(Mardi 9 octobre 2012)

Audition de MM. Fabrice Lenglart, directeur des statistiques démographiques et sociales à l'Institut national de la statistique
et des études économiques (INSEE), et Philippe La Cognata, directeur
de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM)
et de l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM)

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Dans le cadre de nos auditions consacrées au thème du niveau de vie des populations d'outre-mer, nous accueillons Fabrice Lenglart, directeur des statistiques démographiques et sociales de l'INSEE, et Philippe La Cognata, directeur de l'IEDOM-IEOM. Je les remercie de venir nous éclairer, d'une part, sur l'évolution de la conjoncture des départements et collectivités d'outre-mer et, d'autre part, sur le niveau et la structure des revenus et de la consommation de leurs populations.

M. Philippe La Cognata, directeur de l'IEDOM-IEOM

La conjoncture ultra-marine se dégrade depuis la fin du premier trimestre 2012. Jusqu'à présent, la consommation avait soutenu l'activité dans la plupart des territoires. Elle commence néanmoins à s'essouffler, sans que l'investissement ne prenne le relais. Dans un contexte d'incertitude à l'échelle mondiale, les économies ultramarines manquent de visibilité, ce qui entrave le retour à la confiance en l'avenir. L'indicateur du climat des affaires s'est retourné dans la quasi-totalité des territoires.

Passons en revue les différents outre-mer en commençant par les Antilles. La Guadeloupe est le seul territoire pour lequel l'indicateur du climat des affaires reste positionné au-dessus de sa moyenne de longue période en raison de la bonne tenue des secteurs du tourisme et du bâtiment et des travaux publics. Les commandes de logement social se situent à un niveau élevé : deux mille logements par an en Guadeloupe contre à peine un millier pour la Martinique. La consommation commence cependant à marquer le pas, à l'instar de l'évolution engagée depuis plusieurs mois en Martinique. Cette dernière se caractérise en effet par une dégradation sensible du climat des affaires. Ni la consommation, ni l'investissement ne permettent de relancer l'activité.

En Guyane, la reprise amorcée en 2010 n'est plus à l'ordre du jour. La consommation et l'investissement restent tout de même assez bien orientés, mais les disparités sectorielles apparaissent importantes. L'indicateur du climat des affaires est en repli ; cependant les perspectives de moyen terme sont plutôt encourageantes selon l'avis des chefs d'entreprise. La croissance reste soutenue par une progression marquée des crédits aux entreprises et aux ménages. Les établissements de crédit martiniquais trouvent d'ailleurs des relais de croissance importants en Guyane.

À Saint-Pierre-et-Miquelon, l'activité demeure tirée par les transferts et la dynamique du BTP. Le secteur de la pêche connaît un léger regain d'activité. La hausse des prix apparaît non négligeable (+ 3,2 % sur les trois derniers trimestres).

L'indicateur du climat des affaires de La Réunion est en repli au deuxième trimestre de l'année 2012 et se situe quinze points en-dessous de sa moyenne de longue période. Le manque de confiance et la prudence pèsent sur l'investissement, ce qui affecte négativement la croissance. La consommation est également en veille. Les perspectives restent mitigées, la question étant de savoir si l'on peut trouver de nouveaux chantiers susceptibles de soutenir l'activité.

À Mayotte, les difficultés persistent depuis les événements de l'automne 2011 qui ont paralysé l'économie pendant quarante-quatre jours. Le climat social demeure tendu. Les principaux indicateurs économiques sont en recul. La consommation s'est dégradée et l'investissement reste freiné par le manque de visibilité sur les perspectives de relance de l'activité et les opportunités d'affaires. S'y ajoutent les grandes difficultés financières des collectivités locales qui ne permettent pas aux entreprises de bénéficier de la relance de la commande publique.

S'agissant du Pacifique, l'économie de la Nouvelle-Calédonie est marquée par un nouveau repli du climat des affaires dans le cadre d'un ralentissement conjoncturel lié aux difficultés de l'usine du Sud à lancer la production de nickel et à la baisse de fréquentation dont pâtit le secteur du tourisme. L'arrêt de la desserte de la Nouvelle-Calédonie depuis La Réunion pèse également sur le moral de nombreux professionnels. À l'avenir, le territoire devrait toutefois bénéficier d'une forte croissance de ses capacités d'exportation avec notamment la fin de la construction de l'usine du Nord qui sera en mesure d'entrer en production dans quelques mois.

À l'inverse, la Polynésie française va continuer de connaître une situation difficile. L'indicateur du climat des affaires se trouve très en-deçà de sa moyenne de longue période. La faiblesse de la demande extérieure et la contraction de la commande publique pénalisent fortement l'économie. L'orientation de la consommation des ménages est toujours défavorable depuis quatre ans. Quelques espoirs subsistent pour le secteur du tourisme mais nous restons loin des belles années. Les difficultés budgétaires de la collectivité ne permettent pas de relancer la commande publique. L'instabilité politique du territoire, qui connaîtra une période électorale jusqu'en 2013, n'est pas propice à la confiance des investisseurs.

À Wallis-et-Futuna, la croissance ralentit mais le secteur du BTP demeure le pilier de l'activité locale. La hausse des prix est assez forte, accentuée par l'augmentation des coûts de l'énergie. La situation apparaît ainsi assez contrastée. La Guyane et la Nouvelle-Calédonie semblent les seuls territoires dotés de perspectives de développement à moyen terme.

M. Fabrice Lenglart

Avant de présenter les constats établis par l'INSEE en matière de niveau de vie des populations d'outre-mer, qui font appel à des considérations d'ordre plutôt microéconomiques, il me paraît nécessaire de rappeler quelques données de cadrage macroéconomiques. S'agissant des comptes de la Nation, le niveau de PIB par habitant des DOM est inférieur à celui de la France entière (30 634 €/habitant en 2011). La position relative des DOM, pris dans leur ensemble, s'est cependant plutôt améliorée en l'espace de dix ans : le PIB par habitant est passé de 64 % à 72 % du PIB national sur la période pour la Guadeloupe, de 68 % à 74 % pour la Martinique et de 60 % à 75 % pour La Réunion. Cela n'est toutefois pas le cas de la Guyane prise isolément dont le PIB par habitant a régressé de 49 % à 48 % en dix ans. Le niveau de PIB de Mayotte demeure très éloigné du niveau non seulement de la France entière mais aussi des autres DOM : le PIB par habitant mahorais représente en effet seulement un cinquième (22 %) de celui de la France entière. Il en va de même du revenu disponible brut par habitant : son niveau est inférieur d'environ 35 % à celui de la France entière pour les Antilles et La Réunion et de près de 50 % pour la Guyane.

Les pyramides des âges des DOM montrent que les populations y sont plus jeunes, voire beaucoup plus jeunes comme en Guyane. A contrario , les seniors apparaissent aujourd'hui proportionnellement moins nombreux dans ces territoires. De plus, la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion se caractérisent par un déficit de la classe d'âge des jeunes adultes. De nombreux natifs des DOM arrivés à l'âge adulte émigrent en effet vers l'hexagone ou à l'étranger.

En ce qui concerne le niveau de formation, les données collectées dans le cadre du recensement de la population permettent de nous renseigner sur la part de la population non scolarisée par âge et par diplôme. Parmi les personnes non scolarisées qui résident dans l'hexagone, 36 % ne disposent d'aucun diplôme de l'enseignement secondaire et 40 % ont obtenu au moins le baccalauréat. La part des diplômés augmente avec une élévation du niveau de formation, y compris dans les DOM, mais la situation d'ensemble demeure défavorable par rapport à l'hexagone, ce qui s'explique en partie par le fait qu'un certain nombre de personnes diplômées nées dans les DOM n'y résident plus au moment où elles sont prises en considération par le recensement. La Guyane reste exclue de cette tendance à l'élévation du niveau de formation en raison notamment des spécificités de sa structure démographique.

Je rappelle que les taux d'activité sont plus faibles dans les outre-mer que dans l'hexagone, en particulier chez les jeunes et les seniors. Pour la tranche d'âge des 15-64 ans, l'écart est d'environ 10 points entre les DOM et l'hexagone. Les taux d'activité s'étagent entre 57 % pour la Guyane et 63,4 % pour la Guadeloupe contre 70,5 % pour l'hexagone.

Les comparaisons entre les DOM et l'hexagone en matière de structures d'emplois font tout d'abord ressortir le poids beaucoup plus important du secteur de l'agriculture et de la pêche à Mayotte et de celui des industries extractives en Guyane. Elles montrent ensuite la moindre part de l'emploi industriel dans les DOM. Le poids du secteur de la construction est assez similaire. Enfin, la part des services non marchands est plus élevée dans les DOM.

Les comparaisons qui portent sur les effectifs de la fonction publique civile appellent des précisions. L'approche par le nombre de fonctionnaires rapporté au nombre de salariés laisse apparaître une différence nette entre les DOM et l'hexagone. Mais l'approche qui consiste à rapprocher le nombre de fonctionnaires du nombre d'habitants efface en grande partie cette différence. Cela s'explique surtout par la part plus faible du nombre d'actifs dans les DOM.

Je rappelle également que le taux de chômage est beaucoup plus élevé dans les DOM, avec un niveau près de deux fois supérieur au niveau de l'hexagone, quelles que soient les tranches d'âges. Son caractère est massif chez les jeunes.

Le niveau global du salaire moyen dans les DOM est inférieur d'environ 10 % à celui de l'hexagone en raison d'un effet de structure de l'emploi. La part de l'emploi qualifié est en effet moindre dans les DOM. Ainsi, au sein d'un même segment d'activité (cadres, professions intermédiaires, employés, ouvriers), le niveau de salaire moyen reste comparable. Le nombre de cadres représente près de 20 % de l'emploi salarié dans l'hexagone contre 10 % environ dans les DOM et encore moins à Mayotte.

En revanche, les salaires nets en équivalent temps plein demeurent supérieurs dans la fonction publique des DOM en raison des primes spécifiques qui y sont versées.

Au total, le niveau de vie médian des populations des DOM apparaît inférieur d'environ un tiers au niveau de l'hexagone.

Mais pour traiter pleinement de la question du niveau de vie, il est nécessaire de s'intéresser également au revenu disponible du ménage, à la structure familiale et à la question du niveau de prix. L'enquête de comparaison spatiale de prix réalisée par l'INSEE en 2010 montre que la différence entre les niveaux de prix des DOM et ceux de l'hexagone se situe entre 6 et 13 %. L'écart se révèle beaucoup plus marqué pour les produits alimentaires, de l'ordre de 20 à 40 % suivant les DOM.

En outre, les inégalités en matière de niveau de vie sont beaucoup plus fortes dans les DOM. L'écart de niveau de vie est en effet plus faible du point de vue du niveau de vie moyen que de celui du niveau de vie médian. Cette situation se reflète dans les taux de pauvreté plus élevés dans les DOM que dans l'hexagone. Le taux de pauvreté se définit comme la part de la population qui se situe en-dessous d'un niveau de vie défini comme 60 % du niveau de vie médian. La question est de savoir quel niveau de vie médian il faut retenir. Si l'on retient le niveau de vie médian national, les taux de pauvreté des DOM sont extrêmement élevés ; ils varient de 38 % à la Martinique à 92 % à Mayotte en passant par 46 % pour la Guadeloupe et environ 50 % pour La Réunion et la Guyane, contre un taux de pauvreté de 13 % dans l'hexagone. Si l'on retient un seuil de pauvreté local, les taux de pauvreté locaux des DOM restent supérieurs au taux de l'hexagone mais dans une moindre mesure (de 18 % à la Guadeloupe à 28 % à Mayotte). Cela rejoint le constat selon lequel la distribution des niveaux de vie dans les DOM est plus inégalitaire que dans l'hexagone.

À l'exception de la Guadeloupe, les taux de pauvreté locaux se révèlent plutôt plus élevés parmi les tranches d'âge jeunes. À l'inverse, ces taux sont moins élevés parmi les seniors (plus de 64 ans) soit parce que leur parcours professionnel leur assure un niveau de retraite relativement élevé par rapport au seuil de pauvreté local, soit parce qu'ils sont pris en charge par leurs enfants en habitant chez ces derniers.

En ce qui concerne la structure des revenus, la part des revenus d'activité dans les DOM est globalement comparable à celle observée dans l'hexagone. En revanche, la part des revenus du patrimoine est moindre, tout comme la part des pensions de retraite. A contrario , la part des minima sociaux et celle des prestations familiales sont plus élevées.

Dans les DOM comme ailleurs, la structure de consommation des ménages reflète le niveau de vie : plus le ménage a un faible niveau de vie, plus les dépenses consacrées à l'alimentation représentent une part importante. À l'inverse, plus le niveau de vie s'élève, plus la part des dépenses consacrées aux loisirs et à la culture s'accroît. À noter toutefois que la part prise par les dépenses de logement tend à être plus importante dans l'hexagone que dans les DOM. Les structures de consommation de Mayotte sont particulièrement éloignées de celle de l'hexagone, 40 % du budget étant consacrés à l'alimentaire.

M. Philippe La Cognata, directeur de l'IEDOM-IEOM

Le taux de recours aux procédures de résorption du surendettement par habitant dans les DOM demeure globalement près de trois fois inférieur à celui de l'hexagone : 1,3 dossier environ pour 1 000 habitants dans les DOM contre 1,7 dossier environ pour 1 000 habitants dans l'hexagone, soit un rapport estimé de 1 à 3. Cet écart important s'explique tant par la montée en charge plus lente des dépôts de dossiers outre-mer depuis les années 1990 que par des facteurs sociologiques et culturels comme l'importance des liens de solidarité familiale par exemple. Cet écart a toutefois eu tendance à se réduire au cours des dernières années. La crise qui a débuté en 2008 a accéléré le nombre de dépôts, notamment à La Réunion. La progression s'est poursuivie jusqu'en 2011 environ, avec une croissance moyenne de 10 % par an. Un ralentissement s'est fait jour depuis, probablement en raison d'une pause liée à l'application de la loi Lagarde. Parmi les personnes ayant le plus recours à la procédure prédominent les personnes seules de 35 à 54 ans, avec un ou plusieurs enfants à charge, souvent au chômage, avec des revenus inférieurs au SMIC dans six cas sur dix. La proportion de personnes surendettées qui sont propriétaires de leur logement est élevée, de l'ordre de 27 % dans les DOM contre 8 % dans l'hexagone. L'une des raisons de ce contraste réside dans la place importante des logements évolutifs sociaux outre-mer. On note par ailleurs que la part de « credit revolving » (28 %) est moins grande outre-mer que dans l'hexagone (40 %).

La situation particulière de la Nouvelle-Calédonie mérite d'être mentionnée. Le nombre de dossiers de surendettement déposés s'y avère beaucoup plus faible qu'ailleurs (85 par an contre 1 200 par an à La Réunion). Rappelons que le dispositif, mis en place en 2007, y est plus récent. On note toutefois une proportion plus élevée de personnes surendettées très pauvres. Le niveau d'endettement moyen y est de 49 000 euros contre 35 000 euros dans les DOM. Cet écart s'explique essentiellement par l'encours moyen des dettes immobilières qui reste beaucoup plus élevé (150 000 euros en Nouvelle-Calédonie contre 67 000 euros dans les DOM).

Le même dispositif a tout récemment été mis en place en Polynésie française à la demande du territoire. La commission de Polynésie s'est d'ailleurs réunie pour la première fois la semaine dernière. Une dizaine de dossiers est en attente de traitement à ce jour. Ce nombre devrait rapidement augmenter dans les semaines qui viennent.

M. Joël Guerriau

Existe-t-il des indicateurs qui délivreraient un message plus optimiste ?

M. Fabrice Lenglart

On observe, en l'espace de dix ans, une tendance au rattrapage des niveaux de vie des DOM sur celui de l'hexagone. De ce point de vue-là, les choses vont dans le bon sens. De même, les niveaux de qualification s'élèvent parmi les générations les plus jeunes. Ainsi, d'un point de vue dynamique et structurel, beaucoup de choses s'améliorent mais de nombreuses difficultés restent encore à surmonter.

M. Philippe La Cognata

Il est vrai que les taux de croissance très élevés du passé ont permis des rattrapages. La croissance a été plutôt rapide jusqu'en 2008, la défiscalisation dans le domaine du BTP ayant constitué un moteur puissant. Avec l'arrivée de la crise et la fin des chantiers, en particulier à La Réunion, le défi consiste à trouver des nouveaux relais pour amorcer la reprise. Rappelons que nous nous trouvons dans une phase d'ajustement structurel qui s'inscrit dans le contexte plus général d'une crise nationale et internationale.

M. Robert Laufoaulu

Nous aimerions obtenir des données précises pour les collectivités d'outre-mer.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Comment pourrions-nous disposer de données plus actualisées ? Nous ne savons pas sur quelle tendance nous baser. S'agissant des sur-rémunérations, pourriez-vous nous préciser la masse financière qu'elles représentent ?

M. Fabrice Lenglart

L'appareil statistique de l'INSEE n'englobe que les DOM, les COM disposant de leurs propres instituts statistiques. Je ne suis pas en mesure de vous dire si ces derniers peuvent produire des chiffres semblables à ceux que je vous ai exposés. Quant à la date de production des données présentées, j'ai fait appel aux données les plus récentes dont dispose l'INSEE. L'enquête sur les revenus et fiscaux qui est réalisée chaque année dans l'hexagone ne peut l'être aussi fréquemment dans les DOM en raison de difficultés liées aux conditions d'adressage. C'est pourquoi, les constats dont je vous ai fait part reposent pour l'essentiel sur l'enquête « budget de famille » réalisée en 2006. Une enquête sur les revenus fiscaux et sociaux a été conduite dans les DOM en 2010 mais les chiffres finaux n'ont pas encore pu être publiés.

Audition de M. Claude-Valentin Marie, conseiller pour l'outre-mer
à l'Institut national des études démographiques (INED)

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Nous accueillons à présent Claude-Valentin Marie, conseiller pour l'outre-mer à l'Institut national des études démographiques. Je le remercie d'avoir accepté de venir nous éclairer sur les caractéristiques et les évolutions des structures de population dans les territoires ultra-marins. Qu'en est-il de la transition démographique tant attendue ?

M. Claude-Valentin Marie, conseiller pour l'outre-mer de l'Institut national des études démographiques

En préambule, je rappelle que l'Institut national des études démographiques n'est pas officiellement représenté dans les DOM. Depuis cinq ans, je m'efforce cependant d'orienter ses travaux vers les réalités de l'outre-mer. Dans ce cadre, nous avons mené une enquête inédite dans les Antilles, en Guyane et à La Réunion, partant du constat d'un manque criant de connaissances en matière de mutations démographiques dans les DOM. Très souvent en effet, les enquêtes conduites par l'INSEE n'ont de nationales que le nom. Il s'agit fréquemment d'enquêtes menées sur le territoire de l'hexagone qui font l'objet de légères extensions dans les DOM mais qui demeurent insuffisantes pour rendre compte des réalités et de la complexité des outre-mer. En outre, certaines grandes enquêtes, comme l'enquête « familles » par exemple, soit ne sont conduites que dans certains DOM, soit ont été réalisées à une date si ancienne que leurs résultats ne reflètent plus en rien les réalités actuelles. S'agissant en particulier de la question du vieillissement, aucune enquête n'avait été menée avant la nôtre dans les DOM. Mais surtout, aucune interrogation n'avait vraiment été formulée sur les enjeux du vieillissement alors qu'ils représentent un défi important pour la plupart des DOM et qu'il est urgent de traiter le problème.

Nous avons enquêté auprès d'un échantillon de 4 000 ménages dans chacun des quatre DOM, ce qui était absolument inédit. Une précision méthodologique s'impose : s'agissant de la Guyane, l'échantillon excluait les populations de la région du fleuve. Celles-ci devraient faire l'objet d'une analyse dans le cadre d'un complément à notre enquête. En outre, nous avons croisé dans une même enquête les thématiques de la migration, de la famille, de la fécondité, de la démographie, ce qui n'est pas le cas des enquêtes nationales traditionnelles qui traitent de chacun de ces sujets isolément. Qu'en est-il de la transformation des structures familiales sur la prise en charge du vieillissement ? Quel est l'impact de la migration sur le vieillissement de la population ? Comment s'organisent, du point de vue de la migration, les dynamiques familiales ? Quelles sont les conséquences de la migration sur les structures démographiques et sur la population active des territoires ?

Il importe de remettre en perspective la croissance démographique des DOM sur le plus long terme. Entre 1945 et 2010, c'est avant tout la Guyane qui a connu une accélération très marquée de la croissance de sa population. L'accroissement est plus régulier s'agissant de la Martinique et de la Guadeloupe. La Réunion reste aujourd'hui encore la plus jeune des trois îles, mais à l'horizon 2030, elle fera face à un problème de vieillissement de grande ampleur qui nécessitera de dégager des moyens qui ne seront certainement pas moindres que ceux qui devront être mobilisés aux Antilles.

Les DOM se caractérisent par une chute de la natalité très importante à la Martinique, relativement soutenue en Guadeloupe et moins marquée à La Réunion. La Martinique se situe aujourd'hui à peine sous le seuil de renouvellement de la population.

Saint-Martin est plus proche de la dynamique guyanaise que des dynamiques des trois autres îles. Le cas de la Guyane est d'ailleurs particulier car le territoire cumule un taux d'accroissement naturel de la population très élevée (3,5 enfants par femme) et une part des adultes seniors très inférieure à celle de l'hexagone.

Quatre séries de causes peuvent expliquer le phénomène du vieillissement démographique. En premier lieu, il peut s'agir d'un vieillissement dit « par le haut » parce qu'il résulte de l'augmentation de l'espérance de vie. En deuxième lieu, une baisse des naissances peut provoquer un vieillissement dit « par le bas ». En troisième lieu, le vieillissement peut être la conséquence d'un « baby-boom » qui se transforme progressivement en « papy-boom ». En dernier lieu, il peut s'agir de départs de populations non compensés, du point de vue de l'équilibre entre classes d'âge, par des arrivées de populations nouvelles. Dans l'hexagone, le vieillissement s'explique par la combinaison des premières et troisièmes causes. Dans les Antilles, et tout particulièrement en Martinique, son origine réside dans les quatre causes à la fois : chute de la natalité, forte émigration, arrivée à un âge relativement avancé des générations de l'après-guerre et espérance de vie montante.

De fait, la transition démographique est quasiment achevée dans les Antilles. La Réunion se trouve dans une situation intermédiaire car elle cumule vieillissement de la population et maintien d'un renouvellement de population lié au nombre d'enfants par femme, avec un nombre de femmes en âge d'avoir des enfants qui élargit le bas de la pyramide des âges. Le département doit donc gérer deux dynamiques à la fois.

Ce problème du vieillissement, qui se pose donc en des termes très différents d'un territoire à l'autre, appelle des réponses de politique publique différenciées. L'un des points communs des territoires, en particulier des départements antillais, est la rapidité du processus. Alors que la transition démographique s'est étalée sur cent-cinquante ans dans l'hexagone, elle a eu lieu en moins de cinquante dans les DOM.

L'une des caractéristiques dominantes de la migration dans les DOM est la constance dans le temps et l'importance en volume de l'émigration des jeunes. Dans ces territoires, les départs se font en effet principalement dans les classes d'âge les plus jeunes et les retours en grande majorité dans les classes d'âge les plus avancées. L'implantation et la diversification de l'immigration étrangère sont un autre trait important, la Guyane étant la plus concernée. Celle-ci voit surtout des arrivées de personnes adultes âgées d'environ 20 à 40 ans. Au total, le solde migratoire antillais a toujours été négatif entre 1974 et 2007 : les départs ont été plus nombreux que les arrivées.

Une personne sur quatre née en Martinique ou en Guadeloupe vit aujourd'hui dans l'hexagone. La proportion est de une sur deux, voire de deux sur trois pour les classes d'âge les plus jeunes. Entre 1954 et 2008, date du dernier recensement, les effets des politiques institutionnelles sur les migrations et les transformations des structures démographiques dans les DOM apparaissent d'ailleurs clairement, comme le montrent par exemple les arrivées consécutives à la mise en place de l'aide à la continuité territoriale. La Guyane a été peu aidée par les dispositifs d'aide à la mobilité jusqu'à l'installation de l'agence pour l'outre-mer qui a accéléré l'émigration des jeunes natifs guyanais.

En 1954, la Martinique comptait encore 6 à 7 enfants par femme et 10 000 naissances par an tandis que 49,2 % de sa population étaient âgés de moins de 20 ans. Nous sommes aujourd'hui 1,9 à 2 enfants par femme et à moins de 5 000 naissances annuelles. Il en va de même pour la Guadeloupe qui comptait 6 enfants par femme en 1961 et qui ne compte plus que 2 enfants par femme aujourd'hui.

Ces mutations démographiques se reflètent dans la transformation du profil des pyramides des âges qui se resserrent par le bas et se gonflent par le haut. En 2030, ces pyramides prendront plutôt la forme d'un champignon puisque près de 40 % des populations de ces territoires seront âgés de plus de 60 ans (33 % en Guadeloupe et 36 % en Martinique). Le taux sera de 22 % à La Réunion mais concernera deux fois plus de personnes en termes d'effectifs. C'est dans ce département que les solidarités intergénérationnelles restent les plus fortes. C'est une nouvelle société qui se compose.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Vous avez parlé de « violence démographique ».

M. Claude-Valentin Marie

Absolument, car ce qui est en jeu est la rapidité du processus.

M. Éric Doligé, co-rapporteur

L'accentuation de ces déséquilibres démographiques pose la question du financement des retraites et de l'adéquation des règles métropolitaines aux situations de ces collectivités.

M. Claude-Valentin Marie

Tout à fait, j'y reviendrai.

Le processus de vieillissement à l'oeuvre à La Réunion connaît une accélération moins vive mais il concerne des volumes de populations plus importants. En revanche, la Guyane se situe en rupture totale avec les évolutions que je viens de décrire. Il s'agit de la région française qui connaît la plus forte croissance démographique. Le taux de natalité y est le plus élevé : 30 pour 1 000 habitants contre 13 pour 1 000 habitants dans l'hexagone. Même l'indicateur de fécondité du Surinam apparaît plus faible que celui de la Guyane. Il s'agit donc d'une dynamique propre à la Guyane et non d'une natalité importée.

M. Éric Doligé, co-rapporteur

Les femmes surinamaises ou brésiliennes qui viennent en Guyane n'ont-elles pas en moyenne davantage d'enfants ?

M. Claude-Valentin Marie

En moyenne, non. Mais les populations du fleuve, qui ne sont pas incluses dans la présente étude, ont un taux de natalité en moyenne supérieur aux populations du littoral.

62 % de la population guyanaise âgée de 18 à 79 ans sont des personnes qui ne sont pas nées en Guyane. 40 % de ces immigrants résident depuis plus de 20 ans en Guyane. Plus de 7 personnes sur 10 nées en Guyane ont, à une ou deux générations près, un parent qui n'est pas né en Guyane. Nous sommes donc dans une dynamique de peuplement. Pour résumer à gros traits, la situation de la Guyane aujourd'hui correspond à celle des Antilles à la fin du XIX e siècle.

Il faut mettre en perspective le vieillissement et les départs massifs en retraite à horizon 2030 avec le niveau de précarité des populations concernées car leurs trajectoires professionnelles sont très souvent discontinues. Gardons à l'esprit le sous-équipement de ces territoires en établissements d'accueil pour personnes âgées dans un contexte où les structures familiales changent.

En 2010, la proportion de personnes de plus de 60 ans demeure plus importante dans le Limousin que dans les Antilles. En 2040, cela ne sera plus le cas. Le rythme de vieillissement des populations antillaises aura dépassé celui de la population du Limousin.

Aux Antilles, il faudra compter avec une dégradation marquée du ratio entre le nombre de personnes âgées et celui des personnes en âge de travailler. À La Réunion, le nombre d'actifs va continuer à augmenter. L'accroissement sera de l'ordre de 4 000 personnes par an jusqu'en 2013 puis de 1 300 les années suivantes.

Derrière le vieillissement se profilent des inégalités en matière de santé car, dans les DOM, les populations vieillissent moins longtemps en bonne santé. La proportion de personnes se déclarant en mauvaise santé après 72 ans dans l'hexagone est identique à celle se déclarant dans cette même situation dès l'âge de 60 ans dans les DOM. Les difficultés sanitaires et de dépendance touchant les personnes âgées seront particulièrement prononcées à La Réunion à l'horizon 2030.

À cela s'ajoutent la précarité et l'importance du taux de pauvreté. Le nombre de bénéficiaires du minimum vieillesse est nettement plus élevé dans les DOM que dans l'hexagone. La part des personnes en situation de précarité appartenant à des familles monoparentales est également très élevée. Or, le nombre de familles monoparentales est beaucoup plus élevé dans les Antilles. Le constat ne vaut pas pour La Réunion. Si dans l'hexagone seuls 2 % des enfants de 0 à 10 ans vivent dans une famille monoparentale, ils sont 31 % dans les Antilles. À l'inverse, 78 % des enfants de l'hexagone vivent de 0 à 10 ans au sein d'une famille qui comprend leurs deux parents alors qu'ils ne sont que 38 % à la Martinique. Malgré ces différences, la politique familiale est conçue à partir des structures familiales constatées dans l'hexagone.

La Réunion et la Guyane connaissent les taux les plus élevés de maternités précoces. À l'heure actuelle, une sur quatre des jeunes femmes nées entre 1980 et 1989 a eu un enfant avant 20 ans. C'est la situation qui prévalait dans l'hexagone il y a quarante ans. Les Antilles sont moins concernées que La Réunion et la Guyane mais elles reviennent de loin.

Enfin, parmi les enfants vivant dans une famille monoparentale, 65 % en Guyane, 67 % à La Réunion et 55 % en Guadeloupe ont des parents inactifs.

C'est à La Réunion que la solidarité intergénérationnelle concerne le plus grand nombre de personnes. 60 % des jeunes entre 15 et 27 ans et plus de 50 % des personnes entre 60 et 65  ans disent recevoir une aide familiale régulière. Cette tradition a tendance à s'épuiser aux Antilles, en particulier en Martinique. L'aide financière reçue va presque exclusivement aux jeunes, les plus âgés recevant de l'aide non financière, ce qui s'explique par le taux de chômage massif qui touche les jeunes.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Qu'en est-il des collectivités d'outre-mer et de Mayotte ?

M. Claude-Valentin Marie

Je vous ai présenté les travaux que nous avons menés à ce jour et qui ne portaient que sur les populations antillaises et réunionnaises et sur une partie de la population guyanaise. Bien évidemment, il nous faudra mener ce même travail pour l'ensemble de la population guyanaise et pour Mayotte, dont le défi est de constituer son propre système d'informations statistiques. Il en va d'ailleurs de même pour Saint-Martin dont l'aspiration à devenir une région ultrapériphérique suppose qu'elle soit en capacité de développer des indicateurs lui permettant de vérifier les écarts à la moyenne, notamment pour bénéficier des fonds européens. Des chantiers importants nous attendent donc, mais ils requièrent que des moyens significatifs soient dégagés.

M. Éric Doligé, co-rapporteur

L'importance des projections visant à identifier les points sur lesquels nous devons agir n'est plus à démontrer. Mais tirez-vous des sonnettes d'alarme dans vos travaux ou faites-vous des recommandations ?

M. Claude-Valentin Marie

Nous ne sommes pas des responsables politiques. Mais notre ambition était de marcher sur deux pieds : d'une part, renouveler et approfondir la connaissance des dynamiques à l'oeuvre dans les territoires d'outre-mer et, d'autre part, fournir des indicateurs d'évaluation des politiques publiques. C'est aujourd'hui que des décisions doivent être prises car 2030 n'est pas un horizon lointain.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Nous vous remercions pour vos éclairages sur ces défis qui nous attendent.

Audition de M. Patrick Doutreligne, délégué général
de la Fondation Abbé Pierre

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Monsieur le Délégué général, nous aimerions que vous nous parliez de votre expérience sur le logement en outre-mer, essentiellement à La Réunion : avez-vous des éléments de comparaison avec la métropole ? Quel regard portez-vous sur l'action des pouvoirs publics ?

M. Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé Pierre

Nous intervenons en soutien aux associations en Guyane, Martinique et Guadeloupe, mais la seule agence de la Fondation Abbé Pierre en outre-mer se trouve en effet à La Réunion. Je commence à bien la connaître car je m'y rends une semaine par an, tous les ans.

Les dépenses de logement constituent le premier poste budgétaire des ménages en métropole. En vingt ans, il est passé de la troisième place (13 %) à la première aujourd'hui (25,8 %). La Réunion a une particularité importante. La politique du logement est incapable de suivre l'ampleur du développement démographique, au point que La Réunion a recours à des solutions palliatives : des cases sont construites sur les hauteurs avec de la tôle ondulée, ce qui a généré un problème particulier, celui de l'indivision ; la propriété foncière n'est pas bien établie. De nombreuses personnes se sont progressivement installées autour des propriétés agricoles, comme la canne à sucre. Un droit usuel s'est créé petit à petit, d'installer son propre logement, puis celui de sa famille, sur son lieu de travail. Aucune régularisation n'étant intervenue, des problèmes fonciers sont apparus. Le logement est devenu onéreux à La Réunion, en dépit des charges locatives moins élevées qu'en métropole - moins de charges de chauffage notamment. Il manque beaucoup de logements à loyer accessible. Le logement social a été, par vagues successives, développé par les pouvoirs publics puis délaissé. Sur la dernière période, la défiscalisation a été une bouée de secours pour La Réunion, en même temps qu'un risque d'aggraver encore la situation si cet instrument n'est pas maîtrisé, car les investissements permis par la défiscalisation contribuent à la montée des prix de l'immobilier.

Le foncier est en effet contraint d'un côté par la mer, de l'autre par les volcans, même éteints. Le problème du foncier est encore aggravé par les difficultés de transport. Outre la route nationale qui entoure l'île, les possibilités de déplacement des Réunionnais sont extrêmement limitées et de fait réduites à l'usage de la voiture, les transports en commun étant très peu développés : il existe des autobus, mais pas de train, ni de tram, malgré quelques projets qui ont émergé.

En conclusion, le logement à La Réunion peut monter jusqu'à 12 à 15 euros le mètre carré en moyenne, ce qui correspondrait à des zones urbaines denses en métropole.

Le niveau des charges est moins lourd qu'en métropole, car EDF, opérateur principal, propose un tarif aménagé, inférieur au coût de revient. On pourrait toutefois s'inquiéter si ce tarif, aujourd'hui favorable aux Réunionnais, était remis en cause par EDF pour des raisons de rentabilité économique.

La situation foncière est la raison majeure du coût du logement, qui s'explique aussi par le coût des matériaux de construction, tous importés de métropole, ce qui contribue à faire augmenter les prix et à accentuer les différences entre les partenaires économiques. Le prix du ciment, du béton, du plâtre sont à intégrer dans la négociation annuelle avec l'Observatoire des prix, car La Réunion connaît une situation de monopole sur les matériaux de construction, et des prix élevés pour les matières premières et les transports.

La combinaison de la pénurie du foncier, de loyers élevés - lesquels sont comparables à de grandes villes de la métropole - et de matériaux aux prix élevés, aboutissent à une cherté des prix du logement à La Réunion. Dans les négociations avec nos propres salariés, nous estimons à une fourchette comprise entre 10 et 20 % le surcoût entre La Réunion et la métropole. Cet écart nous pose un problème : faut-il faire prévaloir l'égalité des territoires, ou prendre en compte les réalités propres de ceux-ci ! Je suis pour ma part intéressé par l'idée de bouclier des prix et de listes de produits, introduits par amendement à la loi relative à la régulation des prix outre-mer.

Par ailleurs, la situation très particulière des métropolitains fonctionnaires travaillant à La Réunion est choquante. La survalorisation de leurs salaires contribue à l'augmentation des prix de l'immobilier et aux écarts de richesses entre métropolitains et autochtones, et finit par créer des tensions importantes, qui vont à l'encontre de la tradition de tolérance et d'accueil de La Réunion. L'écart entre les prix de l'immobilier et la solvabilité des ménages réunionnais est flagrant. Les surrémunérations, qui auparavant visaient à inciter les métropolitains à s'installer dans les départements d'outre-mer, sont devenues aujourd'hui artificielles et ne se justifient plus puisqu'il existe une main d'oeuvre compétente sur place. C'est une vraie difficulté pour nous. Nos propres salariés du secteur associatif privé cherchent à intégrer la fonction publique, même territoriale, pour être mieux payés. Cette source de tension est mise en avant par certains élus qui dénoncent l'attitude des métropolitains qui captent les postes lucratifs au détriment des Réunionnais.

En conclusion, il est difficile d'apporter des solutions à cet écart de prix de 10 à 20 % avec la métropole. Soit on augmente les salaires, et on contribue au système inflationniste. Soit on agit sur un autre vecteur, par exemple le prix du loyer ou des produits alimentaires, et on essaie d'envisager les modalités qui permettraient de vivre à La Réunion avec un niveau de vie équivalent à celui d'un métropolitain.

Les problématiques sont semblables en Martinique, Guadeloupe et Guyane, même s'il y a plus de logements sociaux, en Martinique en particulier. Nous avons été très sollicités pour intervenir en Guyane, qui manque d'opérateurs, associatifs ou privés, pour construire des logements sociaux, dans un contexte de démographie importante et d'immigration non maîtrisée.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Combien de salariés employez-vous à La Réunion ?

M. Patrick Doutreligne

Nous avons douze salariés dont deux métropolitains. Nous essayons de privilégier les autochtones. Nous offrons trois types de services :

- un accueil de jour pour les sans-abri, essentiellement des populations issues des DOM qui parlent créole, ce qui nous oblige à employer surtout des Domiens ;

- une résidence pour jeunes couples et jeunes ménages, à mi-chemin entre le logement social auquel ils accèderont, et, soit la rue ou l'hébergement qu'ils ont connu, soit des « pensions de famille » qui constituent en réalité des logements indignes ;

- l'éradication des logements insalubres, au nombre de 25 000, ce qui reste considérable. Nous intervenons en partenariat avec la Caisse d'allocations familiales et les centres communaux d'action sociale (CCAS) pour l'auto-réhabilitation ou l'amélioration légère de logements qui se sont développés ces trente dernières années en dehors des normes de confort et de salubrité. Nos interventions ne modifient pas le gros oeuvre : installation d'une salle de bains, d'une toiture, rénovation de l'électricité...

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Pouvez-vous chiffrer la surrémunération ?

M. Patrick Doutreligne

20 à 50 % sur les salaires.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Et en masse financière annuelle, sur les trois fonctions publiques ? Certains avancent 30, 100, 200 ou 300 millions d'euros annuels !

M. Patrick Doutreligne

Le chiffre réel est certainement supérieur à l'estimation.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Avez-vous fait des démarches pour structurer vos actions en matière de logement ? Vous intervenez quand le mouvement PACT pour l'amélioration de l'habitat, se retire.

M. Patrick Doutreligne

Le PACT a cessé ses interventions. C'est une catastrophe, au moins pour les deux années à venir. J'ai du mal à comprendre la position du conseil général. On ne peut pas lui reprocher d'installer un autre établissement dont ils auront davantage la maîtrise, même si ce n'est d'ailleurs pas un gage de réussite, mais il risque de se voir reprocher un certain clientélisme : l'île est petite, avec ses vingt-quatre communes. Les maires sont donc souvent aussi conseillers généraux, députés ou sénateurs. Cette proximité est extrêmement positive avec la population, mais elle peut aussi s'avérer dangereuse. Je crois qu'il convient au contraire de promouvoir les corps intermédiaires, comme les associations, peu développées à La Réunion. Elles sont soutenues par les élus, certaines de façon neutre, mais d'autres deviennent des outils de la collectivité locale ou de l'élu. Je trouve cette situation malsaine. La Fondation Abbé Pierre préfère soutenir les associations locales plutôt que de mener des actions directes ; or, c'est très difficile à La Réunion, où nous devons passer par les CCAS qui sont en première ligne, ce qui nuit à la neutralité de notre engagement. Le risque de dérive est omniprésent.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Le problème de la surrémunération est-il le problème central de la vie chère, selon vous ? Les rentes issues de la surrémunération ne profitent pas à La Réunion : ne sont-elles pas rapatriées en métropole ?

M. Patrick Doutreligne

Non, la surrémunération est seulement l'un des aspects importants. Ce n'est pas la destination de ces salaires qui pose problème. C'est le modèle économique de La Réunion qu'il faut aider à restructurer. On ne pourra pas tout changer : La Réunion sera toujours contrainte d'importer, ce qui a un coût. Le niveau des investissements est tel que seul un opérateur unique peut y faire face dans certains secteurs.

Personne n'est favorable au monopole, ni même les tenants de l'économie libérale. Un dispositif concurrentiel est toujours nécessaire. Les modalités qui permettent la concurrence n'existent pas. Je crois que La Réunion a un potentiel énorme. Il ne faut pas perdre de vue que la défiscalisation, par exemple, a des effets pervers, même si elle permet d'injecter des capitaux. Ce n'est qu'une mesure palliative pour trouver des recettes.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Le facteur foncier est le facteur suprême. 80 % du territoire est inconstructible à La Réunion...

M. Patrick Doutreligne

Il faut apporter des réponses aux fondamentaux pour régler le problème du logement. Hormis ces deux dernières années où la production de logements a légèrement remonté, la chute de la construction est dramatique car dans le même temps, la fécondité est plus importante qu'en métropole.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Quelles sont les deux propositions clé que vous avanceriez sur la vie chère ?

M. Patrick Doutreligne

En attendant que les outils concurrentiels permettent d'atteindre un équilibre, les pouvoirs publics doivent avoir une maîtrise de la régulation et des coûts. Le foncier est tellement contraint que l'intervention publique sur le logement foncier doit être plus vigoureuse, pour ne pas laisser libre cours à la loi du marché qui écarterait inévitablement les ménages les plus modestes. Cela est aussi vrai pour les produits alimentaires.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Que pensez-vous de la loi relative à la régulation des prix outre-mer ?

M. Patrick Doutreligne

Les amendements relatifs à l'Observatoire des prix me semblent intéressants. Ils permettent d'avoir une vision plus objective, et constituent une première étape nécessaire vers la deuxième étape qui est l'intervention publique pour réguler les prix, sans pour autant revenir à une économie totalement dirigée. Il est sage de dire qu'une politique d'encadrement serait bienvenue à La Réunion.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

La Réunion a trois ou quatre zones concernées, à l'instar de la métropole, par l'encadrement des loyers. Il s'agit de loyers de relocation.

M. Patrick Doutreligne

Nous avons salué cette initiative, qui témoignait d'un virage dans la politique du gouvernement. La prochaine loi, annoncée pour 2013, devra l'établir de façon plus cohérente. Il faudra aboutir à une diminution des loyers, sous peine de voir se former des villes-musées où seuls les ménages aisés pourront se loger. Une mixité d'habitat et de vie doit être respectée au niveau de chaque commune, pour éviter les phénomènes de ghettos qui ne peuvent que conduire à des situations explosives. Les communes ne doivent pas s'exonérer de cette obligation de mixité. Quelques-unes, dans l'ouest de La Réunion, aimeraient s'en dispenser. Ce n'est pas acceptable.

Audition de Mme Chol, directrice générale de l'INC

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Nous accueillons à présent Mme Fabienne Chol, Directrice générale de l'Institut national de la consommation (INC). Madame, l'INC connaît-il les outre-mer ? Quel regard portez-vous sur les outils statistiques dont nous disposons, notamment ceux de l'INSEE ?

Mme Fabienne Chol, directrice générale de l'Institut national de la consommation

Nous ne sommes pas un institut de statistiques (c'est la vocation de l'INSEE) ni d'enquête (c'est le CREDOC qui remplit cette fonction). Nous nous contentons de nous appuyer sur les études de ces deux organismes. Créé en 1966, l'INC s'intéresse aux consommateurs quelle que soit leur localisation. Sa vocation est d'accompagner les consommateurs et de les aider dans leurs litiges. Il les aide à mieux discerner les caractéristiques des différents produits sur le marché, afin de faire un choix qui corresponde le mieux à leurs attentes. L'INC apporte également un soutien technique, par exemple une aide juridique, aux associations qui représentent les consommateurs. Nous testons la gamme de produits mis sur le marché et menons des études de marché à l'aveugle, c'est-à-dire sans dévoiler qui nous sommes. Les laboratoires exécutent les tests et en restituent les résultats, selon un protocole normé. Nous analysons et publions les résultats. Nous apportons une aide au choix des consommateurs et facilitons l'accès à leurs droits.

Nous menons, à l'appui de nos actions, des campagnes d'information, grâce à une émission de télévision : Consomag, programme de deux minutes accessible par tous, et nous avons un magazine, 60 millions de consommateurs, qui apporte l'information directement aux consommateurs.

Il existe un seul centre technique régional (CTRC) en outre-mer, situé en Martinique. Il n'est pas particulièrement actif.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Faites-vous des tests sur la qualité des produits ?

Mme Fabienne Chol

Nos tests portent sur plusieurs critères, dont la qualité, qui peut elle-même revêtir plusieurs critères : la qualité environnementale, énergétique, la performance technique... Nous travaillons avec plusieurs laboratoires, dont le laboratoire national d'essai.

M. Joël Guerriau

Comment se concrétisent les tests sur les offres immatérielles, une prestation touristique par exemple ?

Mme Fabienne Chol

Nous ne faisons pas encore de tests sur les offres touristiques. C'est beaucoup plus difficile d'apprécier les offres sur les services. Nous le faisons toutefois pour les services financiers.

M. Joël Guerriau

Avez-vous établi des comparaisons sur les produits des outre-mer : rhum, banane ?

Mme Fabienne Chol

Il me semble que nous avons effectué des essais sur le rhum, il y a fort longtemps.

M. Joël Guerriau

Avez-vous une appréciation sur les conditions sociales de fabrication ?

Mme Fabienne Chol

Nous sommes très désireux d'inclure dans nos tests les aspects énergétiques et environnementaux. Nous faisons en sorte de nous rapprocher de la norme RSE : responsabilité sociétale environnementale. Nous étudions actuellement la façon d'en tenir compte. La question des conditions sociales ne sera étudiée que dans une seconde étape.

M. Joël Guerriau

Les résultats de vos travaux ont-ils un impact sur le marché ?

Mme Fabienne Chol

Oui, nos notes sur un produit ont un impact. Nous souhaitons donner le pouvoir aux consommateurs, et faire en sorte que les choix des consommateurs influencent le marché. C'est une dimension prônée par la Commission européenne et c'est vers quoi nous tendons.

M. Joël Guerriau

Êtes-vous sollicités par les entreprises ?

Mme Fabienne Chol

Nous sommes sourds à ces sollicitations, qui sont nombreuses. Nous partons toujours du consommateur.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Comment recevez-vous les cris d'alarme des consommateurs d'outre-mer sur la cherté de la vie ? Comment les aider ?

Mme Fabienne Chol

Nous ne sommes pas spécifiquement présents aux côtés des consommateurs d'outre-mer. Nous pourrions sans doute faire plus. Une piste à explorer serait peut-être de produire des programmes de télévision spécifiques à l'outremer, et, au sein des 120 programmes pédagogiques annuels (Consommag), en consacrer certains à l'outre-mer. Nous pourrions également travailler sur les comparateurs de prix avec un système de géolocalisation par Internet pour cibler nos travaux sur l'outre-mer. Cela permettrait de savoir que pour tel produit, le moins cher à proximité du consommateur se trouve à tel endroit. Mais cela présuppose que chaque consommateur dispose d'un Smartphone.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Vous pourriez aussi ménager, au sein du magazine 60 millions de consommateurs, un espace pour les outre-mer.

Mme Fabienne Chol

C'est vrai. Nous pourrions même faire des éditions spéciales pour les outre-mer.

M. Joël Guerriau

Vous ne connaissez pas l'origine géographique des demandes des consommateurs qui s'adressent à vous ?

Mme Fabienne Chol

Nous avons des statistiques, mais très peu viennent d'outre-mer : même pas 1 %.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Avez-vous programmé les actions que vous évoquez ?

Mme Fabienne Chol

Non. Nous avons un budget contraint : 4 millions d'euros de subvention propre, une subvention fléchée qui est intégralement distribuée à nos CTRC, et un chiffre d'affaires de 8 millions d'euros qui vient de notre magazine.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Menez-vous une réflexion sur la structure des revenus ?

Mme Fabienne Chol

Non. Nous nous appuyons sur les études de l'INSEE, et du CREDOC. Nous n'avons pas nos propres études. Nous avons quelques référentiels de prix, mais ce n'est pas notre coeur d'activité. Nous savons par la commission de surendettement que de plus en plus de ménages en outre-mer vivent du RSA.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Mais l'outre-mer est très spécifique... Il ressort de votre discours que l'INC ne prête pas attention à ces particularismes, qui figurent pourtant dans tous les textes législatifs ! Il y a encore du chemin à parcourir...

Mme Fabienne Chol

Nous nous préoccupons toutefois de la consommation de crise. Nos travaux des trois prochaines années vont s'intéresser aux consommateurs les plus fragiles. Nous serons donc plus présents sur les lieux de consommation et mèneront des réflexions sur les façons de consommer.

M. Joël Guerriau

La réalisation d'un magazine spécifique ultra-marin demanderait quel budget ?

Mme Fabienne Chol

Il faudrait faire un business plan. 60 millions de consommateurs ne vit que du produit de ses ventes. Il ne bénéficie d'aucune publicité, par déontologie. Il est donc assez cher. Mais nous avons une version numérique qui est disponible outre-mer.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur

Pourquoi le CTRC de Martinique ne fonctionne-t-il pas ?

Mme Fabienne Chol

Il a beaucoup moins de moyens, et offre moins de journées de formation aux associations de consommateurs que ceux de métropole : 8 jours contre 23 en Alsace par exemple. Il ne produit que 4 publications, quand le CTRC d'Auvergne en produit 96. Les CTRC sont indépendants, ce sont des « associations d'associations ». Ils vivent de subventions de l'État distribuées par l'INC, du conseil général et des cotisations d'adhérents. Ils sont 19 en France, dont 18 en hexagone.

M. Joël Guerriau

Chacun représente donc 1 à 3 millions de consommateurs. Les tailles sont très divergentes. Il est difficile de comparer celui de Martinique avec les 18 autres...

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