C. L'ÉCHANGE DE DONNÉES : EXEMPLE DE LA BANQUE CARREFOUR DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Lors de son audition, Philippe Warin, responsable scientifique de l'Odenore, a mentionné l'existence, en Belgique, de la banque carrefour de la sécurité sociale (BCSS). Née d'une initiative du gouvernement belge dans les années quatre-vingt-dix, c'est l'une des innovations majeures dans le domaine de la protection sociale en Europe au cours des quinze dernières années .

La BCSS est un organisme public doté de la personnalité civile créé en 1990 131 ( * ) . Bien que son nom ne l'indique pas, elle n'a rien d'un établissement bancaire mais tout d'un carrefour d'informations à partager.

Elle relève du niveau fédéral, avec lequel elle a passé un contrat, et est gérée paritairement par les organisations représentatives des employeurs et des travailleurs indépendants ainsi que par les organisations représentatives des travailleurs salariés.

1. Le fonctionnement
a) Les missions assignées

La banque carrefour de la sécurité sociale est chargée de trois missions principales.

La première est d'inciter les acteurs du secteur social belge à offrir des services effectifs et efficaces avec un minimum de charges administratives et de coûts pour toutes les parties concernées, d'une manière qui convienne de façon optimale aux divers utilisateurs finaux des services, grâce à l'amélioration permanente de leurs relations et processus, à l'aide des nouvelles technologies ( e- gouvernement), en partant d'une vision commune et partagée.

La deuxième vise à promouvoir la sécurité de l'information et la protection de la vie privée par les acteurs du secteur social belge afin que tous les intéressés puissent avoir légitimement confiance.

La troisième consiste à mettre à la disposition des dirigeants politiques et des chercheurs des informations intégrées et intersectorielles qui serviront d'appui aux politiques menées.

b) Le réseau

Pendant dix ans, la banque carrefour et les institutions publiques de sécurité sociale ont préparé, développé et mis en oeuvre tout un panel d'outils en vue d'offrir des services intégrés.

C'est ainsi qu'a été développé un réseau électronique reliant les différentes institutions de sécurité sociale.

Au sein du réseau, la BCSS fait office de « moteur » dans une dynamique de partage de l'information relative aux assurés sociaux et aux employeurs . Point important, souligné par Fabrizio Leiva-Ovalle 132 ( * ) , attaché au SPP-IS : chaque institution de sécurité sociale est responsable de l'enregistrement et de la tenue à jour des informations contenues dans sa banque de données.

Deux niveaux sont à distinguer.

Le premier niveau, le « réseau primaire », comprend les institutions directement reliées à la banque carrefour, à savoir les institutions publiques de sécurité sociale placées sous la tutelle principalement et selon le cas du ministère des affaires sociales ou du ministère de l'emploi et du travail.

Chaque « réseau secondaire », géré par une institution du réseau primaire, est composé des institutions coopérantes d'un secteur déterminé de la sécurité sociale.

c) Le répertoire des références

La banque de données ne contient pas d'informations sur les personnes elles-mêmes, mais uniquement des données dites « références ». Ces dernières indiquent, pour chaque personne, quelle données sont détenues dans quels régimes ou institutions de sécurité sociale et comment elles peuvent être obtenues.

Ce répertoire remplit trois fonctions.

Premièrement, il permet à la BCSS d'organiser de façon correcte l'échange de données à caractère personnel entre les institutions de sécurité sociale . Lorsqu'une institution de sécurité sociale a besoin de certaines données à caractère personnel pour l'exécution de ses missions, le répertoire des références effectuera automatiquement le routage de cette demande vers l'institution de sécurité sociale la plus apte à mettre à disposition les données à caractère personnel ; une réponse sera ensuite transmise de façon efficace à l'institution de sécurité sociale demanderesse. Le répertoire des références garantit en outre l'anonymat de l'appartenance d'un assuré social à l'institution coopérante de sécurité sociale librement choisie par lui.

Deuxièmement, le répertoire des références permet à la BCSS de réaliser un contrôle préventif de la légitimité des échanges de données à caractère personnel . La confrontation systématique de tout échange de données au répertoire des références de la banque carrefour garantit que l'information communiquée concerne bien la même personne pour toutes les institutions concernées par l'échange.

Troisièmement, le répertoire des références a une fonction de signal . Il communique toute modification de données à caractère personnel aux institutions de sécurité sociale susceptibles d'en avoir besoin et veille à ce que l'accès aux données s'opère dans un contexte de sécurité et soit conforme aux autorisations accordées aux personnes qui, en raison de leur fonction ou pour le besoin du service, peuvent y avoir accès.

d) L'échange de données

Lorsqu'une institution de sécurité sociale a besoin de certaines données pour l'exécution de sa mission, elle est obligée d'adresser sa demande par voie électronique à la BCSS. Grâce au répertoire des références et de localisation dont elle dispose, la banque peut vérifier si les données recherchées sont déjà disponibles dans une autre institution de sécurité sociale intégrée dans le réseau d'informations distribuées. Dans l'affirmative, elle se charge de mettre à la disposition de l'institution demanderesse les données nécessaires qui sont disponibles dans une autre institution de sécurité sociale.

Ce n'est que lorsque les données sollicitées ne sont pas encore disponibles dans le réseau que l'institution demanderesse peut les demander directement à l'employeur ou à l'assuré social. De ce fait, différentes institutions ne demandent pas plusieurs fois à la même personne les mêmes données.

e) La communication automatique des modifications

La BCSS veille également à communiquer automatiquement certaines modifications apportées par une institution aux données que celle-ci conserve. Ces communications sont destinées aux autres institutions intégrées dans le réseau et qui doivent avoir connaissance des modifications intervenues.

Par exemple, un assuré social a déménagé et a effectué les démarches pour une domiciliation dans sa nouvelle commune. La commune se charge d'en informer le registre national. La BCSS communique automatiquement le changement d'adresse qui lui est signalé par le registre national. Cette communication automatique est destinée aux institutions de sécurité sociale qui ont demandé explicitement à être averties en cas de changement d'adresse, par exemple la mutualité ou la caisse d'allocations familiales de la personne en cause.

f) La coordination du portail de la sécurité sociale

La banque carrefour joue également un rôle moteur dans le développement du portail de la sécurité sociale. Sur ce portail, il est dès à présent possible d'obtenir une information de base sur la sécurité sociale. Cette information est présentée sous la forme de modules qui suivent la logique des événements de la vie.

Les employeurs et secrétariats sociaux peuvent prendre connaissance des informations, des instructions, des glossaires et des scénarios de test en rapport avec la déclaration multifonctionnelle de salaire et de temps de travail et en rapport avec les déclarations de risques sociaux.

2. Les avantages

La création et le développement de la banque carrefour de la sécurité sociale aboutit à un système « gagnant-gagnant », qui permet d'améliorer grandement le travail administratif inhérent à l'enquête sociale. Il présente en outre l'avantage de procurer des informations essentielles dans un délai extrêmement bref et, partant, de mieux connaître la situation socio-juridique des demandeurs d'aides.

a) La modernisation de la sécurité sociale

La transmission électronique de données via le réseau est source d'allègement des formalités administratives, d'accélération du traitement des dossiers et de réduction des risques d'erreurs, d'abus ou de fraudes.

b) La protection des données

Sur la base d'autorisations très strictes, délivrées au coup par coup par une commission de protection de la vie privée présente au sein de l'organisme , les informations contenues dans les différentes banques de données sont accessibles aux autres institutions de sécurité sociale via le réseau. C'est par un tel fonctionnement que l'on évite les collectes multiples de données identiques.

Les données sociales à caractère personnel sont conservées et gérées par une seule institution, celle qui, selon la nature des données, est la plus à même de les exploiter. Ainsi les informations relatives au salaire sont-elles conservées et tenues à jour par l'office national de sécurité sociale.

c) L'attribution automatique de droits

De plus en plus, les flux en développement au sein de la BCSS s'orientent vers l'attribution automatique de droits . Ainsi, certaines catégories d'assurés sociaux se verront octroyer des avantages spécifiques.

Exemple concret : une caisse d'allocations familiales ne peut octroyer les allocations familiales auxquelles un ménage a droit que si elle est informée de l'arrivée d'un nouvel enfant. La BCSS permet que cette information soit transmise immédiatement et automatiquement, des services de l'état civil à la caisse d'allocations familiales concernée.

3. Les limites

La principale limite tient bien évidemment à ce qu'une telle base de données ne soit pas détournée à d'autres fins que celles pour lesquelles elle a été conçue. Interrogés sur la BCSS, c'est le message qu'ont voulu faire passer, entre autres, les représentants du Samusocial de Bruxelles, ou bien encore Magali Plovie, députée au Parlement de la région Bruxelles-Capitale 133 ( * ) .

L'exemple belge paraît suffisamment convaincant pour que l'on trouve légitime de réfléchir à l'instauration d'un système comparable en France. Dans cette perspective, il va de soi que toute latitude pourra être donnée à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) pour contrôler l'intégrité du système et le respect de la confidentialité.


* 131 Par la loi du 15 janvier 1990 relative à l'institution et à l'organisation d'une banque carrefour de la sécurité sociale.

* 132 Audition du 9 janvier 2014 lors d'un déplacement à Bruxelles.

* 133 Audition du 8 janvier 2014 lors d'un déplacement à Bruxelles.

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