Jeudi 10 avril 2014

Présidence de M. Gaëtan Gorce, président

Audition de M. Vincent Champain, directeur des opérations de General Electric France

M. Gaëtan Gorce , président . - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Vous menez une réflexion prospective sur l'influence des technologies numériques sur l'économie, et c'est pourquoi nous avons souhaité vous entendre dans le cadre de notre mission commune d'information sur la gouvernance de l'Internet.

M. Vincent Champain, directeur des opérations de General Electric France. - Les usages de l'Internet sont multiples, ce qui complique la tâche en matière de régulation. Il y a bien sûr les usages grand public que tout le monde connaît, mais il en est également d'autres, dont on entend moins parler. Le récent crash de l'avion Malaisien en a donné un aperçu, puisque l'on a appris, à cette occasion, que les dernières informations envoyées au sol étaient celles qui provenaient du moteur, que les fabricants équipent de capteurs pour savoir comment il se comporte selon la température et l'altitude, afin d'en optimiser le fonctionnement. Et ces informations passent par Internet. Il s'agit là de données qui n'ont aucun caractère individuel, mais dont la collecte et l'utilisation génèrent de la valeur et du progrès technique.

Si j'ai cité cet exemple, c'est pour illustrer combien il importe de distinguer les usages, pour trouver, sur chaque segment, le bon équilibre entre les exigences du progrès technique et de l'efficacité et le droit à la protection de la vie privée. Le segment de l'Internet industriel est peu connu, mais c'est pourtant sur ce relai que le combat industriel va se mener.

Les géants qui brassent de gros volumes de données individuelles se sont développés parce qu'ils pouvaient s'appuyer sur des masses critiques linguistiques. Avant que n'apparaisse un acteur de la taille de Google, les initiatives ont été nombreuses, tant en Europe qu'aux États-Unis. Je pense à celle de François Bourdoncle, qui, après avoir travaillé dans la Silicon Valley, pour affiner les résultats renvoyés par le moteur Alta Vista, a créé un moteur de recherche français, Exalead, dont le développement a certainement souffert de ce défaut de masse critique. Aux États-Unis, en revanche, les entreprises ont pu s'appuyer sur une communauté linguistique de 300 millions de locuteurs, qui leur a donné l'avantage. Nous aurions pu gagner la bataille si nous avions raisonné non à l'échelle nationale mais à celle de la francophonie, pour gagner en masse critique.

Il en va de même en matière de gouvernance, ou dans les accords de libre-échange : nous ne valorisons pas cette plaque francophone. On gagnerait à faire pencher le curseur du côté de la francophonie numérique, sans donner l'exclusive aux questions culturelles, car certaines applications du big data en font aussi un sujet industriel. Je pense notamment aux analyses qui peuvent être conduites sur ce qui se dit des marques dans les blogs en français : il est plus facile de se développer autour d'une clientèle qui parle la même langue que d'avoir à franchir des barrières linguistiques. Joël Rubino, un ancien d'IBM, a créé une start-up , Apicube, qui travaille là-dessus, avec l'idée que les technologies qui fonctionnent en français peuvent se développer en s'appuyant sur la francophonie.

Le deuxième enjeu industriel concerne ce que l'on appelle, en bon français, la data competitiveness. S'il est plus facile d'être localisé à Gibraltar qu'en France, cela suscitera rapidement des difficultés... Ceci pour dire combien il importe de prendre en compte, dans le débat sur la sécurité des données personnelles, les enjeux industriels, et par conséquent de mener un dialogue dynamique avec tous les acteurs, y compris avec le monde français des hackers . En matière de régulation législative, on ne peut pas partir de l'idée que ce que l'on va édicter vaudra pour cent ans... Jusqu'à présent, dans les organes de consultation appelés à se prononcer sur le web, sur le web 2.0, on a largement privilégié l'architecture institutionnelle, sans donner assez de place au monde industriel. Un rééquilibrage serait bienvenu.

S'agissant de la protection des données personnelles, les choses sont plus complexes qu'on ne le croit. Il y a quelques années, des packs énormes de requêtes effectuées sur Yahoo se sont retrouvées sur Internet. Il a été démontré que ces données, quand bien même elles ne comportaient aucune indication personnelle, permettaient d'identifier des individus, parce qu'il s'agissait de données très intimes. Peut-être certains sites miroirs autorisent-ils encore aujourd'hui de telles explorations.

Quelles solutions ? Je crois qu'au-delà des modes de régulation classiques, on gagnerait à être plus humbles et plus dynamiques dans le dialogue, car les innovations industrielles deviennent vite caduques. Les technologies n'apportent pas que des menaces, elles peuvent aussi apporter des solutions pour protéger le partage de l'information.

N'oublions pas que nous sommes dans un cadre mondial, où les effets d'échelle sont très rapides. Voyez comment WhatsApp, démarrée avec quarante personnes, est devenue, en quelques trimestres, aussi puissante que nos champions de l'automobile.

L'Europe souffre d'un petit retard, pour deux raisons. L'une est positive, elle tient à notre souci de la protection des données individuelles et du droit à l'intimité numérique, mais l'autre ne l'est pas, et c'est le manque de coordination entre États membres. Certes, les textes en préparation visent à faire face à cet enjeu mais pour l'heure, une start-up qui cherche à grossir se trouve confrontée à vingt-sept droits différents.

Mme Catherine Morin-Desailly , rapporteure . - Si je vous comprends bien, le projet de règlement sur la protection des données ne vous semble pas satisfaisant ?

M. Vincent Champain. - L'harmonisation est toujours bienvenue, car elle clarifie les choses. Mais il importe que les parlementaires reçoivent une information équilibrée. Or, à l'heure actuelle, les débats se focalisent sur la protection des données, au détriment des questions de stratégie industrielle. En matière de protection des libertés individuelles, il existe des structures institutionnelles, ce qui n'est pas le cas pour les questions industrielles, où l'on manque de smart regulation , de régulation par les normes. Nous avons certes connu des réussites, comme la norme GSM, qui a su s'imposer à nos 500 millions d'utilisateurs, quand les choses étaient plus complexes aux États-Unis, mais ces succès sont imputables à nos ingénieurs. A présent, ce sont plutôt les juristes qui mènent le jeu, et l'on peut craindre qu'ils ne sous-estiment les enjeux industriels, au détriment de nos start up , nos PME, qui ont, par définition, plus de mal à faire entendre leur voix.

M. Gaëtan Gorce , président . - Sur ce terrain industriel, où se trouve, à votre sens, le pouvoir sur l'Internet ?

M. Vincent Champain. - Pour ce qui est des infrastructures, il est entre les mains des entreprises de télécoms nationales et européennes et des instances de régulation mondiales qui régissent les noms de domaine, les protocoles... Le W3C, par exemple, est plutôt d'origine scientifique ; le protocole html a d'ailleurs été créé par l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire, le Cern. La difficulté, c'est que ce sont des modes de pouvoir très décentralisés. L'écart est un peu de même ordre qu'entre une banque centrale et le bitcoin : il n'y a pas, sur Internet, de lieu central du pouvoir. Une fois créé, il est difficile à saisir, évanescent, ce qui complique la tâche de régulation. Quand une entreprise réussit, cela peut conduire à créer de quasi protocoles, je pense par exemple au logiciel Catia, devenu un standard pour l'imagerie 3D. De même, l'arrivée du standard Androïd dans la téléphonie mobile a redistribué les pouvoirs, en en rendant une part au consommateur. L'équivalent chinois d'un téléphone mobile Samsung vaut 110 euros au lieu de 650... L'Europe aurait pu décider de lancer son standard pour l'échange de fichier, son système d'exploitation, comme l'a fait la Chine pour le téléphone mobile.

M. Gaëtan Gorce , président . - Le pouvoir est difficile à saisir, dites-vous, mais où est la richesse ? Qui profite, économiquement, de la valeur ajoutée ? L'Europe a-t-elle, de ce point de vue, un retard à rattraper ?

M. Vincent Champain. - Il y a deux types de richesse économique, la valeur ajoutée, et le surprofit, c'est à dire la rente, en cas de monopole. Clairement, la rente n'est pas du côté de l'Europe. Hormis dans quelques domaines, grâce aux brevets. Ainsi, dans le prix de l'Iphone, la valeur ajoutée est supérieure pour les Allemands à ce qu'elle est pour les Chinois, parce que les Allemands détiennent des brevets, notamment sur les puces ISM. Cela dit, sur les téléphones mobiles, après l'épisode Apple, tout a basculé du côté de Google - avec cette différence que le système d'exploitation, Androïd, étant gratuit, une partie de la valeur ajoutée a été transférée au consommateur.

L'Europe est performante en matière d'innovation - j'ai cité l'exemple du Cern  - mais elle n'a pas su rechercher la masse critique.

M. Gaëtan Gorce , président . - Y a-t-il là un risque appauvrissement pour l'Europe ?

M. Vincent Champain. - Elle risque de perdre des opportunités.

M. Gaëtan Gorce , président . - Existe-t-il des carrefours qui nous permettraient de combler le retard, des rendez-vous à ne pas manquer ?

M. Vincent Champain. - L'avantage de l'innovation, c'est qu'elle multiplie les carrefours. Sur les systèmes d'exploitation, on pensait que Microsoft resterait imbattable, or, en très peu de temps, une brèche s'est ouverte sur les téléphones mobiles, qui a redistribué les cartes. Si l'Europe avait alors lancé son propre système d'exploitation...

M. Gaëtan Gorce , président . - Quels sont les grands sujets dont nous devons nous emparer si nous ne voulons pas perdre la maîtrise de notre destin économique ?

M. Vincent Champain. - Les profits, je l'ai dit, sont de deux types. Si la rente nous échappe, il faut au moins que nous sachions créer de la valeur ajoutée. Il ne faut pas laisser celle qui est attachée au big data nous échapper. Or, sur le sujet, il y a interaction entre régulateurs, parlementaires et sensibilités à l'oeuvre dans la société civile. Les projets qui visent à mettre des barrières sur les flux de données sont, à mon sens, néfastes pour les entreprises. Il est vrai que l'affaire Snowden a aiguisé les sensibilités, mais il ne faudrait pas que l'exigence de protection trouve à s'accomplir au détriment de notre potentiel industriel.

Mme Catherine Morin-Desailly , rapporteure . - Mais il mérite lui aussi d'être protégé, surtout dans le contexte de guerre économique que nous connaissons.

M. Vincent Champain. - Les secteurs du numérique sont si mobiles que la logique du secteur protégé manque sa cible. Je crois plutôt à la smart regulation . Il s'agit de faire en sorte que le terreau soit très fertile. Mieux vaut jouer la carte de la masse critique linguistique. Il y a d'excellents informaticiens en Tunisie, au Maroc... J'ajoute que dans l'industrie du big data , il faut trouver, sur la question des flux de données, le bon équilibre.

La rente est venue des plates-formes, avec leur système d'exploitation et leurs normes d'échange de fichiers. Il serait bon de mener en Europe, et concomitamment dans la francophonie pour le web linguistique, à échéance régulière, tous les deux ou trois ans, une réflexion sur ce sujet. Si nous l'avions fait il y a dix ans, la valeur ajoutée serait aujourd'hui mieux répartie. Désormais, Androïd est partout et sera présent jusque dans les objets connectés. Mais dans un domaine comme celui de l'identité numérique, nous avons notre carte à jouer. J'ai participé au projet IDéNum, qui vise à retenir une norme d'authentification pour les usages commerciaux. J'observe qu'en matière d'identité numérique, on s'attache beaucoup plus, en Europe, aux questions qui touchent à Schengen qu'aux questions industrielles. Or, l'identité numérique, c'est aussi l'accès à différents usages, comme la banque, avec le cryptage que cela suppose.

M. Gaëtan Gorce , président . - Vous préconisez le lancement d'un Airbus du numérique, en somme.

M. Vincent Champain. - Il suffirait de le vouloir, et de faire valoir que l'enjeu n'est pas seulement lié à Schengen, mais qu'il s'agit aussi de créer une norme industrielle commune.

M. Gaëtan Gorce , président . - Quels doivent être nos interlocuteurs, en Europe, sur ce sujet, et plus globalement sur la veille et l'accompagnement de la constitution de plates-formes - où Henri Verdier et Nicolas Collin voient l'avenir, ainsi qu'ils l'expliquent dans L'âge de la multitude ?

M. Vincent Champain. - Mieux vaut distinguer les enjeux : les ministères de l'intérieur n'ont guère de culture industrielle. Il faudrait susciter une initiative, comme on a su le faire, pour Airbus, avec Eureka. C'est un partenariat entre General Electric et Snecma qui a créé, il y a quarante ans, le moteur d'Airbus. Tout a démarré avec un coup de fil de notre ambassade de France aux États-Unis, et c'est ainsi que l'on a édifié une task force , pour créer notre avion en partenariat. De même, quand l'Europe et les États-Unis ont décidé de se lancer dans l'aventure spatiale, personne n'a attendu que l'on ponde un rapport expliquant comment il fallait s'y prendre. L'ambition a précédé l'organisation et l'a structurée. C'est de cette manière qu'il faut, à mon sens, procéder, tout en se gardant d'une planification trop rigide, pour rester sensibles aux évolutions, et éviter de s'engager dans une impasse : il est bon de réinterroger régulièrement la pertinence technologique de nos initiatives.

Autre exemple, l'imagerie numérique. Nous avons, en France, des entreprises très performantes. La première plate-forme d'échange au monde a été lancée en Ile-de-France par General Electric et Orange : elle permet aux médecins d'échanger toute l'imagerie médicale concernant leurs patients. C'est bien une logique de plate-forme, certes plus sectorielle, mais susceptible de nous faire atteindre la masse critique.

Mme Catherine Morin-Desailly , rapporteure . - Le modèle fabs, labs and advice, porté par General Electric, est-il applicable à la filière numérique ?

M. Vincent Champain. - Nous ne vendons pas tant, chez General Electric, des produits qu'un service global. Les produits devenant de plus en plus sophistiqués, il s'agit de vendre au client tout ce qui peut lui permettre d'en tirer de la valeur ajoutée. J'aime à citer l'exemple des turbines à gaz destinées à générer l'énergie, toutes connectées, pour connaître précisément et dans des conditions d'utilisation variées les limites physiques d'utilisation de l'équipement, afin de les optimiser. Nous disposons ainsi des données de 1000 turbines, dans des conditions que l'on ne saurait simuler en laboratoire. Nous sommes en bonne place, en Europe, pour l'équipement industriel comme en matière de conseil et d'ingénierie mais encore une fois, sur le numérique, il importe de bien distinguer le segment qui relève du domaine industriel, pour que l'arbitrage entre protection des données et innovation se fasse différemment. Évitons d'édicter des régulations trop monolithiques.

Régulation appropriée, donc, mais aussi recherche de la masse critique : tels sont les deux enjeux en matière industrielle. Or, notre tropisme, en Europe, nous porte trop souvent à rechercher des solutions nationales, ainsi que je le faisais observer au conseiller de M. Cameron, auteur d'un rapport sur le sujet. Ainsi, les pôles de compétitivité sont beaucoup plus petits en Europe qu'aux États-Unis ou au Japon, parce qu'ils sont disséminés dans de nombreux États membres. Nous manquons, de ce point de vue, d'une véritable stratégie industrielle à l'échelle européenne. Des pôles d'échelle européenne seraient, au reste, les interlocuteurs adéquats dans la recherche de l'équilibre entre protection des libertés publiques et capacité de développement de nos industries. Si, dans la chaine de valeur industrielle, existe une faiblesse en matière d'analyse des données, cela tirera tout le reste vers le bas. C'est une chose qu'il faut garder présente à l'esprit.

M. Gaëtan Gorce , président . - Le ministre de l'économie n'a-t-il pas, avec les pistes qu'il a annoncées, laissé espérer des évolutions ?

M. Vincent Champain. - L'intérêt pour le sujet est manifeste, ainsi qu'en témoigne la nomination d'une secrétaire d'État au numérique. Mais c'est un sujet à la dimension de l'Europe et de ce point de vue, la route reste longue... Elle a connu de grandes réussites, comme celle du Cern, inventeur, ainsi que je l'ai rappelé, du langage html. C'est que la communauté scientifique a davantage l'habitude de raisonner au niveau mondial, ce qui n'est pas le cas des régulateurs, de l'administration, voire des parlementaires, qui en restent à une logique plus nationale.

Mme Catherine Morin-Desailly , rapporteure . - Nous avons rencontré nos homologues allemands...

M. Gaëtan Gorce , président . - Une commission numérique a été créée au Bundestag. Nous leur avons proposé de travailler ensemble. Nous verrons ce que cela donnera.

M. Vincent Champain. - Il serait bon que de tels échanges montent en puissance. Y compris au niveau des partis politiques. Les échéances électorales sont autant d'occasions de débats sur des programmes qui gagneraient à n'être pas vécus que nationalement.

M. Gaëtan Gorce , président . - Quand ils le sont...

Mme Catherine Morin-Desailly , rapporteure . - Dans l'agenda numérique européen à venir, y a-t-il des rendez-vous plus aigus que d'autres ? Cet agenda satisfait-il l'ambition que vous appelez de vos voeux ?

M. Vincent Champain. - En matière de libertés individuelles, je ne suis pas un spécialiste. Sur ce sujet, il est des initiatives qui me paraissent utiles, comme celle qui vise à créer des pans de droit uniformisés. Pour ce qui concerne la gouvernance, en revanche, j'estime qu'il manque un support susceptible de porter le dialogue avec l'industrie. On pourrait mettre davantage l'accent, enfin, sur la data competitiveness .

Mme Catherine Morin-Desailly , rapporteure . - Le concept d'« intrapreneur » que vous avez développé pourrait-il être dupliqué ?

M. Vincent Champain. - L'innovation comporte quatre phases. Il faut, d'abord, passer du concept à l'idée, via la recherche. Elle seule peut dire, par exemple, comment, techniquement, mettre de l'éolien en mer. Puis, on passe au premier prototype. Dans le numérique, il n'y a, pour cela, guère de barrières à l'entrée : cela peut passer par des start up. Il n'en va pas de même dans l'industrie : quand on veut créer une turbine à gaz, les pièces coûtent entre 50 et 100 millions. On ne trouve pas de start-up dans le domaine du nucléaire... Enfin, il faut transformer l'essai, en parvenant à réussir sur le marché mondial. La France est performante en matière de recherche fondamentale ; elle a de bons entrepreneurs ; mais ses entreprises ne parviennent pas à grossir, c'est là que le bât blesse. Ce point a reçu moins d'attention que les autres. Ce n'est le plus souvent qu'à l'intérieur de grandes structures que l'on trouve ce que j'ai ainsi appelé des intrapreneurs, des gens qui ont une logique entrepreneuriale. Mais il se pose un problème de justice fiscale. Un exemple. Quelqu'un qui crée un site pornographique en ligne peut, grâce à une fiscalité favorable, faire de gros bénéfices en revendant ensuite ses parts, mais en revanche, un chercheur qui reçoit un gros bonus pour avoir inventé un médicament contre la malaria, susceptible de sauver des millions de personnes, est taxé à 75%. On m'objectera que dans le numérique, il y a moins de barrières à l'entrée. Mais dans certains domaines, il faut tout de même s'appuyer sur de grosses structures. Je pense, notamment, à l'identité numérique. La fiscalité envoie des signaux aux acteurs. Il faut qu'ils aillent dans le sens de l'innovation.

M. Gaëtan Gorce , président . - Vous appelez à une coopération européenne. Mais comment expliquer que de grandes entreprises françaises, dans le domaine de la banque ou de l'assurance, ne s'investissent pas, alors qu'elles ont la puissance financière qui leur permettrait de le faire ?

M. Vincent Champain. - Elles l'ont fait, avec les systèmes de paiement. Il y a eu des groupements autour de la carte bancaire. Sur la carte à puce, elles ont été pionnières. Mais sur l'identité numérique, il pourrait y avoir concurrence avec le système de la carte bancaire. On ne peut pas demander à des entreprises de détruire leurs actifs... Il faut trouver le moyen de donner voix à des acteurs non installés.

M. Gaëtan Gorce , président . - Je pense à l'exemple des compteurs intelligents d'EDF. L'entreprise n'a pas manifesté la volonté de constituer une plate-forme qui puisse être utilisée par d'autres partenaires.

M. Vincent Champain. - C'est un très bon exemple. La régulation, au niveau européen, n'est pas homogène. Il existe autant de spécifications que de pays. En matière de normes, on a raté le coche. C'est un enjeu important du TTIP. Nous sommes 500 millions en Europe, il ne s'agit pas de diviser ce chiffre par vingt-sept. Nos normes ne s'imposeront pas si nous jouons seuls. C'est là un enjeu largement sous-estimé. Beaucoup d'ONG insistent, au sujet de ces négociations, sur le thème du libre-échange. Mais il s'agit d'un traité entre pays développés ! L'enjeu central est bien plutôt d'avoir, en copropriété avec les Américains, des normes susceptibles de s'imposer par la masse critique.

M. Gaëtan Gorce , président . - Il me reste à vous remercier.

Audition de Mme Anne Thida Norodom, professeur à l'Université de Rouen, codirectrice du centre universitaire rouennais d'études juridiques

M. Gaëtan Gorce , président . - Vous travaillez sur des sujets liés à la gouvernance d'Internet, et c'est à ce titre que nous avons souhaité vous entendre.

Mme Anne Thida Norodom, professeur à l'université de Rouen. - Je vous remercie de votre invitation. Étant spécialiste de droit international, je me suis, en effet, intéressée à la gouvernance mondiale de l'Internet, qui ne touche qu'un aspect de vos préoccupations : mes collègues spécialistes du droit communautaire seraient mieux placés que moi pour parler de la place de l'Europe dans la gouvernance.

C'est le sommet mondial sur la société de l'information qui a donné sa définition à la gouvernance mondiale de l'Internet, conçue comme « l'élaboration et l'application par les Etats, le secteur privé et la société civile, dans le cadre de leurs rôles respectifs, de principes, normes, règles, procédures de prise de décisions et programmes communs propres à modeler l'évolution et l'utilisation de l'Internet. » La gouvernance de l'Internet, tant technique que politique, ne saurait être placée sous le contrôle d'un seul État - d'où les critiques à l'encontre de l'ICANN. Elle doit être multilatérale, transparente, démocratique, et par conséquent comporter des mécanismes de redevabilité - au sens de l'anglais accountability . Sur les questions de politique générale, les États sont censés travailler sur un pied d'égalité avec les autres parties, ce qui n'est pas forcément le cas pour ce qui est des questions techniques et économiques.

En tout état de cause, réfléchir sur la gouvernance suppose de clarifier la conception que l'on a de l'Internet et de lui donner une qualification juridique. Faut-il n'y voir qu'une infrastructure ou au contraire un espace à part entière et un bien commun ? Si l'on considère Internet comme un bien commun, il est clair que sa gouvernance doit être multipartite, quand n'y voir qu'une infrastructure vise à l'inscrire, à l'inverse, dans le champ de compétence territoriale des États.

Dès lors que la gouvernance de l'Internet se définit comme un modèle multipartite, se pose la question de l'égalité entre parties prenantes. Mais elle se pose différemment en fonction des domaines. D'où une autre question : la gouvernance doit-elle répondre à des principes identiques selon que les problèmes en jeu sont d'ordre technique ou politique ? Voilà qui influe sur le type de norme à adopter - traité ou acte non contraignant - et leur contenu - libertés individuelles, neutralité, etc. La gouvernance est donc modulable et l'équilibre entre les institutions impliquées - conçues non comme lieux d'exercice d'un pouvoir de contrôle mais plutôt comme instances de coordination des compétences - peut varier.

Quelles institutions internationales sont impliquées dans la gouvernance de l'Internet ? En 2011, l'OCDE se félicitait de la réussite d'un modèle originaire ayant su préserver, malgré la poussée des interventions publiques, une gouvernance spontanée, informelle et efficace. De fait, un certain consensus s'est dessiné, autour des années 2003-2005, depuis le sommet mondial sur la société de l'information, autour du modèle multipartite. Cependant, les Etats et les organisations internationales cherchent à y trouver leur place, aux côtés des acteurs privés. Le sommet de Dubaï, en décembre 2012, a cristallisé les désaccords.

Dans la gestion des ressources critiques, soit la gestion du réseau et des services de base, les institutions privées à but non lucratif jouissent d'un avantage historique. Il s'agit des institutions de standardisation technique, d'une part, comme l'Internet Society, l'IETF ( Internet Engineering Task Force ), le W3C ( World Wide Web Consortium ), dont le pouvoir normatif s'exprime via des protocoles techniques qui évoluent selon un modèle ascendant dit « bottom up » et participatif ; des institutions à pouvoir normatif et opérationnel, d'autre part, comme l'ICANN, société de droit californien à but non lucratif au sein de laquelle se pose, avec la création du GAC ( Governmental Advisory Committee) , la question de l'interétatisation, ou d'autres acteurs comme Verisign, opérateur technique du serveur qui tient également les registres du « .com » et du « .net ».

Dans la gestion des usages et des contenus, les institutions publiques prédominent et revendiquent le monopole de la régulation. Parmi ces institutions internationales, on trouve l'Union internationale des télécommunications (UIT), mais aussi l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), qui élabore de nouveaux critères de définition de ces droits dans le cyberespace ; Interpol, pour les questions touchant à la sécurité et à la cybercriminalité ; le Conseil de l'Europe, à l'origine de nombreux travaux autour de la question des droits de l'homme sur Internet, de la Convention sur la cybercriminalité de 2001, ainsi que d'une déclaration du comité des ministres qui pose dix principes sur la gouvernance de l'Internet ; l'OCDE, qui a pris position pour le modèle multipartite ; à quoi s'ajoutent quelques mécanismes de coordination comme le groupe des Nations Unies sur la société de l'information, qui vise à rassembler, autour de ce sujet, toutes les organisations du système des Nations Unies.

Les forums de débat, enfin, constituent une troisième catégorie d'institutions. La gouvernance est un processus réflexif qui anime toutes les institutions : depuis la fin des années 1990, le débat est permanent, via de tels forums, parmi lesquels prédominent le Forum pour la gouvernance de l'Internet, sous l'égide de l'ONU, et l'UIT.

Le Forum pour la gouvernance de l'Internet a montré les limites du modèle multipartite. De fait, le bilan de ce forum, institué en 2005, est médiocre. Reposant sur des financements volontaires, il a été largement délaissé et il faudrait, pour parvenir à le ranimer, trouver les voies d'un renforcement de la coopération en son sein.

L'UIT défend, quant à elle, un schéma intergouvernemental de gouvernance. Sous couvert de faire adopter des règlements techniques, elle cherche à ramener le pouvoir de contrôle du côté des États. Mais elle souffre d'un problème de légitimité, certains États membres jugeant qu'elle dépasse son mandat, tandis qu'elle est en butte aux critiques de la société civile et des ONG sur la question des droits de l'homme ainsi qu'à celles de la société technique de l'Internet. En dépit du peu de place que l'UIT entend reconnaître aux acteurs privés, le Brésil a proposé de renforcer son rôle dans la gouvernance de l'Internet.

Des mécanismes de redevabilité ( accountability ) existent dans la gouvernance de l'Internet, qui pourraient être renforcés. Il s'agit de passer d'une légitimité reposant sur la représentativité à une légitimité par la responsabilité. L'ICANN, société privée régie par le droit californien est, de ce point de vue, très controversée. Il existe pourtant, en son sein, des mécanismes de redevabilité. Ainsi de l'accord passé en 2009 avec le département du commerce américain, qui l'oblige à rendre compte au public de ses décisions. D'autres dispositions existent, qui visent à garantir que l'ICANN est bien au service de la communauté de l'Internet et agit dans l'intérêt public. Ainsi, des organes de contrôle interne ont été créés, dont l'un est chargé de formuler des recommandations en matière de transparence et de responsabilité. L'ICANN doit également se soumettre à des auditions du Congrès américain et rendre compte de ses positions aux États.

Se pose, cependant, la question de la revalorisation du rôle du GAC. Le système, dans lequel le GAC n'avait jusqu'à présent que voix consultative, le conseil d'administration disposant seul du pouvoir de décision, évolue vers un processus de quasi codécision, mais selon une procédure assez fermée, contraire à la culture de l'Internet, et qui pose un problème au regard des prérogatives reconnues, au plan juridique, au conseil d'administration. Valoriser le rôle du GAC, n'est-ce pas, de fait, donner aux États plus de poids qu'aux autres parties prenantes, au risque d'un déséquilibre dans les intérêts représentés ?

Il est un autre mécanisme de responsabilité au sein de l'ICANN, celui de l'objecteur indépendant, garant de l'ordre public international en matière d'attribution de noms de domaines. Il fonctionne selon une procédure d'arbitrage, avec des modalités spécifiques pour les organisations internationales et les États. Si bien que certains considèrent, du point de vue de l'objecteur indépendant, que l'ICANN est peut-être le moins mauvais des modèles.

Au regard de cet état des lieux, quelles pistes d'évolution peuvent-elles être envisagées ? Au plan institutionnel, se pose la question de la revalorisation du rôle des États face aux acteurs historiques. Dans la plupart des propositions envisagées, le modèle multipartite reste privilégié, mais enchâssé dans un cadre intergouvernemental.

Les hypothèses que l'on voit apparaître recoupent l'opposition traditionnelle entre le modèle de l'ICANN et celui de l'UIT. Elles vont soit à un conseil mondial de l'Internet, se substituant au gouvernement américain et au GAC pour exercer une tutelle intergouvernementale sur l'ICANN, mais reléguant du même coup le secteur privé et la société civile à un rôle consultatif, soit à un renforcement du GAC, soit à la création d'une organisation internationale à compétences restreintes telles que celles qu'assure l'ICANN, soit à un modèle tripode, avec un conseil des politiques internet mondiales chargé de définir les orientations publiques, un ICANN internationalisé, relié à l'ONU et contrôlé de l'intérieur par les États, et le forum pour la gouvernance de l'Internet.

Il paraît difficile, alors que les institutions sont déjà foisonnantes, d'en créer encore de nouvelles. La solution passe-t-elle par une parlementarisation de la représentation au sein des organisations internationales, via une assemblée parlementaire internationale, ou une assemblée interparlementaire ? Mais un tel modèle semble plus efficient au niveau régional que mondial, où il serait fort difficile à mettre en place. Mieux vaut peut-être chercher à améliorer la légitimité du système grâce à une plus grande efficacité managériale, via une politique de résultats, et transinstitutionnelle, en favorisant les mécanismes de coopération, vers une gouvernance en réseau.

Peut-on établir une Constitution de l'Internet ? Quel pourrait en être, tout d'abord, l'instrument ? Il semble difficile de passer par une convention internationale contraignante. Peut-il exister un droit international spécifique au cyberespace ? Il est six principes que l'on voit fréquemment énoncés : liberté, protection de la vie privée, coopération interétatique, égalité d'accès aux technologies, pour éviter la fracture numérique, coopération civile et neutralité du net, enfin. Mais tous ces principes, hormis les deux derniers, n'étant pas spécifiques à l'Internet, il n'est pas sûr qu'ils puissent donner lieu à un jus communicationis .

Mieux vaut donc s'employer à renforcer la cohérence, pour une gouvernance véritablement en réseau, avec des mécanismes de coordination, des processus de codécision, en faisant prendre conscience aux acteurs qu'eu égard au rôle changeant et à l'importance relative de chaque partie dans le processus décisionnel, tout ne peut pas venir d'une même institution. En matière de gouvernance de l'Internet, il n'est pas de solution unique, parfaite, optimale, mais il y a, en revanche, un choix à faire sur la conception de l'Internet que l'on souhaite défendre, afin d'établir les instruments techniques et politiques adéquats.

Mme Catherine Morin-Desailly , rapporteure . - Vous vous déclarez réservée sur l'idée d'une Constitution, en faveur de laquelle beaucoup de voix se sont élevées. Il est pourtant des principes saillants, comme l'égalité d'accès et la neutralité, qui pourraient en constituer le socle. Voyez-vous des écueils dans l'élaboration de leur définition ?

Mme Anne Thida Norodom. - Un principe historique, de définition large, veut que soit garantie l'égalité de traitement des flux quelles que soient les données, en excluant toute discrimination à la source. Mais dans la pratique, certains contenus ont déjà priorité sur d'autres, ne serait-ce que pour des raisons d'efficacité. Ainsi de la vidéo, qui demande plus de ressource que l'envoi de mails, par exemple.

La neutralité fait la cohérence du net, et c'est là, peut-être, un principe spécifique à l'Internet. Mais il n'en va pas de même pour les autres. En matière d'égalité d'accès, par exemple, il existe déjà des instruments. Je pense à la Convention de l'Unesco relative à la protection du patrimoine immatériel ou à celle sur la protection de la diversité culturelle, qui comportent des dispositions contraignantes visant à la réduction de la fracture numérique.

Mme Catherine Morin-Desailly , rapporteure . - Vous avez rappelé que le fonctionnement de l'ICANN est contesté. Quels dysfonctionnements mériteraient d'être corrigés ? Je pense, notamment, à la question de la redevabilité vis à vis du public.

Mme Anne Thida Norodom. - Les récentes déclarations de l'administration Obama, qui s'est dite prête à lâcher prise sur l'ICANN, changent la donne. Les reproches majeurs adressés à l'ICANN sont de deux sortes. Chargée, avec l'attribution des noms de domaine, de la gestion de l'ordre public international, c'est une société privée, de droit américain, en relation étroite avec le département du Commerce qui permet au gouvernement américain de modifier l'instrument contractuel comme bon lui semble. Des moyens de contrôle ont cependant été mis en place, comme l'obligation de rendre des comptes au Congrès, mais le fait est que les États-Unis restent très prégnants... Néanmoins, les déclarations d'Obama remettent tout en question. Va-t-on s'acheminer vers un statut hybride à l'image de celui du CICR (Comité international de la croix rouge) ? Les Américains sont-ils prêts à donner à l'ICANN les garanties d'indépendance nécessaires pour asseoir sa légitimité ? Reste que l'ICANN ne concentre qu'une partie de la gouvernance de l'Internet. Les questions relatives à la protection des données et à la sécurité ne relèvent pas d'elle.

Parmi les mécanismes de redevabilité, la procédure de l'objecteur indépendant me semble intéressante. Il peut formuler des objections aux candidats qui souhaitent acquérir un nom de domaine sous deux motifs : un intérêt public limité et les oppositions de la communauté. Leur dépôt se fait auprès de la cour d'arbitrage de la chambre de commerce internationale, qui désigne des experts - un seul pour les objections communautaires, un panel de trois pour celles qui sont fondées sur l'intérêt public limité - chargés de se prononcer sur le bien-fondé des objections. Les décisions - determinations , en anglais - des panels n'ont pas valeur contraignante pour l'ICANN, qui garde latitude de décider, in fine , du sort à réserver à la candidature à un nom de domaine, mais il est clair qu'il lui est difficile de passer outre.

La procédure de l'alerte précoce ( early warning ) permet aux États de signaler une candidature jugée problématique au regard de leur législation nationale ou de leurs intérêts - comme, par exemple, le dépôt d'un nom de domaine susceptible de donner lieu à polémique. Il existe également une procédure spécifique pour les organisations internationales, destinée à éviter le cybersquatting , soit l'acquisition par des tiers de noms de domaines les intéressant à seule fin de les leur revendre moyennant finances. Enfin, les utilisateurs sont associés à la gouvernance, grâce à des procédures qui les invitent à rejoindre la communauté « at large », dont le comité consultatif est chargé de rendre des avis afin de refléter le point de vue des internautes. On est donc bien dans la culture américaine de l' accountability , rendue néanmoins problématique en raison des liens entre l'ICANN et le gouvernement américain.

Mme Catherine Morin-Desailly , rapporteure . - Comment se déterminent les acteurs face aux pistes d'évolution que vous avez évoquées ?

Mme Anne Thida Norodom. - Chacun défend un modèle qui lui est favorable. Dans le secteur privé, il est de fervents défenseurs du modèle multiacteurs. Les fondateurs de l'Internet, comme Vinton Cerf ou Tim Berners-Lee, sont clairement opposés à un modèle qui laisserait plus de place aux États. Internet est pour eux un espace de liberté échappant à la compétence des États.

Les États, quant à eux, veulent revaloriser leur rôle. L'idéal serait pour eux d'aller vers un modèle d'organisation internationale soit hybride, mais leur laissant plus de marge de manoeuvre, soit classique, mais ils ont conscience que le plus facile sera sans doute de renforcer le rôle du GAC. Certains États, comme la Russie ou la Chine, penchent nettement vers le modèle intergouvernemental de l'UIT. Le Brésil aussi semble-t-il. Nous verrons ce qu'il ressortira du sommet qui doit s'y tenir et quelle légitimité sera reconnue aux États...

Mme Catherine Morin-Desailly , rapporteure . - Quelle vision avez-vous du Safe Harbor ? Comment faire pour que les Américains se conforment au droit européen en matière de protection des données ?

Mme Anne Thida Norodom. - Le mécanisme du Safe Harbor pose, semble-t-il, des problèmes d'application. La gouvernance de l'Internet est un système hybride, auquel participent des acteurs privés. Le problème majeur du Safe Harbor tient au fait qu'il ne s'agit pas d'un instrument classique, de type convention internationale. La protection des données exige une collaboration internationale, et transnationale. Beaucoup d'États veulent plus de garanties de droit, plus de précision en matière de protection des données. Je ne partage pas cette analyse. Les spécialistes du droit privé ou du droit européen veulent davantage de régulation par le droit, tel n'est pas le cas des spécialistes du droit international public, dont je suis. Car nous craignons une rapide obsolescence du droit au regard de l'évolution très rapide des techniques. Pousser vers toujours plus de droit pourrait décrédibiliser les règles de droit. Mieux vaut, à mon sens, s'appuyer sur des principes généraux existants, comme le principe de protection de la vie privée, et des instruments contraignants qui ont déjà été adoptés. Une collègue européaniste vous dirait sans doute le contraire, mais n'en reconnaît pas moins que le règlement devient très complexe, très technique, au risque de mettre en cause sa crédibilité juridique.

M. Gaëtan Gorce , président . - Nous vous remercions de ces éclairages.

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