. La fonte des neiges amorce la phase végétative et la possibilité d'exploitation pour nourrir les animaux.

Même si, en l'état des connaissances, les effets du changement climatique sur l'agriculture et le pastoralisme sont encore hypothétiques et ambivalents, il faut insister sur la sensibilité particulière des zones de montagne à ses conséquences :

- décalage vers le haut des étages de végétation montagnards et mutation des écosystèmes des différentes espèces de faune et de flore, très spécialisés en montagne ;

- allongement de la période d'estive  (les emmontagnages tendant à s'effectuer plus tôt dans l'année, en raison de la fonte précoce de la neige et pour pouvoir bénéficier de la première pousse d'herbe) ;

- stress hydrique (accentué par l'allongement de l'été) et perte de production de fourrage (rendant nécessaire des apports extérieurs en eau et fourrage au détriment de ceux récoltés pour la saison hivernale) ;

- risque de développement de maladies animales et apparition d'espèces invasives.

Enfin, malgré les efforts de la profession 2 ( * ) et des pouvoirs publics 3 ( * ) pour mener des études robustes, il faut souligner la difficulté à analyser avec précision les effets du changement climatique dans les zones de montagne, dont les caractéristiques géographiques nécessitent des données météorologiques à une échelle plus fine que ce que les modèles climatiques permettent.

2. La prolifération des grands prédateurs
a) Après son éradication, le retour spontané du loup

Le loup, le plus emblématique des grands prédateurs historiquement présents en France, avait fait l'objet d'une entreprise de destruction systématique à partir du XIX e siècle, jusqu'à disparaître complètement du territoire national dans les années 1930. Réapparu en 1992 dans le massif du Mercantour, probablement en provenance des Apennins italiens, il a colonisé le reste les Alpes au cours des années 1990, puis a gagné progressivement le Massif central, les Vosges et les Pyrénées. Depuis 2013, l'aire d'expansion du loup a atteint les marches du Bassin parisien (Haute-Marne, Yonne et Aube).

La population de loups sur le territoire français est aujourd'hui estimée à 250 bêtes, selon les chiffres officiels du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, et progresse à un rythme de 20 % par an. Certains chiffres officieux évoquent même, déjà, une population de 400 représentants de cette espèce particulièrement furtive et mobile, qui se prête mal à des comptages précis.

b) Après sa quasi extinction, la réintroduction de l'ours

Contrairement au loup, la population ursine n'a jamais été totalement éradiquée en France, et a toujours été présente dans les Pyrénées, bien qu'une baisse constante des effectifs ait pu être constatée au cours des siècles.

Dans les années 1990, la population des ours des Pyrénées, malgré une interdiction de chasse datant de 1962 et la création du Parc national des Pyrénées en 1967, avait atteint le seuil démographique critique de moins de 10 individus sur l'ensemble du massif, ce qui la menaçait d'extinction. Cette population ursine indigène avait alors été renforcée par l'ajout de 2 mâles et 6 femelles provenant de Slovénie.

Une expertise collective scientifique sur la présence de l'ours brun dans les Pyrénées a été réalisée en 2013 à la demande du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie : elle fait état, pour l'année 2012, de la présence de 22 ours bruns, dont 11 femelles, 8 mâles et 3 individus au sexe encore indéterminé à ce jour.

c) La réintroduction du lynx et des très grands rapaces

Le lynx a été réintroduit dans le Jura dans les années 1970, où sa population a proliféré jusqu'à atteindre un effectif de l'ordre de 150 bêtes. L'espèce a été ensuite réintroduite dans les Vosges, dans les années 1980, puis a colonisé naturellement les Alpes.

D'autres espèces de très grands rapaces comme le vautour gypaète ont également fait l'objet d'opérations de réintroduction, avec un succès certain. En 2009 en France, il subsistait 130 couples dans le massif pyrénéen, 9 en Corse et, grâce à un programme international de réintroduction, 17 dans le massif alpin (répartis en deux noyaux, dans les Alpes nord occidentales et les Alpes centrales).

3. La forte augmentation des prédations sur les troupeaux
a) Des dégâts du loup en progression rapide

Les animaux domestiques les plus souvent victimes des prédateurs sont les ovins : ils paissent sur des espaces étendus et sous une surveillance qui, par la force des choses, ne peut être ni rapprochée, ni permanente. Les bovins, même lorsqu'ils sont gardés dans les mêmes conditions, sont des proies moins faciles. Les porcins et les volailles, lorsqu'ils ne sont pas protégés à l'intérieur de bâtiments d'élevage, demeurent en général à proximité des habitations.

Selon le « plan d'action national loup » pour la période 2013-2017, les indicateurs les plus à même de décrire l'évolution de la pression de la prédation des loups, à la fois au cours du temps et dans l'espace, sont le nombre d'attaques subies par les troupeaux, qui est passé de 736 attaques indemnisées en 2008 à 1 414 en 2011, et le nombre de troupeaux concernés, qui est passé de 310 en 2008 à 450 en 2011 (et certains subissent plus d'une attaque au cours d'une année).

Ce n'est pas l'évolution de la gravité moyenne des attaques, c'est-à-dire le nombre moyen de victimes par attaque, qui demeure compris entre 3 et 4 depuis 2008, qui explique la progression du nombre de victimes indemnisées de 2 680 en 2008 à 4 913 en 2011, dont 95 % sont des ovins, mais bien l'évolution du nombre d'attaques et de troupeaux touchés.

Le plan national loup souligne la très forte corrélation entre ces deux tendances : augmentation des attaques d'une part, augmentation du nombre de secteurs concernés d'autre part. En effet, sur la période 1994-2011, plus de 96 % de la progression annuelle des attaques correspond à la progression annuelle du nombre de troupeaux touchés, ce dernier nombre étant lui-même très fortement lié à l'étendue de l'aire de présence détectée du loup. Très logiquement, la probabilité d'attaques de troupeaux augmente avec la colonisation de nouveaux territoires par le loup, qu'il s'agisse de départements nouvellement concernés ou de nouveaux secteurs dans des départements où le loup est déjà présent. Les interactions entre loups et troupeaux sont évidemment particulièrement aiguës là où les distributions spatiales du prédateur et des moutons se superposent le plus et le plus longtemps.

Ceci explique, au moins partiellement, la très grande importance numérique des attaques enregistrées dans les départements des Alpes du Sud : la région PACA concentrant 70 % des attaques indemnisées au titre du loup sur la période 2008-2011, cette proportion atteignant 35 % du total national pour le seul département des Alpes-Maritimes.

b) Des dégâts de l'ours moindres, mais également en progression

Alors que le loup est entièrement carnivore, l'ours est omnivore sur l'année. Toutefois, son régime alimentaire devient à dominance carnivore au printemps, lorsqu'il se réveille après sa période d'hibernation, ce qui se traduit par la concentration des attaques d'ovins par l'ours à cette saison.

Les dégâts attribuables à l'ours brun, tels que répertoriés par la DREAL Midi-Pyrénées, l'ONCFS et le Parc national des Pyrénées, sont encore limités pour l'instant, comparativement à ceux du loup. Depuis 1996, 160 victimes en moyenne annuelle ont été imputées à l'ours, avec un maximum de 320 victimes en 2007.

La répartition spatiale et la fréquence des prédations ne sont pas nécessairement reliées avec l'effectif de la population ursine, mais plutôt dépendantes des comportements spécifiques à chaque individu, mâle ou femelle, selon la particularité des situations. La prédation des ours se distingue aussi de celle des loups par des « techniques de chasse » sur les cheptels domestiques propres à chacune des deux espèces de prédateurs.

c) Des dégâts du lynx et des très grands rapaces non négligeables

Les prédations du fait des lynx ne sont pas aussi précisément recensées que celles du fait du loup ou de l'ours. Mais ce très gros félin, qui se nourrit principalement de chevreuils, est parfaitement apte à s'en prendre aux ovins et ferait entre 30 à 40 victimes chaque année.

Quant aux dégâts causés par ces très grands rapaces que sont les vautours et les gypaètes, qui ne sont pas non plus précisément recensés, ils semblent porter surtout sur des bêtes rendues vulnérables par des blessures ou au moment du vêlage ou de l'agnelage. Néanmoins, ces attaques sont le signe d'une modification anormale du régime alimentaire habituel de ces oiseaux charognards, qui s'en prennent à des animaux vivants faute de trouver dans la nature suffisamment de charognes pour se nourrir. Cette « dénaturation » des vautours et gypaètes s'explique, très probablement, par l'application des normes européennes relatives à l'équarrissage, très strictes pour des considérations d'hygiène et de santé qui les a privés de la seule nourriture vraiment à leur goût autrefois abondante en montagne au voisinage des troupeaux.

Sur cette question, vos rapporteurs jugent très pertinente la proposition faite par l'ANEM dans la motion sur les prédateurs qu'elle a adoptée le 18 octobre 2013, à l'occasion de son 29 e congrès. Il conviendrait de réviser les normes européennes de l'équarrissage, de manière à ce qu'il redevienne possible d'abandonner dans la nature suffisamment de résidus de carcasses pour que les rapaces charognards retrouvent leur régime alimentaire ancestral.

Proposition n° 22 : réviser les normes européennes applicables à l'équarrissage, de manière à aider les vautours et les gypaètes à reprendre leurs habitudes alimentaires de charognards.

4. Des indemnisations en forte hausse et néanmoins insuffisantes
a) Le principe des dédommagements dus aux éleveurs

L'État indemnise systématiquement les dégâts des grands prédateurs, qu'il s'agisse des loups, des ours, ou encore des lynx. Le système d'indemnisation des dégâts dus au loup a été mis en place dès 1993 et révisé en 2005, 2009 et 2011. Il est financé par le ministère de l'écologie.

Après chaque attaque, un constat est établi par un agent assermenté, dans un délai de quarante-huit heures. Le doute doit profiter à l'éleveur. Sont ainsi indemnisées toutes les victimes de prédations pour lesquelles la responsabilité du loup n'est pas exclue.

Les indemnisations couvrent les pertes directes selon un barème établi. Elles prennent en charge la valeur de remplacement des animaux, c'est-à-dire le prix d'achat d'un animal vivant de même catégorie. Les attaques de loup ont un impact fort sur les troupeaux, en termes de baisse de la fécondité, chute de la production laitière, ou encore perte de poids des agneaux. L'indemnisation des attaques de loup inclut donc un forfait de compensation des pertes indirectes et la prise en charge des animaux disparus à hauteur de 15 % des pertes directes.

b) La rapide augmentation d'indemnisations réparant le seul préjudice économique

Selon les chiffres cités par notre collègue Stéphane Mazars dans son rapport n° 275 (2012-2013) sur la proposition de loi du groupe RDSE du Sénat visant à créer des zones d'exclusion pour les loups, le montant des indemnisations s'est élevé au total en 2011 à 1 548 052 euros. En 2004, il n'était que de 494 255 euros.

Le coût des indemnisations a donc plus que triplé dans l'intervalle de sept années. Cette hausse considérable est due à celle du nombre d'attaques et également, en partie, à la revalorisation des barèmes d'indemnisation.

Vos rapporteurs relèvent que, dans une période où l'État cherche par tous les moyens à réduire ses dépenses, il y a peut-être là une manière plus intelligente d'employer l'argent public et une piste d'économies potentielle.

c) La question du préjudice moral, demeurée sans réponse

Surtout, vos rapporteurs partagent entièrement cette remarque de Stéphane Mazars : « si ces indemnisations sont un acquis nécessaire, elles ne sauraient toutefois parfaitement prendre en compte les conséquences morales et psychologiques très fortes des prédations sur les éleveurs ou les bergers, tant ces attaques constituent une remise en cause fondamentale de leur travail ».

Effectivement, le préjudice moral résultant pour les éleveurs et les bergers des prédations dont sont victimes leurs troupeaux est, au sens premier du terme, inestimable. Sans verser dans un sentimentalisme outrancier, on peut admettre que ces hommes aiment leurs bêtes, et que le fait de les retrouver le matin dépecées ou éventrées ne peut que les perturber gravement, pour ne pas dire les traumatiser.

Quant au sens qu'ils peuvent encore donner au dur métier qu'ils exercent le plus souvent par vocation, vos rapporteurs se contenteront de se référer à l'un de leurs interlocuteurs, qui leur a confié ne pas avoir choisi le métier de berger pour nourrir les loups.

5. Des mesures de protection coûteuses et présentant des limites
a) La panoplie des mesures de protection

Un arrêté du 19 juin 2009 relatif à l'opération de protection de l'environnement dans les espaces ruraux portant sur la protection des troupeaux contre la prédation, fixe les modalités de mise en oeuvre de la protection des troupeaux, qui sont ensuite précisées chaque année par une circulaire ministérielle.

Ces mesures de protection relèvent des cinq catégories suivantes :

1 - gardiennage renforcé ;

2 - parc de regroupement mobile électrifié ;

3 - chiens de protection ;

4 - parc de pâturage de protection renforcée électrifié ;

5 - analyse de vulnérabilité.

Pour prendre en compte la diversité des systèmes d'élevage touchés par la prédation, le dispositif se décline en différentes combinaisons obligatoires, en fonction de la taille du troupeau et de la durée de son pacage en zone de prédation.

Des aides sont prévues pour financer les mesures de protection auxquelles sont éligibles les agriculteurs, les associations foncières pastorales, les groupements pastoraux et les syndicats d'employeurs qui satisfont à certaines conditions et qui exercent au moins 30 jours consécutifs de pacage dans les communes d'application de la mesure.

Les communes d'application du dispositif couvrent les zones de pacage, comme les estives et les parcours d'intersaison, subissant une pression de prédation. Elles incluent les zones de présence permanente du prédateur où l'ensemble des mesures est applicable, ainsi que les zones de risque d'extension prévisible à court terme de la pression de prédation, où l'option gardiennage notamment n'est pas éligible, du fait d'un risque de prédation plus aléatoire.

La zone de prédation est ainsi divisée en deux cercles, fixés chaque année par le préfet du département :

- le premier cercle correspond aux zones où la prédation sur le cheptel domestique a été constatée une ou plusieurs fois au cours des deux dernières années ;

- le deuxième cercle correspond aux zones où des actions de prévention sont nécessaires du fait de la survenue possible de la prédation par le loup pendant l'année en cours.

b) Un coût six fois supérieur à celui des indemnisations

Les aides sont accordées dans le cadre d'un contrat avec l'éleveur, à hauteur de 80 % des dépenses de protection et sont plafonnées annuellement entre 5 700 euros, pour les troupeaux de moins de 150 animaux, et 14 200 euros, pour les troupeaux de plus de 1 200 animaux.

À mesure que les prédations se sont multipliées, le coût total pour l'État de cette panoplie de mesures de protection est passé de 4,9 millions d'euros en 2008 à 8,8 millions d'euros en 2011.

Dans le détail, le coût moyen est de 315 euros par victime, et de 1 094 euros par attaque. Le montant annuel par dossier est de 7 200 euros.

Ce montant global, qui est donc près de six fois supérieur à celui de 1,5 millions d'euros affecté à l'indemnisation des dégâts, se répartit comme suit : gardiennage 74 % ; chiens de protection 16 % ; parcs de regroupement 5 % ; parcs de pâturage 5 % ; analyses de vulnérabilité 1 %.

Le total des sommes restant à la charge des éleveurs s'élève à 1,8 million d'euros en 2011 (solde de 20 % restant sur les 80 % pris en charge). Ces coûts supplémentaires viennent ainsi dégrader davantage la rentabilité d'une filière déjà fragilisée économiquement.

c) Les limites et les effets pervers des mesures de protection

Vos rapporteurs ne contestent pas l'efficacité des mesures préventives de protection, qui est reconnue. Mais leur très relatif succès ne doit pas occulter le fait qu'elles ne font jamais disparaître totalement les prédations et que le niveau auquel celles-ci semblent se stabiliser depuis 2011 reste, somme toute, très élevé.

Par ailleurs, la mise en oeuvre des mesures de protection constitue un handicap constant pour la rentabilité des troupeaux :

- elles représentent une charge de travail supplémentaire et harassante pour le berger (montage et démontage des enclos nocturnes, avec éclairages de protection) ;

- elles ont, de ce fait, un effet pernicieux sur la volonté des éleveurs de maintenir leur exploitation, qui renoncent à pâturer certains territoires, voire changent de métier, ainsi que certains « partisans du loup » les invitent très officiellement à le faire.

Certaines de ces mesures ont des effets pervers :

- le parcage nocturne est cause de graves inconvénients et incidents, tels que le piétinement des sols, les risques sanitaires liés à la concentration des excréments, ou encore, le risque de mortalité des brebis par étouffement lors des paniques provoquées par les attaques qui surviennent quand même ;

- les chiens patous sont une source croissante de conflits d'usage, et notamment d'accidents sur les randonneurs (chutes, morsures, poursuites). Car, si aucun loup ne s'est encore attaqué à l'homme en France, les chiens patous n'ont pas cette retenue lorsqu'ils remplissent leur mission de protection des troupeaux. Il serait d'ailleurs naïf de leur en faire le reproche.

6. Les conditions d'une gestion des prédateurs enfin responsable

Sans remettre en cause la présence du loup dans notre pays et donc la préservation de cette espèce protégée, vos rapporteurs partagent la volonté exprimée par Stéphane Mazars, dans son rapport fait au nom de la commission du développement durable du Sénat « de rétablir un équilibre plus satisfaisant entre défense de la biodiversité et protection des activités économiques et sociales » . En tant que membres de cette commission, ils souhaitent également apporter « une réponse pragmatique et raisonnable à la hausse constatée des attaques de loups, à la désespérance de nombre de nos éleveurs, et à la nécessité fondamentale de protéger l'agro-pastoralisme sur nos territoires ».

a) Le débat autour du statut d'espèce protégée accordé par le droit international et européen

À titre personnel, l'une de vos deux rapporteurs, élue du département de France le plus touché par les attaques de loups, celui des Alpes-Maritimes, considère que la cohabitation actuelle entre le loup et le monde pastoral n'est plus supportable dans son département et que des mesures de prélèvements urgentes et efficaces doivent être prises.

Cela dit, et quoiqu'ils puissent en penser à titre personnel, vos rapporteurs doivent prendre acte de la protection poussée dont bénéficient ces espèces en droit international : le loup ( canis lupus ) est ainsi une espèce de faune sauvage visée, en particulier, par la convention de Berne (Convention du 19 septembre 1979 relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe), et l'ours, le lynx, le vautour ou le gypaète sont également protégés par des instruments internationaux.

Notons, à titre liminaire, que la convention de Berne ne couvre que les espèces indigènes, alors que le loup n'était plus présent sur le territoire français au moment de la ratification de la Convention (les partisans de la présence du loup en France faisant valoir que, historiquement, il s'agit bien d'une espèce qui était indigène sur le territoire français avant son éradication). Les deux points de vue méritent d'être discutés.

Le loup est actuellement classé comme animal « strictement protégé »  par la convention de Berne.

Pour la faune sauvage « strictement protégée » (article 6 de la Convention dont la liste figure à l'annexe II), l'objectif est d'assurer la conservation particulière des espèces et le moyen privilégié est l'interdiction (interdictions multiples et très étendues : interdiction de capture, de détention, de mise à mort, de détérioration des sites de reproduction et des aires de repos, de perturbation de la faune sauvage, de détention et de commerce).

En revanche, pour la faune sauvage « protégée » (article 7 de la Convention et liste figurant à l'annexe III) l'objectif est d'assurer la protection simple des espèces, au moyen d'une réglementation qui permette de maintenir l'existence de ces populations hors de danger (instauration de périodes annuelles ou de zones de préservation, de modalités particulières de gestion, réglementation du commerce). Restent en outre toujours interdites la capture ou la mise à mort des espèces de faune sauvage protégées par des moyens qui seraient non sélectifs ou localement dangereux pour la pérennité ou la tranquillité de l'espèce.

Extraits de la Convention du 19 septembre 1979
relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe
(« Convention de Berne »)

ESPÈCES DE FAUNE « STRICTEMENT PROTÉGÉES »

Art. 6. - Chaque Partie contractante prend les mesures législatives et réglementaires appropriées et nécessaires pour assurer la conservation particulière des espèces de faune sauvage énumérées dans l' annexe I I [ espèces de faune strictement protégées ]. Seront notamment interdits , pour ces espèces :

a) toute forme de capture intentionnelle, de détention et de mise à mort intentionnelle ;

b) la détérioration ou la destruction intentionnelles des sites de reproduction ou des aires de repos ;

c) la perturbation intentionnelle de la faune sauvage, notamment durant la période de reproduction, de dépendance et d'hibernation, pour autant que la perturbation ait un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente convention ; (...)

e) la détention et le commerce interne de ces animaux, vivants ou morts, y compris des animaux naturalisés, et de toute partie ou de tout produit, facilement identifiables, obtenus à partir de l'animal, lorsque cette mesure contribue à l'efficacité des dispositions du présent article.

ESPÈCES DE FAUNE « PROTÉGÉES »

Art. 7. - 1. Chaque Partie contractante prend les mesures législatives et réglementaires appropriées et nécessaires pour protéger les espèces de faune sauvage énumérées dans l' annexe III [espèces de faune protégées].

2. Toute exploitation de la faune sauvage énumérée dans l'annexe III est réglementée de manière à maintenir l'existence de ces populations hors de danger, compte tenu des dispositions de l'article 2.

3. Ces mesures comprennent notamment:

a) l'institution de périodes de fermeture et/ou d'autres mesures réglementaires d'exploitation ;

b) l'interdiction temporaire ou locale de l'exploitation, s'il y a lieu, afin de permettre aux populations existantes de retrouver un niveau satisfaisant ;

c) la réglementation, s'il y a lieu, de la vente, de la détention, du transport ou de l'offre aux fins de vente des animaux sauvages, vivants ou morts.

La Communauté européenne a été partie à la Convention de Berne dès 1981 (avant la France) et l'Union européenne est désormais garante de son respect. La directive dite « Habitats, faune, flore » (directive 92/43/CEE concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages) reprend quasiment mot pour mot sa structure et certaines de ses dispositions (articles de principes et listes d'espèces en annexe).

Concernant le loup, son classement en espèce strictement protégée par la Convention de Berne se trouve mécaniquement décliné, au niveau de l'Union européenne, dans la directive « Habitats ». La directive lui affecte des « zones spéciales de conservation » qui s'intègrent dans le réseau Natura 2000 (annexe II), en interdit la destruction ou la perturbation (annexe IV - Espèces animales et végétales d'intérêt communautaire qui nécessitent une protection stricte), mais autorise aussi, sous conditions, des mesures de gestion de l'espèce (annexe V).

Enfin, au niveau des mesures nationales de transposition, on retrouve le loup dans la « liste des mammifères terrestres protégés sur l'ensemble du territoire » fixée par l'arrêté du 23 avril 2007.

Du fait de l'état florissant de l'espèce, tant à l'échelle de la France que de l'Europe, vos rapporteurs estiment aujourd'hui légitime et nécessaire de réintégrer le loup dans l'annexe III de la Convention, pour en refaire ainsi une « espèce protégée » simple, et d'en déduire les modifications correspondantes qui s'imposent tant dans la directive Habitats que dans le plan national loup.

Proposition n° 23 : réintégrer le loup dans l'annexe III de la Convention de Berne, pour faire de la population lupine une « espèce protégée simple ».

b) La nécessité d'une concertation approfondie et préalable

La Convention de Berne du 19 septembre 1979 ne couvre que les espèces indigènes, et interdit l'introduction d'espèces non-indigènes. À cet égard, il est permis de se demander si les ours de Slovénie réintroduits en France y sont vraiment aussi indigènes que les derniers spécimens d'ours brun des Pyrénées dont ils sont venus renforcer les effectifs.

Quoiqu'il en soit, l'article 11 du paragraphe 2 de la Convention de Berne dispose que « chaque Partie contractante s'engage à encourager la réintroduction des espèces indigènes de la flore et de la faune sauvages lorsque cette mesure contribuerait à la conservation d'une espèce menacée d'extinction, à condition de procéder au préalable et au regard des expériences d'autres Parties contractantes à une étude en vue de rechercher si une telle réintroduction serait efficace et acceptable » .

Or, la manière dont les réintroductions successives d'ours dans les Pyrénées se sont déroulées montre que cette notion d' « acceptabilité » n'a hélas pas été conçue par les pouvoirs publics dans le sens d'une obligation de vérifier au préalable l'acceptation des populations locales amenée à vivre au contact de cet impressionnant prédateur. Plus grave encore, ces populations expriment le sentiment, non seulement de ne pas avoir été consultées au préalable, mais de n'être pas plus écoutées aujourd'hui, lorsqu'elles font part de leurs doléances à l'égard de l'ours.

Vos rapporteurs affirment que le minimum que l'on est en droit d'exiger des pouvoirs publics, lorsqu'ils procèdent à la réintroduction d'une espèce protégée de prédateurs, est de procéder aux consultations préalables qui seules peuvent leur permettre de s'assurer du consentement des populations locales avant la réintroduction. Le respect de cette exigence est d'ailleurs demandé dans un autre point de la motion sur les prédateurs adoptée par l'ANEM lors de son 29 e Congrès, qui s'est tenu à Cauterets, dans les Pyrénées.

Proposition n° 24 : exiger le strict respect des règles posant le principe d'une concertation préalablement à la réintroduction d'espèces menacées d'extinction.

c) La création de zones de protection renforcée pour les loups

Notre collègue Alain Bertrand, soutenu par l'ensemble des sénateurs du groupe RDSE, a présenté le 16 octobre 2012 une proposition de loi n° 54 (2012-2013) « visant à créer des zones d'exclusion pour les loups ».

Dans ces zones, le prélèvement de loups serait autorisé dans la limite de seuils déterminés spécifiquement pour chaque zone, indépendamment du prélèvement existant déjà au niveau national. Il ne s'agit en aucune manière d'abattre tous les loups présents dans ces zones.

Trois critères doivent en effet être réunis pour délimiter une zone d'exclusion pour les loups :

- le constat de dommages importants aux activités pastorales ;

- l'inefficacité des mesures de protection des troupeaux, en d'autres termes l'absence de solutions satisfaisantes pour assurer cette protection ;

- la non mise en péril de la présence du loup sur le territoire national.

Ce sont les trois critères prévus tant par la Convention de Berne que par la directive « Habitats, faune, flore » pour accorder des dérogations à l'interdiction d'abattre des loups. Dans sa rédaction initiale, cette proposition de loi s'inscrivait donc dans le respect du droit international et européen. Les détails de ses modalités d'application sont renvoyés à un décret en Conseil d'État.

Réunie le 23 janvier 2013 pour examiner ce texte avant son examen en séance publique, la commission du développement durable du Sénat a adopté, à l'initiative de son rapporteur Stéphane Mazars, deux amendements ne remettant pas en cause la philosophie du texte, mais clarifiant et précisant son contenu :

- un amendement pour remplacer, dans l'intitulé de la proposition de loi, la notion de « zones d'exclusion » par celle de « zones de protection renforcée contre le loup ». Il ne s'agit pas, en effet, d'abattre tous les loups dans une zone donnée, mais bien de permettre une protection renforcée et des prélèvements plus nombreux dans certaines zones, sous la supervision du préfet ;

- un amendement sur le dispositif même, consistant à préciser que les zones de protection renforcée seront délimitées par arrêté préfectoral. C'est là le niveau le plus pertinent pour tracer les contours précis de ces zones, et pour les redéfinir année après année en fonction de l'évolution des prédations.

Ainsi modifiée par la commission du développement durable, la proposition de loi a été examinée en séance publique, le 30 janvier 2013, pour être adoptée à une très large majorité de 208 voix contre 131.

Il va sans dire que le voeu le plus cher de vos rapporteurs est que la navette suive son cours, afin que l'Assemblée nationale puisse adopter à son tour cette proposition de loi consensuelle, dans le texte voté par le Sénat, voire dans un texte encore amélioré.

Proposition n° 25 : poursuivre, jusqu'à son adoption définitive, la discussion au Parlement de la proposition de loi visant à créer des zones de protection renforcée contre le loup adoptée par le Sénat le 30 janvier 2013.

d) Une régulation plus efficace

En droit interne, les dispositions de la directive « Habitats, faune, flore » permettant des dérogations à la protection du loup sont retranscrites à l'article L. 411-2 du code de l'environnement qui pose le principe selon lequel des dérogations peuvent être délivrées à la triple condition :

- qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante ;

- que les dérogations ne nuisent pas au maintien, dans un état de conservation favorable des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle ;

- et pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété.

Les conditions et limites dans lesquelles ces dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées sont en outre précisées par un arrêté ministériel (du 15 mai 2013), tandis que chaque année est déterminé un plafond de tirs de prélèvement.

Le nombre maximum de spécimens de loups dont la destruction peut être autorisée a ainsi été fixé à 11 pour la période 2012-2013 (arrêté du 7 mai 2012) et à 24 pour la période 2013-2014 (arrêté du 16 mai 2013).

Sont également fixés les seuls départements dans lesquels cette possibilité de dérogation peut s'appliquer : douze en 2012-2013 (Alpes-de-Haute-Provence, Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes, Drôme, Isère, Pyrénées-Orientales, Savoie, Haut-Rhin, Haute-Saône, Haute-Savoie, Vosges et Var), quatorze en 2013-2014 (ajout de la Lozère et du Vaucluse).

L'éleveur ou le berger peut être autorisé à procéder à un effarouchement (lumineux, sonore, tir non létal), puis si nécessaire à un tir de défense à proximité immédiate du troupeau. Si c'est insuffisant, le préfet peut alors ordonner la réalisation d'un tir de prélèvement.

Le nouveau « plan loup » (2013-2017) repose désormais sur deux grands principes :

- la gestion différenciée (la mise en oeuvre du plan devant pouvoir être territorialisée en fonction des massifs qui connaissent des pratiques pastorales et de modes de protection différents et subissent une pression de prédation exercée par le loup inégale) ;

- la gradation de la réponse (les actions à entreprendre doivent pouvoir être graduées, afin de tenir compte de la pression de prédation).

Malgré ces bonnes intentions, il doit être souligné que la mise en oeuvre concrète de ce dispositif s'avère toujours difficile au niveau local. Ainsi, alors que le préfet des Alpes-Maritimes avait pu autoriser en août 2013 et pour un mois une opération de tir conduisant au prélèvement de deux loups (dans deux communes hors de la zone coeur du Parc National du Mercantour) afin de réduire l'exposition des troupeaux, d'autres arrêtés préfectoraux autorisant les sociétés de chasse à effectuer des battues ont, eux, été suspendus par la justice administrative en octobre 2013.

Vos rapporteurs souhaitent donc instamment que soient enfin posées les bases d'une vraie régulation du loup en France : niveaux de prélèvements suffisants (c'est-à-dire en rapport avec le dynamisme démographique de la population lupine), reconnaissance de la possibilité de tirs de défense plus systématiques, possibilité de solliciter les fédérations de chasse pour contribuer au retrait des prédateurs à l'initiative du préfet (comme l'envisage l'article 18 du projet de loi d'avenir de l'agriculture dans sa rédaction issue des travaux l'Assemblée nationale), ouverture des prélèvements en période d'hiver et non uniquement quand les troupeaux sont à l'alpage (le loup étant alors plus facile à pister sur la neige).

Proposition n° 26 : prendre des mesures efficaces dans le cadre d'une réglementation appropriée, afin de permettre la régulation des loups par des prélèvements suffisants.

IV. LA FORÊT DE MONTAGNE : UNE RESSOURCE SOUS EXPLOITÉE

A. LES SPÉCIFICITÉS DE LA FORÊT DE MONTAGNE

1. Des massifs forestiers étendus, variés et denses
a) La typologie des massifs forestiers de montagne

La forêt tient une large place dans l'espace montagnard, dont le taux de boisement est de l'ordre de 40 %, alors que la moyenne nationale est de 25 %. La forêt de montagne représente 37 % du potentiel forestier national, en superficie comme en volume de bois sur pied, alors que les zones de montagne représentent seulement 30 % du territoire national. La proportion des résineux y est de 55 %, contre 35 % au plan national, et de 24 % pour les seuls sapins et épicéas.

La typologie de la forêt de montagne du point de vue des handicaps et de l'exploitation présentée dans le rapport d'information sénatorial de 2002 demeure toujours pertinente. Il est ainsi possible de distinguer :

- des massifs de moyenne altitude, au taux de boisement élevé, au réseau de desserte forestière dense, présentant une production biologique élevée base d'une exploitation forestière et d'une filière bois actives. C'est le cas des Vosges, du Jura et, à un degré moindre, du Massif central ;

- des massifs de haute montagne, où l'exploitation se heurte à des handicaps naturels liés à l'altitude, à la pente, à la situation économique locale, ainsi qu'aux contraintes imposées par la protection de l'environnement. C'est le cas des Alpes et des Pyrénées ;

- des massifs méditerranéens où les peuplements forestiers de faible valeur économique subissent la menace constante des feux de forêts. C'est le cas de la forêt de Corse, de la frange littorale des Alpes du Sud et des Pyrénées orientales, voire de l'Ariège.

b) Une densité supérieure à la moyenne nationale

Les forêts de montagne se caractérisent par une importante accumulation de bois sur pied : leur volume moyen de 165 m 3 par hectare est supérieur de 20 % à la moyenne nationale.

Ce phénomène d'accumulation du bois sur pied, qui tend à se renforcer, traduit en fait le vieillissement des peuplements : dans la plupart des massifs de montagne, les taux de prélèvement du bois sont parmi les plus faibles de France. Cette sous-exploitation des forêts de montagne est particulièrement marquée dans les Alpes et en Corse.

c) Un rôle protecteur contre les risques naturels et l'érosion des sols

Le rôle des forêts de montagne pour la prévention des risques naturels dans le cadre du service RTM a déjà été évoqué dans la partie du présent rapport d'information consacrée à la politique de restauration des terrains en montagne : environ 300 000 hectares, dont 250 000 boisés, relèvent aujourd'hui des séries domaniales classées sous servitude RTM.

Par ailleurs, la loi du 28 avril 1922 instaurant le statut de forêt de protection, dite « loi Chauveau », a permis, au-delà des périmètres RTM domaniaux, de classer des parcelles boisées dont la conservation était nécessaire au maintien des terres, et de lutter ainsi contre l'exploitation abusive de certains massifs forestiers.

2. Une grande sensibilité au changement climatique
a) Les risques sanitaires spécifiques à la forêt de montagne

Les arbres des forêts d'altitude présentent des pathologies spécifiques en raison de la rigueur du climat montagnard (bris dus aux neiges lourdes et favorisant la prolifération des insectes sous-corticaux, épisodes de gel précoce) ; du vieillissement des peuplements ; de la prédominance des résineux ; de la pluviométrie élevée, qui favorise l'acidification des sols, naturelle ou exogène.

Au début des années 1980, les « pluies acides » avaient suscité de fortes inquiétudes quant à l'évolution, à moyen terme, de la santé des massifs forestiers de moyenne montagne. Les études scientifiques menées depuis montrent que le dépérissement des peuplements forestiers attribué à ces « pluies acides », résultait de la conjonction des sécheresses exceptionnelles de la fin des années 1970, dont l'effet s'est fait sentir de manière décalée dans le temps, et de la présence localisée de sols hyperacidifiés par le lessivage résultant du retour à des précipitations plus abondantes. En théorie, une nouvelle crise de ce genre pourrait être prévenue par des amendements calcaires. Mais la France n'a pas choisi de s'engager massivement dans cette politique de prévention, à la différence de l'Allemagne.

b) Les effets du changement climatique sur la forêt de montagne

La plus grande fréquence des phénomènes climatiques extrêmes pourrait avoir de graves répercussions sur la forêt de montagne.

Les tempêtes Lothar et Martin de 1999 ont relativement épargné les massifs des Alpes et des Pyrénées, mais sévèrement endommagé ceux des Vosges et du Jura : l'équivalent de dix récoltes annuelles y a été perdu. La tempête Klaus de 2009 n'a que très marginalement touché les forêts de montagne, mais un tiers des dégâts provoqués par la tempête Xynthia de 2010 a concerné le massif des Pyrénées.

La plus grande fréquence et l'allongement des périodes de sécheresse sont de nature à favoriser les incendies de forêt et à fragiliser des peuplements forestiers devenus plus vulnérables aux divers agents pathogènes et insectes ravageurs.

Enfin, le décalage vers le haut des étages montagnards, sous l'effet du réchauffement climatique, pose la question de l'évolution des peuplements forestiers, que celle-ci soit spontanée ou accompagnée par l'homme. Solidement enracinés, les arbres ne peuvent pas suivre ce mouvement déjà observable. Un changement trop accentué des conditions climatiques des niches écologiques des essences les plus spécifiquement adaptées à un niveau d'altitude donnée, risque donc d'entraîner leur dépérissement.

3. Une exploitation difficile
a) Des dessertes insuffisantes et des coûts élevés

Dans les forêts de haute montagne, les pentes abruptes ou difficilement accessibles rendent techniquement très difficile l'exploitation et le débardage des bois. Une relative perte de savoir-faire en matière de débardage par câble ne permet plus d'envisager l'exploitation des parcelles les moins accessibles.

Même lorsque les dessertes existent, ces particularités topographiques excluent le plus souvent le recours à la mécanisation, alors que l'exploitation manuelle présente un rendement faible et des risques élevés.

Lorsque l'exploitation est possible, c'est avec des surcoûts de bûcheronnage ou de débardage importants : si bien que, dans les conditions extrêmes d'exploitation, la valeur nette du bois sur pied peut devenir négative.

b) Une propriété morcelée

Le statut de forêt communale est très répandu dans certains massifs montagneux. Ainsi, dans les Vosges et le Jura, les forêts publiques sous régime communal représentent plus de la moitié des espaces boisés, contre un tiers pour l'ensemble de la France. À l'inverse, les forêts domaniales de l'État sont rares en zones de montagne.

Toutefois, si l'on prend les massifs dans leur globalité, la forêt privée apparaît largement dominante, puisqu'elle représente 71 % de la surface des forêts de montagne.

En montagne plus qu'ailleurs, la division des parcelles lors des héritages successifs, souvent aggravée par l'effacement des bornages, se traduit par un extrême morcellement de cette forêt privée, ce qui est un obstacle majeur à sa gestion active et à son exploitation effective.

c) Une économie de la filière dégradée

Les surcoûts d'exploitation précédemment évoqués, les mutations technologiques que peinent à suivre des scieries dans leur très grande majorité de taille artisanale, la pénurie de main-d'oeuvre, l'enclavement et la longueur des transports, sont autant de causes expliquant la relative faiblesse économique de la filière bois en zone de montagne.

B. L'APPLICATION À LA MONTAGNE DE LA POLITIQUE FORESTIÈRE NATIONALE

1. La mobilisation du bois en forêt, enjeu d'intérêt national
a) L'importance de la forêt de montagne pour la mobilisation du bois

En 2007, le « Grenelle de l'environnement » a souligné avec force tout l'intérêt de la forêt dans la lutte contre le changement climatique, en raison de sa capacité de stockage du carbone au cours de son cycle de vie. Forte en phase de croissance des peuplements, cette capacité de stockage passe par un optimum, puis décroît jusqu'à devenir neutre, voire négative en phase d'équilibre sénescent.

Parmi les objectifs initiaux du Grenelle de l'environnement, tels qu'ils résultent des travaux des Comités Opérationnels « Énergies renouvelables » (ComOp 10) et « Forêt » (ComOp 16), figure celui d'accroître la production des énergies renouvelables de 20 Mtep (tonne d'équivalent pétrole) supplémentaires d'ici 2020, en s'appuyant principalement sur la biomasse-énergie (bois-énergie, biogaz, biocarburant) dont la contribution devait atteindre 10,8 Mtep supplémentaires. La part impartie spécifiquement au bois énergie était de + 7,5 Mtep, soit presqu'un doublement par rapport aux 8,4 Mtep produits en 2006.

Le discours prononcé le 19 mai 2009 par le Président Nicolas Sarkozy à la scierie d'Urmatt, dans les Vosges alsaciennes, a marqué le lancement d'un plan de relance, multiforme, de la filière forêt-bois. Ce plan est en voie d'être prolongé et amplifié par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault au travers, d'une part, du volet forestier du projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, actuellement en cours d'examen au Parlement, d'autre part, du « plan national d'action pour l'avenir des industries de transformation du bois » rendu public le 17 octobre 2013 par le ministre de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt, en commun avec celui du redressement productif.

La contribution de la forêt de montagne au succès de ce plan de relance de la filière, ainsi qu'à l'atteinte des objectifs du « Grenelle de l'environnement » apparaît tout à fait majeure.

Dans sa contribution de juin 2013 à l'élaboration de projections énergétiques aux horizons 2030 et 2050 (« Vision 2030-2050 »), l'ADEME estime que, pour atteindre l'objectif de baisse d'ici 2050 de 80 % des émissions de CO 2 (requis par l'Union Européenne dans le cadre de la lutte contre le changement climatique), il sera nécessaire de mobiliser 75 % de la croissance naturelle de la forêt française, contre 48 % actuellement, soit 35 millions de m 3 supplémentaires.

b) L'impact de l'érosion des dotations budgétaires de l'ONF sur la forêt de montagne

L'Office national des forêts (ONF) apparaît comme l'un des principaux outils de la politique forestière de l'État. En effet, dans le cadre du « régime forestier » cet établissement public industriel et commercial n'intervient pas uniquement dans les forêts domaniales appartenant à l'État, mais aussi dans les forêts communales. Ainsi, c'est au total près de 25 % de la forêt française dont l'office assure très directement la gestion et l'exploitation. Au-delà des forêts publiques dont il s'occupe directement, l'ONF joue un rôle d'entraînement sur la forêt privée, par la diffusion de ses pratiques sylvicoles et l'impact de ses ventes de bois sur les prix du marché.

Dans le contexte de rigueur budgétaire qui s'impose de manière générale depuis des années, l'ONF a souffert d'une érosion progressive des moyens budgétaires que lui consacre l'État, qui n'a pas pu être compensée par une progression équivalente de la rémunération de ses services aux communes, ni par le produit de ses ventes de bois, forcément fluctuant sur un marché tiré vers le bas par la concurrence internationale des autres pays forestiers.

Le « contrat d'objectifs et de performance » signé entre l'État et l'ONF pour la période 2011-2016 a clarifié les missions confiées par le premier au second, rappelé le principe de compensation financière des coûts afférents à ces missions, et a été l'occasion d'une remise à niveau en 2013 de la dotation budgétaire de l'office.

Or, les effets négatifs des difficultés budgétaires de l'ONF sont plus fortement ressentis en montagne. Lorsque l'office doit réduire ses interventions, faute de moyens suffisants, il a naturellement tendance à négliger d'abord les espaces forestiers les plus difficiles d'accès et les moins rentables à exploiter : c'est-à-dire, bien souvent, ceux qui sont situés en montagne.

Vos rapporteurs se félicitent donc de la récente consolidation des dotations budgétaires de l'ONF. Mais, pour l'avenir, ils affirment avec force que la lente érosion de ces crédits ne saurait reprendre son cours, sans menacer au premier chef les actions de l'office dans les forêts de montagne.

Proposition n° 27 : maintenir à un niveau suffisant les crédits budgétaires de l'ONF, afin de préserver sa capacité d'intervention dans les forêts de montagne.

2. La création du Fonds stratégique de la forêt et du bois

Depuis la disparition en 1999 du Fonds forestier national (FFN), qui finançait environ 95 millions d'euros d'aides, dont deux tiers de subventions et un tiers de prêts, essentiellement pour le reboisement, la filière forestière est pénalisée par l'absence d'instrument financier dédié et à la hauteur de ses besoins.

À la demande des interprofessions amont et aval de la filière, et conformément aux recommandations du député Jean-Yves Caullet dans son rapport au Premier ministre du mois de juillet 2013 sur l'avenir de la filière forêt-bois, le projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt présenté par le Gouvernement en novembre 2013 propose de reconstituer un équivalent du FFN, sous l'appellation de « Fonds stratégique de la forêt et du bois ». Les recettes de ce fonds ont été déterminées par la loi de finances, pour l'exercice 2014, au niveau de 13,7 millions d'euros. L'affectation du produit des indemnités de défrichement, créées par ailleurs par la loi d'avenir agricole et forestière, devrait lui permettre d'atteindre, pour les exercices suivants, un niveau de 32 millions d'euros.

Ce nouveau fonds a, dans un premier temps, vocation à subventionner les dessertes et l'animation de la filière au niveau régional, l'investissement dans l'exploitation forestière et la première transformation du bois par des prêts participatifs, ainsi que les actions prévues pour la mise en oeuvre des plans pluriannuels régionaux de développement forestier. Ultérieurement, lorsque le fonds sera pleinement abondé par les indemnités de défrichement, il pourra en outre soutenir des actions d'adaptation de la forêt au changement climatique, de transformation de peuplements peu productifs ainsi que des actions de recherche, de développement et d'innovation.

Vos rapporteurs se félicitent de la reconstitution d'un instrument dédié au financement des besoins de la filière forêt-bois. Ils estiment essentiel que les différentes formes de subventions et prêts accordées par le Fonds, qui seront définies par voie réglementaire, prévoient des taux et des plafonds majorés pour les projets concernant la forêt de montagne, afin de tenir compte des surcoûts d'exploitation de celle-ci.

Proposition n° 28 : veiller à ce que le niveau des aides financées par le Fonds stratégique de la forêt et du bois tienne compte des surcoûts inhérents à l'exploitation de la forêt en montagne.

Par ailleurs, vos rapporteurs proposent de mettre à profit la création du Fonds stratégique forêt-bois pour mettre en place un dispositif d'aide à l'installation des « jeunes forestiers » analogue à celui qui existe pour les « jeunes agriculteurs », avec le succès que l'on sait pour le dynamisme de l'agriculture de montagne. La mise en place de ce nouveau dispositif, financé par le Fonds, suppose que l'on détermine, au préalable, les critères législatifs et réglementaires précis et incontestables qui conditionneront la qualité de « jeune forestier ».

Proposition n° 29 : avec les concours du Fonds stratégique de la forêt et du bois, mettre en place un dispositif d'aide à l'installation des « jeunes forestiers ».

3. La dynamisation de la forêt privée

La propriété étant très majoritairement privée en forêt de montagne, celle-ci est tout particulièrement concernée par les dispositions du projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt qui visent à encourager la gestion groupée de la forêt privée, et à pallier les effets de son morcellement.

a) Les incitations à la gestion groupée des forêts privées

La gestion durable de la forêt permet d'optimiser ses performances tant économiques qu'écologiques. Actuellement, cette gestion durable n'est garantie que sur un tiers de la surface de la forêt privée, à travers les différentes formes de regroupement des propriétaires : groupements forestiers, associations syndicales libres ou autorisées, plans simples de gestion collectifs.

Le projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt propose d'instaurer une nouvelle catégorie de regroupement des forêts privées : le groupement d'intérêt économique et environnemental forestier (GIEFF). La reconnaissance du GIEFF par le préfet sera liée à l'approbation d'un plan simple de gestion, sur une surface d'au moins 300 hectares. L'adhésion des propriétaires au GIEFF, qui sera doté d'un gestionnaire forestier et de projets de commercialisation du bois, vaudra garantie de gestion durable et ouvrira droit à des majorations des avantages fiscaux existants pour encourager la mise en gestion des forêts privées.

Vos rapporteurs estiment que ces dispositions pourraient utilement être complétées en orientant vers l'incitation à la mise en gestion, une mesure suggérée par le député Jean-Yves Caullet, dans un but surtout financier, dans son rapport au Premier ministre sur la forêt et la filière bois.

Celui-ci propose de recouvrer sur une base pluriannuelle la taxe sur le foncier non bâti théoriquement due par les plus petits propriétaires forestiers, mais qui échappent de fait à l'impôt par le jeu du seuil annuel minimal de recouvrement. Il suggère d'affecter au Fonds stratégique forêt-bois ce surcroît de recettes fiscales, estimé entre 30 et 40 millions d'euros.

Vos rapporteurs proposent de mettre à l'étude cette idée d'un recouvrement pluriannuel de la taxe sur le foncier non bâti, par exemple quinquennal, en prévoyant de surcroît que l'exonération dont bénéficient de fait les propriétaires privés redevables de montants de TFNB inférieurs au seuil de recouvrement annuel puisse être maintenue lorsqu'ils font l'effort, soit d'exploiter eux-mêmes leur forêt, soit de la mettre en gestion groupée.

Proposition n° 30 : étudier un recouvrement quinquennal de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, dont pourraient être exonérés les propriétaires acceptant d'exploiter effectivement leur forêt ou de la mettre en gestion.

b) Les droits de préférence et de préemption des communes forestières

En première lecture, l'Assemblée nationale a introduit dans le projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt des dispositions importantes pour les communes forestières, nombreuses dans les massifs.

D'une part, elle a instauré au profit des communes forestières un droit de préférence en cas de vente d'une propriété boisée située sur leur territoire, renforcé en droit de préemption lorsque la parcelle mise en vente est contigüe d'une parcelle de son propre domaine forestier.

D'autre part, elle a modifié le régime des « biens fonciers vacants et sans maîtres », de manière à permettre aux communes forestières, grâce à une procédure actionnée par le préfet du département, d'incorporer à leur domaine les parcelles boisées dont les propriétaires n'ont pas acquitté la taxe sur le foncier non bâti depuis plus de trois ans et demeurent introuvables.

C. DES MESURES COMPLÉMENTAIRES PROPRES À LA FORÊT DE MONTAGNE

1. La planification stratégique par massif

La réglementation française déploie, depuis la grande loi d'orientation sur la forêt de 2001, un nombre important de documents stratégiques dont l'articulation a été un peu mieux précisée par la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche du 28 juillet 2010. Concernant la forêt de montagne, l'article L. 121-5 du (nouveau) code forestier prévoit plus spécifiquement que :

« Les documents de politique forestière (...) modulent l'importance accordée aux fonctions économique, écologique et sociale de la forêt selon les enjeux régionaux et locaux, au nombre desquels les contraintes naturelles et les spécificités d'exploitation des forêts montagnarde[s] (...). »

Ont été ainsi instaurés des Plans pluriannuels régionaux de développement forestier (PPRDF) destinés à regrouper dans des « stratégies locales de développement forestier » les différents outils mis en oeuvre pour mobiliser le bois des forêts dont l'exploitation est insuffisante.

Leur élaboration résulte d'abord d'une initiative locale (pouvant émaner des collectivités territoriales, des organisations de producteurs, des Centres Régionaux de la Propriété Forestière, de l'Office National des Forêts, des Chambres d'agriculture), elle repose sur une démarche de concertation entre acteurs locaux (propriétaires et gestionnaires forestiers, privés et publics, acteurs économiques de la filière forêt-bois, collectivités, élus, représentants des usagers de la forêt et de la protection de l'environnement, partenaires institutionnels), permet de définir des objectifs et des indicateurs de suivi et s'accompagne d'un régime d'aides publiques et de co-financements spécifiques.

Les chartes forestières de territoires (CFT) et les plans de développement de massif (PDM) constituent les deux principaux outils de leur mise en oeuvre sur le territoire :

- La charte forestière de territoire (instituée dès la loi d'orientation forestière de 2001) est un outil généraliste, instrument privilégié des territoires ayant une volonté de développement local par la forêt et bénéficiant d'un certain consensus sur des orientations forestières ; il permet d'engager une réflexion collective et d'établir une stratégie de développement cohérente avec les orientations régionales et nationales.

Fin 2012, 133 chartes forestières de territoire avaient été lancées, couvrant 11,7 millions d'hectares, soit 21 % du territoire métropolitain. Plus précisément, ces stratégies locales de développement forestier concernaient 4,79 millions d'hectares de forêt, soit 31 % de la forêt française métropolitaine.

- Le plan de développement de massif est destiné aux territoires où, par sa présence, la forêt privée joue un rôle important dans les démarches de développement local ; il a pour but d'inciter les propriétaires à mettre en oeuvre la gestion de leur forêt en concertation avec les autres acteurs de la forêt privée (syndicats et coopératives).

Dans ce cadre, vos rapporteurs saluent la démarche des professionnels de la filière qui ont commencé à développer, initialement par eux même et sans base législative ni réglementaire, des plans d'approvisionnement territoriaux forestiers destinés à permettre aux élus du territoire d'identifier la ressource locale disponible en bois-énergie et d'organiser l'approvisionnement des chaufferies.

Proposition n° 31 : mettre en place des plans d'approvisionnement territoriaux forestiers de massif, à l'échelle de chaque vallée.

2. Le développement des dessertes forestières

La particularité des exploitations et des communes forestières situées en montagne est d'être grevées par des surcoûts significatifs liés aux problèmes de mauvaise desserte. Les opérations de bûcheronnage et de débardage sont considérablement renchéries. L'activité connaît en outre une forte saisonnalité, le travail étant impossible à la mauvaise saison.

Des expérimentations pour le développement des dessertes forestières en montagne ont été menées par les collectivités ; ainsi, à l'initiative du conseil général de la Savoie, un fonds d'amorçage permet le préfinancement, par des avances remboursables, de travaux d'exploitation dans les zones difficiles d'accès, notamment par câble. Vos rapporteurs estiment que ces initiatives méritent d'être généralisées, tout comme l'élaboration, au niveau des massifs, de schémas de desserte par piste ou câble intégrant les contraintes environnementales, associant tous les acteurs et prenant en compte tous les usages de la forêt.

Proposition n° 32 : généraliser le préfinancement, par des avances remboursables, des travaux d'exploitation dans les zones difficiles d'accès, notamment par câble.

Proposition n° 33 : généraliser, dans le cadre d'une gestion au niveau des massifs, en associant tous les acteurs et en prenant en compte tous les usages de la forêt, des schémas de desserte par piste ou câble qui intègrent les contraintes environnementales.

3. La valorisation du bois de montagne par la labellisation

En termes de qualité, la part du bois d'oeuvre (qualité 1 et 2) est en moyenne de 58 % en montagne contre seulement 52 % en plaine. Certaines essences ont des qualités mécaniques exceptionnelles qui mériteraient d'être pleinement mises en valeur par un dispositif de labellisation adapté.

Une telle démarche permettrait de développer les circuits courts et aurait l'avantage de stimuler les filières locales auxquelles sont encore trop souvent préférées des importations de bois étrangers très normés venant d'Allemagne ou de Scandinavie.

Les marques collectives de certification :
l'exemple du label « Bois des Alpes »

Régie par les articles L. 715-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, la marque collective de certification est une marque qui peut être exploitée par toute personne respectant un cahier des charges (appelé règlement d'usage) homologué qui instaure un système de contrôle. Utilisée dans un but d'intérêt général, elle assure une fonction de garantie de qualité ou de caractéristiques des produits et services.

L'association « Bois des Alpes » a été créée en 2008 pour gérer et promouvoir sa marque collective de certification du bois. Sous l'égide du comité de massif et de son groupe de travail forêt-bois, elle réunit des représentants de la forêt privée et de la forêt publique auxquels se sont associés les entreprises et les acteurs de la construction.

Le référentiel garantit l'origine des bois (forêts dans le périmètre du massif alpin gérées durablement) et leur qualité (caractéristiques techniques, respect des normes en vigueur). Les premiers bâtiments en bois certifié ont été inaugurés en 2012.

La démarche est elle-même compatible avec les autres stratégies de différentiation et de labellisation de la filière : les produits marqués « AOC Chartreuse », « BQS (Bois Qualité Savoie) » ou « Alpsciages » peuvent eux-mêmes répondre au référentiel et bénéficier de la certification « Bois des Alpes ».

Proposition n° 34 : favoriser les démarches de labellisation du type « bois des Alpes » ou « bois de Chartreuse », afin de valoriser les qualités spécifiques du bois récolté en montagne.

V. L'EAU EN MONTAGNE : AU-DELÀ D'UNE ABONDANCE APPARENTE, UN RISQUE RÉEL DE RARÉFACTION

A. LE RÔLE FONDAMENTAL DE LA MONTAGNE POUR LA RESSOURCE EN EAU

Les zones de montagne sont les « châteaux d'eau » du pays. En raison de leur étendue et de leur relief, elles concentrent une part importante des précipitations dans les parties hautes des bassins versants. De fait, la plupart des grands fleuves français prennent leur source en montagne.

1. Les caractéristiques des rivières de montagne
a) Des cours d'eau au débit saisonnier mais puissant

Les cours des rivières de montagne sont généralement très variés, depuis les têtes de bassin, aux zones humides remarquables, jusqu'aux fonds de vallées encaissés où se concentrent les emprises urbaines et les terres agricoles.

Leur alimentation est très variable sur l'année, avec des débits d'étiage en hiver. Mais, dans l'ensemble, elles se caractérisent par des pentes et des débits élevés, soutenus par les glaciers et la neige, qui leur confèrent un potentiel attractif pour l'hydroélectricité.

Elles constituent aussi des zones de production sédimentaire, qui ont souvent été surexploitées dans le passé.

Les principaux problèmes rencontrés par les rivières de montagne sont les suivants : 50 % des masses d'eau, en moyenne, sont identifiées avec des problèmes de morphologie, de continuité biologique ou sédimentaire ; 40 % avec des problèmes de quantité, liés aux prélèvements ou aux éclusées, aux dérivations, etc. Les problèmes de qualité de l'eau arrivent très loin derrière les deux catégories de problème précédentes (ex : pesticides 3 %).

b) Les difficultés du traitement des eaux en montagne

Les températures basses, les fortes variations de charge du fait de l'activité saisonnière intense de la saison de ski (multiplication par 10 à 20 de la population), ainsi que les contraintes diverses (couloirs d'avalanche, protection Natura 2000, distances, rejets dans des cours d'eau en étiage, etc.), rendent les traitements difficiles et génèrent des surcoûts importants.

Le surcoût pour la réalisation d'une station d'épuration est estimé à 44 %, en moyenne, par rapport aux stations situées en zone non montagneuse.

2. Les effets prévisibles du changement climatique
a) Un climat plus chaud et plus sec

Les modèles s'accordent sur une hausse généralisée des températures de l'air, sur tout le pays et à toutes les saisons. Pour le bassin Rhône-Méditerranée, qui correspond essentiellement aux massifs des Alpes et du Jura, la température moyenne annuelle pourrait s'élever de 3 à 5 °C à l'horizon 2080, par rapport aux moyennes constatées sur la période 1970-2000. Les températures estivales pourraient augmenter entre 3 et 6 °C.

Les précipitations estivales devraient baisser. Pour les autres saisons, les résultats de la modélisation sont moins clairs et les divers travaux de recherche donnent des résultats différents. À l'horizon 2080, les précipitations moyennes annuelles baisseraient.

La hausse des températures impliquera une diminution du couvert neigeux, à la fois du fait de moindres chutes de neige et d'une fonte accélérée.

Néanmoins, les événements de pluviométrie extrême pourraient devenir plus fréquents et plus intenses en hiver, notamment dans les régions méditerranéennes.

b) Des ressources en eau plus variables et moins abondantes

Les études scientifiques estiment qu'à l'horizon 2046-2065, le réchauffement climatique devrait se traduire, pour les cours d'eau à régimes nivaux, par des étiages hivernaux moins sévères, mais aussi par des débits de printemps et d'été en diminution, en raison d'une fonte accélérée de moindres quantités de de neige, comme de pluie. Au-delà de l'horizon 2080, les régimes nivaux pourraient être plus fortement remis en cause.

Les projections d'évolution des paramètres de température, d'évapotranspiration et de neige font apparaître de manière très nette une tendance à la raréfaction de la ressource en eau.

Les résultats des études d'impacts sur les débits le confirment. Au-delà du problème des ressources moyennes annuelles, la tension en période d'étiage risque de s'aggraver fortement là où elle existe déjà, voire d'apparaître sur des territoires aujourd'hui en situation de confort hydrique. En effet l'impact d'un moindre enneigement, d'une fonte accélérée et de conditions estivales asséchantes apparaît très nettement dans les projections : des étiages plus intenses, plus longs, débutant plus tôt dans l'année.

Malgré ces projections de baisse généralisée de la ressource en eau, les débits élevés et l'impact des crues ne devraient pas baisser, et pourraient même s'aggraver. La gestion de ce risque ne doit donc pas être oubliée, et un suivi attentif du développement des connaissances sur ce sujet est nécessaire.

L'eau dans le plan national d'adaptation au changement climatique

Dans le domaine de l'eau, le plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) pour la période 2011-2015 propose les points suivants :

- améliorer la connaissance des impacts du changement climatique sur les ressources en eau et des impacts de différents scénarios possibles d'adaptation ;

- se doter d'outils efficaces de suivi des phénomènes de déséquilibre structurel, de rareté de la ressource et de sécheresse, dans un contexte de changement climatique ;

- développer les économies d'eau et assurer une meilleure efficience de l'utilisation de l'eau, au niveau de chaque usager, en particulier dans les zones actuellement déficitaires, avec un objectif global de 20 % d'économie sur l'eau prélevée, hors stockage d'eau hivernal, d'ici 2020 ;

- accompagner un développement d'activités et une occupation des sols compatibles avec les ressources en eau disponibles localement ;

- renforcer l'intégration des enjeux du changement climatique dans la planification et la gestion de l'eau (en particulier dans les documents d'urbanisme).

B. L'HYDROÉLECTRICITÉ : « L'OR BLEU » DE LA MONTAGNE

1. Un potentiel presque totalement exploité
a) Une grande hydroélectricité concentrée en zone de montagne

L'énergie hydraulique est la seconde source de production d'électricité en France, après l'énergie nucléaire. Elle représente 12 % de la production totale d'électricité, avec une capacité de production variant selon les années entre 50 TWh et 75 TWh. Elle assure 80 % de la production d'électricité d'origine renouvelable.

Flexible et modulable, l'hydroélectricité présente le double avantage d'avoir de bas coûts de production, de l'ordre de 20 à 30 euros le MWh, selon les concessions. Avec une puissance installée de 25 GW, elle représente 66 % du parc de production de pointe et d'extrême pointe.

La production d'hydroélectricité est principalement concentrée dans les Alpes (70 %), puis dans le Massif central (20 %) et les Pyrénées (10 %).

Le parc des très grosses installations est largement déployé : tous les grands cours d'eau ont été équipés au cours du XX e siècle. Ces installations ont une très longue durée de vie et sont dans un bon état global, grâce à des investissements de maintenance réguliers.

Aujourd'hui, il n'y a plus guère de nouveaux grands projets pour la production, mais seulement pour le stockage de l'électricité recourant à la technologie de la station de transfert d'énergie par pompage (STEP).

b) Un potentiel supplémentaire pour la petite hydroélectricité

Le développement des petites installations hydroélectriques, d'une puissance inférieure à 8 MW, est encouragé par l'obligation faite à EDF d'acheter à un tarif favorable l'électricité qu'elles produisent.

Actuellement, le parc des petites installations bénéficiant ainsi de contrats d'obligation d'achat représente une puissance totale de 2GW.

Le potentiel des sites encore économiquement exploitables pour la petite hydroélectricité est estimé à 4 TWh de production annuelle.

2. Une conciliation délicate avec les impératifs environnementaux
a) Le problème des transports sédimentaires

La présence massive des installations hydroélectriques sur les cours d'eau de montagne est de nature à provoquer, outre une rupture des continuités sédimentaire et piscicole, une artificialisation de l'hydrologie et des débits réservés faibles laissés dans les cours d'eau équipés.

Ainsi, plus de la moitié des masses d'eau de montagne sont visées par une restauration du transit sédimentaire ou la restauration de la continuité amont aval dans le programme de mesures du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) Rhône Méditerranée et Corse.

Les extractions de matériaux sur ces cours d'eau ont parfois été très massives : il en résulte un phénomène de « transports sédimentaires » qui fait que le lit de nombre d'entre eux s'est abaissé de plusieurs mètres.

Ce phénomène est parfois aggravé par les aménagements hydroélectriques, qui peuvent être à l'origine d'évolutions importantes du lit du cours d'eau dans le tronçon « court-circuité », c'est-à-dire la partie de la rivière située entre la prise d'eau et la restitution des eaux turbinées, qui se voit donc amputée d'une partie de son débit naturel. Ce tronçon « court-circuité » peut être de longueur très variable, d'une dizaine de mètres pour les aménagements qui turbinent les eaux directement au pied du barrage, jusqu'à plusieurs dizaines de kilomètres pour les plus grands aménagements.

En pratique, les dérivations hydroélectriques ont pour conséquence la fermeture du lit du cours d'eau, la réduction de sa largeur active et la formation d'atterrissements boisés qui s'exhaussent considérablement. Il en résulte une perte dans la qualité écologique de la rivière et l'augmentation des risques d'inondation, du fait de la réduction de la capacité hydraulique du lit et l'augmentation des risques d'embâcles.

Ces évolutions peuvent être très problématiques pour l'intérêt général, et appellent à terme des travaux correctifs très lourds, qu'il faut d'ailleurs reproduire régulièrement, les mêmes causes produisant les mêmes effets.

Vos rapporteurs estiment donc qu'il serait normal que ces interventions lourdes soient prises en charge par l'exploitant de l'installation hydroélectrique, et non par des tiers, notamment par les collectivités locales riveraines gestionnaires du cours d'eau.

Proposition n° 35 : imposer aux exploitants d'aménagements hydroélectriques de participer financièrement aux mesures préventives ou curatives permettant d'éviter les évolutions du lit du cours d'eau dans le tronçon « court-circuité » imputables à son aménagement et préjudiciables à l'intérêt général.

De façon complémentaire, même lorsqu'il n'est pas à l'origine d'une évolution négative du lit du cours d'eau, l'exploitant de l'installation hydroélectrique devrait pourvoir être également sollicité pour participer financièrement à l'entretien de la végétation des berges sur le tronçon « court-circuité ».

Proposition n° 36 : imposer aux exploitants de centrales hydroélectriques de participer financièrement à l'entretien courant de la végétation du lit des cours d'eau au droit des tronçons « court-circuités » par les aménagements.

b) Le principe du débit réservé

La loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques dispose que tout ouvrage à construire dans le lit d'un cours d'eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l'installation de l'ouvrage.

Ce débit minimal ne doit pas être inférieur au 1/10 e du module du cours d'eau en aval immédiat ou au droit de l'ouvrage (ou au 1/20 e , si le module est supérieur à 80m 3 /s). Pour les ouvrages existants, l'obligation s'applique à compter du 1 er janvier 2014.

c) Le rétablissement des continuités piscicoles

La loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 pose aussi le principe du rétablissement des continuités piscicoles, en prévoyant deux listes des cours d'eau distinctes :

- la liste 1 concerne les cours d'eau en très bon état écologique et les cours d'eau nécessitant une protection complète des poissons migrateurs. Cette liste vise à prévenir la dégradation des cours d'eau et de leurs petits affluents encore préservés par l'arrêt des aménagements hydroélectriques ;

- la liste 2 concerne les cours d'eau ou tronçons de cours d'eau nécessitant des actions de restauration de la continuité écologique. Un travail est en cours, par les services de l'État et les structures de bassin versant, pour recenser les ouvrages situés sur ces cours d'eau qui devront être mis en conformité et équipés pour assurer la continuité piscicole ou sédimentaire d'ici 2018.

3. L'enjeu du renouvellement des concessions hydrauliques
a) Le régime des concessions

Le régime de la concession s'impose à toutes les installations d'une puissance supérieure à 4,5 MW. Dans ce régime juridique, les installations font partie du domaine public de l'État, le contrat de concession permettant d'encadrer les actions des exploitants (impact sur l'environnement, mais aussi production d'énergie, redevances, équilibre des usages, statut des salariés, investissements à réaliser, etc.).

En 2010, les concessions hydroélectriques constituaient un parc d'une puissance installée de 24,3 MW, correspondant à 407 installations assurant une production de 63 TWh.

Pour mémoire, le régime de l'autorisation applicable aux installations d'une puissance inférieure à 4,5 MW, qui demeurent la propriété privée des opérateurs, représentait en 2010 seulement 1,3 MW de puissance installée, pour 1818 installations assurant une production de 4,5 TWh.

b) Une opportunité d'améliorer les engagements du concessionnaire

Une partie des contrats de concession hydroélectriques, qui étaient d'une durée initiale de soixante-dix ans, en moyenne, vont arriver à échéance et devoir être renouvelés d'ici 2020. Ce renouvellement des concessions concerne dix vallées, et porte sur une puissance cumulée de 5,3 MW, soit 20 % du parc hydroélectrique.

Alors que le barrage est parfois la principale activité et source de revenus dans certaines vallées, le renouvellement de la concession peut être l'occasion d'imposer à l'exploitant de nouveaux investissements, susceptibles d'optimiser la production énergétique, avec la modernisation des ouvrages existants ou la création de nouveaux équipements, ainsi que de nouvelles obligations, notamment en matière environnementale.

C. LA NEIGE EN STATIONS : UN FILON « D'OR BLANC » MENACÉ

1. La réduction tendancielle de l'enneigement naturel

Le recours à la modélisation permet au Centre d'étude de la neige, situé à Saint-Martin-d'Hères, près de Grenoble, de conclure dans le sens d'une augmentation générale des précipitations en hiver, mais avec un impact différencié des précipitations en fonction de l'altitude : à 2 500 mètres et au-delà, le froid serait suffisant pour que l'enneigement ne soit touché que de manière marginale. En-deçà, le rapport neige/pluie diminuerait jusqu'à la limite de 1 500 mètres, en dessous de laquelle il y aurait une réduction drastique du nombre de jours de neige au sol dans l'année, de l'ordre d'un mois.

D'autres recherches proposent un scénario proche pour l'hiver, malgré des divergences quant aux limites altitudinales. En l'état actuel des connaissances, délimiter clairement l'altitude de la limite pluie/neige paraît d'autant plus difficile qu'elle dépend étroitement des conditions météorologiques et géographiques locales.

2. Les limites de la substitution par la neige de culture
a) Une pratique aujourd'hui généralisée

Depuis de nombreuses années, les stations de sport d'hiver se sont équipées en production de neige de culture. Les premiers à le faire ont été les grands domaines skiables, qui souhaitaient ouvrir le maximum de pistes, le plus longtemps possible, tout en permettant les liaisons entre domaines et les liaisons avec le centre des stations.

Les stations de moyenne montagne ont commencé à s'équiper plus tardivement, avec pour objectifs principaux de combler les déficits d'enneigement à certains endroits et donc renforcer la sécurité des pistes, de garantir l'enneigement sur au moins une partie du domaine pour répondre aux exigences croissantes de la clientèle, et de sauver économiquement la station au cours d'un hiver à faible enneigement.

Pour le massif des Alpes, on estime à plus de 20 million de m 3 les volumes d'eau prélevés chaque année pour assurer l'enneigement des stations. Les surfaces enneigées artificiellement ont fortement augmenté ces dernières années, 21 % du domaine skiable, soit 5 000 hectares de pistes, étant aujourd'hui équipé. Néanmoins, ces 20 millions de m 3 sont aussi à comparer aux volumes des grands barrages EdF, ce qui permet de relativiser le niveau des prélèvements, qui sont en outre rendus à la nature à la fonte des neiges.

Réponse partielle à la problématique du changement climatique, la neige de culture permet de sécuriser environ 15 % du chiffre d'affaires des stations de ski, mais ne garantit pas leur pérennité à long terme. Pour l'instant, les stations sont encore dans une dynamique d'équipement en canons à neige, puisque le temps de retour sur investissement des canons, d'environ 20 ans, reste encore inférieur au pas de temps des effets du changement climatique, qui est plutôt de 30 à 40 ans.

b) Des précautions nécessaires

Dans les premiers temps, l'utilisation d'additifs pour permettre la confection de neige à une température moins basse a été expérimentée par les stations pionnières. Mais elle a été vite abandonnée, compte tenu du faible résultat obtenu et des pollutions engendrées.

En ce qui concerne la consommation d'eau pour la neige de culture, la difficulté réside autant dans le mode et le lieu de prélèvement que dans les quantités prélevées.

Le prélèvement dans un réseau d'eau potable, qui est parfois choisi, fragilise l'alimentation de la station en eau potable et, par ailleurs, est une absurdité économique, puisqu'elle amène à traiter de façon coûteuse une eau qui n'a pas besoin de l'être.

Le prélèvement peut être fait également en amont du réseau d'eau potable, directement dans un cours d'eau. Mais il risque alors d'avoir un fort impact sur le débit de celui-ci, qui se trouve à son étiage en période d'hiver.

Vos rapporteurs estiment donc nécessaire de généraliser les observatoires locaux de la ressource en eau dans les périmètres des stations, afin de parvenir à une connaissance fine des étiages des cours d'eau sollicités pour la fabrication de la neige de culture, ainsi que des usages concurrents de l'eau ainsi utilisée.

Proposition n° 37 : améliorer la connaissance des étiages et des usages par une généralisation des observatoires locaux de la ressource en eau.

Du point de vue quantitatif, la somme des usages actuels et futurs de l'eau, les évolutions de la ressource liées notamment au changement climatique, sont telles qu'une régulation à l'échelle de la vallée apparaît nécessaire.

L'usage marginal de l'eau devient problématique dans ce contexte de multiplicité des acteurs, avec des « effets de site » parfois très marqués, qui mettent en péril le respect des débits réservés indispensables au maintien des écosystèmes liés aux cours d'eau.

Vos rapporteurs considèrent que les outils au champ le plus large, tels que les schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE), peuvent permettre, au-delà des contrats de rivière, de gérer les multiples usages de l'eau en montagne.

Proposition n° 38 : utiliser les outils existants, du type schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE), pour assurer la cohérence des usages de l'eau, notamment au regard de la neige de culture.

Pour la fabrication de la neige de culture, la solution semblant présenter le moins d'inconvénients est donc celle de la retenue collinaire, qui se remplit au printemps et à l'automne, pour être sollicitée durant l'hiver. Ces retenues se multiplient dans les stations, même si les premières avaient été un peu sous-dimensionnées par rapport aux besoins.

Toutefois, vos rapporteurs soulignent qu'il y a lieu de veiller à la meilleure prise en compte de l'environnement dans le projet et à l'intégration de l'ouvrage dans le site. Compte tenu de la sensibilité des milieux dans lesquels ce type d'ouvrage est implanté, une attention toute particulière doit être apportée à l'étude d'impact.

Proposition n° 39 : s'assurer que les études d'impact prennent en compte tous les problèmes liés à l'environnement des retenues collinaires utilisées pour la neige de culture, notamment au regard des paysages, des périodes de remplissage, des espèces protégées et des zones humides.

VI. LE TOURISME, MODE PRIVILÉGIÉ DE MISE EN VALEUR DE L'ENVIRONNEMENT MONTAGNARD

A. UNE ACTIVITÉ FONDAMENTALE POUR LES ZONES DE MONTAGNE

1. Une offre touristique scindée en deux saisons
a) Une saison d'hiver assez longue mais très concentrée géographiquement

En montagne, la saison d'hiver est la plus longue. Dépendante de la présence de la neige, elle peut débuter dès le mois de novembre pour durer jusqu'au mois de mai. Mais en pratique, la fréquentation est la plus forte en « haute saison » correspondant aux trois mois de l'hiver et du début du printemps.

Les stations de sport d'hiver française, dont l'offre est essentiellement fondée sur le produit « ski alpin », se trouvent aujourd'hui à la première place mondiale par l'étendue et l'équipement de leurs domaines skiables : elles représentent 18 % du parc mondial de remontées mécaniques, sur un domaine d'une surface de 118 000 hectares.

Toutefois, aussi étendu soit-il, ce domaine ne représente que 1 % du territoire montagnard français. Aussi, alors que 6 319 communes sont classées en zone montagne, seules 311 d'entre elles sont supports de stations, soit une proportion d'un peu moins de 5 %.

Il existe trois grands types de stations de ski, auxquelles correspondent différents types de clientèles :

- les grandes stations d'altitude, concentrées dans les Alpes, qui regroupent les plus grands domaines skiables du monde et ont un enneigement garanti et de qualité. À elles seules, elles sont de véritables marques commerciales et font office de locomotives économiques pour les territoires où elles sont implantées ;

- les stations petites et moyennes, dont les atouts résident dans la qualité du paysage naturel et urbanistique, ainsi que dans la convivialité qui les animent, plus sensibles aux aléas climatiques qui peuvent réduire l'enneigement. Elles ont un rôle déterminant, en maintenant des activités dans des espaces souvent dépourvus d'autres ressources que le tourisme, et en constituant une offre alternative pour les touristes qui ne peuvent ou ne veulent pas accéder aux grandes stations ;

- les stations de proximité, destinées à une clientèle régionale et situées le plus souvent en périphérie de zones urbaines, qui sont particulièrement vulnérables aux aléas climatiques parce que situées à des altitudes moyennes.

b) Une saison d'été plus diffuse géographiquement mais plus courte

La fréquentation touristique de la montagne est mieux répartie géographiquement durant la saison d'été. En effet, les activités de loisirs durant la « belle saison » ne dépendent pas de la neige, ni d'un équipement lourd en remontées mécaniques. Mais cette saison d'été est plus courte que celle d'hiver, puisque concentrée sur les deux mois de juillet et août.

c) Une source d'emplois importante

Avec près de 124 000 emplois salariés liés au tourisme, la montagne représente 12 % de l'activité touristique métropolitaine. Le chiffre d'affaires des stations de ski françaises s'élève lui à 7 milliards d'euros. L'hôtellerie concentre un quart des emplois touristiques, avec une répartition géographique prédominante dans le massif des Alpes. La plupart des entreprises touristiques du secteur de la montagne sont des très petites entreprises.

Le tourisme en zone de montagne repose largement sur le recours à des travailleurs saisonniers, qui permettent de répondre aux besoins accrus durant les mois de forte affluence. Dans les stations, 80 % des emplois sont ainsi occupés par des saisonniers, qui viennent en priorité renforcer les effectifs dans le secteur de l'hôtellerie et la restauration. Si ce public constitue un élément essentiel dans l'organisation touristique de la montagne, ces emplois apparaissent cependant comme précaires, avec une couverture sociale parfois insuffisante et des conditions de travail contraignantes. Améliorer la situation contractuelle des saisonniers permettrait de fidéliser ces travailleurs sur les territoires.

d) Une contribution essentielle à l'économie locale

L'activité touristique est un vecteur de retombées économiques significatives pour les régions de montagne. Les économies locales bénéficient directement des dépenses touristiques, dont la structuration ne varie pas entre la période hivernale et estivale. Chaque touriste dépense en moyenne et par jour 117 euros, avec toutefois de grandes disparités selon les profils.

Dans une commune support de station de sport d'hiver, l'investissement par habitant permanent consenti est trois fois plus important que dans l'ensemble des communes françaises. Ce chiffre traduit une activité immobilière soutenue, les investissements servant à financer des structures d'hébergement (hôtels, villages de vacances et gîtes), ainsi que des équipements (domaines skiables, parcs de loisirs et casinos).

e) Des investissements intensifs pour le ski

Avec 3 800 installations, la France dispose du parc de remontées mécaniques le plus important devant l'Autriche, les États-Unis et le Japon. Depuis le début des années 90, l'investissement sur les domaines skiables a connu une croissance soutenue et presque continue, malgré un léger fléchissement ces dernières années. Pour l'ensemble des départements liés à la montagne, l'investissement touristique se monte à 4,7 milliards d'euros en moyenne annuelle.

Le parc de remontées représente ainsi pour l'année 2011 un investissement à hauteur de 173 millions d'euros. La neige de culture, le damage et les travaux de piste forment les principaux autres postes de dépenses d'investissement.

2. Une fréquentation qui fléchit
a) Des chiffres de fréquentation en baisse

La montagne est la cinquième destination touristique en termes de fréquentation : quatre Français sur dix déclarent s'y rendre, mais seuls un sur dix de manière régulière. Cette statistique contraste avec l'attirance pour la montagne, qui concerne deux-tiers des Français, saisons hivernales et estivales confondues. La destination montagne semble donc souffrir d'une difficulté à transformer son attractivité théorique en séjours effectifs. En été, les séjours sont en règle générale plus longs par rapport à l'hiver, même si la tendance générale est à la diminution du nombre de nuitées depuis une dizaine d'années.

Durant la saison 2010-2011, 3,6 millions de personnes âgées de 15 ans et plus se sont absentées pour aller en voyage personnel dans une station de ski, ce qui représente un taux de départ d'environ 7 % pour la population concernée. Les cadres et les professions libérales ainsi que les personnes issues de l'agglomération parisienne enregistrent un taux de départ plus élevé que la moyenne.

La tendance générale, que ce soit pour l'hiver ou l'été, est à un recul de la fréquentation. L'attirance vis-à-vis de la montagne connaît une baisse légère pour la saison hivernale, mais une érosion plus notable en été : sur une période de quatre ans, les stations ont enregistré 6 millions de nuitées de moins, soit une perte nette de 5 % en termes de fréquentation estivale. Ce mouvement s'inscrit dans un contexte de concurrence de plus en plus marquée avec d'autres destinations de montagne, européennes ou internationales.

b) Les raisons de cette relative désaffection

L'aléa météorologique d'abord a un impact direct sur la fréquentation des stations durant la période hivernale. D'une saison sur l'autre, le contexte d'enneigement peut être très variable, influant sur les performances des skieurs. L'incertitude climatique, se traduisant par un manque de neige, entraîne des conséquences critiques pour les acteurs économiques locaux, surtout en cas de répétition de cette situation plusieurs hivers d'affilée.

Par ailleurs, par rapport aux destinations concurrentes comme la Suisse ou l'Autriche, les stations intégrées françaises issues du plan neige proposent une offre jugée parfois trop standard, qui ne donne pas au consommateur la possibilité d'élargir son champ d'activités et de découvrir de nouveaux loisirs.

Ensuite, durant la saison hivernale, les nouvelles « destinations soleil » lointaines font concurrence à la montagne, tandis qu'en été, la montée en puissance des destinations urbaines a relégué la montagne à la quatrième place, derrière la mer et la campagne.

Enfin, l'image de la montagne reste encore souvent associée à un certain élitisme : les stations de skis seraient l'apanage d'une classe sociale favorisée, du fait de difficultés d'accessibilité financière. Une autre barrière à l'entrée provient de la perception du milieu montagnard, parfois considéré comme hostile et dangereux, entraînant un risque potentiel d'accident.

B. LES DIFFICULTÉS DE L'IMMOBILIER TOURISTIQUE EN MONTAGNE

La problématique de l'immobilier dans les stations de sports d'hiver concerne seulement, ainsi que précisé précédemment, environ 1 % des surfaces classées en zone de montagne. De surcroît, ces stations de ski sont elles-mêmes très concentrées dans certains massifs, avec une prédominance de celui des Alpes du Nord. Le département de la Savoie concentre, à lui seul, 50 % du parc français de remontées mécaniques, suivi par celui de la Haute-Savoie, qui en représente 20 %.

Toutefois, considérant le caractère emblématique de cette activité touristique pour la montagne, l'importance des enjeux économiques, la lourdeur des investissements afférents, et surtout le fait que, au-delà de la concentration géographique des stations, tous les massifs sont concernés à un degré ou à un autre, vos rapporteurs ont jugé pertinent d'en examiner les tenants et les aboutissants.

Dans l'espoir de prolonger les succès du « Plan neige » initié dans les années 1970, les stations de ski ont construit toujours plus d'hébergements neufs afin d'assurer une fréquentation suffisante pour garantir leurs recettes.

Considérant que ce processus est à la fois dangereux sur le plan économique et néfaste sur le plan environnemental, vos rapporteurs appellent de leurs voeux un « Grenelle de l'immobilier touristique en montagne », qui mettrait sur la table toutes les données du problème, puis réunirait l'ensemble des parties prenantes pour faire émerger par la discussion des solutions durables. Un meilleur équilibre doit être trouvé entre construction et réhabilitation.

1. L'obsolescence de la procédure des unités touristiques nouvelles
a) La logique de la procédure instaurée en 1977

La procédure des unités touristiques nouvelles (UTN) a été instituée par la directive d'aménagement national relative à la protection et à l'aménagement de la montagne, approuvée par décret le 22 novembre 1977, dans un contexte de mobilisation de la société française pour la protection de l'environnement, qui avait abouti, notamment, au vote de la loi sur la protection de la nature du 10 juillet 1976.

Cette nouvelle étape de l'histoire de l'aménagement touristique de la montagne faisait suite à la période dite du « Plan Neige », caractérisée par la construction en altitude et en sites vierges, des grandes stations, dites intégrées, devenues le fer de lance de « l'industrie du ski » française. Les impacts sur l'environnement et les paysages des travaux intensifs nécessaires à la construction des routes d'accès et des domaines skiables alpins, ainsi que certains choix urbanistiques et architecturaux, avaient déclenché dans le milieu des années 1970 un mouvement de protestations, aboutissant à la directive du 22 novembre 1977.

Cette directive posait le principe d'une construction regroupée autour des urbanisations existantes et insistait sur la nécessaire préservation de la haute montagne, considérée comme faisant partie du patrimoine national. Elle admettait cependant la création de hameaux nouveaux, dans le cadre de ce qui fut appelé des unités touristiques nouvelles.

Justifié par la volonté de ne pas bloquer le développement économique autour des pratiques de loisirs et du tourisme, ce régime dérogatoire aux principes de base de l'urbanisme était encadré par des autorisations délivrées par l'État, au niveau central, sur la base d'études préalables. La mise en oeuvre de ces autorisations devait ensuite se faire dans le cadre de conventions passées entre les collectivités territoriales et les aménageurs et faire l'objet d'un suivi par phases.

b) Une intégration progressive dans le droit commun de l'urbanisme

La procédure UTN fut, par la suite, intégrée dans le code de l'urbanisme par la loi Montagne de 1985, puis adaptée en fonction du processus de décentralisation de l'urbanisme, qui lui a conféré un deuxième caractère dérogatoire : celui d'une autorisation délivrée par l'État préalablement à la délivrance des autorisations d'occuper le sol, alors que la compétence pour celles-ci était désormais confiée aux maires.

Ultime étape de ce processus, la procédure UTN a été intégrée à la loi relative au développement des territoires ruraux du 23 janvier 2005, dite « loi DTR », dans les schémas de cohérence territoriale (SCoT) créés par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « loi SRU », et perfectionnés par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite « Grenelle II ».

Cette intégration fait de la commission spécialisée pour les UTN du comité de massif une instance associée à l'élaboration du SCoT, dont l'avis sur le projet d'arrêté figure dans le dossier soumis à enquête publique. Cette dernière étape consacre ainsi la réintégration définitive de cette procédure exceptionnelle dans la règle de droit commun de la décentralisation.

Au fil de cette évolution, le statut des décisions prises dans le cadre des UTN est donc passé du relevé de décision interministérielle pris après réunion d'un comité interministériel à un avis du comité de massif sur un SCoT élaboré par les élus.

La composition de la commission UTN a elle-même évolué pour être aujourd'hui une émanation du comité de massif où sont représentés des élus, des socioprofessionnels et des personnes qualifiées, notamment dans le domaine de l'environnement.

c) La distinction entre projets d'incidence locale et d'incidence régionale

Depuis la loi DTR du 23 février 2005, intégrée au code de l'urbanisme par le décret du 22 décembre 2006, la procédure UTN établit une hiérarchie entre :

- les projets d'incidence locale, pour lesquels la décision est confiée au préfet de département ;

- les projets d'incidence régionale, pour lesquels, dans les territoires non encore couverts par un SCoT, la décision est confiée au préfet de massif après consultation de la commission ad hoc.

Or, les effets combinés des seuils introduits par le décret UTN du 22 décembre 2006, pris en application de la loi DTR, et du décret portant réforme des études d'impact du 29 décembre 2011 peuvent aboutir à faire remonter au niveau du massif, des projets mineurs au regard de la logique de la procédure UTN, avec des conséquences majeures comme une obligation de modifier le SCoT.

Par exemple, des projets tels que 25 ha de golf, 200 emplacements de camping, soit 600 lits, ou 4 ha de terrain pour la pratique du kart peuvent déclencher une UTN de massif. Si l'on prend en considération la possibilité d'appliquer au cas par cas la procédure d'étude d'impact, ce sont tous les aménagements de terrains pour la pratique de sports ou de loisirs motorisés, ou même un camping accueillant 20 personnes, qui devront être examinés au niveau du massif. Au risque, si le territoire dans lequel se situe le projet est couvert par un SCoT, de déclencher une procédure de modification de ce dernier.

Vos rapporteurs estiment, donc, qu'une simplification des textes législatifs et réglementaires relatifs à la procédure UTN est nécessaire pour renvoyer de manière systématique au niveau départemental les projets de moindre envergure.

Proposition n° 40 : simplifier la procédure UTN pour les projets de moindre envergure, qui devraient être examinés au niveau du département et non plus du massif.

d) La nécessité de maintenir une cohérence d'ensemble

Selon vos rapporteurs, le fait d'avoir intégré la procédure UTN aux procédures d'élaboration des SCoT présente un inconvénient majeur : celui de ne plus assurer la cohérence d'ensemble des multiples projets. Antérieurement à la loi DTR de 2005, cette cohérence était, sinon garantie, du moins facilitée par l'unicité de l'analyse faite par le préfet de région, ou de département selon les cas.

En effet, en additionnant les projets UTN inscrits dans les SCoT couvrant un même massif ou sous-massif, on observe le plus souvent un surdimensionnement global des projets touristiques ou leur répartition aberrante dans une logique de concurrence plus que de complémentarité. Les procédures de coopération inter-SCoT, encore balbutiantes et facultatives, ne semblent pas à même de rétablir cette cohérence qui a été perdue.

Vos rapporteurs ne proposeront pas, à ce stade de leur réflexion, de solution opérationnelle pour pallier cet inconvénient bien identifié. Mais ils estiment indispensable de procéder à une évaluation des effets de la réforme de la procédure UTN par la loi DTR de 2005, qui pourrait être le préalable à une réforme ultérieure.

Proposition n° 41 : évaluer les effets de la réforme de la procédure UTN par la loi de développement des territoires ruraux du 23 février 2005, notamment sur la cohérence d'ensemble des projets touristiques inscrits dans les différents SCoT couvrant un même massif.

2. Le phénomène des « lits froids » en stations
a) L'immobilier comme facteur de croissance

Depuis le lancement du « Plan neige » dans les années 1970, l'immobilier a été le moteur économique de développement des grandes stations intégrées de sports d'hiver, caractéristiques notamment du département de la Savoie 4 ( * ) . Dans ce système, les programmes immobiliers neufs garantissent le financement des équipements et constituent donc un fondement indispensable de la viabilité financière du modèle économique des stations.

Ce modèle s'est consolidé au début des années 1970 : alors que la faiblesse des études de marché et les premiers caprices de la fréquentation creusent les déséquilibres financiers, les promoteurs doivent trouver de nouvelles recettes que seul l'immobilier est en mesure de fournir rapidement. En augmentant la capacité d'accueil, cette logique implique irrémédiablement un réajustement des équipements en remontées mécaniques, lesquels seront à nouveau financés par la promotion immobilière. C'est un engrenage qui a très largement participé à alimenter la croissance immobilière des stations.

Dans un contexte de maturité du marché des sports d'hiver, une telle mécanique entraine une érosion du parc d'hébergement marchand au profit du non marchand. Or, ce phénomène constitue le motif le plus fréquemment invoqué pour justifier des programmes immobiliers toujours plus nombreux. La nécessité d'une mise en marché constante et régulière d'hébergements touristiques neufs apparaît aujourd'hui, pour les opérateurs ainsi que pour les élus, comme une nécessité impérieuse afin de maintenir a minima un seuil de fréquentation stable et garantir l'activité des stations.

b) « Lits froids », « lits chauds » et « lits tièdes »

Classiquement, on distingue les lits « professionnels » des lits « diffus ». Les premiers sont ceux proposés régulièrement à la clientèle par des agents économiques qui en tirent leur principale source de revenus. Il s'agit essentiellement des hôtels, des résidences de tourisme, des appartements mis en gestion auprès des agences immobilières ainsi que des clubs et villages de vacances. Les lits dits « diffus » regroupent, quant à eux, ceux dont l'occupation est réservée au propriétaire et à son entourage, ainsi que ceux qui sont loués de manière plus ou moins régulière sous forme de meublés de tourisme. La répartition entre ces deux catégories est relativement équilibrée dans les stations de montagne.

Cette distinction ne recouvre pas celle entre lits chauds et lits froids, laquelle est uniquement fondée sur le taux d'occupation des lits. Faute d'une définition officielle, on considère généralement qu'un lit est dit « froid » lorsqu'il est occupé moins de 4 semaines par an, et qualifié de « chaud » s'il est occupé au moins 12 semaines par an. Les lits occupés entre 1 et 3 mois par an sont qualifiés de « tièdes ».

c) Des mécanismes d'incitation fiscale très attractifs

Dans ce contexte, l'implantation des résidences de tourisme est apparue comme une solution permettant un renouvellement quantitatif et qualitatif du parc d'hébergement. Avec des services associés attractifs et un réseau puissant de commercialisation, cette formule d'hébergement présente des performances de remplissage élevées.

En outre, ce dispositif est proposé comme un investissement locatif sûr pour les propriétaires : en achetant dans une résidence de tourisme classée, ils ont pu bénéficier d'une déduction de TVA sur le prix d'achat ainsi que d'une réduction d'impôt dans le cadre des dispositifs « Demessine » et « Censi-Bouvard », en contrepartie d'un engagement d'affecter leur bien à la location pendant une durée de neuf ans.

Ainsi, stimulées par une défiscalisation incitative, les opérations de ce type se sont multipliées et peu de stations ont échappé à ce phénomène. Aujourd'hui, cet environnement favorable à la création de résidences de tourisme a parfois abouti à une surproduction d'hébergements neufs qui amène à s'interroger sur la viabilité à moyen terme de ce modèle de développement. À l'échéance règlementaire des baux à un horizon de neuf à douze ans, ce sont autant de logements qui sont susceptibles de sortir du marché locatif. La poursuite du développement immobilier des stations à travers ce dispositif contribue mécaniquement à réamorcer régulièrement des besoins en hébergements neufs.

d) Un parc immobilier vieillissant

Construits dans les années 1960-70 afin de répondre à l'engouement des Français pour les sports d'hiver, la plupart des grands ensembles d'immeubles collectifs sont aujourd'hui dégradés en raison de leur âge, d'un entretien insuffisant, d'une location intensive et d'une qualité parfois médiocre de la construction et des matériaux utilisés.

Les systèmes de copropriété, très développés dans ces grands ensembles immobiliers, ont également constitué un frein à l'entretien des parties communes, l'ensemble des propriétaires ne parvenant pas à se mettre d'accord pour entreprendre des opérations d'entretien et de rénovation jugées trop coûteuses.

Parallèlement à ce phénomène de vieillissement du parc immobilier, les attentes d'une partie des visiteurs ont profondément évolué depuis le début des années 1980, entrainant une inadéquation croissante entre l'offre locative et la demande. D'une part, la clientèle s'est diversifiée et ne compte plus seulement des passionnés du ski, mais également des familles voulant diversifier leurs activités et qui attachent une importance plus grande à élargir et à la qualité des logements offerts ; d'autre part, on observe une présence croissante de la clientèle étrangère, notamment venant du nord de l'Europe, plus attentive au confort et à la taille du logement. Pour ces raisons, un grand nombre de ces appartements en copropriété voient leur taux d'occupation diminuer, délaissés par les candidats à la location.

Une rénovation de l'immobilier de loisir en montagne aura des incidences multiples : elle est la condition de la pérennité de l'attractivité des stations de montagne, elle permettra d'éviter un rythme de construction trop élevé au détriment des espaces naturels, elle constituera une source de travaux non délocalisables pour les entreprises et permettra, grâce à la rénovation thermique des bâtiments, de lutter contre le réchauffement climatique ; elle apportera, enfin, une réponse aux attentes nouvelles de la clientèle.

C'est bien le sens du « Grenelle de l'immobilier de loisir » que vos rapporteurs appellent de leurs voeux.

Depuis les années 2000, de nombreuses stations se sont résolument engagées dans la rénovation de l'immobilier. Malheureusement, le constat est aujourd'hui unanime : ni les outils mis en place, depuis l'adoption de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (« SRU ») en 2000 jusqu'au rapport de la SCET, ni les expérimentations conduites sur les territoires n'ont permis d'obtenir les résultats escomptés. Une impulsion nouvelle est donc aujourd'hui nécessaire, avec la mobilisation de dispositifs de nature différente que les territoires pourront mettre en oeuvre en fonction des caractéristiques propres du parc de logement concerné.

e) Un préalable, améliorer la connaissance de ce phénomène inquiétant

L'hébergement touristique est habituellement appréhendé en dissociant le parc marchand, ou « professionnel », du parc non marchand, ou « diffus ». La capacité marchande s'exprime en « lits touristiques », dénombrés le plus souvent à l'aide des fichiers des offices de tourisme locaux.

Échappant par nature aux réseaux de commercialisation, l'hébergement non marchand ne peut cependant faire l'objet d'un procédé similaire. Par défaut, son évaluation s'appuie sur les données relatives aux résidences secondaires recueillies par l'INSEE.

Lorsqu'il s'agit de disposer d'une approche globale du parc d'hébergement touristique diffus, le statisticien se heurte à un certain nombre de difficultés :

- il est hasardeux d'additionner le parc marchand, exprimé en lits touristiques, avec le secteur non marchand, exprimés en unités de logements. Cet obstacle est néanmoins partiellement surmonté par l'application d'un ratio arbitraire de lits par résidence secondaire ;

- à l'intérieur du secteur diffus, la distinction entre lits chauds et lits froids s'avère pour le moins incertaine, notamment en raison de l'opacité qui entoure la mise en location des logements par le biais des sites Internet, souvent non déclarée, qui s'est fortement développée au cours des cinq dernières années.

Vos rapporteurs considèrent donc comme un préalable nécessaire à la mise au point d'une stratégie globale d'intervention, la création d'observatoires départementaux qui permettraient d'obtenir une vue exacte et détaillée du parc des lits existants, ou autorisés par les documents d'urbanisme, à la fois dans leurs caractéristiques et dans leurs taux d'occupation effectifs.

Proposition n° 42 : créer des observatoires départementaux sur le nombre et les caractéristiques des lits existants ou autorisés, dans la perspective de la définition d'une stratégie globale d'intervention.

f) La nécessité de donner aux élus un meilleur contrôle de la destination des constructions

Le droit de l'urbanisme permet aux auteurs du règlement du PLU d'interdire ou de soumettre à conditions les « occupations et utilisations du sol » et de définir des règles relatives à la destination des constructions autorisées. Face aux risques d'atteinte au droit de propriété que les auteurs du règlement du PLU sont ainsi susceptibles de porter, le législateur et le pouvoir réglementaire sont venus encadrer strictement leur marge de manoeuvre :

- le règlement du PLU ne peut opérer de différenciations qu'entre les neuf destinations limitativement énumérées à l'article R. 123-9 du code de l'urbanisme : habitation, hébergement hôtelier, bureaux, commerce, artisanat, industrie, exploitation agricole ou forestière, entrepôt, services public ou d'intérêt collectif ;

- un PLU peut interdire les changements de destination des constructions, mais uniquement entre les catégories de destinations existantes en droit de l'urbanisme.

Par conséquent, le droit de l'urbanisme s'avère en l'état actuel insuffisant pour favoriser l'hébergement régulier et maîtriser sa destination :

- le code de l'urbanisme ne permet pas de contrôler l'évolution des logements gérés anciennement en formule locative par le biais de la résidence de tourisme en habitation secondaire : la résidence de tourisme n'est pas assimilée à la destination « hébergement hôtelier » (malgré des points communs évidents), l'une des catégories de destination de l'article R.123-9 du code de l'urbanisme, mais à la catégorie « habitation ». Dès lors, à l'expiration du bail commercial, il n'existe aucune possibilité de contrôle, au titre de l'urbanisme, puisque la transformation de la résidence de tourisme en résidence secondaire n'est pas considérée comme un changement de destination ;

- l'interdiction des changements de destination des constructions constitue un outil peu adapté à la maîtrise de la destination des constructions dans le temps : si les règlements des PLU peuvent interdire les changements de destination des constructions à condition de se fonder sur une motivation d'intérêt général évidente, cette interdiction ne peut s'opérer qu'entre les catégories existantes en droit de l'urbanisme. Dès lors, il est impossible d'interdire le changement de destination d'une résidence de tourisme et sa transformation en résidence secondaire, les deux types d'habitation relevant de la catégorie « habitat ».

Proposition n° 43 : modifier le code de l'urbanisme pour créer une sous-catégorie « hébergements touristiques banalisés », tels que hôtels, clubs de vacances ou résidences de tourisme, afin de permettre aux communes de s'assurer de la pérennité de la destination marchande des lits touristiques.

g) La généralisation de sociétés foncières pour la réhabilitation

La poursuite de la construction neuve pour compenser les pertes chroniques de lits existants ne constituant pas une solution pérenne, il s'avère aujourd'hui nécessaire de travailler sur le stock de lits existants. Or, un grand nombre de logements en station nécessite une rénovation, au risque de se retrouver « avec des immeubles, voire des quartiers, devenus vétustes faute de réhabilitation », ce qui pourrait à terme compromettre les capacités d'hébergement en station.

Dans ces circonstances, la mise en place de structures foncières prêtes à acquérir des biens, les rénover, les gérer et, le cas échéant, les revendre, constitue une piste intéressante pour favoriser la rénovation de l'immobilier de loisirs dans les stations. Plusieurs formes sociales sont envisageables pour la création de ces foncières : société par actions simplifiée ; société d'économie mixte ; société ou organisme de placement immobilier ; établissement public foncier local (EPFL).

En Savoie, la Compagnie des Alpes, contrôlée par la Caisse des dépôts et consignations, a mis en place une société foncière, la Foncière Rénovation Montagne.

La Foncière Rénovation Montagne

En avril 2013, la Caisse des Dépôts, la Compagnie des Alpes (CDA) et des établissements bancaires actionnaires de la CDA ont créé la Foncière Rénovation Montagne, société par actions simplifiée (SAS) dédiée au financement de la rénovation de l'hébergement touristique en montagne.

Le capital de cette société est détenu à 48,8% par la Caisse des Dépôts, 16% par la Banque Populaire des Alpes, 16% par la Caisse d'Epargne Rhône Alpes, 9,6% par le Crédit Agricole des Savoie et 9,6% par la CDA.

Cette foncière faîtière a pour vocation d'investir dans des foncières locales, dont elle détient la majorité du capital, qui acquièrent des hébergements vieillissants, les rénovent puis les vendent sous gestion locative.

La foncière locale propose les appartements à acquérir, lesquels constituent des lits froids ou tièdes (dans certains cas des lits chauds si l'exploitant risque de ne pas renouveler les baux). Ce choix est validé par le Comité d'orientation stratégique de la Foncière Rénovation Montagne. À ce jour, environ 250 appartements ont été acquis, à un prix en moyenne inférieur à ce que projetaient les actionnaires de la foncière faîtière. La moitié des acquisitions a concerné des blocs, ce qui devrait permettre la rénovation des parties communes et une amélioration de la performance énergétique du bâti.

La rénovation est le plus souvent assurée par des entreprises locales. Les fusions de lots ne sont pas automatiquement privilégiées, la demande continuant à exister pour les petits appartements. Les premières rénovations ont été achevées en novembre 2013.

Une société filiale de la société locale de remontées mécaniques assure le portage des baux jusqu'à la vente du logement, en lien avec une agence immobilière locale. La société locale de remontées mécaniques, actionnaire de la foncière locale, garantit à la foncière locale des loyers de 4% minimum.

Enfin, les appartements sont vendus au bout d'une dizaine d'année avec un bail attaché de neuf ans minimum. Le taux de rentabilité interne (TRI) de l'opération a été évalué, avant le lancement des premières opérations, à 6% dans l'hypothèse d'une revente au bout de douze ans. Selon les premières estimations de la CDA, le TRI effectif pourrait être légèrement supérieur.

L'objectif est d'investir 75 millions d'euros en cinq ans, ce qui devrait permettre la rénovation de 500 appartements. Cinq stations ont été ciblées, dont les remontées mécaniques sont directement ou indirectement gérées par la CDA : La Plagne, Les Arcs, Les Ménuires, Les Deux-Alpes et Serre Chevalier. Etant donné le nombre d'acquisitions déjà réalisées, l'outil pourrait monter en puissance plus rapidement que prévu.

Cette formule est à encourager, tant la présence d'un investisseur capable de peser sur le marché immobilier local est susceptible de créer un effet d'entraînement et de conduire à un renforcement des démarches de rénovation.

En la matière, les initiatives doivent demeurer locales et impliquer de manière décisive les sociétés de remontées mécaniques, lesquelles disposent des moyens d'investissement les plus importants et sont les premières intéressées aux résultats de telles opérations.

Proposition n° 44 : généraliser la mise en place, en mobilisant l'épargne locale, de sociétés foncières pour la réhabilitation de l'immobilier de loisirs.

h) Le recours au régime du bail à réhabilitation

La loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement a créé le bail à réhabilitation, défini comme un contrat par lequel soit un organisme d'habitations à loyer modéré, soit une société d'économie mixte dont l'objet est de construire ou de donner à bail des logements, soit une collectivité territoriale, s'engage à réaliser dans un délai déterminé des travaux d'amélioration sur l'immeuble du bailleur et à le conserver en bon état d'entretien et de réparations de toute nature en vue de louer cet immeuble à usage d'habitation pendant la durée du bail.

Le régime juridique de ce dispositif présente les caractéristiques suivantes :

- le bail à réhabilitation emporte deux engagements pour le preneur : réaliser des travaux d'amélioration sur l'immeuble et conserver l'immeuble en bon état d'entretien et de réparation ;

- le preneur à bail qui reçoit les loyers des occupants est exonéré de taxe foncière sur les propriétés bâties pendant toute la durée du bail ;

- le bail à réhabilitation doit être conclu pour une durée minimale de douze ans ;

- à la fin du bail à réhabilitation, le bailleur retrouve la libre gestion de son bien et n'a pas à verser d'indemnité pour les travaux d'amélioration réalisés par le preneur.

Vos rapporteurs jugent la philosophie générale de ce dispositif pertinente pour encourager la réhabilitation de l'immobilier de loisirs, dans l'hypothèse où le propriétaire du meublé ne peut ou ne souhaite pas engager des travaux lui-même, et se voit soumis, malgré l'inoccupation de son bien, à la taxe d'habitation et à la taxe foncière.

Proposition n° 45 : recourir à la procédure du bail à réhabilitation pour convaincre les propriétaires privés de rénover leurs biens dégradés.

i) La modulation de la fiscalité locale en fonction du taux d'occupation

Afin de lutter contre le phénomène des « lits froids », de nombreuses propositions ont été faites pour instaurer une taxe visant à « inciter les propriétaires à mettre en location » , et qui se substituerait à la taxe de séjour.

Vos rapporteurs préfèrent l'option d'une modulation, dont la mise en oeuvre serait laissée à l'appréciation de la commune, de la taxe foncière en fonction du taux d'occupation du logement sur la durée de la saison. Le propriétaire devrait apporter la preuve de l'occupation effective de son bien pour bénéficier du taux le plus favorable, le logement étant à défaut présumé vide d'occupants.

Proposition n° 46 : ouvrir aux communes la possibilité de moduler la taxe foncière en fonction du taux d'occupation, sur la saison, de chaque logement touristique.

j) La réorientation des incitations fiscales vers la réhabilitation

Avec la disparition des dispositifs de défiscalisation des articles 199 decies E, decies EA, decies F et decies G du code général des impôts (dispositifs dit « Demessine »), seul subsiste le dispositif de l'article 199 sexvicies (dispositif dit « location meublée non professionnelle - LMNP » ou « Censi-Bouvard »), qui continue à s'appliquer à l'acquisition de logements neufs.

En vertu de ce dispositif, les contribuables domiciliés en France qui acquièrent, entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2016, un logement neuf, un logement en l'état futur d'achèvement ou un logement achevé depuis au moins quinze ans ayant fait l'objet d'une réhabilitation ou qui fait l'objet de travaux en vue de sa réhabilitation, qu'ils destinent à la location meublée non professionnelle, peuvent bénéficier d'une réduction d'impôt.

Le dispositif de l'article 199 sexvicies CGI, s'il a eu un effet accélérateur indéniable au profit de lits « chauds », au moins pendant la période d'exploitation minimale, présente un certain nombre de risques :

- une incitation à la construction de programmes neufs sans lien avec la demande de logements ;

- les aléas du bail commercial : de nombreux propriétaires de résidences de tourisme sont confrontés à la difficulté de faire honorer par le gestionnaire les engagements souscrits au titre du contrat de bail commercial. Dans la plupart des cas, le gestionnaire menace de faire faillite si le propriétaire n'accepte pas une révision des loyers à la baisse. Or, en cas de faillite, le bail sera rompu et le propriétaire ne pourra honorer son engagement de mise en marché pendant neuf ans, perdra le bénéfice de la défiscalisation et sera dans l'obligation de reverser intégralement au Trésor Public la TVA déduite ;

- le risque d'une confiscation par le promoteur et/ou le professionnel de l'immobilier du gain de l'avantage fiscal par une majoration du prix de vente de l'immeuble et/ou l'exigence de commissions importantes ;

- le développement de la construction de petites surfaces, aux prix accessibles afin de solvabiliser les investisseurs, au contraire des attentes actuelles de la clientèle.

Pour ces raisons, vos rapporteurs estiment que le dispositif de l'article 199 sexvicies CGI n'est plus pertinent. Ils suggèrent de le supprimer, pour le remplacer par un dispositif centré exclusivement sur la réhabilitation.

Proposition n° 47 : supprimer les incitations fiscales à l'investissement locatif dans l'immobilier de loisir neuf, et instaurer un dispositif fiscal incitant à la réhabilitation du parc locatif existant, sous la condition d'une obligation de mise en location d'une durée au moins égale à quinze ans.

C. TROIS AXES D'AMÉLIORATION POUR LE TOURISME EN MONTAGNE

1. La reconquête des jeunes générations
a) Une désaffection inquiétante des jeunes pour la montagne

La clientèle touristique française fréquentant la montagne apparaît vieillissante, davantage encore pour les activités de la saison d'été que pour celles de la saison d'hiver, avec une nette sous-représentation des classes d'âges en-dessous de 35 ans. La pratique du ski tend aussi à se perdre chez les jeunes générations, même dans les villes situées dans les zones de piémont des massifs, qui sont pourtant à proximité des stations de ski.

Cette désaffection des jeunes pour la montagne est particulièrement dommageable, non seulement parce que la notion de glisse s'acquiert plus facilement lorsque l'apprentissage est précoce, mais aussi parce que la découverte du milieu montagnard et des activités rattachées à ses espaces est d'autant plus marquante qu'elle se fait à un jeune âge.

Or, ce sont les jeunes qui découvrent aujourd'hui la montagne et qui y prennent goût qui feront sa clientèle touristique de demain. Si la continuité de la transmission intergénérationnelle se perd, le fléchissement de la fréquentation touristique de la montagne, loin de s'inverser, ne pourra au contraire que s'accélérer.

C'est pourquoi les portes d'entrées ouvertes sur la montagne par les colonies, les classes de découvertes, les classes de neige ou autres formes de sorties scolaires, sont tout à fait essentielles.

b) La relance des classes de découverte ou des classes de neige

Autrefois encouragées par l'éducation nationale, les enseignants et les familles, mais aussi par les élus des communes émettrices et réceptrices, les « classes de découverte », qui sont à la montagne en hiver des « classes de neige », apparaissent aujourd'hui en grande difficulté.

Pourtant, les bénéfices des séjours en classes de découverte pour les enfants ne sont plus à démontrer. Celles-ci s'inscrivent aussi dans le cadre de cette éducation à l'environnement qui apparaît désormais comme le meilleur moyen d'enraciner durablement les préoccupations du développement durable dans les profondeurs de la société.

Vos rapporteurs considèrent que le ministère de l'éducation nationale devrait s'attacher en priorité à redonner toute sa noblesse au projet pédagogique et citoyen des classes de découverte, et soutenir activement leur retour dans les établissements scolaires.

Il s'agit de regagner la confiance à la fois des enseignants et des parents, en soulignant l'intérêt pédagogique de ces classes et le caractère extrêmement ténu du risque d'accident. À cet égard, la réglementation draconienne sur l'encadrement des jeunes publics joue un rôle dissuasif pour l'organisation des déplacements par les enseignants, encore aggravé par les problèmes que ceux-ci peuvent rencontrer lorsque l'accident survient malgré tout, dans un contexte de judiciarisation croissante de la mise en jeu de leur responsabilité.

En toute hypothèse, vos rapporteurs ont conscience que rien ne pourra se faire sans une mobilisation préalable des enseignants, qui doivent recevoir cette formation adaptée qui seule pourra, à la fois, les convaincre du réel intérêt des classes de découverte et leur donner une confiance suffisante dans leur capacité à les organiser et les encadrer.

Proposition n° 48 : assurer au sein des écoles supérieures du professorat et de l'éducation une formation des enseignants aux classes de neige et classes de découverte.

Par ailleurs, le renforcement de la réglementation pour l'accueil des jeunes publics, tout comme le coût induit par les travaux de mise aux normes des bâtiments, comptent aussi pour beaucoup dans la diminution constante du nombre des centres de vacances et de loisirs susceptibles d'accueillir les enfants. Or, la modernisation de ces bâtiments constitue une condition préalable très concrète à la relance des classes de découverte ou de neige. Vos rapporteurs sont convaincus que les organismes gestionnaires de ces centres, avec le soutien financier des collectivités territoriales qui auront compris qu'elles peuvent en espérer un retour à long terme, sauront trouver les crédits nécessaires à leur modernisation.

Une autre manière de faciliter la découverte de la montagne par les petits citadins consiste à développer les échanges institutionnalisés entre les collèges des grandes villes et les collèges des zones de montagne. Ces échanges institutionnalisés présentent ce grand avantage de ne pas poser de difficultés pour l'hébergement des enfants, dans la mesure où ceux-ci peuvent être accueillis dans les familles.

Proposition n° 49 : développer les échanges institutionnalisés entre collèges de ville et collèges de montagne.

c) L'enjeu de la date des vacances de printemps dans le calendrier scolaire

Par définition, la fréquentation de la montagne par les jeunes d'âge scolaire dépend très directement de la durée et de la répartition des vacances dans l'année.

Or, la modification du calendrier scolaire intervenue en 2010 consistant à reporter jusqu'au milieu du mois de mai, pour certaines zones scolaires, les vacances de printemps qui coïncidaient antérieurement avec le mois d'avril, a eu pour conséquence d'amputer la fin de la saison touristique en montagne.

En effet, indépendamment de la persistance d'une bonne qualité d'enneigement jusque tard dans la saison, qui a pourtant été le cas au cours des trois dernières années, les familles n'associent pas le mois de mai avec la montagne et privilégient d'autres destinations.

Ces vacances de printemps trop tardives tombent désormais en dehors de la saison de ski, à une période où la plupart des stations sont déjà fermées. Au cours des trois années écoulées, les professionnels du ski font état d'une baisse de fréquentation de 70 % en station durant cette période de l'année.

Les conséquences de cette évolution apparaissent désastreuses : réduction de la durée des contrats des saisonniers, qui se trouvent ainsi fragilisés ; réduction de la durée des amortissements des équipements de remontées mécaniques, avec augmentation corrélative du prix des séjours ; fragilisation de l'équilibre économique des stations de moyenne montagne, les plus précocement fermées.

Compte tenu de la nécessité pour les professionnels du tourisme d'élaborer plusieurs années à l'avance leurs produits, et de planifier les investissements afférents, vos rapporteurs estiment urgent de stabiliser dès maintenant les règles du calendrier scolaire, en revenant au principe d'une coïncidence des vacances de printemps avec le mois d'avril.

Proposition n° 50 : stabiliser les règles du calendrier scolaire, en faisant coïncider les vacances de printemps avec le mois d'avril.

2. Le développement d'une offre plus diversifiée
a) L'intérêt d'une pratique de la montagne plus diversifiée et plus douce

La richesse du patrimoine naturel montagnard offre au touriste une grande variété d'activités, en particulier durant la période estivale. Le développement récent de nouveaux loisirs de plein air contribue à attirer une clientèle qui n'avait jusqu'alors pas l'habitude de fréquenter la montagne en été. À côté des randonnées pédestres, l'essor d'activités sportives comme l'escalade, le parapente ou le canyoning permet une diversification du public touristique. En outre, pour les seniors notamment, la montagne est de plus en plus perçue comme une destination de santé, avec des séjours orientés vers la thématique du bien-être.

En dehors du massif alpin, pour lequel l'hiver reste la saison privilégiée, toutes les autres zones de montagne bénéficient d'un surcroît de fréquentation en été, où s'opère une meilleure répartition des touristes entre les massifs. Chaque région s'est ainsi attachée à développer une stratégie touristique en fonction de ses spécificités et de son identité. Si les Alpes conservent le monopole de la haute montagne avec ses grands espaces, les Pyrénées ont une image de montagne humaine et plus accessible.

b) Une condition : préserver la tranquillité de l'environnement montagnard

La diversification des activités ne peut résulter, vos rapporteurs en sont convaincus, que des stratégies autonomes des acteurs du tourisme en montagne. Mais une condition du développement des activités de pleine nature reste, en premier lieu, le respect de la tranquillité de la montagne.

Cet objectif mérite d'être atteint en ayant d'abord recours au cadre existant et en faisant pleinement appliquer la législation actuelle contre le bruit et limitant les activités motorisées.

Il pourrait ensuite être intéressant de développer, d'abord sur le mode de l'expérimentation, des « zones de tranquillité » en montagne. La convention alpine, que la France a signée en 1991 avec sept autres pays de l'arc alpin (l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie, le Liechtenstein, Monaco, la Slovénie et la Suisse) plus l'Union Européenne, pour un développement équilibré de l'ensemble du massif alpin prévoit ainsi l'instauration de telles zones. Aux termes de l'article 10 du protocole d'application de cette convention, dans le domaine du tourisme (protocole « tourisme ») : « Les Parties contractantes s'engagent, conformément à leurs réglementations et d'après des critères écologiques, à délimiter des zones de tranquillité où l'on renonce aux aménagements touristiques ».

Proposition n° 51 : expérimenter les « zones de tranquillité » prévues par la convention alpine.

3. L'amélioration du statut des travailleurs saisonniers

Les travailleurs saisonniers, en montagne comme ailleurs, participent directement à l'accueil des touristes et constituent un élément déterminant dans l'organisation du produit touristique. Mais, bien que leur rôle soit stratégique, ils ne font pas toujours l'objet d'attentions suffisantes.

On note, notamment, une carence importante de logements destinés aux travailleurs saisonniers. Ceux-ci souffrent également de précarité, et d'insuffisance de couverture sociale. Il y a un décalage flagrant entre ce constat insatisfaisant et la prospérité du secteur touristique en montagne.

a) La question cruciale du logement des saisonniers en stations

La question du logement est importante pour les saisonniers partout sur le territoire, dans l'ensemble des zones de montagne, comme d'ailleurs sur le littoral.

Mais elle devient tout à fait cruciale dans les stations de ski, où l'envol des prix du foncier et des logements devient un problème pour les habitants permanents des communes supports des stations, et a fortiori pour les travailleurs saisonniers qui leur viennent en renfort durant la saison touristique. Ceux-ci sont contraints soit de se loger dans des conditions de fortune, soit de résider plus bas dans la vallée, au prix d'un allongement coûteux et fatigant de leur temps de trajet domicile-travail.

C'est pourquoi vos rapporteurs sont très favorables à une mesure préconisée par François Nogue, président de Pôle Emploi, dans son récent rapport sur le développement de l'emploi dans le secteur du tourisme, afin de favoriser les investissements liés à l'hébergement des salariés du tourisme.

Il s'agirait d'autoriser la déduction de la TVA sur les constructions de logement à usage des salariés. Les employeurs, dans le cadre de leur exploitation en propre ou dans celui d'un regroupement d'entreprises (SCIC...) pourraient déduire la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les travaux de construction ou de rénovation de logement, dès lors qu'ils respectent les conditions cumulatives suivantes :

- l'établissement d'exploitation de l'employeur est situé dans une commune touristique définie par la règlementation ;

- les travaux sont réalisés pour assurer le logement de salariés non permanents ;

- la location ponctuelle à des non-salariés de l'entreprise, pour bénéficier de l'exonération de TVA, ne doit pas excéder 180 jours par année civile.

Les logements construits selon ces critères pourraient par ailleurs bénéficier d'une exonération de la taxe d'aménagement par les communes.

Proposition n° 52 : faire bénéficier de la possibilité de déduire la TVA sur les travaux les employeurs, ou groupements d'employeurs, qui construisent des logements pour leurs saisonniers.

b) La nécessité d'un regroupement des employeurs des saisonniers

La prédominance des PME, et surtout des TPE, dans la filière touristique constitue un obstacle pratique à une bonne gestion des ressources humaines saisonnières.

Vos rapporteurs ont donc retenu avec grand intérêt une autre mesure préconisée dans le rapport précité de François Nogue afin d'encourager et développer les groupements d'employeurs, en ce qu'ils permettent de professionnaliser la gestion des ressources humaines des TPE, et facilitent la pluri-activité des travailleurs saisonniers.

Un dispositif de « portabilité des droits » entre groupements relevant de conventions collectives différentes (agriculture, BTP, restauration...) pourrait prendre la forme d'un « guichet unique » pour l'accès aux droits de base (couverture complémentaire santé, retraite, formation professionnelle), guichet qui supposerait l'élaboration d'un contrat-cadre entre les principales branches et administrations ou organismes concernés.

Le passage dans l'année d'un emploi touristique vers un emploi agricole, ou industriel ne nécessiterait plus comme aujourd'hui le changement d'organismes de prévoyance, de mutuelles, de centres de formation... et contribuerait à la sécurisation professionnelle des travailleurs saisonniers.

Proposition n° 53 : encourager le développement des groupements d'employeurs dans le tourisme, susceptibles de mieux gérer les personnels et la saisonnalité, grâce à un dispositif de portabilité entre groupements des droits acquis par les saisonniers.

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS DU RAPPORT

I. Un environnement d'altitude à la fois fragile et exigeant

? Proposition 1 .- Compte tenu des baisses récurrentes enregistrées, maintenir les crédits alloués à l'ONF pour la restauration des terrains en montagne (RTM), a minima, au niveau de ceux déjà alloués.

? Proposition 2 .- Réexaminer le principe des « zones jaunes » (déterminées en fonction du risque tricentennal d'avalanche) en conservant l'aléa centennal de référence actuel.

? Proposition 3 .- Encourager, par le dialogue local, une définition davantage collective, participative et partenariale des risques acceptables sur les territoires de montagne, dans une approche soutenable à la fois pour l'État et pour les collectivités.

? Proposition 4 .- Compléter la carte d'aléas des PPRN par des scenarios de risques plus explicites et détaillés, associés à des seuils d'alerte ainsi qu'à des mesures concrètes à prendre pour la mise en sécurité des personnes.

? Proposition 5 .- Permettre des choix d'aménagements intercommunaux à partir d'une définition élargie des périmètres d'étude des PPRN mieux adaptée pour une utilisation à l'échelle intercommunale.

? Proposition 6 .- Favoriser le transfert de connaissances, de méthodes et d'outils, de la recherche scientifique vers la gestion opérationnelle des risques.

II. Des outils de protection du patrimoine naturel montagnard multiples et efficaces

? Proposition 7 .- Au sein de la Trame verte et bleue, identifier dans les territoires de montagne des zones « mixtes », susceptibles d'être considérées à la fois comme réservoirs de biodiversité et comme corridors de circulation.

? Proposition 8 .- Recourir aux financements communautaires complémentaires prévus dans le cadre de la politique agricole commune, en généralisant dans les sites Natura 2000 les « mesures agroenvironnementales territorialisées ».

? Proposition 9 .- Inciter les structures intercommunales à réaliser des atlas communaux de la biodiversité, afin de faire connaître la richesse de la faune et la flore à protéger.

? Proposition 10 .- Rétablir la compensation intégrale par l'État des pertes de recettes de taxe sur le foncier non bâti subies par les communes au titre de l'exonération des terrains situés en zone Natura 2000.

? Proposition 11 .- Étendre la majoration de la dotation globale de fonctionnement (DGF) en fonction des surfaces de la commune situées dans un parc national, à toutes les autres formes réglementaires d'espaces protégés.

? Proposition 12 .- Pour permettre l'adoption de la réglementation des coeurs de parc, même en cas de rejet des chartes par une majorité des communes des aires d'adhésion, dissocier juridiquement les coeurs de parc des aires d'adhésion.

? Proposition 13 .- Rendre possible un recrutement local des gardes des parcs nationaux par un système de validation des acquis d'expériences.

? Proposition 14 .- Offrir aux gardes des parcs nationaux une formation d'adaptation à l'emploi prenant en compte les nécessités du développement local, ainsi que l'écoute des populations et des élus.

? Proposition 15 .- Considérer, de manière systématique, les parcs naturels régionaux comme des réserves de biodiversité dans la Trame verte et bleue.

? Proposition 16 .- Pour les communes adhérentes d'un parc naturel régional, rendre obligatoire d'intégrer dans le projet d'aménagement et de développement durable (PADD) de leur plan local d'urbanisme (PLU), les préconisations de la charte et du plan du parc.

III. L'humanisation de l'environnement montagnard par l'agriculture

? Proposition 17 .- Dans la mise en oeuvre des règles d'urbanisme visant à freiner la consommation des terres agricoles en montagne, tenir compte du fait que les différentes parcelles de terrain présentent des qualités agronomiques inégales.

? Proposition 18 .- Fonder les aides sur le nombre d'actifs dans l'exploitation, plutôt que sur celui d'hectares.

? Proposition 19 .- Relever, voire supprimer, les plafonds des aides pour la modernisation des bâtiments d'élevage en montagne.

? Proposition 20 .- Renforcer le caractère progressif des contrats d'installation pour les « hors cadres familiaux », c'est-à-dire les personnes souhaitant s'installer comme agriculteurs qui ne s'inscrivent pas dans une tradition familiale.

? Proposition 21 .- Élargir l'assiette du droit de préemption des SAFER aux espaces « intermédiaires » sylvo-pastoraux.

? Proposition 22 .- Réviser les normes européennes applicables à l'équarrissage, de manière à aider les vautours et les gypaètes à reprendre leurs habitudes alimentaires de charognards.

? Proposition 23 .- Réintégrer le loup dans l'annexe III de la Convention de Berne, pour faire de la population lupine une « espèce protégée simple ».

? Proposition 24 .- Exiger le strict respect des règles posant le principe d'une concertation préalablement à la réintroduction d'espèces menacées d'extinction.

? Proposition 25 .- Poursuivre, jusqu'à son adoption définitive, la discussion au Parlement de la proposition de loi visant à créer des zones de protection renforcée contre le loup adoptée par le Sénat le 30 janvier 2013.

? Proposition 26 .- Prendre des mesures efficaces dans le cadre d'une réglementation appropriée, afin de permettre la régulation des loups par des prélèvements suffisants.

IV. La forêt de montagne : une ressource sous exploitée

? Proposition 27 .- Maintenir à un niveau suffisant les crédits budgétaires de l'ONF, afin de préserver sa capacité d'intervention dans les forêts de montagne.

? Proposition 28. - Veiller à ce que le niveau des aides financées par le Fonds stratégique de la forêt et du bois tienne compte des surcoûts inhérents à l'exploitation de la forêt en montagne.

? Proposition 29 .- Avec les concours du Fonds stratégique de la forêt et du bois, mettre en place un dispositif d'aide à l'installation des « jeunes forestiers ».

? Proposition 30 .- Étudier un recouvrement quinquennal de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, dont pourraient être exonérés les propriétaires acceptant d'exploiter effectivement leur forêt ou de la mettre en gestion.

? Proposition 31 .- Mettre en place des plans d'approvisionnement territoriaux forestiers de massif, à l'échelle de chaque vallée.

? Proposition 32 .- Généraliser le préfinancement, par des avances remboursables, des travaux d'exploitation dans les zones difficiles d'accès, notamment par câble.

? Proposition 33 .- Généraliser, dans le cadre d'une gestion au niveau des massifs, en associant tous les acteurs et en prenant en compte tous les usages de la forêt, des schémas de desserte par piste ou câble qui intègrent les contraintes environnementales.

? Proposition 34 .- Favoriser les démarches de labellisation du type « bois des Alpes » ou « bois de Chartreuse », afin de valoriser les qualités spécifiques du bois récolté en montagne.

V. L'eau en montagne : au-delà d'une abondance apparente, un risque réel de raréfaction

? Proposition 35 .- Imposer aux exploitants d'aménagements hydroélectriques de participer financièrement aux mesures préventives ou curatives permettant d'éviter les évolutions du lit du cours d'eau dans le tronçon « court-circuité » imputables à son aménagement et préjudiciables à l'intérêt général.

? Proposition 36 .- Imposer aux exploitants de centrales hydroélectriques de participer financièrement à l'entretien courant de la végétation du lit des cours d'eau au droit des tronçons « court-circuités » par les aménagements.

? Proposition 37 .- Améliorer la connaissance des étiages et des usages par une généralisation des observatoires locaux de la ressource en eau.

? Proposition 38 .- Utiliser les outils existants, du type schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE), pour assurer la cohérence des usages de l'eau, notamment au regard de la neige de culture.

? Proposition 39 .- S'assurer que les études d'impact prennent en compte tous les problèmes liés à l'environnement des retenues collinaires utilisées pour la neige de culture, notamment au regard des paysages, des périodes de remplissage, des espèces protégées et des zones humides.

VI. Le tourisme, mode privilégié de mise en valeur de l'environnement montagnard

? Proposition 40 .- Simplifier la procédure UTN pour les projets de moindre envergure, qui devraient être examinés au niveau du département et non plus du massif.

? Proposition 41 .- Évaluer les effets de la réforme de la procédure UTN par la loi de développement des territoires ruraux du 23 février 2005, notamment sur la cohérence d'ensemble des projets touristiques inscrits dans les différents SCoT couvrant un même massif.

? Proposition 42 .- Créer des observatoires départementaux sur le nombre et les caractéristiques des lits existants ou autorisés, dans la perspective de la définition d'une stratégie globale d'intervention.

? Proposition 43 .- Modifier le code de l'urbanisme pour créer une sous-catégorie « hébergements touristiques banalisés », tels que hôtels, clubs de vacances ou résidences de tourisme, afin de permettre aux communes de s'assurer de la pérennité de la destination marchande des lits touristiques.

? Proposition 44 .- Généraliser la mise en place, en mobilisant l'épargne locale, de sociétés foncières pour la réhabilitation de l'immobilier de loisirs.

? Proposition 45 .- Recourir à la procédure du bail à réhabilitation pour convaincre les propriétaires privés de rénover leurs biens dégradés.

? Proposition 46 .- Ouvrir aux communes la possibilité de moduler la taxe foncière en fonction du taux d'occupation, sur la saison, de chaque logement touristique.

? Proposition 47 .- Supprimer les incitations fiscales à l'investissement locatif dans l'immobilier de loisir neuf, et instaurer un dispositif fiscal incitant à la réhabilitation du parc locatif existant, sous la condition d'une obligation de mise en location d'une durée au moins égale à quinze ans.

? Proposition 48 .- Assurer au sein des écoles supérieures du professorat et de l'éducation une formation des enseignants aux classes de neige et classes de découverte.

? Proposition 49 .- Développer les échanges institutionnalisés entre collèges de ville et collèges de montagne.

? Proposition 50 .- Stabiliser les règles du calendrier scolaire, en faisant coïncider les vacances de printemps avec le mois d'avril.

? Proposition 51 .- Expérimenter les « zones de tranquillité » prévues par la convention alpine.

? Proposition 52 .- Faire bénéficier de la possibilité de déduire la TVA sur les travaux les employeurs, ou groupements d'employeurs, qui construisent des logements pour leurs saisonniers.

? Proposition 53 .- Encourager le développement des groupements d'employeurs dans le tourisme, susceptibles de mieux gérer les personnels et la saisonnalité, grâce à un dispositif de portabilité entre groupements des droits acquis par les saisonniers.

CONCLUSION

Au terme du présent rapport d'information, vos rapporteurs ont bien conscience que leur réflexion sur les enjeux relatifs au patrimoine naturel de la montagne ne peut pas prétendre à l'exhaustivité, et qu'ils ont plutôt procédé à des « coups de projecteurs » sur tels ou tels aspects du sujets qui leur paraissaient mériter de retenir l'attention.

En ce qui concerne les propositions que vos rapporteurs ont cru utile de formuler, ils se sont efforcés de leur conserver, dans toute la mesure du possible, un côté concret et opérationnel. Cela ne les empêche pas de toujours garder en vue les objectifs stratégiques, forcément plus vastes, que ces propositions visent à atteindre.

Vos rapporteurs veulent aussi expliquer les raisons de ce que certains lecteurs risquent de percevoir comme un « tropisme alpin » du rapport. Élus tous deux de départements alpins, ils se sont inspiré de manière privilégiée, et bien naturellement, de leur expérience de terrain. Néanmoins, ils se sont aussi efforcés de conserver à leur réflexion et à leurs propositions une dimension universelle, valable pour tous les massifs des montagnes françaises qui, par-delà leur diversité, partagent des problématiques communes.

La thématique environnementale du présent rapport d'information les a conduits à traiter de multiples aspects de la politique de la montagne. Toutefois, d'autres aspects de celles-ci, non moins importants et dignes d'attention, n'ont pas eu l'occasion d'être évoqués.

Ainsi, en ce qui concerne la dimension économique et sociale de cette politique, ils veulent mentionner plusieurs dossiers qui sont de la plus haute importance pour les territoires de montagne et présentent un caractère de brûlante actualité :

- l'aménagement numérique de ces territoires souvent peu densément peuplés mais néanmoins fréquentés, par l'achèvement de la couverture en téléphonie mobile et par le déploiement du très haut débit ;

- le désenclavement prioritaire par la route et le fer de certaines zones de montagne, bien identifiées dans le cadre des travaux de la commission Mobilité 21, dans un contexte de raréfaction des crédits d'investissement disponibles et d'érosion des crédits d'entretien ;

- le maintien d'une carte scolaire adaptée à la réalité humaine et géographique de territoires où les temps de déplacement ne sont pas ceux des régions au relief moins accidenté ;

- la lutte contre les « déserts médicaux », qui est, en montagne, une nécessité encore plus urgente que dans d'autres zones rurales plus accessibles.

La dimension institutionnelle et législative de la politique de la montagne mériterait également, à elle seule, un autre rapport d'information. Elle recouvre plusieurs sujets distincts :

- l'affinement des critères du classement en zone de montagne conditionnant le bénéfice des régimes d'aide spécifiques, qui sont parfois d'une application délicate et génèrent des situations ambigües ;

- la question des institutions propres à la montagne, principalement le conseil national de la montagne et les comités de massifs, qui mériteraient d'être rénovées et dynamisées ;

- l'impact des nouvelles lois de décentralisation, récemment adoptées ou encore à venir, sur des territoires de montagne qui, en dépit de leur étendue et de leur faible densité de population, possèdent une très forte identité qu'il serait contre-productif de diluer, voire d'effacer ;

- l'opportunité d'une mise à jour de la loi Montagne, avec l'examen par le Parlement d'un nouveau texte législatif spécifique suffisamment complet et ambitieux, qui pourrait d'ailleurs, parallèlement, s'accompagner de la codification de toutes les dispositions intéressant les zones de montagne, actuellement fort éparses.

Cette idée de réviser ou d'actualiser la « loi Besson » est précisément évoquée par le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, dans le discours qu'il a prononcé le 17 octobre 2013 à Cauterets, dans les Hautes-Pyrénées, devant le congrès de l'ANEM : « Lors de son discours devant le Conseil national de la montagne, le Premier ministre a souligné son attachement à la loi Montagne, qu'il a qualifiée de « loi fondamentale ». Il a rappelé l'exigence qui incombe aux autorités publiques de préserver le patrimoine exceptionnel que constituent nos massifs montagneux, mais aussi de le développer, de l'animer.

« Comme lui et comme vous, je suis convaincu que la montagne a une carte majeure à jouer pour la compétitivité de notre pays et pour l'emploi.

« Mais pour exploiter les atouts dont nous disposons et encourager l'esprit d'innovation, il faut maintenir des services de qualité, poursuivre le désenclavement, réduire la fracture numérique, faciliter l'accès des PME à la formation et aux services, préserver l'agriculture de montagne, impulser le développement forestier...

« Je sais que beaucoup d'acteurs de la montagne estiment qu'ils serait utile de réviser ou d'actualiser la loi Montagne. »

Près de trente ans après son adoption, la loi Montagne du 9 janvier 1985 ne se présente pas comme un texte « indépassable », mais demeure, par les principes qu'elle a posés, le socle toujours pertinent de tous les développements ultérieurs de la politique de la montagne.

S'il était justifié, en 1985, de mettre en avant les « handicaps » des territoires de montagne pour faire jouer la solidarité nationale en leur faveur, il apparaît non moins justifié de mettre en avant, en 2014, les multiples ressources de ces territoires, qui ont su retrouver ou préserver leur dynamisme pour les mettre au service de la collectivité nationale toute entière.

Les deux axes du développement et de la protection autour desquels ce texte fondateur s'organise, apparaissent aujourd'hui comme une heureuse anticipation de la problématique du développement durable, devenue une priorité nationale depuis le « Grenelle de l'environnement ». Ces axes guident de manière équilibrée tous les aspects de la politique de la montagne, et particulièrement ceux relatifs à la mise en valeur et à la sauvegarde de l'environnement des terres d'altitude.

La beauté des paysages, la variété de la faune et de la flore, l'abondance des ressources du patrimoine naturel de la montagne, font de celui-ci un véritable « trésor national », dont les richesses s'offrent aujourd'hui à tout un chacun, mais doivent aussi, par-delà les aléas du changement climatique, pouvoir être transmises aux générations futures.

ANNEXE : TYPOLOGIE DES TERRITOIRES DE MONTAGNE

(France métropolitaine ; Source : DATAR)

Le champ spatial de l'étude a concerné les six massifs de France métropolitaine délimités dans la loi montagne : les Alpes, le Jura, le Massif central, la Corse, les Pyrénées et les Vosges. Une typologie en 3 groupes et 7 classes a été définie pour cet ensemble qui couvre 167 000 km², soit 30 % du territoire métropolitain, et compte environ 8,5M d'habitants.

1/ la montagne urbanisée

63 % de la population des massifs sur seulement 13 % de leur superficie, avec deux classes :

- les villes-centre et petites agglomérations très accessibles avec de fortes densités de population et une forte augmentation de cette densité, dispersées au sein de l'ensemble des massifs, avec une situation socio-économique favorable, des communes très bien pourvues en commerces et en services, des ménages aux revenus élevés, un taux de chômage moyen, un emploi total qui augmente « sous l'effet de la croissance des activités résidentielles et touristiques et d'un déclin mesuré des activités industrielles », une présence affirmée du bâti et un degré d'artificialisation élevé ;

- les périphéries jeunes et dynamiques des grandes agglomérations avec de fortes densités de population et une très forte augmentation de cette densité, due à des accroissements naturel et migratoire combinés, une population très jeune, une situation socio-économique très favorable avec une forte croissance de l'emploi tirée « par le fort développement des activités résidentielles et touristiques », mais également industrielles ; un très bon accès aux services et aux commerces ; une forte présence du bâti et un degré d'artificialisation très élevé.

2/ la moyenne montagne agricole ou industrielle

1/4 des habitants des massifs sur 58% de leur superficie, avec trois classes :

- le rural et périurbain industriels et agricoles à faible chômage couvrant presque intégralement le Jura et très présents dans le Massif central et dans une moindre importance sur les autres massifs. Les communes de cette classe, à faibles densités de population, bénéficient d'une « attractivité migratoire élevée, dont la portée spatiale est toutefois limitée ». Ayant une situation socio-économique assez favorable, elles disposent d'un niveau d'accès aux services, aux commerces et aux emplois « dans la moyenne de l'ensemble des communes de montagne », des paysages de plateaux et de collines faiblement artificialisés ;

- le rural agricole, âgé, à fort chômage, très boisé , principalement dans des zones de moyenne montagne très faiblement artificialisées, avec des communes « de très faibles densités de population et une population particulièrement âgée », une attractivité migratoire assez forte, une situation socio-économique assez défavorable avec peu de services et de commerces, une agriculture en déclin mais tenant encore une place importante, une « croissance relative des activités résidentielles et touristiques le plus souvent insuffisante pour assurer la croissance totale de l'emploi » ;

- le rural agricole, au faible relief, âgé et à chômage modéré. Presque exclusivement dans le Massif central, ces communes affichent de faibles densités de population et une tendance dominante à la stagnation ou à la décroissance et une situation socio-économique contrastée. Elles comptent des ménages aux revenus et qualifications peu élevés, une économie locale très agricole, mais des emplois agricoles et industriels en « forte régression » et « une faible augmentation des emplois résidentiels et touristiques ». Les commerces et services sont peu présents. Le paysage, où prédominent les plateaux et collines, est faiblement artificialisé.

3/ la haute et moyenne montagne résidentielle et touristique

Seulement 11 % des habitants des massifs sur 28% de leur superficie, avec deux classes :

- les espaces d'altitude attractifs et jeunes, à faible taux de chômage, aux paysages faiblement artificialisés et principalement boisés, de faibles densités de population, connaissant une forte attractivité migratoire. Leur situation socio-économique favorable repose sur la prédominance des activités résidentielles et touristiques en fort développement soutenant la croissance de l'emploi. Incluant les grandes stations de sports d'hiver, ces espaces sont principalement situés dans la partie septentrionale du massif alpin, à l'est des agglomérations du sillon alpin et, dans une moindre mesure, à l'extrême sud de ce massif ;

- les espaces d'altitude peu accessibles et âgés, à fort taux de chômage pour la plupart dans un environnement très rural, à distance des grandes agglomérations, principalement dans les Alpes du sud, en Corse, le long de la frange méridionale du Massif central et dans les Pyrénées. Ils connaissent de très faibles densités de population mais bénéficient d'une forte attractivité migratoire. Ils sont dotés d'une économie résidentielle et touristique en forte croissance mais « le plus souvent insuffisante pour compenser les pertes d'emplois dans les secteurs agricoles et industriels », et sont peu pourvus en services et en commerces.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 19 février 2014, la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire examine le rapport d'information de Mme Hélène Masson Maret et de M. André Vairetto sur la protection et la mise en valeur du patrimoine naturel de la montagne.

M. Raymond Vall, président. - L'ordre du jour de la commission appelle ce matin l'examen du rapport d'information de nos collègues Hélène Masson-Maret et André Vairetto sur la protection et la mise en valeur du patrimoine naturel de la montagne.

Comme nous l'avions fait pour le rapport sur la loi littoral, nous avons ouvert notre réunion d'aujourd'hui aux membres du groupe d'études « Montagne » qui est rattaché à notre commission. Ce rapport est le résultat d'un très important travail mené depuis des mois par les deux rapporteurs. Ils ont notamment procédé à un grand nombre d'auditions et effectué plusieurs déplacements. Leurs diagnostics et leurs propositions d'évolution sont très attendus.

Mme Hélène Masson-Maret, co-rapporteure. - Je remercie la commission du développement durable qui nous a fait l'honneur de nous confier, en début d'année dernière, la réalisation d'un rapport d'information sur la protection et la mise en valeur du patrimoine de la montagne.

Tout au long de cette mission, notre réflexion a été portée par trois grandes convictions.

Notre première conviction est que ce patrimoine naturel, s'il est bien sûr la propriété des populations qui y vivent et y travaillent, peut aussi être considéré, par sa richesse exceptionnelle, comme un bien appartenant à la Nation tout entière.

Notre deuxième conviction est que la loi du 9 janvier 1985, dite loi Montagne, par son souci permanent de concilier le développement et la protection de celle-ci, constitue un texte précurseur du développement durable, plus de vingt ans avant le « Grenelle de l'environnement » et les textes législatifs qui en sont issus.

Notre troisième conviction est que ce patrimoine naturel, en dépit de l'impression de solidité immuable donnée par les montagnes, est en fait fragile : Il sera tout particulièrement sensible aux effets du changement climatique.

Nous avons circonscrit le périmètre du rapport à six thèmes différents : d'abord, l'environnement montagnard, à la fois dans sa richesse en termes de biodiversité, mais aussi en tant que porteur de risques spécifiques ; ensuite, les multiples outils de protection de ce patrimoine naturel, parmi lesquels, notamment, les parcs nationaux et les parcs naturels régionaux. L'agriculture et la forêt de montagne, qui sont des parties intégrantes et humanisées de ce patrimoine, font l'objet d'un chapitre chacun. La problématique de l'eau nous a paru mériter également un chapitre distinct. Enfin, le tourisme en montagne nous est apparu comme une activité économique fondée très directement sur la mise en valeur de ce patrimoine, riche de la beauté de ses paysages et de l'étendue de ses espaces.

Pour traiter ces six thèmes, deux questionnements nous ont servi de fils conducteurs. Première question, qui se trouve au coeur de la loi Montagne de 1985 : comment concilier protection et développement ? Deuxième question, qui se trouve au coeur des lois Grenelle I et II : comment préparer l'adaptation de ce patrimoine naturel au changement climatique ?

Rapports écrits et auditions ont alimenté notre réflexion et, pour commencer notre travail, nous avons pu nous appuyer sur l'excellent rapport de la mission commune d'information du Sénat sur le bilan de la loi Montagne fait en 2002 par Jean-Paul Amoudry, notre ancien collègue Jacques Blanc étant président de la mission. Nous avons également pu nous appuyer sur le rapport d'information sénatorial que Jacques Blanc a consacré en 2011 à la politique européenne de la montagne et, parmi d'autres que je ne puis tous citer, sur le remarquable rapport consacré en 2007 par l'association nationale des élus de la montagne (ANEM) au changement climatique et à l'avenir de la montagne.

Au cours de nombreuses auditions au Sénat, et de trois déplacements à Nice, Bruxelles et Chambéry, nous avons entendu une soixantaine de personnalités : parlementaires, élus locaux, universitaires, fonctionnaires nationaux, territoriaux et européens, représentant d'organisations, de fédérations et d'associations les plus diverses.

Fruit de ce travail, notre rapport contient plusieurs propositions que nous avons voulues, systématiquement, les plus opérationnelles possibles.

Dans le chapitre premier, relatif à l'environnement naturel de la montagne, nous nous sommes efforcés de montrer que celui-ci est certes fragile, mais aussi exigeant par les risques qui lui sont inhérents.

L'amplitude du phénomène global de réchauffement climatique nous a été confirmée par Jean Jouzel, lorsque celui-ci est venu présenter devant notre commission, le cinquième rapport d'évaluation du GIEC (groupe d'experts intergouvernementaux sur l'évolution du climat), dont il est le vice-président français.

Il faut insister sur la sensibilité particulière des zones de montagne à ce changement climatique, où l'impact pourrait être plus marqué : décalage vers le haut des étages de végétation montagnards, mutation des écosystèmes des différentes espèces de faune et de flore (très spécialisés en montagne), effets ambivalents sur l'agriculture et le pastoralisme car le réchauffement des températures ne présente pas que des inconvénients pour les productions végétales et animales, même si, à long terme des sécheresses plus marquées et prolongées ne peuvent être considérées comme un avantage.

Autre conséquence du changement climatique, les risques naturels seront vraisemblablement accrus en montagne : événements climatiques extrêmes amplifiés par le relief, mutation des avalanches plus précoces et plus humides, crues torrentielles, feux de forêts particulièrement difficiles à maîtriser en montagne, risques liés à la fonte des glaciers et des terrains à pergélisol.

Dans cette perspective de risques accrus, la politique de restauration des terrains en montagne (RTM) prend donc toute son importance. L'érosion constante des dotations budgétaires allouées par l'État à l'office national des forêts (ONF) à ce titre est un sujet de préoccupation, et ce même si ces dotations ont été remises à niveau en 2012.

Notre première proposition consiste donc simplement à demander que, compte tenu des baisses récurrentes enregistrées, les crédits affectés à l'ONF pour la restauration des terrains en montagne soit, a minima, maintenus au niveau de ceux déjà alloués.

Par ailleurs, il nous est apparu nécessaire d'optimiser les plans de prévention des risques naturels en montagne. Leur mise en place y constitue un impératif, mais se heurte à un jeu de rôle artificiel entre l'État, qui se charge de « dire le risque » dans une optique de protection maximale, et les élus locaux, qui ne veulent pas être privés de toute possibilité de développement et d'aménagement de leurs territoires. Le projet de superposition, dans les plans de prévention des risques d'avalanches, de nouvelles « zones jaunes » (risque tri-centennal) aux zones bleues et rouges est un exemple marquant de ce manque de concertation.

Sur ce sujet des PPRN, nous formulons trois propositions :

- encourager, par le dialogue local, une définition davantage collective, participative et partenariale des risques acceptables sur les territoires de montagne, dans une approche soutenable à la fois pour l'État et pour les collectivités ;

- compléter la carte d'aléas des PPRN par des scénarios de risques plus explicites et détaillées, de manière à ce que l'expertise aboutissant aux différents zonages ne soit plus une « boîte noire ». Ainsi explicités, les scénarios de risques seraient associés à des seuils d'alerte, ainsi qu'à des mesures à prendre pour la mise en sécurité des personnes ;

- permettre des choix d'aménagements intercommunaux à partir d'une définition élargie des périmètres d'études des PPRN, qui nous paraît mieux adaptée pour une utilisation à l'échelle intercommunale.

Le deuxième chapitre est consacré aux outils de protection du patrimoine naturel de la montagne.

Les dispositifs généraux, comme la notion de « massifs », qui s'appliquent à de vastes surfaces en montagne, présentent un intérêt particulier au regard de la Trame verte et bleue, prévue par le « Grenelle de l'environnement », pour rétablir les continuités écologiques. Pour l'élaboration de cette Trame, ils ont vocation à constituer autant de « réservoirs de biodiversité » reliés entre eux par des « corridors écologiques ». Le réseau Natura 2000 apparaît également particulièrement dense en montagne. Mais sa mise en oeuvre semble se heurter au problème de la disponibilité des financements pour la restauration et l'animation des zones Natura 2000.

Nous formulons donc deux propositions pour faciliter leur financement. Première proposition : recourir aux financements communautaires complémentaires prévus dans le cadre de la politique agricole commune, en généralisant sur les sites Natura 2000 les « mesures agroenvironnementales territorialisées ». Deuxième proposition : rétablir la compensation intégrale par l'Erat des pertes de recettes de taxe sur le foncier non bâti subies par les communes au titre de l'exonération des terrains situés en zone Natura 2000.

Concernant les parcs nationaux, ce dispositif très centralisé et fortement protecteur a été modifié par la « loi Giran » de 2006, qui a cherché à donner davantage de pouvoir aux maires des communes de « l'aire d'adhésion » située en périphérie du « coeur de parc ». L'application de cette loi a été plus difficile que prévu, notamment dans le plus emblématique des parcs nationaux, celui de la Vanoise, pour lequel il n'est pas aujourd'hui encore certain que les communes de l'aire d'adhésion finiront pas adopter la charte qui leur est proposée.

Nous avons donc formulé principalement deux propositions, dans l'objectif d'apaiser les tensions entre les autorités administratives gestionnaires des parcs nationaux, d'une part, et les populations locales représentées par leurs élus, d'autre part. La première proposition consiste à rendre possible un recrutement local des gardes des parcs nationaux par un système de validation des acquis d'expérience. Ce recrutement local serait une manière d'obtenir une plus grande harmonie entre les gardes et les populations. La deuxième proposition consiste à offrir aux gardes des parcs nationaux une formation d'adaptation à l'emploi prenant en compte les nécessités du développement local, ainsi que l'écoute des populations et des élus.

Les parcs naturels régionaux relèvent d'une logique bien différente de celle des parcs nationaux : il s'agit d'un dispositif à l'initiative des collectivités territoriales, qui garantit par construction un équilibre dynamique entre protection et développement.

Nous formulons une proposition pour conforter le succès des parcs naturels régionaux : il s'agirait, pour les communes adhérentes d'un PNR, de rendre obligatoire l'intégration dans le projet d'aménagement et de développement durable (PADD) de leur plan local d'urbanisme, les préconisations de la charte et du plan du parc.

Le troisième chapitre de notre rapport traite de l'agriculture, considérée comme un facteur d'humanisation de l'environnement montagnard.

L'agriculture de montagne se caractérise par une surface agricole étroite et un foncier rare au regard de l'étendue des espaces montagnards, par la prédominance d'un élevage extensif et par de fortes contraintes naturelles liées au climat et au relief.

Comme toute l'agriculture française, l'agriculture de montagne est tributaire de la politique agricole commune qui reconnaît depuis longtemps un principe de compensation des handicaps, traduit par la mise en place de l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN), de la prime herbagère agro-environnementale (PHAE) et d'aides à l'installation et la modernisation majorées en montagne. Nous faisons la proposition de relever, voire supprimer, les plafonds des aides pour la modernisation des bâtiments d'élevage en montagne. La valorisation de la qualité des produits de montagne par la labellisation est également évoquée.

Je finirai, enfin, par un sujet qui me tient à coeur : celui de l'impact du retour des grands prédateurs sur le pastoralisme. La filière ovine, économiquement fragile, subit déjà l'impact du changement climatique et de la concurrence internationale, notamment de la Nouvelle-Zélande et de la Grande Bretagne, 60 % de la consommation nationale étant aujourd'hui importée. La prolifération des grands prédateurs, dont le plus redoutable est le loup, accentue encore le danger de voir l'activité pastorale régresser.

Après avoir été éradiqué au début du XXème siècle, le loup a fait « spontanément » son retour depuis les Apennins italiens en 1992, et sa population s'accroît à un rythme de 20 % par an, pour atteindre un effectif de 250 bêtes, selon les sources officielles (alors qu'officieusement on parle de 400 à 450 bêtes). L'ours des Pyrénées a frôlé l'extinction, mais a fait l'objet d'une réintroduction, tout comme le lynx et ces très grands rapaces que sont les vautours gypaètes.

Il en résulte une forte augmentation des prédations sur les troupeaux. Pour s'en tenir aux dégâts du loup, ceux-ci sont passés de 2 680 victimes indemnisées en 2008 à 4 913 en 2011, dont 95 % d'ovins. Ces prédations sont concentrées à 35 % dans mon département, les Alpes-Maritimes.

En conséquence, les indemnisations sont en forte hausse, passant de 500 000 euros en 2004 à 1,5 million d'euros en 2011 ; elles sont néanmoins insuffisantes, puisqu'elles excluent le préjudice moral pour les éleveurs.

Les mesures de protection, telles que le gardiennage renforcé, les parcs de regroupement et pâturage électrifiés, les chiens de protection, sont encore plus coûteuses : leur montant s'élève à 8,8 millions en 2011, il est six fois supérieur à celui des indemnisations. Ces mesures présentent, par ailleurs, des limites environnementales et sanitaires et des effets pervers (maladies liées au piétinement lors du parcage nocturne, atteinte à la biodiversité, baisse de rendements, etc.)

Aussi nous a-t-il semblé utile de poser enfin les conditions d'une gestion responsable des prédateurs.

Tout d'abord, nous prenons position dans le débat autour du statut du loup, « espèce strictement protégée » au regard de la convention de Berne du 19 septembre 1979. Notre proposition est simple : reclasser le loup de l'annexe 2 vers l'annexe 3 de la convention, pour en faire une « espèce protégée simple ».

Dans une autre proposition, nous rappelons la nécessité d'un strict respect du principe d'une concertation approfondie préalablement à toute réintroduction d'espèces menacées d'extinction. Ce principe n'a pas été respecté lors de la réintroduction d'ours de Slovénie dans les Pyrénées.

Enfin, et surtout, nous proposons de poursuivre au Parlement, jusqu'à son adoption définitive, la discussion de la proposition de loi visant à créer des zones de protection renforcée contre le loup qui a été votée à une très large majorité par le Sénat le 30 janvier 2013.

Notre dernière proposition sur le sujet invite à prendre des mesures efficaces dans le cadre d'une réglementation appropriée, afin de permettre la régulation des loups par des prélèvements suffisants. Ceci implique d'ajuster le niveau des prélèvements à la réalité démographique de la population lupine, à ne pas hésiter à recourir aux sociétés de chasse et à autoriser plus largement les tirs, hors du voisinage immédiat des troupeaux et durant la saison d'hiver, où il est plus facile de pister le loup.

M. André Vairetto, co-rapporteur. - Je vais développer les trois derniers chapitres du rapport, relatifs à la forêt, l'eau et le tourisme en montagne.

La forêt de montagne peut globalement être considérée comme une ressource naturelle sous-exploitée en France. Ses spécificités sont marquées : les massifs forestiers en altitude sont plus étendus, variés et denses qu'en plaine, et présentent une grande sensibilité au changement climatique. La forêt de montagne est d'une exploitation difficile : les dessertes sont insuffisantes, les coûts élevés, la propriété morcelée et l'économie de la filière dégradée.

Pourtant la mobilisation du bois en forêt de montagne est un enjeu d'intérêt national, car les volumes disponibles y sont particulièrement importants, et leur exploitation effective conditionne le succès des objectifs du « Grenelle de l'environnement » pour le bois-énergie, comme celui des objectifs du plan forêt-bois pour le bois d'oeuvre.

L'impact de l'érosion des dotations budgétaires de l'ONF, déjà évoqué pour le RTM, est aussi très négatif sur la forêt de montagne. En effet, sous la contrainte budgétaire, l'office réduit ses interventions, en particulier dans les forêts les moins accessibles et les moins rentables, c'est-à-dire celles de montagne.

Notre première proposition consiste donc à demander le maintien à un niveau suffisant des crédits budgétaires de l'ONF, pour maintenir sa capacité d'intervention dans les forêts de montagne. Nous demandons aussi que le niveau des aides financées par le nouveau Fonds stratégique de la forêt et du bois, inscrit dans la loi de finances initiale pour 2014 et consacré par la loi d'avenir agricole et forestière en cours de discussion au Sénat, tienne compte des surcoûts inhérents à l'exploitation de la forêt en montagne.

La loi d'avenir comporte aussi des mesures pour dynamiser la gestion de la forêt privée, telles que le groupement d'intérêt économique et environnemental forestier (GIEEF), ou les droits de préférence et de préemption des communes forestières. Nous préconisons plusieurs mesures complémentaires propres à la forêt de montagne.

Une proposition de planification stratégique consiste à mettre en place des plans d'approvisionnement territoriaux forestiers par massif, à l'échelle de chaque vallée.

Pour le développement des dessertes forestières en montagne, nous formulons deux propositions : une première proposition consistant à généraliser le préfinancement, par des avances remboursables, des travaux d'exploitation dans les zones difficiles d'accès, notamment par câble. Des expérimentations fructueuses de tels fonds d'amorçage ont été menées par les collectivités, notamment en Savoie. Une deuxième proposition consiste à généraliser, dans le cadre d'une gestion au niveau des massifs, en associant tous les acteurs et en prenant en compte tous les usages de la forêt, des schémas de desserte par piste ou câble qui intègrent les contraintes environnementales.

Enfin, prenant en compte les qualités mécaniques exceptionnelles du bois récolté en montagne, nous faisons une dernière proposition pour favoriser les démarches de labellisation de type « bois des Alpes » ou « bois de Chartreuse ».

Le chapitre suivant est consacré à l'eau en montagne. Il est inutile que j'insiste sur le rôle fondamental des massifs pour la ressource en eau, la montagne constituant le « château d'eau » du pays. Là aussi, les effets prévisibles du changement climatique sont inquiétants, un climat plus chaud et plus sec se traduisant à terme par des ressources en eau moins abondantes.

Nous avons consacré une partie de ce chapitre à l'hydroélectricité, l'« or bleu » de la montagne. Aujourd'hui, le potentiel de notre pays est presque totalement exploité, avec une grande hydroélectricité concentrée en zone de montagne, mais encore un certain potentiel supplémentaire pour la petite hydroélectricité.

La conciliation entre l'hydroélectricité et les impératifs environnementaux est parfois délicate. Elle est plus ou moins bien assurée par les deux principes du « débit réservé » et du « rétablissement des continuités piscicoles ». Les « transports sédimentaires » générés par les installations hydroélectriques, qui dégradent les lits des cours d'eau, sont un problème que nous avons essayé de traiter par la proposition suivante : imposer aux exploitants d'aménagements hydroélectriques de participer financièrement aux mesures préventives ou curatives permettant d'éviter les évolutions du lit des cours d'eau dans le tronçon « court-circuité » imputable à son aménagement et préjudiciables à l'intérêt général.

Nous abordons ensuite le sujet de la neige en stations, qui apparait comme un filon d'« or blanc » menacé, car la réduction tendancielle de l'enneigement naturel ne peut être entièrement compensée en lui substituant de la neige de culture. Cette pratique, aujourd'hui généralisée en stations, appelle des précautions particulières :

- une première proposition suggère d'améliorer la connaissance des étiages et des usages par une généralisation des observatoires locaux de la ressource en eau ;

- une deuxième proposition recommande d'utiliser les outils existants, de type Schéma d'aménagement et de gestion des eaux, pour assurer la cohérence des usages de l'eau, notamment au regard de la neige de culture ;

- une troisième proposition conseille de s'assurer que les études d'impact prennent en compte tous les problèmes liés à l'environnement des retenues collinaires utilisées pour la neige de culture (paysages, périodes de remplissage, zones humides).

Le dernier chapitre est consacré au tourisme, en tant que mode privilégié de mise en valeur de l'environnement montagnard.

En montagne, l'offre touristique est scindée en deux saisons : une saison d'hiver assez longue, sur quatre à cinq mois, mais très concentrée géographiquement, et une saison d'été plus diffuse géographiquement, mais plus courte, sur les deux mois de juillet et août.

Le tourisme est un enjeu économique fondamental pour la montagne : une source d'emplois nombreux, une contribution essentielle au dynamisme des économies locales ; il est caractérisé par des investissements très lourds pour le ski.

Mais la fréquentation de la montagne fléchit : celle-ci n'est plus que la quatrième destination, après la mer, la campagne, et la ville. Les raisons de cette relative désaffection sont multiples : crainte que l'enneigement ne soit pas au rendez-vous, offre trop standardisé des grandes stations de ski, concurrence des « destinations soleil » l'hiver, concurrence du tourisme urbain l'été. Enfin, l'image de la montagne est trop souvent celle d'un certain élitisme et d'un danger omniprésent.

Nous avons voulu traiter de manière approfondie les difficultés de l'immobilier touristique en montagne.

Depuis des années les stations sont engagées dans une fuite en avant : elles construisent toujours plus pour assurer leur fréquentation. Je suis favorable à un «Grenelle de l'immobilier touristique en montagne », qui mettrait tous les acteurs autour de la table dans une perspective de développement durable. Il est devenu urgent de passer de la construction à la réhabilitation, puis à l'exploitation.

Un premier problème est celui de l'obsolescence relative de la procédure des unités touristiques nouvelles (UTN). Instaurée en 1977, cette procédure posait le principe d'une construction regroupée autour des urbanisations existantes et assurait un contrôle centralisé de l'État sur les projets touristiques en montagne. Elle a été progressivement réintégrée dans le droit commun de l'urbanisme et distingue aujourd'hui entre les projets d'incidence locale et ceux d'incidence régionale, examinés au niveau du massif.

Notre première proposition consiste à simplifier la procédure UTN pour les projets de moindre envergure, qui devraient être examinés au niveau du département et non plus du massif.

Depuis que la loi de développement des territoires ruraux de 2005, dite « loi DTR », a prévu l'inscription des UTN dans les SCoT, il apparaît nécessaire de maintenir une cohérence d'ensemble.

Une autre de nos propositions suggère d'évaluer les effets de la réforme de la procédure UTN par la loi DTR, notamment sur la cohérence d'ensemble des projets touristiques inscrits dans les différents SCoT couvrant un même territoire.

La multiplication des « lits froids » en stations est un phénomène particulièrement inquiétant. Il nous paraît urgent d'en améliorer la connaissance, avec une première proposition suggérant de créer des observatoires départementaux pour connaître la dynamique du parc immobilier, dans la perspective de la définition d'une stratégie globale d'intervention.

Il faut aussi donner aux élus un meilleur contrôle des flux de lits nouveaux et des destinations des terrains. Une autre proposition préconise de modifier le code de l'urbanisme pour créer une sous-catégorie de zonage en « hébergements touristiques banalisés », tels que hôtels, clubs de vacances, ou résidences de tourisme, afin de permettre aux communes de s'assurer de la pérennité marchande des lits touristiques.

Nous formulons deux propositions d'outils nouveaux pour la rénovation du parc existant. La première consiste à généraliser la mise en place de sociétés foncières pour la réhabilitation de l'immobilier de loisirs, en mobilisant l'épargne locale. La deuxième consiste à recourir à la procédure du bail à réhabilitation pour convaincre les propriétaires privés de rénover leurs biens dégradés.

Nous avons également deux propositions pour moduler et réorienter les incitations fiscales. La première tend à ouvrir aux communes la possibilité de moduler la taxe foncière, en fonction du taux d'occupation sur la saison de chaque logement touristique. La deuxième consiste à supprimer les incitations fiscales existantes pour l'investissement locatif dans l'immobilier de loisir neuf, et à instaurer un dispositif fiscal incitant à la réhabilitation du parc locatif existant, sous la condition d'une obligation de mise en location d'une durée au moins égale à quinze ans.

Pour finir, nous évoquons trois axes d'améliorations possibles pour le tourisme en montagne.

La reconquête des nouvelles générations apparaît nécessaire, face à l'inquiétante désaffection des jeunes pour la montagne. Pour cela, il faut relancer les classes de découverte ou classes de neige. À cet effet, nous suggérons d'assurer, au sein des écoles supérieures du professorat et de l'éducation, une formation aux enseignants pour les classes de neige et les classes de découverte. Nous proposons également de développer les échanges institutionnalisés entre collèges de ville et collèges de montagne.

Enfin, dans le débat sur la date des vacances de printemps, trop tardive, qui ampute la fin de la saison de ski, nous prenons position par une demande de stabilisation des règles du calendrier scolaire, en faisant coïncider les vacances de printemps avec le mois d'avril.

Tous les professionnels du tourisme soulignent la nécessité pour la montagne de proposer une offre de loisirs plus diversifiée et une pratique touristique plus « douce ». Encore faut-il, comme condition préalable, que la tranquillité de l'environnement montagnard soit préservée. C'est pourquoi nous proposons que soient expérimentées les « zones de tranquillité » prévues par la Convention alpine.

Enfin, nous avançons deux propositions pour l'amélioration du statut des travailleurs saisonniers, problème récurrent du secteur touristique en montagne. Le problème du logement des saisonniers est particulièrement aigu en stations. Notre proposition consiste à faire bénéficier de la possibilité de déduire la TVA sur les travaux les employeurs, ou groupements d'employeurs, qui construisent des logements pour leurs saisonniers.

Nous proposons aussi d'encourager le développement des groupements d'employeurs des saisonniers, grâce à un système de portabilité entre groupements des droits individuels acquis par les saisonniers.

Au terme de cette présentation, nous avons bien conscience que notre réflexion sur les enjeux relatifs au patrimoine naturel de la montagne ne peut pas prétendre à l'exhaustivité. Nous avons plutôt procédé à des « coups de projecteurs » sur tel ou tel aspect du sujet qui nous a paru mériter de retenir l'attention.

En ce qui concerne nos propositions, nous nous sommes efforcés de leur conserver un caractère concret et opérationnel, sans perdre pour autant de vue les objectifs stratégiques plus vastes que ces propositions visent à atteindre.

La thématique environnementale nous a conduits à traiter de multiples aspects de la politique de la montagne mais de nombreux autres aspects de celle-ci, non moins importants et dignes d'attention, n'ont pas pu être évoqués en détail.

Pour la dimension économique et sociale de la politique de la montagne, je veux mentionner plusieurs dossiers qui restent de la plus haute importance :

- l'aménagement numérique des territoires de montagne, souvent peu densément peuplés mais néanmoins fréquentés ;

- le désenclavement prioritaire par la route et par le fer de certains territoires de montagne bien identifiés par la commission Mobilité 21 ;

- le maintien d'une carte scolaire adaptée à la réalité humaine et géographique de territoires où les temps de déplacement ne sont pas ceux de régions au relief moins accidenté ;

- la lutte contre les déserts médicaux, plus urgente encore en montagne que dans d'autres zones rurales plus accessibles.

Pour la dimension institutionnelle et législative de la politique de la montagne, je peux aussi évoquer plusieurs sujets :

- l'affinement des critères du classement en zone de montagne, qui conditionne le bénéfice d'aides spécifiques ;

- la question des institutions propres à la montagne, principalement le conseil national de la montagne et les comités de massifs, qui mériteraient d'être rénovés et dynamisés ;

- l'impact des nouvelles lois de décentralisations, récemment votées ou à venir, sur des territoires de montagne qui, en dépit de leur étendue et de leur faible densité de population, possèdent une identité très forte qu'il serait contreproductif de diluer, voire d'effacer ;

- l'opportunité d'une mise à jour de la loi Montagne, avec l'examen par le Parlement d'un nouveau texte législatif spécifique suffisamment complet et ambitieux.

Pour conclure, reconnaissons que la beauté des paysages, la variété de la faune et de la flore, l'abondance des ressources du patrimoine naturel de la montagne, font de celui-ci un véritable « trésor national », dont les richesses s'offrent aujourd'hui à tout un chacun, mais doivent aussi, par-delà les aléas du changement climatique, pouvoir être transmises aux générations futures.

M. Raymond Vall, président. - Merci pour cette présentation d'un rapport riche en propositions.

M. Charles Revet. - Je tiens à complimenter les rapporteurs pour leur analyse très intéressante. Je souhaite revenir sur la situation de l'agriculture en montagne. On constate que les agriculteurs sont de moins en moins nombreux dans ces zones difficiles : en reste-t-il assez aujourd'hui pour pérenniser l'activité ? Avez-vous pu analyser les raisons de cette évolution ? La même question se pose pour la forêt qui est sous-exploitée tant en bois de chauffage qu'en bois d'oeuvre.

Je profite de cette intervention pour vous interpeller, Monsieur le Président, sur l'absence de suivi de nos rapports. Je suis marri de voir que malgré notre volonté de changer les choses, l'administration ne tient pas compte des propositions qui figurent dans les rapports parlementaires. Comment pouvons-nous collaborer avec la Cour des Comptes pour s'assurer que nos préconisations seront suivies d'effet ?

M. Raymond Vall, président. - Je partage ce constat. Peut-être pourrions-nous entériner le principe d'une audition obligatoire du ministre concerné après chaque sortie de rapport, afin de porter à sa connaissance les propositions qui ont été formulées ? Nous pouvons aussi envisager de publier moins de rapports, pour que chaque parution bénéficie d'un véritable suivi, en collaboration avec les rapporteurs et les services de l'État.

M. Alain Fouché. - Il y a un désintéressement évident de Paris pour la province et le reste du territoire. Les élus locaux que nous sommes connaissent les particularités de leurs territoires : je regrette que les technocrates de l'administration centrale ne suivent pas les recommandations que nous émettons dans les rapports.

M. Benoît Huré. - Je partage cette opinion. Les élus locaux tentent de faire remonter des réalités vécues et de proposer des solutions adaptées à leurs territoires : malheureusement, ils sont trop peu souvent écoutés.

M. Vincent Capo-Canellas. - Je m'interroge sur les moyens dont nous disposons pour interpeller l'administration et le Gouvernement. Les missions communes d'information ou les commissions d'enquêtes ne permettraient-elles pas que l'on soit mieux entendu ? Les rapports d'information ne suffisent pas, car ils ne permettent pas de comprendre certains mystères, comme les dysfonctionnements de la ligne B du RER malgré les importants fonds investis...

Mme Esther Sittler. - Je remercie Hélène Masson-Maret et André Vairetto pour leur rapport fourni et dense, qui m'interpelle à plus d'un titre. Je suis particulièrement préoccupée par la fonte des glaciers suisses, qui alimente les eaux souterraines d'Alsace.

Le changement climatique entraîne de multiples conséquences sur l'environnement, et notre rôle d'élus est d'être dans une démarche prospective. Pourquoi notre commission ne lance-t-elle pas une grande réflexion sur les effets du changement climatique ?

M. Raymond Vall, président. - Plusieurs organismes comme l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), Météo France, l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC) et le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), ont déjà été sollicités par la commission sur cette question. Ils devraient nous fournir des éléments de réponse et des fourchettes de prévision dès le mois d'avril, que nous pourrons porter à connaissance des élus pour les aider à intégrer les conséquences du changement climatique dans leurs documents d'aménagement.

M. Michel Teston. - Je félicite à mon tour les deux rapporteurs pour les conclusions très intéressantes de leur travail. Toute les propositions tiennent comptent de deux problématiques majeures : d'une part, l'équilibre entre protection du milieu naturel et développement économique, d'autre part, l'adaptation de l'environnement montagneux au changement climatique.

Je souhaite revenir sur les problèmes posés par les « lits froids », ces logements vacants une grande partie de l'année. Peut-on envisager la mise en place de quotas, pour conserver un équilibre entre résidences principales et résidences secondaires, comme cela est déjà fait en Suisse ? Je m'interroge également sur les possibilités d'accueillir plus de touristes en moyenne montagne, quitte à développer plus d'accès aux stations : cela permettrait d'équilibrer l'urbanisation entre moyenne et haute montagne. Enfin, le développement de nouvelles activités en haute montagne favoriserait l'attraction hors des pics saisonniers : est ce une piste à examiner ?

Les parcelles de montagne, particulièrement morcelées et difficiles d'accès, rendent l'exploitation forestière compliquée. Quelles mesures peut-on envisager pour pallier ces difficultés de gestion, limiter le morcellement forestier, et tirer parti de ce patrimoine exceptionnel ?

M. Marcel Deneux. - Je complimente également nos collègues pour ce rapport. La montagne évoque pour beaucoup d'entre nous les stations de sport d'hiver des Alpes ou des Pyrénées. Il ne faudrait pas oublier le Massif Central, les Vosges, le Jura : quelles propositions formulez-vous pour ces massifs ?

Je partage l'opinion de mes collègues sur l'agriculture et la gestion de la forêt en montagne, et leur questionnement sur l'équilibre entre protection environnementale et développement économique.

Par ailleurs, on assiste à une dessaisonalisation du climat aux conséquences néfastes sur la biodiversité. Les mutations de la faune sauvage observées dans les massifs orientés nord-sud ne sont pas les mêmes que celles constatées dans les massifs orientés est ouest : des réponses adaptées à chaque cas doivent donc être apportées. D'une manière générale, on assiste à une remontée vers le nord de certaines espèces, comme c'est le cas d'un parasite signalé il y a quelques années dans les Landes et qu'on retrouve aujourd'hui en Bretagne.

Je souhaite insister sur la nécessité de maintenir une activité économique en montagne, notamment agricole. Au Tyrol, la politique fiscale mise en place pour soutenir à la fois l'agriculture et le tourisme a porté ses fruits : nous n'avons malheureusement pas été capables en France de reproduire ce schéma. Je pense qu'il faut développer la mécanisation du travail agricole en montagne, grâce à des outils spécifiques comme il en existe ailleurs en Europe.

Nous pourrions par ailleurs imposer quelques contraintes d'aménagement à certains petits exploitants d'hydroélectricité, sans compromettre leur activité qui affiche une forte rentabilité. Une partie des bénéfices de ces centrales pourrait soutenir l'agriculture locale.

Enfin, je pense que nous gagnerions à auditionner Jean-Louis Bianco, énarque amoureux de la montagne qui vécut quelques temps au Queyras, avant d'occuper des fonctions haut placé de la République. Il n'a jamais réussi à faire passer ses idées sur la montagne, et en comprendre les raisons nous permettrait d'envisager d'autres pistes pour nous faire entendre sur le sujet !

Pour terminer, je suis d'accord sur la nécessité de mettre en place un suivi de nos rapports. Je pense que nous n'exploitons pas assez le potentiel des questions écrites au Gouvernement.

M. Raymond Vall, président. - C'est effectivement une piste à creuser. Le Bureau pourrait se réunir tous les trimestres pour faire le point sur ce suivi et déposer, le cas échéant, des questions au nom de la commission.

M. Alain Fouché. - Je suis heureux de voir nos collègues si passionnés par la défense de la montagne !

Je voudrais revenir sur la problématique posée par la réintroduction des ours et des loups qui créent des dommages, tant chez les animaux que chez les hommes. Combien a coûté leur importation ? Comment réguler leur population ? Pourrait-on envisager de restreindre leur espace de liberté, afin de protéger les troupeaux ?

M. Rémy Pointereau. - Je salue l'excellent travail effectué par les rapporteurs. Ma première question concerne l'agriculture. Le pastoralisme permet à la fois le maintien des populations et l'entretien des territoires. Cette pratique essentielle est cependant confrontée aux soucis engendrés par une population lupine grandissante. Vos propositions sur ce sujet s'inspirent-elles de la proposition de loi Bertrand, qui avait proposé un plan de chasse pour mieux réguler la présence du loup ?

Par ailleurs, l'actualité dramatique récente du déraillement du train des Pignes, entre Nice et Digne, en raison d'un éboulement, pose la question de la gestion des aléas climatiques propres à la montagne. Quelles mesures de prévention suggérez-vous contre les avalanches, éboulements et coulées de boues?

Mme Hélène Masson-Maret, co-rapporteure. - Concernant l'agriculture de montagne, elle dispose, vous le savez, d'aides majorées. Nous avons pu constater au cours de nos auditions un retour à la montagne, plus spécifiquement dans l'agriculture de niche, avec notamment de nouvelles plantes résistantes au climat de montagne qui ont un coût intéressant sur les marchés. Cela permet aux exploitants de vivre et survivre. Avec la création des communautés de communes, il est désormais possible d'associer les éleveurs autour de petites exploitations, soit pour revitaliser celles qui existent, soit pour en lancer de nouvelles. Nous avons rencontré une présidente de communauté de communes qui a créé un lieu d'apprentissage pour cette nouvelle agriculture.

Sur le rapport de Jean Jouzel, nous sommes tous d'accord. Il y a des incertitudes au niveau de l'interprétation des études sur le changement climatique. Malgré tout, la tendance générale va vers un réchauffement, il faut en tenir compte.

M. Marcel Deneux. - Vous prêchez un convaincu, mais je n'affirmerais plus aujourd'hui ce que j'ai pu écrire il y a dix ans à ce sujet.

Mme Hélène Masson-Maret, co-rapporteure. - On nous annonçait que certaines stations de ski devaient péricliter, je vois dans ma région que ce n'est pas le cas. Il nous faut être prudents.

Concernant le droit de suite des rapports parlementaires, si ce rapport peut permettre de mettre en avant certaines problématiques, j'en serais ravie.

Sur la question des prédateurs, mon département est extrêmement concerné par le problème des loups, c'est un sujet qui me touche directement. L'association des élus de la montagne nous a toutefois alertés et nous a recommandé de ne pas parler que des loups, mais également du problème de l'ours. Au Sénat, plusieurs collègues ont déposé des propositions de loi, des amendements sur le loup. La proposition de loi d'Alain Bertrand a été votée récemment. Il faut faire en sorte qu'elle aille à son terme. Le débat se situe essentiellement entre ceux qui veulent gérer le problème des loups en organisant des prélèvements, et ceux qui souhaitent encourager les mesures de protection des troupeaux.

Nous souhaitons pour notre part une révision de la convention de Berne, qui a classé les loups en espèce strictement protégée, ce qui correspond à la classe 2. Nous plaidons pour un déclassement en classe 3, espèce protégée simple. Cela éviterait beaucoup de problèmes administratifs pour les prélèvements qui sont nécessaires. Dans la classe 2, le loup est protégé strictement : on ne peut ni le tuer bien sûr, ni nuire à sa quiétude dans son habitat. L'article 9 de la convention prévoit simplement, sous certaines conditions, lorsque les troupeaux ou même l'homme sont en danger, qu'on puisse prendre des mesures de destruction. La catégorie 3 ouvre davantage de possibilités de prélèvements.

Au niveau national, nous avons le plan loups, qui permet 24 prélèvements cette année. Le problème est qu'on ne lui donne pas les moyens d'être mis en oeuvre. Nous ne sommes qu'à cinq prélèvements effectués aujourd'hui.

Cette situation met en danger l'agropastoralisme, qui est non seulement une économie de la montagne, mais représente aussi une identité culturelle, je pense à la fête des transhumances et à beaucoup d'autres choses. On ne peut pas mésestimer cette perte substantielle de culture régionale.

La Suisse a demandé en novembre 2013 le déclassement du loup en catégorie 3. Le comité de la convention de Berne a refusé. Si plusieurs nations font remonter le même message et soutiennent ce déclassement, la demande aura plus de chances d'aboutir. Pour obtenir le déclassement, il faut que l'espèce ne soit plus en situation de disparaître. Le comptage officiel fait état d'une population de 250 loups, ce qui est un nombre suffisant pour garantir son maintien. Le comptage officieux fait lui état de 400 à 450 loups.

Concernant les dommages dus au changement climatique et les coulées de boue que vous avez évoquées, des travaux colossaux ont été faits dans ma région. On ne peut cependant pas tout contrôler. La vallée de Valberg qui mène aux stations de ski a engagé des travaux d'enrochement sur des kilomètres et des kilomètres, cela a coûté une fortune. On ne peut pas dire que les gens n'aient pas conscience des travaux à réaliser.

M. André Vairetto, co-rapporteur. - Sur l'agriculture de montagne, je voudrais rappeler qu'elle est caractérisée par des productions sous signe de qualité, ce qui permet de générer des plus-values significatives.

M. Marcel Deneux. - Les AOC de montagne n'ont pas la même intensité dans les montagnes d'une certaine altitude que dans les bassins moyens. Il n'y a pas d'AOC dans les Vosges, très peu dans le Massif central.

M. André Vairetto, co-rapporteur. - En montagne, une organisation de coopérative permet de maîtriser l'ensemble du processus et de ne pas être dépendant de structures industrielles agroalimentaires, ce qui n'est pas anodin. L'agriculture de montagne est accompagnée depuis très longtemps. On a parlé tout à l'heure des ICHN, les indemnités compensatoires du handicap naturel, instaurées dans les années 1970 et qui témoignent du rôle essentiel de l'agriculture dans le maintien des paysages et de la qualité de ce patrimoine naturel. La politique agricole encourage aujourd'hui la montagne, par l'augmentation des ICHN, par la convergence des aides. Cet accompagnement est significatif.

Concernant la forêt, elle est sous-exploitée en montagne pour des raisons bien connues. Elle est plus difficile à exploiter du fait de pentes plus abruptes. Elle est très morcelée, et à 71 % privée. Des perspectives d'amélioration s'ébauchent dans la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Nous avons émis des propositions dans le rapport, notamment la mise en place du règlement du foncier bâti tous les cinq ans pour les terres forestières. Aujourd'hui, pour moins de quarante euros, le recouvrement du foncier non bâti ne s'opère pas. Notre proposition obligerait donc les propriétaires à s'intéresser à leur propriété, avec une exonération du foncier dès lors qu'il est exploité, ou avec un dispositif de crédit d'impôt pour les frais de bornage. En effet, très souvent, la difficulté que connaissent les propriétaires est d'identifier le lieu où se situe leur parcelle.

Les « lits froids » constituent une problématique majeure. Ce modèle de développement atteint ses limites. On a trop construit, alors que chaque année, une partie de ce qui est déjà construit échappe à la commercialisation, soit parce que les propriétaires sont dans une logique patrimoniale ou de loisir personnel, soit parce qu'un certain nombre d'opérations immobilières arrivent à leur terme de location. Il faut encourager la réhabilitation, et passer d'un dispositif de construction à un dispositif d'exploitation.

Sur le suivi des rapports, il est possible de demander un débat en séance publique. Il serait intéressant de faire la demande pour ce rapport afin d'engager un débat avec la ministre.

Mme Hélène Masson-Maret, co-rapporteure. - J'ai déposé une question écrite au mois de mai dernier concernant le loup, sans réponse malgré des relances. Je compte poser une question orale au mois de mai prochain. Il y a urgence pour nos élevages avec l'arrivée du printemps.

M. Marcel Deneux. - Avec un peu de chance vous aurez une réponse du ministre des relations avec le Parlement...

M. Michel Teston. - Sur la question du loup, nous avons eu l'occasion de débattre en séance lors de l'examen de la proposition de loi d'Alain Bertrand. Ce texte a divisé largement, y compris au sein du groupe socialiste. J'avais précisé les raisons pour lesquelles la proposition de loi me paraissait totalement inapplicable. J'avais posé la question de sa constitutionnalité. Comment décréter le loup indésirable sur un territoire, où on pourra le tuer librement, tandis que cela serait impossible dans le territoire voisin ? Ce texte introduisait une disparité totale de traitement entre les citoyens, sans parler de l'incompatibilité avec la convention de Berne ainsi que la directive habitats. Ces raisons m'avaient conduit à considérer ce texte inacceptable. Le Sénat s'est prononcé différemment. Je ne sais pas s'il sera examiné à l'Assemblée nationale.

Depuis ces débats, j'ai oeuvré pour que le plan loups prévoie un nombre de prélèvements beaucoup plus important que le précédent plan. J'ai par ailleurs écrit aux trois ministres concernés, de l'agriculture, de l'écologie et des affaires européennes, pour demander le déclassement du loup de l'annexe 2 et son classement à l'annexe 3 de la convention de Berne, au motif qu'il y a en Europe un nombre suffisant de loups. Je n'ai pas de réponse pour l'heure, mais j'ai fait cette demande en tant que parlementaire de l'Ardèche, département qui a été concerné par les attaques d'un ou deux loups, sur la partie de la montagne ardéchoise qui jouxte la Lozère.

La commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mercredi 17 avril 2013

- Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR) : M. Xavier Chauvin , chargé de mission « montagne ».

Mercredi 24 avril 2013

- Association nationale des élus de la montagne (ANEM) : M. Pierre Bretel , délégué général.

- Sénat : M. Jean-Paul Amoudry , sénateur de la Haute-Savoie.

Mardi 4 juin 2013

- Ministère de l'Agriculture : M. Jacques Andrieu , sous-directeur de la forêt et du bois, et Mme Lise Wlerick , chargée de mission.

- Office national des forêts (ONF) : M. Albert Maillet , directeur de l'environnement et des risques naturels.

Mardi 11 juin 2013

- Atout France : MM. Christian Mantéi , directeur général, et Jean Berthier , délégué Montagne.

- Ministère de l'Ecologie et du développement durable : Mme Emilie Nahon , cheffe du bureau des parcs nationaux et des réserves.

- Conseil national du tourisme (CNT) : M. Jean-Louis Balandraud , secrétaire général.

Mardi 25 juin 2013

- Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) : M. Daniel Prieur , secrétaire général adjoint ;

- Jeunes agriculteurs (JA) : M. Guillaume Cognat , administrateur national, coresponsable du dossier montagne, et Mme Ulrike Jana , conseillère territoire, environnement et qualité ;

- Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) : M. Dominique Chalumeaux , président, et Mme Valérie Gehlé , chargée d'études agriculture de montagne.

- Ministère de l'écologie et du développement durable : Mme Lucile Rambaud , chef du bureau Réseau Natura 2000.

Mercredi 16 octobre 2013

- Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux : M. Michel de Galbert , ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts.

Lundi 21 octobre 2013

- Institut de géographie alpine de l'Université Grenoble-Alpes : M. Martin Vanier , professeur.

Lundi 4 novembre 2013

- Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR) : M. Xavier Chauvin , chargé de mission « montagne ».

- France Nature Environnement (FNE) : M. Marc Maillet , pilote de la mission « montagne » ;

- Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (FRAPNA) : M. Fabien Perriollat , président de la FRAPNA Haute-Savoie ;

- Commission internationale pour la protection des Alpes (CIPRA) : M. Alain Boulogne , président de la section France.

Jeudi 14 novembre 2013 : déplacement à Nice

- Préfecture des Alpes-Maritimes : Mme Sylvie Cendre , sous-préfet, chargée de mission pour la montagne, et M. Hervé Brunelot , directeur départemental des territoires et de la mer.

- Association des maires ruraux des Alpes-Maritimes : M. Jean-Paul David , président.

- Parc national du Mercantour : MM. Fernand Blanchi , président, Alain Brandéis , directeur, et Jean-Pierre Vassallo , maire de Tende.

- Comité régional du tourisme Riviera Côte d'Azur : M. Eric Doré , directeur général.

- Communauté de communes des Monts d'Azur : Mme Michèle Olivier , maire d'Andon, présidente.

- M. Thierry Gueguen , maire de Séranon, conseiller général des Alpes-Maritimes,

- Syndicat des éleveurs ovins des Alpes-Maritimes : M. Bernard Bruno , président.

- Safer PACA : M. Marc Weill , directeur général délégué.

Lundi 25 novembre 2013

- Mountain Wilderness France : MM. Patrick Le Vaguerèse , vice-président, et Frédéric Marat , vice-président ;

- Ministère de l'agriculture : M. Luc Maurer , conseiller technique ;

- Fédération nationale des parcs naturels régionaux : MM. Michael Weber , membre du Bureau de la Fédération, président du Parc des Vosges du Nord, conseiller régional, et Pierre Weick , directeur ;

- Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse : M. Martin Guespereau , directeur.

Jeudi 28 novembre 2013 : déplacement à Bruxelles

- Direction générale Agriculture et développement rural de la Commission européenne : M. Mihail Dumitru , directeur des programmes de développement rural ;

- Direction générale Agriculture et développement rural de la Commission européenne : M. Michaël Erhart , chef d'unité « politique de qualité des produits agricoles » ;

- Comité des régions de l'Union européenne : M. René Souchon , président de la région Auvergne ;

- Direction générale Politique régionale et urbaine de la Commission européenne : M. Antonio Ruiz de Casas , administrateur à l'unité « coopération transnationale et interrégionale ».

Jeudi 5 décembre 2013 : déplacement à Chambéry

- Conseil d'administration du Parc National de la Vanoise : MM. Alain Marnezy , président, et Emmanuel Michau , directeur ;

- Association départementale des communes forestières de Savoie : M. Roger Villien , président ;

- Conseil général de la Savoie : MM. Hervé Gaymard , député et président, et Jean-Pierre Vial , sénateur et premier vice-président ;

- Association des maires du bassin d'Albertville : M. Philippe Masure , maire d'Albertville et président ;

- Section Savoie du Club Alpin Français : MM. Jean-Pierre Saint Germain , président, et Roger Foucault , membre du comité directeur ;

- Section Savoie de la Fédération Rhône-Alpes de Protection de la Nature (FRAPNA) : MM. Richard Eynard Machet , président et Marc Le Men , administrateur, et Mme Christine Bernard , administratrice ;

- Savoie Vivante : M. Léopold Viallet , président, et Mme Aurélie Le Meur, directrice ;

- Association européenne des élus de montagne : M. Nicolas Evrard , délégué général ;

- Université de Savoie : M. Denis Varaschin , président.

Mardi 10 décembre 2013

- Ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie : MM. Antoine Pellion , chef du bureau de la production électrique, et Guillaume Lanier , adjoint au chef de bureau ;

- Ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie : Mme Stéphanie Dupuy-Lyon , sous-directrice de la qualité du cadre de vie à la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP).

Mercredi 11 décembre 2013

- Ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie : M. José Ruiz , sous-directeur des espaces naturels.

- Fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR) : MM. Jean-Claude Monin , président, Michel Castan , président des communes forestières des Pyrénées-Atlantiques, et Mme Dominique de La Rochette , déléguée aux relations extérieures.

Mardi 14 janvier 2014

- Pôle alpin d'études et de recherche pour la prévention des risques naturels : MM. Vincent Boudières , co-directeur, et Olivier Cartier-Moulin , consultant.

Jeudi 30 janvier 2014

- Association nationale des élus de montagne : Mme Frédérique Massat , présidente, députée de l'Ariège, M. Pierre Bretel , délégué général.


* 1 Citons notamment :

- Bilan de la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne (CGEDD, CGAAER, IGA, IGF, IGJS), octobre 2010 ;

- Rapports thématiques du Conseil National de la Montagne (Groupe 1 : Devenir des stations de moyenne montagne ; Groupe 2 : Agriculture et forêt de montagne ; Groupe 3 : Le futur des politiques européennes et la prise en compte de l'espace montagne ; Groupe 4 : Services à la population et innovations technologiques ; Groupe 5 : Gestion durable des territoires et modalités de gouvernance) 2010 ;

- Le tourisme 365 jours par an en montagne, Conseil National du Tourisme, mars 2008 ;

- Panorama du tourisme de la montagne 2012/2013, Atout France ;

- Revenons à nos moutons : un impératif pour nos territoires et notre pays, rapport d'information n° 168 (2007-2008) de MM. Gérard Bailly et François Fortassin (janvier 2008)

* 2 Au-delà du changement climatique, les défis de l'avenir de la montagne, ANEM, 2007

* 3 Vert J., Schaller N., Villien C. (coord.), Agriculture Forêt Climat : vers des stratégies d'adaptation, Centre d'études et de prospective, Ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt, 2013

* 4 Sur les questions de l'immobilier de montagne et des dynamiques d'aménagement, vos rapporteurs renvoient notamment aux travaux de l'Unité de recherche « Développement des Territoires Montagnards » de l'Irstea Grenoble. L'analyse de la situation en Savoie s'inspire en particulier de Gabriel Fablet, Irstea Grenoble / UR DTM, « La croissance immobilière des stations de sports d'hiver en Tarentaise : entre vulnérabilités conjoncturelles et dérèglements structurels » (article soumis pour publication).

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