III. UN RÉÉQUILIBRAGE DES MOYENS EN FONCTION DES ENJEUX

La grande stratégie des États-Unis officialisée à l'automne de 2011 , mais s'appuyant sur les réflexions et les initiatives développées par la secrétaire d'État Hillary Clinton et le secrétaire adjoint pour l'Asie, Kurt Campbell, est présenté comme un pivotement vers l'Asie-Pacifique rendu possible par le désengagement d'Irak et d'Afghanistan et nécessaire par la croissance des intérêts américains dans cette zone. Il n'empêche pas le maintien d'un engagement robuste pour la sécurité et la stabilité en Europe et au Moyen-Orient et d'une approche mondiale pour lutter contre les extrémistes violents et les menaces terroristes, en mettant l'accent sur le Moyen-Orient et l'Afrique (voir supra p. 43). Les dirigeants américains, conscients du caractère ambigu du terme « pivotement » et des inquiétudes suscitées chez leurs alliés, emploient désormais le terme « rééquilibrage » qui correspond effectivement mieux à la modestie des réalisations. Il n'empêche que le rééquilibrage amorcé par l'administration Obama est pensé comme un élan et une direction pour les années à venir et non une politique de court terme .

A. LE « PIVOT » VERS L'ASIE-PACIFIQUE :

« L'Amérique, Nation du Pacifique »

(Obama 2009)

Exposée dans un article de la revue Foreign Policy 48 ( * ) par la Secrétaire d'État, Mme Hillary Clinton, à l'automne 2011 et justifiée rétrospectivement par celui qui en fut le maître d'oeuvre au cours du premier mandat du Président Obama, le secrétaire d'État adjoint Kurt Campbell 49 ( * ) , la stratégie du rééquilibrage est fondée sur la croissance des intérêts américains dans la zone Asie-Pacifique, elle s'appuie conformément aux grandes orientations transversales du Président Obama sur une palette d'outils diplomatiques et militaires. Elle vise à stabiliser la région en dissuadant la Corée du Nord qui demeure un État menaçant, en préparant et en accompagnant la quasi-inéluctable montée en puissance de la Chine et sa capacité à venir défier dans le futur la puissance américaine, en établissant un réseau d'alliés et de partenaires dans sa périphérie.

L'annonce du « pivot » américain vers l'Asie-Pacifique , rendu possible par un désengagement des théâtres irakien et afghan et envisagé d'abord comme un pivotement interne de l'Asie du Nord-est vers l'Asie du Sud-est, a suscité initialement de nombreuses interrogations sur sa portée . Rebaptisée par la suite « rééquilibrage » afin de corriger les effets pervers de cette terminologie, aux premiers rangs desquels la volonté prêtée aux États-Unis d'endiguer la Chine et de se détourner de l'Europe, et la perception faussée d'une présence américaine (notamment militaire) accrue dans la région, cette réorientation constitue une tendance longue voulue par le Président Obama. Son tropisme envers la région, qui tranche avec sa prudence - voire un retrait - sur les crises moyen-orientales -, ainsi que les enjeux stratégiques de la zone concourent à ce réinvestissement multifacette.

1. La croissance des intérêts américains dans la zone Asie-Pacifique

Comme il est rappelé dans le « New Strategic Guidance for the Department of Defense » de janvier 2012, « Les intérêts économiques et de sécurité des États-Unis sont inextricablement liés au développement d'un arc s'étendant de l'ouest du Pacifique et de l'Asie de l'Est à l'Océan indien et à l'Asie du sud, créant un mélange de défis et d'opportunités ». L'administration Obama considère qu'il est temps que l'Amérique s'occupe de l'évolution majeure des deux dernières décennies : le déplacement du centre de gravité mondial vers l'Asie.

a) Un intérêt constant : les États-Unis sont une puissance dans l'Océan Pacifique

Dès lors qu'ils en ont atteint les rivages avec la conquête de la Californie en 1846, les États-Unis ont été de longue date engagés dans l'Océan Pacifique, et y sont intervenus militairement à de nombreuses reprises dans leur histoire. C'est ainsi qu'en 1853 le commodore Matthew Perry dirige l'expédition américano-européenne, qui pénètre dans la baie de Tokyo dans le but d'ouvrir le Japon au commerce avec l'Occident. Les États-Unis sont engagés aux côtés des puissances occidentales dans la guerre des Boxers en Chine en 1900-01. C'est ainsi qu'après avoir apporté son soutien à la révolution contre l'Espagne, les États-Unis signèrent le traité de Paris avec l'ancienne puissance coloniale, lui achetèrent l'archipel des Philippines alors en pleine révolution pour son indépendance et y maintinrent un protectorat jusqu'en 1946. On rappellera également que les États-Unis entrèrent dans la seconde guerre mondiale à la suite du bombardement par l'aviation japonaise de leur base navale de Pearl Harbour en 1941.

Avec la Guerre froide, ils conduiront une politique d'endiguement de la progression des communistes en Chine (soutien à Tchang Kaï Check contre Mao Tsé-toung), puis en Corée (1951-1954) et enfin au Vietnam et en Indochine (1965-1972). Cet engagement a longtemps symbolisé l'impérialisme américain, suscitant de fortes critiques dans la communauté internationale et notamment dans les pays du Tiers-Monde.

Après le retrait militaire, les États-Unis ont essayé d'ouvrir un dialogue avec la Chine, tout en garantissant la sécurité de leurs alliés. Les relations se sont nourries de la croissance économique de la zone au Japon, puis dans les pays à économie libérale (Taïwan, Corée), enfin en Chine à partir de l'ère Deng Xiaoping.

Le pivot apparaît donc comme une nouvelle étape dans une relation enracinée dans l'histoire . Comme le rappelait Ed Royce, président de la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants « ce n'est pas une innovation mais une continuation d'une politique ». La décision a été prise au sein du département d'État sous la présidence de M. G. W. Bush et elle a été promue par le Président Obama. Il s'agit d'un choix présidentiel qui fait un large consensus, même si d'autres crises, au Moyen-Orient ou en Ukraine, ne lui offrent pas beaucoup de visibilité ni dans la presse, ni dans les débats au Congrès.

b) La zone Asie-Pacifique est devenue le poumon économique du monde

Le centre de gravité des activités mondiales est transféré vers la zone Asie-Pacifique. Cette région concentre 60 % de la population mondiale (1 homme sur 5 vit en Chine, 1 sur 6 en Inde) et 34,6 % du PIB mondial en 2012 (38 % en 2017 selon les prévisions du FMI). Compte tenu du différentiel des taux de croissance, la Chine devrait devenir très rapidement la première puissance économique mondiale. D'ores et déjà, l'Asie représente 31,6 % (l'Europe 35,6 %) des exportations (dont 11,4 % pour la Chine qui est devenue le premier exportateur du monde). Elle restera, dans les prochaines années, la région où les taux de croissance devraient être les plus élevés.

La croissance économique, l'innovation et les perspectives d'augmentation du commerce international sont localisées prioritairement dans cette vaste région bordée par trois États de la République américaine, dont le plus peuplé et le plus riche, la Californie. Le commerce avec cette zone s'est accru de 45 % en volume de 1990 à 2012. Avec 27 % de leurs exportations et 38 % de leurs importations en 2012, les États-Unis commercent presqu'autant avec l'Asie-Pacifique qu'avec les Amériques et qu'avec l'Europe, une proportion qui n'a guère évolué depuis vingt ans. Pour autant, le poids économique des États-Unis en Asie s'est érodé dans de grandes proportions au cours des vingt dernières années, au profit de la Chine dont le poids est devenu écrasant dans certains pays : la moyenne des parts de marché de la Chine dans les pays d'Asie était de 6,5 % en 1990 et atteint 21 % en 2012, celle des États-Unis est passée de 11 % à 6 %. En outre, la Chine détient (1 264 milliards de dollars de Bons du Trésor américains en février 2013), ce qui en fait le premier créancier public des États-Unis.

Il s'agit donc de mettre les États-Unis en position de profiter pleinement de la dynamique d'une région appelée à être le moteur de la croissance et de l'innovation au cours du siècle .

c) La montée en puissance de la Chine suscite des inquiétudes

Sur le long terme, l'émergence de la Chine comme puissance régionale aura le potentiel d'affecter l'économie américaine et sa sécurité de différentes façons. Les deux pays ont misé de façon importante sur la paix et la stabilité de l'Asie de l'est et ont intérêt à bâtir une relation de coopération bilatérale.

Malgré tout, la croissance de la puissance de la Chine inquiète, et notamment sur le plan militaire . Ses dépenses militaires atteindront en 2014 l'équivalent de 95,9 milliards d'euros 50 ( * ) (130,5 milliards de dollars) soit une augmentation de 12,2 % après celles intervenues en 2012 (11,2 %) et 2013 (10,7 %) 51 ( * ) . La Chine est devenue le 5 e exportateur d'armes conventionnelles sur la période 2008-2012 52 ( * ) avec un montant cumulé de 6,4 milliards de dollars et a importé 7,4 milliards de dollars, (2 e rang mondial).

Sans doute, les officiels américains s'accordent-ils pour dire que la Chine ne sera pas une menace militaire directe pour les États-Unis avant plusieurs décennies mais qu'il convient de s'y préparer. En attendant, ils considèrent que cette montée en puissance doit être accompagnée d'une plus grande transparence sur ses intentions pour éviter des tensions dans la région. Ils continueront donc à réaliser les investissements nécessaires pour garantir le maintien de l'accès à la région et la possibilité d'opérer librement conformément aux traités et au droit international. Notamment dans ses approches maritimes en mer de Chine.

Parallèlement, la question des « puissances au XXI e siècle » hante la diplomatie américaine : deux superpuissances (Chine et États-Unis) peuvent-elles coexister ? Sur quelles puissances « amies » les États-Unis pourront-ils s'appuyer à l'avenir ? Définie comme «vitale et complexe» en raison d'une forte interdépendance mais avec aussi des divergences profondes (monnaie, commerce, Taïwan, droits de l'Homme), la relation sino-américaine représente l'un des défis majeurs. À plus long terme, les États-Unis craignent que la Chine n'impose, par sa puissance, ses propres normes, notamment dans le commerce et dans le droit international53 ( * ). Le choix du positionnement américain face à la Chine et la recherche d'un bon équilibre entre coopération et endiguement sera décisif.

d) Des tensions existent qui peuvent déboucher sur le plan militaire et conduisent à une nouvelle course à l'armement

Cette zone peut devenir une source de tensions fortes en raison de sa conflictualité potentielle qu'il s'agisse du développement d'armes de destruction massive et de missiles balistiques par la Corée du Nord, de la militarisation de la Chine et de ses voisins, des conflits latents en Mer de Chine, des enjeux en terme de libre accès et de libre circulation dans les espaces maritimes 54 ( * ) ...

L'Asie de l'Est est l'une des régions du monde qui a le plus réarmé depuis dix ans. Les dépenses militaires sont passées de 151 milliards de dollars en 2003 à 259 en 2012 (+ 71 %) alors que les dépenses mondiales progressaient de 34,9 %. Dans le même temps, les dépenses militaires de la zone Asie du Sud-Est progressaient de 37,2 % (de 24,2 milliards de dollars en 2003 à 33,2 en 2012). À comparer avec la progression d'une zone conflictuelle comme le Moyen-Orient (+ 57 %, de 85,4 milliards de dollars à 134 de 2003 à 2012). La Chine avec 166 milliards de dollars de dépenses militaires se classe au 2 e rang mondial, le Japon (59,3) au second et la Corée du sud (31,7) au 12 e . Les pays d'Asie se situent parmi les premiers importateurs d'armes conventionnelles (Inde 1 er rang avec 15,6 milliards de dollars sur la période 2008-2012), la Chine au 2 e rang (7,4), le Pakistan au 3 e rang (7,0), la Corée du sud (6,5) au 4 e , Singapour au 5 e (5,5) et l'Australie (5,2) au 7e.

2. Le déploiement d'une stratégie d'investissement dans la zone Asie-Pacifique

Pour les États-Unis, le maintien de la paix, de la stabilité, de la libre circulation des biens et de leur influence dans cette région dynamique dépendra en partie d'un équilibre sous-jacent de présence et de capacités militaires.

« En conséquence, indique la New Strategic Guidance , « pendant que les forces américaines continueront à la sécurité globale, nous devrons nécessairement rééquilibrer en direction de la région Asie-Pacifique. Nos relations avec nos alliés asiatiques et partenaires clés sont critiques pour la stabilité future et la croissance de la région. Nous allons renforcer nos alliances actuelles qui constituent les fondations vitales de la sécurité de la région. Nous allons aussi étendre notre réseau de coopération avec des pays émergents partenaires pour assurer nos capacités et nos compétences collectives pour sécuriser nos intérêts communs ».

La nouveauté de ce mouvement réside dans la focalisation vers l'Asie du Sud-est et dans un réinvestissement américain tous azimuts.

« La diplomatie, l'économie, l'aide au développement sont centrales dans le rééquilibrage et notre engagement à aider à construire et à garantir la stabilité et la prospérité de la région. Mais la prospérité est inséparable de la sécurité, et le département de la Défense continuera à jouer son rôle critique dans le rééquilibrage, quand bien même nous avons à faire face à un défi budgétaire » 55 ( * ) .

a) Par une diplomatie plus entreprenante

Le rééquilibrage se décline en un volet diplomatique avec l'approfondissement des alliances traditionnelles (Japon, Corée du sud, Philippines, Thaïlande) et le renforcement des relations avec les puissances émergentes en Asie du Sud-Est comme démultiplicateurs d'influence ; mais aussi avec le réinvestissement dans les instances régionales (représentation permanente auprès de l'ANASE, présence dans l'APEC) et le lancement d'initiatives politiques (soutien à la démocratie et aux droits de l'Homme) et économiques. Les États-Unis ont ainsi rejoint l'East Asia Summit 56 ( * ) et proposé, avec le Trans-Pacific Partnership , la négociation d'un nouvel accord de libre-échange tarifaire (voir infra p. 71). Comme l'observe M. Yves Boyer 57 ( * ) , cette dimension économique et commerciale est un élément clé de la stratégie du « pivot », les États-Unis redoutant que l'expansion de la sphère d'influence chinoise ne débouche sur une situation où « les entreprises américaines verraient leurs conditions d'accès aux marchés, aux produits et aux ressources naturelles contraintes par des accords commerciaux dictés par Pékin » 58 ( * ) .

Si certains États affichent une neutralité (Indonésie, Thaïlande) afin de conserver de bonnes relations avec Pékin, la demande de pays en faveur d'une implication américaine accrue, en raison principalement de l'exacerbation depuis 2010 des tensions en mer de Chine, crée une incitation supplémentaire. Sur ce sujet, les États-Unis rappellent de manière constante leur politique de non-intervention, leur attachement à la liberté de navigation et à un règlement pacifique par voie multilatérale (code de conduite ANASE/Chine).

Le département d'État finance une large part de cette politique (1,2 milliards de dollars dont 810 millions pour USAID demandés pour 2015, + 5 % par rapport à 2013). Les secteurs prioritaires sont le renforcement de la coopération régionale dans le domaine de la sécurité, la contribution à une meilleure intégration économique et commerciale, le développement de la région du Bas-Mékong, aide sur les questions transnationales comme le changement climatique, soutien à la démocratisation et au règlement des questions héritées de la guerre en Asie du Sud-est et dans le Pacifique...

b) Par une présence militaire plus importante

Les redéploiements militaires consistent en une répartition des efforts avec une diminution des forces au Moyen-Orient, après le retrait d'Irak et la perspective de retrait progressif d'Afghanistan, et en Europe, sans parler d'un retrait total.

Ce volet est sans doute le plus avancé.

Dans son discours du 1 er juin 2013 au Shangri-La Dialogue à Singapour, le secrétaire à la défense Chuck Hagel a détaillé l'ampleur de ce redéploiement 59 ( * ) .

L' US Navy , dont plus de la moitié des bâtiments se trouvent déjà basés dans cette région et l' US Air Force 60 ( * ) ont reçu comme objectif une montée à 60 % à l'horizon 2020. Elle est accompagnée d'un renfort qualitatif important avec le déploiement des équipements les plus modernes comme un plus grand nombre de destroyers et de navires de transport amphibies dans le Pacifique et le déploiement de vaisseaux rapides ( Joint High Speed Vessels 61 ( * ) ) dans la région.

Des points d'appui sont en cours de mise en place en Australie à Darwin permettant le déploiement de 2 500 Marines avec une rotation des unités présentes, avec le déploiement possible de 4 frégates Littoral Combat Ships de l' US Navy à Singapour à l'horizon 2017 et la perspective d'un accord-cadre d'accès avec les Philippines décidé lors de la récente tournée du Président Obama en Asie au printemps 2014. À cela s'ajoute la décision de renégocier les grandes lignes directrices de défense avec le Japon, qui s'est concrétisé par la récente autorisation accordée en vue de la relocalisation de la base de Futenma 62 ( * ) , et l'augmentation des forces navales, aériennes et du corps des Marines à Guam.

De même, le développement de partenariats de défense, notamment avec les Philippines, le Vietnam 63 ( * ) , Singapour ou la Malaisie, par un soutien accru en termes de formation ( International Military Education and training ), d'accès aux capacités ( Foreign Military Financing et Foreign Military Sales) ou des exercices conjoints. Le Commandement PACOM dispose d'un budget de 100 millions de dollars pour accroître la taille et les thèmes des exercices conjoints. Les États-Unis comptent renforcer la capacité de leurs alliés et partenaires par l'organisation de 130 exercices et manoeuvres. Ils planifient une augmentation de 35 % des crédits de Foreign Military Financing et de 40 % de formation et d'entrainement d'ici 2016. Il s'agit d'oeuvrer à une plus forte interopérabilité et disponibilité des forces armées des partenaires des États-Unis, mais également dans certains cas, d'engager la Chine afin d'accroître le niveau de confiance mutuelle. L'exercice annuel RIMPAC en juillet 2014 va concerner des navires de 23 pays (dont des navires chinois).

3. La subsistance d'une menace spécifique de la Corée du Nord

La Corée du Nord demeure une source constante de tension et une menace réelle depuis plus de 60 ans, pour la Corée du Sud, mais aussi pour ses alliés et notamment pour les États-Unis qui participent à la défense de ce pays en maintenant 28 500 soldats. Cette menace s'est accentuée avec le lancement d'un programme nucléaire en vue de se doter de l'arme - la Corée du Nord a réalisé plusieurs essais souterrains - doublé de la mise au point de missiles de longue portée, mais aussi avec son attitude plus agressive et la multiplication de provocations (destruction d'une corvette sud-coréenne en 2010, lancement de missiles, échanges de feu d'artillerie, découverte de trois drones rudimentaires...).

En raison de l'état d'avancement du programme nord-coréen, nombre d'observateurs considèrent aujourd'hui que le démantèlement et le retour au statu quo ante ( roll back nucléaire) sera un objectif difficile à réaliser. La limitation des exportations proliférantes au profit des pays du Moyen-Orient est aussi un objectif.

Les États-Unis diffusent un message de fermeté et essaient d'instaurer un dialogue par l'intermédiaire de la Chine mais sans beaucoup de résultats malgré l'investissement important de Pékin. L'approche diplomatique reste privilégiée mais, en cas d'agression, les États-Unis ne répondront pas par cette seule voie gardant en mémoire l'échec de l'accord de 1994, dans le cadre des pourparlers à 6, qui n'avaient pu poser les bases d'un régime de non-prolifération, ou à titre bilatéral, du « Leap day agreement » de 2012, les États-Unis restent ouverts au dialogue et ont entrepris des consultations. Une reprise est conditionnée à des gestes concrets de Pyongyang. Ils souhaiteraient pouvoir s'appuyer sur le précédent iranien et réfléchissent à la possibilité de renforcer les sanctions à l'égard de Pyongyang.

À l'inverse, l'objectif de Pyongyang reste la reconnaissance de la RPDC par les États-Unis et la conclusion d'un Traité de paix.

Le franchissement de la ligne rouge par la Corée du Nord a contribué à affaiblir la posture stratégique américaine et sa crédibilité vis-à-vis du Japon et de la Corée du Sud. Dès lors, ils ne peuvent faire l'économie d'une présence forte au Nord-est de l'Asie. L'engagement américain à défendre ses alliés amène Washington à renforcer son dispositif de défense dans et à proximité de la péninsule coréenne ainsi que sur le territoire américain par le renforcement de la défense anti-missile balistique et l'équipement des alliés en avions modernes 64 ( * ) . En visite à Séoul au printemps 2014, le Président Obama a réaffirmé la pleine assurance de la garantie de protection nucléaire vis-à-vis de la Corée du Sud. La persistance de cette menace tempère la bascule américaine vers l'Asie du Sud-Est qui était prévue dans le pivot.

4. La nécessité de préparer et d'accompagner la montée en puissance de la Chine

Depuis la fin de la Guerre froide et l'entrée de la Chine dans l'économie de marché, malgré son régime autoritaire fondé sur un parti unique, les États-Unis ont toujours été confrontés à un dilemme : coopter ou contester, voire empêcher l'ascension de la Chine.

Washington a d'abord cherché à faire de la Chine un partenaire responsable pour gérer le monde. Les gestes américains en faveur du « G2 » américano--chinois ont fait long feu en raison de la réticence chinoise, Pékin préférant mettre l'accent sur son ascension pacifique, son positionnement de pays émergent et son alignement sur le principe érigé en dogme de non-ingérence dans les affaires intérieures d'autres États.

Dans ces conditions, en prenant en considération l'inexorable montée en puissance de la Chine, y compris sur le plan militaire et avec son regain d'agressivité dans son environnement immédiat, le « pivot » officiellement destiné à donner davantage de substance aux relations avec l'ensemble des pays de la région, est désormais clairement articulé autour de la gestion de son émergence comme puissance régionale et mondiale. Au sein de ce dispositif, la Chine reste la pièce centrale, incontournable.

a) Des tensions permanentes

La Chine est devenue source d'inquiétudes avec l'accroissement de la pression autour des îlots contestés de la région et l'annonce de la mise en place d'une Zone d'Identification de Défense Aérienne (ADIZ) en novembre dernier, mais aussi de la multiplication des provocations. Plus directement à l'encontre des États-Unis, des cyberattaques de plus en plus nombreuses .ont été relevées.

(1) Les tensions en Mer de Chine

Tensions exacerbées en Mer de Chine 65 ( * )

Les Philippines et le Vietnam surtout, mais aussi Taïwan, la Malaisie et Bruneï ont des différends territoriaux maritimes avec Pékin en mer de Chine méridionale. La Chine revendique la quasi-totalité de ce carrefour de routes maritimes vitales pour le commerce mondial, et réserve potentielle de pétrole, de gaz et d'importantes ressources halieutiques. Les tensions se sont exacerbées ces dernières années alors qu'elle affirmait de plus en plus fortement ses ambitions, qu'elle justifie par des droits historiques. C'est aussi un moyen pour elle de tester le niveau des garanties de sécurités américaines.

On assiste depuis 2010 à une multiplication d'incidents : incident de Cheonan avec la Corée du Sud en 2010, affaire des Scarborough Shoal avec les Philippines en 2013, accrochages entre navires chinois et vietnamiens en 2014 : il s'agit de garde-côtes chinois et de pêcheurs (les parties n'ont pas à ce stade fait intervenir leurs Marines de guerre), mais aussi de la mise en place par la Chine de deux systèmes de forage pétrolier dans des eaux disputées.

Ces tensions se doublent de fortes rivalités avec le Japon, autour d'îlots situés en mer de Chine orientale, qui empoisonnent les relations entre les deux puissances asiatiques. Pékin a d'ailleurs mis en place une ADIZ contestée par ses voisins et notamment le Japon mais aussi par les États-Unis. Les deux plus puissantes nations asiatiques se disputent les Senkaku, à 200 km au nord-est de Taïwan et à 400 km à l'ouest d'Okinawa (sud du Japon), des îlots administrés par le Japon mais revendiqués vigoureusement par la Chine sous le nom de Diaoyu.

« Le choix le plus critique pour la région est de résoudre les différends soit par la diplomatie et l'application du droit international soit par l'intimidation et la coercition. 66 ( * ) »

La montée des tensions en Mer de Chine est vue par le département de la Défense comme une affirmation militaire de la Chine qui ressent moins le besoin de s'autolimiter. Ses dirigeants semblent confiants et en position de prendre des risques sur des questions de souveraineté. Certains d'entre eux considèrent que les deux tiers de la mer de Chine méridionale font partie, en tant que territoire national, des intérêts essentiels de la Chine.

De nombreux pays ressentent cette pression et ces pays demandent aux États-Unis d'intervenir et de les rassurer.

Les États-Unis condamnent les provocations, mais ils se sont jusqu'à présent gardés d'intervenir sur le fond de revendications territoriales des différentes parties 67 ( * ) , les enjoignant à recourir aux voies diplomatiques ou juridiques (arbitrage, recours au droit international) pour résoudre pacifiquement leur différends et éviter qu'ils ne dégénèrent 68 ( * ) . Ils insistent sur les libertés de navigation maritime et aérienne (refus de la mise en place de l'ADIZ chinoise et transit de 2 avions de l'US Air Force en réaction) et encouragent la conclusion d'accords entre pays riverains pour l'exploitation des ressources.

Ils s'interrogent à plus long terme sur les velléités de la Chine de mettre en place des systèmes de contrôle ou d'interdiction destinés à évincer les Américains de certains espaces maritimes communs ( Global Commons ) ce qui, en réaction, incite les États-Unis à développer des systèmes militaires destinés à lever ces obstacles.

(2) Les tensions autour de la cybersécurité

Les cyberattaques chinoises posent un défi à la fois à la propriété intellectuelle et à la sécurité nationale. Bien que les États-Unis ne se privent pas pour mettre la révolution technologique au service de leurs intérêts (pratiques d'espionnage supposées par la NSA de Huawei), leur multiplication et l'identification de leur origine est une source récurrente de tensions. Bien que la Chine ait décidé de suspendre le groupe de travail conjoint sur le cyberespace, les États-Unis comptent poursuivre le dialogue afin de réduire les risques de fausses interprétations et d'escalade dans ce domaine.

Ces tensions et leurs conséquences potentielles ont conduit à donner et à officialiser une dimension militaire dans le dernier document stratégique du Pentagone, la directive stratégique américaine de janvier 2012 69 ( * ) .

b) La nécessité d'un dialogue stratégique solide

Même marquée par une forte méfiance réciproque et souvent critiquée par les membres du Congrès, la relation sino-américaine demeure majeure afin de traiter les problèmes mondiaux (déséquilibres macro-économiques, changement climatique), bien que subsistent toujours des difficultés à insuffler une dynamique positive. L'administration américaine dit vouloir « accompagner » l'émergence du concurrent, dans le cadre du « nouveau modèle de relations entre grandes puissances ». Les États-Unis tentent donc de mettre en place une politique de coopération avec Pékin, qualifiée de dialogue stratégique car elles se tiennent au niveau ministériel, sur les questions globales, comme le climat, mais aussi sur des sujets d'intérêt commun comme la Corée du Nord, et dans le domaine militaire 70 ( * ) . Quatre sujets feront figure de test dans les prochains mois : la Corée du Nord, les tensions en mers de Chine, la concrétisation du rééquilibrage américain (conclusion du TPP et poursuite du déploiement militaire notamment) et la cyber-sécurité. La dernière édition de ce dialogue stratégique s'est déroulée les 9 et 10 juillet 2014 à Pékin.

En outre, les Présidents Obama et Xi-Jiping se rencontrent régulièrement (visite de XI Jiping en juin 2013) et encore récemment en marge du sommet de La Haye le 24 mars 2014, le Président Obama devrait se rendre à Pékin à l'automne 2014.

L'objectif est d'empêcher à terme les Chinois de remettre en cause le système international actuel et ses règles, en leur démontrant leur intérêt, que ce soit pour le commerce ou le droit de la mer, et la détermination américaine à les voir préservées. Il s'agit bien d'engager la Chine dans le système international .

Cette rivalité stratégique se double d'un certain nombre de différends qui continuent de peser sur la relation sino-américaine (Tibet, droits de l'Homme, Taiwan). De même, il existe d'importants différends économiques (droits de propriété intellectuelle, cours du yuan), que l'imbrication des deux économies dissuade d'aborder sur un mode trop conflictuel. La question des droits de l'Homme est, pour sa part, très peu évoquée publiquement, à commencer par le Président Obama, et les rencontres avec le Dalai Lama, certes systématiquement critiquées par Pékin, ont lieu à un rythme bi-annuel, avec annonce préalable.

c) La nécessité de maintenir des moyens de pression et d'influence

L'administration Obama se veut pragmatique, alliant coopération avec Pékin et réengagement en Asie, perçu comme un endiguement de Pékin sur les plans militaire (60 % de la flotte américaine en Asie d'ici 2020) et économique (TPP et PTCI). La poursuite par Pékin d'une trajectoire d'assertivité croissante dans un contexte d'augmentation continue du budget militaire (+ 12 % en 2014) renforce d'ailleurs la demande des pays de la région pour un engagement américain accru.

En confortant ses alliances dans la région 71 ( * ) (avec le Japon, l'Australie ou les Philippines) et en développant les coopérations avec les autres, les États-Unis souhaitent montrer à Pékin qu'une éventuelle confrontation, aurait un coût très élevé pour les deux camps. Toutefois la crédibilité de cet engagement a pu être écornée (faibles avancées du pivot, affaiblissement des États-Unis perçu par Pékin, questionnement sur la capacité américaine à tenir ses engagements de sécurité à la suite de la crise ukrainienne).

Affirmer le retour à une position déjà défendue lors de la chute du mur de Berlin et l'effondrement de l'URSS qui consiste à empêcher l'émergence de toute superpuissance rivale. (« Décourager tout défi au leadership américain, ou tentative de remettre en question l'ordre politique et économique international » ) 72 ( * ) serait exagéré, tout comme l'évocation d'une nouvelle guerre froide Le précédent est régulièrement évoqué, pour en souligner les différences : politique de " containmen t" impossible en raison des importantes interactions, économiques notamment, entre les deux rivaux, mais aussi coût nettement plus élevé aujourd'hui en cas de conflit, au regard des capacités (économiques ou militaires) développées par la Chine.

d) Des facteurs exogènes de stabilité et d'incertitude

D'un point de vue stratégique, la Chine devrait pouvoir s'accommoder de la réaffirmation de l'intérêt des États-Unis à l'Asie, et ce d'autant plus qu' entre les deux puissances, de nombreuses interdépendances se sont tissées depuis une vingtaine d'années , à commencer par les créances que la Chine détient (1 264 milliards de dollars de bons du Trésor américains en février 2013), ce qui en fait le premier créancier public des États-Unis. Et la Chine ne peut s'abstenir de financer le déficit commercial américain sans lequel elle ne peut écouler ses exportations et donc soutenir sa croissance économique et sa stabilité politique. L'interdépendance économique est telle que Chinois et Américains sont contraints à la prudence ; des deux côtés, la volonté de travailler ensemble est manifeste 73 ( * ) .

Néanmoins l'évolution de la politique de rééquilibrage américaine vers l'Asie reste conditionnée par différents paramètres dont les clés se trouvent en large partie à Pékin. L'évolution interne (lutte contre la corruption, tension du climat social, montée des questions environnementales et liées à la qualité de vie...) de la Chine pèsera considérablement sur ses choix en matière de politique extérieure . En cas de crise intérieure grave, une remise en cause de la primauté du Parti et de ses dirigeants pourrait trouver dans une exacerbation du nationalisme chinois un exutoire à ses insuffisances internes si elles étaient avérées.

Enfin, forts de leur puissance et de leur autonomie stratégique, les Chinois peuvent avoir une appréciation de nouvelle politique américaine très en deçà des espoirs qu'elle fonde à Washington. Certains en Chine défendent la thèse selon laquelle il convient de ne pas se focaliser sur la stratégie américaine de rééquilibrage vers l'Asie et de ne pas limiter les horizons de la Chine à ses frontières terrestres et maritimes ou encore à ses rivaux et partenaires traditionnels. Plutôt que de risquer le développement de la tension en cherchant à entraver les États-Unis dans leur stratégie de rééquilibrage, la Chine pourrait se tourner davantage vers l'Asie centrale et le Proche-Orient, où les occasions de coopération sont nombreuses.

Comme l'observe Yves Boyer, « on voit bien que la stratégie du « pivot » offre aux pays concernés, au premier rang desquels figurent les États-Unis et la Chine, des perspectives qui peuvent les conduiront soit à l'affrontement, soit au contraire au développement de relations harmonieuses. Mais en tout état de cause, les États-Unis n'ont plus le monopole pour déterminer l'agenda géopolitique en Asie-Pacifique 74 ( * ) ».

5. La nécessité d'établir et de conforter les relations des pays alliés ou partenaires à la périphérie de la Chine

« La force d'une nation ne dépend pas seulement de ses armées, de ses navires et de ses avions ; mais se mesure aussi par la force de ses amis et de ses alliés »

Général Georges Marshall 75 ( * )

L'engagement des États-Unis ne saurait se limiter à une relation avec la seule Chine d'abord parce qu'ils ont établis de longue date des relations approfondies, y compris dans le domaine de la défense avec le Japon, la Corée du Sud et l'Australie, ensuite parce que les pays de la région disposent d'un potentiel important de développement et de croissance, enfin parce qu'ils sont nombreux à s'inquiéter de l'affirmation de la puissance chinoise et à considérer la présence américaine comme une garantie pour la stabilité et la paix.

Dans le « New Strategic Guidance » de janvier 2012, il est indiqué que : « En travaillant étroitement avec notre réseau d'alliés et partenaires, nous continuerons à promouvoir un ordre fondé sur les règles du droit international pour assurer la sécurité sous-jacente et encourager l'avènement pacifique de nouvelles puissances, d'une économie dynamique et d'une coopération de défense constructive . » Les États-Unis s'efforcent donc de mettre en oeuvre un projet ambitieux pour renforcer les alliances et les partenariats avec tous les pays de la zone mais aussi amener ces pays à coopérer pour établir un ordre régional fondé sur les règles de droit et les grands principes du libéralisme économique et politique.

Respectant les canons de la stratégie globale, le projet recourt à toute la gamme des outils de la diplomatie, des relations économiques avec la conclusion d'accords bilatéraux de libre-échange et la négociation du Traité Trans-Pacifique, de l'aide au développement et de la coopération de défense.

Si Kurt Campbell et Brian Andrews notent que « l'engagement sécuritaire en Asie ne serait pas possible s'il n'était pas inclus dans une politique nationale plus large incluant la diplomatie, le commerce, le développement, la promotion des valeurs et les institutions multilatérales 76 ( * ) », la persistance de la menace nord-coréenne et le développement des tensions en mer de Chine (voir supra p. 60) ont singulièrement mis en avant le volet militaire obligeant les États-Unis à maintenir une présence forte en Asie du Nord-Est.

a) Des relations renforcées avec les alliés traditionnels

Pour Mme Hillary Clinton 77 ( * ) , alors secrétaire d'État, les traités d'alliances avec le Japon, la Corée du Sud, l'Australie, les Philippines et la Thaïlande sont « le point d'appui » du tournant stratégique vers l'Asie-Pacifique. Ils ont assuré la paix et la stabilité de la région depuis un demi-siècle, créant les conditions pour son essor économique. Mais les États-Unis ne peuvent se contenter de les maintenir, ils souhaitent les faire évoluer. En s'assurant du consensus politique sur leurs objectifs, de leurs capacités à répondre efficacement aux nouveaux défis et à exploiter de nouvelles opportunités, et enfin du caractère opérationnel des capacités de défense et des infrastructures de communication afin de dissuader des provocations d'acteurs étatiques et non-étatiques.

Il s'agit donc de conforter et de développer les relations, mais aussi de maintenir une présence significative sur le plan militaire. Le Quadrennial Defense Review pour 2014 emploie l'expression « robust footprint » Cet engagement est particulièrement important car il assure la crédibilité des États-Unis et limite les risques de confrontation directe, de même qu'il retient les principaux à se doter de leurs propres armes de dissuasion nucléaire alors qu'ils en auraient la capacité technique.

(1) Japon
(a) Une relation solide malgré des divergences

L'alliance avec le Japon est la pierre d'angle de la stabilité régionale. Les deux pays partagent une vision commune de la stabilité régionale avec des règles claires de la liberté de navigation à l'économie de marché et à la libre concurrence. Elle a résisté aux changements politiques intervenus dans le pays. Néanmoins, la relation peut être difficile quand elle met en jeu des intérêts commerciaux. C'est actuellement le cas dans la négociation du Traité Trans-Pacifique dont plusieurs chapitres sont bloqués par le Japon. Ou encore des réticences du Japon à suivre les États-Unis pour l'application de sanctions à la Russie à la suite de la crise en Ukraine.

Le Japon bénéficie au titre du traité de défense de la garantie des États-Unis en cas d'attaque de son territoire. À la suite des incidents en Mer de Chine (voir supra p. 60), sans se prononcer sur l'attribution de la souveraineté, les États-Unis ont souhaité rassurer le Japon en considérant que ces territoires « administrés » par le Japon entraient dans la clause de garantie du traité. De nouveaux accords ont été signés y compris sur le montant d'une contribution de 5 milliards de dollars du gouvernement japonais pour maintenir la présence des forces américaines, la relocalisation de la base de Futemna et l'extension de coopération en matière de renseignement, de surveillance, de reconnaissance et de partage d'information pour répondre aux menaces dans le cyberespace.

Les deux pays ont signé par ailleurs un accord de libre-circulation aérienne ( OpenSkies ), lancé un dialogue stratégique sur l'Asie-Pacifique et coopèrent étroitement en tant que principaux pays donateurs pour la reconstruction de l'Afghanistan. Des développements en matière de fournitures d'énergie sont attendus, les États-Unis disposant désormais de capacité d'exportation d'hydrocarbure, le Japon devant faire face à un accroissement de la demande en raison de la réduction de son programme nucléaire après la catastrophe de Fukushima.

(b) Une évolution significative du Japon sur le plan sécuritaire

Les États-Unis soutiennent le Premier ministre Shinzo Abe qui a adopté une nouvelle interprétation de l'article 9 de la Constitution pour permettre aux Forces d'autodéfense de participer à des systèmes de défense collective venant en aide à un pays allié et à prendre part à des opérations de maintien de la paix de l'ONU. Ce choix implique cependant des révisions législatives qui seront soumises au parlement.

Les États-Unis soutiennent ce projet car ils plaident pour un rôle accru du Japon dans la sécurité globale et un rééquilibrage de l'Alliance bilatérale de sécurité. L'idée est de passer à un véritable partenariat. Une coopération technique existe d'ores et déjà dans le domaine des industries d'armement, le Japon participe par exemple au programme sur le JSF 35 et au développement d'un intercepteur de défense anti-missile.

Parallèlement, le Japon a décidé une augmentation de son budget de la défense, la première depuis 10 ans.

(c) Une volonté d'impliquer davantage de Japon dans la sécurité commune

Les États-Unis souhaiteraient que le Japon et la Corée du Sud collaborent davantage. Les tendances nationalistes du Premier ministre Abe et ses positions sur l'attitude du Japon au cours de la Seconde guerre mondiale (affaire des femmes dites de « réconfort ») entravent en effet la coopération régionale.

Ils prônent une plus grande intégration et interopérabilité avec les forces américaines, mais aussi sud-coréennes, singapouriennes et australiennes. Le Japon sera également le principal point d'ancrage de l'Asian Phases Adaptative Approach américaine, système de défense anti-missile régional incluant la Corée du Sud.

(2) Corée du Sud

L'Alliance avec la Corée du Sud est solide, fondée sur la menace permanente de la Corée du nord. Les deux pays développent leurs capacités communes en conséquence. Un plan est en cours pour assurer le transfert du commandement du contrôle opérationnel en temps de guerre mais le calendrier qui prévoyait ce transfert en 2015 a été révisé. L'Armée américaine a déployé davantage de moyens de renseignement, de surveillance et de reconnaissance et maintient 28 500 soldats sur place. Un accord sur le partage du financement de l'engagement dans la défense de la péninsule est intervenu récemment.

L'alliance est devenue globale, à travers le travail commun de préparation des sommets du G20 et sur la Sécurité nucléaire et à travers l'aide au développement à Haïti et à l'Afghanistan. Un traité de libre-échange qui prévoit la suppression des droits de douane sur 95 % des produits industriels et de consommation, d'ici 5 ans, a été signé et ratifié par le Sénat des États-Unis.

(3) Australie

Avec l'Australie, l'alliance a été étendue à un partenariat global indo-Pacifique, au sein duquel sont abordés tous les sujets de la cybersécurité à l'Afghanistan, en passant par le renforcement de l'architecture de sécurité en Asie-Pacifique. 1 000 Marines sont déployés en rotation à Darwin et des exercices conjoints sont réalisés avec les troupes australiennes.

(4) Philippines

Les Philippines ont un différend territorial avec la Chine à propos de la souveraineté sur plusieurs ilots de l'archipel des Spratley. Manille a demandé l'arbitrage de la Cour internationale de La Haye.

La signature au printemps 2014 d'un nouvel accord de défense d'une durée de 10 ans renouvelable qui va permettre aux États-Unis de faire stationner temporairement des troupes et du matériel militaire constitue un élément tangible du rééquilibrage américain en Asie. En contrepartie, les États-Unis vont contribuer à la rénovation de certains sites ainsi qu'à la modernisation et à la formation de l'armée locale.

(5) Thaïlande

La Thaïlande est le plus ancien partenaire des États-Unis en Asie, mais les relations se sont refroidies depuis le coup d'État militaire de mai 2014. La législation américaine ( Foreign Assistance Act de 1961) impose en effet de suspendre toute aide à un pays dont les autorités sont arrivées au pouvoir par un coup d'État. Tout ou partie de l'aide (10 millions de dollars) attribuée à la Thaïlande par le département d'État et l'USAID sera suspendue et la coopération militaire fortement réduite.

(6) Taïwan

Les États-Unis ne reconnaissent qu' « une seule Chine » mais ont conservé des relations étroites sur le fondement des trois communiqués conjoints États-Unis-Chine et du Taiwan Relations Act de 1979 qui, depuis la reconnaissance de la République populaire de Chine, règle les relations « non-diplomatiques » entre les États-Unis et Taiwan.

Les États-Unis se sont engagés à soutenir la mise en place d'une capacité de défense autonome de Taïwan ce qui mécontente la Chine mais n'empêche pas le développement de relations plus apaisées de part et d'autre du détroit de Formose, ce dont les États-Unis se réjouissent et considèrent comme un élément positif dans ses relations avec Pékin.

b) Travailler avec de nouveaux partenaires en Asie du Sud-Est

Les États-Unis cherchent à développer des partenariats avec tous les pays de la zone. Le contexte est favorable car nombre de pays, notamment les riverains de la mer de Chine méridionale, considèrent favorablement la présence des États-Unis pour équilibrer la Chine (Vietnam par exemple) mais leur situation est complexe car, ils ne peuvent pour autant s'affranchir du développement de leurs relations, notamment économiques et commerciales, avec Pékin.

Des partenariats incluant la présence d'une base navale ont été conclus avec Singapour dont les États-Unis sont le principal fournisseur d'armement.

Avec les autres pays, l'approche reste très stratégique avec naturellement un volet économique, commercial et diplomatique plus développé que le volet militaire qui existe mais à un moindre degré.

C'est le cas, par exemple, de la Malaisie avec laquelle a été signé récemment, à l'occasion de la tournée du Président Obama en Asie, un partenariat inclusif, et avec laquelle les États-Unis évoquent régulièrement les tensions en mer de Chine et le Partenariat Trans-Pacifique.

C'est le cas également de l'Indonésie, dont les institutions démocratiques fonctionnent. Elle est un acteur économique important, membre du G20, et elle joue un rôle pour la sécurité dans l'Océan Indien et dans le détroit de Malacca. Les États-Unis ont développé des accords dans le domaine de la santé, des échanges universitaires, de la science et technologie et de la défense (entraînement des forces spéciales).

Le Myanmar (ex Birmanie) présente l'exemple d'une transition démocratique menée avec l'appui et le conseil des États-Unis avec un succès relatif (voir supra p. 49).

c) Soutenir la mise en place d'accords multilatéraux
(1) Dans le domaine économique

Il existe de multiples enceintes qui permettent d'engager le dialogue, mais la structuration de ces organisations reste faible, bien loin du degré d'intégration de l'Union européenne par exemple.

En même temps qu'ils renforcent leurs relations bilatérales, les États-Unis ont mis l'accent sur la coopération multilatérale, convaincus que la réponse aux défis complexes et transnationaux auxquels l'Asie doit faire face requiert un ensemble d'institutions capables de mettre en oeuvre des actions collectives et de fonder un ordre international effectif ; une architecture robuste et cohérente qui renforcera le système de règles et de responsabilités, de la protection de la propriété intellectuelle à la garantie de la liberté de navigation ; et qu'elle permet aux États de la région en conduisant des projets communs de réduire leurs tensions.

Les États-Unis ont établi des relations avec l'ensemble des institutions régionales, notamment l'ANASE et l'APEC.

(a) ANASE

L'ANASE a été fondée en 1967 par cinq États, principalement de l'Asie du Sud-Est maritime : Philippines, Indonésie, Malaisie, Singapour et Thaïlande rejoints par le Brunei en 1984. Le Vietnam entre en 1995, suivi du Laos, de la Birmanie (actuel Myanmar) en 1997 et du Cambodge en 1999.

Auprès de l'ANASE, les États-Unis ont ouvert une mission permanente à Djakarta. Ils ont conclu un traité d'amitié et de coopération avec cette organisation. Ils aident l'organisation à la définition de règles pour garantir l'accès et le passage en Mer de Chine et pour appliquer les règles de base du droit international pour répondre aux réclamations. Ils s'impliquent dans les forums maritimes et dans les projets de coordination des interconnexions.

(b) APEC

La Coopération économique pour l'Asie-Pacifique ( Asia-Pacific Economic Cooperation ou APEC ) est un forum économique intergouvernemental visant à faciliter la croissance économique, la coopération, les échanges et l'investissement de la région Elle se réunit chaque année et comprend 21 membres (Australie, Brunei, Canada, Corée du Sud, États-Unis, Indonésie, Japon, Malaisie, Nouvelle-Zélande, Philippines, Singapour, Thaïlande, Chine, Hong-Kong, Taipeh chinois 78 ( * ) , Mexique, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Chili, Pérou, Russie, Vietnam).

Avec l'APEC, les États-Unis conduisent des actions pour favoriser l'intégration économique et les relations commerciales.

(c) Bas Mékong

Les États-Unis se sont efforcés également de créer et de développer des coopérations « minilatérales » autour d'intérêts spécifiques comme l'initiative de développement du Bas-Mékong (éducation, santé, environnement) avec le Cambodge, le Laos, la Thaïlande et le Vietnam ou le Forum des îles du Pacifique qui traite de la question des ressources halieutiques et de la liberté de navigation.

(d) Énergie

La diplomatie énergétique va jouer un plus grand rôle dans la politique de l'énergie à mesure que les États-Unis atteindront l'autosuffisance et dégageront des capacités d'exportation (voir infra p. 143 et suivantes). D'ores et déjà, la mise à disposition de l'expertise est un outil de coopération. En novembre 2012, avec Brunei et l'Indonésie, ils ont lancé le « Partenariat global États-Unis-Asie-Pacifique pour les énergies renouvelables », doté de 6 millions de dollars financés par la Export-Import Bank 79 ( * ) et l'Overseas Private Investment Corporation 80 ( * ) afin de créer une architecture destinée à diffuser la coopération en matière énergétique et environnementale et à assurer à la région des fournitures en énergie abordables, sûres et plus propres 81 ( * ) .

(2) Le Partenariat Trans-Pacifique : la création d'une vaste zone de libre-échange

Depuis la relance des négociations par l'administration lors du sommet de l'APEC d'Honolulu en novembre 2011, les États-Unis font du partenariat Trans-Pacifique (TPP) l'une de leurs priorités et l'identifient comme le volet économique du rééquilibrage vers l'Asie-Pacifique. Son aboutissement constituerait un marqueur de la présidence Obama.

Dans le fond, le TPP participe d'une volonté américaine affirmée de nouer des accords d'association, dépassant le libre-échange, pour maintenir les États-Unis dans leur position de « faiseurs de normes » à l'échelle internationale. La concurrence des pays émergents laisse craindre aux décideurs une perte de l'influence américaine sur la mondialisation. C'est bien la remise en perspective du TPP dans le pivot et la question de la Chine qui demeurent sur le radar de l'administration. Si le TPP est d'abord présenté comme une réponse à un objectif commercial, l'administration américaine ne cache pas non plus son intention, au travers de cet accord, de tirer vers le haut les règles en matière de commerce mondial face à la Chine qui pratique du libre-échange sans condition et sans règle et ne respecte pas le droit de la propriété intellectuelle en engageant les pays de la région dans un partenariat d'échanges régulés.

L'ouverture en parallèle du PTCI se comprend aussi en ce sens (voir infra p. 96).

Ce projet de zone de libre-échange regroupe à ce stade douze États 82 ( * ) , soit 40 % du PIB mondial, et pourrait à terme être ouvert à d'autres pays (Thaïlande, Indonésie).

Le Trans-Pacific Partnership (TPP), plus formellement appelé Trans-Pacific Strategic Economic Partnership Agreement est un traité multilatéral de libre-échange qui vise à intégrer les économies de la région Asie - Pacifique . Les négociations ont démarré en 2002 entre Singapour, le Chili et la Nouvelle-Zélande, lors du sommet de l'APEC de Los Cobos. Après la conclusion d'un accord entre ces trois pays en 2005, auxquels s'est adjoint Brunei, le partenariat qui en est né est devenu la base pour un véritable TPP et les États-Unis ont rejoint les négociations en 2008, imités par l'Australie, la Malaisie, le Pérou et le Vietnam en 2010. En 2011, le Canada, le Japon et le Mexique rejoignent la table des négociations, lesquelles ont été de fait relancées.

En dépit de l'appartenance de toutes les parties à l'APEC, le TPP n'en est pas une initiative propre. Néanmoins, il pourra servir de modèle pour le projet de Free trade area of the Asia-Pacific (FTAAP), qu'elle a lancé 83 ( * ) . La Corée du Sud a exprimé son intérêt à rejoindre le processus, de même que Taiwan et les Philippines. La Chine s'y intéresse de près. Étant l'économie la plus importante, les États-Unis sont considérés comme les meneurs des négociations.

Les objectifs du traité de 2005 étaient d'éliminer 90 % des barrières douanières entre les pays membres à partir du 1 er janvier 2006 et d'atteindre en 2015 des droits de douane égaux à zéro.

Les objectifs actuels du traité sont de :

- forger des liens économiques plus forts entre les économies de la région Asie-Pacifique, basés sur des valeurs communes,

- se substituer aux accords de partenariat bilatéraux,

- mettre en place des règles sur les droits de propriété intellectuelle, le rôle de l'État dans l'entreprise.

Il aura trait aux secteurs suivants 84 ( * ) : l'ouverture des marchés, les barrières non-tarifaires au commerce, les mesures sanitaires et phytosanitaires, la coopération douanière, l'investissement, les services, les mesures de non-conformité, les services financiers, les télécommunications, le e-commerce, la mobilité des entrepreneurs, la concurrence, la propriété intellectuelle, le travail et l'environnement.

Selon le think tank Peterson Institute for International Economics , il pourrait créer des emplois et générer 123,5 milliards de dollars par an en exportations américaines en 2025. Une zone de libre-échange de 2 000 milliards de dollars pourrait stimuler l'emploi aux États-Unis

L'élargissement des négociations, au prix de concessions parfois importantes 85 ( * ) , a été perçu comme un succès pour les États-Unis, mais la dynamique semble s'être essoufflée depuis, la dernière réunion ministérielle à Singapour n'ayant pu permettre la conclusion des négociations comme ils l'espéraient.

L'administration américaine fait actuellement face à deux difficultés : les discussions achoppent d'abord avec le Japon 86 ( * ) ; ensuite, elle doit faire face à la réticence démocrate au Congrès pour le vote d'une Trade promotion authority , dans un contexte pré-électoral 87 ( * ) et à une montée des oppositions dans la société civile notamment en raison de l'absence de transparence des négociations.

Les États-Unis pourraient se retrouver dans une situation délicate s'ils parvenaient à conclure la négociation, pour constater ensuite que l'accord n'est pas acceptable par le Congrès. Cela constituerait un échec sévère pour sa stratégie de rééquilibrage vers l'Asie, qui peine déjà à produire ses effets.

(3) Dans le domaine de la sécurité
(a) OTASE

L'OTASE a été créée en 1954, à l'initiative des États-Unis, dans le contexte de la guerre froide dans le cadre du pacte de défense collective de l'Asie du Sud-Est comme l'une des dimensions de la politique de containment face au développement du communisme en Asie du Sud suite à la guerre d'Indochine. Organisation à vocation défensive, s'inspirant largement du modèle de l'OTAN, elle s'est avérée moins puissante étant donné la faiblesse militaire de certains pays membres et la dispersion géographique de l'ensemble des éléments de l'Alliance. Son impact géopolitique de l'OTASE fut assez faible. Elle se garda d'intervenir dans la guerre du Vietnam - le poids militaire de cette dernière incombant dans l'immense majorité aux seuls Américains - et fut dissoute en 1977.

(b) ADMM+

La conférence élargie des ministres de la Défense de l'ANASE (ADMM+) réunit les ministres de la Défense et les hauts officiels militaires des 10 pays membres de l'Association des Nations d'Asie du Sud-Est (ANASE), ainsi que des huit pays partenaires (Australie, Chine, Inde, Japon, Nouvelle-Zélande, Russie, Corée du Sud et États-Unis).

L'idée d'une architecture multilatérale de sécurité, composée de groupes comme l'ANASE et d'acteurs régionaux collaborant sur des sujets de l'assistance humanitaire, à la sécurité maritime en passant par le contre-terrorisme, est en train d'émerger pour aider à gérer les tensions et prévenir les conflits . Le chemin sera long et procède par de petites avancées susceptibles de créer des habitudes de travail et de la confiance. Des actions communes comme celles menées après le passage du typhon Haiyan ou la recherche de l'avion de Malaysian Airlines Vol 370 montrent que les pays sont prêts à fournir une assistance en cas de catastrophe. Les États-Unis encouragent ces initiatives notamment celles qui tendent à les pérenniser, à les professionnaliser (exercices communs, mise en en place de structure de commandes et de pilotage...). Elles préludent à une coopération étendue à d'autres domaines et à la mise en place d'une architecture régionale de sécurité robuste.

d) L'extension de cette politique dans l'Océan indien

Dans l'avenir, la réaffirmation du rééquilibrage selon un axe indopacifique englobant l'Inde représente un des principaux défis afin d'ancrer durablement la présence américaine dans la région . L'Inde est en effet le seul pays à même de constituer un contrepoids à la Chine. L'incapacité de Delhi à dépasser son environnement régional, couplée à la difficulté américaine de mettre en place un partenariat stratégique substantiel, rendent encore difficile pour l'heure un mouvement de balancier vers l'Océan indien.

Des accords, notamment sur le nucléaire civil, avaient consolidé sous le mandat de George W. Bush un partenariat stratégique, mais le maintien de l'autonomie stratégique et le refus des alliances militaires, paradigmes de la politique étrangère indienne, l'ont emporté sur la dynamique de ce partenariat, d'autant que l'accord sur le nucléaire civil ne s'est pas matérialisé.

La relation est également envenimée par la difficulté pour les États-Unis d'apporter une réponse adaptée aux demandes de soutien de l''Inde contre les agissements de son voisin pakistanais.

L'arrivée d'un gouvernement plus pragmatique avec la victoire du BJP aux élections législatives est susceptible d'apporter quelques ouvertures. Les États-Unis espèrent des progrès dans le domaine de la défense avec un accroissement des exercices conjoints et la finalisation de commandes en cours, mais aussi un assouplissement des règles permettant l'implantation d'entreprises américaines.

Les États-Unis appuient aussi le renforcement des relations entre l'Inde et le Japon. Le retrait d'Afghanistan est une source d'inquiétude pour les Indiens.

e) Ancrer ces relations dans le long terme

À court terme, une politique chinoise peu coopérative joue en faveur du maintien de la présence américaine. Elle n'est pas menacée par les problèmes budgétaires : le Président et le secrétaire à la défense se sont engagés à sanctuariser les crédits soutenant l'engagement américain dans la région.

Mais, à long terme, les coûts de ce maintien iront croissant. Les interdépendances économiques bénéficieront à Pékin, tandis que les garanties militaires américaines risquent d'être considérées comme moins crédibles.

Deux voies s'offrent aux États-Unis pour réduire les coûts de leur maintien en Asie : encourager la coopération, voire des formes d'intégration militaire régionale, en priorité avec le Japon, la Corée du sud et l'Australie et mettre en place un meilleur partage du fardeau sous leur leadership. « Nous travaillons aussi à améliorer les capacités de nos partenaires à assurer leur propre sécurité et la sécurité de la région. L'objectif ultime des États-Unis dans la région est d'encourager les alliés à travailler ensemble pour définir une nouvelle génération de programmes. Avec nos partenaires les plus proches et les plus capables, nous travaillons déjà à développer ensemble et à déployer des technologies de pointe pour relever les nouveaux défis de sécurité » 88 ( * ) . Il s'agit de faire des alliés de producteur de sécurité.

Mais dans le même temps, les États-Unis devront montrer à Pékin leur détermination à contrôler leurs alliés et à ne pas favoriser l'émergence de nouveaux pôles de puissance en Asie. Ils continueront donc d'explorer la seule voie complémentaire qui s'offre à eux pour maintenir leur rang en Asie, celle d'une coopération, d'une forme de « détente » avec la Chine .

6. Un élan de long terme dont la mise en oeuvre est complexe

Confirmé comme priorité de la Quadrennial Defense Review , le « rééquilibrage » en direction de l'Asie devrait se poursuivre, sur le principe, même si ce mouvement pensé sur le long terme se heurte à plusieurs défis . Outre la question des moyens alloués à cette politique, les provocations nord-coréennes ou le durcissement de Pékin à l'égard des différends en mer de Chine orientale (ADIZ) ne peuvent que tempérer le réinvestissement américain initial en faveur de l'Asie du Sud-est. De même, l'instabilité persistante du Moyen-Orient (Syrie, PPPO, Iran) ou la crise ukrainienne, qui requièrent l'engagement, voire un effort de réengagement des États-Unis, y compris en Europe, risquent de compromettre cette bascule. Enfin, à l'épreuve des faits, le rééquilibrage a pu être relativisé. Une vision stratégique cohérente fait défaut, bien que les concepts de Joint Operational Access et d' Air Sea Battle façonnent le volet militaire. Les initiatives américaines demeurent symboliques, en témoigne l'aspect principalement déclaratoire des visites américaines ou la lenteur du redéploiement américain 89 ( * ) .

Si les deux défis recensés à la fin du premier mandat demeurent valables (poursuite du rééquilibrage et relation États-Unis/Chine), la crédibilité et la possibilité même de ce rééquilibrage sont aujourd'hui mises en doute et questionnent des alliés asiatiques sur la capacité américaine à tenir ses engagements de sécurité . L'enjeu pour l'administration (qui a été au coeur de la tournée asiatique du Président en avril) est donc de dissiper ces interrogations et rassurer ses alliés, lorsque, dans le même temps, la Chine poursuit son affirmation, pas seulement en Asie, mais aussi dans une sorte de réponse au pivot, dans d'autres régions (Amérique latine, Afrique). À cet égard, outre les nouvelles concrétisations du rééquilibrage qui en sont la caution principale, le choix du positionnement américain à adopter face à la montée en puissance chinoise (un mélange d'« endigagement ») sera décisif au moment où une puissance établie rencontre une puissance qui émerge. Il s'agit d'une voie étroite entre endiguement et coopération avec la Chine, un chemin difficile qui repose sur la capacité des États-Unis à :

- d'une part, contrôler ses alliés et partenaires en leur donnant des assurances sans apparaître pour autant comme le promoteur de l'endiguement de la Chine, et,

- d'autre part, accompagner la Chine dans une relation fondée sur le droit et non sur la force tout en réassurant les alliés et partenaires.

Le rééquilibrage amorcé par la présidence Obama est pensé comme un élan et une direction pour les années à venir et non comme une politique de court terme. Il n'est pas antinomique avec l'investissement sur les autres dossiers même s'il en oriente les finalit és : apaiser les tensions et appeler les pays les plus directement concernés à prendre des responsabilités dans la stabilité de leur région ou de sa périphérie... afin de dégager des marges de manoeuvre et des moyens pour permettre le rééquilibrage.


* 48 Hillary Clinton, « America's Pacific Century » Foreign Policy, Octobre 2011 : http://www.foreignpolicy.com/articles/2011/10/11/americas_pacific_century

* 49 Kurt Campbell et Brian Andrews « Explaining the US Pivot to Asia » Chatham House, Août 2013 -http://www.chathamhouse.org/sites/files/chathamhouse/public/Research/Americas/0813pp_pivottoasia.pdf

* 50 Mais des experts occidentaux se disent convaincus que les dépenses militaires réelles de Pékin dépassent très largement les montants annoncés. Le Pentagone a ainsi estimé que la Chine avait dépensé en 2012 pour sa défense entre 98 et 156 milliards d'euros . Le Monde, 5 mars 2014 http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2014/03/05/la-hausse-des-depenses-militaires-en-chine-preoccupe-le-japon_4377652_3216.html#

* 51 Le SIPRI Yearbook pour 2013 indique en outre que la Chine a franchi des bornes technologiques importantes avec le lancement opérationnel de son premier porte-avions et les essais d'un second prototype d'avions de combat furtif.

* 52 SIPRI Yearbook 2013 p 248 à 261.

* 53 Tom Donilon (conseiller pour les affaires de sécurité du Président), « America is back in the Pacific and will uphold the rules », Financial Times, 27 novembre 2011 : « Les États-Unis ont intérêt à favoriser la définition des règles prévalant dans la région Asie- Pacifique, de telle sorte que les lois et normes internationales soient respectées, que la liberté de commerce et de navigation ne soit pas entravée, que les puissances émergentes établissent des liens de confiance avec leurs voisins et que les désaccords soient réglés pacifiquement.»

* 54 De ce point de vue, la stratégie du « pivot » déborde sur l'océan Indien, où transitent près de 50 % du trafic des containers et 70 % du pétrole transporté par voie maritime.

* 55 Chuck Hagel, secrétaire à la Défense - Discours au Shangri-La Hotel Dialogue 31 mai 2014 http://www.defense.gov/Speeches/Speech.aspx?SpeechID=1857

* 56 Les Sommets de l'Asie orientale ( East Asia Summit (EAS)) sont des réunions pan-asiatiques qui se tiennent chaque année entre les dirigeants de seize pays de l'Asie orientale (ANASE + Chine, Inde, Japon, Corée du sud) et de la région proche (Inde, Australie, Nouvelle-Zélande) mais aussi Russie, États-Unis et Union européenne, L'ANASE joue un rôle de leadership dans cette instance. http://www.asean.org/asean/external-relations/east-asia-summit-eas

* 57 Comme le note Yves Boyer, directeur-adjoint à la Fondation pour l a Recherche Stratégique « La stratégie de rééquilibrage des États-Unis vers l'Asie-Pacifique et la Chine » (juin 2013) : « Autrement dit, et cela a toujours représenté une composante de la politique extérieure des États-Unis, les revendications commerciales sont adossées à des avantages comparatifs, notamment dans le domaine de la puissance militaire. On se souvient à cet égard que l'envoi par le président Theodore Roosevelt de la « Great White Fleet » entre 1907 et 1908 s'était accompagné de pressions « amicales » sur Tokyo débouchant notamment sur des nouveaux accords favorables aux intérêts américains sans préjudices pour le Japon (accords Root-Takahira) ».

* 58 Aaron Friedberg Bucking Beijing, An Alternative U.S. China Policy'', Foreign Affairs, septembre-octobre 2012.

* 59 http://www.defense.gov/transcripts/transcript.aspx?transcriptid=5251

* 60 Y compris des capacités espace et cyber.

* 61 http://ipv6.navy.mil/navydata/fact_display.asp?cid=4200&tid=1400&ct=4

* 62 9 000 des 19 000 marines stationnés à Okinawa partiront d'ici 2020 et 2025 (4 000 d'entre eux seraient redéployés à Guam).

* 63 Aide américaine de 18 millions de dollars annoncée par John Kerry, visant à équiper cinq patrouilleurs que les États-Unis prévoient de livrer aux garde-côtes vietnamiens. http://www.asie21.com/asie/index.php/asie/692-chine-asie-du-sud-est-etats-unis-renforcement-de-l-aide-militaire-americaine-a-l-asie-du-sud-est-daniel-h-c-schaeffer-asie21-janvier-2014

* 64 Fourniture du Global Hawk et déclaration d'intention d'acquisition d'avions F35 par la Corée du Sud (États-Unis, Japon et Australie seront dotés de ces mêmes appareils tactiques de 5 e génération). Déploiement de 2 nouveaux navires anti-missile et construction d'un second radar de défense anti-missile au Japon.

* 65 Le Monde, 23 juin 2014 - Brice Pedroletti « Pékin impose ses conditions en mer de Chine ».

* 66 Chuck Hagel, secrétaire à la Défense - Discours au Shangri-La Hotel Dialogue 31 mai 2014 http://www.defense.gov/Speeches/Speech.aspx?SpeechID=1857

* 67 Ils ont néanmoins considéré d'une certaine façon qu'à défaut le statu quo ante devait être respecté (reconnaissance de l'administration des îles par le Japon et réaffirmation de l'inclusion des Senkaku/Daoyu dans les territoires couverts par l'article 5 du traité américano-japonais.

* 68 Soutien la rédaction du code de gestion des incidents en mer entre 21 pays, négociation vaine à ce jour, d'un Code de conduite en Mer de Chine méridionale entre l'ANASE et la Chine...

* 69 DoD Sustaining US Global Leadership : Priorities for a Century Defense, janvier 2012.

* 70 Le premier objectif est d'engager un dialogue, de développer les échanges y compris pour la première fois des participations à des exercices militaires conjoints dans des domaines d'intérêt communs (lutte contre la piraterie maritime, secours en cas de catastrophe naturelle...) et d'instaurer des mesures de confiance afin d'éviter que des incidents ne dégénèrent. Les rencontres du secrétaire à la Défense et du Chairman of the Joint Chiefs of Staff et de leurs homologues y contribuent.

* 71 La tournée asiatique du président Obama en avril 2014 a soigneusement évité la Chine mais en en faisant l'un des axes principaux, l'objectif était de rassurer et réaffirmer l'assise américaine dans la région (signature d'un accord de défense avec les Philippines), ainsi que ses engagements de sécurité à l'égard des alliés (principalement le Japon face au différend territorial Sekaku/Diaoyu et la République de Corée face à Pyongyang).

* 72 Position défendue par le « Defense Planning Guidance » de 1992 préparé par les équipes de Dick Cheney alors secrétaire à la défense sous Bush père.

* 73 L'entretien Obama-Xi Jiping de juin 2013 a duré 8 heures.

* 74 Yves Boyer, directeur adjoint à la Fondation pour l a Recherche Stratégique « La stratégie de rééquilibrage des États-Unis vers l'Asie-Pacifique et la Chine » (juin 2013).

* 75 Cité par Chuck Hagel en conclusion de son intervention au Shangri-La Hotel Dialogue le 31 mai 2014, http://www.defense.gov/Speeches/Speech.aspx?SpeechID=1857

* 76 Kurt Campbell et Brian Andrews « Explaining the US Pivot to Asia » Chatham House, Août 2013 http://www.chathamhouse.org/sites/files/chathamhouse/public/Research/Americas/0813pp_pivottoasia.pdf

* 77 Hillary Clinton, « America's Pacific Century » Foreign Policy Octobre 2011 : http://www.foreignpolicy.com/articles/2011/10/11/americas_pacific_century

* 78 Dénomination de Taïwan lorsqu'elle participe à des organisations internationales en raison de la non-reconnaissance de cet État par la république populaire de Chine. Il s'agit d'un compromis.

* 79 L'Eximbank ou Exim Bank est une agence de crédit aux exportations américaines. Son objectif est de soutenir et d'encourager les exportations de produits américains vers les différents marchés mondiaux.

* 80 Agence fédérale de financement des actions de développement à l'étranger.

* 81 Kurt Campbell et Brian Andrews (The asia Group) - Explaining the US »Pivot» to Asia - Chatham House - Août 2013.

* 82 Brunei, Chili, Nouvelle-Zélande, Singapour, Australie, Malaisie, Pérou, Vietnam, États-Unis, Mexique, Canada, Japon.

* 83 Il s'agit des Objectifs de Bogor, énoncés en conclusion du sommet APEC de Bogor en Indonésie en 1994. Ils prévoyaient un commerce libre et ouvert en 2010 entre les pays industrialisés du pourtour Pacifique et en 2020 pour les pays en développement.

* 84 http://www.miti.gov.my/cms/content.jsp?id=com.tms.cms.article.Article_c17992ed-c0a81573-13a4bd3d-ba9c4b0b

* 85 Pour le Japon : assouplissement sur l'embargo du boeuf américain, délai pour la réduction des tarifs américains sur les voitures japonaises.

* 86 Avec le Japon, les discussions achoppent sur les sujets agricoles et automobiles. Alors que les États-Unis auraient accepté que le Japon maintienne ses droits de douanes sur le riz et le blé et obtenu du Japon une ouverture du quota d'importation de riz américain, la récente tournée asiatique du président Obama n'a pas réussi à aplanir les dernières divergences. La conclusion d'un accord de libre-échange entre l'Australie et le Japon, le 7 avril, n'a pas eu d'effet sur les positions américaines vis-à-vis du Japon tant son contenu est jugé « peu ambitieux » en matière d'accès au marché agricole japonais par les milieux d'affaires américains. À l'issue de la visite à Tokyo du président Obama, les dirigeants américains et japonais ont ainsi reconnu avoir échoué à boucler un accord sur les enjeux commerciaux. Si les négociations doivent toutefois se poursuivre, certains aux États-Unis (associations professionnelles, membres du Congrès), encore minoritaires, réclament la poursuite de la négociation sans celui-ci.

* 87 Soutenu de façon générale par les Républicains (mais dont l'aversion à soutenir un projet porté par le président Obama se fait de plus en plus forte), le TPP se heurte au camp démocrate qui critique le laxisme supposé de l'administration. L'aile progressiste des démocrates fustige en particulier un projet d'accord qui serait destructeur d'emplois et dont les mesures en matière sociale et environnementale seraient insuffisamment protectrices. À ces craintes, s'ajoutent des critiques portant sur les demandes américaines en matière de protection des médicaments qui freineraient l'accès aux médicaments des populations les plus pauvres et l'absence de dispositions robustes sur la manipulation des monnaies. Outre ces critiques sur le fond, beaucoup de voix s'élèvent contre l'absence de transparence et les modalités de consultation du Congrès, contribuant à un mécontentement général expliquant le refus de voter la TPA. Or, l'absence de TPA pèse aussi sur le calendrier du TPP : les partenaires commerciaux des États-Unis ne peuvent que rechigner à offrir aux États-Unis leurs meilleures concessions commerciales.

* 88 Chuck Hagel, secrétaire à la défense lors du Shangri-La Hôtel Dialogue Singapour 1 er juin 2013 http://www.defense.gov/transcripts/transcript.aspx?transcriptid=5251

* 89 Positionnement de 1 200, à terme 2 500 marines à Darwin ; présence de 101 sur 186 bâtiments majeurs en juillet 2012 ; coopération avec la Chine en demi-teinte malgré le sommet de Californie de juin 2013.

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