INTERVENTIONS

Thierry PETIT , cofondateur et directeur général de Showroomprive

En 2011, Showroomprive affichait un chiffre d'affaires d'environ 120 millions d'euros ; aujourd'hui, celui-ci s'élève à 350 millions d'euros. La croissance est donc extrêmement importante. Showroomprive emploie environ sept cents collaborateurs, recrutés pour l'essentiel au cours des quatre ou cinq dernières années. Le site bénéficie d'une présence en Europe puisque 25 % de son chiffre d'affaires sont réalisés en dehors de France, principalement en Italie, en Espagne, en Belgique et au Portugal. L'offre est focalisée sur l'univers de la digital mum , c'est-à-dire sur les besoins d'une femme active mère de famille qui achète de la mode, du prêt-à-porter et des accessoires pour elle, pour sa famille, pour ses enfants et pour sa maison. Malgré la crise, elle veut toujours se faire plaisir, acheter des marques mais avec des offres tarifaires intéressantes. Notre produit répond donc aux attentes de ce qu'est devenue la consommatrice française et européenne de nos jours.

Pour réagir sur le sujet du commerce électronique et sur la possible rivalité entre commerce électronique et commerce traditionnel, le débat se poursuit aujourd'hui : le commerce électronique tue-t-il le commerce traditionnel ? Les journalistes me posent parfois encore cette question. Ma réponse est toujours identique : un commerçant, qu'il pratique le e-commerce, le m-commerce ou le commerce traditionnel, reste un commerçant. Le commerce consiste simplement à proposer une belle offre à une clientèle cible qui l'attend pour un prix intéressant et avec un niveau de service qui correspond à son attente. Que l'offre soit proposée par mobile, par tablette ou dans un magasin importe peu puisqu'il s'agit quoi qu'il en soit de commerce. Certes, le commerce électronique a créé des ruptures de consommation et d'usages, qui ont entraîné une modification forte du commerce mais je ne vois pas qu'il en résulte l'opposition qu'on agite souvent.

En outre, le commerce électronique va « dans le sens de l'Histoire ». Nous n'avons pas le choix. On peut certes imaginer des régulations ; des lois, parfois stupides, peuvent se multiplier, par exemple celles engagées par un législateur en position défensive pour contrer le site Amazon qui est supposé tuer le marché du livre. Il n'en demeure pas moins que le commerce électronique va « dans le sens de l'Histoire ». Je pense pour ma part que le commerce électronique doit être facilité et que nous devons oublier cette idée d'opposition entre les commerces qui me semble obsolète.

Nous entendons souvent l'affirmation selon laquelle le e-commerce grandit. Pourtant, lorsqu'on consulte l'ICE 40, l'indice des quarante premiers sites marchands en France, on constate qu'il n'affiche qu'une croissance de 6 %. Le commerce électronique n'est donc pas omniprésent. De grands sites sont en train de mourir - Pixmania , La Redoute , Les 3 Suisses , etc - qui pèsent beaucoup sur cet indice. La vraie croissance du commerce électronique se fonde en réalité sur les sites de petite taille qui grandissent et sur les nouvelles boutiques. Contrairement à ce que l'on pense, la vraie richesse du commerce électronique se situe aux deux extrémités de la chaîne, avec d'un côté des acteurs de très grande taille et de l'autre des acteurs de petite taille qui grandissent.

Cette situation ouvre des opportunités : une petite boutique de quartier peut obtenir, grâce au commerce électronique, des opportunités de croissance insoupçonnables auparavant. La peur du e-commerce doit donc laisser la place à l'envie de saisir l'opportunité de développement qu'offre un secteur en croissance. Il n'en demeure pas moins que le commerce électronique reste une économie fragile. En effet, dans le e-commerce, un acteur est soit petit, soit grand : les acteurs de taille intermédiaire peinent à trouver leur place. Ce métier requiert une logistique qui devient industrielle dès lors qu'il mobilise de forts volumes. Cette logistique impose des dépôts de stockage, des algorithmes, des ingénieurs, des coûts, des sites en perpétuelle évolution.

Joël BOURDIN, président de la délégation à la prospective

De quelle surface de dépôts le site Showroomprive dispose-t-il ?

Thierry PETIT, cofondateur et directeur général de Showroomprive

Notre surface d'entrepôts s'élève à 200 000 m². Il est d'ailleurs relativement effrayant de devoir disposer d'une telle surface et d'un personnel en nombre...

Je reviens à mon propos. Les sites sont en perpétuelle évolution. Les consommateurs également. De nouvelles technologies apparaissent en permanence. Les ingénieurs sont indispensables. Les marques vendues sur le site sont chaque jour plus exigeantes. Les modèles, les photographes doivent être compétents. Il devient rapidement indispensable de recruter, de développer la marque à l'international. Le commerce électronique se révèle donc extrêmement onéreux dans un contexte où les marges tendent à décroître.

Le e-commerce est en effet prioritairement axé sur une offre de prix - ce qu'il faut traduire par réduction des marges - tandis que le consommateur exige chaque jour davantage : la livraison dès le lendemain, la gratuité des frais de retour, l'allongement des délais de retour par exemple, tandis que les opérateurs de transport ne baissent pas leurs prix. En tout état de cause, le métier du commerce électronique souffre de forts coûts avec des marges à la baisse, ce qui rend ce modèle économique extrêmement difficile pour les acteurs intermédiaires, c'est-à-dire essentiellement les sites marchands. Le e-commerce constitue donc bien une opportunité en croissance mais qui reste néanmoins fragile.

Pour toutes ces raisons, il me semble que les politiques se doivent de trouver des moyens d'harmonisation, de financement, de développement au niveau européen. L'Europe est un vrai gisement, elle est le premier marché au monde du e-commerce. De formidables opportunités sont à notre portée, et elles comportent leur part de risque. Ce monde n'est cependant ni noir, ni blanc. Le commerce électronique peut être source de richesses s'il est encouragé avec énergie et régulé avec précaution. Si je devais transmettre un message, il soulignerait les opportunités qu'offre le commerce électronique, qui ne doit pas être vu seulement comme un danger.

Joël BOURDIN, président de la délégation à la prospective

Je vais maintenant demander à Patrick Waelbroeck comment il analyse le phénomène du développement du e-commerce et quelles sont les compétences à mobiliser en matière de formation professionnelle et d'accès aux marchés financiers pour les entreprises qui sollicitent les banques.

Patrick WAELBROECK , maître de conférences à Télécom Paris Tech

Je donne des cours d'économie d'Internet aux futurs ingénieurs de Télécom Paris Tech, notamment dans le cadre d'un nouveau master Big data . Le Big data regroupe les personnes qui travaillent, analysent, extraient, donnent du sens à la donnée. Il peut s'agir de données personnelles, mais pas seulement. Dans le commerce électronique, les données peuvent également être des données de géolocalisation par exemple. Je pense que l'ensemble des outils qui concernent la data constitueront le futur coeur de métier des personnes qui travaillent dans le commerce électronique. J'y reviendrai. J'ajoute simplement que ce master accueille aujourd'hui vingt-cinq étudiants.

Il existe donc une demande de la part des étudiants mais également de la part du monde professionnel et des entreprises pour un métier qui n'existe pas à ce jour. Nous réalisons en effet que, de plus en plus, la richesse et l'avantage concurrentiel d'une entreprise, en particulier d'une entreprise du commerce électronique, consistent à cibler et à fournir le produit adapté à une personne pour s'assurer qu'elle acceptera l'offre commerciale. Ce cas de figure est rendu possible par des analyses de comportements, des analyses d'achats, des analyses de préférences. L'analyse des données permettra de cibler la personne pour lui fournir l'offre commerciale adaptée. C'est pourquoi je pense que dans dix à quinze ans, l'analyse de la donnée sera le coeur de métier des grandes entreprises du commerce électronique. Amazon constitue un exemple évident de ce type de pratiques : ce site envoie en effet aux consommateurs des recommandations personnalisées fondées sur des données de consommation, sur des données de navigation et, parfois, sur des données extérieures à celles qu'il possède lui-même.

Nous avons également ouvert une chaire à l'Institut Mines-Télécom sur les informations personnelles d'une façon plus générale. Nous abordons les enjeux économiques, juridiques, philosophiques et techniques de ces notions de ciblage que nous observons chaque jour davantage dans le monde d'Internet. Le sujet soulève des questions non seulement économiques mais également sociétales. C'est pourquoi la chaire est pluridisciplinaire. Nous essayons d'aborder les intersections entre les différentes disciplines concernées.

Dans un second temps, je souhaite par ailleurs donner une perspective plus académique sur ce que j'appelle les effets de substitution. Par le passé, les consommateurs achetaient en magasin physique. Aujourd'hui, une nouvelle opportunité leur est offerte : la possibilité d'un achat sur Internet. Deux évolutions sont liées à cet état de fait. La première concerne le fait d'acheter un produit physique sur Internet plutôt qu'en magasin à travers une forme de commerce dématérialisé. La seconde, que nous vivons actuellement, consiste à acheter un produit numérique dans un environnement numérique (par exemple un streaming sur Deezer ). Une question académique se pose. Elle consiste à savoir si les personnes qui, par le passé, achetaient dans un magasin physique achètent à présent sur Internet, auquel cas l'effet économique serait nul. En effet, nous assisterions alors à un simple effet de substitution. Au contraire, les personnes qui achètent sur Internet acquièrent-elles des produits qu'elles n'auraient pas nécessairement achetés en magasin physique ? Existe-t-il, en l'occurrence, un effet d'expansion de la demande ? La demande totale augmente-t-elle avec l'ouverture d'un nouveau canal de distribution ?

La réponse est double. Un certain nombre d'études ont porté sur le sujet. Elles montrent des effets de substitution sur les produits « tête de gondole » de la grande distribution, c'est-à-dire les produits qui se vendent très bien. En revanche, pour les produits qui ne sont pas distribués dans les grands magasins physiques par absence de demande et en raison du coût de distribution induit par cette faible demande, une nouvelle demande apparaît sous la forme du commerce électronique. Ce constat se révèle d'autant plus vrai lorsque nous examinons la seconde évolution, celle du tout numérique, avec achat d'un produit numérique à travers un canal de distribution numérique. Par exemple, s'agissant de l'e-book , des auteurs distribuent des produits qui ne sont même pas commercialisés physiquement. Il ne peut donc pas exister d'effet de substitution. À côté des effets de substitution, nous observons bien alors un effet d'expansion de marché, un effet d'expansion de la demande, en particulier concernant les produits moins connus du grand public.

Joël BOURDIN, président de la délégation à la prospective

Nous avons parlé jusqu'à présent de la vente en ligne de produits neufs. Or, il existe aussi des sites, très fréquentés, de vente de produits d'occasion. C'est le cas, tout particulièrement, du site Leboncoin et je laisse à Olivier Aizac le soin de nous présenter ce concept et les évolutions passées et à venir pour ce secteur.

Olivier AIZAC , directeur général de Leboncoin

Leboncoin est une société jeune, créée en 2006. En quelques années, elle a connu un essor exceptionnel. Initialement, deux personnes animaient l'activité ; la société en emploie aujourd'hui plus de deux cents. Son chiffre d'affaires est légèrement supérieur à 100 millions d'euros. Leboncoin est un acteur incontournable en termes d'audience sur le web puisque, chaque mois, un Français sur quatre se connecte sur le site pour acheter ou vendre tout type de produit. À l'origine site de vente entre particuliers de produits d'occasion, il est également devenu le premier site immobilier, le premier site automobile et le premier site dans le domaine de l'emploi en France. Notre métier n'est pas réellement le commerce électronique. Le site est davantage un support média qu'un site de e-commerce. Nous ne vendons rien sur Leboncoin . En revanche, nos utilisateurs déposent des annonces pour proposer un objet ou un service aux personnes qui viennent consulter le site.

Notre métier est très ancien. Leboncoin n'est en effet que la version Internet de la petite annonce ou du papier que l'on affichait sur la caisse du commerçant voisin. Il s'agit d'un métier de proximité puisque acheteurs et vendeurs se rencontrent, discutent autour du produit et se mettent d'accord sur la transaction, qu'il s'agisse d'acquérir une maison au bord de la mer ou d'acheter des vêtements pour bébé à quelques euros.

Vous le disiez vous-même en ouvrant ce débat, l'essor de ce mode de consommation est lié en premier lieu à une prise de conscience chez les consommateurs du fait que la consommation effrénée et l'ère du jetable ne sont pas durables. Il existe une vraie prise de conscience du besoin d'évoluer vers une consommation raisonnée et pérenne. Leboncoin est ainsi la première machine à recycler de France. Le site propose en effet des produits dont le vendeur n'a plus l'usage mais qui, encore en état de fonctionner, peuvent servir à une autre personne. Nous évoluons sur une logique de recyclage, sur une logique de consommation collaborative et sur de nouveaux modes de consommation, même si, finalement, notre métier est un métier ancien qui a juste su s'adapter au nouveau média Internet.

Sur la question qu'on évoquait tout à l'heure, du e-commerce ou du m-commerce, nous nous considérons pour notre part comme un simple support digital. Le moyen de consommation, qu'il soit un terminal de téléphone portable ou un écran d'ordinateur, n'est pas important. Nous sommes un média digital. Nous devons être capables de proposer une solution à nos clients quels que soient leurs modes de consommation. Nous tentons d'accompagner les évolutions des modes de consommation, notamment vers une consommation plus durable et plus raisonnée, en apportant une solution de mise en relation.

Thierry PETIT, cofondateur et directeur général de Showroomprive

Savez-vous que Leboncoin est le premier vendeur de foin en France ?

Olivier AIZAC, directeur général de Leboncoin

Nous occupons certainement la première place du marché dans ce domaine. Le vendeur utilise Leboncoin pour toucher l'ensemble des Français qui peuvent être intéressés par l'achat de foin. Leboncoin permet en outre la vente de matériel professionnel, matériel agricole ou matériel des métiers de la restauration et de l'hôtellerie notamment : un certain nombre de professionnels viennent s'équiper avec des produits d'occasion, il existe un véritable marché dans ce domaine. Nous sommes certainement, par exemple, le premier site de transactions de tracteurs, de moissonneuses-batteuses, de cuisinières professionnelles, d'équipements frigorifiques, etc. Quand un restaurant ferme, le matériel d'occasion est en effet susceptible d'intéresser un autre restaurateur.

Joël BOURDIN, président de la délégation à la prospective

Vous avez commencé par parler des relations de consommateur à consommateur. Vous pratiquez cependant également le B to B 3 ( * ) .

Olivier AIZAC, directeur général de Leboncoin

Nous pratiquons le B to B comme le B to C 4 ( * ) . Des dizaines de milliers de professionnels utilisent le site en tant que premier site immobilier ou premier site automobile. Aujourd'hui, les agents immobiliers et les concessionnaires automobiles sont des clients de Leboncoin , qu'ils utilisent pour mettre en avant les biens ou les véhicules qu'ils ont à proposer à des acheteurs potentiels. Au même titre qu'ils le feraient en réservant des places de marché, un grand nombre de petits commerçants locaux rendent accessible leur catalogue de produits sur le site pour se donner davantage de visibilité et trouver des clients situés en dehors de leur zone de chalandise traditionnelle.

Joël BOURDIN, président de la délégation à la prospective

Comment le site se rémunère-t-il ?

Olivier AIZAC, directeur général de Leboncoin

Le service que nous proposons est entièrement gratuit. La magie d'Internet permet en effet des économies d'échelle. Nous nous rémunérons de différentes manières. Nous proposons des services payants aux professionnels. Nous vendons de la publicité à des annonceurs. Notre troisième source de revenus tient au fait que cinq cent mille annonces sont déposées chaque jour et que plus de vingt millions de produits sont en vente sur Leboncoin : pour que le vendeur puisse mettre en avant son produit parmi ce volume d'annonces, nous lui proposons des options payantes de visibilité. Ces options permettent à un annonceur de se démarquer et donc de vendre plus rapidement le produit qu'il propose.

Joël BOURDIN, président de la délégation à la prospective

Du point de vue juridique, pouvez-vous être partie à un éventuel contentieux qui opposerait acheteur et vendeur ?

Olivier AIZAC, directeur général de Leboncoin

Notre métier est un métier d'hébergeur au même titre qu'un journal local qui aurait une section de petites annonces. Nous n'avons pas de responsabilité : nous ne vendons pas le produit ni ne l'achetons. Notre métier est particulier. Nos utilisateurs créent notre contenu en déposant des annonces.

Nous ne contribuons pas davantage à l'efficacité du site : nous n'appelons pas des vendeurs pour leur indiquer que nous sommes intéressés. Ce sont les utilisateurs du site qui font son efficacité. Notre savoir-faire consiste à concevoir un logiciel informatique extrêmement simple d'utilisation et particulièrement pertinent puisque les contacts se nouent entre les parties.

Joël BOURDIN, président de la délégation à la prospective

Si un objet provient de la contrefaçon, le vendeur est-il seul responsable ?

Olivier AIZAC, directeur général de Leboncoin

Le vendeur est effectivement responsable. Dans ce cas d'espèce, nous avons cependant mis en place une collaboration poussée avec l'ensemble des maisons de luxe. Elles ont partagé avec nous un certain nombre de leurs secrets pour nous permettre d'identifier des produits de contrefaçon. Nous évitons ainsi la circulation de contrefaçons sur notre site pour les marques avec lesquelles nous collaborons, comme aujourd'hui LVMH, Chanel, Dior, Hermès. Elles sont ravies des résultats que nous obtenons ensemble. Par exemple, lorsqu'un produit Hermès est déposé sur le site, la probabilité qu'il s'agisse d'un produit de contrefaçon est presque nulle.

Joël BOURDIN, président de la délégation à la prospective

Je donne maintenant la parole à Lara Rouyrès, qui est membre du Conseil national du numérique.

Lara ROUYRÈS , membre du Conseil national du numérique

Avant de rejoindre le Conseil national du numérique, j'avais cofondé en 2009 une société qui était un acteur du Daily Deal . Le Daily Deal est le marché de la publicité locale. Concrètement, nous mettions à l'honneur chaque jour sur le site un commerçant local de quartier avec lequel nous avions discuté d'une promotion sur un service qu'il vendait : un massage, une offre de restauration, un cours de sport par exemple. Nous étions donc axés sur le service. Il s'agissait d'un e-commerce différent de celui dont nous avons parlé jusqu'à présent. Le commerce électronique dont je parle n'a pas besoin de logistique. Il vend une prestation de service.

L'activité a fonctionné de manière satisfaisante. Nous avons tenté d'en faire un acteur puissant sur le marché de la publicité locale. Nous nous adressions donc à des commerçants de quartier qui cherchaient à se faire connaître sur Internet. Si le sujet vous intéresse, je peux vous apporter ma vision de ce que cherchent aujourd'hui des commerçants de quartier sur Internet.

J'ai rejoint le Conseil national du numérique en début d'année 2013. Parmi les différents sujets dont on y discute, nous n'avons pas traité cependant de thèmes uniquement centrés sur le commerce électronique. Malgré tout, nous sommes amenés à réfléchir sur différentes questions qui affectent de près ou de loin le commerce électronique.

Les enjeux que nous avons identifiés, au-delà des débats sur la fiscalité dans le monde du numérique qui ne sont pas à l'ordre du jour aujourd'hui, portent sur la suprématie de Google en France et sur les impacts possibles sur les intermédiaires du e-commerce (par exemple les comparateurs de prix). Aujourd'hui, Google se positionne en effet comme un moteur de recherche permettant de référencer des sociétés et de les faire exister sur Internet. Il se pose cependant également chaque jour davantage comme un acteur vertical en matière de comparaison de produits. En raison de la suprématie de Google en France, certaines sociétés françaises ont clairement à craindre pour leur avenir. Ce sujet est en cours d'examen : un rapport sera rendu dans quelques semaines.

Le Conseil national du numérique a également discuté des méthodes d'acquisition de trafic d'un e-commerçant. Un e-commerçant doit aller chercher des clients et donc des prospects. Lorsqu'il a acquis les prospects, il collecte des adresses électroniques, qu'il sollicite en leur adressant des courriels réguliers. Le fait que ces courriels parviennent dans les boîtes de réception constitue un enjeu considérable, l'unique façon en réalité de communiquer avec la base de données. Aujourd'hui, Google a redéfini sa boîte de réception Gmail : les courriels promotionnels parviennent non plus dans la boîte de réception mais dans un onglet « Promotions ». L'enjeu de déposer les courriels dans la boîte de réception est ici lié à Google. D'autres acteurs pourraient cependant se positionner à l'avenir d'une manière identique avec une ambition : faire payer le fait qu'un courriel parvienne dans une boîte de réception.

Le Conseil national du numérique intervient aujourd'hui sur des sujets extrêmement différents. Nous sommes souvent mandatés sur des sujets très pointus par différents ministères, dont chacun a ses spécificités, que ce soit la santé, les questions financières, les relations transatlantiques. Nous ne faisons pas de prospective mais nous tentons pour notre part de répondre à des questions précises pour donner une vision du marché et de la société sur ces points.

Parallèlement, j'ai fondé très récemment une nouvelle société qui a pour objet d'agréger tous les produits qui ont été vus dans la presse et qui redirige des flux vers les e-commerçants. Je suis en quelque sorte à la frontière entre un média et un e-commerçant.

Joël BOURDIN, président de la délégation à la prospective

Je souhaite que nous puissions à présent nous intéresser à des formes nouvelles du commerce électronique, celles qui découlent de l'apparition de l'économie du partage. Je donne donc la parole à Paulin Dementhon.

Paulin DEMENTHON , président et fondateur de Drivy

Le site Drivy est un service de location de voitures entre particuliers. Sur Drivy , nous rapprochons, d'une part, des personnes qui possèdent une voiture et qui se sont connectées pour déposer une annonce de location, d'autre part, des voisins ou des touristes intéressés qui souhaitent louer ces voitures dans leur quartier. Le paiement s'effectue par carte bancaire sur le site. Nous nous occupons de la transaction.

Joël BOURDIN, président de la délégation à la prospective

Vous êtes donc partie prenante.

Paulin DEMENTHON, président et fondateur de Drivy

Nous sommes effectivement partie prenante. Nous ne sommes pas loueurs mais intermédiaires dans la transaction. Le paiement s'opère par carte bancaire sur le site.

Joël BOURDIN, président de la délégation à la prospective

Quand avez-vous créé le site ?

Paulin DEMENTHON, président et fondateur de Drivy

Le site a été créé à Paris il y a quatre ans. Dix-sept personnes y travaillent aujourd'hui. Nous couvrons désormais toute la France. Nous commençons à présent à nous occuper de l'expansion à l'international, dans les pays européens proches.

Joël BOURDIN, président de la délégation à la prospective

Vous êtes donc un concurrent des loueurs de voitures.

Paulin DEMENTHON, président et fondateur de Drivy

Il existe effectivement une zone de concurrence. Un sondage récent auprès de nos utilisateurs montre cependant que 35 % d'entre eux n'avaient jamais loué de voiture par le passé. Nous amenons donc de nouveaux clients vers la location de voiture. Nous ne nous contentons pas de prendre des parts de marché. Surtout, la location de voiture est un marché de petite taille. Aujourd'hui, la pratique majoritaire consiste encore à posséder soi-même une voiture, voire plusieurs. Nous sommes persuadés, de notre côté, qu'avec une densité suffisante, grâce à des centaines de milliers de voitures disponibles partout en Europe, nous pourrons offrir une alternative efficace à l'achat d'une voiture. Notre logique n'est pas celle d'une location de voiture low-cost .

Joël BOURDIN, président de la délégation à la prospective

Les résultats sont-ils positifs ?

Paulin DEMENTHON, président et fondateur de Drivy

Nous sommes en mode lancement-investissement : nous dépensons davantage que nous ne gagnons d'argent. Nous comptons à ce jour deux cent mille utilisateurs pour treize mille véhicules à louer dans toute la France. Nous réalisons environ six mille locations chaque mois.

Notre projet a d'ailleurs suscité des inquiétudes à l'Assemblée nationale, avec une tentative d'amendement portant précisément sur notre secteur. Celui-ci traitait de la fiscalité en se fondant sur une base de 10 % à 15 % de parts de marché de la location de voitures. En réalité, nous représentons moins de 1 % du marché.

Joël BOURDIN, président de la délégation à la prospective

Quelles sont les difficultés spécifiques que vous rencontrez ? Qu'en est-il par exemple de l'assurance ?

Paulin DEMENTHON, président et fondateur de Drivy

L'assurance est la pierre angulaire du service. En effet, en louant un véhicule sur Drivy , les personnes sont assurées. J'ai dû démarcher les assureurs durant un an. J'ai essuyé de nombreux refus. Finalement, le groupe Covéa, avec MMA, nous a rejoints. En début d'année, nous avons opté pour Allianz. La difficulté était de démontrer que la location entre particuliers était synonyme non pas de fraude et d'arnaque mais au contraire de confiance et de respect. Nous avons également démontré notre sérieux en termes de contrôle du risque.

Joël BOURDIN, président de la délégation à la prospective

Comment gérez-vous par exemple le retour de la voiture ?

Paulin DEMENTHON, président et fondateur de Drivy

Nous le gérons de façon traditionnelle. Un état des lieux est réalisé avant et après la location. En cas de difficulté de faible importance, la personne qui loue paie les dommages jusqu'à la franchise.

Joël BOURDIN, président de la délégation à la prospective

Je comprends que le retour s'opère à l'endroit où la voiture a été louée.

Paulin DEMENTHON, président et fondateur de Drivy

Absolument. Notre dispositif est différent d'Autolib qui permet de faire un aller simple. Nous proposons une location aller-retour. Les usages concernent principalement les week-ends et les vacances. Les personnes qui louent vivent pour 40 % d'entre elles en région parisienne. Elles partent principalement en week-end ou en vacances. Les personnes reviennent pour rendre la voiture après une durée moyenne de location de quatre jours.

Joël BOURDIN, président de la délégation à la prospective

Comment gérez-vous les difficultés liées à la qualité ? J'imagine en effet que vos clients loueurs ne possèdent pas tous des véhicules en excellent état.

Paulin DEMENTHON, président et fondateur de Drivy

Nous n'avons pas la même position que Leboncoin . Nous sommes tiers de confiance. Des évaluations réciproques sont réalisées sur les locations. Quand des problèmes nous sont signalés, nous demandons l'ensemble des papiers, le contrôle technique. Nous désactivons parfois des annonces. Deux personnes à temps plein, sur les dix-sept salariés que compte l'entreprise, s'occupent en permanence des questions de qualité.

Joël BOURDIN, président de la délégation à la prospective

Votre présentation démontre que le commerce électronique va de plus en plus loin.

Paulin DEMENTHON, président et fondateur de Drivy

Nous faisons partie des représentants de la consommation collaborative. Vous avez probablement également entendu parler de BlaBlaCar , le site de covoiturage. Cette économie est en pleine explosion. Certes, elle reste un secteur de petite taille sur Internet. Il est intéressant cependant de constater que, si la France n'est pas leader dans l'Internet en raison de la prédominance des États-Unis (Google en particulier), notre pays demeure très en avance sur le créneau de l'économie collaborative. L'économie et la culture françaises semblent extrêmement bien convenir à ce type de consommation. Nous avons d'ailleurs été invités avec les représentants de BlaBlaCar et d'autres au 10, Downing Street, à Londres. Les Anglais tentent en effet de développer la consommation collaborative. Il existe une vraie opportunité en France de créer un leadership dans le domaine.


* 3 Ensemble des relations commerciales entre deux entreprises.

* 4 Ensemble des relations entre une entreprise et ses consommateurs, dont l'entreprise a pris l'initiative.

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