CHAPITRE 2 : UN ESSAI DE REDÉFINITION DE LA PLACE DES ÉTATS-UNIS DANS LE MONDE SELON UNE APPROCHE STRATÉGIQUE « RÉALISTE »

I. L'ACCEPTATION D'UN MONDE MULTIPOLAIRE

« La cause la plus profonde de notre malaise national vient de la prise de conscience que nous sommes en train de devenir une nation comme les autres, et que notre puissance quoique vaste, a des limites »

Henry Kissinger 1969

En 1992, après la chute de l'Union soviétique, Francis Fukuyuma 27 ( * ) annonçait l'installation des États-Unis dans le rôle de première puissance mondiale et le règne d'une « pax americana » fondée sur la démocratie et l'économie de marché, celui de l' « hyperpuissance ».

La tragédie du 11-septembre a obscurci cette perspective et d'aucuns comme Samuel Huntington 28 ( * ) ont prédit une lutte entre différents blocs de civilisation, et notamment, celle de l'Occident avec le monde islamique.

Dans ce contexte, les États-Unis redeviennent vulnérables et certains 30 ( * ) estiment, analysant les signes de son décrochage, qu'ils ne sont pas en mesure d'affronter dans de bonnes conditions cette nouvelle ère des relations internationales. Contestant les thèses déclinistes, Robert Kagan 31 ( * ) considère que les États-Unis contribuent toujours à la préservation d'un ordre international stable, à la promotion de la démocratie et à l'économie de marché, grâce à leur puissance économique et militaire .

Néanmoins, cette puissance et cette influence sont concurrencées et contestées. Le monde est caractérisé par la montée en puissance, avant tout économique, de nouveaux pays (les émergents), notamment en Asie, avec comme corollaire des dynamiques régionales de plus en plus autonomes . Cette ascension se traduit sur d'autres plans, notamment militaires : le SIPRI notait en 2011 que, pour la première fois de l'histoire moderne, l'Asie dépasserait l'Europe en termes de dépenses militaires globales. Ces États émergents chercheront progressivement, non seulement à s'émanciper de la puissance et de l'influence américaine, mais à devenir eux-mêmes sources d'influence et de puissance. La Chine est sans doute au premier rang de cette émergence. Leurs forces d'attraction reconfigurent le monde qui deviendra à terme bipolaire, et plus vraisemblablement multipolaire, ce qui oblige les États-Unis à revoir leur place, leur rôle et les modalités d'expression et d'action de leur puissance et de leur influence, pour préserver leurs intérêts.

Dans ce contexte, le président démocrate a surtout cherché à transformer la relation des États-Unis avec le reste du monde, à restaurer un prestige amoindri mais surtout à adapter la posture et l'engagement international américain à un monde en pleine recomposition, en transition avec le « monde post-américain » (Fareed Zakaria32 ( * )) ou plutôt « post-unipolaire ».

S'il fallait caractériser la phase actuelle, ce ne serait ni le désengagement américain, ni même l'idée d'une hégémonie discrète ou masquée, mais plutôt la notion que les États-Unis sont, en effet, de plus en plus une puissance parmi d'autres (notamment sur le plan économique) et que leur hégémonie relative est de plus en plus contestée et donc négociée par leurs partenaires, amis comme adversaires. Comme le note Maya Kandel 33 ( * ) , « le principal défi pour les États-Unis semble être de savoir comment gérer au mieux de leurs intérêts l'ascension des nouvelles puissances qui s'affirment, conséquence de leur nouveau poids économique, sur la scène internationale - à commencer par la première d'entre elles : la Chine » .

A. LES ÉTATS-UNIS DEMEURENT LA PREMIÈRE PUISSANCE MONDIALE

Pour autant, les États-Unis demeurent la première puissance mondiale, sur le plan économique comme sur le plan militaire 34 ( * ) sans compter leur force attractive dans les domaines scientifiques, technologiques, universitaires et culturels.

PIB (2014) :17 000 milliards de dollars (Chine : 9000)

PIB par habitant : 49 800 dollars (Allemagne 41 000, Chine 10 600)

Part des exportations mondiales : 8,4 % (Chine : 11,2%)

Part des importations mondiales : 12,6 % (Chine : 9,8%)

Part du stock d'IDE dans le monde : 22 % (Allemagne : 7%)

Part des flux entrants d'IDE dans le monde : 24 % (Japon : 9 %)

Part des flux sortants d'IDE dans le monde : 12,4 % (Chine : 9 %)

Dépenses militaires : 582 milliards (Chine : 139)

Part dans les dépenses militaires mondiales: 39% (Chine 9,5%)

Cette puissance et le rôle qu'ils ont assuré depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale font des États-Unis un acteur incontournable sur la scène géopolitique mondiale. Les États-Unis en sont conscients et cette situation est inscrite dans la durée. Les orientations stratégiques telles qu'exposées dans les documents officiels en font écho.

Dans son discours à l'Académie militaire de West Point le 28 mai dernier, le Président Obama a rappelé de façon explicite cette position géostratégique singulière: « En fait, à bien des égards, l'Amérique a rarement été aussi forte par rapport au reste du monde. Ceux qui prétendraient le contraire - qui suggéreraient que l'Amérique est en déclin, ou que son leadership dans le monde s'amenuise - sont en train soit de mal interpréter l'histoire, soit de faire de la politique politicienne. Réfléchissez-y. Nos forces armées sont inégalées. La probabilité d'une menace directe contre nous provenant de quelque pays que ce soit est faible et sans mesure avec les dangers auxquels nous faisions face lors de la Guerre froide.

Qui plus est, notre économie demeure la plus dynamique au monde ; nos entreprises sont les plus innovatrices. D'année en année, notre indépendance énergétique s'accroît. De l'Europe à l'Asie, nous sommes le centre d'alliances inédites dans l'histoire des nations. L'Amérique continue d'attirer des immigrés pleins d'élan. Les valeurs sur lesquelles notre pays a été fondé sont une inspiration pour des leaders dans des parlements et pour de nouveaux mouvements qui voient le jour sur des places publiques dans le monde entier. Et lorsqu'un typhon frappe les Philippines, que des écolières sont enlevées au Nigeria ou que des hommes armés occupent un bâtiment en Ukraine, c'est vers l'Amérique que le monde se tourne pour trouver de l'aide. Les États-Unis sont donc et demeurent une nation indispensable . Cela était vrai au cours du siècle écoulé et cela le restera au siècle prochain ».

Dans la préface du « New Strategic Guidance for the Department of Defense » de janvier 2012, le Président Obama indique de façon claire les intérêts des États-Unis :

1. La sécurité de la Nation, de ses alliés et de ses partenaires

2. La prospérité qui découle d'un système économique international ouvert et libre

3. Un ordre international juste et soutenable dans lequel les droits et responsabilités des nations et des peuples sont respectés, particulièrement les droits humains fondamentaux .


* 27 Francis Fukuyuma « La fin de l'Histoire et le dernier homme » Flammarion 1992,

* 28 Samuel Huntington 29 « Le choc des civilisations » Odile Jacob 2007

* 30 Zbigniew Brzezinski « Strategic Vision : America and the Crisis of Global Power »
Basic Books 2012, Thomas Friedman et Michael Mandelbaum «
That Used to Be Us » Farrar, Straus and Giroux 2011.

* 31 Robert Kagan « L'ordre mondial américain : les conséquences d'un déclin », préface d'Hubert Védrine - Idm 2012.

* 32 Farid Zacharia « L'Empire américain : l'heure du partage » (« The Post-American World »), Saint-Simon,ý 2009

* 33 Maya Kandel, chercheuse à l'INSERM, Diploweb, 17 décembre 2013

* 34 Dans le domaine militaire, la suprématie américaine reste écrasante, avec un budget qui, en 2013, est toujours supérieur à la somme des dix budgets militaires nationaux suivants (SIPRI) (Kandel, Diploweb 17 décembre 2013).

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