III. LES DÉFIS QUE DOIVENT RELEVER LES SYSTÈMES D'APPRENTISSAGE ALLEMAND ET AUTRICHIEN

1. Des tensions démographiques inconnues en France
a) L'Allemagne semble plus touchée que l'Autriche par le vieillissement de sa population

Comme le rappelle une étude de l'Institut national d'études démographiques de 2012, les projections des Nations unies prévoient que la population de la France pourrait rattraper celle de l'Allemagne dès 2055.

Figure n° 12 : Évolution de la population de la France et de l'Allemagne de 1800 à 2100

Sources : Insee. BIB (Bundesinstitut fü Bevoelkerungsforschung. Sebastian Kluesener (communication personnelle. Nations unies (projections)

IG. Pison Population et Sociétés, n° 487. Ined. Mars 2012

Les perspectives de l'apprentissage pâtissent de ce déséquilibre démographique, d'autant plus que la préférence des jeunes vers d'autres formations que l'apprentissage s'accentue.

b) Une élévation du niveau scolaire qui détourne certains jeunes de l'apprentissage

En Allemagne, le nombre de jeunes qui débutent des études supérieures augmente de manière quasi constante depuis 1992 et il est devenu presque égal au nombre de jeunes sous contrat d'apprentissage. Le pays comptait en 1992 deux fois plus de nouveaux apprentis que de nouveaux étudiants, ce ratio se maintenant jusqu'en 1998. Depuis cette date, le ratio a diminué de telle sorte que l'on compte, en 2014, 498 900 nouveaux étudiants, soit quasiment le même nombre que celui des nouveaux apprentis (529 500).

Par ailleurs, ce phénomène est accentué par la préférence des jeunes Allemands pour les formations scolaires de durée moyenne, comme les écoles techniques supérieures ( Fachoberschule ), les lycées techniques ou encore les écoles de commerce.

Pour les entreprises, cette baisse tendancielle du nombre de jeunes souhaitant obtenir une place d'apprentissage constitue une menace à moyen terme pour le développement de l'appareil productif.

c) Tandis que certains jeunes n'ont pas le niveau pour entrer en apprentissage

En Allemagne , selon le BDA qui s'appuie sur l'étude PISA de l'OCDE, 17 % des élèves allemands en fin de scolarité (soit 170 000 personnes) ne sont pas aptes à l'apprentissage, ce taux atteignant même 40 % chez les élèves issus de l'immigration. En outre, 5,2 % des écoliers en fin de scolarité sont sortis du système scolaire sans diplôme (soit 50 000 personnes), contre 10,7 % chez les jeunes issus de l'immigration. Pour mémoire, on estime que le nombre de jeunes sortis sans diplôme du système éducatif est de 140 000 personnes par an (ces données sont toutefois sujettes à caution).

Le BDA estime que deux tiers des entreprises offrent une aide et des cours de soutien aux jeunes en difficulté qui suivent une formation en apprentissage.

En Autriche , de nombreux intervenants ont indiqué à votre délégation que la réorganisation voire la disparition de certaines grandes entreprises publiques avait été préjudiciable, car elles avaient l'habitude de former un grand nombre d'apprentis, notamment en difficulté.

Toutefois, il existe de nombreuses entreprises industrielles qui forment plus d'apprentis que leurs besoins particuliers ne le nécessiteraient. Il existe aussi des entreprises comme Karsch qui accueillent des apprentis présentant des handicaps dans le cadre de programmes financés par l'AMS.

2. Les déséquilibres croissants sur le marché de l'apprentissage allemand
a) Un marché de l'apprentissage confronté à un double défi

En 2014, selon le ministère fédéral de l'éducation et de la recherche, 37 101 places en apprentissage sont restées vacantes, et 20 872 jeunes n'ont pas trouvé de place en apprentissage, sur un total de 522 232 contrats conclus.

L'Allemagne doit donc non seulement diminuer le nombre de places d'apprentissage vacantes , mais également réduire le nombre de jeunes qui ne parviennent pas à décrocher un contrat d'apprentissage .

Comme le montre le graphique suivant, le nombre de places d'apprentissage vacantes a constamment augmenté depuis 2009 et a même doublé entre cette date et aujourd'hui, tandis que le nombre de jeunes qui trouvent pas d'entreprise d'accueil est aujourd'hui presque deux fois plus important qu'en 2011.

Figure n° 13 : Evolution entre 2009 et 2013 du nombre de places d'apprentissage vacantes et du nombre de jeunes qui ne parviennent pas à trouver une entreprise d'accueil

Places d'apprentissage vacantes

Candidats sans place d'apprentissage

Source : Bundesvereinigung der Deutschen Arbeitgeberverbände

Il faut remonter à 1995 pour retrouver un chiffre de places d'apprentissage non pourvues aussi élevé qu'en 2014 . Il convient toutefois de rappeler qu'en 1993, plus de 85 000 places d'apprentissage étaient demeurées libres.

Ce mauvais appariement entre l'offre et la demande d'apprentissage ne cesse de s'aggraver depuis 2009, à l'ouest et dans une moindre mesure à l'est du pays. Parmi les 154 territoires observés par le BiBB, qui correspondent aux périmètres d'intervention des agences pour l'emploi, 24 ont un taux de couverture des demandes d'apprentissage de moins de 60 %, 106 un taux compris entre 60 et 80, et 24 au-delà de 80 % 42 ( * ) .

b) Un nombre important de jeunes qui ne parviennent pas à obtenir une place d'apprentissage

Comme l'indique le BiBB, 81 200 jeunes inscrits à l'équivalent allemand de Pôle emploi fin septembre 2014 étaient toujours à la recherche d'une place d'apprentissage , soit 13,5 % de l'ensemble des personnes à la recherche d'une place . Ce taux demeure élevé, rejoignant le niveau atteint en 2008. Il s'agit en quelle que sorte du stock de personnes qui ne parviennent pas à s'insérer dans le marché de l'apprentissage, et il comprend deux composantes :

- 20 872 personnes n'ayant pas trouvé de places d'apprentissage ;

- 60 300 personnes environ ayant trouvé une alternative continuent de chercher une place.

Parmi ces dernières personnes, 29,8 % débutent une nouvelle scolarité, tandis que d'autres commencent un stage, effectuent leur service civil ou intègrent des structures publiques pour réaliser un apprentissage hors de l'entreprise.

Comme le remarque l'étude de la Dares, ce sont notamment les élèves sorties de Hauptschule qui peinent à s'insérer sur le marché de l'apprentissage 43 ( * ) .

Figure n° 14 : Evolution du taux de candidats qui n'ont toujours pas trouvé de place d'apprentissage par rapport au total des candidats en recherche, de 2007 à 2014

Source : Bibb, Die Entwicklung des Ausbildungsmarktes im Jahr 2014, Duales System vor großen Herausforderungen, Stephanie Matthes, Joachim Gerd Ulrich, Simone Flemming, Ralf-Olaf Granath, p. 12

c) Certains métiers peinent à attirer des candidats à l'apprentissage

Les difficultés d'appariement entre l'offre et la demande d'apprentissage sont variables selon les métiers. Comme en témoigne le tableau ci-dessous, certaines professions peinent à attirer des candidats (comme les serveurs de restaurant, les plombiers ou les vendeurs dans l'alimentation de détail), tandis que d'autres connaissent un afflux de demandes (assistants vétérinaires, laborantins, fleuristes), ce qui explique en partie les différences de rémunération entre apprentis.

Figure n° 15 : Equilibre offre/demande sur l'apprentissage en Allemagne

Source : Institut Montaigne, L'apprentissage, un vaccin contre le chômage des jeunes, Plan d'action pour la France tiré de la réussite allemande, Bertrand Martinot, p. 27

Parmi les places d'apprentissage restées vacantes, la moitié environ concerne l'industrie et le commerce (19 886) et un tiers l'artisanat (12 759) 44 ( * ) . En Allemagne de l'Est, une place d'apprentissage sur dix demeure vacante dans le secteur de l'apprentissage.

d) Plus fondamentalement, l'attractivité de l'apprentissage est en perte de vitesse en Allemagne

Le BiBB utilise depuis plusieurs années un indicateur important, le taux de placement en apprentissage des personnes intéressées par cette formation en alternance . Il mesure le nombre de contrats d'apprentissage conclus par rapport aux personnes initialement intéressées par cette voie de formation en alternance.

Ce taux est actuellement égal à 64,4 %, soit le plus faible niveau depuis 2009 .

Cet indicateur est plus faible chez les femmes (62,4 %) que chez les hommes (65,8 %). Il est également plus élevé à l'ouest (64,8 %) qu'à l'est (63,5%). Le nombre de personnes intéressées par l'apprentissage était seulement de 810 540 en 2014, soit la plus mauvaise performance enregistrée depuis 2009 45 ( * ) .

Figure n° 16 : Evolution du taux de placement en apprentissage des personnes intéressées par cette formation en alternance entre 1992 et 2014

Source : Bibb, Die Entwicklung des Ausbildungsmarktes im Jahr 2014, Duales System vor großen Herausforderungen, Stephanie Matthes, Joachim Gerd Ulrich, Simone Flemming, Ralf-Olaf Granath, p. 18

3. Les systèmes palliatifs mis en place montrent leurs limites
a) En Allemagne

Compte tenu des difficultés d'un grand nombre de jeunes à trouver une place en apprentissage, une nouvelle voie de formation professionnelle initiale ( Übergangsystem , ou secteur de transition) a été créée pour assurer une formation théorique et pratique au sein de structures financées par des subventions publiques. L'objectif principal est de permettre une remise à niveau des jeunes, notamment issue de l'immigration, en vue de l'obtention d'une place d'apprentissage en entreprise.

Votre délégation s'est rendue dans un centre à Berlin qui était financé par des fonds du secteur de transition. Ce centre assure notamment des formations pour les métiers de la restauration, de la confection de textile, de la coiffure ou de la réparation mécanique.

Entre 50 et 62 % des jeunes en transition trouvent une place en apprentissage à l'issue d'un délai de douze mois 46 ( * ) .

Toutefois, de nombreux observateurs critiquent le secteur de transition, compte tenu de la multiplication des programmes et des initiatives, de l'absence de pilotage du système, de son opacité et de son coût élevé.

b) En Autriche

Votre délégation s'est également rendue dans un établissement à Vienne (ZOBAeck) qui assure des formations dans les métiers de la restauration dans le cadre du système d'apprentissage inter-entreprises ( Überbetriebliche Lehrausbildung, ou ÜBA ).

A la demande des partenaires sociaux, le ministère du travail autrichien a mis en place ce dispositif, afin d'aider les jeunes qui ont effectué leur scolarité obligatoire et ne parviennent pas à s'insérer sur le marché de l'apprentissage ou ont interrompu leur apprentissage.

Financé par l'AMS à hauteur de 140 millions d'euros pour la période 2013/2014, ce dispositif a été suivi par environ 14 500 jeunes, et propose de se préparer à plus de cent métiers différents.

Il s'inscrit dans la garantie de formation qu'accorde le Gouvernement autrichien aux jeunes.

Les établissements autorisés à dispenser cette formation sont sélectionnés par l'AMS à l'issue d'appels d'offres.

Les jeunes bénéficient au départ d'entretiens d'orientation professionnelle, puis ils suivent des formations théoriques et pratiques, tout en bénéficiant de soutien et d'encadrement de personnels spécialisés.

Un contrat de formation est conclu entre le jeune et l'établissement d'accueil, et dure au moins un an.

Selon les données fournies par le WKÖ, la majorité des jeunes ayant quitté un ÜBA en 2012 (40,7 %) ont trouvé une place d'apprenti « classique » ; 31% sont inscrits à l'AMS ; 17,5 % sont en dehors du marché du travail et 10,8% ont trouvé un emploi.

Malgré les nombreux dispositifs mis en place ces dernières années pour favoriser l'apprentissage, le gouvernement autrichien souhaite aller plus loin.

Comme l'a indiqué à votre délégation Johannes Kopf, le directeur général de l'homologue autrichien de Pôle emploi, le gouvernement envisage en effet de rendre obligatoire la formation des jeunes de moins de 18 ans, et d'interdire aux entreprises d'embaucher des jeunes sans formation en deçà de cet âge.

Il convient par ailleurs de rappeler la mise en place, en 2004, du dispositif de formation professionnelle intégrative ( Integrative Berufsausbildung , ou IBA ), qui permet à des jeunes en difficulté de suivre un apprentissage pendant une période plus longue que celle de droit commun, ou de n'assister qu'à certaines formation d'apprentissage.

Votre délégation n'a pas eu l'occasion de se pencher sur ce dispositif au cours de son déplacement en Autriche. Le ministère de l'économie considère pour sa part que ce dispositif est un succès, car 6 152 personnes en ont bénéficié en 2013, et trois quarts des entreprises y ayant eu recours s'en disent satisfaites 47 ( * ) .

4. Les autres défis que doivent surmonter les systèmes d'apprentissage allemand et autrichien

Le taux de rupture en cours d'apprentissage est élevé en Allemagne et en Autriche.

En 2012, ce taux était de 24,4 % en Allemagne, contre 28,1 % en France. Lorsqu'un apprenti français connaît une rupture de son contrat, il a une probabilité de 78 % de quitter définitivement cette voie de formation, alors que son homologue allemand a une chance sur deux d'y rester 48 ( * ) . Un tiers des ruptures des contrats d'apprentissage allemands a lieu pendant la période d'essai, un tiers entre cinq et douze mois, un tiers au-delà, alors que les trois quarts des ruptures en France surviennent après la période d'essai de deux mois. En Allemagne, certaines filières sont plus touchées comme la restauration (la moitié des contrats) ou l'artisanat (un tiers).

Comme l'a indiqué à votre délégation M. Johannes Schweighofer, responsable de la politique internationale du marché de l'emploi au ministère des affaires sociales, 17 % des jeunes Autrichiens quittent le système d'apprentissage sans avoir passé l'examen final.

Le problème de l'appariement entre l'offre et la demande d'apprentissage en Allemagne pourrait être en partie résolu si une politique de mobilité des jeunes était mise en place à l'échelle du pays, compte tenu des spécificités du marché du travail entre Länder. D'ailleurs, le directeur des ressources humaines de Kapsch a regretté auprès de votre délégation que le trop grand nombre de Länder en Autriche empêche une adéquation optimale entre l'offre et la demande sur le marché de l'apprentissage.

En outre, comme l'ont indiqué à votre délégation les représentants de la Confédération des syndicats autrichiens (ÖGB), la qualité des formations d'apprentissage en Autriche constitue une grande préoccupation, faute de contrôles réguliers en entreprise par le corps enseignant.

La Confédération des syndicats autrichiens souhaite également que les référentiels d'apprentissage soient davantage suivis et respectés par les maîtres d'apprentissage et que les langues étrangères et le savoir-être de l'apprenti soient davantage valorisés.


* 42 Le développement du marché de l'apprentissage en 2014, le système dual face à de grands défis, institut fédéral pour la formation professionnelle, Stéphanie Matthes, Joachim Gerd Ulrich, Simone Flemming, Ralf-Olaf Granath, p. 24.

* 43 Etude de la Dares, op. cit., p. 15.

* 44 Le développement du marché de l'apprentissage en 2014, le système dual face à de grands défis, institut fédéral pour la formation professionnelle, Stéphanie Matthes, Joachim Gerd Ulrich, Simone Flemming, Ralf-Olaf Granath, p. 10.

* 45 Le développement du marché de l'apprentissage en 2014, le système dual face à de grands défis, institut fédéral pour la formation professionnelle, Stéphanie Matthes, Joachim Gerd Ulrich, Simone Flemming, Ralf-Olaf Granath, p. 3.

* 46 L'apprentissage, un vaccin contre le chômage des jeunes : plan d'action pour la France tiré de la réussite allemande, étude de l'institut Montaigne, mai 2015, p. 58.

* 47 L'apprentissage, le système dual de la formation professionnelle en Autriche, Bundeslinisterimum für Wirtschaft, Familie und Jugend, http://wissenschaft.bmwfw.gv.at /fileadmin/Publikationen /Berufsausbildung/Die_Lehre_franz_HP.pdf , p. 15.

* 48 L'apprentissage, un vaccin contre le chômage des jeunes : plan d'action pour la France tiré de la réussite allemande, étude de l'institut Montaigne, mai 2015, p. 26.

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