ANNEXES : COMPTES RENDUS DES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

(Mercredi 28 mars 2012)

Audition de M. Patrick Besse, directeur de l'IEDOM-IEOM, et de M. Fabrice Lenglart, directeur des statistiques démographiques et sociales à l'INSEE

M. Serge Larcher, président

La question de la vie chère que nous abordons cet après-midi se trouve malheureusement à nouveau sur le devant de la scène dans les outre-mer. Tout récemment, elle a surgi à Mayotte et a réalimenté l'actualité réunionnaise, antillaise et guyanaise. Elle n'oublie pas non plus les autres collectivités ultramarines comme Saint-Pierre-et-Miquelon, la Polynésie française ou la Nouvelle-Calédonie. Il nous a paru essentiel que le Sénat, représentant des collectivités territoriales, s'en saisisse pour présenter des propositions. Je rappelle qu'en 2009 nous avions déjà formulé cent propositions, dont toutes n'ont hélas pas été suivies d'effet et qu'il y a lieu d'affiner. À l'époque, le champ d'étude de nos travaux était circonscrit aux départements d'outre-mer. Notre mission actuelle s'étend désormais à l'ensemble des outre-mer.

Nous souhaitons la bienvenue à Patrick Besse, directeur de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer et de l'Institut d'émission d'outre-mer (IEDOM-IEOM), ainsi qu'à Fabrice Lenglart, directeur des statistiques démographiques et sociales à l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Ils inaugurent notre cycle d'auditions par une présentation de la situation économique actuelle des outre-mer au regard de la vie chère.

M. Patrick Besse, directeur de l'IEDOM-IEOM

L'objet de mon intervention est de brosser le panorama de la conjoncture outre-mer. Fabrice Lenglart proposera, quant à lui, une analyse de la situation des prix et de l'emploi.

L'activité économique ultra-marine connaît des évolutions très contrastées : si la plupart des territoires se trouvent en difficulté, quelques-uns laissent apparaître une situation plutôt positive. Comme vous l'indiquera Fabrice Lenglart, la hausse des prix est généralement contenue mais l'emploi se caractérise depuis trois ans par une dégradation qui persiste, bien que le rythme de la hausse du chômage s'atténue depuis environ un an.

L'indicateur du climat des affaires, qui se fonde sur des enquêtes de conjoncture trimestrielles auprès des chefs d'entreprise, nous renseigne, lorsque nous le confrontons à l'évolution du PIB annuel calculé par l'INSEE, sur l'évolution passée, présente et à venir de l'activité. Nous ne disposons malheureusement pas de données récentes sur le climat des affaires à Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, notamment parce que l'échantillonnage ne le permet pas.

De façon générale, sur la période 2001-2011, l'indicateur du climat des affaires révèle des variations très fortes des niveaux d'activité d'un département ou d'une collectivité à l'autre jusqu'à l'année 2005. Ces variations sont suivies d'un rapprochement fort et plutôt positif jusqu'à la fin de l'année 2007, au moment où débute la crise financière. Les années 2007 et 2008 sont marquées par un effondrement violent. L'IEDOM considère toutefois que l'impact de la crise financière, bien que réel, demeure très limité dans les départements d'outre-mer et qu'il apparaît un peu plus prégnant dans les territoires ultra-marins du Pacifique. De fait, il y a des crises plurielles qui ont affecté, selon le cas, soit les Antilles, soit La Réunion, et, plus récemment, Mayotte. La reprise qui s'est fait jour depuis 2009 n'a pas permis un retour de l'activité au niveau de la période antérieure. Depuis la deuxième moitié de l'année 2011, l'on observe à nouveau des évolutions divergentes de l'activité selon la zone géographique considérée.

La Guadeloupe présente une situation plutôt favorable jusqu'à 2008-2009, si l'on excepte la fin de l'année 2004 pendant laquelle l'activité a subi les conséquences de la grève du port de Jarry. Le mouvement social de l'année 2009 a très fortement marqué l'économie guadeloupéenne dont l'activité a brutalement chuté. Cette dégradation est suivie d'une tendance positive marquée par une reprise lente qui repose sur la consommation des ménages et le secteur du tourisme. L'activité est bien orientée et soutenue par les banques : la croissance de l'encours des crédits bancaires a été de + 7 % en 2011. Cependant, les secteurs du bâtiment et des travaux publics (BTP) et de l'agriculture souffrent quelque peu et la confiance manque encore aux investisseurs. La situation de l'emploi demeure préoccupante, les entreprises guadeloupéennes ayant réalisé des efforts de rigueur dont elles recueillent les fruits aujourd'hui. L'IDEOM estime que l'amélioration générale de la conjoncture devrait se poursuivre en 2012.

La Martinique, où le climat des affaires se situe toujours en-deçà de sa moyenne de longue période, présente une situation moins favorable. La crise sociale, qui a mis un terme à la tendance positive qui prévalait jusqu'en 2008, n'a pas été suivie d'une véritable reprise. La croissance demeure modeste et peu créatrice d'emploi. Cette différence avec la Guadeloupe s'explique par la structure des entreprises martiniquaises, notamment dans le secteur de l'hôtellerie, qui n'ont pas su réaliser les ajustements nécessaires. Bien que la consommation des ménages se maintienne, les niveaux globaux d'investissement, qui correspondent à des investissements de renouvellement et non pas de création, demeurent faibles. Les difficultés sectorielles concernent l'agriculture. Le BTP et le commerce se maintiennent tandis que le tourisme connaît une faible reprise. La croissance des encours bancaires, de l'ordre de 1,6 %, est beaucoup plus faible qu'en Guadeloupe, ce qui montre que l'activité peine à repartir. Nous demeurons circonspects sur les perspectives de reprise.

En Guyane, le bilan apparaît assez mitigé jusqu'en 2005. Cette période est suivie d'une très forte croissance de l'activité jusqu'en 2008. La chute de l'activité guyanaise a ensuite été beaucoup moins forte que celle de ses consoeurs et la reprise beaucoup plus rapide. Depuis lors, l'amélioration du climat des affaires se poursuit. Le territoire se caractérise par un fort dynamisme, lié essentiellement à l'évolution démographique. L'immigration est forte, ce qui entraîne une hausse de la consommation et des besoins de logements profitant au secteur du BTP, autant de moteurs de croissance à côté du dynamisme du secteur spatial. La croissance des crédits aux entreprises a été de près de 7,5 %, celle des crédits à l'habitat de près de 11 %. Les perspectives offertes par les ressources minières et pétrolières en font un territoire attractif. Les entreprises antillaises viennent d'ailleurs investir en Guyane, délaissant la Martinique et la Guadeloupe.

À Saint-Pierre-et-Miquelon, la reprise marque le pas. En 2011, les secteurs de la pêche et du tourisme demeurent en retrait, contrairement à celui du BTP qui est porté depuis quelques années par l'investissement public (l'hôpital, la centrale d'EDF). La hausse des prix est bien supérieure à celle des autres départements et collectivités, même s'il faut la relativiser car l'indicateur des prix local n'a pas la même valeur que celui de l'INSEE. Cette hausse soutenue s'explique par l'augmentation des prix de l'énergie dans un territoire qui nécessite de se chauffer une plus grande partie de l'année et par le cours du change entre le dollar canadien et l'euro. L'emploi connaît des variations marquées du fait de l'importance des activités saisonnières. Entre 2007 et 2011, l'on observe un resserrement entre le nombre de demandeurs et le nombre d'offres d'emploi en raison du maintien de l'activité dans le secteur du BTP.

La Réunion se caractérisait jusqu'en 2007 par une tendance positive très forte qui s'expliquait par les grands travaux (route de Tamarin, basculement des eaux). La chute d'activité, intervenue dès avant la crise financière, a été d'autant plus importante qu'elle était concomitante de la fin des grands travaux et de changements de municipalités ne reconduisant pas certains chantiers. Après une lente reprise de l'activité, l'économie réunionnaise connaît une nouvelle dégradation depuis le deuxième trimestre de l'année 2011. La confiance fait défaut chez les chefs d'entreprise et dans la population. L'incertitude et la prudence affectent l'investissement. Pour autant, la consommation demeure bien orientée. Les secteurs de l'agriculture, de l'agro-industrie et du tourisme continuent à se porter correctement. Celui du BTP survit grâce à la reprise du logement social, où les besoins sont importants, mais à un niveau bien inférieur à son niveau antérieur à 2007. Les services et le commerce sont en perte de vitesse. En témoigne l'encours des crédits qui n'a augmenté que de 2,3 %, avec une stabilisation des risques. Le chômage augmente également pour atteindre le taux le plus élevé de l'ensemble des outre-mer. Les perspectives apparaissent mitigées pour les mois qui viennent.

Mayotte ne se trouve pas en meilleure situation. Jusqu'en 2008, l'activité a été assez forte, tirée par les transferts de l'État et par une commande publique relativement importante. La reprise consécutive à la chute de 2008 a été suivie d'une rechute violente en 2011 avec, en fin d'année, un long conflit social qui a paralysé l'activité économique pendant au moins deux mois. Si la consommation demeure le moteur de ce nouveau département français, l'investissement est mal orienté. La croissance des encours de crédit a été de 6,6 % mais elle s'accompagne de la dégradation des risques bancaires. Les hausses de prix ont été fortes même si les accords intervenus à la fin de l'année 2011 ont permis un retournement de tendance, en particulier pour les produits alimentaires. Depuis 2011, l'emploi est en forte dégradation. Dans ces conditions, les perspectives d'une véritable reprise à court terme apparaissent peu probables.

La Nouvelle-Calédonie se porte plutôt bien. L'activité y étant fortement liée au nickel, il existe une corrélation entre les évolutions du PIB et le cours de cette matière première. La chute de confiance qui a eu lieu fin 2011 s'explique par la perspective de l'achèvement des chantiers de l'usine du Nord dans le secteur du BTP. L'investissement s'essouffle. Cependant, malgré des prix légèrement supérieurs aux prix hexagonaux et dont la croissance atteint 2,6 %, la consommation des ménages reste soutenue. Le secteur du nickel, tiré par la demande des pays émergents, et celui du tourisme se portent bien. La croissance des encours bancaires est de l'ordre de 7 %. La montée en puissance des différentes usines devrait générer un flux positif dans les mois qui viennent.

La Polynésie française vit une période difficile depuis plusieurs années malgré plusieurs sursauts en 2006 et 2007. Elle ne se relève pas de la crise dans laquelle elle est entrée dès la fin 2006. La morosité économique persiste, avec une consommation des ménages atone et un investissement des entreprises quasi-inexistant. La dégradation touche tous les secteurs. La progression des encours de crédit est de 0,8 %. Les risques bancaires apparaissent en forte hausse, le taux d'impayés auprès des banques se montant à 12 %. Les perspectives de croissance font défaut. Les difficultés budgétaires du territoire ne permettent pas de réaliser une relance par l'intermédiaire de la commande publique. Les prix, qui sont pourtant administrés, ont crû de 1,8 %, affichant donc une hausse inférieure à celle des prix hexagonaux. L'emploi poursuit sa chute malgré une très légère reprise en 2011.

Enfin, à Wallis-et-Futuna, après une période difficile, l'activité est bien orientée et relativement dynamique depuis deux ans grâce à la commande publique alimentée par des fonds européens. Le secteur du BTP se porte plutôt bien. La hausse des prix y est légèrement plus forte qu'ailleurs, du fait de l'augmentation des prix de l'énergie.

M. Éric Doligé, co-rapporteur

L'on observe effectivement de grandes variations selon les territoires, dont certains sont marqués par des indices positifs et d'autres par des indices négatifs. Si tout à l'air d'aller bien en Guyane, c'est parce qu'il y a une forte progression de la population, ce qui favorise la consommation. Gardons néanmoins à l'esprit que les indices peuvent cacher les réalités de la vie quotidienne des citoyens. En d'autres termes, les progressions statistiques ne sont pas contradictoires avec les mouvements contre la vie chère.

M. Jean-Étienne Antoinette

Selon une analyse communément admise, il existe une déconnexion entre, d'une part, la crise économique et financière en France et en Europe et, d'autre part, la crise économique en outre-mer. Or, jusqu'à preuve du contraire, les crises sociales sont une conséquence des crises économiques et l'on voit que la tendance à la baisse de l'activité économique en outre-mer date de la fin de l'année 2007 tandis que la crise sociale, qui a débuté à La Réunion avant de s'amplifier à la Guyane, date de 2008. Ne faut-il pas réviser la manière de considérer les liens entre la crise économique dans l'hexagone et la crise sociale dans les outre-mer ?

Je souhaite poser deux questions supplémentaires. Premièrement, la loi organique pour le développement de l'outre-mer, dite « LODEOM », a-t-elle favorisé la reprise ? Pourriez-vous nous présenter une évaluation de son impact, s'agissant notamment des mesures de défiscalisation ?

Deuxièmement, en ce qui concerne l'emploi, les collectivités territoriales, qui ont traditionnellement un rôle de « buvard social », ont freiné leurs recrutements à la suite des observations des chambres régionales des comptes. Cela pourrait-il expliquer la dégradation de la situation de l'emploi ?

M. Patrick Besse

C'est surtout la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française que la crise financière a fortement touchées. À La Réunion, la dégradation de la conjoncture économique est davantage liée à l'arrêt des grands travaux. Les conséquences précises de la crise financière sont difficiles à identifier aux Antilles. En Martinique et en Guadeloupe, le mouvement de 2009 est lié aux fortes augmentations de prix mais il a lui-même eu des conséquences sur l'économie. Il est malaisé de définir son origine exacte. Il est certain que les prix de l'énergie sont dépendants de l'évolution globale des cours de change. En Guyane, l'impact de la crise a été beaucoup plus limité que dans les Antilles, ce qui s'explique par une structure différente de l'économie. La difficulté à définir précisément l'impact de la crise tient également à l'importance des amortisseurs sociaux dans notre pays. En tout état de cause, la crise génère ou non chez les chefs d'entreprise un attentisme. De ce point de vue, l'appréciation de l'attitude à adopter face au retournement de tendance a été meilleure en Guadeloupe qu'à La Réunion.

Je ne saurai vous répondre sur la LODEOM car l'évaluation des politiques publiques ne relève pas de nos missions. Ce que l'on constate, c'est que le secteur du BTP s'est maintenu.

L'emploi ne repart pas, bien au contraire. J'ignore si les collectivités ne recrutent plus. Un autre phénomène, lié à la baisse générale des effectifs de la fonction publique d'État, peut jouer. Je ne dispose pas de chiffres récents relatifs aux recrutements des collectivités territoriales.

Mme Karine Claireaux

Je ne vois aucun signe de reprise à Saint-Pierre-et-Miquelon. Le dynamisme du secteur du BTP est essentiellement lié à la commande publique, laquelle ne permet pas de disposer d'entreprises en bonne santé. Les chiffres que vous nous avez présentés au sujet de l'emploi ne tiennent pas compte de la soixantaine d'ouvriers du secteur de la pêche qui font l'objet d'une convention de reclassement personnalisé (CRP). Ils viendront augmenter dès le mois de juillet les chiffres du chômage. Le bassin d'emploi étant fermé, il n'existe pas de perspectives concrètes d'avenir sur l'île pour les jeunes qui quittent le territoire pour débuter leurs études. J'ajoute que les mesures du comité interministériel de l'outre-mer (CIOM) n'ont eu absolument aucun effet sur la conjoncture, ni sur les prix ou l'emploi.

M. Jean-Étienne Antoinette

Vous vous étiez engagé à nous donner des chiffres actualisés. Nous avons obtenu hier les chiffres de l'emploi pour la France hexagonale. Pour l'outre-mer en général et la Guyane en particulier, ces mêmes chiffres datent de septembre 2011. Nous ne disposons donc pas de chiffres récents.

M. Fabrice Lenglart, directeur des études statistiques démographiques et sociales à l'INSEE

Mon propos sera centré sur les départements d'outre-mer puisque leur appareil d'information statistique est géré par l'INSEE, à l'inverse de celui des collectivités d'outre-mer. Après vous avoir présenté brièvement la structure du système d'information statistique français couvrant les DOM, je passerai en revue les résultats obtenus par cet appareil au regard de la question de la vie chère.

L'INSEE est une direction déconcentrée du ministère de l'économie et des finances et comprend 5 200 agents, dont 1 320 travaillent à la direction générale à Paris. Les trois quarts du personnel sont donc répartis sur le territoire français entre les directions régionales de l'INSEE. En outre-mer, existent deux directions régionales. La première, dite « Antilles-Guyane » (DIRAG), dont le siège se trouve à Pointe-à-Pitre, possède trois services régionaux en Guadeloupe, Martinique et Guyane. La seconde, « La Réunion-Mayotte », comporte un service régional à Mayotte. Proportionnellement, les effectifs de l'INSEE travaillant dans les directions régionales des DOM sont comparables aux effectifs des directions régionales de l'hexagone, voire légèrement supérieurs en moyenne.

Les indicateurs relatifs au niveau de vie englobent les chiffres produits en matière d'emploi, de revenu et de prix. Dans les DOM, hormis Mayotte, les statistiques relatives à l'emploi et aux salaires sont tirées, comme c'est le cas pour le reste de la France, de sources administratives qui proviennent de la sphère sociale : l'agence de recouvrement des cotisations sociales (ACOSS) s'agissant de l'emploi salarié, et les déclarations annuelles effectuées par les organismes sociaux, en particulier la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV). L'appareil statistique qui permet de suivre les évolutions de l'emploi et des salaires est donc identique dans l'hexagone et en outre-mer. La situation est la même pour l'indice des prix à la consommation : dans l'appareil statistique de l'INSEE, les relevés de prix effectués spécifiquement en outre-mer suivent le même cheminement que les relevés de prix effectués dans l'hexagone.

Les DOM se caractérisent toutefois par une double spécificité : d'une part, la publication de comptes régionaux, d'autre part, le nombre plus élevé des relevés de prix qui y sont effectués, permettant de publier un indice de prix régional dont il n'existe pas d'équivalent pour les régions hexagonales.

Les enquêtes auprès des ménages constituent une autre source importante du système d'information statistique. Celui-ci a beaucoup progressé et la plupart des enquêtes ménages réalisées par l'INSEE couvrent désormais l'outre-mer et bénéficient fréquemment d'extensions régionales, en partie financées par les décideurs locaux. Songeons en particulier à l'enquête budget de famille (BDF) qui permet d'interroger les ménages à la fois sur leurs revenus et sur la structure de leur consommation. L'enquête patrimoine a récemment bénéficié d'extensions régionales à La Réunion et en Guadeloupe, c'est-à-dire de publications représentatives de chacun de ces départements. La prochaine enquête logement qui aura lieu en 2013 couvrira l'ensemble des DOM.

S'agissant de l'emploi, l'INSEE est passé d'une enquête annuelle à une enquête dite en continu, permettant de produire pour la France hexagonale un taux de chômage trimestriel. Les DOM sont pour l'instant exclus de cette évolution mais vont progressivement y être intégrés, d'ici à 2013-2014.

Reste un point plus complexe qui concerne la mesure du niveau de vie, c'est-à-dire des revenus, par l'intermédiaire des enquêtes. Les deux principales enquêtes réalisées aujourd'hui auprès des ménages pour mesurer la disparité des revenus sur le territoire français sont l'enquête sur les revenus fiscaux et sociaux (ERFS) et l'enquête statistique sur les revenus et les conditions de vie (SRCV), laquelle constitue une enquête en panel européenne. À ce jour, les DOM demeurent exclus du champ de ces enquêtes. La seule exception concerne un exercice d'ERFS effectué à La Réunion en 2008. La réalisation de ces enquêtes requiert en effet des appariements avec des fichiers fiscaux et sociaux afin de reconstituer des revenus. L'ERFS, en particulier, résulte de l'appariement de l'enquête emploi avec des sources fiscales et sociales soumises à des conditions d'adresse qui ne sont pas toujours réunies dans tous les DOM. Cette difficulté concerne tout particulièrement la Guadeloupe et la Guyane. Dans ces conditions, en ce qui concerne les DOM, l'INSEE a davantage recours à l'enquête BDF pour mesurer les disparités des niveaux de vie. L'enquête BDF mesure à la fois les revenus, bien que de façon moins détaillée que l'ERFS et l'enquête SRCV, et la consommation.

À Mayotte, le système d'information statistique n'a pas encore atteint le niveau des instruments utilisés pour les autres départements ultra-marins. Les informations nécessaires aux statistiques de base (emploi, salaires, prix) y sont déjà recueillies mais ne sont pas encore intégrées dans le système de production national. Comme dans les autres DOM, il existe néanmoins à Mayotte un indice régional de prix à la consommation. Les enquêtes auprès des ménages feront l'objet d'une extension progressive à ce territoire : l'enquête BDF y a été effectuée en 2010 ; une enquête emploi y sera menée en 2013-2014 et l'enquête logement aura lieu en 2014. Je rappelle, par ailleurs, qu'une opération de recensement a lieu à Mayotte cette année.

Ainsi, les constats que je souhaite exposer ci-après concernent tous les DOM à l'exclusion de Mayotte. Les structures démographiques de ces départements se caractérisent par une population proportionnellement plus jeune que celle de l'hexagone, tout particulièrement en Guyane : moindre part des actifs dans la force de l'âge, du fait notamment de l'émigration, et moindre part des retraités, en particulier à La Réunion et en Guyane.

Mme Catherine Procaccia

Comment expliquez-vous le resserrement de la pyramide des âges dans certaines tranches d'âge ?

M. Fabrice Lenglart

Il s'explique par l'émigration, en particulier vers la métropole. Une partie des natifs, jeunes actifs, a quitté le territoire pour aller travailler ailleurs. Ce phénomène jouera bien entendu un rôle important dans notre analyse finale sur les différences de niveau de vie.

M. Serge Larcher

Les derniers sont partis dans les années 1960...

M. Fabrice Lenglart

Beaucoup de natifs ont émigré dans les années 1960 et un palier a été atteint à partir de la fin des années 1980, avant une lente reprise de l'émigration ces dernières années. Le document publié par l'INSEE en février dernier sur la population née dans les départements d'outre-mer et vivant en métropole confirme cette évolution.

Le taux d'activité des jeunes dans les DOM est sensiblement inférieur au taux d'activité des jeunes dans l'hexagone. Il en va de même du taux d'activité des femmes en ce qui concerne, en particulier, La Réunion et la Guyane. La Guadeloupe et la Martinique ont des taux plus proches de celui de l'hexagone.

Tendanciellement, l'emploi croît dans les DOM à un rythme plus dynamique que celui que l'on observe en France hexagonale. Entre 1998 et 2008, le taux de croissance annuel moyen de l'emploi salarié s'est monté à 2,3 % dans les DOM et à 3,1 % à La Réunion, contre 1,1 % en France hexagonale. Si l'on prend les DOM dans leur ensemble, en 2009, année de grave récession, l'emploi n'a pas baissé. Il a progressé beaucoup plus faiblement que sa tendance naturelle. Cela s'explique par la dynamique démographique spécifique à ces départements. La croissance tendancielle de l'emploi provient essentiellement du secteur marchand même si la place du secteur non-marchand dans l'emploi des DOM demeure plus importante que dans l'hexagone. La Guyane est un cas à part.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Les chiffres présentés dans le tableau que vous commentez ne font-ils référence qu'au seul secteur marchand ?

M. Fabrice Lenglart

Les différents tableaux distinguent l'emploi marchand d'une part, l'emploi salarié, marchand et non marchand, d'autre part. Malgré le dynamisme de l'emploi dans le secteur marchand, la part du tertiaire non marchand demeure importante dans les DOM, même si elle a tendance à baisser. Cela est manifeste à La Réunion.

Il n'en demeure pas moins que structurellement, ou en niveau, la situation du marché du travail est plus dégradée dans les DOM que dans l'hexagone. Le taux de chômage, que le dynamisme évoqué à l'instant n'a pas permis de faire baisser au cours des dix dernières années, y est sensiblement plus élevé. L'écart est immense en ce qui concerne les jeunes de moins de vingt-cinq ans. La proportion de jeunes appartenant à la population active mais absents du marché du travail est plus importante dans ces outre-mer que dans l'hexagone.

Les constats sur le niveau de salaire requièrent une distinction entre secteur privé et secteur public. S'agissant du secteur privé, une comparaison des salaires en équivalent temps plein (ETP) montre que le niveau de salaire moyen dans les DOM est inférieur de près de 10 % au niveau hexagonal. Cet écart s'explique entièrement par un effet de structure : la proportion de cadres est plus faible dans les DOM. Les salaires du secteur privé par catégorie socioprofessionnelle sont donc comparables. En ce qui concerne le secteur public, les salaires sont plus favorables dans les DOM puisque des primes spécifiques y sont accordées. Les écarts, de 30 à 40 %, sont significatifs et plus prononcés pour les fonctions publiques d'État et hospitalière que pour la fonction publique territoriale, où ils se situent tout de même entre 10 et 20 %. Ces différences ne s'expliquent pas, quant à elles, par les différences de structure de l'emploi.

Pour apprécier le niveau de vie, nous mesurons le revenu disponible des ménages, défini comme la somme des revenus d'activité, des revenus du patrimoine et des prestations sociales reçues (pensions de retraite, allocations familiales, minima sociaux), défalquée des impôts (cotisations sociales, impôt sur le revenu). Nous utilisons une échelle d'équivalence, dite unité de consommation, afin de neutraliser les différences de composition des ménages. L'enquête BDF permet ainsi d'observer le niveau de vie médian, qui équivaut au niveau de revenu d'un célibataire et sépare la population en deux parts égales. Ce niveau de vie médian est sensiblement inférieur dans les DOM : l'écart est de 38 % dans l'enquête BDF de 2006. La situation est meilleure en Martinique que dans les trois autres départements ultra-marins étudiés.

De l'ordre de 30 %, l'écart est plus faible sur le niveau de vie moyen et les inégalités sont plus fortes que dans l'hexagone.

Les facteurs d'explication de ce niveau de vie inférieur à la métropole sont au nombre de trois. Tout d'abord, les ménages des DOM comptent en moyenne plus d'individus mais qui, compte tenu de la plus forte proportion de jeunes et des taux d'emploi plus faibles, sont moins apporteurs de ressources. Ensuite, les emplois des DOM sont en moyenne moins qualifiés. Enfin, la proportion de familles monoparentales est plus forte dans les DOM que dans l'hexagone. Or, le niveau de vie des familles monoparentales est beaucoup plus bas en moyenne que celui des autres types de ménages.

La comparaison des structures des revenus laisse apparaître une proportion de revenus d'activité à peu près identique, une proportion plus faible de ressources provenant des pensions de retraite en raison du nombre moins élevé de retraités et une proportion de revenus de prestations sociales beaucoup plus élevée. En raison de leur niveau de vie plus faible, les DOM contribuent moins à l'impôt.

Au total, la dispersion des niveaux de vie est donc plus forte en outre-mer que dans l'hexagone, ce qui a pour conséquence mécanique des taux de pauvreté plus élevés.

S'agissant des prix, tendanciellement, sur une douzaine d'années, les différents indices de prix mesurés montrent une évolution proche en outre-mer et dans l'hexagone. L'INSEE a mené en 2010 une grande enquête de comparaison spatiale des prix. La technique utilisée à cette fin consiste à rapprocher la structure de consommation de l'un des deux territoires comparés des niveaux de prix constatés dans l'autre territoire. Ainsi, la mesure du niveau général des prix dans les DOM par affectation à chaque prix de la structure de consommation moyenne de l'hexagone, aboutit à des niveaux de prix plus élevés entre 12 et 20 % selon les DOM. Dans le cas inverse, la mesure du niveau de prix dans l'hexagone par application de la structure de consommation moyenne des départements ultra-marins débouche sur un écart plus faible en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe et équivalent à La Réunion. Les spécialistes des indices de prix font une moyenne géométrique des résultats obtenus suivant les deux approches : au total, les écarts de prix se situent entre 6 et 13 %. Cela peut vous sembler faible. Je souhaite cependant rappeler que les écarts de prix sont beaucoup plus marqués pour les produits alimentaires, part très visible des dépenses de consommation et qui contribue beaucoup au sentiment de prix élevés.

Les résultats de l'enquête de 2010 peuvent être rapprochés des constats effectués à l'occasion des enquêtes de 1985 et 1992. Globalement, entre 1992 et 2006, la situation s'est plutôt dégradée en Guyane et en Martinique et est plutôt restée stable en Guadeloupe et à La Réunion. En 2010, par rapport aux résultats obtenus en 1985, la situation serait la même en Martinique et en Guadeloupe, elle serait restée stable en Guyane et se serait légèrement améliorée à La Réunion.

En conclusion, l'INSEE estime que pour parler de niveaux de vie, il faut s'intéresser à la fois aux revenus, au niveau des prix et aux structures familiales. De ce point de vue, la différence de niveau de vie entre l'hexagone et les DOM est manifeste. Mais elle tient peut-être moins aux prix que ce que le ressenti social pourrait laisser croire et davantage aux revenus, essentiellement parce que le nombre de personnes inactives ou au chômage est plus élevé outre-mer et parce qu'à revenu donné identique la taille des ménages est plus grande.

Mme Catherine Procaccia

Nous demandions des éléments de comparaison depuis longtemps. Mais n'est-il pas aberrant de mesurer des niveaux d'activité pour la tranche des 15-24 ans alors qu'en France la scolarité est obligatoire jusqu'à seize ans et qu'une grande proportion de cette tranche d'âge est encore étudiante ?

M. Fabrice Lenglart

Effectivement, sur la tranche des 15-24 ans, utilisée à l'échelle internationale, il est naturel que le taux d'activité soit plus faible que le taux du reste de la population puisqu'un grand nombre de jeunes de cet âge sont encore élèves ou étudiants. Néanmoins, en tout état de cause, la différence observée sur cette tranche d'âge demeure significative.

Mme Catherine Procaccia

Cela pose tout de même problème. Vous parlez de comparaisons internationales mais le système scolaire français n'est absolument pas comparable à celui des autres pays. Dans certains pays, compte tenu du coût des études, tous les étudiants ont un emploi alimentaire et sont donc répertoriés comme actifs. En France, il faudrait changer les tranches d'âge sur lesquelles portent les études relatives au taux d'activité.

M. Fabrice Lenglart

Il est tout à fait possible de produire des chiffres sur des tranches d'âge plus resserrées.

Je souhaitais indiquer que les événements qui se sont produits en outre-mer en 2010 ne sont pas sans avoir poussé l'INSEE à publier ces chiffres.

Mme Catherine Procaccia

C'est donc grâce aux interventions des parlementaires sur ces sujets !

M. Fabrice Lenglart

C'est ce que je voulais dire, la pression a été forte. Il a fallu mobiliser des moyens.

M. Éric Doligé

On observe selon les territoires des écarts considérables en termes de niveau de vie. À l'intérieur d'un même territoire, les écarts sont également forts. Je ne pense pas que ceux qui se plaignent de la vie chère se situent dans les tranches supérieures. Il serait intéressant de connaître la proportion de personnes se situant dans ces tranches supérieures et leur répartition entre secteur public et secteur privé. Un travail plus approfondi est nécessaire pour régler les problèmes auxquels nous sommes confrontés. L'idée reçue est qu'un certain nombre de personnes travaillant dans la fonction publique ont des revenus supérieurs à ceux de la métropole. Si les niveaux de prix sont supérieurs en France hexagonale, l'avantage joue en faveur des tranches de revenus supérieures dans les départements ultra-marins, hypothèse qu'il faudrait vérifier. Une analyse plus fine selon les structures familiales devrait également être menée.

M. Fabrice Lenglart

S'agissant de la fonction publique, le niveau de revenu est certes plus important. Pourtant, lorsque le chef de famille appartient à la fonction publique, nous constatons que les niveaux de vie deviennent comparables et non plus supérieurs car plus souvent dans les DOM que dans l'hexagone le conjoint ou la conjointe ne travaille pas. Ainsi, bien qu'en termes de salaires l'avantage joue en faveur de l'outre-mer compte tenu des niveaux de prix, cet avantage disparaît lorsque sont prises en compte les différences de structures familiales.

Mme Catherine Tasca

Notre collègue de Mayotte étant parti, je me fais son intermédiaire car il souhaitait vous interroger sur le fait que le dernier recensement y date de 2007, ce qui rend les chiffres obsolètes.

M. Fabrice Lenglart

C'est exact. Contrairement aux autres DOM, Mayotte ne bénéficie pas d'un recensement en continu. Le recensement y est effectué tous les cinq ans, comme dans les collectivités d'outre-mer. Le recensement effectué en 2012 devrait être disponible au début de l'été.

D'une façon générale, je rappelle que la structure de l'appareil d'information statistique à Mayotte n'est pas au même niveau que dans les autres départements ultra-marins. C'est un sujet en soi, l'INSEE s'efforcera de progresser sur ce point. C'est également une affaire de moyens...

M. Serge Larcher

Pourriez-vous nous éclairer sur l'absence, de la part de l'INSEE, de statistiques sur les collectivités d'outre-mer ?

M. Fabrice Lenglart

Les collectivités d'outre-mer ne relèvent pas de la responsabilité de l'INSEE. Il existe bien sûr des instituts statistiques dans ces collectivités. Citons l'Institut de la statistique et des études économiques de la Nouvelle-Calédonie (ISEE) ou l'Institut de la statistique de la Polynésie française (ISPF).

M. Serge Larcher

Sont-ils en contact avec vous et utilisent-ils les mêmes critères ?

M. Fabrice Lenglart

Les systèmes d'information ne sont pas comparables. Mais nous collaborons avec eux et c'est l'INSEE qui mène les recensements en relation avec ces instituts.

M. Jacques Cornano

La Guadeloupe est un archipel de trois îles entre lesquelles il faudrait pouvoir distinguer lorsque l'on délivre des chiffres...

M. Fabrice Lenglart

Il existe sans doute des études réalisées en ce sens par la direction régionale ou les services régionaux. Je ne possède pas de données à ce sujet. Les chiffres que je vous ai présentés englobent l'ensemble du territoire guadeloupéen.

M. Jacques Cornano

Je souhaite insister sur ce point. Le taux de chômage moyen est de 9,9 % environ en France hexagonale. Il est de 24 % en Guadeloupe proprement dite mais atteint 35 % au minimum dans les îles périphériques, en particulier à Marie-Galante. Il faut garder à l'esprit que les îles du sud demeurent dans une situation particulière encore plus dégradée, ce dont ne rendent pas compte les moyennes.

M. Fabrice Lenglart

Bien entendu, les taux de chômage que je vous ai indiqués sont des taux moyens pour l'ensemble du territoire guadeloupéen.

M. Michel Vergoz

Les statistiques présentées ne semblent pas correspondre aux remontées du terrain. Il suffirait de consommer le panier de consommation local pour avoir à payer des prix comparables aux prix hexagonaux ! La comparaison spatiale des prix pose le problème de l'intégration de l'évolution du contenu du panier de consommation au cours du temps. Comment est défini le panier de consommation local ? Les loyers ou encore le carburant y sont-ils intégrés ? Qui sélectionne les éléments du panier ? Il conviendrait de veiller aux autres paniers réalisés par divers experts, notamment les associations, et de prendre en compte le vécu local. A-t-on fait la jonction avec les nombreux experts locaux ? L'INSEE doit travailler avec ces experts pour garantir la transparence et la confiance.

M. Fabrice Lenglart

L'indice des prix à la consommation est construit sur le fondement d'une méthodologie irréprochable, notamment d'un point de vue international. Cet indice se base sur une nomenclature internationale des produits de consommation et sur la structure moyenne de consommation des ménages français fournie par les chiffres de la comptabilité nationale et les enquêtes BDF. Le choix du produit lui-même, c'est-à-dire de la marque, n'est pas rendu public pour des raisons évidentes : l'indice ne doit pas être manipulable. Les indices de prix locaux sont construits selon la même logique : nous utilisons les comptes économiques des DOM et les enquêtes BDF.

Pour mesurer, par exemple, les différences de niveau de prix pour un produit donné entre la Martinique et la métropole, il y a deux manières de procéder. Soit j'agrège le niveau de prix martiniquais de ce produit et le poids du produit dans la structure de consommation hexagonale, soit j'agrège le niveau de prix hexagonal et le poids du produit dans la structure de consommation martiniquaise.

M. Serge Larcher

Les choses sont plus compliquées que cela car les habitudes alimentaires ne sont pas les mêmes. Certains produits ultra-marins ne trouvent pas leur équivalent dans les produits hexagonaux.

M. Fabrice Lenglart

Les habitudes alimentaires sont prises en compte. Les produits sont pondérés par leurs poids respectifs.

M. Serge Larcher

Il faut regarder les choses de plus près. Par exemple, la part des produits congelés dans la structure de consommation ultra-marine est supérieure à celle de l'hexagone. Il est important que le public adhère au choix des indicateurs utilisés.

M. Michel Vergoz

Nous avons un désaccord tant sur la définition que sur la construction du panier. À La Réunion, les commentaires locaux citent la marque des produits figurant dans le panier et dont il est dit que le prix a baissé. Nous en sommes à un stade de confusion extrême. Il ne s'agit pas de donner des noms de marque. La concurrence doit bien entendu jouer. La perception de la vie chère est une chose réellement vécue sur le terrain.

Mme Karine Claireaux

La situation à Saint-Pierre-et-Miquelon apparaît atypique, avec une population vieillissante, des revenus qui font le grand écart entre le secteur public et le secteur privé. Ce dernier subit une saisonnalité et donc, automatiquement, des périodes de chômage assez importantes, un marché complètement captif avec des importations à près de 95 % de ce que l'on consomme et des difficultés de plus en plus grandes pour certaines catégories de la population, comme les retraités, qui ont du mal à faire face.

M. Fabrice Lenglart

Toute l'information que je vous ai communiquée est publique. L'exercice de comparaison des prix date de 2010 et peut être complété par des documents plus détaillés accessibles notamment sur le site Internet de l'INSEE. Je pense que vous cherchez à mettre en évidence une différence de coût de la vie. Or, une comparaison des niveaux de prix n'est pas une comparaison des coûts de la vie. Nous ne calculons pas un indice de coût de la vie. À mon sens, le sentiment de cherté est lié non seulement au niveau des prix mais aussi au niveau des revenus.

Audition de M. Stanislas Martin, chef du service
de la protection des consommateurs et de la régulation
des marchés à la Direction générale de la concurrence,
de la consommation et de la répression des fraudes

M. Stanislas Martin, chef du service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)

En outre-mer, l'organisation locale de la DGCCRF est centrée sur les cinq départements d'outre-mer (DOM). Nous sommes également présents à Saint-Pierre-et-Miquelon mais nous n'avons pas de présence permanente en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna.

L'organisation de nos services en outre-mer a été plutôt moins impactée par la réforme territoriale de l'État qu'en métropole, où les niveaux départementaux et régionaux ont été fusionnés. Les services déconcentrés de la DGCCRF sont rattachés aux Directions des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIECCTE). En Martinique existe par ailleurs une brigade interrégionale d'enquête de concurrence compétente sur les dossiers les plus importants pour les trois départements français d'Amérique. Les dossiers équivalents à La Réunion et à Mayotte sont gérés par une brigade basée en Île-de-France.

Le mode de détermination des effectifs présents en outre-mer est dérogatoire au droit commun. En effet, en métropole, nous utilisons un logiciel qui calcule les effectifs en fonction de critères territoriaux. Cette méthode conduirait à une forte diminution des effectifs en outre-mer, dont le nombre est aujourd'hui déterminé de manière plus empirique.

Nous avons à l'heure actuelle 29 personnes en Guadeloupe, 30 en Martinique, 13 en Guyane, 21 à La Réunion, 4 et bientôt 5 à Mayotte et 3 à Saint-Pierre-et-Miquelon. Les effectifs n'ont diminué que de 3 % par rapport à 2008 alors que la baisse a été de 6 % en métropole. Si on compare ces effectifs à la population des territoires, on constate un ratio de 32 agents pour 400 000 habitants en Guadeloupe, par exemple, alors que pour des départements comparables, ce ratio serait de 19 agents dans les Pyrénées-Orientales, de 18 dans les Landes ou de 23 en Vendée. C'est moins vrai pour La Réunion où le ratio est de 23 agents pour 800 000 habitants. Elle est donc moins bien dotée.

Les liens entre l'administration centrale et les antennes locales, les DIECCTE, fonctionnent à partir d'une directive nationale d'orientation. Il existe des tâches nationales et des tâches régionales, choisies dans chaque région en fonction des spécificités de l'économie locale. Les tâches nationales sont parfois adaptées aux contextes de l'outre-mer pour prendre en compte par exemple l'existence des importateurs-grossistes et leurs relations avec les fournisseurs. Il existe aussi des tâches régionales mutualisées entre les départements français d'Amérique, comme sur le prix des yaourts ou des eaux embouteillées par exemple.

La réalisation des tâches nationales correspond à 60 % à 70 % du travail en outre-mer. Par rapport aux régions métropolitaines, les tâches non programmées sont plus nombreuses, ce qui montre une grande réactivité des services par rapport aux situations locales.

Les trois activités des DIECCTE sont la concurrence, la sécurité des produits et la protection des consommateurs. La part « concurrence » est plus importante en outre-mer qu'en métropole parce que, dans ce domaine, nous agissons souvent pour les Observatoires des prix et des revenus (OPR). Les OPR sont donc des partenaires importants.

Nos liens avec la Direction générale des finances publiques (DGFiP) sont également forts, sur la base d'échanges d'informations, notamment dans le cadre des Groupements d'intervention régionale (GIR) concurrence. Il est plus difficile d'accéder aux informations des douanes, couvertes par le secret.

Nos relations avec les inspecteurs du travail sont très fréquentes puisque nous les côtoyons au sein des DIECCTE.

Enfin, nous contribuons aux enquêtes de l'Autorité de la concurrence, dont l'activité en outre-mer est très forte depuis 2009. Il y a actuellement 16 enquêtes en cours concernant les DOM en partenariat avec elle. La DGCCRF contribue également aux enquêtes sectorielles de l'Autorité sur le coût de l'assurance-construction et sur le prix des pièces détachées automobiles.

Quelles sont les spécificités des plaintes portées devant la DGCCRF en outre-mer ? Nous recevons plus qu'ailleurs des plaintes pour des affaires entre particuliers, comme lors de ventes de voitures d'occasion. Nous ne pouvons les traiter car cela ne rentre pas dans le champ du code de la concurrence. Sinon, nous retrouvons les mêmes « classiques » qu'en métropole : la grande consommation et les télécommunications. La seule différence est la faiblesse du volume des affaires relatives au commerce en ligne en outre-mer par rapport à la métropole.

À l'exception de La Réunion, où l'on constate une hausse en 2011, le nombre de contrôles a diminué en outre-mer de 10 % à 15 % entre 2010 et 2011, probablement en raison de la très forte mise sous tension des services en 2009 et 2010 et de la montée en puissance des actions menées pour les OPR auxquelles la DGCCRF a dû contribuer.

S'agissant de la nature des activités par rapport à la métropole, les contrôles de concurrence sont plus fréquents, le temps d'enquête sur le terrain est également plus élevé et le nombre de visites par agent très sensiblement supérieur à la Martinique et La Réunion.

Quel est le bilan des accords de baisse de prix conclus en outre-mer à la suite de la crise de 2009 ? Globalement, on peut dire que ces accords ont été respectés, les taux de respect des prix convenus et de disponibilité des produits variant selon la DGCCRF entre 75 % et 90 %. Donc, de manière générale, la grande distribution a joué le jeu. Il y a eu quelques problèmes de disponibilité des produits de première nécessité mais c'était davantage en raison de leur attractivité et du comportement de stockage des consommateurs et des petits commerçants que du fait d'une stratégie des grandes surfaces.

Les accords, d'une durée variable (un an en Guadeloupe, trois ans en Martinique, quelques mois à La Réunion), ont expiré sans demande de renouvellement. Ils expireront le 31 mars prochain en Martinique et à Mayotte, sans que la question du renouvellement ait fait l'objet de négociations intensives. La DIECCTE de Guadeloupe a regretté que les accords aient été conclus pour une durée si brève. Ils auraient eu davantage d'impact s'ils avaient duré plus longtemps. En Martinique, on a constaté qu'il n'y avait pas eu d'effet de contagion vertueux sur le niveau général des prix des autres produits.

À ces accords semble succéder une démarche de définition de listes de produits constituant un chariot-type correspondant à la structure de consommation locale.

M. Serge Larcher, président

En pratique, les distributeurs ont tendance à pratiquer les mêmes prix et à ne pas jouer le jeu de la concurrence.

S'agissant des produits visés par les accords, ils étaient en effet signalés comme tels dans les grandes surfaces et les syndicats contrôlaient ces prix. Mais cette opération a fonctionné sur les produits de grande distribution et pas, par exemple, sur les pièces détachées.

M. Stanislas Martin

Concernant les pièces détachées, un avis de l'Autorité de la concurrence sera rendu prochainement et contiendra un volet ultramarin.

M. Serge Larcher

Dans ce domaine, les prix par rapport à la métropole varient de 1 à 100 ou à 200...

M. Stanislas Martin

La DGCCRF met l'accent sur l'information du consommateur, la détermination d'un chariot-type et elle effectue des relevés de prix et une communication au public si nécessaire. Elle fait pression sur les grands distributeurs qui pourraient être tentés de s'entendre.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Quel est votre chariot-type ?

M. Stanislas Martin

Il est déterminé par chaque OPR.

M. Serge Larcher

Sa détermination fait l'objet d'une concertation entre tous les acteurs.

M. Stanislas Martin

Vous m'avez posé une question sur la décomposition des prix. Cela occupe beaucoup les DIECCTE, qui ont travaillé notamment sur les produits agricoles, les yaourts et les eaux embouteillées en 2012. De manière générale, les frais d'approche - fret et octroi de mer - expliquent une faible partie des écarts. Ces frais représentent par exemple 4 % du coût du produit pour les gels à raser, 3 % pour le thé, 2 % pour les produits vaisselle, 4,6 % pour les céréales, 4,9 % pour l'huile de tournesol, ou encore 6 % pour les filtres à café.

Le phénomène qui nous semble le plus marquant est le rôle des importateurs grossistes ou agents de marque sur chaque territoire. C'est un maillon supplémentaire dans la chaîne de formation du prix. Le prix du produit à l'exportation de métropole est en général inférieur au prix de vente au fournisseur en métropole. Mais ensuite, un importateur-grossiste dans un DOM n'a pas la même force de négociation qu'un groupe comme Carrefour. Il y aura une enquête régionale sur les trois départements d'Amérique de l'Autorité de la concurrence sur ce sujet avant la fin de l'année 2012, pour avoir une vision plus claire du type de circuit de distribution le moins générateur d'inflation. On dispose, d'ores et déjà, de quelques éléments d'information sur cette question : en Guadeloupe, la marge de l'agent de marque pèse entre 28 % et 45 % du prix du produit, ce qui paraît considérable. Il y a néanmoins très peu d'approvisionnement en direct ; les importateurs-grossistes disposent souvent de contrats d'exclusivité, parfois même sur des produits rivaux, ce qui réduit encore le jeu de la concurrence.

Parfois, une exclusivité a été négociée avec les fournisseurs ou même plusieurs fournisseurs concurrents. C'est le cas par exemple pour le fromage à La Réunion, ce qui fausse totalement la concurrence, notamment « inter-marque ». Ce sujet peut être à l'origine du problème des prix en outre-mer sans constituer pour autant une infraction. L'enquête en cours de réalisation par l'Autorité de la concurrence pourra le déterminer.

Lors du rachat d'un supermarché Cora par Bernard Hayot en Martinique...

M. Serge Larcher

Il y a eu de nombreux rachats par le même distributeur en Martinique !

M. Stanislas Martin

...l'Autorité de la concurrence a demandé à Hayot de renoncer à ses exclusivités avec certains fournisseurs, dont il bénéficiait en tant qu'importateur-grossiste puisqu'il était verticalement intégré. En termes de comparaison, on a certains exemples de circuits courts, pratiqués par Cora, qui permettaient des réductions de coûts d'approvisionnement significatives : 9 % sur le thé, 17 % sur la moutarde, 61 % sur les spaghettis, 15 % sur l'huile, 6 % sur les tablettes lave-vaisselle et 11 % sur le Schweppes.

Mais il faut aussi prendre en compte le fait que les agents de marque, en mutualisant la logistique, devraient avoir un effet positif sur les coûts d'approvisionnement. Le modèle de l'agent de marque, économiquement, devrait produire des gains d'efficacité par la masse des commandes et les économies d'échelle sur les coûts logistiques. On attend sur ce point beaucoup de l'enquête de l'Autorité de la concurrence de 2012.

M. Serge Larcher

Dans un circuit court, il faut que tous les maillons du circuit fonctionnent correctement, sinon l'approvisionnement est bloqué.

M. Stanislas Martin

En effet, il faut aussi veiller à sécuriser l'approvisionnement. Il est certain que les importateurs-grossistes ont des marges très positives, qu'ils ne vivent pas mal ; la question est : méritent-ils leurs marges ?

Les marges des distributeurs sont aussi parfois très élevées. Par exemple, en Guadeloupe, elles sont de 520 % sur les filtres à café, de 180 % sur les gels douche, 170 % sur du déodorant, 145 % sur du shampooing ou de 86 % sur les jus d'orange. Ça n'est toutefois pas vrai sur tous les produits. Les marges habituelles, qui tournent autour de 20 % à 21 %, sont plus acceptables. Mais même si la marge en pourcentage est équivalente à celle de la métropole, le montant en euros est plus élevé parce que le prix auquel elle s'applique est plus élevé.

Certaines marchandises sont produites localement. Par exemple, Danone et Yoplait produisent aux Antilles les mêmes gammes qu'en métropole. Pourtant, les prix pratiqués sont de 2 à 2,5 fois plus élevés, ce qui paraît beaucoup. Il est rare que, lorsqu'un produit est à la fois importé et produit localement, le produit local soit vendu à un prix inférieur. Il a tendance à se caler sur le niveau du prix du produit venant de métropole. Globalement, les entreprises ont une stratégie de marge plutôt que de volume. Elles n'ont pas pour objectif de conquérir des parts de marché.

M. Serge Larcher

Les coûts de production sont plus élevés pour les produits locaux, parce que les quantités produites sont moindres ; elles ne visent qu'à alimenter le marché local, plus étroit. Mais le fait que la banane soit parfois plus chère en Martinique qu'à Paris pose tout de même problème.

Une idée serait d'appliquer l'octroi de mer seulement au prix du produit et non à celui de l'acheminement.

M. Éric Doligé, co-rapporteur

Mais ce serait autant de produit fiscal de perdu pour les collectivités territoriales d'outre-mer.

M. Michel Vergoz

Les agents de marque sont des sortes de « verrouilleurs de la non-concurrence ». Pensez-vous que les frais d'approche expliquent à eux seuls le niveau des prix en outre-mer ?

M. Stanislas Martin

Nous l'avons vu, les coûts d'importation représentent entre 3 % et 6 % du prix du produit. Évidemment, ils comptent proportionnellement plus pour les produits les moins chers.

M. Michel Vergoz

Les frais d'approche représentent environ 7 % du prix pour les médicaments.

M. Stanislas Martin

Les marchés ont une taille réduite, ce qui explique les faibles économies d'échelle. Par conséquent, là où les coûts fixes sont élevés, les marchés d'outre-mer ne peuvent se permettre d'avoir trop d'opérateurs économiques. C'est le paradoxe : on ne peut aller trop loin dans la mise en concurrence et on est confronté à des oligopoles étroits. A fortiori, cela s'applique aux entrepôts d'hydrocarbures de la SARA et de la SRPP. Il est aussi assez facile, sur ces territoires de taille réduite, de se coordonner avec les autres acteurs et de connaître leur politique commerciale.

Enfin, le fait que les normes de l'Union européenne s'appliquent empêche souvent à ces économies de s'intégrer à leurs environnements régionaux. Les approvisionnements en provenance de métropole deviennent obligatoires. Par exemple, la viande de boeuf à Mayotte pourrait venir d'Afrique du Sud ou de Madagascar mais, en raison des normes, elle est en général importée de Pologne, d'Irlande ou d'Uruguay. À l'inverse, il ne serait pas facile de dire aux populations locales qu'elles n'ont pas le droit à la même qualité de produits que les autres Européens.

Les principaux secteurs posant des problèmes de concurrence sont le sable, l'énergie, notamment pour son stockage et son raffinage, et la grande distribution. Le reste est plus ponctuel.

En matière de fret maritime, une enquête de l'Autorité de la concurrence est en cours. S'agissant des carburants, l'absence de concurrence justifie la réglementation des prix. Par ailleurs, dans chaque DOM, on retrouve les mêmes actionnaires au niveau des grossistes et des stations-services, ce qui n'est pas satisfaisant.

Je serai plus optimiste pour le secteur des télécommunications. On part de situations dominantes, celle d'Orange dans les départements français d'Amérique et celle de la SRR à La Réunion et à Mayotte. Mais l'Autorité de la concurrence a rendu plusieurs décisions, depuis 2009, qui commencent à assainir la situation.

M. Michel Vergoz

Je constate toutefois que, malgré la réglementation des prix du carburant depuis 1988, la SRPP a été condamnée à deux reprises, c'est que le problème reste entier !

Audition de MM. Alain Vienney, délégué général de la Fédération
des entreprises d'outre-mer (FEDOM), et Didier Payen, président
de l'Association des moyennes et petites industries de la Guadeloupe

M. Alain Vienney, délégué général de la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM)

La FEDOM a été créée en 1986 aux débuts de la défiscalisation et n'a cessé de prendre de l'ampleur. Aujourd'hui, elle est très représentative des entrepreneurs de l'ensemble de l'outre-mer et plus seulement des départements d'outre-mer (DOM) puisque nous avons désormais des membres présents en Polynésie française et même des membres installés en métropole mais qui ont des intérêts en outre-mer. Nous représentons plus ou moins 100 000 entreprises, avec une grande diversité, mais beaucoup de petites et moyennes entreprises (PME) et de très petites entreprises (TPE). Cela correspond environ à 500 000 salariés. Des organisations patronales comme le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), la Confédération générale du patronat des PME (CGPME) ou des chambres de commerce adhèrent aussi parfois.

M. Serge Larcher, président

Quelle est votre analyse sur le niveau élevé des prix en outre-mer et les conditions de formation de ces prix ?

M. Alain Vienney

La vie chère est un problème récurrent, qui resurgit souvent à cause du prix des carburants. Il n'est pas dissociable de la question du pouvoir d'achat des ultramarins.

Le constat du niveau des prix est connu, il a été dressé par l'INSEE. Il montre que l'écart du niveau des prix entre outre-mer et hexagone est plus important pour les paniers de consommation métropolitains que pour les paniers locaux, donc il faut utiliser l'indice de Fischer. Celui-ci montre que l'écart des prix a assez peu varié depuis 1985 ; il est donc structurel.

Le premier facteur d'explication réside dans les prix d'achat des produits, qui sont plus élevés qu'en métropole pour plusieurs raisons. Les grandes sociétés passent par leurs divisions export et le bénéfice de l'affiliation à des grands groupes ne joue plus. Par ailleurs, les délais de paiement prévus par la loi de modernisation de l'économie de 2008 ne sont apparemment pas toujours respectés, ce qui impacte la trésorerie des entreprises et majore les coûts finaux.

Le fret est le second élément d'explication. Il est d'autant plus important que le produit a une faible valeur unitaire, les coûts du fret étant calculés sur le volume et non sur le prix des marchandises. Pour 70 % des tonnages importés, les coûts d'approche représentent 50 % du prix CAF (coût, assurance, fret). Ils expliquent donc une grande partie des écarts de prix pour les produits de consommation courante et de première nécessité.

Puis, vient l'octroi de mer qui, contrairement à la TVA, n'est pas récupérable. Il s'applique aussi au prix CAF, donc en incluant dans son assiette l'assurance et le fret. C'est un élément du prix de revient du produit. Le prix de vente serait plus faible si l'octroi de mer était déductible comme la TVA. En outre, la TVA s'applique aujourd'hui aussi à l'octroi de mer, ce qui en fait un impôt sur un impôt ! Le différentiel entre l'octroi de mer interne et externe expliquerait une majoration allant de 7 % à 11 % du prix de vente au consommateur pour les produits importés, selon une étude du cabinet Langrand chargé d'une mission sur l'octroi de mer par le gouvernement.

Enfin, il y a les marges de distribution. Une étude de l'INSEE de 2007 a montré que ces marges commerciales en pourcentages n'étaient pas très différentes des marges métropolitaines. Le rapport de l'Autorité de la concurrence de 2009 évoque des marges de 14 % pour les distributeurs métropolitains et allant jusqu'à 19 % pour les distributeurs dans certains DOM ; on voit que c'est à peu près équivalent. En termes de marges économiques - l'excédent brut d'exploitation rapporté à la valeur ajoutée - le taux est de 27 % en métropole et de 14 % pour la Guadeloupe, 24 % pour La Réunion et 30 % pour la Martinique.

M. Didier Payen, président de l'Association des moyennes et petites industries de la Guadeloupe

La première chose c'est que les DOM sont considérés comme un tout, alors que leurs situations sont très différentes : La Réunion est régie par l'article 72 et les autres DOM par l'article 73.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

La Réunion est un département français à part entière ! Elle est régie par l'article 73, comme les autres DOM, à l'exception en effet de la capacité d'adaptation législative.

M. Didier Payen

L'article 73 donne une possibilité d'adaptation qui, à mon avis, n'est pas assez utilisée, notamment dans le cadre du grand marché antillais.

Le problème des prix dans les DOM est lié à plusieurs facteurs : l'éloignement géographique, l'insularité, le rattachement fiscal et normatif à la métropole et le problème de l'application de la réglementation de l'Union européenne.

Si l'octroi de mer fonctionnait comme la TVA, nous pourrions réexporter les produits en récupérant l'octroi de mer que nous aurions acquitté au moment de l'importation. C'est pour le moment impossible. Il y a également une problématique de fiscalité indirecte dans les DOM, encore accentuée récemment par la taxe sur les boissons gazeuses. Cette fiscalité constitue un millefeuille qui majore les prix à la consommation.

L'étroitesse du marché explique la présence de plusieurs monopoles et oligopoles. Pour les carburants, le décret n'encadre que le prix de vente au public et pas la fourniture en matière première de la SARA. Or, il y a une différence de prix entre le Brent et le WTI (West Texas Intermediate) du Golfe du Mexique, où se fournit la SARA. L'indexation du prix est fixée sur le Brent, alors qu'il est plus cher. Son spread avec le WTI atteint 18 dollars le baril. Cette indexation sur le Brent est donc absurde. Un spread de 15 dollars par baril correspond à 45 millions d'euros par an sur la consommation de Guadeloupe, 90 millions d'euros sur la totalité des Antilles et 125 millions d'euros si l'on inclut la Guyane.

Cette question est d'autant plus importante que les ultramarins n'ont pas d'autre choix, étant donné la pauvreté de l'offre de transport public, que de prendre leur voiture. Il faudrait créer une mise en concurrence au niveau de l'approvisionnement des matières premières entrant dans la composition des carburants.

Je voudrais par ailleurs vous appeler à la prudence sur l'idée de constituer de grosses unités logistiques mutualisées d'approvisionnement car il faut un équilibre entre la rationalisation des circuits en vue de réaliser des économies d'échelle et une trop forte dépendance envers un passage obligé.

Le problème est aussi qu'il n'y pas les mêmes exonérations de charges sociales pour les entreprises de plus de 10 salariés.

Les délais de paiement prévus par la loi de modernisation de l'économie (LME) peuvent également induire des surcoûts. Il faut au minimum 15 jours de mer entre la métropole et les Antilles et 60 jours de stock pour tenir compte des aléas d'approvisionnement. Or, la LME autorise en crédit local 60 jours. Par conséquent, même en bénéficiant du maximum du taux autorisé par la LME, il reste au minimum 75 jours à financer. Tout cela induit des coûts financiers payés par le consommateur, qui sont d'ailleurs majorés par les taux supérieurs pratiqués par les banques outre-mer.

En outre-mer, quelqu'un qui utilise beaucoup son véhicule peut être conduit à dépenser 150 euros par mois pour son carburant, sur un total de 1 500 euros nets, soit 10 % du revenu disponible. À cela s'ajoutent les dépenses indispensables à la vie moderne, téléphonie mobile, internet, télévision par satellite, etc., qui sont deux fois plus élevées qu'en métropole.

S'agissant de la défiscalisation, je pense que les excès qui ont pu être faits de ces dispositifs ne doivent pas en masquer l'intérêt économique. Je rappelle que la performance économique des DOM a été remarquable ces vingt dernières années et que la création d'emplois a été deux fois plus rapide qu'en métropole. Il faut prendre tout cela en compte si on veut modifier le régime d'aides actuel.

Le prix du tabac pose également problème. En Guadeloupe, en 11 ans, le prix du tabac a augmenté de 3 200 %, ce qui l'a rendu plus cher qu'au niveau national en raison des taxes votées par le conseil général. Comme nous sommes dans une zone où les prix pratiqués par nos voisins sont cinq fois moins élevés, la moitié de la consommation est en réalité de la contrebande. Cela a abouti à l'effondrement du marché et des recettes fiscales. C'est l'exemple flagrant de ce qui est contreproductif.

M. Serge Larcher

Ces sujets ont été travaillés de très près avec la FEDOM. L'augmentation des prix du tabac et de l'alcool vise à dissuader les consommateurs et il est logique que le conseil général cherche à favoriser la santé publique.

M. Didier Payen

Hélas, l'augmentation a été opérée dans le but de produire de la recette fiscale et non pour un objectif de santé publique, cette politique de santé publique étant un échec total !

À La Réunion, la recette du droit de consommation sur le tabac est de 150 millions d'euros pour 800 000 habitants, ce qui est énorme ! C'est 25 millions d'euros pour 400 000 habitants dans les départements français d'Amérique, donc trois fois moins, ce qui montre l'importance de la contrebande. Le différentiel de prix entre les cigarettes de marque et celles discount est par ailleurs beaucoup plus élevé en Martinique et en Guadeloupe qu'en métropole : 3 euros par paquet contre 70 centimes d'euros.

M. Serge Larcher

La Martinique et la Guadeloupe sont un marché commun, il est donc logique qu'elles pratiquent les mêmes taux. La Chambre régionale des comptes a, par ailleurs, constaté que la situation financière du conseil général de la Martinique n'était pas si mauvaise que ça.

M. Éric Doligé, co-rapporteur

Est-ce qu'une étude a été faite sur les avantages et les inconvénients qu'il y aurait à ne pas appliquer les normes européennes sur les carburants ?

M. Didier Payen

La problématique des normes aurait pu ne pas exister car l'Union européenne a laissé la possibilité d'y déroger pour les régions ultrapériphériques (RUP) mais les opérateurs n'ont pas fait ce choix. La norme n'impacte pas le brut mais le seul produit fini. La raffinerie martiniquaise peut faire de la spéculation en s'approvisionnant dans la zone, même si certains produits bruts, trop bitumineux, ne correspondent pas à ses capacités de raffinage.

M. Alain Vienney

Le problème des normes existe mais pourrait être transformé en atout si l'on arrivait à imposer la norme européenne dans notre environnement géographique. Il existe aussi des normes qui pèsent sur la construction, l'hôtellerie, etc.

M. Didier Payen

Notre propos n'est pas de rejeter les normes. Saint-Barthélemy a fait le choix de sortir du statut de RUP et nous verrons ce que cela donnera. Pour nous, il n'en est pas question en raison des aides des fonds européens liées au statut de RUP.

M. Jacques Cornano

Je voudrais remercier les deux intervenants pour avoir bien mis en évidence les différents éléments qui peuvent peser sur le niveau des prix en outre-mer.

M. Didier Payen

Je voudrais, pour finir, vous sensibiliser à certains sujets. Il est pour moi absurde de dire que les taux réduits de TVA dans les DOM sont des niches fiscales. De même que calculer ce que donnerait l'application d'un taux de TVA à 19,6 % en Guyane est une absurdité.

Enfin, je ne suis pas d'accord avec le rapport de l'Autorité de la concurrence qui affirme que la seule cause de la cherté du coût de la vie en outre-mer provient des importateurs-grossistes. Je suis moi-même importateur-grossiste pour beaucoup de produits, parfois en exclusivité. Si le système subsiste, c'est qu'il y a un intérêt à ces plateformes de stockage. La grande distribution préfère sous-traiter et cette mutualisation est également nécessaire pour le petit commerce.

Audition de M. Thierry Saniez, délégué général de l'association Consommation Logement Cadre de Vie (CLCV)

M. Serge Larcher, président

Nous accueillons à présent Thierry Saniez, délégué général de l'association Consommation Logement Cadre de Vie (CLCV), dans le cadre de nos travaux sur la vie chère. En tant qu'observateur sur l'évolution des prix, quel est votre avis sur ce sujet ?

M. Thierry Saniez, délégué général de l'association Consommation Logement Cadre de Vie

Je représente une des principales organisations françaises de consommateurs, présente en Guyane, Martinique, à La Réunion et en Guadeloupe. J'ai pris contact avec les associations CLCV sur ces territoires, et notamment la Guadeloupe, qui a été moteur dans la mise en place de l'observatoire des prix par la DIECCTE, présidé par un magistrat. La CLCV s'occupe de l'un des quatre ateliers, celui sur le suivi des prix. J'ai également pris contact avec La Réunion.

Les enjeux qui apparaissent aux associations locales sont les suivants :

- la question fiscale, liée à celle de l'octroi de mer. Il s'agit de savoir si la baisse de la fiscalité, par exemple celle constatée en Guadeloupe, se reporte sur le prix de vente du produit. Il faut obtenir plus de transparence sur l'impact réel des taxes. La question apparaît complexe et opaque ;

- la concurrence et la formation des prix : en Guadeloupe, qui travaille à partir d'un chariot-type défini par l'INSEE et la CLCV, la volonté d'améliorer la visibilité est réelle. Les distributeurs ont accepté d'évaluer la hausse des prix. Ceux des services notamment augmentent très fortement.

Les freins à la concurrence, vous les connaissez : moins de distributeurs, moins d'enseignes. Certains distributeurs ont un monopole sur certains produits, notamment en téléphonie mobile et dans les entreprises de réseaux, car les économies d'échelle sont plus difficiles à atteindre sur des petits territoires. La possibilité d'élargir le marché à plusieurs territoires pour amortir les coûts d'installation reste débattue.

Nos associations souhaitent davantage de transparence pour les consommateurs. L'observatoire de Guadeloupe doit avoir les moyens de son indépendance afin qu'il puisse servir de référence pour d'autres territoires.

M. Éric Doligé, co-rapporteur

Vous avez dû aussi analyser les conséquences, les évolutions, les causes des hausses des prix dans les secteurs où des dérapages ont été constatés. Pouvez-vous nous en parler ?

M. Thierry Saniez

Nous n'avons pas, aujourd'hui, les moyens de mener plus d'investigations sur place.

M. Éric Doligé

Et sur le logement ?

M. Thierry Saniez

Nous sommes très implantés dans le logement social à La Réunion, aux Antilles et en Guyane. C'est un secteur très difficile, qui doit compter avec une paupérisation forte des populations.

M. Serge Larcher

Certains accords passés avec les grossistes sur les prix des familles de produits sont arrivés à échéance. Y-a-t-il eu une évolution après la fin de ces accords ?

M. Thierry Saniez

Nous n'avons pas d'enquête précise sur cette question.

M. Éric Doligé

Vous semblez dire qu'il y a eu une concertation en Guadeloupe sur la constitution du chariot-type. Et sur les autres territoires ?

M. Thierry Saniez

Il faudrait le faire ailleurs. En Guadeloupe, il y avait une volonté partagée.

M. Serge Larcher

Dans des secteurs comme les pièces détachées des automobiles, les différences de prix avec la métropole sont énormes, de l'ordre de 50 à 200 % !

M. Thierry Saniez

En métropole aussi, les dérapages sont importants dans ce secteur.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Comment avez-vous constitué ce chariot-type ?

M. Thierry Saniez

En lien avec l'administration, l'ancienne DGCCRF, l'INSEE. L'observatoire est présidé par un magistrat de la Cour des comptes.

M. Michel Vergoz

Mais votre chariot guadeloupéen n'a rien à voir avec les paniers de l'INSEE ?

M. Thierry Saniez

Non. L'important pour nous était d'analyser les habitudes de consommation. Quand l'INSEE évalue le pouvoir d'achat, personne ne s'y retrouve ! Notre chariot-type, que je pourrai vous transmettre, repose sur une soixantaine de produits référencés et relevés dans plusieurs magasins, mois après mois, selon une méthodologie bien définie. La hausse des prix est bien actée. Nous devons maintenant analyser les causes des hausses des prix. Il est plus facile d'aborder un sujet quand le constat est déjà fait. L'administration comme les distributeurs se sont mis d'accord sur ce constat, et se sont montrés prêts à analyser les causes pour trouver des solutions. C'est déjà une démarche positive.

M. Michel Vergoz

Combien y-a-t-il de produits dans votre chariot ?

M. Thierry Saniez

Soixante produits de première nécessité sur neuf établissements.

M. Michel Vergoz

Des produits alimentaires, donc.

M. Thierry Saniez

Absolument.

M. Serge Larcher

Je crois qu'une démarche similaire a été faite en Martinique, mais je n'ai pas les éléments.

M. Michel Vergoz

La discussion sur la constitution du chariot a-t-elle été difficile ?

M. Thierry Saniez

Je n'ai pas eu d'écho de difficultés particulières. Dans un second temps, c'est une question de moyens. Les enquêteurs dans les magasins doivent être fiables, et les prix affichés de façon transparente.

M. Serge Larcher

J'observe que les gens contrôlent les prix dans les stations-services. Ce sont des membres d'associations.

M. Thierry Saniez

Les relevés de prix sont réguliers dans les magasins ou sur Internet ; beaucoup d'enseignes y affichent leurs prix en ligne.

M. Michel Vergoz

Le problème de la vie chère dans les DOM, c'est une vue de l'esprit ?

M. Thierry Saniez

Non, même s'il y a une composante de « ressenti », dans la perception de la hausse de prix. Il demeure que des hausses de prix sont fortes : en 2011, les prix des auto-écoles ont augmenté de plus de 7 %, et ceux des réparations automobiles de 4 %.

M. Michel Vergoz

Et sur l'alimentation, avez-vous constaté des hausses anormales ?

M. Thierry Saniez

Oui, en métropole, le café par exemple, a augmenté de 20 %.

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