D. UNE PRESSION SUR L'ENVIRONNEMENT SANS PRÉCÉDENT

1. Le « revers » écologique du développement

Les émissions de gaz carbonique liées à l'énergie dans l'ASEAN ont, d'après une étude récente, triplé entre 1990 et 2011, et devraient encore doubler d'ici 2035, malgré une augmentation d'un tiers de l'efficacité énergétique. Elles représentent aujourd'hui 3,7% des émissions mondiales, (6,1% en 2035), alors que 8,6% de la population mondiale vit en Asie du Sud Est.

Source : « Horizon ASEAN » n°9, mai 2014, Service économique régional de Singapour, Direction générale du Trésor

a) Le poids des industries au charbon dans la production d'énergie

D'importants projets au charbon se développent dans toute la région, en prévision d'une forte demande, en ASEAN mais aussi au niveau mondial dans les années à venir. Le charbon devrait devenir le premier combustible en ASEAN d'ici 2030 (l'Agence internationale de l'Énergie prévoit que la part de charbon dans la production d'électricité devrait y passer à 50% d'ici 2030 contre 27% il y a cinq ans) 55 ( * ) . Outre l'Indonésie, leader mondial, le Vietnam, qui produit 12% du minerai de charbon de la région, développe 6 mines de charbon anthracite dans la province de Quang Ninh, dont la production sera essentiellement destinée au Japon, à la Chine, à la Thaïlande et à l'Europe.

Vos rapporteurs ont pu visiter la mine de charbon de la société Vinacomin à Halong (sur les rives de la fameuse baie du même nom !), d'une capacité de 110 millions de m 3 de charbon, dont l'exploitation à ciel ouvert est prévue pour durer encore 30 ans (100 ans pour l'exploitation au total). Les conséquences environnementales sont lourdes, surtout si l'on prend en compte le trafic maritime engendré par cette activité extractive, qui traverse littéralement les eaux de ce site classé au patrimoine mondial de l'humanité, et le projet d'extension du port de Cai Lan.

Ces menaces ont conduit le Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO à faire part de préoccupations lors de ses récents rapports 56 ( * ) sur la baie d'Halong. L'AFD finance d'ailleurs la remise en état et la végétalisation de terils sur ce site, pour limiter les conséquences négatives des écoulements dans les eaux de la baie.

En Indonésie , de nouveaux projets sont également en cours, dont le projet d'exploitation de la mine Haju (Kalimantan Est), qui prévoit un début de production en 2016.

Dans une région urbaine à 44% 57 ( * ) , à 55% d'ici 2020, qui s'industrialise et accroit sa consommation d'énergies fossiles, il faut s'attendre à une croissance importante des émissions de gaz à effet de serre en l'absence de mesures fortes pour contrer cette tendance naturelle.

La demande en énergie a été multipliée par 2,5 depuis 1990 (d'après l'agence internationale de l'énergie), pour atteindre aujourd'hui le niveau des 2/3 de la demande indienne.

D'après les prévisions, le rattrapage énergétique devrait essentiellement être centré sur le charbon dans les années à venir.

En effet, les stratégies d'atténuation semblent aujourd'hui insuffisantes pour faire face à la croissance de la demande, tant en matière de passage du charbon au gaz, de développement du nucléaire, ou d'énergies renouvelables, de cogénération ou de stockage de Co2.

L'Indonésie , l'un des 10 pays les plus émetteurs au monde, tire la région et l'on s'attend à un facteur 7 pour ses émissions liées à l'énergie d'ici 2030, passant de 110 à 750 millions de tonnes. Plus gros consommateur et émetteur de la région, l'Indonésie est au premier plan, la faiblesse des coûts de cette ressource abondante qu'est le charbon en faisant l'une des clés de son développement économique et social, avec 80 millions d'habitants toujours sans accès à l'électricité (d'après la Banque mondiale, 2009).

Les émissions globales du Vietnam devraient quant à elles être multipliées par 5, passant de 60 (2011) à 516 millions de tonnes en 2030, celles des Philippines devraient tripler d'ici 2030, passant de 30 (2010) à 90 millions de tonnes...

De la même façon, les perspectives de développement du marché automobile (les voitures pourraient passer de 30 millions en 2005 à près de 80 millions à l'horizon 2030 pour la seule ASEAN-6 -Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande et Vietnam-) laissent augurer d'une importante croissance des émissions de gaz à effet de serre.

b) Des atteintes « traditionnelles » à l'environnement qui perdurent

Parallèlement, les atteintes plus « traditionnelles » à l'environnement perdurent, qu'il s'agisse des combustibles domestiques, de la culture sur brûlis, ou de la pêche à la dynamite...

Comme cela a déjà été dit, l'année 2013 a ainsi été marquée par les feux de forêt qui ont ravagé la province indonésienne de Riau : en un mois, près de 17 000 hectares de forêt sont partis en fumée, atteignant des forêts protégées, des périmètres de préservation de la faune, des plantations industrielles et des sites de production forestière. La fumée (« haze ») a amené les voisins malaisien et singapourien à décréter l'état d'urgence. D'importants moyens ont finalement permis de mettre fin à ces incendies pour lesquels on aurait dénombré plus de 900 foyers, vraisemblablement provoqués par des individus cherchant à dégager des zones de culture (cultures sur brulis).

Une réunion de l'ASEAN en juillet 2013 a ainsi appelé à la coopération régionale et au développement d'un plan de lutte contre la pollution transnationale par la fumée.

2. Des indicateurs préoccupants pour la santé publique

L'Asie en général, et l'Asie du Sud-Est en particulier, est fortement concernée par les problèmes de pollution et de mauvaise qualité de l'air.

Dès le début des années 2000 était mis en valeur le phénomène dit du « nuage brun d'Asie », immense nuage de pollution d'environ 3 000 mètres d'épaisseur, s'étendant sur une surface équivalente à celle des Etats-Unis, recouvrant une grande partie de l'Asie de décembre à avril et s'étendant du nord de l'océan Indien, à l'Inde, au Pakistan et à la plus grande partie de l'Asie du Sud, de l'Asie du Sud-Est et de la Chine.

Depuis, tous les bilans ne cessent de montrer une dégradation accélérée.

Une récente étude de l'Organisation mondiale de la santé 58 ( * ) (OMS) révèle que ce sont les pays à revenu faible ou intermédiaire de l'Asie du Sud-Est et du Pacifique occidental qui ont enregistré la charge la plus lourde liée à la pollution de l'air en 2012, avec un total de 3,3 millions de décès prématurés liés à la pollution intérieure et 2,6 millions de décès prématurés liés à la pollution extérieure 59 ( * ) .

Ces chiffres ont fortement cru (presque doublé) depuis les estimations du début des années 2000 (il est vrai en partie sous l'effet de l'affinage des techniques de mesure).

La qualité externe de l'air, dégradée par les industries polluantes, n'est pas la seule en cause : l'utilisation de foyers ouverts à l'intérieur des habitations pour le chauffage ou la cuisson émet des polluants qui provoquent accidents cardio-vasculaires, maladies cardiaques, bronchopneumopathies, infection des voies respiratoires chez l'enfant et cancer du poumon.

3. L'Asie du Sud-Est, l'une des premières victimes du dérèglement climatique

L'ASEAN est classée 60 ( * ) comme très vulnérable par le panel intergouvernemental sur le changement climatique, marquée par une forte exposition aux risques naturels, à la montée des eaux avec ses 173 000 km de côtes, en particulier au Vietnam, en Thaïlande et aux Philippines, dont le typhon Haiyan a dramatiquement rappelé en novembre 2013 la grande vulnérabilité.

Outre les « catastrophes » naturelles, la désertification et la pollution atmosphérique constituent une menace croissante.

Source : Horizon ASEAN n°9, mai 2014, service économique régional de Singapour, direction générale du Trésor

Cette vulnérabilité a déjà un impact économique, sur le tourisme notamment, qui représente environ 6% du PIB en Malaisie et à Singapour. Le coût des inondations de 2012 en Thaïlande , notamment, avait été estimé à 17 milliards de dollars pour le pays.

Le Cambodge est lui aussi particulièrement exposé.

LES CONSÉQUENCES DU DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE : L'EXEMPLE DU CAMBODGE

Le Cambodge fait face à plusieurs risques liés au dérèglement climatique :

- impact sur la production rizicole (hausse des températures, sécheresse, inondations) pour un pays encore très dépendant de son agriculture : 80% de la production rizicole est irriguée uniquement par les pluies ; le secteur agricole compte pour 40% du PIB et emploie 60% de la population active,

- impact sur la nutrition en raison de l'importance de la pêche dans l'alimentation : 75% des apports en protéine des cambodgiens viennent de la pêche ; le Tonlé Sap est la 4 ème réserve piscicole au monde,

- vulnérabilité sanitaire à travers les maladies infectieuses endémiques (dengue, paludisme),

- faible résilience en raison notamment d'une carence institutionnelle (insuffisante coordination interministérielle),

- impact supplémentaire lié à la faible gouvernance régionale, notamment en matière de gestion commune des ressources (projets de barrages hydrauliques sur le Mékong),

A ces risques s'ajoute la pression créée par le dynamisme démographique du pays, le Cambodge étant le pays le « plus jeune » de l'ASEAN (70% de la population a moins de 30 ans).

Source : ministère des affaires étrangères

De la même façon, le Vietnam est l'un des pays les plus affectés par les conséquences du dérèglement climatique, avec 70% des habitants vivant dans des régions côtières et de basse altitude. Les autorités vietnamiennes ont adopté une stratégie nationale de réponse au changement climatique (2011) ainsi qu'une stratégie nationale de croissance verte (2012).


* 55 Chiffres tirés de l'étude de la Direction Générale du Trésor : « le secteur minier, un gisement de croissance pour l'ASEAN », février 2013

* 56 http://whc.unesco.org/fr/soc/1144

* 57 Source : l'ASEAN face au défi climatique, Service Economique Régional, Direction Générale du Trésor

https://www.tresor.economie.gouv.fr/File/401283

* 58 Étude en date de mars 2014, disponible sur :

http://www.who.int/entity/phe/health_topics/outdoorair/databases/en/index.html

* 59 Ces chiffres sont calculés par rapport à une situation où le niveau de pollution serait maintenu en dessous des valeurs-guide de l'OMS

* 60 Source : l'ASEAN face au défi climatique, Direction Générale du Trésor, https://www.tresor.economie.gouv.fr/File/401283

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page