EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le mercredi 22 janvier 2014 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par le rapporteur, M. Pierre Bernard-Reymond, le débat suivant s'est engagé :

M. Simon Sutour, président . - Je remercie le rapporteur pour l'important travail qu'il a accompli et je salue sa force de conviction européenne. Nous aurons aujourd'hui un débat général. Le rapport sera ensuite adopté au cours d'une prochaine réunion. Pour ma part, je partage très largement les propositions qui sont faites, même si leur mise en oeuvre prendra du temps. Mais c'est le rôle de notre commission de faire des propositions qui contribuent à faire avancer la construction européenne. Je citerai un proverbe chinois : « Quand l'arbre est tordu d'un côté, si tu veux qu'il soit droit, tords-le de l'autre côté » . Le tout est de ne pas le casser !

M. Aymeri de Montesquiou . - Je salue aussi la qualité du rapport et l'enthousiasme européen de notre rapporteur. Sans cet enthousiasme, on ne peut rien construire. L'Union européenne a de gros atouts. Elle est notamment le premier marché mondial. Mais il faut tordre le cou à certains dogmes. En particulier, l'élargissement n'est pas inéluctable. C'est au contraire l'approfondissement qui est prioritaire.

La subsidiarité me paraît constituer un enjeu majeur. Elle constitue la contrepartie du fédéralisme en permettant aux citoyens de se sentir à l'aise dans l'Union européenne. Elle est un facteur de cohésion.

L'évolution fédérale est obligatoire afin de permettre à l'Europe d'exister dans le concert mondial et de peser sur des mutations qui auront une incidence sur les niveaux de vie des citoyens européens. La langue est aussi un facteur essentiel, l'absence de langue commune constituant une fragilité.

La construction d'une défense européenne serait un facteur de cohésion. Elle est indispensable au moment où les États-Unis redéployent leurs forces vers le sud-est asiatique. Malheureusement, beaucoup d'États d'Europe centrale et orientale n'ont pas suffisamment la motivation européenne indispensable pour avancer dans ce domaine.

Il y a une responsabilité collective au sentiment de déception que l'on observe dans l'opinion publique à l'égard de l'Europe. L'euro reste un instrument essentiel mais on a trompé les citoyens sur son impact réel. Il faut éviter les promesses anticipées qui ne sont ensuite pas tenues.

M. Jean Bizet . - Le rapport me paraît excellent et présenté avec une passion de bon aloi. Le triple défi - construction de la paix, réunification et mondialisation - me paraît bien résumer la réalité. Je serai moins critique sur la méthode intergouvernementale qui a permis en particulier de prendre les décisions nécessaires après la faillite de la banque Lehman Brothers alors que la Commission européenne brillait par son absence. Il ne faut donc pas opposer la méthode communautaire et la méthode intergouvernementale qui sont en réalité complémentaires. Mais il est vrai que l'union bancaire et l'approfondissement de l'union économique et monétaire devraient permettre de réduire la place de l'intergouvernemental.

Je déplore également l'inflation normative. Je prendrai l'exemple des règles « Bâle II » et « Bâle III ». Les États-Unis ont indiqué que seule une minorité de leurs banques serait concernée par ces nouvelles règles. De plus, les entreprises américaines se financent avant tout sur les marchés alors que les entreprises européennes font appel aux banques, l'effet de la réglementation n'est donc pas le même.

Il faut craindre le risque d'une désarticulation structurelle de l'Union européenne qui conduirait à une fracture entre le Nord et le Sud de l'Europe. L'idée d'un noyau dur et de coopérations renforcées peut apporter une réponse efficace.

Je rappelle que la Banque centrale européenne a sauvé l'euro. Nous devons remercier son président Mario Draghi dont la voix porte. L'impact de son annonce sur le fait que la Banque centrale procèderait aux achats nécessaires de dettes souveraines en est une illustration. Il me semble néanmoins qu'un peu d'inflation faciliterait le remboursement de ces dettes.

Il est urgent de construire l'Europe politique à la suite de l'union économique et monétaire. Le couple franco-allemand doit jouer un rôle essentiel. Un nouveau contexte a émergé avec l'accord de grande coalition en Allemagne. La parole de la France est attendue. Or, elle ne s'exprime pas beaucoup aujourd'hui. L'Allemagne elle-même, déjà en position de force en raison de sa bonne santé économique, peut difficilement prendre une initiative politique qui pourrait être perçue par ses partenaires comme une volonté d'hégémonie. La France doit donc retrouver un rôle moteur.

Je souligne que les politiques financées par le budget fédéral américain ne sont pas les mêmes que celles qui sont soutenues par le budget européen. Les comparaisons sont donc difficiles. Je terminerai en soulignant que la construction d'une Europe de l'énergie est aussi un enjeu essentiel.

M. Pierre Bernard-Reymond . - Si l'on passait à un budget européen représentant 2 % du PIB, ce serait déjà un progrès considérable !

M. Richard Yung . - Je remercie le rapporteur de nous donner l'occasion de ce débat qui est trop rare. Aujourd'hui, « on rase les murs », on n'ose pas parler de l'Europe. Le désamour à l'égard de celle-ci naît d'un manque de valeurs. Or, y a-t-il une entreprise plus belle et plus noble que celle qui consiste à unir des vieilles nations qui se sont longtemps combattues ? Beaucoup d'autres régions du monde qui n'arrivent pas à cette union nous observent avec intérêt.

Il faut construire l'« Europe puissance », sinon les États européens seront marginalisés et ne pourront plus peser dans les affaires du monde. Nous faisons preuve de trop de timidité ou de naïveté à l'égard des États qui n'ont pas de véritable engagement européen. On trouve cette situation normale et l'on reste sans réagir. Or, il est possible d'avoir des liens étroits avec le Royaume-Uni tout en considérant que ce pays ne doit pas nécessairement rester dans l'Union européenne. Certaines situations sont inacceptables. Je prends l'exemple de l'union bancaire à laquelle le Royaume-Uni ne participe pas. Ce qui ne l'empêche pas d'expliquer aux autres États membres comment elle devrait fonctionner !

Le vrai problème est de savoir avec quels États il est possible d'avancer. Je soutiens entièrement les propositions du rapporteur, mais comment les mettre en oeuvre ? Qui est prêt à changer les traités et les institutions ? Quelle voie politique suivre ? Comment renforcer le contrôle démocratique ?

M. Yannick Botrel . - Le rapport est passionnant. C'est le moment de clarifier et de faire preuve d'ambition. Le citoyen doit être la priorité car c'est lui qui est aujourd'hui en plein doute. Les institutions sont complexes, lointaines et peu lisibles. L'utilité même de l'Union européenne est discutée.

Nous devons prendre garde aux distorsions économiques. L'opinion publique se prononce sur des cas précis, comme l'a montré la situation en Bretagne. L'industrie agro-alimentaire connaît des difficultés. Or, il y a une incompréhension face à des acteurs économiques qui n'appliquent pas des règles du jeu proches dans un espace qui est pourtant commun.

L'euro devrait protéger, or il n'y a pas de véritable gouvernance active comme dans les autres parties du monde. Cela donne l'image d'une naïveté européenne, d'une Europe qui se laisse faire par d'autres puissances. Il faut aussi corriger les distorsions sociales.

Une clarification est indispensable sur la position du Royaume-Uni. On doit être dedans ou dehors !

Pendant la période de crise, on a laissé critiquer l'Union européenne sans réagir. Or, ce n'est pas elle qui a falsifié les comptes de la Grèce !

L'Europe est perçue comme trop technocratique. La Commission apparaît hors contrôle. Il faut renforcer les pouvoirs du Parlement européen et des parlements nationaux et répondre aux questions citoyennes en mettant un terme aux ambiguïtés.

M. André Gattolin . - En tant que fédéraliste européen, je me reconnais dans les analyses du rapporteur et le félicite pour son travail. L'architecture institutionnelle de l'Union est baroque. Elle est le fruit de décisions successives. En réalité, il n'existe pas de modèle fédéral pur. Mais le fédéralisme permet de garantir la subsidiarité.

L'Union européenne constitue un grand marché mais sans avoir la force économique et industrielle. Les investissements des puissances extérieures sur ce marché sont très importants. L'Union européenne est très naïve sur la protection de ses frontières économiques.

Le Parlement européen assure une légitimité électorale pour l'ensemble des États membres. Si des politiques étaient mises en oeuvre par un petit nombre d'États membres dans le cadre des coopérations renforcées, elles seraient sous le contrôle de parlementaires représentant des États qui ne participent pas à ces politiques. La Commission doit émaner de la légitimité donnée par le Parlement européen. Les parlements nationaux jouent un rôle très important pour garantir l'engagement européen des États membres.

Je partage l'objectif de favoriser une meilleure identification de l'Europe par les citoyens, ce que permettrait l'ensemble des propositions faites par le rapporteur, qui pourraient être regroupées. Comme je l'avais souligné dans un précédent rapport, les conditions d'accès à la citoyenneté européenne doivent être unifiées. Le cas de Malte, qui vend l'accès à sa nationalité, est inacceptable !

Mme Catherine Morin-Desailly . - Je partage les analyses du rapporteur et celles exprimées par mes collègues au cours du débat. Je souscris en particulier à l'idée que l'Europe doit être un « projet de civilisation servi par une puissance ». Elle doit avoir la capacité de fonctionner comme une puissance.

Je suis rapporteure de la mission commune d'information « Nouveau rôle et nouvelle stratégie pour l'Union européenne dans la gouvernance mondiale de l'Internet ». La révolution numérique a un impact majeur. Elle redéfinit les espaces et entraîne des pertes de souveraineté dans de nombreux domaines, comme celui de la protection des données ou la fiscalité avec le développement du dumping fiscal. Cet enjeu doit être pris en compte dans le rapport. Comme l'a souligné Mario Monti, on construit le marché unique du numérique au profit des consommateurs, mais pas du tout dans l'intérêt des producteurs européens.

L'Union européenne porte des valeurs qui figurent dans la Charte des droits fondamentaux. Elle doit défendre sa vision de la société en se donnant les moyens de maîtriser sa souveraineté.

M. Simon Sutour, président . - Je veux à nouveau souligner la qualité du rapport et du débat. Je demanderai à la Conférence des présidents qu'un débat de contrôle sur ce thème puisse être organisé en séance publique au mois d'avril.

M. Pierre Bernard-Reymond . - Je remercie nos collègues pour leurs analyses que je prendrai en compte dans le rapport final.

L'Europe de la défense me paraît devoir être construite dans le cadre du troisième cercle de l'« Europe espace », dans la mesure où la participation du Royaume-Uni est indispensable.

Le bon fonctionnement des institutions est certes en cause, mais beaucoup dépend également de l'engagement des responsables politiques. La France doit annoncer sa position de façon claire, précise et audacieuse. La prudence ne peut qu'alimenter le populisme.

Je précise que le deuxième cercle que j'envisage pourrait être constitué à partir d'un « appel d'offre fédéral » au sein de la zone euro.

Il faut renforcer la démocratie européenne. C'est pourquoi le président du Conseil européen doit être élu par tous les parlementaires nationaux et les parlementaires européens, et le président de la Commission doit être élu par le Parlement européen. Je propose par ailleurs de conserver le nombre de commissaires mais d'établir une hiérarchie entre eux en fonction de l'importance des responsabilités exercées. Il y aurait ainsi des hauts commissaires, des commissaires et des commissaires-délégués.

J'intègrerai dans le rapport l'importance de la recherche et des industries du numérique qui sont, en effet, un enjeu de souveraineté pour l'Europe.

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