Rapport d'information n° 557 (2014-2015) de M. Simon SUTOUR , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 25 juin 2015

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N° 557

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 juin 2015

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la situation de la Grèce au sein de la zone euro ,

Par M. Simon SUTOUR,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Emorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, MM. Claude Haut, Jean-Jacques Hyest, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Michel Mercier, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard.

« Il n'y a de vent favorable que pour celui qui sait où il va »

Sénèque

AVANT-PROPOS

Les négociations sur le décaissement de la dernière tranche de l'aide internationale à la Grèce rythment l'actualité de l'Union européenne depuis la fin de l'année 2014. Les premiers résultats positifs qu'a pu afficher l'économie grecque au début de cette même année sont aujourd'hui gommés par la menace, faute d'accord avec ses bailleurs de fonds (Union européenne, Fonds monétaire international et Banque centrale européenne), d'un défaut du pays et d'une sortie de la zone euro. L'avènement, à l'issue des élections législatives du 25 janvier 2015, d'une majorité parlementaire et d'un gouvernement hostiles au mémorandum d'accord signé en 2012 puis le référendum du 5 juillet 2015 ont contribué à rendre cette hypothèse plausible. Contrairement aux autres pays placés sous programmes d'assistance financière, à l'image de l'Irlande et du Portugal, la Grèce semble dans l'incapacité de sortir du cercle vicieux initié par l'absence de réformes. Il existe pourtant une aspiration profonde au changement de la part de la population grecque, dont l'attachement à l'euro ne se dément pas, cinq ans après le déclenchement d'une crise sans précédent, marquée par un appauvrissement inédit.

C'est dans ce contexte que votre rapporteur s'est rendu à Athènes du 8 au 12 juin 2015 afin d'y rencontrer représentants du gouvernement et l'opposition, acteurs économiques et membres de la société civile. Le présent rapport tire les enseignements de ces entretiens. Il présente un état des lieux de la situation économique et financière du pays mais aussi des négociations en cours. Il rappelle qu'au-delà du versement des fonds, qui induit une clarification de la position du gouvernement grec, il convient d'aider le pays à définir pour demain un modèle de croissance viable. La tragédie grecque s'appuie sur la notion de fatalité. L'avenir de la Grèce doit, lui, se fonder sur le refus de cette fatalité et implique des choix clairs, tout aussi pragmatiques que courageux.

I. UN RETOUR EN ARRIÈRE ?

Alors qu'elle commençait à retrouver une forme de crédibilité vis-à-vis de ses partenaires mais aussi des marchés financiers, la Grèce connaît depuis un an une période de turbulences politiques qui ont progressivement remis en cause sa position à l'égard de ses bailleurs de fonds et contribué un peu plus à affaiblir toute velléité réformatrice.

Le succès de la plateforme de la gauche radicale Syriza aux élections européennes du 25 mai 2014 a ainsi conduit à un changement de tonalité du gouvernement de centre-droit à l'égard de l'Union européenne et du Fonds monétaire international. La victoire de Syriza aux élections législatives du 25 janvier 2015 a prolongé jusqu'à aujourd'hui cet état de fait, bouleversant le calendrier de versement du programme d'assistance financière international mis en place depuis 2010.

A. LE PROGRAMME D'ASSISTANCE FINANCIÈRE

1. Un plan initial révisé deux fois

Face aux difficultés rencontrées par la Grèce pour se refinancer à des taux raisonnables sur les marchés, l'Union européenne et le Fonds monétaire international (FMI) ont octroyé une aide financière de 110 milliards d'euros en juin 2010, la première du genre. Ce prêt était conditionné à la mise en place de réformes structurelles destinées à garantir la soutenabilité de la dette publique. Les réformes structurelles, contenues dans un memorandum d'accord signé avec les autorités grecques, sont supervisées par la troïka qui comprend des représentants des trois bailleurs de fonds institutionnels : Fonds monétaire international, Banque centrale européenne et Commission européenne. La crainte d'un effet de contagion a conduit l'Union européenne à mettre en place, dans le même temps, un Fonds dédié : le Fonds européen de stabilité financière (FESF).

La dégradation continue de la situation économique et les difficultés des autorités à mener à bien un programme combinant modernisation et rigueur n'ont pas permis de desserrer l'étreinte financière. Dessiné à l'occasion du sommet de la zone euro du 26 octobre 2011, le second plan d'aide à la Grèce a été définitivement arrêté le 21 février 2012. L'accord comprend deux volets :

- une réduction de l'encours de la dette grecque détenue par les bailleurs privés, via un effacement de 53,5 % des créances détenues, soit une économie de 107 milliards d'euros. 31,5 % des créances sont, par ailleurs, échangées contre de nouveaux emprunts grecs à plus longue échéance (11 à 30 ans) et à des taux plus bas (2 % jusqu'en 2014, 3 % entre 2015 et 2020 et 4,3 % au-delà). Les pertes essuyées par les créanciers privés sont, de fait, de l'ordre de 70 % ;

- une assistance financière publique de 130 milliards d'euros sur trois ans, qui vient compléter l'aide octroyée en mai 2010 par l'Union européenne et le Fonds monétaire international. Les 37 milliards d'euros (27,2 milliards pour la zone euro et 9,9 milliards d'euros pour le FMI) qui n'avaient pas encore été décaissés au 21 février 2012 sont intégrés dans ce dispositif. 30 milliards d'euros devraient notamment servir à garantir le programme d'échange de titres. Les taux sur les tranches du premier prêt déjà versées ont, dans le même temps, été abaissés. Le versement des tranches est, comme dans le cadre du premier prêt, conditionné à la mise en place de réformes structurelles, négociées avec la troïka, réunissant représentants de la Commission européenne, du FMI et de la Banque centrale européenne (BCE).

L'ambition affichée du nouveau dispositif était notamment de permettre à la Grèce de ramener sa dette publique à un niveau équivalent à 120,5 % du PIB en 2020.

La Grèce ne parvenant pas à combiner relance de l'activité et maîtrise des dépenses publiques, les objectifs de ce deuxième plan ont été révisés le 27 novembre 2012. L'accord trouvé au sein de l'eurogroupe tablait sur une nouvelle trajectoire de la dette publique estimée à 124 % du PIB en 2020 puis à 112 % deux ans plus tard. Afin de souscrire à ces objectifs, la BCE et les banques centrales nationales devaient rétrocéder 11 milliards d'euros de profit réalisés sur les obligations grecques. Cette somme sera versée sur un compte bloqué destiné à rembourser à terme la dette grecque et où sont déjà versés le produit des privatisations et 30 % de l'excédent budgétaire primaire. Les taux d'intérêt des prêts octroyés à la Grèce ont été diminués d'un point et leur échéance repoussée de 15 ans. Le paiement des intérêts au Fonds européen de stabilité financière a été décalé de 10 ans. La Grèce est, enfin, autorisée à racheter ses titres de dettes avec une décote d'environ 60 %. Cette opération vise environ la moitié des 63,3 milliards d'euros d'obligations souveraines détenues par les créanciers privés. Athènes a pu ainsi alléger sa dette de 17 milliards d'euros. Il s'agit, en tout état de cause, d'un troisième plan d'aide. Le coût annuel du service de la dette a pu, dans ces conditions, être ramené de 14 milliards d'euros en 2011 à 5,5 milliards d'euros en 2015. L'accord prévoyait, en outre, une nouvelle baisse des taux d'intérêts sur les prêts et une réduction du taux de cofinancement des fonds structurels en cas d'excédent primaire et à condition que les réformes demandées soient accomplies, soit une nouvelle restructuration de la dette.

Aides de l'Union européenne accordées depuis 2010
après l'accord du 27 novembre 2012

Montant (en milliards d'euros)

Échéance

Taux d'intérêt

Début du paiement des intérêts

Prêts des États membres (2010)

52,9

30 ans

Euribor + 50 points de base = 0,61 %

2025

dont France

11,4

FESF (février 2012)

141,9

32,3 ans (moyenne)

3,5 %

2022

dont France

31,4 1 ( * )

Le Mécanisme européen de stabilité estime que l'assouplissement des conditions de prêts et la restructuration de la dette privée ont permis de réduire le fardeau de la dette de 50 % du PIB grec.

La dette publique grecque représentait cependant 176,9 % du PIB fin 2014 (contre 157,7 % du PIB en 2012), soit 322 milliards d'euros. La cible de 124 % à l'horizon 2020 puis 112 % en 2022 paraît difficile à atteindre.

2. Une dette désormais majoritairement détenue par les créanciers institutionnels étrangers

La dette est aujourd'hui détenue à 79 % par des créanciers publics : 195 milliards d'euros par les États membres de l'Union européenne, directement ou le FESF, 25 milliards d'euros par la Banque centrale européenne au travers de son programme de rachat de titres souverains SMP, et 32 milliards d'euros par le Fonds monétaire international.

Dans le cadre du système de paiement interbancaire Target 2 , la Grèce est par ailleurs endettée à l'égard de l'Eurosystème à hauteur de 41,7 milliards d'euros. En cas de sortie, la perte pour la BCE serait là encore répartie entre les banques centrales nationales.

L'exposition de la France à la dette grecque s'élève ainsi à près de 55 milliards d'euros, soit plus de 800 € par Français 2 ( * ) . Aux 42,8 milliards d'euros liés aux plans d'aide, s'ajoutent les effets des pertes éventuelles de la BCE pour la Banque de France. Celles-ci seront calculées en fonction de la part de capital détenue par les banques centrales nationales. La Banque de France pourrait perdre 2,6 milliards d'euros au titre du programme SMP et 8,5 milliards dans le cadre de Target 2.

Composition de la dette publique grecque

Nature

Montant
(en milliards d'euros)

Part dans la dette totale

Titres de dette :

Billets de trésorerie

Bons du Trésor

dont Banque centrale européenne

79,8

13,4

66,4

25

25 %

4 %

21 %

8 %

Prêts :

FMI

Banque centrale de Grèce et prêts domestiques

Pays zone euro et FESF

Autres prêts

241,8

32,1

4,4

194,8

10,5

75 %

10 %

1 %

61 %

3 %

Total

321,7

La part de la dette grecque détenue par le secteur privé est, quant à elle, limitée à 45 milliards d'euros. Les banques françaises sont faiblement exposées au risque grec : 120 millions d'euros au titre de la dette grecque et 2,1 milliards d'euros au titre du secteur privé hellénique.

Évolution de l'exposition des banques étrangères à la dette grecque
(en milliards d'euros)

Dette totale

Dette publique

3 ème
trimestre
2009

2 ème
trimestre
2014

4 ème
trimestre
2010

2 ème
trimestre
2014

Total banques

430,5

73,8

62,9

3,5

Banques européennes

France

Allemagne

Royaume-Uni

389 ,2

112,4

61,8

17,9

47,8

3

18,9

18,1

60,2

20,3

20

4,6

2,2

0,1

0,2

0,8

B. UNE REMISE EN CAUSE PROGRESSIVE DES CONDITIONS DE L'AIDE INTERNATIONALE

Alors que le programme d'assistance et les réformes structurelles qu'il induit commençaient à porter leurs fruits, le gouvernement Samaras a privilégié à partir du deuxième semestre 2014 une posture critique à l'égard des bailleurs de fonds internationaux, visant particulièrement le Fonds monétaire international. Ce changement d'orientation politique, incarné par le remaniement ministériel du 9 juin 2014, apparaît comme une réponse à la lassitude de la population grecque après cinq années d'ajustement budgétaire. Celle-ci s'est traduite le 25 mai 2014 par la victoire de la plateforme de gauche radicale Syriza aux élections européennes.

1. Une année 2014 marquée par des résultats macro-économiques relativement satisfaisants
a) Un excédent primaire enfin atteint...

La quatrième revue du plan d'aide menée par la troïka le 1 er avril 2014 a souligné que la Grèce avait dégagé un excédent primaire en 2013, soit un an avant l'échéance prévue. Ce surplus résultait notamment d'un ajustement budgétaire équivalent à 13,5 % du PIB sur la période 2009-2013. La réforme de l'État a, notamment, été accélérée. Alors que le programme d'assistance étalait celle-ci sur cinq ans, la réduction des effectifs a été accomplie en trois ans et demi. Le nombre d'agents publics est désormais établi à 620 000 contre 900 000 en 2008. La masse salariale du secteur public, qui représentait 13 % du PIB en 2009, a été ramenée à 8,6 % du PIB quatre ans plus tard, les rémunérations ayant été réduites de 40 % en moyenne sur la période.

C'est à l'aune de ce relatif succès qu'il convient d'analyser le retour de la Grèce sur les marchés financiers, le 9 avril 2014. Présenté comme un premier pas vers une sortie du programme d'assistance financière à l'instar de l'Irlande ou du Portugal l'émission d'un emprunt à 5 ans de 2,5 milliards d'euros a connu un certain succès. La Grèce a in fine pu lever 3 milliards d'euros, la demande étant huit fois supérieure à l'offre. Le taux d'intérêt obtenu, soit 4,95 %, était inférieur à celui enregistré lors de la dernière adjudication de titres grecs sur les marchés financiers en février 2010 : 6,10 %. Reste que le taux obtenu demeurait supérieur à celui des prêts octroyés dans le cadre du programme d'assistance international. Au total, 7 milliards d'euros ont ainsi été levés en 2014, la durée des titres oscillant entre 3 et 5 ans. Le gouvernement souhaitait avant tout réaffirmer sa souveraineté financière.

b) Une reprise économique fragile

À l'image de l'Espagne et du Portugal, la Grèce devait renouer avec la croissance au cours de l'exercice 2014, même si le taux attendu s'avérait modeste : 0,3 % du PIB. Il s'agissait cependant d'une rupture avec la contraction continue de l'activité depuis 2007, estimée à 23 % du PIB sur la période. L'année 2013 avait, au préalable, été marquée par un ralentissement de cette contraction, - 3,9 % du PIB contre - 7 % en 2012. La chute de la consommation avait également été freinée : - 5,6 % contre - 8,9 % en 2012. De fait, seules les exportations permettaient de créer les conditions d'une dynamique économique, celles-ci progressant de 1,8 % en 2013, alors qu'elles avaient chuté de 1,7 % au cours de l'exercice précédent.

Le gouvernement tablait sur les performances du secteur touristique - qui contribue à hauteur de 18 % au PIB grec -, une relance des investissements et une progression des exportations pour consolider la reprise économique. La baisse des prix du pétrole comme la baisse de l'euro pouvaient, par ailleurs, contribuer à fortifier la croissance du pays. Une croissance comprise entre 2,5 et 3 % à l'horizon 2016 était espérée. Le gouvernement précédent soulignait par ailleurs le retour à l'équilibre de sa balance courante pour mettre en avant la réduction de sa dépendance aux financements extérieurs. Le pays n'aurait plus besoin théoriquement du reste du monde pour financer son économie.

Le pays semblait d'ailleurs regagner quelques parts de marché. La production des biens manufacturés a, de son côté, cessé de se contracter au cours de l'exercice 2014. Plusieurs indices traduisaient en outre de profonds changements structurels au sein de l'économie grecque, qu'il s'agisse de la progression des gains de compétitivité et de productivité, du redressement de la profitabilité des entreprises, de l'amélioration de leur capacité d'autofinancement ou du redémarrage de l'investissement productif privé.

Une comparaison des rapports Doing business 2010 et 2015 publiés par la Banque mondiale sur le climat des affaires dans les pays qui sont affiliés à cet établissement soulignait de véritables progrès en la matière :

Critères

Classement 2010 (183 pays notés)

Classement 2015 (189 pays notés)

Facilité à faire des affaires

109

52

Création d'entreprises

140

88

Transfert de propriété

107

116

Obtention de prêts

87

71

Protection des investisseurs

154

62

Paiement des impôts

76

59

Commerce transfrontalier

80

48

Exécution des contrats

89

155

La mise en place, en avril 2014, d'un Fonds d'investissement en faveur des PME « Institut pour la croissance en Grèce », doté de près de 500 millions d'euros et auxquels contribuent l'Allemagne, la France et la Banque européenne d'investissement, visait également à consolider une dynamique.

Constatant des progrès, l'agence de notation Standard & Poor's a relevé d'un cran la note de la Grèce de B- à B, l'assortissant d'une perspective stable. Selon elle, la Grèce devait renouer avec la croissance en 2015 et maintenir un excédent budgétaire primaire (hors remboursement de la dette) de l'ordre de 2 % du PIB entre 2014 et 2017.

Les projections de croissance pouvaient néanmoins apparaître optimistes en raison, notamment, du manque de compétitivité du pays. La situation du secteur bancaire fragilise également ces perspectives de reprise. Si les établissements financiers ont fait l'objet d'une recapitalisation de 50 milliards d'euros, soit 25,2 % du PIB, les créances douteuses continuent de croître, atteignant 34,1 % fin 2014 contre 24,5 % en 2012. Le financement de l'économie réelle est, quant à lui, affecté par un faible octroi de crédits.

c) Une reprise sans emplois qui exacerbe les difficultés sociales

Cette reprise relative ne s'est pas accompagnée d'une diminution du chômage, en dépit des efforts accomplis pour réduire les coûts du travail (allongement de la durée d'activité et baisse des rémunérations notamment). Dans ce contexte, le chômage atteignait 27,5 % de la population active fin 2014 contre 20,9 % en 2012. 55 % des jeunes de moins de 24 ans sont sans emploi. Ce taux de chômage record combiné aux mesures d'austérité (baisse des prestations sociales et hausse d'impôts) et aux réductions de salaires (25 % dans le secteur privé et 40 % dans le secteur public, diminution du salaire minimum de 20 % qui s'établit désormais à 586 euros) ont contribué à une chute du revenu disponible de 32,6 % depuis 2008. En accord avec la troïka, 525 millions d'euros issus de fonds structurels non consommés pour la période 2007-2013 ont pu être orientés, fin 2014, vers l'aide aux plus vulnérables (475 millions pour les retraités, 30 millions pour les personnels en uniforme touchant moins de 1 500 euros par mois, et 20 millions d'euros aux sans-abris).

Une étude publiée par deux professeurs de l'Université d'Athènes pour l'Institut allemand des politiques macroéconomiques couvrant la période 2009-2012 a permis de mesurer les conséquences sociales des ajustements budgétaires mis en place depuis le début de la crise 3 ( * ) . Un foyer sur trois disposait en 2012 d'un revenu annuel inférieur à 7 000 euros, 23 % des foyers grecs étant considérés comme pauvres. 36 % des familles sont par ailleurs proches du seuil de pauvreté (soit 60 % du revenu médian de 16 170 euros annuels). Les 10 % des Grecs les plus pauvres ont vu leurs revenus plonger de 86 % entre 2008 et 2012, là où les familles les plus riches n'ont vu leurs revenus baisser que de 17 à 20 %. La diminution des salaires a concerné l'ensemble de la population : elle atteint 19 % dans le secteur privé et 25 % dans le secteur public. La baisse des rémunérations publiques doit cependant être relativisée : une partie non négligeable de fonctionnaires (ministères des finances, de la justice, de la culture et de la défense) ont bénéficié de primes personnalisées comprises entre 500 et 1 000 euros annuels ou de promotions internes.

Cette diminution des revenus est allée de pair avec une démultiplication de la pression fiscale de façon inégalitaire : + 336 % de majoration pour les familles les plus pauvres contre 9 % pour les plus aisées. Les politiques d'exemptions fiscales, en particulier dans le secteur agricole, l'absence d'élargissement de la base d'imposition ou l'inefficacité de la lutte contre l'évasion fiscale ont exacerbé ces inégalités devant l'impôt. Les deux chercheurs grecs relèvent en outre de profondes inégalités en matière de protection sociale, la Grèce dépensant pourtant davantage dans ce domaine que la moyenne des pays de l'Union européenne.

Il convient également d'insister sur les difficultés sanitaires que rencontre, dans ce contexte, le pays. Athènes a vu se multiplier le nombre de sans domicile fixe, qui atteint aujourd'hui 15 000 personnes. Le rôle des organisations non gouvernementales et des fondations apparaît indispensable. La fondation Niarchos distribue 65 000 rations alimentaires à des enfants chaque jour. Ces difficultés au sein de la capitale, qui concentre 65 % de la population grecque, poussent un grand nombre d'Athéniens à vouloir quitter la ville. L'économie souterraine, qui représenterait entre 30 et 35 % du PIB, et la solidarité familiale constituent pour l'heure des amortisseurs sociaux.

Une telle situation sociale n'a, bien évidemment, pas été sans incidence électorale lors des scrutins de mai 2014 et janvier 2015.

2. Les paris du gouvernement Samaras
a) Une prise de distance avec les bailleurs de fonds internationaux

La fin de l'année 2014 a été marquée par des dissensions croissantes avec la troïka sur le rythme des réformes à accomplir. Des divergences sont notamment apparues sur la révision de la grille de rémunération du secteur public et la mise en place d'un mécanisme d'incitation à la mobilité. Les autorités grecques ont souhaité privilégier des réformes qualitatives, alors que l'efficacité de l'administration demeure encore limitée, selon certains observateurs, et marquée par des carences graves en matière de recouvrement de l'impôt ou de gestion des grandes infrastructures du pays.

La démission du secrétaire général aux recettes publiques, le 5 juin 2014, sous la pression du gouvernement qui l'avait lui-même nommé, a tendu un peu plus les relations avec la troïka qui jugeait cet organe, créé en 2012, indispensable pour mener à bien le recouvrement de l'impôt et par-delà la réforme de l'État.

Les privatisations ont également suscité quelques difficultés. Celles-ci participaient d'un double objectif : la réduction de la dette publique et la modernisation de l'économie du pays. Les projections de recettes sont cependant régulièrement revues à la baisse, à l'image des prévisions retenues initialement pour 2014 puis révisées : 2,6 milliards d'euros contre 3,5 milliards d'euros. Dans ces conditions, l'objectif de 11,1 milliards d'euros de recettes pour la période 2011-2016 paraissait ambitieux, comme la cible de 22 milliards d'euros à l'horizon 2020. Le produit des ventes réalisées depuis 2011 atteignait en effet à peine 3,8 milliards d'euros fin 2013.

Le gouvernement a enfin suspendu la clause « zéro déficit » au sein des régimes complémentaires de retraite. Celle-ci, adoptée à la demande de la troïka, prévoit une baisse des pensions complémentaires dès lors que le régime qui les verse, en l'occurrence le Fonds d'assurance complémentaire (ETEA), est en déficit. Ces coupes sont censées équilibrer le régime. Elle devait être mise en place au 1 er juillet 2014. Le gouvernement Samaras a préféré repousser sa mise en oeuvre en janvier 2015, face au risque d'une diminution des arrérages de 5,2 %. Le gouvernement renonce ainsi à une disposition censée économiser 326 millions d'euros à l'État.

b) Le débat sur une sortie du programme d'assistance financière

Le succès relatif du retour sur les marchés financiers et la prise en compte du résultat des élections européennes ont conduit le gouvernement Samaras à se prononcer pour une sortie du plan d'aide international. Sans pour autant que cette stratégie soit tout à fait lisible. Cette volonté de se dégager de la tutelle financière internationale a pu apparaître en partie paradoxale alors que le gouvernement a, dans le même temps, obtenu le 8 décembre dernier une prolongation de deux mois de l'assistance financière de l'eurozone. Celle-ci devait initialement se terminer à la fin de l'année 2014. L'absence d'accord avec la troïka sur les réformes à mettre en oeuvre a conduit à un tel report. Fort de l'excédent primaire constaté en 2013, le gouvernement Samaras souhait également une restructuration de la dette, estimant que les conditions définies par l'eurogroupe le 27 novembre 2012 étaient remplies. L'eurogroupe a refusé estimant que celle-ci ne pourrait intervenir qu'à l'issue du programme d'assistance financière.

L'annonce d'une sortie imminente du plan d'aide visait en fait en priorité le volet FMI. L'aide de celui-ci est censée se déployer jusqu'au premier trimestre 2016. Sur les 32 milliards d'euros débloqués par le FMI en faveur de la Grèce, 17 milliards environ ont d'ores et déjà été versés. Le gouvernement Samaras ne souhaitait pas, pour autant, mener à son terme le programme du FMI. Il entendait ainsi limiter son implication en matière de surveillance. La supervision opérée par la troïka ne devrait pas pour autant s'arrêter avec la sortie du programme d'aide international puisque elle prendra la forme de missions de surveillance semestrielle jusqu'à ce que le pays ait remboursé 75 % des prêts octroyés .

Les besoins de financement pour la Grèce sont estimés à 30 milliards d'euros jusqu'en 2016. Une étude du Mécanisme européen de stabilité rendue publique en octobre insiste sur le fait que la solution adaptée à une sortie du plan d'aide international serait l'octroi d'une ligne de crédit préventive (ECCL), destinée à faire face à d'éventuelles tensions sur les marchés financiers. Cette ligne de crédit est conditionnée à la mise en place de réformes structurelles et implique une surveillance par l'Union européenne.

Le gouvernement précédent souhaitait que les 10,9 milliards du Fonds hellénique de stabilité soient, le cas échéant, affectés à cette ligne de crédit. La Commission européenne estimait au contraire qu'une partie de ces fonds doivent être reversés au Mécanisme européen de stabilité. Elle évaluait, en outre, à 3 milliards d'euros les besoins de capitalisation des banques grecques. Il convient, enfin, de rappeler que ces fonds ne sont pas pour autant des liquidités mais des obligations convertibles après accord du Mécanisme européenne de stabilité et des pays membres de l'eurozone.

Les autorités grecques entendaient, en outre, que la surveillance induite par l'octroi de cette ligne de crédit soit tempérée par une restructuration de sa dette publique, conformément aux termes de l'accord trouvé à l'eurogroupe le 27 novembre 2012. Il s'agissait de la sorte d'envoyer un message à la population grecque, lassée d'un ajustement budgétaire long et lourd. Le pays est alors traversé par une vague de contestation sociale visant les baisses des pensions de retraite, les licenciements dans la fonction publique et la diminution des salaires.

c) Un pari politique raté

Annoncée le 8 décembre dernier, l'organisation d'un scrutin présidentiel anticipé visait à lever une incertitude politique à l'heure de négocier les conditions d'une sortie du plan d'aide international. Le projet du gouvernement était de fédérer autour de lui les parlementaires de la Nouvelle démocratie, du PASOK (Parti socialiste, qui fait partie de la coalition gouvernementale) et des indépendants et resserrer ainsi sa coalition parlementaire face à la gauche radicale (Syriza) - en tête des intentions de vote dans les enquête d'opinion - et aux droites souverainiste (ANEL) et extrême (Aube dorée).

L'élection présidentielle était normalement prévue à la fin du premier trimestre 2015. Le chef de l'État, Carolos Papoulias, qui terminait son deuxième mandat ne pouvait être renouvelé. Compte tenu du mode de scrutin, l'élection d'un nouveau président de la République pouvait être envisagée comme un vote de confiance par le Premier ministre. Élu par le parlement, le chef de l'État ne dispose, en effet, que de pouvoirs limités et ne peut plus dissoudre le parlement depuis 1986. L'inconnue ne tenait pas tant au choix d'un homme qu'à la capacité du parlement à l'élire, faute de majorité suffisante. Cette élection se déroule en effet sur trois tours. Or, si au terme du dernier tour, aucun candidat n'obtient la majorité des trois cinquièmes, le parlement est alors dissous dans les dix jours et des élections législatives sont organisées 4 ( * ) . En dépit de la candidature unique de Stavros Dimas, le troisième tour de scrutin organisé le 29 décembre 2014 n'a pu déboucher sur son élection. Des élections législatives anticipées ont donc été organisées le 25 janvier 2015. Ce scrutin aurait normalement dû se tenir en juin 2016.

Sans réelle surprise, cette élection s'est traduite par la victoire, de Syriza , la coalition de la gauche radicale, partisan d'un programme anti-austérité, rejetant le mémorandum d'accord de 2012 et refusant la tutelle de la troïka, dirigée par Alexis Tsipras.

La nouvelle composition du Parlement grec est la suivante :

Formation

Nombre de sièges au Parlement

Nombre de sièges en 2012

Syriza (gauche radicale)

149

71

Nouvelle démocratie (centre droit)

76

129

Aube dorée (extrême droite)

17

17

To Potami (centre gauche)

17

- 5 ( * )

KKE (Parti communiste)

15

12

ANEL - Grecs indépendants (droite souverainiste)

13

20

PASOK (Parti socialiste)

13

33

Le différentiel de sièges entre Syriza et Nouvelle démocratie , qui ne correspond pas à leur écart en voix, est justifié par une prime à la majorité accordée à la formation arrivée en tête. 50 sièges sont ainsi attribués au parti ayant obtenu le plus de suffrages, et les 250 sièges restants sont répartis à la proportionnelle entre les formations ayant recueilli plus de 3 % des voix.

C. L'ARRIVÉE AU POUVOIR D'UNE COALITION HOSTILE AUX MEMORANDUMS D'ACCORD

1. Une majorité gouvernementale inédite

Ne disposant pas de la majorité absolue, Syriza a passé un accord de coalition avec les Grecs indépendants (ANEL), qui ont intégré ainsi le gouvernement nommé le 27 janvier 2015. Le nombre de ministères a été réduit à dix contre dix-huit précédemment. Quatre super ministères ont été mis en avant : Intérieur et reconstruction administrative, Économie, infrastructures, marine marchande et tourisme, Reconstruction, production, environnement et énergie et Culture, éducation et cultes. Le resserrement du nombre de ministères est cependant trompeur puisque le gouvernement comprend en fait quarante et un membres, dont un Vice-président, trois ministres d'État, vingt ministres délégués et six secrétaires d'État s'ajoutant à cette liste. Le précédent gouvernement comprenait quarante-cinq membres.

L'aile radicale de Syriza, la « plateforme de gauche », est représentée au sein de quatre ministères. Son chef de file, Panagiotis Lafazanis, est en charge de la Reconstruction, de la production, de l'environnement et de l'énergie. Le président du « comité de la dette » de Syriza , Nikos Hountis, issu de cette aile et tenant de positions dures en matière européenne, a été nommé ministre délégué aux affaires européennes. Le ministre des affaires étrangères est, par contre, issu de l'aile modérée : Nikos Kotzias reste un proche de l'ancien Premier ministre socialiste George Papandreou. ANEL dispose de son côté du ministère de la défense, confié au président de cette formation, Pamos Kammenos, et de quatre ministères délégués ou secrétariats d'État, dont un dédié à la coordination du projet gouvernemental.

L'alliance avec ANEL peut surprendre puisque la formation fondée en avril 2012 par Panos Kammenos, ancien membre de Nouvelle démocratie , est classée à droite. Ce parti est surtout connu pour ses positions xénophobes, homophobes, anti-turques et sa proximité avec l'Église orthodoxe. Son programme économique est par ailleurs marqué par un certain libéralisme comme en témoigne ses projets de suppression de la sécurité de l'emploi pour les fonctionnaires, de baisse du taux d'imposition maximal à 25 % ou d'abrogation de la taxe foncière. Le parti est néanmoins favorable à la mise en place d'un minimum vieillesse établi à 800 € (soit l'équivalent du montant versé en France) ou à la décote des dettes des ménages. Ces mesures peuvent le rapprocher de Syriza , au même titre que son rejet du mémorandum d'accord du second plan d'aide ou de l'intervention du FMI, considérée comme un « crime économique contre le pays ». Le discours est également virulent contre l'Allemagne jugée « néo-nazie » et l'Union européenne, assimilée à un « cheval de Troie du fédéralisme bancaire et de la dictature financière ». Des doutes subsistent néanmoins sur la compatibilité du programme d'ANEL avec celui de Syriza en ce qui concerne les projets sociétaux : les Grecs indépendants souhaitent la mise en place d'un quota d'immigrés limité à 2,5 % de la population grecque et récusent le projet de séparation de l'Église orthodoxe et de l'État porté par la coalition de la gauche radicale.

Au-delà de ces divergences, l'alliance avec ANEL vise avant tout à adresser un message de fermeté à l'égard de l'Union européenne. Message qu'il aurait été plus délicat à faire passer en s'alliant avec To Potami , la formation de centre-gauche, pro-européenne, qui appelait à la poursuite des réformes structurelles adoptées par le gouvernement précédent.

2. Un programme à rebours des mémorandums d'accord
a) Une priorité : renégocier la dette

Le mémorandum d'accord signé en février 2012 avec l'Union européenne et le FMI, dans le cadre du second programme d'aide, a, quant à lui, été considéré comme annulé par le nouveau Premier ministre à l'annonce de la victoire de son parti. Ce rejet ne suppose pas pour autant une sortie de la zone euro. Syriza dispose en effet d'un double mandat qui peut paraître paradoxal : conserver la monnaie unique et stopper l'ajustement budgétaire dès lors qu'il se traduit par de l'austérité. Il convient, à ce stade de rappeler que 70 % des Grecs sont en effet hostiles à une sortie de la zone euro. Ils étaient 85 % avant le début de la crise.

La plateforme de la gauche radicale n'envisage plus une sortie de la zone euro depuis 2012. Elle table désormais sur une restructuration de la dette. Le précédent de la conférence de Londres de 1953 qui visait la dette allemande est ainsi régulièrement mis en avant. La renégociation porterait en priorité sur celle détenue par les États européens, la Banque centrale européenne et le Mécanisme européen de stabilité.

L'ambition du nouveau gouvernement est de ramener le remboursement annuel de la dette à un montant équivalent à 2 % du PIB contre 4 % actuellement. Il n'est, en tout état de cause, pas question d'aboutir à un défaut unilatéral, qui saperait tout accès au financement par les marchés. Les nouvelles autorités grecques militent dans le même temps pour l'organisation d'une Conférence européenne sur la dette. L'ambition grecque est de porter une restructuration de l'ensemble des dettes des États membres de la zone euro, pour ramener chacune d'entre elles à 60 % du PIB.

Si la renégociation de la dette détenue par les institutions européennes et le FMI fait figure de priorité, le nouveau gouvernement n'entend pas agir de la sorte avec ses créanciers privés. En revanche, la coalition de la gauche radicale souhaitait initialement demander un délai avant de rembourser les 8 milliards d'obligations que détient la BCE, qui devraient arriver à échéance en juillet prochain.

b) Parer à la « crise humanitaire »

Conformément au programme dit de Thessalonique que la formation avait présenté en septembre 2014, Syriza souhaite, grâce à une restructuration de la dette, libérer des fonds pour permettre à l'État d'investir massivement en faveur de la croissance et répondre à des situations d'urgence sociale. Selon certains observateurs, 70 % des fonds accordés depuis 2010 ont en effet servi au remboursement de dettes existantes et 19 % à la recapitalisation bancaire. Cette question d'une restructuration de la dette était également à l'ordre du jour du précédent gouvernement.

Le programme de Syriza contient un certain nombre de mesures dites anti-austérité, au nombre desquelles l'introduction d'un treizième mois pour les retraites inférieures à 700 euros, la hausse du salaire minimum dans le secteur privé à 750 euros (contre 586 € aujourd'hui soit un niveau déjà supérieur à celui perçu au Portugal, 565,83 €) et le relèvement du seuil d'imposition de 5 000 à 12 000 euros (il est de 9 600 euros en France). Les plus démunis pourraient se voir accorder des bons d'alimentation et l'électricité gratuite.

L'ensemble de ces dispositions est estimé à 12 milliards d'euros. Syriza entendait dégager 9 milliards d'euros pour concrétiser ces promesses de campagne : 6 milliards seraient obtenus via une réaffectation des fonds structurels et le nouveau gouvernement compte, dans le même temps, récupérer 3 milliards d'euros en intensifiant la lutte contre la fraude fiscale. Reste donc 3 milliards d'euros à trouver pour compléter ce financement.

Les autres éléments du programme électoral de Syriza ne constituent pas des mesures de rupture avec les bailleurs de fonds : la coalition s'engage, en effet, à adopter des budgets à l'équilibre et des agences gouvernementales devraient être supprimées. Reste que le nouveau gouvernement entendait dans le même temps supprimer le principe d'obligation de « mobilité et d'évaluation », contesté par les syndicats alors qu'il est au coeur de la réforme de l'Etat mis en place par le précédent gouvernement, avec l'appui technique de la Commission européenne ( Task force for Greece ).

53 % de la population grecque doutait cependant avant le scrutin du 25 janvier dernier du réalisme du programme économique de Syriza . Le vote Syriza traduit avant tout une volonté de rompre avec le bipartisme, les patriciens qui dirigent ces formations et les pratiques clientélistes qui ont contaminé l'État. PASOK comme Nouvelle démocratie sont jugés à la fois responsables de la crise et incapables d'adopter les mesures nécessaires pour l'en sortir. Il est l'expression des classes populaires mais aussi, celle des classes moyennes autrefois acquises aux formations modérées.

II. L'ÉCHEC DES NÉGOCIATIONS

En dépit de son hostilité au mémorandum d'accord de 2012, le nouveau gouvernement grec s'est très rapidement tourné vers les bailleurs de fonds internationaux pour demander le versement de la dernière tranche de l'aide européenne (1,8 milliard d'euros), d'une tranche du prêt FMI (3,5 milliards d'euros) et de rétrocéder le versement des intérêts des prêts de la BCE (1,9 milliard d'euros), soit au total 7,2 milliards d'euros. Cette demande constitue une première rupture par rapport aux premières déclarations du nouveau gouvernement. Celui-ci estimait, lors de son intronisation qu'il pouvait se passer du plan d'aide international.

La Grèce souhaitait en outre récupérer 1,2 milliard d'euros reversé indûment au FESF, le 20 février dernier. Cette somme provient du Fonds hellénique de stabilité financière (HFSF). Le HFSF était initialement abondé à hauteur de 49,7 milliards. Seuls 40 milliards ont été in fine utilisés. Au lieu de rendre les 9,7 milliards restants, les autorités grecques ont reversé 10,9 milliards d'euros. Cette erreur serait due à un manque de coordination entre le gouvernement Tsipras et son prédécesseur. Le reversement de ces fonds dépendra cependant d'un engagement fort sur les réformes structurelles. Cette somme n'est disponible qu'en obligations et utilisables aux seules fins de répondre aux besoins éventuels des banques. Dans l'hypothèse d'une rétrocession, la solution pourrait consister en ce que le gouvernement propose d'échanger ces obligations contre les liquidités fournies par la précédente équipe gouvernementale.

Le déblocage de ces fonds devait permettre aux autorités de faire face aux échéances de paiement étalées tout au long de l'année 2015. Il passait néanmoins par un accord avec les représentants des créanciers. Le compromis trouvé entre la Grèce et ses créanciers le 20 février prévoyait un décaissement possible jusqu'au 30 juin 2015.

L'absence de résultats dans les négociations et le choix du gouvernement de soumettre par référendum, le 5 juillet, les propositions des bailleurs de fonds ont néanmoins remis en cause ce délai, accentuant le double risque de défaut de paiement et d'effondrement du système bancaire. Il a également rendu encore plus possible une hypothèse pourtant non prévue par les traités : celle d'une sortie de la Grèce de la zone euro.

A. LE DOUBLE COMPTE À REBOURS

Le choix de solliciter le versement d'une nouvelle tranche de l'aide internationale était motivé par deux raisons : honorer ses échéances de remboursement et rétablir ainsi une forme de confiance, afin de juguler la perspective d'une crise de liquidités dans le secteur bancaire, compte tenu de l'augmentation des retraits des dépôts depuis décembre 2014.

1. Des échéances de paiement tout aussi lourdes que régulières

La question des recettes est essentielle alors que la Grèce doit en principe rembourser plus de 29 milliards d'euros de titres en 2015.

Échéances de paiement de la dette grecque entre juin et décembre 2015 (en milliards d'euros)

Banque centrale européenne

Fonds monétaire international

Obligations détenues par les banques centrales

Obligations à court terme

Total

Juin

1,531

2

3.531

Juillet

2,096

0,448

1,361

2

5,905

Août

3,02

0,168

1

4,188

Septembre

1,531

1,531

Octobre

0,448

0,448

Novembre

Décembre

1,191

1,19

Total 2015

5,116

7,7

1,529

14,8

29,145

En ce qui concerne les obligations à court terme, la majorité de ces titres sont détenus par des établissements financiers grecs. Dans ces conditions, la plupart de ces emprunts ne devraient pas être remboursés mais reconduits.

2. Le risque d'une impasse financière

Pour faire face à ces besoins de financement, la Grèce a, en premier lieu, émis de nouveaux bons du Trésor. 1,138 milliard d'euros, 1,3 milliard d'euros puis 1,14 milliard d'euros ont ainsi été levés les 4 et 11 mars et le 8 avril. Les taux de ces bons à six mois atteignaient 2,97 % le 4 mars contre 2,75 % un mois plus tôt. Le montant levé le 11 mars équivalait approximativement aux salaires et pensions de retraite à verser à la fin du mois. Afin de financer ces remboursements de mai, les autorités grecques ont emprunté 1,137 milliard d'euros sur les marchés, via des bons à 6 mois. Le taux obtenu, 2,97 %, reste inchangé par rapport aux précédentes émissions. Le taux de couverture, soit la demande par rapport à l'offre, est restée stable : 1,30.

Le gouvernement a également utilisé la position de réserve dont elle dispose au sein du FMI, soit 650 millions d'euros.

Le gouvernement grec a, par ailleurs, pu collecter 2 milliards d'euros auprès des collectivités locales et des organismes publics. Un décret adopté le 24 avril 2015 rend obligatoire le transfert des réserves de fonds des organismes publics et autorités locales à la Banque centrale de Grèce, soit 1 500 entités au total. Il s'agissait pour le gouvernement grec de couvrir ses besoins d'urgence, estimés à 3 milliards d'euros d'ici au 12 mai (1,1 milliard au titre des salaires, 850 millions pour les caisses d'assurance sociale, 200 millions d'euros d'intérêts sur emprunts et 750 millions d'euros à rembourser au Fonds monétaire international). Les fonds restent cependant à la disposition de leurs détenteurs. Ils sont garantis en cas de perte en capital et mieux rémunérés que s'ils avaient déposés sur le compte d'une banque commerciale (2,5 % contre 1 %). Pour l'heure, 7 municipalités sur 325 avaient, au 16 juin dernier, transféré leurs fonds.

Le fonds de pension et le fonds spécial d'assistance avaient déjà été mis à contribution en avril. Près de 2 milliards d'euros ont été transférés vers le Fonds commun de liquidité de la banque centrale grecque (FC-BCG). 130 millions d'euros provenant de l'Agence nationale pour l'emploi ont également été déplacés vers ce Fonds, conduisant à la démission du gouverneur de l'Agence, opposé à cette mesure. Ce transfert s'effectue sous la forme d'un prêt à 2 %, des titres d'une validité comprise entre cinq et dix-sept mois étant ainsi émis. Les réserves de liquidités de la compagnie hellénique des postes et télécommunications (ETTT), soit 144 millions d'euros, et les fonds de l'Autorité grecque de paiement de la politique agricole commune (OPEKEPE), soit 250 millions d'euros auraient également été utilisés pour permettre le paiement des salaires et pensions fin mars 2015.

Les autorités grecques ont, début mars 2015, été autorisées par le Mécanisme européen de stabilité à prélever 555 millions d'euros sur le Fonds hellénique de stabilité financière, théoriquement dédié à une éventuelle recapitalisation des banques. La Commission européenne a annoncé, de son côté, le 19 mars dernier le prochain décaissement de 2 milliards d'euros de fonds structurels destinés à prendre en compte la situation humanitaire dans le pays. Cette somme correspond à un reliquat du budget 2007-2013. Le gouvernement grec a annoncé, dans le même temps, la mise en place d'une task force visant à l'absorption des fonds de cohésion de l'Union européenne. Elle devait travailler à cet effet avec la structure équivalente mise en place à Athènes par la Commission européenne en 2010. 183 millions d'euros ont ainsi été débloqués en mai. Au final, la Commission européenne entendait verser 35 milliards de fonds structurels d'ici à 2020 pour soutenir la croissance.

Les autorités grecques ont, en outre, obtenu du FMI, le 4 juin 2015, la possibilité de reporter les quatre échéances de remboursement étalées tout au long du mois de juin à la fin du mois. 300 millions d'euros devaient être remboursés le 5 juin, 336 le 12 juin, 560 millions d'euros le 16 puis 336 le 19. Cette disposition est autorisée par le règlement du FMI. Seule la Zambie, en 1984, avait utilisé jusqu'alors cette option.

Faute d'accord avec ses bailleurs de fonds, le gouvernement grec pourrait, comme l'a rappelé l'agence Standard & Poor's le 10 juin 2015, également avoir recours à l'émission d'IOU ( I owe you ), soit des reconnaissances de dette, afin de régler ses fournisseurs. Ce système a déjà été utilisé par la Province de Buenos Aires en 2001 ( Patacones ) et l'État de Californie en 2009. Les Patacones de Buenos Aires et ses avatars régionaux ( Bocade à Tucuman, Lecor à Cordoba, CeCaCor à Corrientes) ont pu représenter jusqu'à 37 % des moyens de paiement en 2002 en Argentine, les Patacones pouvant servir au paiement des impôts. Des obligations pharmaceutiques avaient déjà été utilisées par les autorités grecques pour leur permettre de régler des arriérés de paiement, contractés auprès de l'industrie pharmaceutique. Leur montant atteignait 5,5 milliards d'euros. Les IOU prennent la forme de coupon zéro, équivalent à de l'argent liquide, perpétuels et transmissibles. Cette solution ne peut cependant être utilisée qu'à court terme comme le montre l'exemple californien, et vise surtout à régler des problèmes de liquidité limités. Ce qui n'est pas le cas de la Grèce. Reste un problème de compatibilité entre l'euro et cette monnaie parallèle si elle venait à être généralisée comme en Argentine. L'introduction de celle-ci pourrait être assimilée à une sortie de la zone euro, une partie de la Grèce ne reconnaissant plus l'autorité de la Banque centrale européenne.

La raréfaction des liquidités se traduit par des difficultés particulièrement criantes dans le secteur de la santé, où l'État n'assure plus le remboursement des tiers payants depuis le mois de février dernier. La santé faisait pourtant partie des priorités du nouveau gouvernement. Dans ces conditions, les pharmacies financent la santé privée. De façon générale le montant des impayés dus par l'État au secteur privé s'élève à 16 milliards d'euros.

3. Le spectre d'une crise bancaire et l'aide de la Banque centrale européenne
a) Le spectre d'une crise bancaire

Le niveau des dépôts des particuliers et des entreprises atteint aujourd'hui son plus faible niveau depuis 2004, Plus de 40 milliards d'euros ayant été retirés des banques depuis novembre 2014.

Retraits effectués entre janvier et avril 2015 (en milliards d'euros)

Janvier

Février

Mars

Avril

12,25

7,57

1,91

4,89

Cette course au retrait étalée dans le temps ( bank walk plutôt que bank run ) n'est pas sans incidence sur l'économie réelle. La plupart des secteurs rencontrent de véritables problèmes de liquidités. Certaines entreprises sont, ainsi, dans l'impossibilité d'acquérir, faute de crédits, des appareils électriques ou des matières premières pour la production d'engrais. Il n'est pas étonnant, dans ce contexte, que le montant des crédits accordés aux entreprises soit en recul de 2 % sur un an et celui des ménages de 3 % sur un an. Ces retraits ont profité à l'économie grise, comme en témoigne une recrudescence des petits travaux, mais aussi au secteur automobile. L'achat d'une voiture est considéré comme un investissement. Les nouvelles immatriculations ont ainsi progressé de 42 % en mars 2015 et de 28 % le mois suivant.

Il convient de rappeler que le secteur bancaire est déjà fragilisé par la crise. La restructuration de la dette privée en 2012 a conduit à une redéfinition de ses contours : 15 établissements ont ainsi fait l'objet d'une opération de résolution. Il reste à l'heure actuelle quatre établissements systémiques ( Alpha Bank , Eurobank , Banque nationale de Grèce et Banque du Pirée ) et un d'importance moindre ( Attica bank ). Trois des quatre banques systémiques - Banque nationale de Grèce , Eurobank et Banque du Pirée - ont raté les tests de résistance menés par la Banque centrale européenne en octobre 2014 en raison d'une insuffisance de capitaux disponibles. Les banques grecques sont par ailleurs grevées par un taux de prêts non performants - les échéances n'étant pas honorées depuis plus de trois mois - plus de trois fois supérieur à la moyenne européenne. Il atteignait 37 % en mai 2015 contre 34,1 % en septembre 2014 et 31,9 % en décembre 2013. Une large partie d'entre eux concerne les prêts aux petites et moyennes entreprises.

La perspective d'un échec des négociations a contribué à accélérer la diminution des dépôts. Un milliard d'euros aurait été retiré quotidiennement les 18, 19 et 20 juin, ce montant atteignant 700 millions d'euros le 22 juin. Ce phénomène s'est, bien évidemment, accentué avec l'annonce, le 26 juin, par le gouvernement du référendum sur les propositions des créanciers. Le montant global des dépôts s'établit aujourd'hui à moins de 120 milliards d'euros (235 milliards d'euros en 2009).

Afin d'anticiper le risque d'une panique bancaire, le président de l'eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, avait proposé en avril la mise en place d'un contrôle des capitaux, à l'instar de ce qui avait été réalisé à Chypre en mars 2013. Les retraits y ont été limités à moins de 300 euros par semaine. Les dépôts supérieurs à 100 000 euros ont été, de leur côté, taxés. Ce dispositif, progressivement aménagé a été levé en juin 2015. Cette solution n'avait pas été retenue. Le paysage financier n'est, cela étant, pas identique à celui de Chypre. 99 % des dépôts sont, en effet, inférieurs à 100 000 euros, 28 millions de comptes étant ouverts Ce qui ne correspond pas à la situation chypriote marquée par la présence d'importants dépôts en provenance de Russie ou d'Ukraine.

Le contrôle des capitaux a finalement été retenu le 28 juin dernier par le gouvernement, deux jours après l'annonce du référendum. Une limite journalière de 60 euros a ainsi été imposée, celle-ci ne visant pas les titulaires d'une carte de crédit émise à l'étranger. À titre de comparaison, les retraits quotidiens étaient plafonnés à 300 euros à Chypre. Les retraités grecs ne disposant pas de carte bancaire peuvent retirer 120 euros. Les banques sont, par ailleurs, fermées jusqu'à nouvel ordre. Une des inconnues tient à leur capacité à disposer de suffisamment de monnaie pour satisfaire la demande. Un éventuel assèchement ne serait, bien évidemment, pas sans incidence sociale. Une limitation des retraits à 20 euros par jour est envisagée.

Compte tenu du grand nombre de succursales de banques grecques présentes sur leurs territoires, Chypre, comme la Bulgarie ou la Roumanie, pourrait être fragilisée par ces fermetures et l'accès restreint aux liquidités.

Le contrôle prévoit également une suspension des paiements des importations, des fournisseurs à l'étranger et des achats de matières premières à l'étranger. Les seules exceptions tiennent au transfert de fonds pour des raisons d'intérêt public ou social à l'instar des frais de santé ou des dépenses d'éducation. Ces transactions sont néanmoins subordonnées à une autorisation administrative préalable. Le maintien d'un tel dispositif n'est pas sans faire peser, à terme, un risque social assez fort, surtout en ce qui concerne les importations. Des phénomènes de pénurie pourraient être observés, notamment dans le domaine énergétique. Il convient, à ce stade, de rappeler que, dans le cas chypriote, les paiements d'importation allant de 2 000 à 200 000 euros étaient autorisés par la Banque centrale sur présentation de justificatifs. Une autorisation au cas par cas visant les paiements d'un montant supérieur. Le gouvernement n'a, pour l'heure, pas mis en place ce système.

Le secteur touristique pourrait être la victime collatérale du contrôle, alors qu'il restait sur une dynamique exceptionnelle début 2015 (96 % des hôtels remplis en juin). Le mois de juillet est déjà marqué par des annulations et un ralentissement des réservations lié aux inquiétudes sur la raréfaction de la monnaie et de certains produits.

b) L'accès limité aux fonds de la BCE

Les établissements financiers grecs peuvent, en principe, se refinancer directement auprès de la BCE, dans le cadre des opérations hebdomadaires d' open market . Les banques européennes disposent depuis septembre 2014 d'un taux d'intérêt relativement avantageux : 0,05 %. Elles doivent néanmoins apporter en contrepartie une garantie ( collateral ) d'un montant équivalent. Il s'agit généralement d'obligations, publiques ou privées. Certains actifs non-négociables comme des prêts bancaires sont également acceptés.

Les titres de dette souveraine sont acceptés à condition que la notation de la dette souveraine concernée soit comprise entre AAA et BBB-. Ce critère d'éligibilité a été suspendu en mai 2010, au moment du déclenchement de la crise grecque. Rétabli en février 2012, il a de nouveau été suspendu en décembre 2012, les titres souverains apportés en garantie étant néanmoins décotés de 30 %. Cette dérogation était conditionnée par une évaluation positive de l'exécution des programmes d'assistance financière.

La BCE n'accepte cependant plus les titres publics grecs en garantie depuis le 4 février 2015. Elle estime, en effet, que les nouvelles autorités grecques ont remis en cause le programme négocié avec ses créanciers internationaux, dont la BCE. Ils pourront de nouveau être utilisés dès lors que la Grèce aura obtenu un nouvel accord avec ses créanciers. Il convient cependant de ne pas surévaluer la portée de la suppression de cette dérogation : les banques grecques ne disposent plus dans leur bilan que de 12,4 milliards de titres grecs, soit 2,5 % du montant total des actifs qu'elles détiennent. Cette somme se décompose de la façon suivante : 4,8 milliards d'euros d'obligations à moyen et long terme et 7,6 milliards d'euros de bons du Trésor. La BCE limitait à 3,5 milliards d'euros l'encours des bons du Trésor éligibles à ces opérations. Compte-tenu de ce seuil, les titres souverains détenus par les banques grecques éligibles aux opérations de refinancement s'élèvent à 8,3 milliards d'euros, soit 1,66 % de leurs actifs.

L'impact de la révision de la liste des garanties éligibles au 1 er mars 2015 est plus important pour les banques grecques. Les actifs titrisés émis par les banques avec une garantie de l'État sont désormais exclus du mécanisme. Les banques grecques disposent de 21,2 milliards d'euros de titres concernés (4,2 % de leurs actifs).

La BCE a par ailleurs invité les banques grecques, le 25 mars dernier, à ne pas augmenter leur risque en s'exposant davantage à la dette hellénique.

Pour faire face au risque de liquidités, les banques de Grèce peuvent utiliser le mécanisme ELA. Celui-ci permet à ces établissements de recevoir indirectement des fonds de la BCE en cas de crise de liquidités, sous forme de prêts, via leur Banque centrale nationale. L'établissement financier doit, être solvable. Le taux d'intérêt de ces prêts s'élève à 1,55 %. Des titres doivent être apportés en garantie.

Le prêt étant accordé par la banque centrale nationale, c'est elle qui assume à la fois les coûts et les risques de la fourniture de liquidités. Les banques centrales nationales doivent, à ce titre, informer la BCE des détails de toute opération ELA dans les deux jours ouvrables suivant son exécution. Si le montant du prêt dépasse 500 millions d'euros, la BCE doit être informée avant que l'assistance ne soit accordée. Le Conseil des gouverneurs peut également limiter une opération ELA, si celle-ci dépasse le seuil de 2 milliards d'euros et qu'elle interfère avec ses missions et ses objectifs. Cette décision est prise à la majorité des deux tiers. Elle est précédée d'un examen de la situation de l'établissement financier demandeur, destiné à vérifier la solvabilité de celui-ci.

La Banque centrale de Grèce a ainsi accès à une enveloppe de prêts de 89 milliards d'euros, ce montant ayant été régulièrement réévalué jusqu'au 26 juin. Si elle a été maintenue, comme l'annoncé la BCE le 28 juin, cette enveloppe n'a plus été augmentée depuis, compte tenu du référendum. Ce maintien reste néanmoins un signal politique, la BCE ne remettant pas en cause le principe d'une aide, contrairement à ce que craignaient certains observateurs. Ce faisant, elle invalide la position du Premier ministre grec estimant que le banquier central européen tentait d'« étouffer la volonté du peuple grec ». Le montant serait néanmoins insuffisant à court terme pour parer à une crise de liquidités.

4. Une révision à la baisse des prévisions économiques et budgétaires

Il n'est pas étonnant, dans ce contexte, que la plupart des indicateurs budgétaires et économiques aient été revus à la baisse. L'excédent primaire pour 2014, c'est-à-dire avant la charge des intérêts de la dette, est inférieur aux prévisions retenues par le précédent gouvernement dans le cadre du mémorandum d'accord : 0,3 % du PIB contre 1,5 % attendu. Il était de 0,8 % du PIB en 2013. L'endettement atteint 180,2 % du PIB.

Selon le gouvernement, le budget primaire était excédentaire au mois de janvier avec 419 millions d'euros. Cet excédent atteignait 1,8 milliard d'euros un an plus tôt. Cette diminution est principalement imputable à la baisse des rentrées fiscales, 1 milliard d'euros sur le seul mois de janvier. Le gouvernement grec a par ailleurs indiqué avoir économisé entre janvier et avril 2015 1,6 milliard d'euros de dépenses de fonctionnement et 409 millions d'euros de dépenses d'investissements. Les dépenses de l'État sur cette période s'élèvent à 16 milliards d'euros. Reste que les recettes fiscales sont en baisse, 18,6 milliards d'euros ont été collectés entre janvier et mai, soit 546 millions d'euros de moins qu'espérés initialement. Pour le seul mois de mai, l'écart entre les revenus attendus et ceux effectivement perçus s'élèvent à 984 millions d'euros.

La Commission européenne a, de son côté, amendé, en mai, ses prévisions initiales. La croissance n'atteindrait plus que 0,5 % en 2015 puis 2,9 % en 2016. Elle envisageait auparavant une croissance de 2,5 % en 2015 puis 3,6 % l'année suivant. Le FMI table, de son côté, sur une croissance nulle pour 2015 dans ses prévisions présentées le 26 juin. Le PIB a reculé de 0,2 % au premier trimestre 2015, après une baisse de 0,4% sur la période octobre-décembre. La paralysie financière du pays depuis le 28 juin devrait confirmer cette tendance.

Paradoxalement, le taux de chômage global s'établit à 25,6 %, soit son niveau le plus bas depuis 2012. Le taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans est, notamment, passé de 60,5 % en février 2013 à 50,1 % en 2015. La baisse du chômage des 24-34 ans semble également enclenchée, le taux atteint aujourd'hui 31,3 % de cette classe d'âge contre 34,9 % il y a deux ans. Le gouvernement estime que cette baisse est imputable à trois facteurs : l'émigration (34 000 jeunes ont quitté le pays pour l'Australie et le Canada en 2014), l'importance du travail saisonnier dans le tourisme et l'intensification de la lutte contre le travail non déclaré. Il convient de relever que seuls 14,4 % des chômeurs perçoivent une allocation mensuelle de 359 euros, limitée dans le temps.

B. LES ATTENTES EUROPÉENNES

1. L'accord du 20 février

L'accord trouvé entre l'eurogroupe et le gouvernement grec le 20 février 2015 prévoyait l'extension du programme d'assistance financière jusqu'au 30 juin 2015. Il reposait sur la présentation d'une liste de réformes structurelles correspondant aux attentes des bailleurs de fonds internationaux.

a) Les propositions grecques

Le gouvernement grec a présenté le 24 février suivant un programme de réformes. Réparties au sein de quatre chapitres - budget de l'État et fiscalité, stabilité financière, croissance et aide humanitaire -, elles s'éloignent substantiellement des promesses de campagne de Syriza durant la campagne.

La première partie se concentrait sur la lutte contre la fraude, l'évasion fiscale et la corruption. Le gouvernement prévoyait la mise en place d'une base de données sur la richesse, mise à la disposition de l'administration fiscale. Il envisageait également une rationalisation de la taxe sur la valeur ajoutée sans que ne soit précisé ce projet. La lutte contre la corruption, priorité nationale, concerne principalement le blanchiment d'argent, le trafic de tabac et d'essence et les prix des produits importés. Le renforcement de l'indépendance du secrétariat général des revenus publics est envisagé.

Le gouvernement renonçait dans le même temps à la suppression de l'impôt sur la propriété ( Enfia ) même si une baisse de 15 à 20 % est envisagée. Il devait cependant être refondu d'ici à la fin 2015 afin de ne viser que les grandes propriétés. Le relèvement du plafond de non-imposition de 5 000 à 12 000 euros était, quant à lui, ajourné (il est de 9 600 euros en France).

Au final, la réforme fiscale proposée par le gouvernement prévoyait une augmentation des recettes de l'ordre de 6 à 8 milliards d'euros, grâce à un meilleur recouvrement des arriérés d'impôts et une révision de l'assiette de la TVA.

Le gouvernement entendait parallèlement réexaminer et contrôler toutes les dépenses publiques, en vue de dégager des économies. Il souhaitait limiter les dépenses de santé tout en garantissant l'accès universel aux soins. Les salaires de la fonction publique ne devraient pas augmenter, les avantages supra-salariaux étant appelés à être réduits. Symboliquement, les avantages des ministres ainsi que ceux des hauts-fonctionnaires ont également été revus : suppression des véhicules de fonction ou réduction des frais de voyage. Le recours aux services de conseillers spéciaux devait dans le même temps être encadré et a législation sur les partis politiques durcie. Le système des retraites devait également être réformé afin, notamment, de limiter le nombre de départs anticipés dans le secteur public. Les salaires et les pensions ne devaient pas pour autant être baissés, bien qu'ils représentent 56 % de la dépense publique grecque.

La deuxième partie consacrée à stabilisation financière apparaissait assez imprécise. Le gouvernement envisageait principalement une refonte de sa législation en matière d'endettement. Il entendait distinguer les non remboursements de créances frauduleux de ceux imputables à une détérioration de la situation financière des emprunteurs. Le système judiciaire devait également être réformé via une réorganisation des juridictions et une numérisation accrue

Au sujet de la croissance, la liste prévoyait également la poursuite des opérations de privatisations lancées par le précédent gouvernement. Ce revirement par rapport aux intentions initiales du Premier ministre n'a pas été pas sans susciter de tiraillements au sein du gouvernement, le ministre de l'économie souhaitant annuler la privatisation du Pirée et réviser la liste des aéroports concernés et le ministre de l'énergie refusant la privatisation de la compagnie d'électricité CEC ou celle de la compagnie gazière DEPA. Le gouvernement grec entendait dans le même temps poursuivre l'ouverture de son marché domestique à la concurrence et aligner la réglementation sur le gaz et l'électricité sur la législation européenne.

Une nouvelle approche en matière salariale a également évoquée, la négociation en la matière devant désormais concilier flexibilité et équité. La question de l'augmentation du salaire minimum n'a pas été précisément abordée. Une des promesses de campagne consistait pourtant en son relèvement de 586 à 751 euros mensuels, soit un montant supérieur à celui perçu au sein d'autres États membres. Les autorités envisageaient dorénavant une majoration au fil du temps, l'étendue et le calendrier des modifications envisagées devant être définis en concertation avec les institutions européennes, aucune décision unilatérale ne devant être prise en la matière.

En ce qui concerne la situation humanitaire, le gouvernement entendait combler les besoins de ses concitoyens en situation d'extrême pauvreté. Cette ambition ne doit pas, cependant, avoir d'effet budgétaire négatif. Ces dispositions (repas subventionnés et électricité gratuite pour 300 000 familles vivant en dessous du seuil de pauvreté, accès gratuit au système de santé) étaient estimées à 1,86 milliard d'euros.

b) Un simple point de départ pour les négociations

Suite à la présentation de son programme, la Grèce entendait pourtant bénéficier rapidement de la dernière tranche du programme d'assistance financière européen, soit 1,8 milliards d'euros, et de crédits provenant du FMI, soit 3,5 milliards d'euros. Elle souhaitait, en outre, que la Banque centrale européenne rétrocède dans le même temps 1,9 milliards d'euros perçus au titre des rachats de titres de dette grecs achetés dans le cadre du programme SMP entre mai 2010 et mars 2012.

Les bailleurs de fonds internationaux ont préféré conditionner le versement effectif de ces sommes au lancement des réformes annoncées mais aussi à une estimation précise de la situation financière de la Grèce. Le programme du 24 février dernier, a bien été approuvé par l'eurogroupe, qui espérait alors que les mesures avancées seraient précisées d'ici au mois d'avril 2015.

La Banque centrale européenne estimait, à ce titre, que les dispositions présentées ne constituaient pas des mesures concrètes, rejoignant ainsi les observations du FMI qui regrettait que le gouvernement grec n'ait pas apporté de réelles assurances quant à son intention de mettre en oeuvre les réformes envisagées dans le cadre du mémorandum d'accord de février 2012. Il relevait également un manque de précision en ce qui concerne la TVA (le mémorandum d'accord prévoyait pourtant une majoration du taux de TVA sur l'hôtellerie dans les îles grecques en 2015), le système des retraites, les privatisations ou la réforme du marché du travail (modification du cadre législatif concernant les licenciements collectifs et l'exercice des droits syndicaux) et celui des biens. La volonté du gouvernement grec d'aller de l'avant en matière de lutte contre l'évasion fiscale et la corruption a été néanmoins été saluée par l'ensemble des bailleurs de fonds.

2. Les points d'achoppement des négociations
a) Un cadre de négociation difficile à mettre en place

Les négociations se sont en premier lieu focalisées sur des questions sémantiques. Contrairement aux ambitions qu'il avait affichées, le gouvernement grec n'a pas obtenu la suppression de la troïka, thème de campagne de Syriza . Seul le terme disparaît pour être remplacé par la formule « institutions européennes ». Outre les anciens membres de la troïka, elles comprennent des représentants du Mécanisme européen de stabilité (MES). Associés aux négociateurs grecs, les associations prennent la forme de « groupe de Bruxelles ». L'essentiel des négociations techniques a en effet eu lieu dans la capitale belge afin d'éviter des crispations liées à la venue de ces experts sur le terrain.

Une première réunion technique entre représentants du gouvernement grec et ceux des bailleurs de fonds internationaux a été organisée le 11 mars à Bruxelles. Une visite des « institutions européennes » était organisée dans le même temps à Athènes afin de pouvoir disposer de la totalité des informations financières. Cette évaluation était jusque-là d'autant plus délicate que les représentants des bailleurs de fonds à Athènes n'avaient plus accès directement aux données des ministères.

Les réunions de Bruxelles et Athènes n'ont pas permis de réellement avancer. Un mini-sommet réunissant le président de la République française, la chancelière allemande, les présidents du Conseil, de la Commission européenne, de l'eurogroupe et de la BCE, et le premier ministre grec a été organisé le 19 mars. Ce rendez-vous politique de haut niveau, sollicité par les autorités grecques, ne s'est pas traduit pour autant par une modification de la posture relativement attentiste du gouvernement grec. Une liste de réformes, précisées et chiffrées, a ainsi été demandée à Athènes.

L'absence de transmission d'éléments chiffrés a, en effet, longtemps pesé sur les négociations, empêchant toute avancée, alors que l'accord du 20 février prévoyait une renégociation d'environ un tiers des mesures contenues dans le mémorandum d'accord signé par le précédent gouvernement avec ses créanciers. Les réformes avancées sont jugées trop générales et pas assez détaillées, alors que le gouvernement n'a remis au cours des deux premiers mois de négociations que deux documents : un dossier de 8 pages fin février et un autre un peu plus exhaustif de 26 pages en mars.

Une succession de listes de réforme
destinées à préciser les intentions du gouvernement

Une première liste de sept projets de réformes a été présentée par le gouvernement grec lors de l'Eurogroupe le 9 mars . Cette liste comprenait l'aide aux foyers les plus démunis, une vente de licence à des sites de paris en ligne, un projet d'amnistie fiscale pour effacer 78 milliards d'euros d'arriérés d'impôts ou la formation d'agents du fisc pour des missions ponctuelles de lutte contre la fraude (les touristes auraient ainsi pu filmer en caméra cachée des commerçants). Le rattachement du SDOE, qui regroupe les agents du fisc, au Secrétariat général des recettes publiques, organisme indépendant, n'est à l'inverse pas envisagé, alors qu'il figure parmi les demandes de la troïka depuis trois ans. Les autorités grecques entendaient enrichir cette liste par l'introduction de déclarations fiscales pour les revenus non déclarés au cours des années précédentes. Aucune pénalité ne serait alors appliquée. Un dispositif a parallèlement été mis en place fin mars permettant le paiement des arriérés d'impôts sans majoration. L'État grec a pu ainsi percevoir 110 millions d'euros. Il en attendait cependant 500 millions d'euros .

Une nouvelle liste de réformes a été transmise le 30 mars . Elle était censée générée entre 4,7 et 6,1 milliards d'économies. Elle prévoyait notamment une reprise des privatisations, via la location à long terme de 14 aéroports régionaux, dont la gestion a été transférée à l'entreprise allemande Fraport , et la vente du port du Pirée. Ces privatisations devaient rapporter 1,5 milliard d'euros, soit un chiffre en deçà de celui fixé initialement pour 2015 dans le mémorandum d'accord : 2,2 milliards d'euros. Le document chiffrait également les effets des mesures de lutte contre la fraude à la TVA (entre 350 et 420 millions d'euros) et contre le trafic de carburants et d'alcool (entre 250 et 450 millions d'euros). La lutte contre la fraude à la TVA devait passer par l'instauration d'un système de gratification financière, destinée à récompenser les bons contribuables. Le gouvernement entendait par la suite généraliser l'utilisation de terminaux de paiement par carte, la Grèce n'en disposant que de 130 000. Le contrôle des comptes ouverts à l'étranger devait conduire à rapatrier entre 725 et 875 millions d'euros - 6,3 milliards d'euros seraient ainsi placés illégalement en Suisse, une coopération entre les deux pays a été initiée le 26 mars en se fondant sur l'accord bilatéral existant en matière de double imposition - et la réforme de la législation fiscale 300 millions d'euros. Les auteurs d'évasion fiscale devraient par ailleurs être incités à se repentir et à déclarer les sommes dissimulées.

S'il envisage - sans la préciser - une majoration de la TVA dans les îles, le gouvernement refusait cependant toute augmentation des taxes concernant le tourisme. Une taxe sur les jeux en ligne devait permettre de récupérer entre 125 et 175 millions d'euros. Un prélèvement sur les produits de luxe devrait permettre d'engranger 20 millions d'euros supplémentaires. L'impôt foncier ( Enfia ) mis en place par le précédent gouvernement devrait être remplacé par un impôt sur la grande fortune immobilière.

Le programme prévoyait, par ailleurs, une limitation du nombre de départs en retraite anticipés.

Ces mesures d'économie étaient contrebalancées par la réintroduction d'un treizième mois pour les petites pensions, dont le coût est estimé à 600 millions, et le maintien de la suspension de la clause dite « zéro déficit » pour les régimes de retraites complémentaires. Le salaire minimum devait lui être progressivement réévalué à compter du quatrième trimestre 2015, le gouvernement estimant négligeable l'impact budgétaire de cette indexation en 2015 et 2016.

Faute d'accord, deux autres documents ont été transmis le 11 mai puis début juin par le gouvernement.

La réunion de l'eurogroupe à Riga le 22 avril a d'ailleurs été l'occasion pour les partenaires de la Grèce d'exprimer leurs inquiétudes face aux progrès limités. Le remaniement de l'équipe de négociation annoncé par le gouvernement grec le 27 avril dernier a contribué à rapprocher les positions, au moins en ce qui concerne les méthodes de travail. Des personnalités n'appartenant pas à Syriza ont été désormais directement associées aux négociations, alors que le ministre des finances, Yanis Varoufakis, contesté au sein de l'eurogroupe lors de la réunion à Riga, semble avoir été placé en retrait de celles-ci. La coopération entre la haute fonction publique et la nouvelle équipe gouvernementale, qui craignait un manque de loyauté, s'est sans doute également améliorée. Des organismes publics, à l'image de l'agence nationale des statistiques (ELSTAT) critiquée par le nouveau gouvernement qui doutait de son impartialité, ont également été mieux impliqués dans les négociations. La réunion du 11 mai de l'eurogroupe a permis d'enregistrer quelques progrès, liés à cette réorganisation et à la rationalisation des procédures de travail.

Des avancées ont, depuis, pu se dessiner sur les privatisations. Celle du port du Pirée apparaissait prioritaire, le gouvernement grec, disposant de 67 % des parts. Le conglomérat chinois Cisco , qui possède déjà deux concessions au sein du port, pourrait ainsi acquérir les actions détenues par l'État et devenir propriétaire des deux terminaux restant (marchandises et passagers). L'État devrait néanmoins conserver une part du capital au sein de ce que le gouvernement grec qualifie de consortium, refusant de parler de privatisation. La plateforme électorale de Syriza prévoyait, en effet, la suspension des privatisations. La privatisation du PMU grec amorcée par le précédent gouvernement avait déjà été entérinée le 24 avril dernier. Dans le même temps les créanciers ont repoussé leurs exigences quant au montant attendu à l'horizon 2020. La cible de 22 milliards d'euros est désormais reportée à 2022. Reste que les revenus attendus des privatisations pour la période 2015-2019, soit 5,3 milliards d'euros, laissent sceptiques quant à la possibilité d'atteindre dans les trois ans qui suivent le montant espéré par les institutions.

Les institutions et Athènes ont surtout trouvé un accord, le 15 juin 2015, sur la question de l'excédent primaire. Celle-ci est cruciale tant elle détermine les marges de manoeuvre budgétaires du gouvernement. La Commission a revu ses estimations initiales à la baisse, tablant désormais sur un solde de 1 % du PIB en 2015 (contre 3 % dans ses premières prévisions), 2 % en 2016 puis 3% en 2017 et 3,5 % en 2018. Le taux retenu pour 2015 était contesté jusque-là par le gouvernement grec, sous la pression de Syriza , qui l'estimait trop élevé. Les autorités tablaient pourtant sur un excédent primaire de 1,4 % lors des premières négociations. Début juin, elles avaient ramené cet objectif à 0,6 %. Une baisse des dépenses militaires (2,3 % du PIB) - les dépenses grecques en la matière étant les deuxièmes d'Europe - était envisagée afin de parvenir au taux de 1 %. Les créanciers tablaient sur une baisse de 400 millions d'euros, le gouvernement souhaitant limiter celle-ci à 200 millions d'euros. Des divergences persistaient, par ailleurs, sur l'état du déficit budgétaire en 2016 : les institutions estiment celui-ci à 2,5 % du PIB contre 1,65 % côté grec.

Au-delà de la trajectoire budgétaire, le gouvernement grec souhaitait un engagement écrit de ses partenaires en faveur de la restructuration de la dette. Conformément aux conclusions de l'eurogroupe du 27 novembre 2012, les créanciers n'envisageaient pas, initialement, d'intégrer la question de la renégociation dans leur proposition. La Commission européenne a, cependant, indiqué le 26 juin que de telles négociations pourraient avoir lieu « à l'automne », insistant plus sur la tenue d'un débat sur la soutenabilité qu'une proposition chiffrée de restructuration.

b) La réforme des retraites

Les créanciers sont unanimes pour souligner le coût trop élevé du système de retraites grec et appelle à une réforme de son mode de fonctionnement. Le coût annuel du système de retraite est estimé à 17,5 % du PIB, soit au-delà de la moyenne européenne établie à 13,2 %. Selon le FMI, l'absence de réforme conduirait ce coût à atteindre 24 % du PIB d'ici à 2050. Le déficit actuel est estimé à 2 milliards d'euros. Les créanciers souhaitent donc que soient mises en place des économies représentant annuellement 1 % du PIB en 2016 et 2017, soit 1,8 milliard d'euros. Ils cernent notamment la dérive des retraites anticipées et appellent à leur suppression rapide. Elles ont en effet progressé de 14 % dans le secteur privé et de 48 % dans la fonction publique depuis 2009. Dans le secteur public, le nombre de départs annuels a progressé de 178 % sur la période 2009-2013 par rapport à période 2000-2008. Le Fonds monétaire international insiste sur un départ effectif en retraite à 67 ans, soit l'âge retenu par la réforme des retraites de 2010, censée être entrée en vigueur le 1 er janvier 2013. Un certain nombre de dérogations et de dispositifs de préretraites et une mise en place progressive retardent la pleine effectivité de cette réforme. Pour les créanciers, seuls les salariés disposant de quarante annuités de cotisation continueraient à bénéficier d'une retraite à l'âge de 62 ans et des retraites anticipées pourraient concerner les métiers les plus pénibles ou les parents d'enfants handicapés. Le nouveau système devait progressivement être mis en place, selon les créanciers, entre le 1 er juillet 2015 et 2022, selon la dernière proposition d'accord transmise le 26 juin. Une augmentation de la contribution des pensionnés en matière de santé de 4 à 6 % en moyenne et l'extension de celle-ci aux pensions complémentaires était également envisagée par les bailleurs de fonds. Il s'agissait de poursuivre les efforts de rationalisation et d'unification du régime grec, dont le nombre de caisses a été ramené de 100 en 2010 à 13 aujourd'hui.

Éludant la question des réformes de structure, le gouvernement grec s'est focalisé de son côté sur le niveau des pensions versées, et notamment sur le maintien de l'EKAS, prime instituée en 1996. Les institutions entendent la voir supprimée à la fin 2019, avec un écrêtement immédiat pour 20 % des bénéficiaires (elles envisageaient initialement une suppression dès 2016). Comprise entre 120 et 220 euros par mois, octroyée aux retraités dont la pension est inférieure à 8 472,09 euros annuels, soit 706 euros mensuels. En 2014, 195 000 personnes ont bénéficié de cette prime, soit un coût annuel pour l'État de 630 millions d'euros environ. La pension moyenne s'établit à 664,69 euros. Dans la lignée de ses prédécesseurs, le gouvernement grec entend également que la clause de « déficit zéro » pour les régimes de retraite complémentaire ne soit pas appliquée. Cette clause réduit en effet le montant des retraites complémentaires, celles-ci atteignant en moyenne 168,40 euros mensuels. Les autorités estiment que des efforts déjà important ont été demandés aux retraités depuis le début de la crise. 44,8 % des retraités perçoivent des arrérages inférieurs au seuil de pauvreté, soit 1,19 million de personnes sur un total de 2,65 millions de retraités. Les pensions ont diminué d'environ 15 % pour les plus faibles (moins de 500 euros par mois) et de plus de 44 % pour celles supérieures à 3 000 euros depuis 2010. La pension moyenne brute - avant impôt et cotisations santé - s'élève cependant à 960,66 euros mensuels. Le gouvernement grec préconise le remplacement de l'EKAS par un revenu minimum, qui pourrait selon lui, être mis en place, à l'horizon 2018. La suppression de l'EKAS serait alors progressivement réalisée entre cette date et 2020.

Les autorités grecques souhaitaient initialement effectuer un examen approfondi du régime des retraites à l'automne prochain. Elles soulignaient, en outre, que la sécurité sociale a déjà fait l'objet d'une réforme d'envergure visant à l'unification des caisses d'assurance sociale et à supprimer les dispositions permettant les départs en retraite anticipées, ce qui contribue mécaniquement, selon elle, à augmenter l'âge de départ en retraite. Les propositions formulées le 22 juin par le gouvernement allaient dans ce sens, les dérogations au départ en retraite à 67 ans et les retraites anticipées devant être progressivement supprimées à compter de 2016 et d'ici à 2025. Ce calendrier diffère de celui retenu par les institutions. Il s'agissait néanmoins d'une réelle avancée, Syriza s'étant montré favorable durant la campagne électorale au retour de l'âge de la retraite à 60 ans.

Le gouvernement envisageait également une majoration des cotisations salariales et patronales. 800 millions d'euros étaient ainsi attendus en 2016. Les créanciers ont exprimé leurs doutes sur une telle majoration, craignant un effet négatif pour la reprise de l'activité. L'augmentation du taux de la contribution des retraités au système de santé devait être de 5 % en moyenne, avec un système d'exonération, ce qui diffère des propositions des institutions Les pensions complémentaires supérieures à 1 000 euros devaient, par ailleurs, être réduites.

La question des retraites est d'autant plus délicate que le Conseil d'État grec a invalidé, le 10 juin 2015, les coupes opérées en 2012. Si la décision n'a pas d'effet rétroactif, le budget de l'État devrait cependant être grevé à l'avenir d'une somme comprise entre 1 et 1,5 milliard d'euros annuels.

c) Les recettes fiscales

L'augmentation des recettes fiscales grecques doit permettre, selon la Commission européenne, de combler le déficit budgétaire attendu pour 2015, soit 1,1 % du PIB. Les institutions attendent ainsi une augmentation des prélèvements de l'ordre de 2 milliards d'euros.

Le coeur de la négociation concerne la TVA. Le système actuel prévoit trois taux, établis à 6 %, 13 % et 23 % et des taux particuliers concernant les îles. Il convient de rappeler que la TVA est censée rapporter 15 milliards d'euros annuels à l'État, seuls 10 milliards d'euros sont cependant collectés. Les institutions souhaitaient initialement la mise en place de deux taux, fixés à 11 % - qui comprendrait les médicaments, la nourriture et l'hôtellerie - et 23 %. Le gouvernement grec a préconisé, le 22 juin, le maintien d'un système à trois taux. Le taux de 6 % serait maintenu pour les médicaments, les livres et les places de théâtre, celui à 13 % viserait la nourriture et l'hôtellerie. Il refuse, par ailleurs, que la TVA sur l'électricité actuellement établi à 13 % passe à 23 %. Reste la question de la TVA dans les îles. Les autorités grecques ont indiqué, le 22 juin, envisager une différenciation les concernant : les îles les plus prospères, à l'image de Mykonos, Rhodes ou Santorin, se verraient appliquer une TVA normale, les exceptions ne concernant plus que les territoires les plus éloignés et les moins ouverts au tourisme. La proposition du 26 juin formulée par les créanciers prenait en compte les objections des autorités grecques et revenait à un système à trois taux, le taux standard étant fixé à 23 %. Le taux de 13 % comprendrait la nourriture, l'eau, l'énergie et l'hôtellerie et celui de 6 % sur les produits pharmaceutiques, les livres et le théâtre. La différence tient donc à la question de la taxation de la restauration. Le calendrier de la mise en oeuvre était également source de divergences : les institutions souhaitant une application dès le mois de juillet, les autorités grecques tablant sur octobre.

Le gouvernement grec entendait parallèlement tabler sur une intensification de la lutte contre la fraude fiscale et sur l'amélioration de la collecte pour maximiser ses recettes. Il envisageait dans le même temps une augmentation de la taxe sur les bénéfices exceptionnels (1 milliard attendu en 2015), de la contribution de solidarité (entre 220 et 250 millions d'euros espérés en 2015 et 2016), la vente de licences audiovisuelles (340 millions d'euros en 2015) et d'autres prélèvements censés rapporter 210 millions d'euros sur la période 2015-2016. La liste de réformes présentée le 11 mai et actualisée le 22 juin par le gouvernement prévoit également la mise en place d'une taxe spéciale visant les 500 familles les plus riches. Un relèvement de la surtaxe sur les salaires supérieurs à 50 000 euros annuels, une taxe de solidarité de 8 % touchant les revenus de plus de 500 000 euros, une majoration du taux de 10 à 13 % de celle portant sur les produits de luxe (piscine, avions, bateaux de plus de 10 mètres et voitures de luxe) et une standardisation de celle visant le chiffre d'affaires étaient également envisagées. L'impôt sur les sociétés passerait de 26 à 29 %. Un projet de loi présenté le 29 avril dernier par le gouvernement prévoit, par ailleurs, une taxe sur les droits de diffusion et la publicité télévisée. La mise en place d'une taxe sur les transactions financières, censée rapporter entre 300 et 600 millions d'euros par an, a finalement été écartée. Le gouvernement envisageait également l'introduction d'une taxe sur les croisières. Les paiements supérieurs à 70 euros pourraient, en outre, faire obligatoirement l'objet d'une transaction par carte de crédit.

Certaines de ces dispositions fiscales, notamment celles visant les entreprises, ont été contestées par les créanciers en raison de leur effet potentiellement récessif. Les institutions craignaient que ces mesures affectent la capacité d'investissement des entreprises. Il en va ainsi de la taxe sur les bénéfices exceptionnels retirée de la proposition transmise au gouvernement grec le 26 juin ou de l'augmentation du taux de l'impôt sur les sociétés, réduite d'un point. Les institutions privilégiaient plutôt la suppression des exonérations fiscales pour les îles de la mer Égée (30%).

d) La réforme du marché du travail

Les négociations se sont également concentrées sur la réforme du marché du travail, sur lesquels l'écart entre les propositions grecques et les attentes de l'eurogroupe demeurait important.

Il convient d'insister à ce stade sur un point : la réforme du marché du travail souhaitée par les créanciers n'a pas véritablement trait à la question du coût du travail elle-même. Celui-ci a largement baissé depuis le début de la crise. La diminution est estimée à 25 % depuis 2009, ce qui le replace au niveau observé en 2001, un an avant l'intégration au sein de la zone euro. C'est plutôt la complexité législative qui était visée, ainsi que l'absence de modernisation des conventions collectives. Le gouvernement entendait néanmoins que l'Organisation internationale du Travail (OIT) effectue une analyse approfondie du marché avant toute réforme visant les conventions collectives. Les professions réglementées sont également visées par les institutions. Le cas des pharmacies est ainsi assez éloquent. Quatre fois plus nombreuses qu'en France, elles souffrent aujourd'hui de difficultés financières conséquentes. L'Ordre des pharmaciens empêche pour l'heure toute réforme d'envergure du secteur.

3. Une position des institutions moins inflexible qu'il n'y paraît
a) La position ambiguë du Fonds monétaire international

Les négociations entre la Grèce et ses créanciers ont parallèlement révélé une certaine fermeté de la part du Fonds monétaire international, qui refuse que le cas grec constitue un précédent dans sa gestion des pays en crise. Des dissensions se font jour entre la Commission européenne d'un côté et le Fonds monétaire international de l'autre quant aux priorités des négociations. La Commission tendait à privilégier une lecture comptable en se montrant inflexible sur l'excédent budgétaire primaire et plus souple sur les réformes des retraites et du marché du travail. Le Fonds monétaire international a adopté la position inverse et jugé les réformes à mener non négociables. Face à la dégradation du solde primaire, il privilégiait une restructuration de la dette qui n'est pas jugée prioritaire par les Européens, appuyant indirectement les demandes en ce sens du gouvernement grec qui souhait relier cette question à la conclusion d'un accord.

La position du FMI sur la dette se justifie par la volonté de maintenir le caractère solvable de celle-ci, condition sine qua non pour le maintien de ses aides à la Grèce. Il convient par ailleurs de rappeler que le FMI, dont les conditions d'emprunts sont supérieures à celles des Européens, est considéré comme créancier prioritaire en cas de restructuration. Il ne serait donc pas affecté par une réduction éventuelle de l'encours de la dette. C'est dans cette perspective qu'il convient d'analyser le rapport que le FMI a publié le 2 juillet sur la soutenabilité de la dette grecque, qui envisage une réduction de la dette d'environ 53 milliards d'euros afin de permettre à celle-ci de respecter la trajectoire assignée en 2012. Au risque, cependant, de renforcer la dynamique du non lors de la campagne référendaire.

Les Européens entendaient cependant toujours associer le Fonds aux négociations, en raison notamment de son rôle majeur au sein des institutions. Le Fonds est censé disposer, à leurs yeux, d'une capacité d'expertise dont ils ne disposeraient pas.

Le gouvernement grec avait, de son coté, tenté une forme d'ouverture en direction du Fonds monétaire international en nommant le 31 mai l'ancienne députée socialiste Elena Panaritis représentante de la Grèce auprès de l'institution. Celle-ci avait par le passé participé aux négociations sur le mémorandum d'accord. Elle a néanmoins préféré décliner cette proposition face à l'opposition de députés de Syriza . Le gouvernement grec s'est montré, depuis, favorable à un retrait du Fonds monétaire international du programme d'assistance.

b) Une recherche du compromis

L'une des clés de la victoire de Syriza t ient à la brutalité de certaines mesures adoptées par le gouvernement précédent en vue de répondre aux demandes des bailleurs de fonds. Celles-ci, parfois liées à une vision technocratique voire idéologique de la situation, ont été insuffisamment expliquées ou précisées . Il en va ainsi de l'augmentation de la taxation sur les médicaments qui est venue répondre à une demande des bailleurs de fonds visant le trafic de ces produits, qu'ils jugeaient facilité par leur faible coût. Le renforcement des moyens de la lutte contre ce type de trafic attendu par la troïka s'est ainsi traduite par une augmentation du coût pour les consommateurs. Il en va de même pour l'énergie, alors que la troïka dénonçait un trafic de fuel généralisé dans le pays. La demande de suppressions de postes dans la fonction publique, formulée en 2013 par la troïka, a également été analysée diversement par le gouvernement Samaras. Là où les bailleurs de fonds contestaient l'absence de licenciements disciplinaires effectifs ou la rémunération d'agents temporaires ayant cessé leur mission mais contestant leur non-prolongement, le gouvernement a préféré limoger le personnel de ménage des ministères - réembauché par le gouvernement Syriza à son arrivée -, les gardiens des écoles et les policiers municipaux. La fermeture de la chaîne de télévision publique ERT en 2013 relève également de cette même incompréhension.

Une telle traduction gouvernementale des demandes internationales a incontestablement contribué à la victoire en janvier dernier d'une formation souhaitant remettre en cause les mémorandums d'accord. Il appartenait aux bailleurs de fonds de tenir compte de cette lassitude et de présenter les réformes attendues avec pédagogie. Le débat sur l'EKAS était, à cet égard, assez emblématique. La question d'une application d'un taux majoré de TVA dans les îles l'est également. Il convenait de ne pas se crisper sur ces deux demandes, en particulier la première. En ce qui concerne la seconde, les négociateurs devaient avoir à l'esprit que le succès de la saison touristique, principale manne financière pour une économie exsangue, tenait sans doute à une application du taux une fois la période des vacances terminées.

La proposition d'accord du 26 juin, qui prenait en compte les listes des réformes présentées par le gouvernement grec les 8, 14, 22 et 25 juin allaient dans le sens d'une relative souplesse sur ces dossiers. Il est regrettable que le gouvernement ait privilégié la rupture des négociations et choisi l'option référendaire, sur un texte de surcroît antérieur, les Grecs ayant été appelés à se prononcer sur une proposition datant du 25 juin.

c) Une ouverture vers l'avenir ?

Compte tenu de la lenteur des négociations et de la proximité des échéances pour la Grèce, l'hypothèse d'un accord en deux temps était la plus souvent envisagée. Le gouvernement grec avait d'ailleurs accepté, le 22 juin dernier, le principe d'une prolongation du plan d'aide actuel au-delà du 30 juin. Le versement des aides internationales serait progressivement réalisé après accord entre la Grèce et ses créanciers sur le solde primaire du budget de l'État - condition déjà remplie - et le montant des recettes fiscales. Le reste aurait été décaissé après le 30 juin, en fonction des résultats obtenus sur les réformes des retraites et du marché du travail. Cette nouvelle prorogation du plan d'aide aurait pu durer au moins trois mois.

Cependant, au-delà du versement de l'enveloppe de 7,2 milliards d'euros, se posait la question de la capacité de la Grèce à pouvoir, se refinancer sur les marchés. Un temps évoquée, la ligne de précaution paraissait, aux yeux d'un certain nombre d'observateurs, insuffisante pour accompagner ce retour. Celui-ci pouvait s'avérer périlleux et aurait fragilisé l'objectif d'une réduction substantielle de la dette publique à l'horizon 2020. Face au risque d'impasse financière, la mise en place d'un troisième plan d'aide apparaît de plus en plus comme la seule alternative possible à une sortie de la Grèce de la zone euro, ordonnée ( Grexit) ou non ( Grexident ).

Le vice-président de la Commission européenne, M. Valdis Dombrovskis, chargé de l'euro et du dialogue social, avait indiqué le 3 mars que la Grèce aurait sans doute besoin de mesures additionnelles au 1 er juillet prochain, précisant que la ligne de précaution envisagée avec le gouvernement précédent ne semblait plus suffisante compte tenu des difficultés budgétaires rencontrées par le gouvernement grec et du scepticisme des marchés. D'après le ministre espagnol des affaires économiques, ce plan pourrait porter sur une somme comprise entre 30 et 50 milliards d'euros. Ce plan n'a pas été officiellement confirmé par la Commission européenne ou l'eurogroupe. Le FMI table, dans son rapport sur la soutenabilité de la dette grecque du 26 juin publié le 2 juillet, sur la somme de 52 milliards d'euros pour aider la Grèce à faire face à ses obligations entre octobre 2015 et décembre 2018. La contribution de l'Union européenne, via le MES, est estimée à 36 milliards d'euros. Cette aide est motivée, selon le Fonds, par une dégradation de la position de la Grèce qui l'empêche de se refinancer sur les marchés à des taux permettant à sa dette publique de demeurer soutenable. Cette estimation intègre, par ailleurs, la mise en oeuvre des réformes proposée par les institutions et vient s'agréger au montant de l'aide qu'elles envisageaient, soit 15,5 milliards d'euros.

Une solution plus modeste pourrait consister en la conversion des crédits du Fonds hellénique de sauvegarde financière (10,9 milliards d'euros), somme à laquelle viendrait s'ajouter les crédits restant à verser dans le cadre de l'enveloppe FMI (8,6 milliards d'euros en 2015 puis 3,1 milliards d'euros en 2016).

Le gouverneur de la Banque centrale de Grèce, Yannis Stournaras, estimait, de son côté que son pays devrait disposer d'un « arrangement de suivi », à l'issue du plan. Celui-ci devrait combiner allègement de la dette et ligne de crédit de précaution d'un côté et programme crédible de réformes budgétaires et structurelles de l'autre. L'allègement pourrait prendre la forme d'un allongement de la maturité des prêts octroyés en 2010 (GFL - prêts bilatéraux) et 2012 (FESF). Dans le même temps, le taux des prêts GFL serait ramené à zéro. La combinaison de ces deux mesures pourrait, selon la Banque de Grèce, réduire l'endettement de 17 % du PIB.

La proposition des institutions présentée le 26 juin allait, dans ce contexte, plus loin que la demande exprimée par les autorités grecques en proposant une aide de 15,5 milliards d'euros. Le plan d'aide aurait été prolongé, dans ces conditions, de 5 mois. Aux 7,2 milliards d'euros s'ajoutaient, 1,4 milliard d'euros de ristourne d'intérêts versé par la BCE et 6,9 milliards d'euros issus du Fonds hellénique de stabilité financière (HFSF), ce qui répond à la fois à une demande du gouvernement actuel mais celui aussi de son prédécesseur. Un débat sur la soutenabilité de la dette était également envisagé à l'automne.

Cette solution a été rejetée quelques heures plus tard par les autorités grecques, qui souhaitaient avant tout obtenir un engagement en faveur de la restructuration de la dette, déjà formalisé par l'eurogroupe le 27 novembre 2012.

C'est dans ces conditions que l'eurogroupe a souhaité, le 27 juin, maintenir au 30 juin la date de fin du programme d'aide, laissant néanmoins la porte ouverte à une reprise des négociations d'ici à la tenue du réferendum, sans pour autant envisager de nouvelles concessions.

C. LA STRATÉGIE RISQUÉE DU GOUVERNEMENT GREC

La lenteur des négociations, l'absence de résultats tangibles à quelques jours de l'échéance du 30 juin puis l'annonce d'un référendum sur une proposition caduque des institutions amènent à s'interroger sur la stratégie poursuivie par le gouvernement grec. Il ne faut, bien sûr, pas mésestimer le fait qu'il s'agisse de sa première expérience du pouvoir. Le gouvernement grec semble, cependant, s'être lancé dans une politique de poker menteur avec ses créanciers, agitant la menace du défaut, étirant le temps des négociations, n'acceptant des compromis qu' a minima avant d'opter pour un retour devant les urnes.

1. Un double discours révélateur des contradictions internes à Syriza
a) Le choix de la politisation... et de l'exaspération

Les cinq mois de négociations qui viennent de s'écouler ont souligné la différence de tonalité entre le message des autorités grecques adressé à ses bailleurs de fonds et celui proposé à la population grecque. Le discours du Premier ministre le 5 juin dernier au Parlement grec a pu paraître, à ce titre, assez révélateur, au risque cependant de froisser définitivement ses partenaires européens. Celui-ci visait, avant tout, à répondre aux critiques d'une partie de Syriza sur les concessions en matière d'excédent primaire. Il est intervenu alors que les positions semblaient se rapprocher entre les parties, une nouvelle impulsion politique ayant été donnée avec l'appui du couple franco-allemand mais aussi de la Commission européenne. Le changement de l'équipe de négociateurs en avril dernier avait également contribué à ce rapprochement.

La rhétorique utilisée - les propositions européennes sont qualifiées d'absurdes - et l'ajout de nouvelles lignes rouges visant la taxe sur la valeur ajoutée, la prime pour les petites retraites et le lancement des négociations sur la restructuration de la dette retardent d'autant la conclusion d'un accord. Elles ont également contribué à renforcer l'exaspération d'un certain nombre d'États membres. Les parlementaires allemands, CDU-CSU comme SPD, se sont avérés alors de plus en plus enclins à ouvrir un débat sur la sortie de la Grèce de la zone euro. Des pays comme l'Espagne, la Finlande, les Pays-Bas, le Portugal ou la Slovaquie ont témoigné d'une certaine lassitude.

C'est dans ce contexte que se sont déroulées les négociations du 18 au 26 juin dernier, sans pour autant que les membres de la zone euro ne paraissent écarter totalement l'hypothèse d'un accord.

Les refus des discussions à un niveau jugé technique et le souhait de politiser excessivement les échanges avaient pourtant fragilisé la crédibilité de la Grèce sur sa capacité à vouloir mettre en oeuvre effectivement des réformes. Les autorités grecques semblaient attendre des rencontres à haut niveau une solution à leur incapacité à définir une stratégie de réforme. Le gouvernement paraissait s'appuyer, par ailleurs, sur la certitude, de moins en moins fondée pourtant, que l'Union européenne ne prendra pas le risque d'un défaut et d'une sortie de la Grèce de la zone euro pour limiter le nombre de concessions. C'est à travers cette grille de lecture qu'il convient d'analyser l'accélération des négociations huit jours avant le 30 juin et l'organisation d'un sommet extraordinaire des chefs d'États et de gouvernement de la zone euro le 22 juin. Cette réunion était censée donnée une nouvelle impulsion politique et permettre un accord. C'est aussi dans cette perspective qu'il convient d'analyser le choix de recourir au référendum, le 26 juin dernier, sur une des propositions des institutions, modifiée entretemps et donc caduque, tout en appelant à voter contre. À l'aune de ces éléments, la décision de l'eurogroupe, le 27 juin, de maintenir la date de fin de programme au 30 juin apparaît ainsi logique.

Le choix de recourir à la démocratie n'est pas contestable en soi. Cependant, le fait que ce référendum intervienne à cette date peut laisser songeur. D'autant que la question portait sur l'approbation d'un texte qui n'était en rien définitif et que le gouvernement demandait dans le même temps l'extension du plan d'aide actuel jusqu'au lendemain du vote. Dans ces conditions, les réactions virulentes d'une partie des États membres de la zone à l'égard de ce choix paraissent logiques. Le vote d'un pays ne saurait, par ailleurs, prévaloir sur la position des autres, qui disposent tout autant d'une légitimité démocratique. Comme l'a souligné, le président de la Commission européenne, le 29 juin, « dans la zone euro, il y a 19 démocraties, ce n'est pas 1 contre 18 ou 18 contre 1 ».

b) Une absence de positionnement définitif sciemment entretenu ?

Comme l'a souligné le référendum, le gouvernement n'a pas totalement tranché entre sa volonté de ne pas renier intégralement ses promesses de campagne et son souhait d'obtenir le versement de la dernière tranche du prêt international. Si le gouvernement dépose des projets de loi qui rappellent ses engagements de campagne, force est de constater que ces textes n'ont toujours pas été votés. Les seules mesures entrées en vigueur concernent en effet le paquet humanitaire, l'étalement du remboursement des dettes fiscales et sociales et l'utilisation du produit de privatisations pour financer les retraites. L'annonce, le 28 janvier, de la suspension des privatisations des ports du Pirée, de la société de services aux collectivités PPC et du principal opérateur électrique DEI a, quant à elle, été fragilisée par les dernières concessions du gouvernement. Celui-ci n'entend pas, pour autant, opérer un « tournant à la Papandreou », soit renoncer à ses promesses de campagne comme l'avait fait le gouvernement PASOK en 1981.

Ces cinq derniers mois ont, en tout état de cause, souligné la fragilité de Syriza à se muer en parti de gouvernement et à rompre avec ces réflexes de formation de l'opposition. De cet état de fait peut découler l'image d'un gouvernement cherchant avant tout à communiquer plutôt qu'à proposer. L'inexpérience de la plupart des membres du gouvernement n'est, bien évidemment, pas sans rapport avec ce constat . Syriza n'avait, jusqu'alors, exercé aucune responsabilité de gestion avant d'accéder au pouvoir. Il peut en découler une vision très idéologique de l'action publique, peu encline au compromis, pourtant inhérent au mode de fonctionnement de l'Union européenne.

Le volontarisme d'Alexis Tsipras, affiché pendant la campagne électorale, ne semble pas résister à l'exercice du pouvoir. Les contradictions internes à son gouvernement, l'absence de précision dans les réformes proposées ou le gel de certaines mises en oeuvre par la précédente équipe - il en est ainsi de la réforme de l'Etat -, le rôle central du comité directeur du parti dans la conduite de l'action gouvernementale, la méfiance excessive et pour partie idéologique à l'égard des créanciers font indéniablement perdre du temps au pays tant en vue d'aboutir à un accord sur le versement de la dernière tranche que dans l'optique d'appliquer une véritable stratégie économique pour l'avenir. Il n'est pas étonnant, d'ailleurs, que seuls 5 % du programme du parti n'aient été mis en oeuvre.

Le primat accordé aux négociations sur le déblocage des fonds semble geler, par ailleurs, toute définition d'un modèle de croissance durable pour le pays. Cette focalisation ne s'est pas, pour autant, avéré efficace, comme en a témoigné la lenteur des négociations.

Cette attitude est d'autant plus désolante que la population semble encline à accepter la vérité et prête à de nouveaux sacrifices en vue de rester au sein de la zone euro, dès lors que l'effort lui apparaîtrait équitablement réparti mais aussi expliqué . L'absence d'ambition en matière fiscale peut sembler à cet égard s'inscrire dans le prolongement de l'inaction des gouvernements précédents, dont le clientélisme a été pourtant dénoncé par les électeurs et Syriza .

c) Des mesures populaires destinées à fédérer la majorité parlementaire

En même temps qu'il entamait des négociations avec les institutions, le gouvernement a fait adopter début mars une prorogation du gel des saisies et des mises aux enchères des résidences principales en cas d'impayés, qui s'applique aux biens dont la valeur dépasse 400 000 euros. Un deuxième texte offre aux contribuables la possibilité de rembourser leurs dettes fiscales et sociales en 100 mensualités, la mensualité minimum s'établissant à 20 euros. Le 18 mars, le gouvernement a également fait adopter une loi dite « humanitaire » qui prévoit une aide au logement pour 30 000 foyers, comprise entre 70 et 220 euros, et une aide alimentaire pour 300 000 personnes. La loi permet également de rétablir le courant électrique au sein des foyers qui ne peuvent le payer et de leur fournir jusqu'à 300 kw/h gratuitement, jusqu'à la fin de l'année. Le montant de l'ensemble de ces mesures s'élève à 200 millions d'euros, soit à peine 10 % de ce que le gouvernement envisageait à son arrivée au pouvoir. Le Parlement grec a également voté le 28 avril la réouverture de la chaîne de télévision publique ERT, fermée en 2013 par le précédent gouvernement pour raisons budgétaires.

Le gouvernement a, par ailleurs, répondu à une promesse de campagne en se montrant favorable à la création d'une commission d'audit sur la dette grecque, le 17 mars dernier. L'objectif de celle-ci, dont les réunions se tiennent au parlement grec, est de déterminer l'éventuel « caractère odieux, illégal ou illégitime » de la dette contractée par le pays. Il s'agirait alors d'effacer la partie de la dette jugée illégale. Les travaux de cette commission ont débuté le 3 avril et devraient aboutir fin juin. Cette commission est composée de scientifiques et de juristes grecs mais aussi de spécialistes internationaux de l'audit. Le belge Eric Toussaint, président du Comité pour l'abolition de la dette dans le Tiers monde (CADTM) assure les fonctions de coordinateur technique au sein de celle-ci. La commission a rendu ses conclusions le 18 juin dernier. Elle estime que la Grèce ne devrait pas payer sa dette car elle est « insoutenable ». La dette contractée auprès du FMI peut être considérée comme illégale, les conditions d'attribution prêt étant réputé contraire à la Constitution grecque, au droit international et coutumiers et aux traités auxquels la Grèce est partie. La dette due à la BCE est également jugée illégale, l'institut monétaire ayant dépassé son mandat en participant à la troïka qui impose l'application de programmes d'ajustement macroéconomique, visant notamment le marché du travail. Le pays a, plus largement, été victime " d'une attaque concertée " de ses créanciers pour sauver les banques au détriment des citoyens. Les grandes banques privées européennes et grecs ont souhaité avant tout se débarrasser de leurs obligations grecques. 49 députés ont adressé une lettre au gouvernement lui demandant que ce rapport soit officiellement discuté en session plénière au Parlement.

Les autorités entretiennent, parallèlement, une certaine méfiance à l'égard des créanciers. Elles visent particulièrement la troïka ou l'Allemagne, censés brider les ambitions initiales du gouvernement. C'est à l'aune de cette grille de lecture qu'il convient d'analyser l'annulation fin mai d'un programme destiné à 16 220 chômeurs âgés de 29 à 64 ans, financé par l'Union européenne à hauteur de 112 millions d'euros. Le programme est jugé comme mal conçu, profitant davantage aux entreprises qui percevaient 75 % d'une allocation de 5 400 € par personne qu'aux chômeurs. Les secteurs retenus - construction et gestion des déchets - ne sont pas, en outre, considérés comme porteurs de croissance, alors que le gouvernement privilégie la production agricole, l'élevage de poisson, le tourisme et les énergies renouvelables. Les autorités ont également souhaité procéder au réexamen de deux des cinq programmes visant le chômage des jeunes. Le premier concerne 8 000 jeunes dans le secteur du tourisme quand le deuxième vise la formation professionnelle de 15 000 personnes âgées de 18 à 24 ans. Au total 110 778 jeunes de moins de 29 ans sont concernés en Grèce par des programmes européens d'accès à l'emploi. L'Initiative pour l'emploi des jeunes prévoit par ailleurs une manne de 220 millions d'euros pour le pays, auxquels viennent s'ajouter 95 millions d'euros.

d) Les risques politiques d'un accord

Malgré ces concessions, la perspective d'un accord avec les institutions n'était pas sans risque politique pour le gouvernement. La présentation de l'accord du 20 février et le programme de réforme annoncé le 24 février avaient déjà suscité des réserves au sein de Syriza . Au-delà de la question des privatisations, les critiques s'étaient focalisées sur le fait que le gouvernement grec ne puisse pas utiliser les crédits du Fonds hellénique de stabilité financière (HFSF) pour financer les promesses de campagne. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, qu'une trentaine de parlementaires de Syriza membres de la Plateforme de gauche , contestent l'accord du 20 février. La présidente du Parlement, Zoé Konstantopoulou, s'oppose, quant à elle, à un nouveau plan d'aide.

Quatre mois après l'accord, la formation majoritaire demeurait divisée sur les concessions à faire, alors même que la menace d'un défaut de paiement tendait à se préciser. Lors de la réunion du comité directeur du parti, le 24 mai, une motion de censure contre la stratégie de négociation du gouvernement a été ainsi présentée. Elle a été rejetée par 95 voix contre 75. Le texte appelait à faire défaut vis-à-vis du FMI. Cette absence de soutien total du parti au gouvernement rappelle le caractère composite de Syriza , qui demeure, avant tout, le fruit d'une coalition de mouvements maoïstes, eurocommunistes, antifascistes ou altermondialistes et d'anciens membres du PASOK, jugés plus réalistes (10 ministres sur 40 sont issus de ce parti). Un tiers des membres du parti seraient enclins à une sortie de la zone euro. Les propositions soumises aux institutions le 22 juin dernier avaient également été durement critiquées par des parlementaires de la majorité.

Compte tenu de ces divisions, un accord avec les institutions risquait d'être adopté au Parlement grâce aux voix de l'opposition, le parti de centre gauche To Potami s'étant engagé à le voter, Nouvelle Démocratie devant s'abstenir. La méfiance de l'aile gauche de Syriza à l'égard du gouvernement n'est pas étonnante au regard du programme initial d'Alexis Tsipras. La discipline de vote aurait néanmoins pu jouer au moment du scrutin, l'opposition interne à Syriza n'étant pas, par ailleurs, unie. La plupart des cadres n'entendent pas, en outre, renoncer aux responsabilités gouvernementales et entendent « durer », refusant de n'être qu'une parenthèse. En cas de vote négatif, le gouvernement aurait en effet été amené à démissionner.

e) La tentation du référendum

Ce risque d'implosion a pu expliquer pour partie la posture attentiste du gouvernement dans les négociations puis le choix du référendum, au risque de plonger le pays dans le chaos. Ce faisant, le gouvernement instrumentalise au plan interne l'échec des négociations, dont il est en partie responsable. Le référendum peut apparaître, à bien des égards, comme une fuite en avant, légitimée par un vote au Parlement réunissant Syriza , ANEL et Aube dorée , le parti neo-nazi grec.

Le gouvernement grec a présenté le référendum comme la possibilité de rejeter les propositions des institutions et de négocier un accord plus satisfaisant. Il ne s'agissait pas, pour lui, de remettre en cause, l'adhésion du pays à la zone euro.

Il convient de relever, à ce titre, que le gouvernement ne se sentait pas lié par le résultat du scrutin. S'il a appelé à rejeter les propositions des institutions, il a pu paraître enclin, par moments, à revenir sur ce choix en cas de victoire du oui et finaliser un accord. Le référendum a, en tout état de cause, permis, selon certains observateurs, au gouvernement grec d'adopter, en tout état de cause, une posture de victime et de se présenter devant les électeurs pour voir son mandat renouvelé, voire renforcé. Le gouvernement Papandreou avait également envisagé un référendum en novembre 2011 sur le projet de deuxième plan d'aide avant de renoncer sous la pression de ses pairs. Il existe cependant une différence notable entre les deux démarches : le gouvernement souhaitait en 2011 faire campagne pour l'approbation et réaffirmer un engagement européen clair. Ce qui n'est pas le cas en 2015, remettant en cause le principe de solidarité inhérent à l'Union européenne.

Il était également possible de s'interroger sur la légitimité d'un scrutin, contestée par de nombreux constitutionnalistes grecs et portant sur un document qui n'a pas de caractère officiel et dont les grandes lignes ne sont plus valables depuis le 30 juin, date de la fin du programme d'aide, soit cinq jours avant le scrutin. Ce document reprend, par ailleurs, une proposition des institutions datant du 25 juin et que celles-ci ont modifié le lendemain, afin de tenir compte des objections grecques. Le Conseil de l'Europe a, en outre, estimé, le 1 er juillet, que les conditions d'organisation de la consultation était en deçà des standards internationaux. Le délai d'organisation inférieur à deux semaines, la complexité de la question et l'absence d'observation électorale ont, notamment, été pointées. Le Conseil d'État grec a cependant constaté sa légalité le 3 juillet.

Le choix du référendum pouvait, cependant, s'avérer coûteux pour le gouvernement. La mise en place inévitable d'un contrôle des capitaux le 29 juin pourrait contribuer à raidir une opinion publique déjà inquiète et qui reste très attachée à l'euro. Un récent sondage estimait néanmoins que 70 % de la population était favorable à l'idée de conserver la monnaie unique. 57 % des sondés indiquaient par ailleurs que le gouvernement devrait trouver un accord avec les créanciers, seuls 29 % étant favorables à une rupture 6 ( * ) . Une victoire du oui ne pouvait que fragiliser, quoi qu'il en dise, un gouvernement tenant de la position inverse.

La volonté de ne pas apparaître comme le responsable d'une sortie de la zone euro a sans doute conditionné le choix du gouvernement de proposer, le 30 juin, un accord de deux ans avec le Mécanisme européen de stabilité (MES), destiné à couvrir totalement ses besoins financiers sur cette période, avec une restructuration concomitante de la dette, portant sur 130 milliards d'euros. Le montant de l'opération était estimé à 29,1 milliards d'euros. Aucune conditionnalité n'était par ailleurs proposée. L'eurogroupe a marqué son désaccord, l'Allemagne souhaitant notamment attendre les résultats du référendum. Une seconde proposition a été transmise le 1 er juillet, reprenant les conditions proposées par les créanciers le 26 juin. Trois réserves ont néanmoins été proposées par le gouvernement : le maintien d'une TVA réduite de 30 % pour les îles grecques et les régions les plus pauvres, l'augmentation progressive de l'âge de départ en retraite différée au 1 er octobre et mise en place d'une subvention pour les pensionnés les plus pauvres en l'échange de la suppression progressive de l'EKAS d'ici à décembre 2019, sur laquelle il marque son accord. Il s'oppose, par ailleurs, à l'écrêtement immédiat pour 20 % des bénéficiaires de l'EKAS envisagé par les institutions. La réforme du marché du travail, serait, quant à elle, adoptée à l'automne 2015.

L'eurogroupe n'a pas donné suite à cette proposition, le gouvernement grec maintenant la tenue du référendum et sa position négative. La Commission européenne avait parallèlement indiqué que ce nouveau plan ne pouvait être confondu avec la proposition du 26 juin - par ailleurs formellement expirée le 30 juin - en raison de sa durée et du montant qui lui était corrélé. Sur le plan de la procédure, comme sur le fonds, la situation était jugée tout à fait différente. L'Allemagne avait, dans le même temps, confirmé son refus de négociations à tout prix et rappelé la séquence électorale dans laquelle s'était inscrite le gouvernement grec. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que l'eurogroupe ait annoncé le 1 er juillet suspendre ses travaux jusqu'au résultat du référendum.

2. Des prises de position à rebours des intérêts et des valeurs de l'Union européenne

Le goût de la provocation cultivé par le nouveau gouvernement grec et sa capacité à instrumentaliser les difficultés des négociations l'ont parallèlement conduit à des prises de position peu en phase avec les orientations de l'Union européenne. La recherche de nouvelles sources de financement l'a ainsi conduit à se rapprocher de la Russie. Il y a également lieu de s'interroger sur les effets d'une relance du débat sur les réparations de guerre que pourrait lui verser l'Allemagne ou sur les déclarations de membres du gouvernement reliant l'ouverture des frontières aux migrants à la question d'un accord sur le décaissement de la dernière tranche du plan d'aide.

a) Le rapprochement avec la Russie

La rencontre organisée entre Alexis Tsipras et Vladimir Poutine, le 8 avril 2015, n'a pas débouché sur la mise en place d'un prêt bilatéral russe à l'égard de la Grèce, à l'instar de ce qui avait été mis en oeuvre à Chypre en 2013. Une nouvelle rencontre organisée le 18 juin a cependant permis d'ébaucher l'idée d'un soutien financier, dès lors qu'un accord aurait été trouvé entre Athènes et ses créanciers.

Les autorités russes privilégient surtout des financements destinés à financer des projets d'infrastructure, concernant notamment le transport du gaz russe vers la Grèce et l'Europe, via le gazoduc Turkish stream en cours de construction. Le gouvernement grec avait d'ailleurs manifesté au mois de mars son opposition au projet d'Union énergétique porté par la Commission européenne qui prévoit que celle-ci examine préalablement tout accord énergétique signé entre un État membre et un pays tiers. Les autorités grecques et leurs homologues russes ont trouvé un accord le 19 juin 2015 pour la construction d'un gazoduc russe en Grèce entre 2016 et 2019. Le coût total de la construction du gazoduc s'élève à 2 milliards d'euros. Sa capacité de livraison est estimée à 47 milliards de mètres cubes. Le protocole d'entente prévoit la création d'une coentreprise, South European Gas Pipeline , détenue à parts égales grecques et russes. Un prêt souscrit par la Grèce auprès de la banque russe Vnesheconombank financera sa participation dans cette société.

Il y a lieu de s'interroger sur un tel partenariat alors que la Grèce qui achète 65 % de son gaz à la société russe Gazprom paye une facture de gaz naturel plus lourde que ses voisins (35 % en moyenne). Un nouvel accord devrait réduire de 15 % cette somme. La société DEPA, importateur et distributeur de gaz naturel, reste, quant à elle, toujours sous le contrôle de l'État, Gazprom ayant renoncé à l'acquérir en raison des réserves de la Commission européenne 7 ( * ) .

La création d'une coentreprise russo-grecque devrait permettre, par ailleurs, de contourner l'embargo alimentaire imposé par la Russie à l'Union européenne . Le Premier ministre grec a réitéré, au cours de cette rencontre, son opposition aux sanctions imposées par l'Union européenne à la Russie 8 ( * ) . Cet accord peut apparaître de fait plus politique qu'économique, la part de la Russie dans les exportations agricoles grecques étant évaluée à 2 %.

b) La question des réparations allemandes

Bien qu'elle fasse partie des promesses de campagne de Syriza , la question des réparations de guerre due par l'Allemagne est déjà ancienne en Grèce. La Cour suprême grecque a en effet estimé en 2000 que des avoirs allemands pouvaient être saisis au titre de réparations à verser aux familles des victimes du massacre de Distomo, perpétré par la Waffen SS le 10 juin 1944. La Cour suprême confirmait ainsi un jugement de 1997 condamnant l'Allemagne à verser une indemnité d'un montant de 28,6 millions d'euros. Une commission parlementaire a déjà travaillé sur ce dossier entre 2012 et 2014. Il existe en tout état de cause un consensus politique sur ce sujet. Une nouvelle commission parlementaire pourrait être constituée, en dépit de la complexité juridique du dossier.

La Comptabilité nationale grecque a évalué en 2010 le montant des réparations à 162 milliards d'euros, soit 108 milliards d'euros au titre des destructions - ce chiffre se fondant sur les conclusions de la Conférence internationale de Paris de 1946 - et 54 milliards d'euros au titre d'un prêt forcé de la Banque de Grèce à l'Allemagne (le Bundestag estimait ce prêt à 8,25 milliards d'euros en 2012, le ministère des finances grec à 11 milliards d'euros en janvier dernier). Le Secrétaire d'État au budget grec a réévalué cette estimation pour la porter à 278,7 milliards d'euros en avril 2015. Le chiffre intègre le prêt forcé, estimé à 10,3 milliards d'euros et les dommages subis par les particuliers et les infrastructures.

L'Allemagne juge de son côté qu'un accord trouvé avec la Grèce en 1960 réglait cette question : l'équivalent en marks de 58 millions d'euros avait alors été versé. Les juristes allemands soulignent par ailleurs qu'une indemnisation avait été prévue en 1953 dès lors que l'Allemagne serait réunifiée et qu'elle aurait signé un traité de paix avec les Alliés. Si le traité « 2+4 » signé en 1990 et approuvé par la Grèce prévoit bien la réunification de l'Allemagne, il ne constitue pas pour autant un traité de paix. Dans ces conditions, l'hypothèse d'une indemnisation n'apparaît pas juridiquement tenable. La Cour internationale de Justice a par ailleurs rendu en 2012 un arrêt déboutant toute poursuite individuelle contre l'Allemagne en raison des injustices causées par le régime nazi.

Comme dans le cas de la commission parlementaire sur la dette illégitime, la relance d'un débat sur cette question n'est pas sans arrière-pensée pour un gouvernement qui souhaite par-dessus-tout une restructuration de la dette publique. Au-delà de la question financière il est possible de s'interroger sur la démarche du gouvernement grec, qui comporte un double risque. Elle peut, en effet, renvoyer l'image d'un pays cherchant à fuir ses responsabilités actuelles et accentuer dans le même temps son isolement. Revenir sur la guerre contribue à remettre en question la logique de paix sur laquelle s'est construite l'Union européenne.

c) La question des migrants

59 669 nouveaux migrants ont été identifiés en Grèce au cours des cinq premiers mois de l'année 2015, contre 18 257 au cours de la même période en 2014. Le pays est, au même titre que l'Italie, concernée par l'arrivée massive de migrants irréguliers par voie maritime, via ses îles proches des côtes turques : Lesbos, Samos, Kos ou Chios. La Grèce constitue une porte d'entrée vers l'Europe du Nord pour une émigration syrienne fuyant la guerre. Afghans, Albanais, Pakistanais, Libyens et Irakiens entrent également au sein de l'Union européenne via la Grèce, le pays étant également une voie de transit pour des Somaliens, des Géorgiens, des Congolais et des Bangladais.

Plus de 50 000 arrivées - dont 20 000 sur la seule île de Lesbos - ont ainsi été enregistrées en Grèce depuis la mer Égée, soit une explosion de + 550 % en un an, selon l'agence Frontex. Les arrivées en Grèce pour le seul mois d'avril ont enregistré une hausse de 870 % par rapport à avril 2014 selon le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies. Entre 400 et 700 nouvelles personnes seraient interceptées et secourues quotidiennement en mer Égée. 4 046 migrants ont été identifiés sur le seul week-end du 5-7 juin 2015.

Les entrées par voie terrestre ne se tarissent pas pour autant : elles ont augmenté de 90 % sur les cinq premiers mois de l'année à la frontière de la Turquie (frontière de l'Evros) avec 1 115 personnes. 589 migrants en situation irrégulière sont entrés par l'ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM) et 4 112 par l'Albanie.

Frontex a annoncé, le 10 juin dernier, le renforcement de son opération Poséidon au large des côtes turques. La mission devrait être élargie à d'autres îles grecques alors que le flot des arrivées de migrants se concentre actuellement sur Lesbos ou Kos. Des officiers de frontière devraient également être envoyés . L'agence européenne constate un transfert des flux migratoires du corridor dit central Libye-Italie vers le corridor dit oriental Turquie-Grèce. Du 1 er janvier au 31 mai 2015, 40 297 sont entrés en Europe via ce dernier, contre 6 500 par le corridor central.

Frontex recommande également d'augmenter les moyens financiers fournis à la Grèce afin d'accroître ses capacités d'hébergement sur les îles. Le pays ne dispose pas, en effet, d'infrastructures adaptées pour l'accueil des migrants et manque de fonds pour les financer. Les capacités d'hébergement sont limitées à 1 000 places et seule l'île de Lesbos dispose pour l'heure d'un centre, financé sur fonds européens. Le gouvernement Samaras avait également lancé la création de deux centres de tri et renforcé les effectifs de gardes-frontières. Cette initiative visait à développer un service de l'asile, inexistant jusqu'alors, conduisant la Cour de justice à suspendre l'application du règlement Dublin II. Il convient de rappeler que la Grèce constitue depuis 2000 la principale porte d'entrée au sein de l'espace Schengen, avec 3 millions d'entrées. 80 % des étrangers en situation irrégulière interpellés au sein de l'espace Schengen en 2010-2011 y sont entrés par la Grèce. La sortie du territoire grec s'opère de différentes façons :

- par voie maritime, depuis les ports d'Igoumenitsa et de Patras, en direction de l'Italie ;

- par voie terrestre, de Thessalonique vers les Balkans : Serbie, ARYM et Hongrie ;

- par voie aérienne, 17 aéroports grecs étant utilisés.

Faute de coopération avec les pays d'origine, les procédures de retour ont tendance à ne pas aboutir. Même en cas d'accord de réadmission, les retours ne sont pas garantis : sur les 137 722 migrants en situation irrégulière provenant de Turquie interpellés entre avril 2002 et janvier 2015, seuls 3838 ont été effectivement réadmis sur le territoire turc, les requêtes grecques n'étant acceptées que pour 13 314 personnes.

L'approche du problème par le gouvernement Syriza diverge de celle de son prédécesseur, puisqu'elle vise avant tout à renforcer la protection des droits des migrants et refuse l'utilisation des centres de rétention. Ce refus reste cependant tempéré par la réalité : l'absence de centres d'hébergement a conduit au maintien des 5 000 places disponibles dans ces centres.

Le gouvernement a, parallèlement, mis en place deux transports maritimes des îles vers le continent où se trouveront de nouveaux centres destinés à tous les nouveaux arrivants, quel que soit leur statut. Des bâtiments de l'armée ont déjà été réquisitionnés et des examens médicaux sont organisés. Les réfugiés syriens qui fuient la guerre ont accès directement aux papiers, par l'intermédiaire d'une procédure déjà facilitée.

La question de l'immigration a, dans le même temps, été instrumentalisée par le gouvernement qui a souhaité la relier à l'avancement des négociations sur le décaissement de la dernière tranche du plan d'aide. Le ministre de la défense et président d'ANEL a ainsi clairement indiqué vouloir « inonder » l'Europe de migrants, en cas d'échec des négociations. Il s'agirait pour le gouvernement grec de leur octroyer des papiers leur permettant de circuler dans l'espace Schengen, allant jusqu'à ironiser sur la possibilité qu'au sein de cette « marée humaine » se trouvent des djihadistes de l'État islamique. Une telle déclaration peut laisser songeur quant à la perception qu'a le gouvernement grec de ses partenaires européens. En outre, cette attitude ne pourrait rester sans réponse de la part des autres États membres.

3. Quelles conséquences pour le défaut ?
a) Le défaut est devenu une réalité et le Grexit une hypothèse plausible

Le gouvernement a fréquemment rappelé au cours des négociations que faute d'accord avec ses partenaires, la Grèce pourrait se retrouver à la fin du mois de juin en situation de défaut. Cette option était censée accélérer les négociations. Elle répond dans le même temps aux aspirations de l'aile radicale de Syriza . Le gouvernement a confirmé cette solution, le 30 juin, en indiquant qu'elle ne rembourserait pas l'échéance due au FMI à cette date, soit 1,53 milliard d'euros. Il a néanmoins demandé le report de son remboursement en novembre, utilisant une disposition du règlement du Fonds permettant un tel report dans la limite de 3 à 5 ans, soit la durée de vie de ses prêts. Le Guyana et le Nicaragua avaient utilisé cette disposition en 1982. Le FMI dispose de trente jours pour effectuer un état des lieux et le transférer à son Conseil d'administration, qui constatera le défaut.

La situation pourrait être plus délicate au cours de l'été, compte tenu du remboursement à venir de 6,7 milliards d'euros de prêts BCE. La première échéance, d'un montant de 3,5 milliards d'euros, est fixée au 20 juillet. Si ces prêts venaient à ne pas être remboursés, la BCE pourrait cesser d'approvisionner les banques grecques via le mécanisme ELA. En ce qui concerne les remboursements des tranches des prêts FESF, il n'existe pas de lien automatique entre non-paiement et défaut. Mais, si celui-ci venait à être constaté par le FMI, il s'agit alors d'un événement déclencheur, le FESF pouvant demander le remboursement anticipé des prêts. Dans ce cas de figure, le risque d'une sortie de la zone euro serait renforcé. Le conseil des gouverneurs du FESF n'a, pour l'heure, pas estimé que l'absence de paiement du FMI le 30 juin constituait un événement déclencheur mais s'est réservé le droit, le 3 juillet, de revenir sur cette position.

Contrairement à la période 2010-2012 et compte tenu du défaut, la sortie de la Grèce de la zone euro ( Grexit ) ne constitue plus une perspective impossible. L'exaspération manifestée par certains États membres face aux postures grecques ces derniers mois ont même contribué à rendre cette hypothèse plausible et fragilisé la portée de cette menace agitée par le gouvernement. Le choix du référendum a même rendu logique et probable une telle conclusion.

Il convient de rappeler que le défaut n'implique pas mécaniquement une sortie de la zone euro. Une telle sortie demeure du ressort du Conseil européen, la Banque centrale européenne se contentant de constater le défaut. La question est même biaisée, puisque la sortie de la zone euro n'est pas prévue par les traités. Seul un retrait de l'Union européenne est permis. C'est dans ce sens que le président de la Commission européenne a présenté le vote négatif au référendum comme un refus non seulement de l'euro mais bien de l'Europe.

Le gouvernement grec réfute, par ailleurs, toute sortie de la zone euro, estimant qu'elle n'est pas prévue les rraités et menaçant de saisir la Cour de justice de l'Union européenne, si cela venait à se produire.

Le mécanisme de sortie de l'Union européenne

Le traité de Lisbonne introduit un mécanisme de sortie volontaire et unilatérale de l'Union européenne. Aux termes de l'article 50 du traité sur l'Union européenne, l'État membre qui souhaite se retirer notifie son intention au Conseil européen, qui présente alors des orientations pour la conclusion d'un accord fixant les modalités du retrait. Cet accord doit être adopté à la majorité qualifiée par le Conseil, après approbation du Parlement européen. Les traités cessent de s'appliquer à l'État qui en fait la demande, dès l'entrée en vigueur de l'accord, ou au plus tard deux ans après la notification du retrait. Le Conseil peut décider de prolonger cette période. Tout État sorti de l'Union pourra demander à être réintégré, en se soumettant à nouveau à la procédure d'adhésion.

b) Un risque pour la Grèce et la zone euro

Si cette solution venait néanmoins à être adoptée, toute sortie de la zone euro impliquerait, quoi qu'il en soit, la prolongation des mesures de contrôle des capitaux et de limitation des retraits aux distributeurs. Après la mise en place pour des raisons techniques d'une monnaie intermédiaire à l'image des IOU, le passage à la drachme ne signifierait pas pour autant un retour à son niveau initial : une dépréciation de 20 à 50 % est, en effet, envisageable selon certains économistes. Cet effondrement de la drachme aurait pour conséquence directe une augmentation de la partie de la dette sur laquelle le défaut n'a pas été prononcé. Seule la dette détenue par les résidents pourrait, en effet, être libellée en drachmes, soit 48 milliards d'euros (26 % du PIB). La dette publique pourrait dans ces conditions atteindre 220 % du PIB, ce qui apparaît insoutenable et implique un défaut généralisé sur la dette extérieure. Ce défaut fragiliserait parallèlement l'accès ultérieur de la Grèce aux marchés financiers.

Le retour à une monnaie grecque dévaluée aurait également pour corollaire une inflation galopante. Il serait précédé par une course aux retraits qui devrait provoquer un effondrement d'un système bancaire fragile et une crise « incontrôlable » selon les termes employés par la Banque de Grèce le 17 juin. La sortie de la zone euro implique donc de mettre en place un contrôle des capitaux, difficile à mettre en oeuvre techniquement mais aussi politiquement. A ce chaos à court terme pourrait néanmoins succéder à moyen terme une relance de la croissance induite par l'amélioration mécanique de la compétitivité des entreprises grecques, à condition que celles-ci aient néanmoins accès à un minimum de liquidités. Le prix politique et social d'un défaut et d'une sortie de la zone euro apparaît toutefois très élevé.

Au-delà de la faible part de la Grèce dans le PIB européen (2 %), le risque de contagion au sein de la zone euro tend, quant à lui, à être minoré pour deux raisons :

- La restructuration de la dette grecque en 2012 fait porter l'essentiel du coût du défaut sur les États et les institutions internationales et non le secteur privé ;

- La zone euro s'est, par ailleurs, dotée de dispositifs de sauvegarde qui tendent à limiter tout effet domino, qu'il s'agisse du Mécanisme européen de stabilité ou de l'Union bancaire

Cependant, outre son coût pour les bailleurs de fonds, il convient de s'attarder sur la portée politique d'une telle sortie pour l'Union européenne. Celle-ci altèrerait le caractère irréversible de l'Union économique et monétaire. C'est à l'aune de cette ambition qu'il faut analyser l'absence de disposition juridique encadrant la sortie de la zone euro. Le projet d'intégration politique que porte l'Union économique et monétaire pourrait être stoppée par une telle sortie. La zone euro ne serait dès lors qu'un système monétaire européen amélioré, soit un système de parité fixe, d'où un État peut sortir en cas de dégradation de sa situation financière. La notion de solidarité inhérente au projet européen serait un peu plus battue en brèche avec pour corollaire une différenciation de plus en plus aigüe des taux entre les pays jugés bon gestionnaires et ceux visés par les procédures de déficit excessif, à l'image de la France. Il n'est pas anodin que le Portugal ait annoncé, en mars puis en juin 2015, le remboursement anticipé de prêts qu'il avait contractés auprès du FMI (6,6 milliards d'euros) dans le cadre du plan d'aide international de mai 2011. Lisbonne entend ainsi éviter toute assimilation par les marchés de la dette grecque à celle des pays périphériques. Ceux-ci ne se sont montrés guère sensibles aux arguments portugais comme en témoigne la montée des taux lusitaniens, mais aussi italiens et portugais le 29 juin.

De leurs côtés, les marchés d'actions européens - secteur financier, banques et assurances - pourrait être fragilisés par cette sortie, comme le marché obligataire. Les titres des pays ayant rencontré des difficultés ou en connaissant encore seraient principalement concernés, dans un contexte déjà marqué par une forte volatilité des taux depuis le mois de mai. Cette détérioration ne serait pas uniquement européenne, des turbulences sont également attendues sur les marchés émergents, plus risqués. L'euro serait, bien évidemment, déprécié.

On peut s'interroger plus largement sur les conséquences géopolitiques d'une Grèce, mise au ban de l'Union européenne.

III. LE JOUR D'APRÈS

Votre rapporteur estimait à l'issue de son déplacement qu'au-delà d'un accord, il faudrait dépasser la logique comptable de l'ajustement budgétaire pour élaborer une véritable stratégie pour l'avenir du pays. Celle-ci passe par un débat sur la restructuration de la dette, la mise en place d'une véritable réforme de l'État mais aussi l'aide aux secteurs porteurs de croissance. L'histoire de la Grèce rappelle que les périodes de difficultés financières ont été immédiatement suivies par des phases de croissance, à l'image des progressions enregistrées entre 1901 et 1918 puis entre 1978 et 2001. Il convient donc de contribuer à la mise en place de celles-ci.

La victoire du non au référendum du 5 juillet, avec plus de 61 % des voix le 5 juillet, ne remet pas en cause ce constat. Même si l'avenir des négociations demeure un grand point d'interrogation.

A. UNE RESTRUCTURATION INÉVITABLE

Le Mécanisme européen de stabilité a rappelé dans son rapport d'activité 2014, présenté le 18 juin 2015, que la dette grecque était soutenable en l'état actuel. Il convient, selon lui, de dépasser une lecture focalisée sur le ratio de la dette par rapport au PIB mais mieux prendre en compte la structure de sa dette. Il juge ainsi que les obligations de remboursement seront « minimales » jusqu'en 2023 - un moratoire visant les intérêts et le capital dus aux États membres et au FESF - et que les versements seront ensuite étalés sur plusieurs décennies. Des taux d'emprunts sur les marchés favorables devraient conforter la soutenabilité de la dette. Cette condition ne sera cependant remplie que si la Grèce met en place les réformes structurelles attendues et qu'elle renoue avec croissance et excédent budgétaire primaire. L'accord du 27 novembre 2012 tablait à cet effet sur un excédent budgétaire primaire de 3 % en 2015, 4,5 % en 2016-2017 et 4,2 % en 2018-2019. Ces objectifs seraient remplis si la croissance atteignait 2,8 % en 2015, 3,7 % en 2016 et 3,5 % au-delà.

Face à la dégradation de la conjoncture et l'impossibilité pour la Grèce d'atteindre ces cibles, la question d'une nouvelle restructuration de la dette ne peut constituer, en tout état de cause, un tabou. Elle est expressément prévue par l'accord du 27 novembre 2012, qui précise néanmoins qu'elle ne pourra pas être effacée ou faire l'objet d'une décote.

Le FMI est plus réservé sur les modalités sur l'absence de décote, comme en témoigne son rapport sur la soutenabilité de la dette grecque du 26 juin. Il estime, en effet, qu'un excédent primaire inférieur à 2,5 % du PIB en 2018 (la cible souhaitée par les institutions atteint 3,5 % du PIB) et une croissance inférieure à 1 % du PIB à la même date devraient conduire à une restructuration d'ampleur à l'horizon 2020, afin de garantir sa soutenabilité et respecter la cible définie en 2012. Celle-ci passerait par un effacement de la dette à hauteur de 53,1 milliards d'euros, soit quasiment la somme prêtée par les États membres dans le cadre du premier plan d'aide de juin 2010 (52,9 milliards d'euros, dont plus de 11 milliards d'euros pour la France). Le FMI considère que l'absence de croissance dans le contexte actuel, la diminution des recettes fiscales et la faiblesse des recettes tirées de la privatisation fragilisent la trajectoire retenue par les institutions en matière d'excédent primaire.

1. Les options classiques

La plupart des options tablent avant tout sur un allègement de la charge de la dette et non la réduction de son montant. Il s'agit pour autant de ne pas céder aux demandes de l'actuel gouvernement grec, formulées le 5 juin 2015. La Grèce table en effet sur une réduction de 50 % de l'encours de la dette à l'horizon 2020, compensée par une augmentation du taux d'intérêt qui pourrait atteindre 5 % . Les conclusions de l'eurogroupe du 27 novembre 2012 insistaient pourtant sur l'absence d'effacement de la dette. Il convient de rappeler que la dette de la Grèce auprès de la BCE ne peut faire l'objet d'une restructuration, puisqu'elle équivaudrait au financement monétaire d'un État, ce qui est contraire à l'article 123 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Un allongement de la durée de remboursement de la dette et une baisse concomitante des taux d'intérêts peuvent aujourd'hui être envisagés. Si le remboursement des prêts octroyés était repoussé en 2051 et le taux d'intérêt ramené à un niveau inférieur à celui de l'Euribor 3 mois + 50 points de base (soit 0,55 % aujourd'hui), la dette grecque pourrait être allégée de 31,7 milliards d'euros selon le think tank Bruegel . Le précédent gouvernement grec souhaitait obtenir fin 2014 une décote ou une réduction des taux d'intérêts, assortie d'un report la maturité des prêts de 30 à 50 ans. La combinaison réduction des taux - allongement de la durée de remboursement devait alléger, selon lui, la dette de 40 %.

Une autre option consiste en l'achat par le Mécanisme européen de stabilité (MES) des émissions grecques sur le marché primaire. Une analyse de la Banque centrale européenne doit, au préalable, justifier une telle intervention. La Grèce serait en outre tenue de signer au préalable un protocole d'accord avec le MES qui prévoit la mise en oeuvre de réformes structurelles. L'intervention du MES est de surcroît limitée statutairement à 50 % des montants émis, sauf décision contraire adoptée à l'unanimité par le Conseil des directeurs du MES.

Une intervention de la Banque centrale européenne dans le cadre de son programme OMT de rachat de titres de 1 à 3 ans sur le marché secondaire pourrait également contribuer à alléger la dette. Les achats de la BCE sont néanmoins conditionnés à la mise en place de réformes structurelles dans les États concernés et s'inscrivent dans le cadre d'un plan d'assistance. La Grèce serait une nouvelle fois placée sous surveillance, un rapport trimestriel permettant à la BCE de décider de la poursuite des achats. En cas de non-respect de ses engagements, la BCE suspendra son action.

La solution d'un rachat de la dette contractée auprès de la BCE via un nouvel emprunt auprès du MES est également envisagé.

2. Concilier relance de la croissance et restructuration de la dette

La Grèce est confrontée aujourd'hui à un double défi : élaborer une stratégie économique viable pour le pays, porteuse de croissance et assurer la soutenabilité de la dette. Le remboursement de celle-ci ne peut, en tout état de cause, se faire au détriment de la croissance.

Le gouvernement grec préconisait lors de son intronisation des solutions innovantes qui ne passent pas par un effacement de la dette. Une partie des crédits perçus dans le cadre du plan d'aide international pourrait ainsi être transformée en obligations, dont le coupon et les remboursements seraient indexés sur l'évolution du produit intérieur brut grec. Ce mécanisme constituerait une incitation à la poursuite des réformes structurelles, destinées à relancer la croissance du pays. Les titres détenus par la Banque centrale européenne pourraient, quant à eux, être convertis en obligations perpétuelles, par essence non remboursables. Elles continueraient cependant de produire des intérêts, ce qui les rend négociables sur les marchés. Les autorités grecques souhaitent également que la Banque européenne d'investissement soit mobilisée afin qu'elle finance un large programme d'investissements, financé par l'émission d'obligations. Celles-ci seraient alors acquises par la BCE dans le cadre de son programme d'assouplissement quantitatif. Celui-ne peut pour l'heure s'appliquer à la Grèce, la BCE détenant déjà un tiers des émissions de dette grecque.

Cette implication de la BCE semble quelque peu optimiste, celle-ci étant très réservée sur la stratégie financière de l'actuel gouvernement. La position actuelle du gouvernement s'oriente aujourd'hui de toute façon plutôt vers une décote que sur des solutions répondant aux critères définis par l'eurogroupe en novembre 2012.

La campagne référendaire a permis au gouvernement Tsipras de préciser ses intentions en demandant une réduction de la dette de 30 % et un moratoire de 20 ans sur le remboursement.

L'idée de relier croissance et dette n'est pour autant pas à écarter. Une solution envisageable pourrait consister en la conversion d'une partie de la dette en certificats d'investissements. Cette solution est notamment préconisée par trois économistes français : Gabriel Coletis, Jean-Philippe Robé et Robert Salais 9 ( * ) . Il ne s'agit en aucun cas d'une annulation.

La solution d'une conversion de la dette en certificat d'investissement permet de réduire la dette sans l'annuler. Elle implique la création de fonds publics bilatéraux, au sein de laquelle coexisteraient la Banque d'investissement du pays (la BPI en France ou KPW en Allemagne) qui détient de la dette grecque et son homologue hellène. Ces fonds investiraient alors dans les secteurs productifs via la création de coentreprises, l'octroi de crédits ou la prise de participation au sein d'entreprises grecques. L'excédent primaire de la Grèce ne servirait plus à financer le remboursement de la dette mais bien à abonder ces fonds d'investissements. La créance serait elle-même transformée en capital abondant ces fonds.

Si le créancier renonce aux flux d'intérêts, il bénéficie d'une part des revenus futurs de ses investissements. Une partie des plus-values réalisées sera ainsi reversée en priorité aux créanciers. Les entreprises installées au sein de l'État créancier pourraient dans le même temps bénéficier d'une option prioritaire d'équipements pour les investissements productifs dès lors que les entreprises grecques ne peuvent les produire. Il conviendrait, pour mettre en oeuvre un tel dispositif, d'amender les règles européennes en matière de concurrence afin de faire échapper ces fonds aux normes visant les aides d'État.

Cette solution n'est pas sans rappeler celle mise en place par le Secrétaire d'Etat au Trésor américain, Nicholas Brady, en Amérique Latine entre 1985 et 1989. Les Debt Equity Swap ou Brady Bonds ont ainsi consisté en la conversion de la dette due par les États aux banques privées en actions de sociétés locales, ce qui a permis de nouveaux financements. 12,5 milliards de dollars de dette ont été converties.

B. LA MISE EN PLACE D'UNE VÉRITABLE STRATÉGIE ÉCONOMIQUE

La reprise économique entraperçue en 2014 s'est évanouie en raison de l'incertitude entourant la situation financière de l'État mais aussi de l'absence de stratégie économique de la part du gouvernement. La recherche urgente de liquidités et la priorité accordée aux négociations occultent tout débat sur les priorités économiques du pays et donc sur les moyens d'assurer sa solvabilité.

Les difficultés sont exacerbées par l'absence de réformes structurelles d'envergure, qui contribue à fragiliser la confiance des investisseurs et donc toute perspective de relance. Les difficultés rencontrées par les entreprises conduisent celles-ci à ne plus pouvoir rémunérer leurs salariés, ceux-ci ne restant que pour pouvoir bénéficier d'une protection sociale. Plus d'un tiers des salariés seraient concernés par une telle situation. Les retards de paiement de salaire atteignent en moyenne cinq mois. La Grèce semble en fait entrée dans un cycle dépressif, faute de prévisibilité et de garanties pour les investissements

Secteur moteur de l'activité grecque, le tourisme est lui aussi fragilisé par le climat actuel. Si les premiers résultats étaient, fin mai 2015, une fois et demie supérieurs à ceux enregistrés l'an passé, le nombre de réservations pour l'été semble, quant à lui, en baisse. La mauvaise image du pays en Allemagne contribue notamment à cette diminution. Les incertitudes entourant le taux de TVA pour l'an prochain assombrit les perspectives pour 2016.

1. Créer les conditions d'une véritable relance de l'activité en ciblant les secteurs clés

La plupart des observateurs relèvent une absence d'investissements depuis décembre 2014, faute de lisibilité sur l'action à moyen terme du gouvernement, comme en témoignent ses hésitations sur la poursuite des privatisations. Le gouvernement marque une certaine réticence à contribuer au financement de projets privés, à l'instar des autoroutes.

L'investissement dans les secteurs stratégiques pour la croissance, à l'image du tourisme ou de l'agriculture (les olives grecques sont transformées en huile en Italie), apparaît pourtant primordial. Le cas du tourisme est assez révélateur. Si 24 millions de personnes visitent le pays chaque année, la Grèce ne dispose d'aucune école hôtelière. Par ailleurs, ses infrastructures de luxe restent en nombre limité. L'aéroport d'Athènes ne dispose, quant à lui, que d'une seule piste. La capitale grecque ne dispose pas par ailleurs de capacités d'accueil pour les croisières et ne s'est toujours pas dotée d'un palais des congrès. Les investissements dans ces domaines ont largement contribué au développement de villes comme Istanbul ou Barcelone. La capitale turque dépasse aujourd'hui son homologue grecque en termes de fréquentation, alors qu'elle était au même niveau en 2003.

La privatisation des aéroports, lancée par le gouvernement précédent et validée par l'actuel peut, à ce titre, constituer une opportunité de développement indéniable en vue d'attirer plus de touristes. Il n'en demeure pas moins que des projets d'ampleur nécessitent le cofinancement de l'État, qu'il s'agisse de la ligne 4 du métro athénien, du tunnel autoroutier de Salamine ou de la modernisation de l'aéroport d'Heraklion. Les appels d'offres les concernant sont bloqués depuis janvier dernier, les dates de remise d'offre étant révisées tous les trois mois. Le projet d'extension du port de Pirée a, quant à lui, dû être abandonné, faute de liquidités.

2. Construire un État efficace doté de véritables pouvoirs

La poursuite et l'accélération de la réforme de l'État doit également faire figure de priorité. Celui-ci doit tout à la fois être dépolitisé et doté d'un véritable pouvoir de sanction dans le domaine fiscal. Il s'agit de rétablir la confiance des citoyens grecs et des opérateurs économiques dans les institutions grecques.

a) La lutte contre l'évasion fiscale

La question de l'efficacité de la collecte de l'impôt demeure centrale, cinq ans après la signature du premier mémorandum d'accord. Le problème fiscal grec ne saurait, en effet, se limiter à la question de la TVA dans les îles. La mise en place d'un système adapté constituerait, à n'en pas douter, une véritable rupture avec la tradition d'un État faible dans ce domaine, incapable d'exercer le moindre pouvoir de coercition. Il contribuerait également à permettre à la Grèce de dépasser des pratiques clientélistes et une culture de l'impayé. Les recettes fiscales sont d'ailleurs en baisse depuis le mois de décembre 2014.

Les fraudeurs sont protégés par une législation complexe et parfois contradictoire, la longueur des procès étant par ailleurs dissuasive. Le montant des arriérés fiscaux s'élève à 77 milliards d'euros, 80 % de cette somme étant dus au titre des cinq dernières années. 3,5 millions de dossiers portent sur des arriérés de paiement de moins de 3 000 euros. Les enquêtes fiscales se concentrent pourtant sur les cas les plus anciens. Le manque de moyens fragilise cependant toute ambition. Le gouvernement actuel souligne qu'il ne dispose que d'une centaine de contrôleurs du fisc et que le logiciel visant les mouvements de compte entre la Grèce et l'étranger ne sera disponible qu'en septembre prochain. Enfin, la loi sur la relance de l'économie adoptée par le Parlement le 20 mars 2015 ne prévoit pas de renforcement des sanctions pour les fraudeurs et n'aborde pas la question des contribuables qui organisent leur insolvabilité.

Dans ce contexte, la première des priorités tient au renforcement des moyens et de l'autonomie du Secrétariat général aux recettes publiques, institué avec l'appui des bailleurs de fonds par le gouvernement Samaras avant que celui-ci n'accule son directeur à la démission. Cet organisme indépendant qui devait concentrer tous les services d'enquête et définir la méthodologie des contrôles suscite aujourd'hui la méfiance du nouveau gouvernement, en dépit de la volonté affichée par celui-ci de renforcer les contrôles. La création d'un ministère dédié qui vient doublonner les missions du Secrétariat général aux recettes publiques traduit cet état de fait.

Il s'agit également d'éviter des solutions artisanales - à l'image des touristes agents auxiliaires des impôts proposés un temps par l'actuel gouvernement -, difficiles à mettre en oeuvre ou alourdissant la charge administrative des entreprises, à l'instar de l'édition de toutes les factures pour les annexer à la déclaration d'impôt. Le gouvernement Tsipras a, de son côté, mis en place un système de récupération de la TVA obligeant les entreprises à faire des avances de trésorerie, dans un contexte marqué par une raréfaction des liquidités. Il s'agit d'aller plus loin et de remédier aux difficultés que rencontrent les secteurs les plus dynamiques de l'économie grecque : 200 000 locaux sont ainsi loués sans déclaration préalable à des fins touristiques. Les représentants du secteur ont pourtant proposé de financer la mise en place d'un contrôle. Cette option a été refusée par le gouvernement. La mise en réseau des caisses enregistreuses n'a pas non plus, pour l'heure, abouti. Aucune recherche des signes extérieurs de richesse et d'activité n'est par ailleurs réellement mise en oeuvre.

Au-delà du paiement, il convient de s'interroger sur la population imposable. Pour l'heure, l'essentiel de la pression fiscale repose sur les employés, les fonctionnaires et les retraités, concernés par le prélèvement à la source. Faute de contrôle efficace, les auto-entrepreneurs, qui constituent plus de 50 % du tissu entrepreneurial grec, ne versent pas l'impôt. Aucune démarche n'a, par ailleurs, pour l'heure été significativement entreprise en direction des plus grandes fortunes, et notamment les armateurs.

Les armateurs grecs devraient encore être exonérés du versement de l'impôt sur les bénéfices, en vertu de l'article 107 de la Constitution grecque. Seule une taxe forfaitaire basée sur le tonnage et l'âge du bateau est imposée. Cette exemption date de 1953, époque à laquelle le gouvernement grec entendait aider à la reconstruction de la flotte hellène, détruite durant la seconde guerre mondiale. Le pavillon grec est désormais le troisième du monde avec 4 707 navires, dont la valeur est estimée à 105 milliards d'euros. 250 000 emplois sont générés par cette flotte. C'est à l'aune de cet effet sur l'emploi que la cinquantaine de familles qui possède la flotte menace d'une délocalisation tout gouvernement souhaitant réformer la fiscalité les concernant. Seule une taxe temporaire d'urgence de 500 millions d'euros étalée sur cinq ans, a pu leur être imposée en 2012. L'Église orthodoxe, salariée par l'État - la rémunération d'un pope étant établie entre 1 200 et 1 500 euros mensuels - n'est pas non plus concernée. Son action sociale - 10 000 repas seraient fournis chaque jour - sert de justification, aux yeux des gouvernements successifs, à l'absence de prélèvement sur son patrimoine immobilier. Une telle absence de mesure à l'égard des armateurs et de l'Église orthodoxe ne lasse pas d'interroger de la part d'un gouvernement issu de la gauche radicale.

La question de la taxation de l'immobilier reste d'ailleurs sujette à caution, avec la suspension par le gouvernement de l'impôt introduit par le l'équipe précédente. L'absence de cadastrage de la totalité du territoire (70 % du pays serait concerné), malgré son inscription dans la loi en 2011, ne facilite pas, quoi qu'il en soit, le prélèvement.

Les gouvernements successifs n'ont, par ailleurs, pas exploité les informations contenues dans la liste dite « Lagarde », du nom de la ministre des finances française de l'époque, transmise par la France en février 2010, qui contient des informations visant les dépôts de plus de 2 000 résidents grecs sur les comptes de la banque HSBC en Suisse. Seuls 49 font aujourd'hui l'objet d'une enquête.

b) Faire enfin aboutir une réforme de l'administration

La réforme de l'administration publique va de pair avec cette réforme fiscale. Il convient, à ce titre, de souligner les progrès enregistrés ces dernières années, notamment sous l'impulsion de la Task force for Greece européenne. Celle-ci a pu faire mettre en place un secrétariat général du gouvernement en 2013 et introduire une coordination ministérielle inexistante jusqu'alors. Une réforme des organigrammes des ministères a également été accomplie et le précédent gouvernement a pu faire adopter un projet de loi révisant les modalités d'évaluation et la mobilité des fonctionnaires. Il convient d'ajouter à cela les efforts continus des gouvernements successifs pour diminuer les effectifs de la fonction publique, avec une politique de non remplacement de 4 fonctionnaires sur 5 depuis 2010. Le coût budgétaire de la fonction publique a ainsi été réduit de 32 % sur la période et se situe ainsi aujourd'hui en dessous de la moyenne OCDE.

Si Syriza a également porté le thème de la réforme administrative durant la campagne électorale, le discours n'est toujours pas suivi d'effets. Pire les dispositions sur la mobilité et l'évaluation, contestées par les syndicats ont été suspendues. Le gouvernement prépare aujourd'hui un nouveau texte qui reprend pourtant l'essentiel des dispositions antérieures. La Task force n'y est, en tout état de cause, plus associée. Rien n'indique, par ailleurs, que le texte pourra être adopté, malgré l'appui du Premier ministre : le comité directeur de Syriza doit en effet se prononcer sur le projet, qui suscite toujours des réserves chez les syndicats. Le dossier de la réforme de l'Etat est, par delà, révélateur de la méfiance du gouvernement à l'égard de la Task force d'un côté, associée à la troïka (comme l'office grec des statistiques Elsta t), mais aussi de l'administration en général qu'elle juge encore liée au PASOK. Le gouvernement privilégie un partenariat avec l'OCDE, signé en mars 2015, pour accompagner cette réforme, quand bien même cette organisation ne dispose pas d'une expertise en la matière.

La réforme de l'État, en particulier dans le domaine judiciaire, apparaît pourtant primordiale tant elle pèse sur l'activité des entreprises, faute de sécurité juridique. Un million d'affaires pénales sont encore pendantes auprès des tribunaux grecs. Une procédure de jugement dure au minimum 5 ans mais atteint plus fréquemment 10 ans.

La Task force victime de la méfiance et de son nouveau format ?

La Task force for Greece a été créée en juillet 2011 pour mettre en oeuvre le premier mémorandum d'accord. Elle ne se limite pas à la réforme de l'État et a ainsi obtenu quelques résultats dans le domaine de la consommation des fonds structurels ou dans celui de la santé. Dotée de 60 agents, elle est principalement chargée :

- d'aider à recentrer les dépenses relevant de la politique de cohésion sur les projets les plus prometteurs sur le plan économique, notamment dans le domaine des transports et de l'environnement ;

- de contribuer, dans le cadre de la politique de cohésion, à l'élaboration de programmes innovants qui soutiennent l'activité de prêt aux PME ;

- de contribuer au financement et à la mise en oeuvre d'un important programme de réformes dans les domaines de l'administration fiscale et de la gestion des finances publiques ;

- d'analyser les modifications à apporter dans la gouvernance et la structure de l'administration publique grecque afin de garantir une coordination efficace et de permettre à la Grèce de s'approprier le processus de réforme de son administration publique ;

- d'aider les autorités grecques à définir les modalités de l'assistance technique pour qu'elle soit en mesure de soutenir de profondes réformes structurelles dans des domaines tels que l'environnement des entreprises, la facilitation des exportations, les marchés publics et la santé publique.

Elle propose aujourd'hui, dans le domaine social, l'introduction d'un revenu minimum d'insertion sur le territoire, financée par une rationalisation des allocations sociales et familiales. Une initiative de la Banque mondiale l'a déjà introduit à titre expérimental au sein de 13 municipalités. Le gouvernement actuel n'a pas donné suite au projet de la Task force de le généraliser.

De manière générale, l'action de la Task force a été fragilisée par une sous-estimation de la complexité juridique du pays mais aussi une méfiance à l'égard d'une structure étrangère. Elle n'est pourtant pas liée à la troïka et se trouve placée directement sous l'autorité du président de la Commission européenne. Son bilan peut, dans ces conditions, apparaître en demi-teinte.

La réforme de son mode de fonctionnement devrait la mettre, à l'avenir, à la disposition de l'ensemble des États membres. Elle sera par contre intégrée à la direction générale EcFin, dont dépendent déjà les représentants de la Commission siégeant au sein des institutions. Une telle évolution contribue à renforcer la défiance du gouvernement actuel à l'égard de cette structure, plus que jamais assimilée à l'ancienne troïka. Le mandat de la Task force se termine le 30 juin 2015 en Grèce. Il n'est pas sûr qu'elle soit reconduite compte tenu du contexte.

C. LE RÉFÉRENDUM DU 5 JUILLET ET SES CONSÉQUENCES IMMÉDIATES

1. Quelles sont les positions à l'issue du référendum ?

Les leçons à tirer du non tendaient à diverger entre le gouvernement grec et ses partenaires européens au lendemain du référendum.

Le gouvernement grec entend avant tout marteler qu'il ne s'agit pas d'un choix en faveur d'une sortie de la zone euro mais plutôt d'une clarification de son mandat en vue de négocier un nouvel accord avec ses créanciers. Il s'agit avant tout du refus d'une logique, celle des politiques dites d'austérité, plus que celle d'un principe, celui de la monnaie unique.

Reste que cette position ne rejoint pas celle de ses partenaires européens. À l'Allemagne, trop souvent mise en avant, il convient d'ajouter les réactions observées en Finlande, aux Pays-Bas ou en Slovaquie par exemple. Le choix du peuple grec y est envisagé comme un refus des réformes structurelles et donc d'une adhésion pleine et entière à la zone euro. Il ne saurait exister, à leurs yeux, de mandat clarifié pour la Grèce, tant la position adoptée par le gouvernement apparaît à rebours des règles de solidarité, de responsabilité et de recherche constante du compromis.

Le non pose, par ailleurs, un problème politique au sein de nombreux États membres. Comment faire accepter une reprise des négociations à des opinions publiques à raison sourcilleuses sur les montants des aides déjà versées et sur l'absence de volonté affichée par le gouvernement grec depuis plus de cinq mois d'aboutir à un accord ? L'exemple de l'Allemagne est assez frappant : un consensus s'est fait jour entre les deux principales formations du pays pour envisager une sortie de la Grèce de la zone euro. Il existe aujourd'hui une véritable crise de confiance à l'égard des autorités grecques, exacerbée par l'annonce du référendum et son organisation. La Commission européenne estime, de son côté, que la position du gouvernement est affaiblie par le non, en raison du fossé créé avec ses partenaires.

Dans l'hypothèse d'une reprise des négociations, rien n'indique, à l'aune de ces éléments, qu'un éventuel compromis puisse recueillir un vote favorable au sein des parlements allemand, autrichien, finlandais, letton ou néerlandais qui doivent le ratifier. Cette étape est pourtant essentielle pour le versement des fonds. Dans ces conditions, la victoire du non pourrait s'apparenter à une défaite de la Grèce au plan européen.

2. Quelles pourraient être les bases des négociations ?

La plupart des États membres indiquaient au lendemain du résultat qu'ils étaient en attente de nouvelles propositions grecques pour envisager l'ouverture de nouvelles négociations. Il convient de rappeler, au préalable, que celles-ci ne pourront plus s'inscrire dans le cadre antérieur. Le deuxième plan d'aide a en en effet expiré le 30 juin dernier. Un nouveau mandat doit donc être accordé à la Commission européenne par l'eurogroupe en vue de la préparation d'un troisième plan d'aide.

Il convient, pourtant, de ne pas mésestimer l'urgence d'une reprise de ces négociations, tant au plan social que financier. Le pays est toujours placé sous contrôle des capitaux et devra faire face, le 20 juillet, à une nouvelle échéance de remboursement conséquente : 3,5 milliards d'euros auprès de la Banque centrale européenne. Celle-ci a décidé, le 6 juillet, de maintenir le niveau de son aide d'urgence aux banques à 89 milliards mais l'a assorti de conditions d'accès plus dures, en opérant une décote des titres apportés en garantie.

La démission, à la demande du Premier ministre, du ministre de l'Économie, Yannis Varoufakis, est incontestablement un signe d'apaisement à l'égard de l'eurogroupe, où la personnalité, les méthodes et les mots - les institutions ont été qualifiés de « terroristes » pendant la campagne référendaire - ont fini par exaspérer. Reste désormais à définir une plateforme de négociation. On relèvera que le référendum visait les propositions des institutions du 25 juin. Celles du 26 juin ont été implicitement acceptées par le gouvernement grec comme en témoigne la demande d'un troisième plan formulée le 1 er juillet et finalement refusée par l'eurogroupe.

Quoi qu'il en soit, la victoire du non au référendum devrait sans doute permettre au gouvernement grec de bénéficier d'un vote favorable de sa majorité au Parlement, en cas d'obtention d'un accord.

CONCLUSION

Il est difficile de trouver dans la stratégie actuelle du gouvernement grec une véritable lisibilité. Le caractère composite de Syriza , sa relative inexpérience ou le mandat dual qui lui a été donné - se maintenir dans la zone euro et repenser l'ajustement budgétaire - expliquent pour partie ce que l'on peut assimiler à de l'attentisme voire, par moments, à du bluff . La présence de membres d'ANEL au sein du gouvernement, méconnue en Europe, est également à prendre en compte. La partie de poker menteur à laquelle semblent se livrer les autorités grecques pourrait cependant être coûteuse pour une population qui souhaitait avant tout tourner la page de pratiques politiques surannées qui ont largement discrédité un État déjà faible. Au-delà de la crise économique, le pays traverse aujourd'hui une véritable crise de gouvernance, fruit elle-même d'une crise morale, plus profonde et plus ancienne, marquée par une méfiance séculaire à l'égard de l'État et une incapacité manifeste à dépasser ses divisions pour jeter les bases d'une union nationale. Sans celle-ci, il apparaît pourtant difficilement envisageable d'aboutir à un accord raisonnable avec les institutions sur une nouvelle aide internationale et définir demain un modèle de croissance viable pour le pays.

La lenteur des négociations, l'absence de progrès réel comme les postures successives du gouvernement ont contribué à banaliser le risque de défaut de la Grèce et l'hypothèse d'une sortie de la zone euro. Sans pour autant que ne soient véritablement évaluées les conséquences d'une telle option tant pour l'économie grecque, qui devrait faire face à un chaos sans précédent, que pour le projet politique qu'est censée être la monnaie unique. Il n'est plus temps de s'interroger sur l'opportunité d'avoir intégré rapidement la Grèce, après le retour de la démocratie, au sein de l'Union européenne puis de la zone euro. Ces débats n'ont pas leur place face à l'urgence du présent. Il s'agit aujourd'hui de définir la stratégie la plus adaptée pour accompagner le pays sur la voie de sa modernisation. Celle-ci a été entrevue début 2014 avec l'apparition de premiers résultats, qui, s'ils étaient insuffisants au plan social, montraient néanmoins que la fatalité n'avait plus cours dans la Grèce du vingt-et-unième siècle.

EXAMEN PAR LA COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 25 juin pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par M. Simon Sutour, le débat suivant s'est engagé.

M. Jean Bizet, président. - Je retiendrai deux points du rapport et de l'exposé de notre collègue. L'adhésion à l'Union européenne et a fortiori à la zone euro implique des règles à respecter. L'aide financière qui a été versée à la Grèce par l'Union européenne est conditionnée à l'application de certains engagements, qu'il convient de tenir. Je suis frappé de constater lors des réunions de la COSAC que nos collègues qui sont les plus exigeants à l'égard de la Grèce sont eux-mêmes issus de pays ayant traversé de grandes difficultés et ayant dû demander une aide financière : je pense à l'Irlande, à l'Espagne ou au Portugal.

Demander au gouvernement grec de poursuivre ses efforts ne nous empêche pas de réfléchir à une restructuration de la dette. Les autorités grecques souhaitent un allongement de la durée de remboursement. Portons plutôt des solutions innovantes, à l'image des certificats d'investissement. Leur fonctionnement est détaillé dans le rapport. Il s'agit de mettre en place des partenariats publics-privés qui permettront à la Grèce d'utiliser ses créances pour relancer l'investissement et d'associer ses bailleurs de fonds aux bénéfices. Je vous rappelle que la France est exposée à hauteur de 55 milliards d'euros à la dette publique grecque. Jusqu'alors seuls les investisseurs privés ont été concernés par une restructuration d'ampleur avec, en 2012, l'effacement de 107 milliards d'euros.

En ce qui concerne l'adhésion rapide de la Grèce en 1981, il aurait sans doute fallu prendre un peu plus de temps. Mais nous ne disposions pas à l'époque du cadre que nous fournit aujourd'hui la politique de voisinage.

M. Éric Bocquet. - Je salue le travail conséquent du rapporteur. Je regrette cependant que le rapport soit trop souvent à charge contre le gouvernement grec. C'est particulièrement manifeste dans la conclusion où sont mis en avant la « posture » du gouvernement, le manque de lisibilité de son action, ses coups de « bluff » et la partie de « poker menteur » à laquelle il se livrerait. Je retiens le mot « posture ». Mais enfin, peut-on dire d'un gouvernement ayant des convictions qu'il se situe dans la posture ? Je ne suis pas d'accord !

La conclusion est par contre éclairante lorsqu'elle rappelle que la crise grecque actuelle est avant tout une crise morale, marquée notamment par une défiance séculaire à l'égard de l'État. Ce qui n'est pas aujourd'hui sans rapport avec la question de la place de la Grèce au sein de l'Union européenne L'adhésion de la Grèce à l'Union européenne était évidente. Par contre, son intégration au sein de zone euro pose question. Elle a été portée par des personnalités qualifiées comme Jacques Delors, Nicolas Sarkozy, Dominique Strauss-Kahn ou même Valéry Giscard d'Estaing !

Au-delà des négociations et du modèle de croissance, la principale urgence à laquelle est confronté le gouvernement est avant tout de permettre à sa population de subvenir à ses besoins élémentaires. Parallèlement, il importe effectivement qu'elle remette en place des structures administratives adaptées, pour lutter contre l'évasion fiscale et la corruption. Au plan économique, je m'interroge sur sa capacité à se redresser avec une telle charge de la dette. Elle représentait 112 % du PIB avant la crise, elle atteint aujourd'hui 176 %.

Je reviens enfin sur le problème démocratique que pose aujourd'hui la crise grecque. Jean-Claude Juncker oppose régulièrement les engagements de la Grèce à l'égard de l'Union européenne au choix des électeurs le 25 janvier dernier. À quoi sert de voter finalement ? Est-ce l'Europe dont nous voulons pour demain ?

M. Jean-Paul Emorine. - Je constate que le gouvernement grec a été élu sur un programme populiste et qu'il se heurte aujourd'hui à la réalité. Celle-ci implique qu'il fasse des efforts pour pouvoir obtenir un accord.

Je suis inquiet par rapport à ce que nous a indiqué le rapporteur sur la polarisation des Grecs sur l'Allemagne. Il est nécessaire que la Commission incarne les négociations et non pas l'Allemagne. Elle ne doit plus être autant en première ligne, tant elle cristallise les ressentiments dans ce pays.

M. Jean Bizet, président. - Je vous rejoins. La question de l'ambiance entre les États membres, qui sont avant tout des partenaires, est primordiale.

M. Richard Yung. - Je n'oublie pas, avant tout de chose, le rôle de la résistance grecque dans la défaite du nazisme. En obligeant Hitler à retirer des troupes du front de l'Est pour soutenir l'armée italienne empêtrée en Grèce, elle a sans doute influé sur le cours des choses...

Nous devons aujourd'hui arriver à un accord. Nous connaissions avant même le déclenchement de la crise les problèmes de la Grèce. Mais nous les taisions, qu'il s'agisse du poids des dépenses militaires - 2 milliards d'euros - qui servait nos industries de l'armement ou de l'inefficacité de l'administration grecque. Nous devons maintenant avancer, en ouvrant un débat sur la restructuration de la dette. L'allongement de la maturité est une piste à suivre.

M. Jean-Yves Leconte. - L'adhésion grecque a peut-être été trop rapide mais elle a eu un effet indéniable sur l'économie du pays. Le PIB a été multiplié par 7 en 25 ans. Et ce n'est pas seulement l'effet des fonds structurels. Les cinq dernières années ne sauraient masquer cette réalité, il ne s'agit pas d'un échec absolu.

On ne peut préjuger de l'issue des négociations mais nous devons effectivement trouver des solutions innovantes pour relancer le pays.

M. Michel Billout. - Je suis un peu déçu par la tonalité du rapport. Je conçois qu'il réponde à une exigence de sincérité du rapporteur au regard de ce qu'il a ressenti sur place mais il y a des manques dans son exposé. Les origines de la crise auraient mérité d'être rappelées et notamment le rôle de la banque Goldman Sachs. Le problème de la légitimité de la dette ne doit pas non plus être écarté. Finalement, comme l'a rappelé Éric Bocquet, la question de fond est celle du droit d'un gouvernement qui n'épouse pas les grands dogmes de l'économie libérale de pouvoir diriger un pays.

Il est nécessaire aujourd'hui de formuler des solutions innovantes et de dépasser une lecture trop comptable. Il faut redonner de la confiance aux Grecs. Les efforts demandés ont été inéquitablement répartis. Et seule l'économie grise a pu permettre à ce pays de se maintenir. Mais il ne s'agit pas d'une réponse viable à long terme.

M. Simon Sutour. - Je pense que votre conviction aurait été ébranlée si vous aviez pu assister aux entretiens que j'ai menés là-bas.

M. Michel Billout. - Ce gouvernement n'a même pas six mois.

M. Simon Sutour. - J'en conviens mais il faut bien qu'il commence à agir ! Un seul de mes interlocuteurs nous a tenu un langage de vérité, il s'agit du gouverneur de la Banque centrale ! Heureusement que la population grecque dispose aujourd'hui d'amortisseurs sociaux non gouvernementaux comme l'économie grise, la famille, l'Église orthodoxe ou les Fondations pour lui permettre de survivre...

J'entends vos remarques sur le problème démocratique. Je souhaite moi aussi que l'Europe soit réorientée vers plus de social. Il s'avère que nous ne sommes pas seuls et que la majorité de nos partenaires sont gouvernées par des partis conservateurs... Par ailleurs, tout gouvernement est comptable des engagements de ses prédécesseurs. Le gouvernement Syriza doit donc assumer les traités européens.

Si l'on aime, si l'on souhaite aider le peuple grec, il est indispensable de tenir un langage de vérité. Même s'il ne fait pas plaisir.

M. Jean Bizet, président. - Je propose que le rapporteur intègre dans le rapport final les résultats des négociations en cours quand nous pourrons en disposer et que le document soit publié à ce moment-là. Nous pouvons cependant d'ores et déjà autoriser sa publication.

À l'issue de ce débat, la commission a autorisé la publication du rapport.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

- M. Nikos Hountis, ministre délégué aux affaires européennes ;

- M. Georges Katrougalos, ministre délégué à l'intérieur, chargé de la réforme administrative ;

- M. Dimitri Mardas, ministre délégué aux finances ;

- M. Antonis Samaras, ancien Premier ministre, président de Nouvelle Démocratie ;

- M. Evangelos Venizelos, ancien vice-premier ministre, président du PASOK ;

- M. Alexis Mitropoulos, Premier vice-président du Parlement hellénique, président de la commission parlementaire des affaires européennes  et Mme Théodora Tzakri, vice-présidente de la commission parlementaire des affaires européennes ;

- M. Yannis Stournaras, Gouverneur de la Banque de Grèce ;

- Mme Eva Christofilopoulou, députée ( PASOK ) ;

- M. Théodore Forstakis, député ( Nouvelle démocratie ) ;

- M. Dimitri Kourkoulas, député ( PASOK ) ;

- Mme Constantina Tchaiaou, députée ( To Potami )

- M. Makis Voridis, ancien ministre, député ( Nouvelle démocratie ) ;

- M. Constantin Zourakis, député ( ANEL ) ;

- MM. Peter Wagner et Sébastien Renaud, Task force de la Commission européenne pour la Grèce

- M. Vassilis Kaskarelis, directeur général de la Fondation Stavros Niarchos ;

- MM. Christos Gorsos, secrétaire général et Vassilis Panagiotidis, directeur, Mme Christina Livada, conseillère, Association des banques grecques (HBA) ;

- M. Thierry Benassis, directeur général Alstom Gird Hellas ;

- M. Cyrille Dupont, président et directeur pays Thales international ;

- M. Hadi Hannouche, Vinci construction Hellas ;

- Mme Marianne Papalexi, présidente Zolotos Jewelers SA ;

- M. Michel-Emmanuel-Christian Piguet, directeur général Elepedison Trading ;

- M. Eric Tourret ; Ernst & Young ;

- M. Alexandros Vassilikos, groupe Airhotel ;

- M. Marc-Pierre Yaloukis, directeur général Pierre Fabre Hellas ;

- MM. Takis Athanasopoulos, président, et Aggelos Tsakanikas, chercheur associé, Fondation de la recherche économique et industrielle (IOBE) ;

- M. Napoléon Maraveyas, ancien ministre, vice-recteur de l'Université d'Athènes, professeur d'économie ;

- M. Panayotis Petrakis, professeur d'économie à l'Université d'Athènes ;

- M. Petros Markaris, écrivain ;

- Mme Odile Duperry, directrice de l' Agence France Presse ;

- Mme Adea Guillot, journaliste ( Le Monde ) ;

- M. Georges Malouchos, conseiller de l'édition de To Vima ;

- M. Petros Papaconstantinou, journaliste ( Kathimérini) ;

- M. Yannis Pretenderis, journaliste ( Ta Néa , To Vima , Mega ) ;

- S.E M. Jean Loup Kuhn-Delforge, Ambassadeur de France en Grèce, MM. Alexandre Morois, premier conseiller et Philippe Boin, chef du service économique, et Mme Irène Hiotellis, chef du service de presse et de communication.


* 1 On peut ajouter à cette somme 24,6 milliards versés au FESF au titre de la sur-garantie le 11 mars 2011. Ce mécanisme de sur-garantie joue dès lors que, dans l'hypothèse où les garanties sont appelées pour couvrir un défaut, seuls les six pays les mieux notés par les agences de notation (Allemagne, Autriche, Finlande, Luxembourg, Pays-Bas et France) se trouvent en mesure d'honorer lesdites garanties. Avec l'appoint des sur-garanties, le FESF dispose alors des ressources suffisantes pour couvrir intégralement ses engagements. Ce mécanisme de sur-garantie a été introduit pour permettre au FESF d'emprunter aux conditions d'un pays AAA.

* 2 À titre de comparaison, le montant des garanties allemandes sur les emprunts grecques s'élèvent à 66 milliards d'euros, hors mécanisme de sur-garantie.

* 3 Tassos Giannitsis, et Stavros Zografakis Greece : solidarity and adjustment in times of crisis Institut für Makroökonomie und Konjunkturforschung / Macroeconomic Policy Institute, Study n°38 - Mars 2015

* 4 Pour être élu, un candidat doit obtenir deux tiers des voix à l'occasion des deux premiers tours, puis trois cinquièmes lors du dernier tour.

* 5 Une autre formation classée plus à gauche, DIMAR, disposait de 18 sièges dans le précédent Parlement.

* 6 Sondage Alco réalisé du 24 au 26 juin 2015

* 7 L'opérateur de transport grec, DEPSA, est quant à lui privatisé, 66 % des parts devant revenir à la SOCAR, la société pétrolière et gazière de l'État azéri, les 34 % restants étant détenus par l'État grec.

* 8 Les députés européens grecs membres de Syriza s'étaient opposés en 2014 à la signature de l'accord d'association entre l'Union européenne et l'Ukraine ainsi qu'à celui noué avec la Moldavie.

* 9 Gabriel Colletis, Jean-Philippe Robé et Robert Salais, Un plan Marshall pour la Grèce . La Tribune, 13 février 2015.

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